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Document 62001CC0224

    Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 8 avril 2003.
    Gerhard Köbler contre Republik Österreich.
    Demande de décision préjudicielle: Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien - Autriche.
    Égalité de traitement - Rémunération des professeurs d'université - Discrimination indirecte - Indemnité d'ancienneté - Responsabilité d'un État membre pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables - Violations imputables à une juridiction nationale.
    Affaire C-224/01.

    Recueil de jurisprudence 2003 I-10239

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2003:207

    62001C0224

    Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 8 avril 2003. - Gerhard Köbler contre Republik Österreich. - Demande de décision préjudicielle: Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien - Autriche. - Égalité de traitement - Rémunération des professeurs d'université - Discrimination indirecte - Indemnité d'ancienneté - Responsabilité d'un État membre pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables - Violations imputables à une juridiction nationale. - Affaire C-224/01.

    Recueil de jurisprudence 2003 page I-10239


    Conclusions de l'avocat général


    1. La responsabilité dun État membre en cas de violation du droit communautaire est-elle susceptible dêtre engagée lorsque cette violation est le fait dune juridiction suprême? LÉtat membre en question est-il tenu dindemniser les particuliers pour les dommages qui en résultent? Si oui, quelles sont les conditions dengagement dune telle responsabilité?

    2. Telles sont, en substance, les questions délicates que le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien (Autriche) pose à la Cour dans la présente procédure . Pour la première fois, celle-ci est invitée à préciser la portée du principe de la responsabilité de lÉtat pour les dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables. Ce principe a été posé par la Cour dans larrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. , et a connu de nombreux développements depuis larrêt du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame , sagissant de la responsabilité de lÉtat du fait du législateur ou de ladministration.

    3. Il est intéressant dobserver que, parallèlement, la Cour est saisie dun recours en manquement dans laffaire C-129/00, Commission/Italie , mettant notamment en cause une jurisprudence dominante des juridictions nationales, en particulier de la Corte suprema di cassazione (Italie). Cette affaire invite la Cour à réfléchir à une problématique analogue à celle formulée dans la présente procédure: un État membre doit-il répondre des actes adoptés par ses organes juridictionnels (ou par certains dentre eux) et, si oui, dans quelle mesure? Par ailleurs, la Cour est également saisie dune question préjudicielle néerlandaise visant à savoir si un organe administratif national est tenu, en vertu du droit communautaire, de revenir sur une décision dont il est lauteur et qui a été confirmée par une décision de justice définitive, dans lhypothèse où linterprétation de la réglementation communautaire pertinente sur laquelle sest fondée cette décision administrative serait démentie par la Cour, à loccasion dun arrêt préjudiciel prononcé ultérieurement. Cette question préjudicielle mérite dêtre signalée bien que la problématique en cause soit relativement différente de celle qui nous occupe. Nous rendrons prochainement nos conclusions dans cette affaire.

    I Le cadre juridique national

    A Sur le principe de la responsabilité de lÉtat

    4. En droit autrichien, le principe de la responsabilité de lÉtat est consacré par la Constitution fédérale et défini par la loi fédérale du 18 décembre 1948 . Larticle 2 de cette loi prévoit les dispositions suivantes:

    «(1) Il nest pas nécessaire de désigner un organe précis lors dune demande en réparation; il suffit détablir que le préjudice na pu être causé que par la violation du droit par un organe de la partie défenderesse.

    (2) Le droit à réparation nest pas reconnu lorsque la personne lésée aurait pu éviter le préjudice par voie de recours, notamment auprès du Verwaltungsgerichtshof [Autriche ].

    (3) Une décision du Verfassungsgerichtshof [Autriche ], de lOberster Gerichtshof [Autriche] ou du Verwaltungsgerichtshof ne donne pas droit à réparation.»

    5. Il résulte de ces dispositions que la responsabilité de lÉtat autrichien est expressément exclue pour les dommages causés aux particuliers par des décisions émanant de juridictions suprêmes.

    6. Par ailleurs, le contentieux de la responsabilité de lÉtat relève des compétences propres des juridictions de première instance en matière civile et commerciale [Landesgericht (Autriche), Handelsgericht Wien (Autriche)].

    B Sur lindemnité spéciale dancienneté des professeurs duniversité

    7. Larticle 50 bis du Gehaltsgesetz (loi salariale) de 1956 , tel que modifié en 2001 , prévoit quun professeur duniversité peut bénéficier dune indemnité spéciale dancienneté destinée à être prise en compte pour le calcul de sa pension de retraite. Loctroi de cette indemnité est subordonné, notamment, à lacquisition de quinze ans dancienneté de professorat dans des universités autrichiennes.

    II Les faits et la procédure au principal

    8. M. Köbler est lié, depuis le 1er mars 1986, à lÉtat autrichien par un contrat de droit public en qualité de professeur duniversité titulaire à Innsbruck (Autriche). Par lettre du 28 février 1996 adressée à lautorité administrative compétente, il a sollicité lattribution de lindemnité spéciale dancienneté des professeurs duniversité. À lappui de sa demande, il sest prévalu de lacquisition de quinze ans dancienneté en qualité de professeur titulaire auprès duniversités situées dans divers États membres de la Communauté européenne, notamment en Autriche. Cette demande a été rejetée au motif que lintéressé ne remplissait pas les conditions dancienneté requises par larticle 50 bis de la loi salariale de 1956, à savoir lacquisition dune telle ancienneté exclusivement auprès duniversités autrichiennes.

