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Document 62001CC0442

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 6 février 2003.
KapHag Renditefonds 35 Spreecenter Berlin-Hellersdorf 3. Tranche GbR contre Finanzamt Charlottenburg.
Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne.
Sixième directive TVA - Champ d'application - Prestations de services à titre onéreux - Admission d'un associé dans une société de personnes en contrepartie du versement d'un apport en numéraire.
Affaire C-442/01.

Recueil de jurisprudence 2003 I-06851

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2003:75

62001C0442

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 6 février 2003. - KapHag Renditefonds 35 Spreecenter Berlin-Hellersdorf 3. Tranche GbR contre Finanzamt Charlottenburg. - Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne. - Sixième directive TVA - Champ d'application - Prestations de services à titre onéreux - Admission d'un associé dans une société de personnes en contrepartie du versement d'un apport en numéraire. - Affaire C-442/01.

Recueil de jurisprudence 2003 page I-06851


Conclusions de l'avocat général


1. Dans la présente procédure, les doutes qu'éprouve le Bundesfinanzhof (juridiction suprême en matière fiscale) (Allemagne) portent sur l'interprétation des articles 2, point 1, et 19, paragraphe 2, de la sixième directive TVA en matière de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après «la sixième directive»).

2. La juridiction allemande souhaite savoir si la notion de prestation à titre onéreux, visée au premier des articles susmentionnés, comprend l'admission d'un nouvel associé d'une société de personnes en contrepartie d'un apport en numéraire. Dans le cas où cette première question recevrait une réponse affirmative, elle demande s'il s'agit d'une opération accessoire au sens de l'article 19, paragraphe 2, seconde phrase, de la sixième directive, qui pourrait en conséquence être exclue du calcul du prorata de la déduction d'impôt.

I - Les faits, la procédure au principal et la question préjudicielle

3. KapHag Renditefonds (ci-après «KapHag») est une société civile dont les associés sont les sociétés LOGOS Grundstücks-Treuhand GmbH (LOGOS 1), LOGOS Zweite Grundstücks-Treuhand GmbH (LOGOS 2) ainsi que trois personnes physiques: MM. Moegelin, Tiemann et Mehnert.

4. La société demanderesse a pour objet d'acquérir un droit de superficie sur un terrain sis à Berlin, d'y construire et de maintenir en l'état des bâtiments constituant en soi un ensemble au sein d'un centre commercial. La société est gérée sous la forme d'un fonds immobilier fermé.

5. Pour devenir associé de la société, un apport de 38 402 000 DEM plus 5 % d'agios devait être versé.

6. Au début, KapHag ne comptait que deux associés, LOGOS 1 et LOGOS 2, qui ont acquis le droit de superficie. MM. Moegelin et Tiemann sont entrés ultérieurement, le 2 août 1991.

7. Le 12 novembre de cette année, M. Mehnert a fait part de son intention de devenir associé de la société par le versement de l'apport en numéraire requis.

8. Par note d'honoraires du 19 décembre 1991, Me Severin, avocat, a facturé à la demanderesse une somme de 75 000 DEM, plus 10 500 DEM dus au titre de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après «la TVA»), pour une consultation juridique.

9. KapHag a déduit cette taxe dans sa déclaration de taxe sur la valeur ajoutée pour l'année 1991, mais le Finanzamt Charlottenburg (Allemagne) a, par décision du 17 février 1998, refusé la déduction sur le fondement des articles 15, paragraphe 2, et 4, paragraphe 8, sous f), de l'Umsatzsteuergesetz de 1991 (loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée, ci-après l'«UStG»). Cette décision a été confirmée par voie administrative puis, par voie juridictionnelle, par le Finanzgericht Berlin (Allemagne).

10. Ce tribunal a estimé que KapHag avait cédé au nouvel associé une part de société par un échange de prestations, opération qui est exonérée en vertu de l'article 4, paragraphe 8, sous f), de l'UStG, et a tenu compte de la jurisprudence du Bundesfinanzhof, selon laquelle l'admission de commanditaires dans une société ouverte au public est une opération exonérée. Selon lui, la déduction au prorata visée à l'article 15, paragraphe 4, de cette loi n'était pas applicable, car les prestations de l'avocat concernaient exclusivement l'admission de nouveaux associés.

