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Document 62002CC0225

Conclusions de l'avocat général Kokott présentées le 28 octobre 2004.
Rosa García Blanco contre Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS).
Demande de décision préjudicielle: Juzgado de lo Social nº 3 de Orense - Espagne.
Sécurité sociale des travailleurs migrants - Vieillesse - Chômage - Périodes d'assurance minimales - Périodes d'assurance prises en compte pour le calcul du montant des prestations mais non pas pour l'ouverture du droit à ces prestations - Périodes de chômage - Totalisation.
Affaire C-225/02.

Recueil de jurisprudence 2005 I-00523

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2004:669

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 28 octobre 2004 (1)

Affaire C-225/02

Rosa García Blanco

contre

Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS)

contre

Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS)

[demande de décision préjudicielle présentée par le Juzgado de lo Social n° 3 d’Orense (Espagne)]

«Pension de retraite légale – Période de carence – Prise en compte des périodes d’assurance accomplies à l’étranger et sur le territoire national – Périodes d’assurance entraînant uniquement une augmentation des droits, mais ne pouvant fonder ceux-ci – Prise en compte des périodes de perception d’une allocation de chômage spéciale destinée aux chômeurs âgés de plus de 52 ans – Règlement de la demande préjudicielle»






I –    Introduction

1.     La demanderesse au principal, Mme Rosa García Blanco, a perçu jadis en Espagne une forme particulière d’allocation de chômage. Durant toute cette période, l’organisme de gestion de l’assurance chômage a versé, en son nom, les cotisations au régime légal de l’assurance retraite. Lorsqu’elle a atteint l’âge de 65 ans, Mme García Blanco a sollicité le bénéfice de la pension de retraite légale. Le point en litige dans la procédure au principal est celui de savoir si les cotisations au régime de l’assurance retraite versées durant la période pendant laquelle l’assurée percevait l’allocation spéciale de chômage doivent être prises en considération pour le calcul de la période de carence nécessaire pour obtenir le bénéfice de la pension de retraite légale et, partant, si leur éventuelle non-prise en compte comporte une discrimination des travailleurs migrants fondée sur leur nationalité.

2.     C’est dans ce contexte que le Juzgado de lo Social n° 3 d’Orense (Espagne) (ci-après également la «juridiction de renvoi») a adressé à la Cour deux questions portant sur l’interprétation du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (2). Le contenu de ces questions est identique au contenu de celles que la même juridiction de renvoi a adressées à la Cour dans l’affaire Salgado Alonso (C-306/03) (3).

3.     Mme García Blanco ayant finalement obtenu le bénéfice de la pension de retraite légale après l’introduction de la demande préjudicielle, la question se pose à présent de savoir si cette demande n’est pas entre-temps devenue sans objet.

II – Le cadre juridique

A –    Le droit communautaire

4.     Le cadre juridique communautaire de la présente espèce est donné par le règlement n° 1408/71, dont l’article 1er, sous r), définit la notion de «périodes d’assurance» dans les termes suivants:

«les périodes de cotisation, d’emploi ou d’activité non salariée telles qu’elles sont définies ou admises comme périodes d’assurance par la législation sous laquelle elles ont été accomplies ou sont considérées comme accomplies, ainsi que toutes périodes assimilées dans la mesure où elles sont reconnues par cette législation comme équivalant aux périodes d’assurance».

5.     L’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 dispose que:

«Les personnes qui résident sur le territoire de l’un des États membres et auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci, sous réserve de dispositions particulières contenues dans le présent règlement.»

6.     L’article 45, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 dispose ce qui suit à propos de la totalisation des périodes d’assurance et de résidence:

«Si la législation d’un État membre subordonne l’acquisition, le maintien ou le recouvrement du droit aux prestations en vertu d’un régime qui n’est pas un régime spécial au sens des paragraphes 2 ou 3, à l’accomplissement de périodes d’assurance ou de résidence, l’institution compétente de cet État membre tient compte, dans la mesure nécessaire, des périodes d’assurance ou de résidence accomplies sous la législation de tout autre État membre, que ce soit dans le cadre d’un régime général ou spécial, applicable à des travailleurs salariés ou non salariés. Dans ce but, elle tient compte de ces périodes comme s’il s’agissait de périodes accomplies sous la législation qu’elle applique.»