    9. M. Köbler a alors formé un recours contre cette décision devant le Verwaltungsgerichtshof. Il a fait valoir que les conditions dancienneté requises par ladite loi pour bénéficier de lindemnité en cause reviennent à instaurer une discrimination indirecte contraire au principe de la libre circulation des travailleurs garanti par larticle 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE) et par le règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à lintérieur de la Communauté .

    10. Compte tenu dun tel débat, la juridiction suprême administrative a saisi la Cour dune question préjudicielle afin de savoir si les articles 48 du traité et 1er à 3 du règlement n° 1612/68 doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre dun système de rémunération qui prévoit que le traitement est également fonction, entre autres, de lancienneté, il y a lieu dassimiler aux activités exercées antérieurement dans le pays considéré les activités équivalentes qui ont été exercées antérieurement dans un autre État membre .

    11. Par lettre du 11 mars 1998, la Cour a demandé à la juridiction suprême administrative si elle estimait nécessaire de maintenir sa question préjudicielle compte tenu de larrêt du 15 janvier 1998, Schöning-Kougebetopoulou , intervenu entre-temps. La juridiction nationale a invité les parties à sexprimer à ce sujet, étant observé que, de prime abord, le point de droit faisant lobjet de la question préjudicielle en cause a été résolu par ledit arrêt de la Cour dans un sens favorable aux prétentions de M. Köbler. Le 24 juin 1998, elle a finalement retiré sa question préjudicielle, puis débouté lintéressé de sa demande au motif que lindemnité spéciale dancienneté constitue une prime de fidélité justifiant objectivement une dérogation aux dispositions de droit communautaire relatives à la libre circulation des travailleurs.

    12. Le 2 janvier 2001, M. Köbler a engagé une action en responsabilité contre la république dAutriche devant le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien . Il soutient que larrêt de la juridiction suprême administrative du 24 juin 1998 a enfreint des dispositions de droit communautaire directement applicables. Selon lui, la jurisprudence de la Cour nassimilerait pas lindemnité litigieuse à une prime de fidélité. En conséquence, il demande à être indemnisé du préjudice quil aurait indûment subi du fait de la décision de justice en cause, cette dernière ayant refusé loctroi de lindemnité spéciale dancienneté à laquelle il serait en droit de prétendre, en vertu du droit communautaire. La république dAutriche soppose à cette demande dindemnisation au motif que larrêt de la juridiction suprême administrative ne serait pas contraire au droit communautaire et que, en tout état de cause, une décision dune juridiction suprême (comme le Verwaltungsgerichtshof) ne saurait engager la responsabilité de lÉtat. Elle précise quune telle responsabilité est expressément exclue en droit autrichien sans que cela soit contraire, selon elle, aux exigences du droit communautaire.

    III Les questions préjudicielles

    13. Eu égard aux thèses avancées par les parties, le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

    «1) La jurisprudence de la Cour selon laquelle la responsabilité de lÉtat est engagée en cas de violation du droit communautaire, quel que soit lorgane de lÉtat membre auquel cette violation est imputable (notamment, par exemple, arrêt [¼ ] Brasserie du pêcheur et Factortame), est-elle également applicable dans le cas où le comportement de lorgane réputé contraire au droit communautaire est constitué par une décision dune juridiction suprême dun État membre telle que, en lespèce, le Verwaltungsgerichtshof?

    2) Dans lhypothèse dune réponse affirmative à la première question:

    La jurisprudence de la Cour selon laquelle il appartient à lordre juridique de chaque État membre de désigner la juridiction compétente pour trancher les litiges qui mettent en cause des droits individuels, dérivés de lordre juridique communautaire (notamment, par exemple, arrêt du 17 septembre 1997, Dorsch Consult, C-54/96, Rec. p. I-4961), est-elle également applicable dans le cas où le comportement de lorgane réputé contraire au droit communautaire est constitué par une décision dune juridiction suprême dun État membre telle que, en lespèce, le Verwaltungsgerichtshof?

    3) Dans lhypothèse dune réponse affirmative à la deuxième question:

    La thèse juridique formulée dans larrêt susmentionné du Verwaltungsgerichtshof, selon laquelle lindemnité spéciale dancienneté est une sorte de prime de fidélité, est-elle contraire à une disposition directement applicable du droit communautaire, en particulier au principe de non-discrimination indirecte établi à larticle 48 [du traité], et à la jurisprudence pertinente constante de la Cour à cet égard?

    4) Dans lhypothèse dune réponse affirmative à la troisième question:

    Cette disposition du droit communautaire qui a été enfreinte crée-t-elle pour le demandeur au principal un droit subjectif?

    5) Dans lhypothèse dune réponse affirmative à la quatrième question:

    La Cour dispose-t-elle, sur la base du libellé de la demande préjudicielle, de toutes les informations lui permettant de juger elle-même si le Verwaltungsgerichtshof a manifestement et notablement abusé dans le cas despèce du pouvoir dappréciation dont il dispose, ou bien sen remet-elle à la juridiction autrichienne de renvoi pour trancher cette question?»