11. La société susmentionnée a introduit un recours en «Revision» contre la précédente décision devant le Bundesfinanzhof. Elle a fait valoir à l'appui de sa demande qu'elle n'était pas une société ouverte au public, de sorte que l'entrée de M. Mehnert en tant qu'associé était une opération imposable, et que les services fournis par l'avocat n'étaient pas uniquement destinés à faciliter l'admisssion de ce nouveau membre, mais ont également été utilisés pour l'activité ultérieure de location, qui est imposable.

12. Le Bundesfinanzhof estime que, lors de la constitution d'une société ou de l'admission d'un nouvel associé par un apport en numéraire ou en nature, une société de personnes effectue une prestation à titre onéreux au sens de l'article 2, point 1, de la sixième directive. Il considère toutefois que dans la présente affaire cette thèse est sujette à caution si l'on tient compte du fait que l'associé n'est pas entré dans la société en vertu d'une convention bilatérale conclue avec la personne morale, mais en application du contrat de société conclu par les associés. Pour écarter ce doute, la juridiction de renvoi, par ordonnance du 27 septembre 2001, a déféré à la Cour de justice la question suivante:

«Une société de personnes qui admet un associé en contrepartie du versement d'un apport en numéraire effectue-t-elle envers celui-ci une prestation de service à titre onéreux au sens de l'article 2, n° 1, de la directive 77/388/CEE?»

13. Dans le cas où cette question recevrait une réponse affirmative, la juridiction de renvoi estime que la prestation devrait être exonérée, conformément aux dispositions de l'article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive et se demande alors s'il s'agit d'une opération accessoire au sens de l'article 19, paragraphe 2, seconde phrase, de l'article susmentionné. Pour dissiper cette incertitude, il importe que la Cour statue sur la question suivante:

«Est-on dans ce cas en présence d'une opération accessoire au sens de l'article 19, paragraphe 2, deuxième phrase, de la directive 77/388/CEE et l'assujetti peut-il exciper de cette disposition, selon laquelle de telles opérations accessoires n'excluent pas la déduction de l'impôt payé en amont?»

II - La procédure devant la Cour de justice

14. La Commission et KapHag ont présenté des observations écrites dans le délai prévu par l'article 20 du statut CE de la Cour de justice.

15. Aucun des comparants ayant participé à la procédure écrite n'a demandé à être entendu en ses observations orales, mais le gouvernement allemand, qui n'y a pas participé, a demandé à présenter des observations orales et la Cour a donc décidé qu'une audience aurait lieu.

16. L'audience s'est tenue le 15 janvier 2003, au cours de laquelle le gouvernement allemand et la Commission ont présenté leurs observations.

III - Les dispositions pertinentes de la sixième directive

17. L'article 2 définit l'opération imposable:

«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1. les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel;

2. [...]»

18. Quant à lui, l'article 4, paragraphe 1, définit l'assujetti en ces termes:

«[...] quiconque accomplit, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une des activités économiques mentionnées au paragraphe 2, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.»

19. Ces activités économiques sont, selon l'article 4, paragraphe 2:

«[...] toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en vue d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.»

20. L'article 13 prévoit les exceptions relatives aux opérations intérieures. Sa partie B, sous d), point 5, qui est d'intérêt pour la présente question préjudicielle, exonère les activités suivantes:

«les opérations, y compris la négociation mais à l'exception de la garde et de la gestion, portant sur les actions, les parts de sociétés ou d'associations, les obligations et les autres titres, à l'exclusion:

- des titres représentatifs de marchandises,

- des droits ou titres visés à l'article 5 paragraphe 3».

21. L'article 17 détermine la date à laquelle le droit à déduction de la TVA prend naissance et l'étendue de ce droit. Les paragraphes 1, 2, 3 et 5 disposent ainsi:

«1. Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible.

2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti.

b) [...]

3. Les États membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée visée au paragraphe 2 dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins:

b) de ses opérations exonérées conformément à l'article 13 sous B sous a) et sous d) points 1 à 5, lorsque le preneur est établi en dehors de la Communauté ou lorsque ces opérations sont directement liées à des biens qui sont destinés à être exportés vers un pays en dehors de la Communauté.

