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Document 62002CJ0055

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 12 octobre 2004.
Commission des Communautés européennes contre République portugaise.
Manquement d'État - Articles 1er, 6 et 7 de la directive 98/59/CE - Notion de 'licenciement collectif' - Régime des licenciements par assimilation - Transposition incomplète.
Affaire C-55/02.

Recueil de jurisprudence 2004 I-09387

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2004:605

Arrêt de la Cour

Affaire C-55/02


Commission des Communautés européennes
contre
République portugaise


«Manquement d'État – Articles 1er, 6 et 7 de la directive 98/59/CE – Notion de 'licenciement collectif' – Régime des licenciements par assimilation – Transposition incomplète»

Conclusions de l'avocat général M. A.Tizzano, présentées le 11 mars 2004
    
Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 12 octobre 2004
    

Sommaire de l'arrêt

Politique sociale – Rapprochement des législations – Licenciements collectifs – Directive 98/59 – Notion de licenciement collectif – Cessation du contrat de travail sans le consentement du travailleur et dépendant de circonstances extérieures à la volonté de l'employeur – Inclusion

(Directive du Conseil 98/59, art. 1er, § 1, al. 1, a))

La notion de licenciement, visée à l’article 1er, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), de la directive 98/59, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, a une portée communautaire et ne peut pas être définie par un renvoi aux législations des États membres. Elle doit être interprétée en ce sens qu’elle n’englobe pas uniquement les licenciements pour des raisons de nature structurelle, technologique ou conjoncturelle, mais toute cessation du contrat de travail non voulue par le travailleur, et donc sans son consentement. Dès lors, une cessation du contrat de travail sans le consentement du travailleur ne saurait échapper à l’application de la directive du seul fait qu’elle est dépendante de circonstances extérieures à la volonté de l’employeur. Les objectifs de la directive visant notamment à renforcer la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs ne seraient que partiellement atteints si une telle cessation du contrat de travail était exclue du régime de la directive.

(cf. points 49-50, 52-53, 60, 66, disp. 1)




ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
12 octobre 2004(1)


«Manquement d'État – Articles 1er, 6 et 7 de la directive 98/59/CE – Notion de ‘licenciement collectif’ – Régime des licenciements par assimilation – Transposition incomplète»

Dans l'affaire C-55/02,ayant pour objet un recours en manquement au titre de l'article 226 CE,introduit le 22 février 2002,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. Sack et M. França, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

République portugaise, représentée par MM. L. Fernandes et F. Ribeiro Lopes, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,



LA COUR (deuxième chambre),,



composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, M. C. Gulmann, Mmes F. Macken et N. Colneric (rapporteur) et M. J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,
greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 11 mars 2004,

rend le présent



Arrêt



1
Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en limitant la notion de licenciements collectifs à des licenciements pour des raisons de nature structurelle, technologique ou conjoncturelle et en n’élargissant pas cette notion à des licenciements pour toutes les raisons non inhérentes à la personne des travailleurs, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE et des articles 1er, 6 et 7 de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO L 225, p. 16).


Le cadre juridique

La réglementation communautaire

2
La directive 75/129/CEE du Conseil, du 17 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO L 48, p. 29), telle que modifiée par la directive 92/56/CEE du Conseil, du 24 juin 1992 (JO L 245, p. 3), a été abrogée en vue de sa codification par la directive 98/59 (ci-après la «directive»). Aucun nouveau délai de transposition n’a été ouvert à cette occasion.

3
Aux termes du deuxième considérant de la directive, «il importe de renforcer la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs en tenant compte de la nécessité d’un développement économique et social équilibré dans la Communauté».

4
Le troisième considérant de la directive constate «que, malgré une évolution convergente, des différences subsistent entre les dispositions en vigueur dans les États membres en ce qui concerne les modalités et la procédure des licenciements collectifs ainsi que les mesures susceptibles d’atténuer les conséquences de ces licenciements pour les travailleurs».

5
Aux termes du quatrième considérant de la directive, «ces différences peuvent avoir une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur».

6
Le septième considérant de la directive constate «qu’il est […] nécessaire de promouvoir ce rapprochement dans le progrès au sens de l’article 117 du traité».

7
Le huitième considérant de la directive énonce «que, pour le calcul du nombre de licenciements prévu dans la définition des licenciements collectifs au sens de la présente directive, il convient d’assimiler aux licenciements d’autres formes de cessation du contrat de travail intervenues à l’initiative de l’employeur, pour autant que les licenciements soient au moins au nombre de cinq».