7.     L’article 46, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 dispose ce qui suit:

«Lorsque les conditions requises par la législation d’un État membre pour avoir droit aux prestations ne sont remplies qu’après l’application de l’article 45 et/ou de l’article 40, paragraphe 3, les règles suivantes sont applicables:

a)      l’institution compétente calcule le montant théorique de la prestation à laquelle l’intéressé pourrait prétendre si toutes les périodes d’assurance et/ou de résidence accomplies sous les législations des États membres auxquelles a été soumis le travailleur salarié ou non salarié avaient été accomplies dans l’État membre en cause et sous la législation qu’elle applique à la date de la liquidation de la prestation. Si, selon cette législation, le montant de la prestation est indépendant de la durée des périodes accomplies, ce montant est considéré comme le montant théorique visé au présent point a);

b)      l’institution compétente établit ensuite le montant effectif de la prestation sur la base du montant théorique visé au point a), au prorata de la durée des périodes d’assurance ou de résidence accomplies avant la réalisation du risque sous la législation qu’elle applique, par rapport à la durée totale des périodes d’assurance et de résidence accomplies avant la réalisation du risque sous les législations de tous les États membres en question.»

8.     L’article 48 du règlement n° 1408/71 dispose ce qui suit à propos des périodes d’assurance ou de résidence inférieures à une année:

«1.      Nonobstant l’article 46 paragraphe 2, l’institution d’un État membre n’est pas tenue d’accorder des prestations au titre de périodes accomplies sous la législation qu’elle applique et qui sont à prendre en considération au moment de la réalisation du risque si:

–      la durée totale desdites périodes n’atteint pas une année

et

–      compte tenu de ces périodes, aucun droit aux prestations n’est acquis en vertu des dispositions de cette législation.

2.      L’institution compétente de chacun des autres États membres concernés prend en compte les périodes visées au paragraphe 1, pour l’application de l’article 46 paragraphe 2, à l’exception du point b).

3.      Au cas où l’application du paragraphe 1 aurait pour effet de décharger de leurs obligations toutes les institutions des États concernés, les prestations sont accordées exclusivement au titre de la législation du dernier de ces États dont les conditions se trouvent remplies comme si toutes les périodes d’assurance et de résidence accomplies et prises en compte conformément à l’article 45 paragraphes 1 à 4 avaient été accomplies sous la législation de cet État.»

B –    Le droit national

9.     L’article 161, paragraphe 1, sous b), de la nouvelle version de la loi générale sur la sécurité sociale (Texto Refundido de la Ley General de la Seguridad Social (4); ci-après le «TRLGSS») soumet la naissance du droit à une pension de retraite à la condition que l’assuré qui en sollicite le bénéfice justifie de l’accomplissement de deux périodes de carence, à savoir:

–       une période générale d’au moins 15 années de cotisation

et

–       une période spécifique de 2 années de cotisation au cours des 15 dernières années précédant immédiatement la date du fait générateur.

10.   L’article 215, paragraphe 1, point 3, du TRLGSS prévoit, au bénéfice des chômeurs qui ont atteint l’âge de 52 ans, mais pas encore l’âge légal de la retraite, une forme particulière d’allocation de chômage («subsidio por desempleo», ci-après l’«allocation spéciale de chômage»). Pour pouvoir bénéficier de celle-ci, l’assuré doit pouvoir justifier d’au moins 6 années de cotisation au régime légal de l’assurance chômage et remplir en outre toutes les conditions lui permettant de bénéficier d’une pension de retraite légale, à l’exception de la condition d’âge.

11.   Conformément à l’article 218, paragraphe 2, du TRLGSS, l’organisme de gestion de l’assurance légale contre le chômage (Organismo Gestor del Seguro de Desempleo) doit, en plus de l’allocation spéciale de chômage qu’il verse à l’assuré pour chaque mois de calendrier durant lequel il a droit à celle-ci, verser, au nom de l’assuré, les cotisations au régime de l’assurance retraite légale.

