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Document 62002CC0019

    Conclusions de l'avocat général Kokott présentées le 1 avril 2004.
    Viktor Hlozek contre Roche Austria Gesellschaft mbH.
    Demande de décision préjudicielle: Oberster Gerichtshof - Autriche.
    Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Rémunération - Notion - Pension de transition ('Überbrückungsgeld') prévue par un accord d'entreprise - Plan social élaboré à l'occasion d'une opération de restructuration de l'entreprise - Prestation octroyée aux travailleurs ayant atteint un certain âge au moment de leur licenciement - Octroi de la prestation à partir d'un âge différent selon le sexe des travailleurs licenciés - Prise en compte de l'âge légal de la retraite fixé par le droit national, différent selon les sexes.
    Affaire C-19/02.

    Recueil de jurisprudence 2004 I-11491

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2004:204

    Conclusions

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
    MME JULIANE KOKOTT
    présentées le 1er avril 2004(1)



    Affaire C-19/02



    Viktor Hlozek
    contre
    Roche Austria GmbH


    [demande de décision préjudicielle formée par l'Oberster Gerichtshof (Autriche)]

    «Égalité des rémunérations entre hommes et femmes – Pension de transition ('Überbrückungsgeld') – Plan social – Limites d'âge minimal différentes pour les hommes et les femmes – Risque de chômage de longue durée lié à l'âge»






    I –   Introduction

    1.        La question qui se pose en substance dans la présente affaire est de savoir si une pension de transition («Überbrückungsgeld»), accordée au titre d’un plan social aux travailleurs pour atténuer les conséquences d’une fermeture d’entreprise, peut être versée en fixant des limites d’âge différentes entre les hommes et les femmes.

    2.        Dans sa demande de décision préjudicielle, l’Oberster Gerichtshof (Autriche) (ci-après le «juge de renvoi») pose sur ce point plusieurs questions en interprétation de l’article 141 CE ainsi que des directives 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins  (2) , 86/378/CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale  (3) , et la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail  (4) .

    II –  Cadre juridique

    A –   Droit communautaire

    3.        Les textes communautaires qui intéressent la présente affaire sont l’article 141 CE, l’article 1er de la directive 75/117, la directive 86/378 ainsi que la directive 76/207.

    4.        L’article 141 CE se lit comme suit en ses paragraphes 1 et 2:

    «Article 141

    1. Chaque État membre assure l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur.

    2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimal, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier.

    L’égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique:

    a)
    que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d’une même unité de mesure;

    b)
    que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail.»

    5.        L’article 1er de la directive 75/117 se lit comme suit:

    «Le principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, qui figure à l’article 119 du traité et qui est ci-après dénommé ‘principe de l’égalité des rémunérations’, implique, pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale, l’élimination, dans l’ensemble des éléments et conditions de rémunération, de toute discrimination fondée sur le sexe.

    En particulier, lorsqu’un système de classification professionnelle est utilisé pour la détermination des rémunérations, ce système doit être basé sur des critères communs aux travailleurs masculins et féminins et établi de manière à exclure les discriminations fondées sur le sexe.»

    6.        La directive 86/378  (5) comporte en particulier les dispositions suivantes:

    «Article 2

    1. Sont considérés comme régimes professionnels de sécurité sociale les régimes non régis par la directive 79/7/CEE qui ont pour objet de fournir aux travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d’une entreprise ou d’un groupement d’entreprises, d’une branche économique ou d’un secteur professionnel ou interprofessionnel, des prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou à s’y substituer, que l’affiliation à ces régimes soit obligatoire ou facultative.

    […]

    3. Les dispositions de la présente directive ne s’opposent pas à ce qu’un employeur accorde à des personnes qui ont atteint l’âge de la retraite pour l’octroi d’une pension en vertu d’un régime professionnel, mais qui n’ont pas encore atteint l’âge de la retraite pour l’octroi d’une pension de retraite légale, un complément de pension visant à égaliser ou à rapprocher le montant des prestations globales par rapport aux personnes de l’autre sexe dans la même situation qui ont déjà atteint l’âge de la retraite légale, jusqu’à ce que les bénéficiaires du complément atteignent l’âge de la retraite légale.

    […]

    Article 4

    La présente directive s’applique:

    a)
    aux régimes professionnels qui assurent une protection contre les risques suivants:

    […]

    vieillesse, y compris dans le cas de retraites anticipées,

    […]

    chômage;

    b)
    aux régimes professionnels qui prévoient d’autres prestations sociales, en nature ou en espèces, et notamment des prestations de survivants et des prestations familiales, si ces prestations sont destinées à des travailleurs salariés et constituent dès lors des avantages payés par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier.

    Article 5

    1.       Dans les conditions fixées dans les dispositions suivantes, le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement, notamment par référence à l’état matrimonial ou familial, en particulier en ce qui concerne:

    le champ d’application des régimes et les conditions d’accès aux régimes,

    l’obligation de cotiser et le calcul des cotisations,

    le calcul des prestations, y compris les majorations dues au titre du conjoint et pour personne à charge, et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations.

    […]

    Article 6

    1.        Sont à classer au nombre des dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement celles qui se fondent sur le sexe, soit directement, soit indirectement, notamment par référence à l’état matrimonial ou familial, pour:

    […]

    c)
    établir des règles différentes en ce qui concerne l’âge d’entrée dans le régime ou en ce qui concerne la durée minimale d’emploi ou d’affiliation au régime pour l’obtention des prestations;

    […]

    e)
    fixer des conditions différentes d’octroi des prestations ou réserver celles-ci aux travailleurs de l’un des deux sexes;

    […]»

    7.        L’article 5, paragraphe 1, de la directive 76/207 se lit comme suit dans la version qui intéresse la présente affaire:

    «L’application du principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, implique que soient assurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe.»

    8.        Dans l’intervalle, l’article 5, paragraphe 1, de la directive 76/207 a été remplacé par l’article 3, paragraphe 1, sous b), modifié de la même directive  (6) qui comporte sur le plan des conditions de licenciement un principe d’égalité de traitement analogue sur le fond :

    «L’application du principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe dans les secteurs public ou privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

    […]

    c)
    les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement ainsi que la rémunération, comme le prévoit la directive 75/117/CEE».

    9.        En plus de ces dispositions, il convient de renvoyer également à l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale  (7) :

    «La présente directive ne fait pas obstacle à la faculté qu’ont les États membres d’exclure de son champ d’application:

    a)
    la fixation de l’âge de la retraite pour l’octroi des pensions de vieillesse et de retraite et les conséquences pouvant en découler pour d’autres prestations».

    B –   Législation interne

    10.      Ce sont les dispositions légales relatives au plan social, à la protection contre le licenciement et à la pension de retraite qui nous intéressent dans la législation interne autrichienne.

    1.        Plan social

    11.      Aux termes de l’article 97, paragraphe 1, point 4, de l’Arbeitsverfassungsgesetz autrichien (ci-après l’«ArbVG»), le conseil d’entreprise, qui est l’organe élu du personnel dans l’entreprise, peut obliger le propriétaire de l’entreprise à conclure une convention d’entreprise en cas de restructuration de l’entreprise. Cette convention d’entreprise, appelée plan social, peut comporter toutes les règles visant à compenser les conséquences pécuniaires des restructurations d’entreprise comme des indemnités complémentaires de licenciement ou des mesures d’accompagnement en faveur des travailleurs licenciés et également ce qu’il est convenu d’appeler des «pensions de transition». La loi ne fixe pas les contours précis du plan social. Aux termes de l’article 31 de l’ArbVG, une convention d’entreprise est directement obligatoire dans son champ d’application; elle a de ce fait un effet normatif pour les travailleurs salariés.

    2.        Protection contre le licenciement

    12.      En cas de licenciement, la législation autrichienne impose à l’employeur de mettre en place une protection sociale. À cet égard il appartient à l’employeur de considérer notamment l’âge du travailleur salarié et la difficulté de trouver un nouvel emploi. Ce sont surtout les travailleurs âgés qui sont ainsi protégés.

    13.      Aux termes de l’article 105, paragraphe 3, point 2, de l’ArbVG, un licenciement peut être attaqué pour violation de la législation sociale par le conseil d’entreprise en tant qu’organe élu de représentation du personnel. Si toutefois le conseil d’entreprise admet expressément un licenciement, celui-ci ne peut plus être attaqué pour violation de la législation sociale. En concluant un plan social, qui atténue les conséquences des licenciements surtout pour les travailleurs âgés, on peut à tout le moins éviter que les licenciements soient attaqués.