8
Aux termes du neuvième considérant de la directive, celle-ci «s’applique en principe également aux licenciements collectifs notamment à la suite d’une cessation des activités de l’établissement qui résulte d’une décision de justice».

9
L’article 1er de la directive est libellé comme suit:

«1.      Aux fins de l’application de la présente directive:

a)
on entend par ‘licenciements collectifs’: les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs lorsque le nombre de licenciements intervenus est, selon le choix effectué par les États membres:

i)
soit, pour une période de trente jours:

au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs,

au moins égal à 10 % du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs,

au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs;

ii)
soit, pour une période de quatre-vingt-dix jours, au moins égal à 20, quel que soit le nombre des travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés;

b)
on entend par ‘représentants des travailleurs’: les représentants des travailleurs prévus par la législation ou la pratique des États membres.

Pour le calcul du nombre de licenciements prévus au premier alinéa, point a), sont assimilées aux licenciements les cessations du contrat de travail intervenues à l’initiative de l’employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs, à condition que les licenciements soient au moins au nombre de cinq.

2.        La présente directive ne s’applique pas:

a)
aux licenciements collectifs effectués dans le cadre de contrats de travail conclus pour une durée ou une tâche déterminées, sauf si ces licenciements interviennent avant le terme ou l’accomplissement de ces contrats;

[…]»

10
L’article 2 de la directive prévoit une procédure de consultation et d’information des représentants des travailleurs.

11
L’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive dispose:

«Les consultations portent au moins sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés.»

12
Les articles 3 et 4 de la directive déterminent les règles applicables à la procédure de licenciement collectif.

13
L’article 3, paragraphe 1, de cette directive dispose:

«L’employeur est tenu de notifier par écrit tout projet de licenciement collectif à l’autorité publique compétente.

Toutefois, les États membres peuvent prévoir que, dans le cas d’un projet de licenciement collectif lié à une cessation des activités de l’établissement qui résulte d’une décision de justice, l’employeur n’est tenu de le notifier par écrit à l’autorité publique compétente que sur la demande de celle-ci.

La notification doit contenir tous renseignements utiles concernant le projet de licenciement collectif et les consultations des représentants des travailleurs prévues à l’article 2, notamment les motifs de licenciement, le nombre des travailleurs à licencier, le nombre des travailleurs habituellement employés et la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements.»

14
Aux termes de l’article 4 de la directive:

«1. Les licenciements collectifs dont le projet a été notifié à l’autorité publique compétente prennent effet au plus tôt trente jours après la notification prévue à l’article 3, paragraphe 1, sans préjudice des dispositions régissant les droits individuels en matière de délai de préavis.

Les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente la faculté de réduire le délai visé au premier alinéa.

2. L’autorité publique compétente met à profit le délai visé au paragraphe 1 pour chercher des solutions aux problèmes posés par les licenciements collectifs envisagés.

[…]

4. Les États membres peuvent ne pas appliquer le présent article aux licenciements collectifs intervenant à la suite d’une cessation des activités de l’établissement qui résulte d’une décision de justice.»

15
L'article 6 de la directive précise:

«Les États membres veillent à ce que les représentants des travailleurs et/ou les travailleurs disposent de procédures administratives et/ou juridictionnelles aux fins de faire respecter les obligations prévues par la présente directive.»

16
L'article 7 de la directive est libellé comme suit:

«Les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions essentielles de droit interne déjà adoptées ou qu'ils adoptent dans le domaine régi par la présente directive.»

La réglementation nationale

17
L’article 53 de la Constitution portugaise prévoit:

«La sécurité de l’emploi est garantie aux travailleurs. Les licenciements sans juste cause ou pour motifs politiques ou idéologiques seront interdits.»

18
La directive a été transposée dans l’ordre juridique portugais par le décret-loi n° 64-A/89, du 27 février 1989, relatif au régime juridique de la cessation du contrat individuel de travail et de la conclusion et expiration du contrat de travail à terme (Diário da República I, série I, n° 48, du 27 février 1989, ci-après la «LCCT»). La loi n° 32/99, du 18 mai 1999 (Diário da República I, série I-A, n° 115, du 18 mai 1999), a modifié le régime des licenciements collectifs, consacré dans le régime juridique de la cessation du contrat individuel et de la conclusion du contrat à terme, approuvé par ledit décret-loi.