12.   Les effets de ces cotisations versées au nom des bénéficiaires de l’allocation spéciale de chômage sont néanmoins limités de la manière suivante par la disposition additionnelle 28 du TRLGSS (5):

«Conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 218 [du TRLGSS], les cotisations versées par l’organisme de gestion au titre de l’assurance retraite seront prises en compte pour le calcul du montant de base de la pension de retraite et du pourcentage applicable à celui-ci. La validité et les effets juridiques de ces cotisations ne pourront en aucun cas être invoqués pour justifier de la période minimum de cotisation requise par l’article 161, paragraphe 1, sous b), [du TRLGSS], période minimum dont, conformément à l’article 215, paragraphe 1, point 3, l’assuré doit justifier lorsqu’il sollicite le bénéfice de l’allocation [de chômage] prévue au bénéfice des [chômeurs] âgés de plus de 52 ans.»

13.   Dans la pratique administrative, néanmoins, les cotisations versées par l’Instituto Nacional de Empleo (ci-après l’«INEM» au régime légal de l’assurance retraite au nom des bénéficiaires de l’allocation spéciale de chômage sont prises en considération en application de l’article 48, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, comme le veut une circulaire commune de l’Instituto Nacional de la Seguridad Social (ci-après l’«INSS») et de l’INEM datant de l’année 1999 (6).

III – Les faits et la procédure

Les antécédents

14.   Mme García Blanco est née le 9 octobre 1935 et décédée le 14 mai 2002 (7). Entre 1966 et 1984, elle a travaillé en Allemagne, où elle a versé des cotisations au régime légal d’assurance retraite pendant 209 mois (soit pendant plus de 17 années).

15.   Du 1er juin 1984 au 2 décembre 1984, Mme García Blanco a perçu en Espagne, sur la base d’un accord bilatéral germano-espagnol, des prestations contributives au titre de l’assurance légale contre le chômage, prestations qui lui étaient versées par l’INEM. Pendant toute cette période, l’INEM a également versé pour elle les cotisations à toutes les branches de l’assurance sociale légale espagnole (et notamment au titre de l’assurance retraite légale), ce qui représente une période d’assurance de 185 jours (à savoir 6 mois environ).

16.   À partir de 1989, Mme García Blanco a perçu l’allocation spéciale de chômage prévue en faveur des chômeurs âgés de plus de 52 ans. À ce titre, l’INEM a versé pour elle des cotisations au régime de l’assurance retraite légal espagnol conformément à l’article 218, paragraphe 2, du TRLGSS, et cela pendant une période de 4 080 jours (à savoir plus de 11 années).

17.   Il ressort du dossier qu’à la suite du décès de sa mère, avec laquelle elle vivait, Mme García Blanco a perçu une pension d’appartenance familiale à partir du 1er décembre 1989.

Demande de pension de retraite légale

18.   Lorsqu’elle a atteint l’âge de 65 ans en l’an 2000, Mme García Blanco a sollicité une pension de retraite légale auprès de la sécurité sociale espagnole. Par décision du 27 avril 2001, l’institution espagnole compétente, l’INSS, a rejeté cette demande au motif qu’elle n’avait pas accompli la période minimum de cotisation requise pour le bénéfice de cette pension. En effet, conformément à la disposition additionnelle 28 du TRLGSS, la période de 4 080 jours au cours de laquelle l’INEM a versé des cotisations au nom de Mme García Blanco en sa qualité de bénéficiaire de l’allocation spéciale de chômage ne peut pas être prise en considération. Quant à la période restante de 185 jours durant laquelle des cotisations ont été versées en son nom pendant tout le temps où elle a perçu en Espagne des allocations contributives au titre de l’assurance chômage légale, elle ne peut, conformément à l’article 48, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, pas davantage être prise en considération parce que sa durée est inférieure à un an.

19.   Mécontente de cette décision de rejet, Mme García Blanco a engagé devant la juridiction de renvoi un recours dirigé contre l’INSS et contre la Tesorería General de la Seguridad Social (ci-après la «TGSS»). À l’appui de son recours, elle a fait valoir en substance qu’il fallait prendre en considération, à son profit, non seulement la période initiale de 185 jours de cotisation qu’elle avait accomplie en Espagne, mais également toute la période durant laquelle l’INEM avait versé en son nom les cotisations au régime légal d’assurance retraite pendant tout le temps où elle a bénéficié de l’allocation spéciale de chômage, de sorte qu’elle peut désormais se prévaloir en Espagne d’un total de 4 265 jours de cotisations (ce qui représente plus de 11 années et 8 mois).