    IV Lobjet des questions préjudicielles

    14. La juridiction de renvoi soulève, en substance, quatre séries de questions. La première série porte sur léventuelle extension du principe jurisprudentiel de la responsabilité de lÉtat pour les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire à lhypothèse où cette violation serait imputable à une juridiction suprême . La deuxième série concerne les conditions de fond dengagement dune telle responsabilité . La troisième série est relative à la détermination de la juridiction compétente pour apprécier si ces conditions de fond sont remplies . La quatrième série vise à savoir si, en lespèce, ces conditions de fond sont réunies .

    15. Il importe de souligner que toutes ces questions concernent exclusivement les juridictions suprêmes et non les juridictions ordinaires. En conséquence, nous limiterons notre analyse à la situation des juridictions suprêmes, à lexclusion de celle des juridictions ordinaires.

    16. Il convient dexaminer, tout dabord, la question de principe. En fonction de la réponse qui y sera apportée, il conviendra dexaminer les questions suivantes.

    V Sur le principe de la responsabilité de lÉtat en cas de violation du droit communautaire du fait dune juridiction suprême

    A Les observations des parties

    17. Selon M. Köbler, il résulte de larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, que la responsabilité dun État membre pour violation du droit communautaire peut être engagée quel que soit lorgane de lÉtat à lorigine de linfraction. Peu importe que cet organe relève du pouvoir législatif, exécutif ou judiciaire. En outre, la responsabilité de lÉtat, du fait de son activité juridictionnelle, ne saurait être limitée aux juridictions ordinaires, à lexclusion des juridictions suprêmes, car cela donnerait la possibilité aux États membres dorganiser leur système juridictionnel de manière à échapper à toute responsabilité et risquerait donc daboutir à des situations nationales disparates dans la protection juridictionnelle des particuliers.

    18. Selon à la fois la république dAutriche et le gouvernement autrichien, le droit communautaire ne saurait sopposer à lexistence dune législation excluant expressément la responsabilité de lÉtat du fait de la violation du droit y compris du droit communautaire par ses juridictions suprêmes. En effet, une telle législation ne rendrait pas la mise en oeuvre du droit communautaire impossible ou excessivement difficile dès lors que les parties sont en mesure dinvoquer le droit communautaire devant les juridictions suprêmes. Elle serait justifiée par des exigences de sécurité juridique tenant à la nécessité de clôturer définitivement les litiges. En outre, linstitution dun principe de la responsabilité de lÉtat du fait de ses juridictions suprêmes supposerait que la responsabilité de la Communauté puisse également être engagée du fait de la Cour, ce qui serait difficilement concevable dès lors que la Cour deviendrait à la fois juge et partie.

    19. Cette position est largement partagée par les gouvernements français et du Royaume-Uni.

    20. Selon le gouvernement français, par larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, la Cour naurait ni expressément ni implicitement inclus les organes juridictionnels parmi les organes susceptibles dengager la responsabilité de lÉtat en cas de violation du droit communautaire. En effet, le principe fondamental du respect de lautorité de la chose définitivement jugée sopposerait à linstitution dun mécanisme de responsabilité de lÉtat du fait du contenu dune décision émanant dune juridiction suprême. Ce principe devrait prévaloir sur le droit à réparation. En outre, le système des voies de recours mis en place dans les États membres, complété par le mécanisme du renvoi préjudiciel prévu à larticle 234 CE, offrirait aux justiciables une garantie suffisante contre le risque derreur dinterprétation du droit communautaire. À titre subsidiaire, le gouvernement français a indiqué, lors de laudience, que la responsabilité de lÉtat du fait des juridictions suprêmes devrait être soumise à un régime spécifique particulièrement restrictif, radicalement différent de celui de lÉtat du fait du législateur ou de ladministration, compte tenu de la spécificité des conditions dexercice de la fonction de juger.

    21. Selon le gouvernement du Royaume-Uni, il ressort de larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, que la Cour semblait prête à admettre la possibilité de mettre en cause la responsabilité de lÉtat pour des actes juridictionnels. Cela étant, lengagement de la responsabilité de lÉtat du fait de ses organes juridictionnels ne pourrait être envisagé que de manière très restrictive. Cette approche restrictive simposerait dautant plus au regard de la jurisprudence de la Cour en matière de responsabilité extracontractuelle de la Communauté à propos de la méconnaissance par le Tribunal de première instance des Communautés européennes des exigences tenant au respect dun délai raisonnable dans le cadre dun procès équitable. En outre, léventuelle admission dun tel mécanisme de responsabilité de lÉtat serait contraire aux principes fondamentaux tenant à la sécurité juridique et, en particulier, au respect de la chose jugée, à la réputation et à lindépendance de la justice ainsi quà la nature des rapports entre la Cour et les juges nationaux. Enfin, selon le gouvernement du Royaume-Uni, il serait contestable de confier lexamen de procédures en responsabilité de lÉtat du fait de ses organes juridictionnels aux juridictions nationales de ce même État au regard des exigences dimpartialité, sauf à imaginer que lesdites juridictions saisissent la Cour de questions préjudicielles en la matière, ce qui reviendrait à instituer une voie de recours devant la Cour, contrairement à la volonté des rédacteurs du traité CE.

    22. Les gouvernements allemand et néerlandais ne sopposent pas à lidée dune responsabilité de lÉtat du fait de ses juridictions suprêmes. Toutefois, à laudience, le gouvernement néerlandais a soutenu quil sagit là dune question relevant du droit interne et non du droit communautaire et que, en tout état de cause, une telle responsabilité de lÉtat devrait être limitée à des cas très exceptionnels. Le gouvernement allemand plaide également pour un régime de responsabilité exceptionnel inspiré de celui existant dans son ordre interne.