    3.        Régime légal de retraite

    14.      Le régime légal de retraite est organisé comme suit en Autriche : aux termes de l’article 253 de l’Allgemeines Sozialversicherungsgesetz (ci-après l’«ASVG»), les hommes ont droit à une pension de retraite à partir de 65 ans accomplis et les femmes à partir de 60 ans accomplis (les âges de retraite dits «de droit commun»).

    15.      Dans l’état des textes en vigueur dans le litige au principal, les hommes de 60 ans accomplis avaient droit à une pension de retraite anticipée (ci-après la «pension de retraite anticipée») en cas de chômage (article 253 a de l’ASVG), en cas de durée d’assurance longue (article 253 b de l’ASVG) ou s’ils faisaient valoir une pension dite «mobile» (article 253 c de l’ASVG); les femmes acquéraient les mêmes droits dès qu’elles avaient 55 ans accomplis. Dans l’intervalle, les limites d’âge pour les pensions de retraite anticipée ont été relevées à 61,5 ans pour les hommes et à 56,5 ans pour les femmes.

    III –  Les faits

    16.      Le demandeur dans le litige au principal (ci-après le «demandeur») dirigeait, depuis le 1er janvier 1982, une usine de la défenderesse dans le litige au principal (ci-après la «défenderesse») ou de l’auteur de ses droits. Cette usine a été fermée et de nombreux travailleurs ont été licenciés. La relation de travail du demandeur a pris fin au 30 juin 1999 à l’initiative de la défenderesse.

    1. Plan social

    17.      Pour atténuer les effets de la fermeture de l’usine et des licenciements qui en résultaient, la défenderesse et le conseil d’entreprise ont conclu le 26 février 1998 un plan social dont relève également le demandeur. L’employeur y garantit aux travailleurs certains versements. En plus de l’indemnité légale de licenciement due (ci-après l’«indemnité légale»), il verse, d’une part, une indemnité appelée «indemnité extra-légale de congédiement» et, d’autre part, une pension de transition. Le droit du travailleur à chaque type de versement est fonction en particulier de son âge.

    18.      C’est ainsi que les travailleurs féminins qui n’ont pas encore atteint l’âge de 50 ans et les travailleurs masculins de moins de 55 ans ne bénéficient dans le plan social que de l’indemnité extralégale de congédiement, c’est‑à‑dire d’un versement unique dont le montant est fonction de leur ancienneté.

    19.      Au-delà de ces limites d’âge, les travailleurs concernés bénéficient en revanche d’un versement mensuel normalement jusqu’à la retraite anticipée, sous la forme d’une sorte de salaire combinant l’indemnité extralégale de congédiement et la pension de transition. La pension de transition constitue pour cette catégorie de personnes le point central des droits qu’elles tirent du plan social. Leur indemnité extralégale de congédiement est en effet nettement moins élevée, d’après les indications du juge de renvoi, que pour les personnes qui restent au-dessous des limites d’âge précitées: elle s’élève au maximum à trois mois de traitement alors que la pension de transition s’élève à 75 % du dernier traitement mensuel brut et est versée 14 fois par an jusqu’à cinq années  (8) .

    20.      Ce sont en particulier les dispositions suivantes du plan social qui fondent les versements que nous venons de décrire:

    «7.     Indemnité extralégale de congédiement

    7.1     Champ d’application

    Ont droit à l’indemnité extralégale de congédiement, les travailleurs qui ont moins de 55 ans (homme) ou moins de 50 ans (femme) au moment où la relation de travail prend fin.

    [...]

    8.       Pension de transition

    8.1.   Champ d’application

    Ont droit à une pension de transition, les travailleurs qui ont 55 ans (homme) ou 50 ans (femme) au moment où la relation de travail prend fin et qui n’ont pas encore droit à une pension ASVG.

    8.2     La pension de transition commence le mois qui suit la fin de la relation de travail et expire au moment où le bénéficiaire peut prétendre à une pension ASVG. Au plus tard toutefois 5 ans après la fin de la relation de travail.

    8.3     Le montant de la pension de transition s’élève à 75 % (brut) du dernier traitement mensuel brut et est versé 14 fois par an. Pendant la préretraite, le travailleur est dispensé de service.

    BMA accorde une indemnité extralégale de congédiement.

    Celle-ci est fonction de la durée de la préretraite:

    jusqu’à deux ans: 1 mois de traitement

    de deux à quatre ans: 2 mois de traitement

    à partir de quatre ans: 3 mois de traitement.

    Cette indemnité extralégale de congédiement est versée avec l’indemnité légale de licenciement.»

    21.      Lorsqu’un travailleur licencié remplissait les conditions pour bénéficier d’une pension de transition conformément au point 8 du plan social précité, la relation de travail était en pratique résiliée et on concluait ensuite un contrat de travail à durée déterminée de cinq ans au maximum ou jusqu’à la naissance d’un droit légal à une pension ASVG, pendant lequel l’employé percevait la pension de transition, était irrévocablement dispensé de service et pouvait exercer une autre activité rémunérée.

    2. Les statistiques du marché du travail

    22.      Les statistiques annuelles du chômage se présentaient comme suit en Autriche selon les sexes et les âges  (9) :

    23.      En 1998, le nombre de chômeurs de 30 à 39 ans était de 7,6 % chez les femmes et de 6 % chez les hommes, le nombre de chômeurs de 40 à 49 ans était de 6,3 % chez les femmes et de 6,4 % chez les hommes, le nombre de chômeurs de 50 à 54 ans était de 11,2 % chez les femmes et de 8,7 % chez les hommes, le nombre de chômeurs de 55 à 59 ans était de 8,9 % chez les femmes et de 12,7 % chez les hommes et le nombre de chômeurs de plus de 60 ans était de 4,6 % chez les femmes et de 6,4 % chez les hommes.

    24.      En 1999, le nombre de chômeurs de 30 à 39 ans était de 6,9 % chez les femmes et de 5,6 % chez les hommes, le nombre de chômeurs de 40 à 49 ans était de 5,9 % chez les femmes et de 5,8 % chez les hommes, le nombre de chômeurs de 50 à 54 ans était de 11 % chez les femmes et de 8,1 % chez les hommes, le nombre de chômeurs de 55 à 59 ans était de 9,9 % chez les femmes et de 13,6 % chez les hommes et le nombre de chômeurs de plus de 60 ans était de 4,9 % chez les femmes et de 7,2 % chez les hommes.

    25.      En 2000, le nombre de chômeurs de 30 à 39 ans était de 5,9 % chez les femmes et de 5 % chez les hommes, le nombre de chômeurs de 40 à 44 ans était de 5 % chez les femmes et de 5 % chez les hommes, le nombre de chômeurs de 45 à 49 ans était de 5,2 % chez les femmes et de 5,5 % chez les hommes, le nombre de chômeurs de 50 à 54 ans était de 9 % chez les femmes et de 6,9 % chez les hommes, le nombre de chômeurs de 55 à 59 ans était de 9,5 % chez les femmes et de 12 % chez les hommes et le nombre de chômeurs de plus de 60 ans était de 5,1 % chez les femmes et de 8,4 % chez les hommes.

    3. Situation du demandeur

    26.      Comme le demandeur n’avait pas encore atteint l’âge de 55 ans au moment où il a été licencié le 30 juin 1999, il n’a pas bénéficié de prestations au titre du point 8 du plan social, et il n’a pas bénéficié, en particulier, de la pension de transition, mais uniquement des prestations nettement plus réduites au total, au titre du point 7 du plan social.

    27.      Le 20 octobre 1999, le demandeur avait trouvé un autre emploi à un salaire analogue.

    IV –  La procédure au principal

    28.      Dans la procédure au principal, le demandeur sollicite qu’il soit dit pour droit qu’il peut prétendre à l’égard de la défenderesse à une «pension de transition» au sens du plan social jusqu’à ce qu’il perçoive sa pension légale (pension ASVG). En ordre subsidiaire, il sollicite qu’il soit dit pour droit qu’il peut prétendre à l’égard de la défenderesse à une pension de transition au sens du plan social pendant les cinq années qui suivent son licenciement du 30 juin 1999. À nouveau en ordre subsidiaire, il sollicite qu’il soit dit pour droit qu’il peut prétendre à l’égard de la défenderesse à une pension de transition au sens du plan social pour la période pendant laquelle il n’a pas exercé d’activité professionnelle.