[...]

5. En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction visées aux paragraphes 2 et 3 et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations.

Ce prorata est déterminé pour l'ensemble des opérations effectuées par l'assujetti conformément à l'article 19 [...]».

22. Ce dernier article, intitulé «Calcul du prorata de déduction», dispose:

«1. Le prorata de déduction, prévu par l'article 17 paragraphe 5 premier alinéa, résulte d'une fraction comportant:

- au numérateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations ouvrant droit à déduction conformément à l'article 17 paragraphes 2 et 3,

- au dénominateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations figurant au numérateur ainsi qu'aux opérations qui n'ouvrent pas droit à déduction. Les États membres ont la faculté d'inclure également dans le dénominateur le montant des subventions autres que celles visées à l'article 11 sous A paragraphe 1 sous a).

Le prorata est déterminé sur une base annuelle, fixé en pourcentage et arrondi à un chiffre qui ne dépasse pas l'unité supérieure.

2. Par dérogation au paragraphe 1, il est fait abstraction, pour le calcul du prorata de déduction, du montant du chiffre d'affaires afférent aux livraisons de biens d'investissement utilisés par l'assujetti dans son entreprise. Il est également fait abstraction du montant du chiffre d'affaires afférent aux opérations accessoires immobilières et financières ou à celles visées à l'article 13 sous B sous d), lorsqu'il s'agit d'opérations accessoires. Lorsque les États membres exercent la possibilité prévue à l'article 20 paragraphe 5 de ne pas exiger la régularisation pour les biens d'investissement, ils peuvent inclure le produit de la cession de ces biens dans le calcul du prorata de déduction.

3. [...]»

IV - Examen des questions préjudicielles

A - La première question préjudicielle

23. Le Bundesfinanzhof souhaite savoir si l'admission dans une société de personnes moyennant un apport en numéraire est une opération soumise à la TVA car, dans le cas contraire, la taxe répercutée par Me Severin ne serait pas déductible en vertu de l'article 17, paragraphe 1, de la sixième directive, lu a contrario.

24. La réponse de la Cour doit partir d'une prémisse qui, bien qu'évidente, ne saurait être oubliée: le législateur communautaire a entendu soumettre à la TVA les livraisons de biens ainsi que les prestations de services effectuées à titre onéreux à l'intérieur d'un État membre par les personnes exerçant les activités économiques visées à l'article 4, paragraphe 2, de la sixième directive, car il s'agit d'un impôt général sur la consommation .

25. Pour déterminer les opérations soumises à la TVA, il faut définir la notion d'assujetti, tâche qui, compte tenu de l'esprit de la sixième directive, implique de délimiter la notion d'«activité économique» .

26. Cette notion a un large champ d'application . Elle englobe tous les stades de la production et de la distribution de biens ainsi que la prestation de services , quelle que soit la personne qui accomplit ces activités et la forme juridique de celles-ci. Ce qui importe, c'est que ces opérations visent à obtenir des recettes ayant un caractère de permanence, quels que soient les résultats. Ce caractère objectif est une exigence du principe de neutralité du système commun de TVA . La Cour s'est récemment fondée à plusieurs reprises sur cette double idée du large champ d'application et du caractère objectif de cette notion dans sa jurisprudence relative aux péages d'autoroutes .

27. Cette notion a également été définie négativement. Ainsi, le simple exercice du droit de propriété par son titulaire ne constitue pas, en lui-même, une activité économique . Pour cette raison, la jurisprudence communautaire exclut de cette qualification la simple acquisition et la simple détention de parts sociales, car elles ne correspondent pas à l'exploitation d'un bien visant à produire des recettes ayant un caractère de permanence, puisque l'éventuel dividende résulte exclusivement de la propriété du bien . En revanche, l'opération peut être imposable lorsqu'elle s'accompagne d'une immixtion directe ou indirecte dans la gestion de la société, sans préjudice des droits inhérents à la qualité d'actionnaire ou d'associé .