19
L’article 3 de la LCCT, intitulé «Formes de cessation du contrat de travail», fait partie du chapitre I de cette loi, lui-même intitulé «Principes généraux». Il dispose:

«1. Sont interdits les licenciements sans juste cause.

2. Le contrat de travail peut cesser par:

a) expiration;

b) révocation par accord des parties;

c) licenciement décidé par l’employeur;

d) résiliation, fondée ou pas, sur initiative de l’employé;

e) résiliation par l’une ou l’autre partie durant la période d’essai;

f) suppression d’emplois pour des raisons objectives d’ordre structurel, technologique ou conjoncturel relatives à l’entreprise».

20
L’article 4 de la LCCT, intitulé «Causes de l’expiration», fait partie du chapitre II de ladite loi, qui est intitulé «L’expiration du contrat de travail». Il prévoit:

«Le contrat de travail expire conformément aux dispositions générales du droit, notamment:

[…]

b) Lorsqu’il y a impossibilité absolue et définitive, survenue après la conclusion du contrat, pour le travailleur d’accomplir sa prestation de travail ou pour l’employeur de le recevoir».

21
L’article 6 de la LCCT relatif au décès de l’employeur individuel ou à la dissolution de l’entité collective qui est l’employeur, figurant également dans le chapitre II de cette loi, dispose:

«1. Le décès de l’employeur individuel entraîne l’expiration du contrat de travail, sauf si les successeurs du défunt poursuivent l’activité pour laquelle le travailleur a été engagé ou si l’entreprise fait l’objet d’une cession, auquel cas s’applique l’article 37 du régime juridique du contrat individuel de travail, approuvé par le décret-loi n° 49408, du 24 novembre 1969.

2. En cas d’expiration du contrat en vertu des dispositions figurant au point précédent, le travailleur a droit à une compensation correspondant à un mois de rémunération par année d’ancienneté ou fraction d’année, payée sur le patrimoine de l’entreprise.

3. La dissolution de l’entité collective qui est l’employeur, en l’absence de cession de l’établissement, entraîne l’expiration des contrats de travail selon les termes prévus aux points précédents.»

22
Le chapitre V de la LCCT vise la cessation des contrats de travail fondée sur la suppression d’emplois pour des raisons objectives d’ordre structurel, technologique ou conjoncturel relatives à l’entreprise. Ce chapitre comprend deux sections, intitulées «Licenciement collectif» pour la section I et «Cessation du contrat de travail, pour suppression d’emplois, non compris dans un licenciement collectif» pour la section II.

23
L’article 16 de la LCCT, intitulé «Notion», qui est le premier article de ladite section I, prévoit:

«On entend par licenciement collectif la cessation de contrats de travail individuels, à l’initiative de l’employeur, affectant simultanément ou successivement, sur une période de trois mois, au moins 2 ou 5 employés, selon qu’il s’agit d’une entreprise de 2 à 50 employés ou de plus de 50 employés, pour autant que cette cessation soit fondée sur la fermeture définitive de l’entreprise, d’un ou plusieurs départements ou sur une compression d’effectifs pour des raisons de nature structurelle, technologique ou conjoncturelle.»

24
En outre, la section I du chapitre V de la LCCT prévoit notamment les communications et consultations à effectuer par l’employeur aux articles 17 et 18, l’intervention de l’autorité publique compétente à l’article 19, les droits des travailleurs à l’article 23 et les conséquences du caractère illicite des licenciements à l’article 24.

25
La section II du chapitre V de la LCCT vise, entre autres, les raisons de suppression d’emplois à l’article 26, les conditions de cessation du contrat de travail à l’article 27, les communications que doit effectuer l’employeur à l’article 28, la procédure à suivre à l’article 29, la cessation du contrat de travail à l’article 30 et les droits des travailleurs à l’article 32.

26
Conformément à l’article 27, paragraphe 1, sous b) et c), de la LCCT, la cessation du contrat de travail est notamment soumise à la condition qu’il soit en pratique impossible de conserver la relation de travail et qu’il n’existe pas de contrats à durée déterminée pour des fonctions correspondant à celles du poste de travail supprimé.

27
Dans le chapitre VIII de la LCCT, intitulé «Cas particuliers de cessation du contrat de travail», l’article 56, relatif aux situations de faillite ou d’insolvabilité de l’employeur, dispose:

«1.     La déclaration judiciaire de faillite ou d’insolvabilité de l’employeur ne met pas un terme aux contrats de travail, l’administrateur de la masse de la faillite devant continuer à satisfaire intégralement aux obligations découlant des contrats précités pour les travailleurs, tant que l’établissement n’est pas définitivement fermé.