    29.      Le premier juge a fait droit à la demande du demandeur et a dit pour droit que le demandeur pouvait prétendre à l’égard de la défenderesse à une pension de transition jusqu’à ce qu’il perçoive sa pension ASVG, mais pendant une durée maximale de cinq ans après son licenciement. La juridiction d’appel a confirmé ce jugement. La défenderesse a alors saisi de son côté le juge de renvoi d’un pourvoi en cassation («Revision»).

    V –  Demande de décision préjudicielle et procédure devant la Cour

    30.      Par décision du 20 décembre 2001, le juge de renvoi a suspendu la procédure et posé les questions préjudicielles suivantes :

    «1)
    a) Faut-il interpréter l’article 141 CE et l’article 1er de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19) en ce sens que

    dans un régime dans lequel l’employeur, qui licencie une partie importante des travailleurs à la suite d’une fusion avec une autre société, est obligé de conclure au titre de son obligation de mettre en place une protection sociale à l’égard de l’ensemble du personnel pour atténuer les conséquences du licenciement ‑ en particulier le risque de chômage lié à l’âge ‑ avec les délégués du personnel un plan social qui a valeur normative pour les travailleurs,

    ces dispositions s’opposent à un plan social aux termes duquel tous les travailleurs féminins ayant 50 ans au moment du licenciement et tous les travailleurs masculins ayant 55 ans au moment du licenciement se voient accorder une ‘pension de transition’ de 75 % du dernier traitement mensuel brut pendant cinq ans mais au maximum jusqu’au moment où ils ont droit à la pension légale, indépendamment de la durée d’activité, c’est-à-dire sans tenir compte des ‘périodes d’affiliation’, sur la seule base de l’âge ‑ et du risque différent de chômage de longue durée évalué forfaitairement pour les hommes et les femmes en fonction de l’âge?

    b) Faut-il comprendre en particulier la notion de rémunération figurant à l’article 141 CE ainsi qu’à l’article 1er de la directive en ce sens que, à l’égard des prestations qui procèdent non pas du travail fourni mais de la seule appartenance au personnel et de l’obligation qui incombe à l’employeur de mettre en place une protection sociale, elle englobe la couverture du risque de chômage de longue durée, en sorte que la rémunération doit alors être considérée comme étant égale lorsqu’elle couvre le même degré de risque ‑ évalué forfaitairement ‑ même si ce risque survient de manière typique à des classes d’âges différentes chez les hommes et chez les femmes?

    c) Ou, si la notion de ‘rémunération’ figurant dans ces dispositions ne couvre que la prestation en espèce comme telle, la différence de risque ainsi comprise peut-elle alors justifier un régime différent entre les hommes et les femmes?

    2)
    Faut-il comprendre la notion de ‘régimes professionnels de sécurité sociale’ au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 86/378/CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale en ce sens qu’elle englobe aussi les pensions de transition évoquées ci-dessus?

    Faut-il comprendre la notion de risque de ‘vieillesse, y compris dans le cas de retraites anticipées’ figurant à l’article 4 de la directive en ce sens qu’elle englobe aussi les ‘pensions de transition’ de cette nature?

    La notion de ‘régime’ figurant à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive couvre-t-elle uniquement les conditions d’ouverture du droit à la pension de transition ou couvre-t-elle aussi globalement l’appartenance au personnel?

    3)
    a) Faut-il interpréter la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40) en ce sens que la ‘pension de transition’ évoquée ci-dessus est une condition de licenciement au sens de l’article 5 de cette directive?

    b) Faut-il interpréter cette directive en ce sens qu’elle s’oppose à un plan social aux termes duquel tous les travailleurs féminins ayant 50 ans au moment du licenciement et tous les travailleurs masculins ayant 55 ans au moment du licenciement se voient accorder une ‘pension de transition’ de 75 % du dernier traitement mensuel brut pendant cinq ans mais au maximum jusqu’au moment où ils ont droit à la pension légale, indépendamment de la durée d’activité, c’est-à-dire sans tenir compte des ‘périodes d’affiliation’, sur la seule base de l’âge ‑ et du risque différent de chômage de longue durée évalué forfaitairement pour les hommes et les femmes en fonction de l’âge?

    31.      Le demandeur et la défenderesse dans le litige au principal ainsi que le gouvernement autrichien et la Commission ont présenté des observations devant la Cour.

    VI –  Synthèse des observations présentées devant la Cour

    1. Le demandeur

    32.      Le demandeur estime que la pension de transition prévue dans le plan social est une rémunération au sens de l’article 141 CE. Il estime que la dispense de service qui permet au travailleur salarié d’occuper un autre emploi en conservant les droits qu’ils tirent du plan social  (10) est sans incidence.

    33.      Le régime de pension de transition arrêté dans le plan social n’est absolument pas modulé en fonction du risque effectif de chômage, mais il est simplement fixé de manière forfaitaire en fonction du sexe. Si l’on avait cherché à couvrir le risque de chômage, on aurait dû constituer des catégories différentes de risque dans le personnel en fonction de la difficulté de trouver un autre emploi. Le demandeur cite comme exemples de critères de différenciation la qualification et la mobilité professionnelles. On ne saurait admettre la différenciation directement opérée entre les hommes et les femmes dans l’ouverture du droit à la pension de transition.

    2. La défenderesse

    34.      La défenderesse soutient en revanche, en invoquant l’arrêt Burton  (11) , que ce ne serait pas la pension de transition en tant que telle qui serait en cause, mais seulement ses conditions d’octroi. Selon elle, celles-ci ne relèvent pas de l’article 141 CE ni des directives 75/117 et 86/378, mais de la directive 76/207.

    35.      Elle soutient que, selon les principes généraux développés dans la jurisprudence, le principe de non-discrimination ne joue que lorsque des règles différentes s’appliquent à des situations identiques ou lorsque les mêmes règles s’appliquent à des situations différentes. La défenderesse fait sur ce point une comparaison avec l’arrêt Roberts  (12) dont il ressort, selon elle, qu’une femme de plus de 60 ans ne se trouve pas dans la même situation qu’un homme du même âge en ce que le droit à la pension de retraite légale s’ouvre dès l’âge de 60 ans pour la femme alors que l’homme n’acquiert ce droit qu’à l’âge de 65 ans. La pension de transition est versée sur la même durée pour les travailleurs salariés masculins et féminins, à savoir à chaque fois à l’époque où le risque de chômage de longue durée est le plus élevé. Compte tenu des différentes limites d’âge légales de la pension de retraite anticipée, ce risque atteint son maximum à des âges différents chez les hommes et chez les femmes.

    3. Le gouvernement autrichien

    36.      Le gouvernement autrichien estime que la pension de transition prévue dans le plan social ne relève pas de la directive 76/207 ni de la directive 86/378, mais qu’il s’agit d’une rémunération au sens de l’article 141 CE. L’arrêt Roberts Walls  (13) a montré que les prestations de transition servies par l’employeur jusqu’à l’âge légal de la retraite relevaient de l’article 141 CE. Le gouvernement autrichien considère de toute manière que le présent cas d’espèce est analogue à l’affaire Roberts.

    37.      Le gouvernement récuse toute discrimination en ce que les situations ne sont pas analogues. Les limites d’âge différentes de la retraite anticipée en droit autrichien créent une différence objective dans la situation dans laquelle se trouvent les hommes et les femmes au départ. Ainsi que le montrent les statistiques qui ont été produites devant le juge de renvoi, le risque de chômage augmente au fur et à mesure que la personne en question approche de l’âge légal de la retraite anticipée et atteint ainsi son maximum plus tôt chez les femmes que chez les hommes. Un régime différencié s’impose dès lors pour protéger effectivement les hommes et les femmes contre le risque de chômage.

    4. La Commission

    38.      La Commission expose, en se référant à la jurisprudence de la Cour  (14) , que la pension de transition est une rémunération au sens de l’article 141 CE. Dans l’esprit de la Commission, la directive 76/207 ne s’applique pas à une situation telle que celle que l’on rencontre dans la procédure au principal; les développements que la défenderesse tire de l’arrêt Burton  (15) concerneraient le départ volontaire de l’entreprise et ne seraient dès lors pas transposables au cas d’espèce.