28. Si la prise de participation ne constitue pas, en elle-même, une activité économique au sens de la directive, il en va de même de la cession de telles participations .

29. L'idée d'un échange réciproque de prestations est essentielle . Elle donne tout son sens à la jurisprudence de la Cour que je viens de citer. Par exemple, l'octroi d'un droit de superficie sur un bien immeuble par le propriétaire de ce bien à un tiers est imposable dès lors que ce droit est cédé moyennant rémunération .

30. Pour cette même raison, une société holding dont l'objet est limité à la prise de participations dans d'autres entreprises n'a pas le droit de déduire la TVA, car elle n'a pas la qualité d'assujetti à la TVA dans la mesure où, en l'absence de contrepartie, elle n'accomplit pas une activité économique au sens de la sixième directive ; cette contrepartie fait également défaut lorsqu'elle perçoit des dividendes, qui sont donc étrangers au système de déduction prévu par la législation communautaire . En telles hypothèses, il y a seulement gestion de patrimoine. Il en va de même de l'acquisition et de la détention d'obligations ainsi que de l'acquisition et de la cession d'actions et d'autres titres en vue de maximiser les dividendes ou les rendements du capital, qui sont destinés à encourager la recherche médicale .

31. Même lorsque, à la qualité d'associé d'une société et au droit de percevoir les dividendes ou les bénéfices résultant de son exploitation, s'ajoute l'immixtion directe ou indirecte dans sa gestion, il n'existe pas d'«activité économique» au sens de l'article 4, paragraphe 2, de la sixième directive si le rendement tiré du capital investi dans l'entreprise n'est pas la contrepartie de la gestion, c'est-à-dire s'il n'existe pas un lien direct entre l'activité exercée et la contre-valeur reçue . En revanche, si un tel lien existe, si les placements produisant des intérêts ont pour origine des fonds confiés par les clients dans le cadre d'une prestation de services à titre onéreux et, par conséquent, imposable (gestion immobilière), ces intérêts relèvent du champ d'application de la TVA .

32. Dès lors, la question que pose la juridiction de renvoi exige que la Cour examine la nature juridique du rapport qui s'établit entre une société de personnes et le nouvel associé, qui, pour acquérir cette qualité, verse un apport en numéraire à la société dans laquelle il entre.

33. Il ne fait aucun doute que le futur associé fait un acte de disposition de son patrimoine, dont l'entrée dans la société n'est pas la contrepartie. En d'autres termes, l'entrée dans une société ne constitue pas une prestation de services par laquelle la société fournit au nouvel associé un avantage économique.

34. Je ne souscris pas à la jurisprudence du Bundesfinanzhof, citée dans l'ordonnance de renvoi, selon laquelle l'associé fondateur d'une société de personnes obtenant des droits en contrepartie de son apport , la société nouvellement créée fournit une prestation à titre onéreux, laquelle serait soumise à la TVA.

35. La constitution d'une société de personnes (le contrat de société étant l'acte constitutif) ou l'entrée ultérieure de nouveaux associés en son sein (par novations successives du contrat) constituent une convention par laquelle plusieurs personnes (physiques ou morales) créent une organisation - à laquelle le droit reconnaît la capacité juridique -, étendent ou modifient sa structure. Il est vrai que par cet accord les associés s'obligent à mettre en commun des apports, qui peuvent être des biens ou des services, afin d'atteindre un objectif commun, normalement à caractère lucratif. Mais on ne discerne nullement dans cet objectif l'idée, aussi largement qu'on l'entende, de consommation moyennant contrepartie dans le cadre d'une relation juridique bilatérale, qui est au fondement de la réglementation communautaire en matière de TVA . Au plus existe-t-il, comme la jurisprudence susmentionnée de la Cour l'a clairement énoncé, un espoir d'obtenir des recettes qui résultent de la propriété d'une partie de la société acquise par un acte de disposition du patrimoine mais n'en sont pas la rémunération.

36. En somme, je propose à la Cour de répondre à la première question préjudicielle posée par le Bundesfinanzhof qu'une société de personnes qui admet un associé en contrepartie d'un apport en numéraire n'effectue pas une prestation à titre onéreux au sens de l'article 2, point 1, de la sixième directive. En d'autres termes, elle ne réalise pas une opération imposable .