2.       Toutefois, avant la fermeture définitive de l’établissement, l’administrateur peut résilier les contrats de travail des employés dont la collaboration n’est pas indispensable au fonctionnement de l’entreprise, conformément au régime établi aux articles 16 à 25.»

28
L’article 172 du Code des procédures spéciales de redressement judiciaire et de faillite portugais, approuvé par le décret-loi n° 132/93, du 23 avril 1993 (Diário da República I, série I-A, n° 95, du 23 avril 1993), et modifié par le décret-loi n° 15/98, du 20 octobre 1998 (Diário da República I, série I-A, n° 242, du 20 octobre 1998), prévoit:

«Les travailleurs de l’entreprise en faillite relèvent, pour le maintien de leur contrat après la déclaration de faillite, du régime général de cessation du contrat de travail, sans préjudice de la cession de contrats liée à la vente d’établissements industriels et commerciaux.»


La procédure précontentieuse

29
Considérant que la LCCT était partiellement incompatible avec les dispositions de la directive, la Commission a engagé la procédure en manquement. Après avoir mis la République portugaise en demeure de présenter ses observations, la Commission a, le 29 décembre 2000, émis un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

30
Considérant que les informations communiquées par les autorités portugaises faisaient apparaître que le manquement indiqué par l’avis motivé subsistait, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.


Sur le recours

31
La Commission considère que la notion de licenciement collectif en droit portugais n’englobe pas tous les cas de licenciements collectifs visés par la directive. En conséquence, les dispositions du droit portugais auraient un champ d’application plus restreint que celui de la directive.

32
La Commission précise que la définition de la notion de «licenciement collectif», énoncée à l’article 16 de la LCCT, n’englobe pas, par exemple, les cas de licenciements effectués par un employeur pour des motifs non inhérents à la personne des travailleurs en cas de déclaration de faillite, de procédures de liquidation analogues à celle en cas de faillite, d’expropriation, d’incendie ou autre cas de force majeure, ainsi qu’en cas de cessation de l’activité d’une entreprise à la suite du décès de l’entrepreneur.

33
Le gouvernement portugais soutient que le recours de la Commission n'est pas fondé, sauf pour la partie relative à la cessation de contrats de travail, dans la phase finale de liquidation des biens de la procédure de faillite, résultant de la fermeture définitive d’établissements qui n’ont pas été vendus en totalité. En effet, les situations mentionnées par la Commission, dans des circonstances déterminées, ne seraient pas couvertes par la notion de licenciement collectif prévue dans la directive et, dans les autres cas, seraient régies par le régime de licenciement collectif établi par la législation portugaise.

La notion de «licenciement collectif» prévue par la directive

Arguments des parties

34
Le gouvernement portugais soutient que la directive s’est dispensée de définir la notion de «licenciement» parce que la plupart des ordres juridiques des États membres adoptent la notion commune d’acte volontaire de l’employeur destiné à faire cesser la relation de travail et communiqué au travailleur.

35
La directive ne prévoirait pas que toute cessation quelconque de contrat de travail pour des motifs non inhérents à la personne des travailleurs soit qualifiée de «licenciement».

36
Par ailleurs, il serait impossible d’appliquer l’ensemble du régime prévu par la directive aux cas d’expiration de contrats de travail résultant de la cessation définitive de l’activité de l’entreprise qui ne dépend pas de la volonté de l’employeur. Ce fait confirmerait que ces situations ne sont pas qualifiées de licenciement collectif. La directive n’aurait pas été conçue pour s’appliquer à ces situations.

37
Selon le gouvernement portugais, un dilemme se situe entre l’application intégrale de la directive ou son exclusion. Étant donné que de nombreuses et importantes obligations prévues par la directive sont inapplicables dans certaines situations de cessation définitive de l’activité de l’entreprise qui sont indépendantes de la volonté de l’employeur, on serait forcé de conclure que la directive, dans son intégralité, ne s’appliquerait pas à ces situations.

38
La Commission reconnaît que la directive ne définit pas la notion de «licenciement». Cependant, selon elle, l’absence d’une telle définition n’autorise pas les États membres à exclure du champ d’application de la directive des situations telles que celles soumises à un régime de l’expiration du contrat de travail dans le droit portugais.

39
Selon la Commission, c’est en claire violation du droit communautaire que le gouvernement portugais, confronté au prétendu «dilemme» du choix entre une «application intégrale de la directive ou son exclusion», opte pour la non-application de la directive.