    39.      Le fait que le demandeur ait rapidement trouvé un emploi après son licenciement n’a aucune incidence en l’espèce. Les statistiques citées par le juge de renvoi, montrant que, dans la tranche d’âge entre 50 et 54 ans, le chômage serait plus élevé chez les femmes que chez les hommes, ne seraient pas non plus une raison qui interdirait de le traiter de la même manière que les femmes de son âge. Il se peut selon elle que les femmes soient statistiquement exposées plus tôt au risque de chômage; mais les hommes sont exposés plus longtemps à ce risque. Si l’on considère les statistiques, les femmes devraient à l’inverse être également désavantagées, le cas échéant. Des statistiques divergentes dans les différents États membres déboucheraient ainsi sur des applications différentes de l’article 141 CE, alors que cet article ne considère pas de telles divergences soumises à des variations spécifiques en temps et en lieux.

    VII – La première question

    40.      Par sa première question, qui comporte trois sous-questions, la juridiction de renvoi souhaite savoir en substance si l’article 141 CE et l’article 1er permettent de fixer des limites d’âge différentes entre les hommes et les femmes pour verser une pension de transition accordée au titre d’un plan social à des travailleurs salariés perdant leur emploi pour atténuer les conséquences d’un chômage de longue durée lié à l’âge.

    A –   Applicabilité du principe d’égalité des rémunérations à un plan social

    41.      Selon une jurisprudence constante, le principe de non-discrimination entre travailleurs masculins et travailleurs féminins figurant à l’article 141 CE, qui est impératif, s’impose non seulement à l’action des autorités publiques, mais s’étend également à toutes conventions visant à régler de façon collective le travail salarié ainsi qu’aux contrats entre particuliers  (16) . L’article 141 CE est, en d’autres mots, directement applicable horizontalement et régit aussi le plan social en cause dans la procédure au principal.

    42.      Certes, la directive 75/117 n’est pas directement applicable horizontalement. Mais il convient de donner aux règles applicables de droit interne une interprétation et une application conformes à la directive  (17) .

    B –   La notion de rémunération

    1.        Observation liminaire

    43.      Les notions de rémunération employées à l’article 141 CE et à l’article 1er de la directive 75/117 ont la même signification. La Cour a décidé dans une jurisprudence constante que la directive, destinée essentiellement à faciliter l’application du principe de l’égalité des rémunérations qui figure à l’article 141 CE, n’affecte en rien le contenu ou la portée de ce principe, tel qu’il résulte de cette dernière disposition  (18) .

    44.      La notion de rémunération au sens de l’article 141 CE et de l’article 1er de la directive 75/117 est une notion juridique autonome de droit communautaire que la Cour a toujours interprétée de manière large. On entend par rémunération, au sens de ces deux dispositions, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimal, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier (article 141, paragraphe 2, premier alinéa, CE).

    45.      Ainsi que la Cour l’a décidé à plusieurs reprises, pour apprécier si une prestation servie par un employeur entre dans le champ d’application de l’article 141 CE, seul le critère de l’emploi, tiré des termes mêmes de cette disposition, peut revêtir un caractère déterminant  (19) ; Il convient dès lors de se demander en l’espèce si la pension de transition est servie en raison de l’emploi   (20) .

    2.        Rapport entre la pension de transition et l’emploi

    46.      Pour ce qui concerne les indemnités octroyées au travailleur à l’occasion de son licenciement, il convient de constater que celles-ci constituent une forme de rémunération à laquelle le travailleur a droit en raison de son emploi, qui lui est versée au moment de la cessation de la relation de travail, qui permet de faciliter son adaptation aux circonstances nouvelles résultant de la perte de son emploi et qui lui assure une source de revenus pendant la période de recherche d’un nouveau travail  (21) .

    47.      La pension de transition en cause dans le litige au principal est une indemnité de cette nature versée à l’occasion du licenciement. Il ne s’agit pas, par exemple, d’une prestation de sécurité sociale directement réglée par la loi à l’exclusion de tout élément de concertation au sein de l’entreprise intéressée  (22) . La pension de transition est en effet servie au titre d’un plan social qui a été conclu dans l’entreprise entre l’employeur et le comité du personnel en tant qu’organe élu du personnel et elle est également financée par des fonds de l’employeur. Qui plus est, sur un plan purement formel, la pension de transition est accordée sur la base d’un nouveau contrat de travail avec l’ancien travailleur salarié. Ce dernier aspect est certes une simple modalité de versement et est censée préserver les intéressés du statut de chômeur. Il n’en reste pas moins que cette nature contractuelle est un élément supplémentaire montrant qu’il s’agit d’une prestation servie en raison de l’emploi ainsi que le requiert l’article 141 CE.

    48.      Le fait aussi que les travailleurs concernés soient dispensés de tout service envers leur ancien employeur lorsqu’ils bénéficient de cette pension de transition  (23) et qu’ils puissent même exercer une autre activité professionnelle chez un nouvel employeur ne récuse pas en l’espèce la qualification de rémunération. Contrairement à l’affaire Österreichischer Gewerkschaftsbund   (24) notamment, aucune autre obligation légale nempêche le travailleur concerné de continuer à travailler pour son ancien employeur. La raison qui a rendu toute prestation de travail impossible doit être uniquement recherchée dans la sphère de l’employeur qui a décidé de fermer l’usine et de renoncer à tout autre prestation de travail. Au reste, le régime en question figurant dans le plan social procède, on l’a dit, d’une convention expresse entre l’employeur et le conseil d’entreprise en tant qu’organe élu du personnel. L’employeur et l’usine dans son ensemble ont aussi intérêt à atténuer sur le plan social les conséquences d’une restructuration d’entreprise (ici une fermeture d’entreprise) pour le personnel ne serait-ce que pour éviter des contestations de licenciement  (25) .

    49.      Le montant de la pension de transition n’a aucune incidence sur la qualification de rémunération ni le fait que son bénéfice n’est pas lié à l’ancienneté  (26) contrairement à ce qui se passe d’ordinaire avec une indemnité («indemnité de congédiement»). La notion de rémunération doit en effet se comprendre largement, on l’a dit  (27) , et couvre, d’après le seul énoncé de l’article 141, paragraphe 2, CE, tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur  (28) .

    50.      Le principe d’égalité des rémunérations ne vise pas le simple montant d’une indemnité en imposant une égalité arithmétique de traitement entre l’homme et la femme, mais il vise aussi toutes les modalités de payement. En effet, ainsi que l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 75/117 le précise par exemple, le principe d’égalité des rémunérations ne couvre pas seulement l’ensemble des éléments de rémunération, mais aussi l’ensemble des conditions de rémunération. La Cour de justice elle aussi a apprécié, dans l’arrêt Barber et dans une jurisprudence constante ensuite, le versement d’indemnités à des limites d’âge différentes en se référant au principe de l’égalité des rémunérations au sens de l’article 141 CE et de l’article 1er   de la directive 75/177  (29) .

    3.        Conclusion

    51.      Par ces motifs, la pension de transition accordée par le plan social ainsi que ses modalités de payement relèvent du champ d’application de l’article 141 CE et de l’article 1er de la directive 75/117.

    C –   Inégalité de traitement

    52.      Le plan social prévoit, au point 8.1, des limites d’âge différentes pour les travailleurs masculins et pour les travailleurs féminins: les femmes acquièrent un droit à la pension de transition à l’âge de 50 ans au moins et les hommes ne l’acquièrent en revanche que quand ils ont 55 ans accomplis. Ce régime laisse entrevoir une inégalité de traitement fondée sur le sexe.

    53.      On ne peut toutefois considérer qu’il y ait une inégalité de traitement de cette nature que lorsque des règles différentes s’appliquent à des situations identiques ou lorsque la même règle s’applique à des situations différentes  (30) . Il convient dès lors d’examiner si la situation du demandeur est fondamentalement différente ou analogue à celle d’une collègue féminine comparable.

    1.        Deux niveaux de comparaison possibles: considération du cas d’espèce ou comparaison globale selon les classes d’âge

    54.      La comparaison des situations des travailleurs masculins et féminins peut se concevoir à deux niveaux: tout d’abord la situation concrète du demandeur peut être confrontée à celle d’un homologue féminin: alors qu’un travailleur féminin licencié à l’âge de 54 ans percevait une pension de transition et pouvait continuer à en bénéficier en exerçant même une nouvelle activité rémunérée, le plan social privait le demandeur de cette prestation et lui accordait à la place la simple indemnité extralégale qui est nettement moins rémunératrice  (31) .