37. Et cette affirmation ne se voit pas privée d'effet par la circonstance que l'article 13, B, sous d), point 5, dudit texte de droit communautaire dispose que sont notamment exonérées de TVA les opérations portant sur les parts de sociétés, exception qui présuppose leur assujettissement préalable. On ne saurait déduire de cette disposition que la prise de participation dans une société est toujours, en toute hypothèse, soumise à la TVA.

38. En effet, une opération est «exonérée» lorsqu'elle satisfait aux conditions précises requises pour être imposable, mais cette imposition ne résulte pas d'une décision du législateur. Si ces conditions font défaut, il n'y a pas exonération mais simplement non-assujettissement. C'est-à-dire que l'exonération prévue par l'article susmentionné n'implique pas que toutes les opérations portant sur les titres ou valeurs qu'il vise soient imposables; en revanche ces opérations, qui le sont parce qu'elles répondent aux conditions énoncées à l'article 2, point 1, lu conjointement avec l'article 4, paragraphe 2, de la sixième directive, sont exonérées.

39. Il n'existe donc pas de contradiction entre la solution que je propose et les termes de l'article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive. C'est en ce sens que s'est prononcée la Cour, selon laquelle il résulte de cet article que certaines opérations portant sur des actions, des parts de sociétés ou d'associations, des obligations et autres titres, peuvent relever du champ d'application de la TVA , mais rien de plus, de même que, selon moi, d'autres opérations, telles que celle en cause au principal, en sont exclues.

40. Je ne parviens pas à comprendre l'argument fondé sur l'article 5, paragraphe 8, de la sixième directive, que le gouvernement allemand a avancé au cours de l'audience. Ce dernier estime que cet article conforte la thèse selon laquelle les opérations sociales telles que celle en cause au principal sont imposables, dans la mesure où il permet aux États membres de considérer que les transmissions sous forme d'apport à une société ne sont pas des livraisons de biens. Ce que je viens d'exposer au sujet de l'article 13, B, sous d), point 5, vaut également pour cette disposition. Le fait que les États membres puissent exclure de l'assujettissement à la TVA toutes les transmissions susmentionnées ne signifie pas que tout apport à une société soit, en toute hypothèse et de manière inévitable, une «livraison de biens» au sens de l'article 2, point 1, de la directive.

41. Le gouvernement allemand ne saurait davantage se prévaloir de l'arrêt du 27 janvier 2000, Heerma , dans lequel la Cour a jugé que l'associé qui loue un bien immeuble à la société civile dont il est membre accomplit une activité économique indépendante au sens de l'article 4, paragraphe 1, de la sixième directive. On ne peut en conclure que l'admission d'un nouvel associé dans une société de personnes moyennant un apport en numéraire est une opération imposable. Il s'agit de deux activités différentes, qui n'ont rien en commun; la première est l'admission dans la structure sociale et l'autre un acte d'administration du patrimoine immobilier, dont la seule particularité est que celui qui cède l'usage et la jouissance du bien n'est pas un tiers, mais un membre de la société qui, en tout état de cause, agit à cet effet comme un étranger.

B - La seconde question préjudicielle

42. Dans l'hypothèse où la Cour suivrait ma proposition concernant la première question préjudicielle posée par le Bundesfinanzhof, l'examen de la seconde question deviendrait superflu.

43. Or, même si elle devait estimer que l'admission dans une société de personnes moyennant un apport en numéraire est soumise à la TVA, un tel examen serait tout aussi inutile dans la mesure où, comme l'affirme le Bundesfinanzhof lui-même dans l'ordonnance de renvoi, l'opération serait exonérée en vertu de l'article 13, B, sous d), point 5, de la sixième directive.

44. Par conséquent, la question de savoir si les opérations en cause au principal constituent des opérations accessoires au sens de l'article 19, paragraphe 2, seconde phrase, de la sixième directive n'est pas pertinente pour la solution du litige et la question posée par la juridiction de renvoi est donc dépourvue de sens.