    23. Selon la Commission des Communautés européennes, le principe de la responsabilité de lÉtat pour tout type dautorité publique découle à la fois du traité (articles 10 et 249, paragraphes 2 et 3, CE) et de la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle il incombe à chacun des États membres de sassurer que les particuliers obtiennent réparation du préjudice que leur cause le non-respect du droit communautaire, quelle que soit lautorité publique auteur de cette violation.

    B Analyse

    24. Nous examinerons, dune part, si dans de telles circonstances le droit communautaire impose aux États membres une obligation de réparation à légard des particuliers et si, dautre part, les obstacles avancés par certaines parties à la présente procédure sopposent à la reconnaissance dune telle obligation.

    1. Le droit communautaire impose-t-il aux États membres une obligation de réparation du préjudice causé aux particuliers par la violation du droit communautaire du fait dune juridiction suprême?

    25. Nous estimons quil convient de répondre positivement à cette question . Cette réponse est fondée sur trois séries darguments tenant, premièrement, à la large portée conférée par la Cour au principe de la responsabilité de lÉtat en cas de violation du droit communautaire, deuxièmement, au rôle déterminant du juge national dans la mise en oeuvre du droit communautaire, en particulier, lorsquil agit en qualité de juge suprême et, troisièmement, à la situation existante dans les États membres, notamment au regard des exigences de protection des droits fondamentaux.

    a) La portée du principe jurisprudentiel de la responsabilité de lÉtat en cas de violation du droit communautaire

    26. La portée du principe de la responsabilité de lÉtat en cas de violation du droit communautaire doit être analysée au regard des deux arrêts de référence précités de la Cour en la matière, à savoir, tout dabord, larrêt Francovich e.a. et, ensuite, larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame.

    i) Larrêt Francovich e.a.

    27. Le principe de la responsabilité de lÉtat a été posé par la Cour dans larrêt Francovich e.a. précité, dans une hypothèse particulière caractérisée par labsence de transposition dune directive dépourvue deffet direct, ce qui empêche les particuliers de se prévaloir devant les juridictions nationales des droits qui leur sont conférés par cette directive . En dépit de la spécificité de la situation litigieuse, particulièrement «pathologique», la Cour sest exprimée dans des termes très généraux: «le droit communautaire impose le principe selon lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables» . Aucune précision na été donnée sur lorgane étatique à lorigine du dommage.

    28. Cette conclusion se fonde sur une analyse dont la portée est également très générale. En effet, selon la Cour, «le principe de la responsabilité de lÉtat pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables est inhérent au système du traité» . Ce principe est en quelque sorte consubstantiel au système du traité, il lui est nécessairement attaché. Ce lien indissoluble et irréductible entre le principe de la responsabilité de lÉtat et le système du traité tient à la spécificité de lordre juridique communautaire.

    29. En effet, la Cour rappelle que «le traité CEE a créé un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des États membres et qui simpose à leurs juridictions, dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants et que, de même quil crée des charges dans le chef des particuliers, le droit communautaire est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique; ceux-ci naissent non seulement lorsquune attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison dobligations que le traité impose dune manière bien définie tant aux particuliers quaux États membres et aux institutions communautaires» .

    30. En outre, selon «une jurisprudence constante, il incombe aux juridictions nationales, chargées dappliquer dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit communautaire, dassurer le plein effet de ces normes et de protéger les droits quelles confèrent aux particuliers» .

    31. La Cour déduit de ces deux prémisses que «la pleine efficacité des normes communautaires serait mise en cause et la protection des droits quelles reconnaissent serait affaiblie si les particuliers navaient pas la possibilité dobtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du droit communautaire imputable à un État membre» .

    32. Accessoirement, la Cour indique que, en vertu de larticle 5 du traité CE (devenu article 10 CE), les États membres sont tenus deffacer les conséquences illicites dune violation du droit communautaire .

    33. Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette démonstration.

    34. Tout dabord, comme lavocat général Tesauro la souligné dans ses conclusions dans laffaire Brasserie du pêcheur et Factortame, précitée, «dans larrêt Francovich e.a., la Cour ne sest pas bornée à laisser au droit national le soin de tirer toutes les conséquences juridiques découlant de la violation de la norme communautaire, mais a estimé que le droit communautaire imposait à lÉtat une obligation de réparation à légard du particulier» .

    35. En outre, cette obligation de réparation constitue un principe fondamental du droit communautaire, aussi fondamental que celui de la primauté du droit communautaire ou de leffet direct. En effet, à linstar de ces deux principes, lobligation pour lÉtat de réparer les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire participe à garantir la pleine efficacité du droit communautaire au moyen dune protection juridictionnelle effective des droits que les particuliers tirent de lordre juridique communautaire. Bien plus, le principe de la responsabilité de lÉtat constitue le prolongement nécessaire du principe général de protection juridictionnelle effective ou du «droit au juge», dont limportance a été régulièrement soulignée par la Cour et dont la portée a été constamment étendue au fil de sa jurisprudence.