    55.      D’autre part, la comparaison peut aussi se faire globalement en classes d’âge comme cela s’est fait en l’espèce. C’est ainsi que le plan social réalisait son objectif, qui était d’atténuer les conséquences d’un chômage de longue durée lié à l’âge, en établissant des classes d’âge entre les travailleurs. On s’est référé à cet égard à des valeurs tirées de l’expérience montrant que le risque de chômage de longue durée est particulièrement élevé dans les cinq années qui précèdent l’âge légal de la retraite anticipée. On n’a pas recherché en revanche si, en l’espèce, il existait bel et bien un risque de chômage et si les personnes concernées trouvaient un nouvel emploi après la fermeture de l’usine ou restaient durablement en chômage.

    56.      Alors que la première comparaison entre les situations concrètes atteste purement et simplement une inégalité de traitement fondée sur le sexe, cela est moins évident dans la comparaison abstraite par classes d’âge. Ce qui est déterminant dans ce dernier cas, c’est de savoir si les travailleurs concernés pouvaient être bel et bien rangés globalement dans des classes d’âges déterminées sans examiner leur situation personnelle individuelle et si ces classes d’âges ont été constituées fidèlement à la réalité dans le plan social. Les développements qui suivent sont consacrés à cette question.

    2.        Quant à la marge d’appréciation des partenaires sociaux pour constituer des catégories

    57.      Conformément à une jurisprudence établie de la Cour, il convient de reconnaître aux États membres une large marge d’appréciation dans le choix des mesures susceptibles de réaliser leurs objectifs de politique sociale  (32) . Ce qui vaut pour le législateur, qui a une légitimité démocratique, ne peut certes pas être transposé à l’identique aux partenaires sociaux. On devrait néanmoins leur reconnaître aussi une certaine marge d’appréciation dans la conclusion de conventions collectives et de conventions d’entreprise dans la mesure où celles-ci ‑ comme le plan social dans la procédure au principal ‑ ont une valeur normative.

    58.      La marge dont disposent l’employeur et les représentants du personnel dans la conclusion de conventions d’entreprise assorties d’un effet normatif pour un ensemble de cas particuliers devrait en particulier permettre de typer les situations selon des critères généraux. C’est la raison pour laquelle il n’y a en principe rien à redire lorsque les parties se réfèrent à des valeurs tirées de l’expérience pour concevoir concrètement des mesures dans le plan social, dès lors que cela laisse entrevoir une réalisation probable de l’objectif poursuivi en tout cas dans la grande majorité des cas.

    59.      Cette marge d’appréciation ne peut toutefois pas aboutir à rendre vain un principe fondamental de droit communautaire comme celui de l’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes  (33) . De simples affirmations générales voulant qu’une mesure déterminée soit apte à atténuer les effets d’un chômage de longue durée lié à l’âge ne suffisent dès lors pas à prouver que la conception du plan social est étrangère à toute discrimination fondée sur le sexe et à établir raisonnablement que les limites d’âge fixées sont appropriées pour réaliser l’objectif poursuivi par le plan social  (34) .

    60.      Il faut par conséquent rechercher si les classes d’âge constituées dans le plan social étaient aptes à réaliser l’objectif poursuivi et si elles étaient aussi nécessaires pour atteindre cet objectif. Il convient à cet égard d’examiner toutes les circonstances déterminantes de l’espèce en se demandant si l’objectif poursuivi par le plan social pouvait être atteint par d’autres moyens  (35) .

    3.        Quant à l’adéquation et à la nécessité des classes d’âge établies dans le plan social

    a)        L’absence d’adéquation des critères d’âge retenus

    61.      Il convient tout d’abord de rechercher si l’établissement global de différentes classes d’âge par sexe était en fin de compte apte à réaliser l’objectif du plan social, à savoir atténuer les conséquences du chômage de longue durée lié à l’âge.

    62.      Il découle de l’article 141 CE et de l’article 1er de la directive 75/117, que le sexe n’est pas en principe une caractéristique distinctive appropriée et ne peut dès lors pas non plus être retenu comme critère pour établir des catégories de personnes. Lorsqu’elle est confrontée à une référence directe au sexe, la Cour ne récuse qu’exceptionnellement l’existence d’une discrimination directe, à savoir quand la situation des hommes et des femmes se distingue objectivement. Il en va notamment ainsi de la protection de la maternité et des avantages accordés à ce titre  (36) .

    63.      En l’espèce, la défenderesse et le gouvernement autrichien soutiennent qu’il existe une différence objective entre les travailleurs féminins et masculins en ce que le risque de chômage de longue durée lié à l’âge se manifeste en Autriche à des âges différents selon le sexe et atteint son intensité maximale dans les cinq années qui précèdent la limite d’âge légale de la retraite anticipée. Ils se fondent à cet égard sur les statistiques citées dans l’ordonnance de renvoi  (37) . Il convient dès lors de rechercher ci-après si l’on peut de manière générale se référer de la sorte à des statistiques et si les données statistiques utilisées en l’espèce permettent de conclure à une différence objective entre les travailleurs féminins et masculins.

    64.      Les données citées par la juridiction de renvoi révèlent de manière tout à fait générale les difficultés qui peuvent apparaître en l’espèce lorsqu’on se réfère à des statistiques. Ainsi que la Commission l’indique en effet à juste titre, une approche statistique peut donner une image très différente selon l’État membre, la région ou le secteur économique. Si l’on admet le recours aux statistiques, cela crée une grande insécurité juridique pour les partenaires sociaux. Les employeurs et les travailleurs ne peuvent pas apprécier avec une certitude suffisante sur quelles données chiffrées ils peuvent se fonder pour conclure des conventions d’entreprise.

    65.      Ce qui est décisif toutefois, c’est que le recours à des statistiques et à des valeurs tirées de l’expérience ne doit pas contredire l’objet et la finalité du principe de non-discrimination. Les règles du traité directement applicables interdisant toute discrimination visent, là où il y a encore des inégalités de traitement, à rapprocher les situations existantes au titre du principe de l’égalité de traitement. Tant que le recours à des statistiques tend à cet objectif, on peut considérer qu’il est licite.

    66.      Les statistiques peuvent par exemple être invoquées pour étayer l’existence d’une discrimination indirecte qui s’est produite dans le passé ou qui subsiste actuellement  (38) . En l’espèce, on tente en revanche de procéder à l’inverse: on soutient que les partenaires sociaux auraient pu prévoir qu’à l’avenir les conditions de l’époque ne changeraient pas, en recourant à des valeurs tirées de l’expérience. On risque ainsi de renforcer les effets d’une inégalité de traitement entre les hommes et les femmes dans le régime légal des retraites  (39) qui n’est tolérée qu’à titre temporaire et de les étendre à un autre secteur, le régime professionnel privé, au lieu de les réduire le plus possible à l’avenir conformément au but et à la finalité du principe d’égalité de traitement.

    67.      Compte tenu des risques évoqués, le recours à des statistiques pour établir des prévisions pour l’avenir doit être soumis à un examen très approfondi.

    68.      Les statistiques évoquées par la juridiction de renvoi sont toutefois dénuées de force probante en ce qui concerne les disparités éventuelles entre la situation des travailleurs masculins et féminins.

    69.      Certes, à première vue, les limites d’âge choisies dans le plan social semblent indiquer effectivement une différence entre la situation des travailleurs masculins et féminins, en ce qui concerne le simple taux maximal de chômage des différentes catégories de chômeurs. On voit que les différentes catégories de chômeurs connaissent des taux de chômage maximaux à des âges différents pour les hommes et pour les femmes, à savoir la plupart du temps dans les cinq années qui précèdent l’âge légal minimal d’admission à la retraite anticipée.

    70.      On ne peut toutefois déduire des données statistiques citées par le juge de renvoi que le nombre d’hommes et de femmes en chômage dans une classe d’âge. Ces chiffres comprennent vraisemblablement aussi des personnes qui sont déjà en chômage depuis longtemps et qui ont perdu leur emploi depuis plus de cinq ans avant l’âge légal minimal d’admission à la pension de retraite.

    71.      En revanche, les données statistiques citées ne donnent aucune indication sur la probabilité qu’un travailleur reste au chômage lorsqu’il a perdu son emploi dans les cinq années précédant l’âge minimal légal de la retraite anticipée. On ne peut pas par exemple déduire avec certitude de ces chiffres qu’un travailleur masculin court un risque nettement plus réduit de ne pas trouver un nouvel emploi en cas de licenciement juste avant qu’il atteigne ses 55 ans qu’après cette date; on ne peut pas davantage déduire de ces chiffres que ce risque soit nettement différent pour les hommes et les femmes du même âge.