45. Le principe de neutralité qui régit la réglementation communautaire en matière de TVA exige que l'assujetti puisse déduire la taxe sur la valeur ajoutée due pour les biens ou les services qu'il utilise pour les besoins de ses opérations taxées . Lors du paiement de la taxe, l'assujetti doit pouvoir déduire les montants de TVA qui ont déjà grevé les biens ou les services en amont . L'application de ce principe aux déductions a pour première conséquence que leur contenu objectif doit correspondre à l'activité imposable de l'assujetti. En d'autres termes, le «mécanisme de déduction» doit être utilisé de telle sorte que «son champ d'application corresponde au domaine des activités professionnelles» de l'assujetti .

46. Par conséquent, lorsqu'un assujetti agit comme un consommateur final et acquiert des biens ou bénéficie de services pour son usage privé, il n'a pas le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée et lorsqu'il les utilise pour les besoins de ses opérations taxées, le droit à déduction ne naît que dans la seule mesure où ces biens ou services sont destinés à ces opérations .

47. Les considérations qui précèdent expliquent l'article 17, paragraphe 5, de la sixième directive. En ce qui concerne les biens et les services utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction et des opérations n'y ouvrant pas droit, la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations. Le prorata résulte d'une fraction dont le numérateur est le montant total, pour l'année civile, du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations ouvrant droit à déduction et dont le dénominateur est le montant total, pour la même période et comportant la même exclusion, de toutes les opérations effectuées par l'assujetti, y compris celles n'ouvrant pas droit à déduction. Or, selon l'article 19, paragraphe 2, la fraction utilisée pour le calcul du prorata ne tient pas compte des opérations accessoires. Cette non-inclusion vise à assurer la neutralité du système commun de TVA .

48. En définitive, l'article visé par la seconde question préjudicielle relève du système de déductions prévu par la sixième directive. Pour qu'il puisse être appliqué il faut que le droit à déduction ait pris naissance, ce qui, selon l'article 17, paragraphes 1 et 2, n'est le cas que lorsque la taxe est due pour des biens ou des services utilisés pour les besoins des opérations taxées . Si, au contraire, ils sont liés à des activités non imposables ou imposables mais exonérées, il n'existe aucun fait générateur et le droit à déduction ne prend pas naissance . Le droit à déduction ne naît que s'il existe une obligation fiscale à laquelle il peut s'appliquer . La preuve en est que l'article 17, paragraphe 3, sous b) et c), lui-même permet, à titre exceptionnel, de déduire la taxe sur la valeur ajoutée due pour les biens ou services utilisés pour les besoins de certaines opérations exonérées, notamment celles prévues par l'article 13, B, sous d), point 5, lorsqu'elles sont directement liées à des biens qui sont destinés à être exportés vers un pays en dehors de la Communauté ou lorsque le preneur est établi en dehors de la Communauté.

49. Dans l'arrêt BLP Group , la Cour a jugé que, excepté dans les cas prévus expressément par la première et la sixième directive, lorsqu'un assujetti fournit des services à un autre assujetti qui les utilise pour effectuer une opération exonérée, celui-ci n'a pas le droit de déduire la TVA acquittée en amont, même lorsque l'objectif ultime de l'opération exonérée est l'accomplissement d'une opération taxée.

50. Les raisonnements qui précèdent me permettent d'affirmer que l'admission d'un nouvel associé dans une société de personnes en contrepartie d'un apport en numéraire est, en toute hypothèse, exclue du champ d'application de la TVA et qu'il n'y a donc pas lieu, dans le litige au principal, de déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée pour les prestations de services concernant l'admission dans cette société. Par conséquent, la règle du prorata et la norme établie à l'article 19, paragraphe 2, seconde phrase, de la sixième directive ne sont pas applicables au litige et la seconde question préjudicielle soulevée par le Bundesfinanzhof est dès lors sans objet.

V - Conclusion

51. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de:

1) répondre à la première question préjudicielle comme suit:

«Une société de personnes qui admet un associé en contrepartie du versement d'un apport en numéraire ne fournit pas une prestation de services à titre onéreux au sens de l'article 2, point 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, et, par conséquent, n'effectue pas une opération imposable»;

2) ne pas répondre à la seconde question préjudicielle, celle-ci étant sans objet.

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