    36. Selon nous, le raisonnement adopté par la Cour dans larrêt Francovich e.a., précité, est pleinement transposable à lhypothèse dune violation du droit communautaire du fait dune juridiction suprême. La pleine efficacité des normes communautaires serait mise en cause et la protection des droits quelles reconnaissent serait affaiblie si les particuliers navaient pas la possibilité dobtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du droit communautaire imputable à une juridiction suprême.

    37. En effet, il ne suffit pas que les particuliers soient en droit de se prévaloir du droit communautaire devant une juridiction suprême afin dobtenir une protection juridictionnelle effective des droits quils tirent de lordre juridique communautaire ni que cette juridiction soit tenue de mettre en oeuvre correctement le droit communautaire. Encore faut-il que, dans lhypothèse où une juridiction suprême rendrait une décision contraire au droit communautaire, les particuliers soient en mesure dobtenir réparation, du moins lorsque certaines conditions sont remplies.

    38. Or, en labsence de possibilité de recours contre une décision émanant dune juridiction suprême, seule une action en responsabilité permet in ultima ratio de garantir le rétablissement du droit lésé et, finalement, dassurer à la protection juridictionnelle effective, des droits que les particuliers tirent de lordre juridique communautaire, un niveau approprié .

    39. À cet égard, il importe de garder présent à lesprit que, en dépit des considérables avantages que peut présenter pour les particuliers lengagement de la responsabilité de lÉtat, «le rétablissement du contenu patrimonial constitue [seulement] un pis-aller, un remède minimal par rapport à lhypothèse dun rétablissement complet sur le plan substantiel, qui reste le moyen de protection optimal» . Rien ne vaut en effet la protection substantielle, directe et immédiate des droits que les particuliers tirent de lordre juridique communautaire.

    40. En conséquence, nous estimons que le principe de la responsabilité de lÉtat en cas de violation du droit communautaire doit être étendu à lhypothèse où cette violation serait le fait dune juridiction suprême. Cette conclusion simpose dautant plus au regard de larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité.

    ii) Larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame

    41. Dans larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, la Cour a déduit de sa jurisprudence Francovich e.a., précitée, que le principe de la responsabilité de lÉtat dès lors quil est inhérent au système du traité est valable pour toute hypothèse de violation du droit communautaire, et ce quel que soit lorgane de lÉtat dont laction ou lomission est à lorigine du manquement .

    42. Par cette affirmation, la Cour ne se fonde plus seulement sur le système du traité. Elle se fonde également sur limpératif duniformité dapplication du droit communautaire ainsi que sur lutile rapprochement avec la responsabilité de lÉtat dans lordre juridique international.

    43. Sagissant de luniformité dapplication du droit communautaire, la Cour a jugé que, «eu égard à lexigence fondamentale de lordre juridique communautaire que constitue luniformité dapplication du droit communautaire [¼ ], lobligation de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire ne saurait dépendre des règles internes de répartition des compétences entre les pouvoirs constitutionnels» . Selon nous, cette exigence fondamentale de lordre juridique communautaire simpose aux autorités juridictionnelles avec la même force quaux autorités parlementaires. En effet, la garantie du respect du droit communautaire à laquelle participe dans une large mesure le mécanisme de responsabilité de lÉtat ne saurait varier au gré des États membres, en fonction des règles internes concernant la répartition des compétences entre les pouvoirs constitutionnels ou celles concernant le statut et les conditions dexercice des institutions étatiques.

    44. Sagissant de la responsabilité de lÉtat en droit international, la Cour a jugé que, «dans lordre juridique international, lÉtat, dont la responsabilité serait engagée du fait de la violation dun engagement international, est également considéré dans son unité, que la violation à lorigine du préjudice soit imputable au pouvoir législatif, judiciaire ou exécutif» . La Cour a ajouté quil doit en être dautant plus ainsi dans lordre juridique communautaire quun intérêt majeur est porté à la situation juridique des particuliers .

    45. Ce faisant, comme la souligné le gouvernement français, la Cour a entendu faire référence au principe de lunité de lÉtat. Il importe désormais den tirer toutes les conséquences sagissant de la responsabilité de lÉtat du fait dune juridiction suprême. En effet, il est communément admis en droit international que ce principe, de nature coutumière, revêt une double signification.

    46. En premier lieu, ce principe signifie quun fait illicite est nécessairement attribué à lÉtat, et non à lorgane étatique qui en est lauteur. En effet, seul lÉtat a la qualité de sujet de droit international, à lexclusion de ses organes. À ce titre, seule sa responsabilité est susceptible dêtre engagée . Ce principe nest pas étranger au droit communautaire ni dailleurs au droit interne . En effet, comme nous lavions déjà indiqué dans nos conclusions dans laffaire Hedley Lomas, précitée, «le droit communautaire ne connaît quun responsable (lÉtat), de même que le recours en manquement ne connaît quun défendeur (lÉtat)» . Il en résulte que «[c]e nest pas un organe de lÉtat déterminé mais lÉtat membre en tant que tel qui doit indemniser» .

    47. En second lieu, la règle de lunité de lÉtat implique que ce dernier est responsable des dommages quil cause par toute action ou toute omission contraire à ses obligations internationales, quelle que soit lautorité étatique dont elle procède. Ce principe est clairement mis en évidence par larticle 4, paragraphe 1, du projet darticles sur la responsabilité des États, qui a été élaboré par la Commission de droit international et qui a été approuvé, le 28 janvier 2002, par une résolution de lAssemblée générale des Nations unies . Cet article dispose que «le comportement de tout organe de lÉtat est considéré comme un fait de lÉtat daprès le droit international, que cet organe exerce des fonctions législatives, exécutives, judiciaires ou autres, quelle que soit la position quil occupe dans lorganisation de lÉtat et quelle que soit sa nature en tant quorgane du gouvernement central ou dune collectivité territoriale de lÉtat» .