40
Elle observe que, à propos des cas d’expropriation, d’incendie ou d’autres cas de force majeure, le gouvernement portugais fait preuve d’une mauvaise compréhension du régime de protection institué par la directive, conséquence probable d’une lecture sélective des sections II, «Information et consultation», et III, «Procédure de licenciement collectif », de la directive.

41
À cet égard, la Commission soutient, entre autres, qu’il est tout à fait cohérent que la consultation des représentants des travailleurs porte sur les moyens d’atténuer les conséquences des licenciements par l’examen des mesures sociales d’accompagnement destinées notamment à faciliter l’intégration ou la reconversion des travailleurs licenciés, même s’il n’était pas possible d’éviter la fermeture définitive de l’entreprise, et donc la cessation des contrats de travail.

42
D’après la Commission, le gouvernement portugais avance une interprétation de la procédure de licenciement collectif qui vide de tout effet utile les diverses dispositions de la directive. Ce serait en particulier le cas pour l’obligation prévue à l’article 3 de cette directive, qui impose à l’employeur de notifier par écrit à l’autorité publique compétente tout projet de licenciement collectif. Tant l’employeur dont l’entreprise a été détruite par un incendie que les successeurs d’un entrepreneur décédé seraient en mesure de respecter cette obligation.

Appréciation de la Cour

43
En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive, on entend, aux fins de l’application de celle-ci, par «licenciements collectifs» les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs pour autant que certaines conditions de nature quantitative/temporelle soient réunies.

44
La directive ne définit pas expressément la notion de «licenciement». Toutefois, cette notion doit recevoir une interprétation uniforme aux fins de la directive.

45
En effet, il découle tant des exigences de l’application uniforme du droit communautaire que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit communautaire qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (arrêts du 19 septembre 2000, Linster, C‑287/98, Rec. p. I‑6917, point 43, et du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, Rec. p. I‑2439, point 26).

46
En l’espèce, contrairement à l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive, qui dispose expressément que l’on entend par «représentants des travailleurs» les représentants des travailleurs prévus par la législation ou la pratique des États membres, l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la même directive ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres en ce qui concerne la définition du licenciement.

47
En outre, il découle du titre ainsi que des troisième, quatrième et septième considérants de la directive que l’objectif de celle-ci est de promouvoir le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs.

48
En harmonisant les règles applicables aux licenciements collectifs, le législateur communautaire a entendu, tout à la fois, assurer une protection comparable des droits des travailleurs dans les différents États membres et rapprocher les charges qu’entraînent ces règles de protection pour les entreprises de la Communauté (arrêt du 8 juin 1994, Commission/Royaume-Uni, C-383/92, Rec. p. I-2479, point 16).

49
Dès lors, la notion de «licenciement», visée à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive, ne peut pas être définie par un renvoi aux législations des États membres, mais a une portée communautaire.

50
Ladite notion doit être interprétée en ce sens qu’elle englobe toute cessation du contrat de travail non voulue par le travailleur, et donc sans son consentement. Elle n’exige pas que les causes sous-jacentes correspondent à la volonté de l’employeur.

51
Cette interprétation de la notion de «licenciement» aux fins de la directive résulte de l’objectif poursuivi par celle-ci et du contexte de la disposition en cause.

52
Ainsi, il ressort du deuxième considérant de la directive que celle-ci vise à renforcer la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs. Selon les troisième et septième considérants de la même directive, ce sont notamment des différences subsistant entre les dispositions en vigueur dans les États membres en ce qui concerne les mesures susceptibles d’atténuer les conséquences des licenciements collectifs qui doivent faire l’objet d’un rapprochement des législations.

53
Les objectifs visés par la directive ne seraient que partiellement atteints si la cessation du contrat de travail qui ne dépend pas de la volonté de l’employeur était exclue du régime de la directive.

54
S’agissant du contexte de la disposition en cause, il ressort du neuvième considérant et de l’article 3, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive que celle-ci s’applique en principe également aux licenciements collectifs à la suite d’une cessation des activités de l’établissement qui résulte d’une décision de justice. Or, dans ce cas de figure, la cessation des contrats de travail résulte de circonstances non voulues par l’employeur.