La demande préjudicielle

20.   Par ordonnance du 30 mars 2002, le Juzgado de lo Social n° 3 d’Orense a sursis à statuer et saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 12 CE et les articles 39 CE à 42 CE (anciennement articles 6 et 48 à 52 du traité CE) ainsi que l’article 45 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, font-ils obstacle à une disposition de droit national conformément à laquelle les cotisations que l’organisme de gestion de l’assurance chômage a versées au titre de l’assurance retraite au nom d’un travailleur pour la période durant laquelle celui-ci percevait certaines allocations de chômage ne peuvent pas être prises en compte pour le calcul des différentes périodes de carence instituées par la législation nationale et l’ouverture du droit à la prestation de vieillesse lorsque, du fait de la situation de chômage prolongé que ces allocations ont pour objet de compenser, il est matériellement impossible à ce travailleur de justifier d’autres cotisations au régime de l’assurance vieillesse que celles qui ont été invalidées par la loi, de sorte que les seuls travailleurs affectés par cette réglementation nationale seront ceux qui ont fait usage du droit à la libre circulation, qui ne pourront pas obtenir le bénéfice de la pension nationale de retraite bien que, conformément à l’article 45 du règlement précité, ces périodes de carence devraient être considérées comme ayant été accomplies?

2)      L’article 12 CE et les articles 39 CE à 42 CE (anciennement article 6 et articles 48 à 52 du traité CE) ainsi que l’article 48, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, font-ils obstacle à des dispositions de droit interne conformément auxquelles les cotisations que l’organisme de gestion de l’assurance chômage a versées au titre de l’assurance retraite au nom d’un travailleur pour la période durant laquelle celui-ci percevait certaines allocations de chômage ne peuvent pas être prises en compte de manière à pouvoir considérer que ‘la durée totale des périodes d’assurance ou de résidence accomplies sous la législation de cet État membre atteint une année’ lorsqu’en raison de la situation de chômage prolongé que ces allocations ont pour objet de compenser, il est matériellement impossible à ce travailleur de justifier d’autres cotisations au régime de l’assurance retraite que celles qui ont été versées et payées au cours de la période de chômage, de sorte que les seuls travailleurs affectés par cette réglementation nationale seront ceux qui ont fait usage du droit à la libre circulation, qui ne pourront pas obtenir le bénéfice de la pension nationale de retraite bien que, conformément à l’article 48, paragraphe 1, du règlement précité, l’organisme de gestion national ne pourra être libéré de l’obligation d’octroyer des prestations nationales?»

La procédure depuis l’introduction de la demande préjudicielle

21.   Par lettre du 8 avril 2003, l’INSS a avisé la Cour que, par décision du 3 avril 2003, la pension de retraite légale qu’elle réclamait avait été accordée à Mme García Blanco, décédée entre-temps. Cette décision invitait par ailleurs Mme García Blanco à choisir entre cette pension de retraite et la pension d’appartenance familiale qui lui avait été accordée auparavant (8), parce que ces deux avantages n’étaient pas cumulables, c’est-à-dire qu’ils ne pouvaient pas être versés simultanément. Sa fille, Mme Dolores García Blanco, subrogée en cette qualité dans les droits de l’assurée, a sans délai exercé cette option en faveur de la pension d’appartenance familiale.

22.   C’est dans ce contexte que, par lettre du 10 avril 2003, le greffier de la Cour a invité la juridiction de renvoi à lui préciser si elle maintenait sa demande préjudicielle. Par lettre du 11 avril 2003, le juge de renvoi a répondu qu’il confirmait sa demande, notamment parce que la réponse de la Cour pouvait lui être utile dans d’autres procédures pendantes devant lui.