    48. À ce propos, il est intéressant dobserver que la responsabilité internationale dun État a déjà été reconnue relativement tôt dans le cas où le contenu dune décision de justice définitive méconnaissait des obligations internationales de lÉtat en question . Un tel cas est regardé, en droit international, comme un déni de justice, cest-à-dire un manquement à lobligation coutumière et de plus en plus conventionnelle de protection juridictionnelle par lÉtat des ressortissants étrangers .

    49. Le système institué par la convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») apporte un éclairage intéressant à la question de la responsabilité de lÉtat du fait dune juridiction suprême. En effet, les particuliers peuvent directement mettre en cause, devant la Cour européenne des droits de lhomme, la responsabilité de lÉtat du fait dune juridiction nationale, à raison dun manquement aux exigences du procès équitable in procedendo , mais aussi à raison de la violation dune règle de fond in iudicando de nature à affecter le contenu même de la décision de justice . À la faveur dune telle procédure, les justiciables sont susceptibles de bénéficier dune indemnité sous la forme dune «satisfaction équitable». Comme certains gouvernements lont indiqué, il est intéressant dobserver que la règle de lépuisement des voies de recours interne implique que la décision de justice litigieuse émane dune juridiction suprême. En revanche, il nest pas évident que larticle 13 de la CEDH impose aux États contractants lobligation de mettre à la disposition des particuliers un droit de recours interne y compris un recours en responsabilité contre une décision de justice .

    50. Ces considérations sur lunité de lÉtat en droit international sont bien connues en droit communautaire. Cest dans ce sens que sinscrit le principe, figurant au point 34 de larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, selon lequel, «dans lordre juridique communautaire [¼ ] toutes les instances de lÉtat, y compris le pouvoir législatif, sont tenues, dans laccomplissement de leurs tâches, au respect des normes imposées par le droit communautaire». Cest en application de ce principe que la Cour a précisé, au point 35 dudit arrêt, que «la circonstance que le manquement reproché est, au regard des règles internes, imputable au législateur national nest pas de nature à remettre en cause les exigences inhérentes à la protection des droits des particuliers qui se prévalent du droit communautaire et, en loccurrence, le droit dobtenir réparation du préjudice causé par ledit manquement devant les juridictions nationales».

    51. Il résulte de lensemble de ces développements que, par larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, la Cour ne sest pas bornée à reconnaître expressément, dans lordre juridique communautaire, le principe de la responsabilité de lÉtat du fait du législateur. En réalité, elle a aussi implicitement, mais nécessairement étendu ce principe à lactivité juridictionnelle, en tout cas à celle émanant des juridictions suprêmes . La présente procédure donne donc à la Cour loccasion de préciser explicitement ce quelle a déjà implicitement entendu.

    52. En tout état de cause, à supposer que cette lecture de larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, ne soit pas retenue, nous ne voyons pas comment la Cour pourrait se prononcer autrement quen faveur de la responsabilité de lÉtat du fait dune juridiction suprême. En effet, outre quelle sinscrirait harmonieusement dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour dont il vient dêtre fait largement état, ladmission dune telle responsabilité apparaît comme le corollaire de la mission de premier ordre assignée aux juridictions suprêmes dans la protection directe, immédiate et effective des droits que les particuliers tirent de lordre juridique communautaire. La situation qui prévaut dans les États membres, en particulier au regard des exigences de protection des droits fondamentaux, plaide également en ce sens.

    b) Le rôle déterminant du juge national dans la mise en oeuvre du droit communautaire

    53. Constituées par le droit, les Communautés européennes se sont développées et consolidées essentiellement au moyen du droit. Ayant pour fonction dappliquer le droit, y compris le droit communautaire, le juge national constitue inéluctablement un rouage essentiel dans lordre juridique communautaire. Placé au «carrefour» de plusieurs systèmes juridiques, il a vocation à apporter une importante contribution à lapplication effective du droit communautaire et, finalement, au développement du processus dintégration européenne. Dès lors, on comprend que la Cour nait eu de cesse, au fil de sa jurisprudence, de souligner le rôle déterminant du juge national dans la mise en oeuvre du droit communautaire. On peut dailleurs y voir lélaboration progressive dune véritable «éthique juridictionnelle communautaire» . Comme la souligné Barav, A., «tant la primauté du droit communautaire que son effet direct constituent, avant tout, des interpellations des juridictions nationales» . En effet, en vertu de ces deux principes , le juge national est invité à jouer à la fois un rôle darbitre dans le cadre dun conflit de normes internes et communautaires et de protecteur «naturel» des droits que les particuliers tirent du droit communautaire.

    54. Loffice du juge national sarticule autour dune double obligation: celle dinterpréter, dans toute la mesure du possible, son droit interne conformément au droit communautaire et, à défaut dune telle possibilité, décarter lapplication du droit interne contraire au droit communautaire .