55
Dans ce contexte, il convient d’ajouter que la directive dans sa version initiale, à savoir la directive 75/129, avait prévu à son article 1er, paragraphe 2, sous d), qu’elle ne s’appliquait pas aux travailleurs touchés par la cessation des activités de l’établissement lorsque celle-ci résultait d’une décision de justice. Ledit article prévoyait une dérogation à la règle établie par l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la même directive, qui énonçait, dans des termes identiques à ceux de la même disposition de la directive 98/59, que l’on entend, aux fins de l’application de cette directive, par «licenciements collectifs» les licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs. Une telle dérogation n’aurait pas été nécessaire si la notion de «licenciement» se traduisait comme un «acte volontaire de l’employeur».

56
Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé à juste titre, aux points 46 à 47 de ses conclusions, les licenciements se distinguent des cessations du contrat de travail qui sont, dans les conditions énoncées à l’article 1er, paragraphe 1, dernier alinéa, de la directive, assimilées aux licenciements par le défaut de consentement du travailleur.

57
On ne saurait opposer à l’interprétation retenue au point 50 du présent arrêt que l’application intégrale de la directive n’est, par exemple, pas possible dans certains cas où la cessation définitive de l’activité de l’entreprise ne dépend pas de la volonté de l’employeur. En tout état de cause, on ne saurait exclure pour ces cas l’application de la directive dans son ensemble.

58
Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive, les consultations des représentants des travailleurs n’ont pas seulement pour but de réduire ou d’éviter des licenciements collectifs, mais portent, entre autres, sur les possibilités d’atténuer les conséquences de tels licenciements par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés. Il serait contraire à l’esprit de la directive de réduire le champ d’application de cette disposition par une interprétation restrictive de la notion de «licenciement».

59
Des considérations du même type valent en ce qui concerne les obligations de notification à l’autorité publique compétente, prévues à l’article 3 de la directive. Ces obligations, le cas échéant modifiées conformément à la faculté conférée aux États membres par le paragraphe 1, deuxième alinéa, dudit article, pourraient bien être remplies par un employeur dans des cas où la cessation des contrats de travail est imposée par des circonstances étrangères à sa volonté. L’interprétation contraire priverait les travailleurs des protections prévues à cette disposition ainsi qu’à l’article 4 de la directive.

60
Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’une cessation du contrat de travail n’échappe pas à l’application de la directive du seul fait qu’elle est dépendante de circonstances extérieures à la volonté de l’employeur.

L’évaluation juridique de la réglementation portugaise

61
Toutes les situations visées au point 32 du présent arrêt pour lesquelles le gouvernement portugais a admis qu’elles sont qualifiées dans l’ordre juridique portugais d’«expiration du contrat», relèvent de la directive, parce qu’elles entrent dans la définition du «licenciement» au sens de celle-ci.

62
Peu importe que ces situations soient, en droit portugais, qualifiées non de licenciements, mais d’expirations de plein droit du contrat de travail. En effet, il s’agit de cessations du contrat de travail non voulues par le travailleur, donc de licenciements au sens de la directive.

63
Par conséquent, la République portugaise n’a pas correctement transposé l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive.

64
Le grief tiré d’un manquement aux obligations découlant de l’article 6 de la directive est également fondé. Rien n’indique que la République portugaise, même si elle a retenu une interprétation de la notion de «licenciement» plus restrictive que celle figurant dans cette directive, a toutefois veillé à ce que les travailleurs dans tous les cas de licenciement collectif au sens de ladite directive disposent de procédures administratives et/ou juridictionnelles aux fins de faire respecter les obligations prévues par celle-ci.

65
Pour autant que le recours vise l’article 7 de la directive, force est de constater que la Commission n’a pas exposé en quoi la République portugaise a violé cette disposition.

66
Par conséquent, il y a lieu, d’une part, de constater que, en limitant la notion de licenciements collectifs à des licenciements pour des raisons de nature structurelle, technologique ou conjoncturelle et en n’élargissant pas cette notion à des licenciements pour toutes les raisons non inhérentes à la personne des travailleurs, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 1er et 6 de la directive et, d’autre part, de rejeter le recours pour le surplus.


Sur les dépens

67
Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République portugaise et cette dernière ayant succombé en l’essentiel de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)
En limitant la notion de licenciements collectifs à des licenciements pour des raisons de nature structurelle, technologique ou conjoncturelle et en n’élargissant pas cette notion à des licenciements pour toutes les raisons non inhérentes à la personne des travailleurs, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 1er et 6 de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs.

2)
Le recours est rejeté pour le surplus.

3)
La République portugaise est condamnée aux dépens.

Signatures.


1
Langue de procédure: le portugais.

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