23.   Par deux lettres datées respectivement du 7 juillet et du 18 septembre 2003, le greffe de la Cour a de nouveau invité la juridiction de renvoi à lui préciser si le litige au principal était toujours pendant devant elle. Il lui a précisé à cette occasion que la Cour ne pouvait être saisie d’une demande préjudicielle que dans le cadre d’une procédure en cours devant une juridiction nationale. Elle lui a rappelé qu’il lui était loisible d’adresser les mêmes questions préjudicielles à la Cour dans le cadre d’un autre litige pendant. Dans sa réponse du 1er octobre 2003, le juge de renvoi a néanmoins confirmé que le litige au principal n’était pas clôturé, qu’en particulier la demanderesse ne s’était pas désistée de son action et que les parties défenderesses n’avaient pas formellement rapporté leur décision initiale de refus de la pension, décision contre laquelle l’action principale avait été engagée.

24.   Ont présenté des observations écrites et orales devant la Cour Mme García Blanco et la Commission ainsi que l’INSS et la TGSS, qui l’ont fait en commun. Le gouvernement allemand a présenté des observations écrites et le gouvernement espagnol a comparu à l’audience pour y être entendu en ses explications.

IV – Appréciation

25.   Le déroulement de la procédure permet de douter que la Cour puisse répondre aux questions préjudicielles qui lui ont été posées.

26.   Il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (9).

27.   Toutefois, la Cour a également indiqué que, dans des hypothèses exceptionnelles, il lui appartient d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (10). En effet, l’esprit de collaboration qui doit présider au fonctionnement du renvoi préjudiciel implique que, de son côté, le juge national ait égard à la fonction confiée à la Cour, qui est de contribuer à l’administration de la justice dans les États membres et non de formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques (11).

A –    Recevabilité initiale de la demande préjudicielle

28.   Au départ, la demande préjudicielle s’explique en particulier par le fait que, lorsqu’elle a introduit sa demande de pension, Mme García Blanco n’avait manifestement accompli qu’une seule des deux périodes de carence prévues par l’article 161, paragraphe 1, sous b), du TRLGSS: si les périodes d’assurance d’un total de plus de 17 ans qu’elle avait accomplies en Allemagne et qui doivent être prises en considération conformément à l’article 45, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 suffisent à constituer la période de carence générale de 15 ans, il n’en demeure pas moins que, suivant les informations qui ont été fournies, elle n’avait cependant pas accompli la période spécifique de carence de deux années de cotisations au cours des 15 dernières années précédant immédiatement la date du fait générateur. Pour pouvoir justifier de cette période de carence spécifique, Mme García Blanco aurait donc dû faire valoir les cotisations au régime légal de l’assurance retraite que l’INEM avait versées en son nom pendant tout le temps où elle percevait l’allocation spéciale de chômage. La disposition additionnelle 28 du TRLGSS, conformément à laquelle ces cotisations ne peuvent être prises en compte que pour majorer les droits, mais non pour leur donner naissance, s’y opposait néanmoins.

29.   Lorsque les questions préjudicielles ont été adressées à la Cour, il était donc encore nécessaire, pour régler le litige au principal, de trancher la question de savoir si les articles 45 et 48 du règlement n° 1408/71 ainsi que les articles 39 CE à 42 CE font obstacle à une disposition nationale telle que la disposition additionnelle 28 du TRLGSS. À ce moment-là, la demande préjudicielle était donc parfaitement recevable.

B –    Règlement de la demande préjudicielle

30.   Il est apparu au cours de la procédure écrite et de la procédure orale que les deux modifications suivantes étaient intervenues entre-temps dans la situation de fait en cause au principal: premièrement, la pension de retraite légale sollicitée par Mme García Blanco lui a été accordée et, deuxièmement, sa fille, subrogée dans ses droits après son décès, a renoncé à cette pension légale – dont le bénéfice avait désormais été reconnu – et elle a décidé de continuer à percevoir, au lieu de celle-ci, une autre rente, dite «d’appartenance familiale», dont le montant est plus élevé.

31.   Chacune de ces deux modifications dans la situation de fait ont pour conséquence que les questions préjudicielles ont perdu leur pertinence aux fins de la décision à intervenir au principal. D’une part, en effet, la reconnaissance du droit à la pension de retraite légale advenue entre-temps démontre qu’il n’existe plus de litige entre les parties à propos de l’accomplissement des périodes de carence. D’autre part, en exerçant son droit d’option en faveur de la rente d’appartenance familiale, la demanderesse a manifesté qu’elle n’entendait plus percevoir cette pension de retraite légale qu’elle avait demandée au départ.