    72.      Les faits exposés à la Cour ne corroborent dès lors pas l’aptitude des différentes classes d’âge choisies dans le plan social en fonction du sexe à atteindre l’objectif poursuivi dans le plan social, à savoir d’atténuer les conséquences du chômage de longue durée lié à l’âge.

    b)        L’examen individuel en lieu et place de la constitution de classes d’âge

    73.      Pour vérifier les exigences dictées par le principe d’égalité de traitement, on aurait pu envisager une autre méthode moins radicale que la constitution globale de classes d’âge, à savoir un examen concret des cas particuliers. Ainsi que le demandeur l’observe à juste titre, le risque que les travailleurs courent de rester en chômage aurait pu s’apprécier en recourant à des critères objectifs. On aurait pu aussi vérifier de manière continue si les personnes concernées sont effectivement restées durablement en chômage ou si elles ont trouvé un emploi dans l’intervalle.

    74.      Certes, on ne peut pas, d’une part, nier que l’examen approfondi des chances de chaque travailleur licencié de trouver un nouvel emploi, compte tenu de sa qualification ou de sa mobilité, représente une dépense administrative pour l’employeur. Compte tenu de la fermeture de l’usine concernée qui se préparait, une telle dépense n’aurait probablement pu être consentie qu’au prix de grandes difficultés, tout comme un examen permanent qui aurait consisté à voir si la personne concrètement concernée a effectivement trouvé un nouvel emploi après la fermeture de l’usine ou si elle est restée durablement en chômage.

    75.      D’autre part, il est tout de même établi que la défenderesse versait régulièrement chaque mois la pension de transition aux travailleurs concernés pendant une période pouvant aller jusqu’à cinq ans. L’organisme payeur devait dès lors bel et bien examiner chaque cas particulier à intervalles réguliers. Il est dès lors évident qu’il aurait pu, sans exposer une grande dépense supplémentaire, exiger régulièrement des bénéficiaires de la pension de transition des attestations établissant la persistance de leur chômage ou une copie de leur avis d’imposition comme preuve de revenu.

    76.      Le fait que, au lieu de cela, la pension de transition ait encore été versée lorsque les intéressés avaient déjà trouvé un nouvel emploi va au-delà de ce qui aurait été nécessaire pour atteindre le but poursuivi dans le plan social, à savoir atténuer socialement les conséquences du chômage de longue durée. Il était bien évidemment loisible à l’employeur d’accorder une pension de transition aux travailleurs licenciés indépendamment de tout chômage effectif. Une différenciation fondée sur le sexe n’était toutefois pas nécessaire sur ce point et était donc illégale.

    4.        Conclusion

    77.      La constitution globale de classes d’âge différentes en fonction du sexe n’était ni adéquate ni nécessaire pour atténuer les conséquences du chômage de longue durée lié à l’âge. Les éléments de fait exposés à la Cour ne montrent pas que le risque pour un travailleur masculin de ne pas trouver de nouvel emploi était nettement plus réduit avant l’âge de 55 ans qu’ après cette date, ni non plus que ce risque était nettement différent pour les hommes et les femmes du même âge. Il s’ensuit que la fixation d’âges minimaux différents comporte une inégalité de traitement en raison du sexe qui ne se justifie pas objectivement.

    78.      Il eût été conforme au principe d’égalité de traitement d’accorder une pension de transition aux travailleurs sans opérer de différence selon le sexe.

    D –   Justification

    79.      Il reste à examiner si l’inégalité de traitement constatée entre les travailleurs masculins et féminins peut se justifier au titre de la différence qui existe en Autriche entre leurs âges légaux de retraite.

    80.      En l’espèce, l’employeur et le conseil d’entreprise ont fixé des classes d’âge différentes selon le sexe en s’inspirant manifestement des âges différents d’admission à la retraite des hommes et des femmes tels qu’ils existent en Autriche. C’est ainsi que les classes d’âge choisies sont, dans chaque cas, inférieures de dix ans à l’âge légal de la retraite de droit commun et de cinq ans à l’âge minimal légal d’admission à la retraite anticipée selon la législation en vigueur à l’époque  (40) .

    1.        La jurisprudence Barber

    81.      Des différences de cet ordre dans l’âge légal de la retraite ne peuvent toutefois pas justifier une inégalité de traitement dans le secteur professionnel privé. Au contraire, depuis l’arrêt de principe Barber  (41) , une jurisprudence constante  (42) veut que la fixation de limites d’âge différentes selon le sexe pour l’octroi ou le calcul de prestations du régime professionnel enfreint l’article 141 CE, même si cette différence est fonction des âges de retraite différents entre les hommes et les femmes dans le régime légal national des pensions.

    2.        La clause dérogatoire pour le régime légal des pensions n’est pas transposable

    82.      Dans l’état actuel du droit communautaire, ce n’est que dans le régime général légal des pensions que l’article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7 autorise les États membres à maintenir temporairement  (43) des âges légaux d’admission à la retraite différents pour les hommes et les femmes. Cela doit permettre aux États membres de mettre progressivement en place des régimes légaux de pensions exempts de toute discrimination sans perturber l’équilibre financier complexe de ces systèmes  (44) . Compte tenu de la portée fondamentale du principe de l’égalité de traitement, il s’agit là toutefois d’une clause dérogatoire qui appelle une interprétation restrictive  (45) . Selon une jurisprudence constante, elle ne peut être invoquée pour d’autres régimes de prestation que lorsque des discriminations y sont objectivement nécessaires pour empêcher que l’équilibre financier d’un système de sécurité sociale soit menacé ou pour garantir la cohérence entre le système des pensions de retraite et celui des autres prestations  (46) .

    83.      En l’espèce, la fixation de limites d’âge différentes dans le plan social n’était pas nécessaire pour préserver l’équilibre financier d’un régime de sécurité sociale. Les possibilités financières incontestablement limitées de l’employeur ne requéraient pas non plus une inégalité de traitement, car le versement de la pension de transition – on l’a vu – pouvait être limité dans le temps et, de surcroît, le bénéfice de la pension de transition aurait pu être lié à un chômage effectif.

    84.      Le plan social ne requérait pas davantage de différenciation selon le sexe pour établir une cohérence entre la pension de transition et d’autres prestations, notamment les prestations du régime légal des pensions de retraite. En effet, d’une part, le but du plan social, c’est‑à‑dire l’atténuation du chômage de longue durée, n’exige pas impérativement un passage immédiat de la pension de transition aux pensions de retraite; on pouvait plutôt raisonnablement attendre des travailleurs concernés qu’ils se servent des indemnités perçues («indemnités de licenciement») et de la pension de transition versée pour prendre eux-mêmes des dispositions jusqu’à l’âge légal de la retraite. Même si l’on considère qu’il est souhaitable de passer immédiatement de la pension de transition à la pension légale de retraite, et qu’il y ait ainsi la plus grande cohérence possible entre la prestation professionnelle et le régime légal de retraite, il se trouve que le plan social allait, en tout cas dans sa conception, au-delà de ce qui aurait été nécessaire pour atteindre une cohérence sur ce plan: il ne liait en effet pas la pension de transition à un chômage effectif, mais permettait d’exercer une autre activité rémunérée  (47) .

    3.        L’arrêt Roberts n’est pas transposable

    85.      Dans l’arrêt Roberts, la Cour a reconnu que des travailleurs masculins et féminins peuvent se trouver dans des situations de départ objectivement différentes compte tenu des différences entre leurs âges légaux de retraite. C’est la raison pour laquelle une pension de transition a pu être réduite dans un cas au vu des droits légaux à pension existants, même si cela aboutissait dans certaines classes d’âge à ce qu’une femme bénéficie d’une pension de transition plus réduite que celle de son homologue masculin du même âge  (48) . Toutefois, dans l’affaire Roberts les pensions de transition étaient conçues différemment en fonction du sexe afin d’aligner le traitement financier global des travailleurs masculins et féminins qui quittaient prématurément l’entreprise  (49) .

    86.      Des précautions comparables n’ont pas été prises pour le plan social en cause dans la procédure au principal. Contrairement à ce qui se passait dans l’affaire Roberts  (50) , en l’espèce la pension de transition n’a tout d’abord pas été payée à tous les travailleurs licenciés, mais seulement à une partie d’entre eux. Les bénéficiaires continuaient à être payés même lorsque le risque de chômage de longue durée lié à l’âge ne se concrétisait pas. Le plan social pouvait ainsi avoir des effets financiers fort différents pour les travailleurs selon les cas.

    4.        Conclusion

    87.      Il s’ensuit qu’en l’espèce le fait que le plan social se réfère aux âges légaux de la retraite différents selon le sexe ne peut pas servir à justifier une inégalité de traitement des sexes.