    55. Sagissant de lobligation dinterprétation conforme, elle a été posée par la Cour à la fois à légard du droit communautaire primaire (les dispositions du traité) et dérivé (en particulier les directives). À cet égard, la Cour a jugé que lobligation des États membres, découlant dune directive, datteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir, en vertu de larticle 5 du traité, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer lexécution de cette obligation simposent à toutes les autorités des États membres, y compris dans le cadre de leurs compétences, aux autorités juridictionnelles. Elle en a conclu que, «en appliquant le droit national, [quil sagisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive] la juridiction nationale appelée à linterpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à larticle 189, troisième alinéa, du traité CE (devenu article 249, troisième alinéa, CE» . La Cour a précisé que «[l]e principe de linterprétation conforme simpose tout spécialement à la juridiction nationale lorsquun État membre a estimé [¼ ] que les dispositions préexistantes de son droit national répondaient aux exigences de la directive concernée» , de sorte quil na pas cru utile de procéder à sa transposition en droit interne.

    56. La seule limite qui simpose au juge national, dans le cadre de cet exercice dinterprétation conforme, est de ne pas opposer à un particulier une obligation prévue par une directive non transposée ou de déterminer ou daggraver, sur la base de la directive et en labsence dune loi prise pour sa mise en oeuvre, la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions .

    57. Sagissant de lobligation décarter lapplication du droit interne contraire au droit communautaire, elle a été vigoureusement affirmée par la Cour dans larrêt Simmenthal, précité. Se fondant sur les principes de lapplicabilité directe et de la primauté du droit communautaire, la Cour a posé lexigence selon laquelle «le juge national chargé dappliquer, dans le cadre de sa compétence [en tant quorgane dun État membre], les dispositions du droit communautaire a lobligation dassurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans quil ait à demander ou à attendre lélimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel» .

    58. Il ressort de larrêt Simmenthal, précité, que le juge national est tenu à une obligation majeure, comparable à une obligation de résultat. Il doit assurer la protection immédiate des droits que les particuliers tirent de lordre juridique communautaire. Cette exigence dimmédiateté dans la protection des droits conférés par le droit communautaire répond à un double objectif deffectivité: effectivité de la protection et, en conséquence, effectivité de la règle de droit elle-même.

    59. À cet égard, il a été souligné que, si le juge national, comme tout organe dun État membre, est tenu dappliquer le droit communautaire, sa mission est «dautant plus cruciale que, face au stade ultime de lexécution de la règle, il est le garant du respect de celle-ci» . Sa position est dautant plus «stratégique» quil lui appartient dapprécier larticulation de son droit interne avec le droit communautaire et den tirer les conséquences qui simposent. Ainsi, il nest plus nécessairement, comme pouvait le dire autrefois Montesquieu, «la bouche de la loi». Bien au contraire, il est tenu de porter un regard critique sur son droit interne afin de sassurer, avant de lappliquer, de sa conformité au droit communautaire. Sil estime que son droit interne est insusceptible dinterprétation conforme, il lui appartient dexclure son application et même dappliquer des dispositions de droit communautaire à la place de son droit interne par un jeu de substitution de normes, à moins quil en résulte là aussi une aggravation de la situation juridique des particuliers .

    60. Cette jurisprudence a largement contribué à valoriser loffice du juge, à renforcer son autorité au sein de lÉtat, au prix, dans certains systèmes juridiques nationaux, dévolutions dordre constitutionnel. En même temps, cela implique de sa part un nécessaire effort dadaptation à un environnement juridique élargi et complexifié en raison des difficultés que peut susciter larticulation entre le droit interne et le droit communautaire. Toutefois, il importe de souligner que le juge national nest pas totalement livré à lui-même, il peut être aidé dans cette tâche par la Cour, grâce au mécanisme de coopération judiciaire que constitue la procédure de la question préjudicielle.

    61. Dans le prolongement de larrêt Simmenthal, précité, la Cour a jugé, dans larrêt Factortame e.a., précité , que le juge national doit écarter tout obstacle de droit interne qui lempêcherait dordonner, si nécessaire, des mesures provisoires destinées à protéger des droits que les particuliers prétendent tirer du droit communautaire. Il sagissait en lespèce dordonner des mesures provisoires dans lattente du prononcé par le juge national dune décision au fond sur lexistence des droits invoqués par des particuliers sur le fondement du droit communautaire, cet élément étant lui-même subordonné à la réponse de la Cour à une question préjudicielle posée par ledit juge sur linterprétation des règles communautaires concernées. Cet arrêt témoigne du souci de la Cour déviter que les particuliers subissent un préjudice supposé irréparable du fait de lapplication par le juge national de normes nationales dont la conformité au droit communautaire pouvait raisonnablement être mise en doute. Lexigence de protection immédiate des droits que les particuliers tirent de lordre juridique communautaire est loin dêtre négligeable, puisque la Cour investit le juge national dune mission particulièrement efficace et opérationnelle, qui le rapproche dun juge des référés.

    62. Limplication du juge national dans la protection des droits tirés de lordre juridique communautaire se manifeste avec une particulière intensité dans le cadre du contentieux de la répétition de lindu. Dès 1983, la Cour a jugé que «le droit dobtenir le remboursement de taxes perçues par un État membre en violation des règles du droit communautaire est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions communautaires interdisant les taxes deffet équivalant aux droits de douane ou, selon le cas, lapplication discriminatoire de taxes intérieures» . Ce droit au remboursement implique la mise à disposition au niveau national dune voie de droit appropriée permettant aux particuliers de récupérer intégralement les sommes quils ont à tort et effectivement supportées. Il implique corrélativement, pour le juge national, lobligation denjoindre à ladministration de restituer les sommes litigieuses aux intéressés.