32.   Il semble également que les parties au principal n’ont pas davantage de désaccord concernant d’éventuels arriérés de paiement. C’est ainsi que les défenderesses ont confirmé à l’audience devant la Cour, en réponse à une observation du représentant de la demanderesse, que la décision d’octroi de la pension de retraite légale à Mme García Blanco s’appliquait rétroactivement à la date où celle-ci avait atteint l’âge de 65 ans et qu’il n’existait dès lors aucun litige concernant d’éventuels arriérés.

33.   Quand bien même le litige initial serait encore (formellement) pendant devant la juridiction de renvoi, comme celle-ci l’a déclaré avec insistance à plusieurs reprises, et en dépit du fait qu’elle n’a pas retiré sa demande préjudicielle, les problèmes que soulevaient ses deux questions d’interprétation du droit communautaire n’ont en tout cas plus désormais qu’une nature hypothétique. L’objet de la demande de décision préjudicielle a donc été épuisé.

34.   Il est toujours loisible à la juridiction de renvoi de saisir la Cour d’une nouvelle demande préjudicielle le jour où les mêmes questions de droit se poseraient à elle dans d’autres procédures dont elle serait saisie. Lui fournir une réponse aujourd’hui ne saurait cependant l’aider à statuer sur le litige au principal et ne pourrait lui servir que d’avis autorisé sur un point de droit communautaire, avis qu’il n’appartient pas à la Cour de lui fournir dans le cadre de la procédure instituée par l’article 234 CE.

C –    Effets sur la procédure préjudicielle

35.   La Cour se trouve donc ainsi confrontée au cas, assez rare, d’une demande préjudicielle qui, si elle était recevable à l’origine, est néanmoins devenue sans objet par l’effet de modifications intervenues entre-temps dans la situation de fait.

36.   La première possibilité de solution dont la Cour disposerait en l’espèce serait d’ordonner la radiation d’office de l’affaire (12). Une telle radiation est prévue par les articles 77 et 78 du règlement de procédure de la Cour (13) pour les cas de règlement extrajudiciaire et de désistement. Si la Cour entendait faire usage de ces dispositions en l’espèce, ou du moins s’autorisait de l’idée qui les sous-tend, elle devrait cependant, conformément à l’article 103, paragraphe 1, du règlement de procédure, tenir compte du caractère particulier de la procédure préjudicielle, qui est une procédure de coopération entre la Cour et les juridictions des États membres. C’est pourquoi, un désistement comparable à celui qui est visé par les articles 77 et 78 du règlement de procédure devrait émaner de la juridiction de renvoi elle-même en sa qualité d’auteur de la demande préjudicielle. Dans le cas présent, néanmoins, la juridiction nationale n’a jamais déclaré à la Cour qu’elle retirait sa demande ou que le litige pendant devant elle avait été réglé. Au contraire, à chaque fois que la question lui a été posée, elle a réitéré qu’elle confirmait sa demande. Il en résulte que, contrairement aux hypothèses visées par les articles 77 et 78 du règlement de procédure, une radiation de l’affaire ne serait en aucune manière une simple conséquence procédurale d’une déclaration faite au préalable à la Cour.

37.   On pourrait, en second lieu, envisager que la Cour juge la demande préjudicielle irrecevable et se déclare donc incompétente. Une telle solution ne rendrait cependant pas suffisamment justice à l’évolution des faits qui s’est produite après la saisine de la Cour: les questions préjudicielles n’étaient pas irrecevables d’emblée, mais, au contraire, elles ne sont devenues sans objet qu’après l’introduction de la demande. La Cour devrait le souligner dans la décision qu’elle est appelée à rendre.

38.   Dans ces conditions, une troisième solution me paraît devoir mériter la préférence. La Cour devrait déclarer qu’il n’est plus nécessaire de répondre aux questions préjudicielles dont elle a été saisie. Elle a d’ailleurs déjà procédé de la sorte dans l’affaire Djabali (14), laquelle présente d’évidents points communs avec les faits qui sont à l’origine de la procédure au principal en l’espèce. Dans cette affaire-là également, l’institution compétente avait tout d’abord refusé une allocation sociale à la requérante et la lui avait ensuite accordée après que sa décision eut fait l’objet d’un recours dans le cadre duquel la juridiction nationale saisie avait alors introduit une demande préjudicielle devant la Cour.