    E –   Conclusion intermédiaire

    88.      Il découle de ce qui précède que, dans le contexte de l’affaire au principal, l’article 141 CE et l’article 1er de la directive 75/117 s’opposent à un plan social qui établit des limites d’âge différentes, en fonction des âges légaux de retraite différents pour les hommes et pour les femmes, pour accorder une pension de transition à des travailleurs masculins et féminins qui ont perdu leur emploi à la suite de la fermeture d’une entreprise.

    89.      Il convient de répondre à la première question en ce sens.

    VIII – Sur la deuxième question

    90.      Par sa deuxième question, qui est divisée à son tour en trois branches, le juge de renvoi souhaite savoir en substance si la directive 86/378 s’applique aux pensions de transition versées, au titre de plans sociaux, aux travailleurs qui perdent leur emploi.

    91.      Le champ d’application matériel de la directive 86/378 est moins étendu que celui de l’article 141 CE  (51) . Aux termes de son article 2, paragraphe 1, la directive ne couvre en effet que les régimes professionnels de sécurité sociale. Il paraît douteux que des prestations doivent être assimilées à des régimes lorsqu’elles sont simplement négociées et versées à une seule occasion (ad hoc) dans une circonstance concrète, par exemple sous la forme d’un plan social mis en place dans le contexte de la fermeture d’une entreprise  (52) .

    92.      Toutefois on peut en fin de compte ne pas trancher la question de savoir si un plan social régissant une pension de transition doit être qualifié de régime professionnel de sécurité sociale. Il est en effet de jurisprudence constante que les dispositions de la directive 86/378 ne restreignent pas la portée de l’article 141 CE, mais se bornent à l’expliciter. Comme l’existence d’une discrimination en raison du sexe a déjà été constatée au regard de l’article 141 CE, il n’y a plus lieu de s’interroger sur la directive  (53) .

    93.      Même dans la situation inverse, si, faute de situations comparables, il n’y avait pas de discrimination en raison du sexe, la directive 86/378 ne pourrait pas conduire à une autre conclusion que l’article 141 CE. Le principe de non-discrimination figurant aux articles 5, paragraphe 1, et 6, paragraphe 1, sous c) et e), de ladite directive correspond en effet à celui inscrit à l’article 141 CE  (54) .

    94.      Dans ce contexte, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

    IX –   Sur la troisième question

    95.      Par sa troisième question, qui comporte deux branches, le juge de renvoi souhaite savoir en substance si les pensions de transition versées au titre du plan social aux travailleurs perdant leur emploi doivent être assimilées à des conditions de licenciement au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 76/207 et peuvent être soumises à des limites d’âge différentes pour les hommes et les femmes.

    96.      Ainsi que nous l’avons exposé à la première question  (55) , la pension de transition est une rémunération au sens de l’article 141 CE et de l’article 1er de la directive 75/117. En exigeant que des limites d’âge différentes soient atteintes, le plan social lie à une condition le versement de la pension de transition qui est ainsi en rapport étroit avec la rémunération, même sans être en rien une pure condition d’emploi ou de licenciement ayant de simples conséquences pécuniaires  (56) . C’est en cela que la présente affaire se distingue de l’affaire Burton  (57) que la défenderesse invoque. Ainsi que la Commission le relève à juste titre, il s’agissait, dans l’affaire Burton, d’un départ volontaire de l’entreprise et des limites d’âge – différentes selon le sexe – fixées à cet égard. Tous les travailleurs qui quittaient l’entreprise se voyaient accorder une indemnité sans distinction, en quelque sorte comme conséquence pécuniaire de leur résiliation de la relation de travail. En l’espèce, pratiquement tous les travailleurs ont perdu involontairement leur emploi; ce ne sont pas les conditions de leur licenciement qui sont ici en cause, mais le versement de la pension de transition même, à laquelle seul un certain nombre d’entre eux pouvait prétendre  (58) .

    97.      Les champs d’application de la directive 76/207, d’une part, et de l’article 141 CE et de l’article 1er de la directive 75/117, d’autre part, s’excluent mutuellement  (59) . La pension de transition ne peut pas relever dans le même temps de la directive 76/207. Ainsi qu’il ressort, en effet, en particulier du deuxième considérant de la directive 76/207, celle‑ci ne concerne pas la rémunération au sens des dispositions précitées  (60) . La nouvelle version de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 76/207, qui a vu le jour dans l’intervalle, le confirme aussi. Cette disposition fait en effet clairement la distinction entre les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement, d’une part, et la rémunération, d’autre part; elle renvoie pour cette dernière expressément à la directive 75/117.

    98.      C’est dans ce contexte qu’il convient de répondre à la troisième question.

    X –  Conclusion

    99.      Par ces motifs, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par l’Oberster Gerichtshof:

    «1)
    Dans un contexte tel que celui de l’affaire au principal, l’article 141 CE et l’article 1er de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, s’opposent à un plan social qui établit des limites d’âge différentes, en fonction des âges légaux de retraite différents pour les hommes et pour les femmes, pour accorder une pension de transition à des travailleurs masculins et féminins qui ont perdu leur emploi à la suite de la fermeture d’une entreprise.

    2)
    Des pensions de transition accordées au titre de plans sociaux à des travailleurs ayant perdu leur emploi ne sont pas des conditions de licenciement au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail.»


    1
    Langue originale: l'allemand.


    2
    JO L 45, p. 19.


    3
    JO L 225, p. 40, telle que modifiée par la directive 96/97/CE (JO L 46, p. 20).


    4
    JO L 39, p. 40.


    5
    Dans la version de la directive 96/97.


    6
    Conformément à l'article 3 de la directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 septembre 2002 (JO L 269, p. 15), la nouvelle version de la directive 76/207 est entrée en vigueur le 5 octobre 2002. Toutefois, le délai de transposition des modifications apportées s'étend jusqu'au 5 octobre 2005.


    7
    JO L 6, p. 24.


    8
    Point 8.3 du plan social cité au point 20 des présentes conclusions.


    9
    Les chiffres sont tirés de statistiques de l'agence pour l'emploi de Vienne que la juridiction de renvoi cite dans sa décision de renvoi.


    10
    Le demandeur se réfère à cet égard au point 4 du plan social qui comporte la règle suivante: «[...] les travailleurs sont autorisés, pendant qu'ils sont dispensés de service, à occuper un autre emploi en conservant les droits que leur confère le présent plan social».


    11
    Arrêt du 16 février 1982 (19/81, Rec. p. 554).


    12
    Arrêt du 9 novembre 1993 (C-132/92, Rec. p. I-5579).


    13
    Précité à la note 12.


    14
    La Commission se réfère en particulier aux arrêts du 17 mai 1990, Barber (C-262/88, Rec. p. I‑1889); du 27 juin 1990, Kowalska (C-33/89, Rec. p. I-2591), et du 9 février 1999, Seymour-Smith et Perez (C-167/97, Rec. p. I-623) ainsi que l’arrêt Roberts, précité note 12.


    15
    Précité note 11.


    16
    Arrêt du 8 avril 1976, Defrenne, dit «Defrenne II» (43/75, Rec. p. 455, points 38 et 39). Voir également, parmi de nombreux autres, arrêts du 17 septembre 2002, Lawrence e.a. (C-320/00, Rec. p. I-7325, point 17), et du 13 janvier 2004, Allonby (C-256/01, non encore publié au Recueil, point 45).


    17
    Jurisprudence constante: voir seulement arrêt du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C-91/92, Rec. p. I‑3325, points 19 à 26 et jurisprudence citée).


    18
    Arrêt Barber (précité note 14, point 11). Voir, également, arrêts du 31 mars 1981, Jenkins (96/80, Rec. p. 911, point 22); du 15 décembre 1994, Helmig e.a. (C-399/92, C-409/92, C‑425/92, C-34/93, C-50/93 et C-78/93, Rec. p. I-5727, point 19); du mars 2000, JämO (C‑236/98, Rec. p. I-2189, point 37), et du 26 juin 2001, Brunnhofer (C-381/99, Rec. p. I-4961, point 29); dans le même sens arrêts Defrenne II (précité à la note 16, points 53 à 55) et du 11 mars 1981, Worringham et Humphreys (69/80, Rec. p. 767, point 21).


    19
    Arrêts du 28 septembre 1994, Beune (C-7/93, Rec. p. I-4471, point 43); du 25 mai 2000, Podesta (C-50/99, Rec. p. I-4039, point 26), et du 23 octobre 2003, Schönheit et Becker (C-4/02 et C-5/02, Rec. p. I-12575, point 56).