39.   En déclarant qu’il n’est plus nécessaire de répondre aux questions préjudicielles, la Cour laisse entendre que celles-ci n’étaient pas irrecevables au départ, mais qu’elle est devenue incompétente en raison de modifications intervenues dans la situation de fait l’empêchant désormais d’y répondre.

V –    Conclusion

40.   Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit sur les questions préjudicielles qui lui ont été adressées par le Juzgado de lo Social n°3 d’Orense:

«Il n’est plus nécessaire de répondre à la demande préjudicielle.»


1 – Langue originale: l'allemand.


2  – JO L 149, p. 2. Les articles 90 et 91 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO L 166, p. 1; rectificatif au JO L 200, p. 1), prévoient l’abrogation et le remplacement du règlement n° 1408/71. Pour des raisons chronologiques, le règlement n° 1408/71 demeure néanmoins applicable à la présente espèce; la version pertinente de l’article 1er, sous r), est celle qui résulte du règlement (CE) n° 1606/98 du Conseil, du 29 juin 1998 (JO L 209, p. 1). Toutes les autres dispositions citées dans les présentes conclusions figurent dans la version modifiée et actualisée du règlement n° 1408/71 résultant du règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1).


3  – Voir, à ce sujet, les conclusions présentées à la même date dans cette affaire C‑306/03 (non encore publiées au Recueil).


4  – Dans la version du Real Decreto Legislativo n° 1/1994 du 20 juin 2000 [Boletin Oficial del Estado (BOE) n° 154, du 29 juin 2004], modifié par la loi n° 50/1998, du 30 décembre 1998 (BOE du 30 décembre 1998; entrée en vigueur le 1er janvier 1999).


5  – Ajoutée par la disposition additionnelle 21 de la loi n° 50/1998.


6  – Circulaire n° 3/99, du 16 avril 1999 (Circular conjunta sobre modificación de los criterios de reconocimiento del subsidio por desempleo estableido en el articulo 215.1.3 del TRLGSS para mayores de 52 años, que afectan a trabajadores emigrantes retornados de la Unión Europea/Espacio Económico Europeo); conformément à la troisième instruction de service inscrite dans cette circulaire, «les cotisations versées par l’INEM au régime de l’assurance retraite au cours de la période durant laquelle l’assuré perçoit l’allocation de chômage prévue pour les chômeurs âgés de plus de 52 ans […] doivent être prises en considération aux fins de l’application de l’article 48, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1408/71 lorsque l’intéressé demande la pension contributive espagnole à laquelle il a droit».


7  – Comme l’a indiqué son représentant au cours de l’audience.


8  – Voir, à ce sujet, le point 17 des présentes conclusions.


9  – Voir, notamment, arrêts du 15 décembre 1995, Bosman (C415-93, Rec. p. I‑4921, point 59); du 13 mars 2001, PreussenElektra (C-379/98, Rec. p. I-2099, point 38); du 10 décembre 2002, Der Weduwe (C-153/00, Rec. p. I-11319, point 31); du 4 décembre 2003 EVN et Wienstrom (C-448/01, non encore publié au Recueil, point 74), et du 25 mars 2004, Ribaldi (C-480/00 à C-482/00, C-484/00, C-489/00 à C‑491/00 et C-497/00 à C-499/00, non encore publié au Recueil, point 72).


10  – Arrêts PreussenElektra (point 39) et EVN et Wienstrom (point 75), tous deux précités à la note 9.


11  – Arrêt Bosman (point 60), Der Weduwe (point 32) et EVN et Wienstrom (point 75), tous les trois cités à la note 9.


12  – Solution proposée par l’avocat général Jacobs au point 23 des conclusions qu’il a présentées le 15 mai 1997 dans l’affaire Djabali (arrêt du 12 mars 1998, C‑314/96, Rec. p. I-1149, I-1151).


13  – Règlement de procédure de la Cour de justice des Communautés européennes du 19 juin 1991 (JO L 176, p. 7; rectificatif au JO 1992, L 383; modifié pour la dernière fois par la décision du 19 avril 2004, JO L 132, p. 2).


14  – Affaire déjà citée à la note 12.

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