    20
    Voir énoncé de l'article 141, paragraphe 2, CE et, au reste, arrêts Barber (précité à la note 14, point 12) et Seymour-Smith et Perez (précité à la note 14, point 23) ainsi que du 9 février 1982, Garland (12/81, Rec. p. 359, point 5).


    21
    Voir arrêts précités à la note 14 Barber (points 12 à 14), Seymour-Smith et Perez (point 25) et Kowalska (points 9 à 11); arrêt Roberts (précité à la note 12, point 12) ainsi que arrêt du 17 février 1993, Commission/Belgique (C-173/91, Rec. p. I-673, points 15 à 17).


    22
    Ces critères de délimitation sont conformes à une jurisprudence constante; voir arrêts du 25 mai 1971, Defrenne, dit «Defrenne I» (80/70, Rec. p. 445, points 7 à 12), et du 13 mai 1986, Bilka (170/84, Rec. p. 1607, points 17 et suiv.) ainsi que, au reste, arrêts Barber (précité à la note 14, point 22) et Commission/Belgique (précité à la note 21, point 14).


    23
    Point 8.3 du plan social.


    24
    C-220/02, affaire pendante devant la Cour; voir, en particulier, points 33 à 45 des conclusions que nous y avons présentées le 12 février 2004.


    25
    Voir, à cet égard, point 13 des présentes conclusions.


    26
    Point 8.3 du plan social.


    27
    Points 44 et 45 des présentes conclusions.


    28
    Voir, en outre, arrêts Garland (précité à la note 20, point 9) et du 16 septembre 1999, Abdoulaye e.a. (C-218/98, Rec. p. I-5723, point 15), comportant des considérations analogues.


    29
    Arrêts Barber (précité à la note 14, point 32) et Podesta (précité à la note 19, point 46); voir aussi arrêt du 28 septembre 1994, Avdel Systems(C-408/92, Rec. p. I-4435, point 11). Sur la délimitation des champs d'application de l'article 141 CE et de la directive 75/117, d'une part, et de la directive 76/207, d'autre part, voir points 95 et suiv. des présentes conclusions.


    30
    Arrêts Brunnhofer (précité à la note 18, points 28 et 39) et Roberts (précité à la note 12, point 17). Voir aussi arrêts Abdoulaye e.a. (précité à la note 28, points 16 et 17) ainsi que du 13 février 1996, Gillespie e.a. (C-342/93, Rec. p. I-475, point 16), et du 13 décembre 2001, Mouflin (C-206/00, Rec. p. I-10201, point 28).


    31
    Voir points 17 et suiv. des présentes conclusions.


    32
    Arrêts du 14 décembre 1995, Nolte (C-317/93, Rec. p. I-4625, point 33), et du 9 septembre 1999, Krüger (C-281/97, Rec. p. I-5127, point 28), voir aussi arrêt Seymour-Smith et Perez (précité à la note 14, point 74).


    33
    Arrêts Seymour-Smith et Perez (précité à la note 14, point 75) et du 20 mars 2003, Kutz-Bauer (C‑187/00, Rec. p. I-2741, point 57).


    34
    On trouve un raisonnement analogue dans les arrêts Kutz-Bauer (précité à la note 33, point 58) et Seymour-Smith et Perez (précité à la note 14, point 76).


    35
    Voir, sur l'ensemble arrêt du 11 septembre 2003, Steinicke (C-77/02, Rec. p. I-9027, points 58 et 59), et, au reste, arrêts Kutz-Bauer (précité à la note 33, points 51 et 52), Schönheit et Becker (précité à la note 19, points 83 et 84) ainsi que Seymour-Smith et Perez (précité à la note 14, point 68).


    36
    Voir, par exemple, l'arrêt Abdoulaye e.a. (précité à la note 28, points 17 à 20).


    37
    Voir points 22 et suiv. des présentes conclusions.


    38
    Jurisprudence constante; voir, parmi de nombreux arrêts, arrêts Allonby (précité à la note 16, points 75 et 81) et Steinicke (précité à la note 35, points 56 et 57).


    39
    Voir à cet égard, en particulier, point 82 des présentes conclusions.


    40
    Voir point 15 des présentes conclusions.


    41
    Préité à la note 14, point 32.


    42
    Voir, notamment, arrêts du 14 décembre 1993, Moroni (C-110/91, Rec. p. I-6591, points 10 et 20), et Avdel Systems (précité à la note 29, point 11).


    43
    Arrêts du 30 mars 1993, Thomas e.a. (C-328/91, Rec. p. I‑1247, point 9); du 30 janvier 1997, Balestra (C‑139/95, Rec. p. I-549, point 32), ainsi que du 23 mai 2000, Buchner e.a. (C-104/98, Rec. p. I‑3625, point 23) et Hepple e.a. (C-196/98, Rec. P. I-3701, point 23).


    44
    Arrêt du 7 juillet 1992, Equal Opportunities Commission (C-9/91, Rec. p. I-4297, points 14 et 15). Voir aussi arrêt Burton (précité à la note 11, points 13 et 14).


    45
    Voir arrêts précités à la note 43, Thomas e.a. (point 8) et Buchner e.a. (point 21), et, au reste, arrêts du 30 avril 1998, De Vriendt e.a. (C-377/96 à C-384/96, Rec. p. I-2105, point 25), et du 4 mars 2004, Haackert (C-303/02, non encore publié au Recueil, point 26).


    46
    Voir arrêts précités à la note 43, Thomas e.a. (points 12 et 20), Balestra (points 33 et 35), Buchner e.a. (points 25 et 26) et Hepple e.a. (points 25 et 26) et, au reste, arrêt Haackert (précité à la note 45, point 30).


    47
    Voir, également, point 76 des présentes conclusions.


    48
    Arrêt Roberts (précité à la note 12, points 20 et 24).


    49
    Arrêt Roberts (précité à la note 12, point 5). C'est également dans ce sens que le législateur communautaire a compris et codifié la jurisprudence Roberts: voir article 2, paragraphe 3, de la directive 86/378, tel que modifié par la directive 96/97.


    50
    Arrêt précité à la note 12, points 2 à 5.


    51
    En revanche, le champ d'application personnel de la directive 86/378 est plus étendu que celui de l'article 141 CE en ce qu'il ne couvre pas seulement les travailleurs salariés, mais également les travailleurs indépendants.


    52
    Sur ce point, le contexte à examiner ici se distingue notamment de l'affaire Defreyn, dans laquelle la Cour de justice a inclus dans la directive 86/378 une convention paritaire qui offrait une protection contre le risque de chômage, dès lors qu'elle accordait aux travailleurs concernés un complément aux allocations légales de chômage (arrêt du 13 juillet 2000, C-166/99, Rec. p. I‑6155, points 6 et suiv. et 29).


    53
    Arrêts Moroni (précité à la note 42, points 22 à 24), Schönheit et Becker (précité à la note 19, point 65) et Allonby (précité à la note 16, point 78).


    54
    Sur l'article 141 CE, voir points 52 et suiv. et 81 des présentes conclusions et la jurisprudence qui y est citée.


    55
    Points 43 à 51 des présentes conclusions.


    56
    Sur le critère du lien étroit et des conséquences pécuniaires de conditions d'emploi, voir arrêts Steinicke (précité à la note 35, point 51) et JämO (précité à la note 18, point 59), et, au reste, arrêts du 19 mars 2002, Lommers (C-476/99, Rec. p. I-2891, point 28) et du 15 juin 1978, Defrenne (149/77, Rec. p. 1365, point 21). L'arrêt Seymour-Smith et Perez (précité à la note 14, points 35 et 36) aboutit à un résultat analogue.


    57
    Préitée à la note 11.


    58
    Si – contrairement à ce que nous pensons – on considérait que les faits de l'arrêt Burton (précité à la note 11) étaient analogues à ceux de la présente affaire, on devrait considérer que l'arrêt Burton est dépassé par la nouvelle jurisprudence citée (à la note 56).


    59
    Dans ce sens également, en substance, arrêts Steinicke (précité à la note 35, points 48 à 51), Krüger (précité à la note 32, point 17), Gillespie e.a. (précité à la note 30, point 24), Defreyn (précité à la note 52, point 35) et Seymour-Smith et Perez (précité à la note 14, points 35 et 36).


    60
    Arrêts Gillespie e.a. (précité à la note 30, point 24) et Krüger (précité à la note 32, point 14).

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