    63. Cette jurisprudence constitue une avancée importante dans la définition de loffice du juge national. En effet, non seulement ce dernier est tenu de se dégager des dispositions de son droit interne contraires au droit communautaire pour faire droit à la demande de remboursement (dans le prolongement de larrêt Simmenthal, précité), mais en plus, il est contraint denjoindre à ladministration de procéder au remboursement .

    64. Une étape décisive et complémentaire a été franchie avec les arrêts précités Francovich e.a. et Brasserie du pêcheur et Factortame. Comme on le sait, la Cour a posé le principe de la responsabilité de lÉtat pour les dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables. Il en résulte que les particuliers sont en droit dobtenir réparation en mettant en cause devant le juge national la responsabilité de lÉtat. Ce mécanisme de responsabilité vient utilement compléter celui de la répétition de lindu, dans lhypothèse où le préjudice causé par un organe étatique ne résulterait pas de lexécution dun ordre de paiement dune somme dargent et ne peut, dès lors, être réparé par la restitution dune telle somme. Il permet également de surmonter les limites de lobligation dinterprétation conforme et de la portée juridique des directives .

    65. Enfin, il convient davoir présent à lesprit que, dans certains cas, les juridictions nationales sont tenues de soulever doffice un moyen de droit tiré de lordre juridique communautaire, dans lhypothèse où aucune des parties ne sen serait prévalue .

    66. On peut aisément déduire de lensemble de cette jurisprudence que la Cour confère au juge national un rôle capital dans la mise en oeuvre du droit communautaire et dans la protection des droits qui en découlent pour les particuliers. On se plaît dailleurs à qualifier le juge national, selon une expression communément employée, de «juge communautaire de droit commun». Cette expression ne doit pas être entendue de manière littérale, mais plutôt symbolique. En effet, lorsque le juge national connaît du droit communautaire, cest en tant quorgane dun État membre , et non en tant quorgane communautaire, à la suite dune opération de dédoublement fonctionnel.

    67. Ce rôle capital du juge national dans la mise en oeuvre du droit communautaire sest finalement traduit par la reconnaissance dun «droit au juge» et par sa consécration comme principe général du droit communautaire. En effet, la Cour a jugé que «[l]e contrôle juridictionnel [¼ ] est lexpression dun principe général de droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres [¼ et qui] a également été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales» .

    68. Cette notion de «droit au juge» est le corollaire de lÉtat de droit. En effet, comme la indiqué lavocat général Darmon dans ses conclusions dans laffaire Johnston, précitée, «[s]i le principe de légalité est la pierre angulaire de lÉtat de droit, il nest pas exclusif de la prise en considération des nécessités de lordre public. Il se doit même de les intégrer pour que puisse être assurée la survie de lÉtat tout en prévenant larbitraire. À cet effet, le contrôle juridictionnel constitue une garantie fondamentale: le droit au juge est inhérent à lÉtat de droit» . Il en a conclu que, «[c]onstituée dÉtats de droit, la Communauté européenne est nécessairement une Communauté de droit. Sa création comme son fonctionnement, autrement dit le pacte communautaire, reposent sur légal respect par les États membres de lordre juridique communautaire» . On peut en conclure que le «droit au juge» est à la fois «une conquête et un instrument de lÉtat de droit» .

    69. Ces considérations trouvent aujourdhui un écho significatif dans larticle 6, paragraphe 1, du traité sur lUnion européenne, issu du traité de Maastricht, puisquon peut y lire que «[l]Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de lhomme et des libertés fondamentales, ainsi que de lÉtat de droit, principes qui sont communs aux États membres».

    70. Nous estimons que légal respect par les États membres de lordre juridique communautaire, conformément aux exigences dune Communauté de droit constituée dÉtats de droit, implique que les États membres sont tenus pour responsables en cas de violation du droit communautaire, quel que soit lorgane qui en est lauteur, législatif, exécutif ou judiciaire. En effet, on ne voit pas comment un État membre pourrait a priori échapper à toute responsabilité du fait de ses juridictions suprêmes alors que, précisément, ces dernières ont pour mission dappliquer et de faire respecter le droit communautaire. Il y aurait manifestement là un paradoxe insurmontable. Il en résulte que, si la spécificité de la fonction juridictionnelle, par rapport à celle de ladministration ou du législateur, peut justifier linstitution dun régime de responsabilité particulier, elle ne saurait en aucun cas justifier a priori une exclusion du principe de la responsabilité de lÉtat du fait de ses juridictions suprêmes.

    71. Cette conclusion est à la mesure du rôle éminent des juridictions suprêmes dans la mise en oeuvre du droit communautaire.

    72. En effet, conformément à leurs fonctions traditionnelles dunification de linterprétation du droit, ces dernières sont chargées de sassurer du respect, par les autres juridictions nationales, de la mise en oeuvre correcte et effective du droit communautaire. À ce titre, il leur incombe de porter une attention toute particulière à la conformité du droit interne à légard du droit communautaire et den tirer les conséquences qui simposent.

    73. Dailleurs, lexpérience démontre que les juridictions suprêmes se trouvent régulièrement confrontées à des situations justifiant un tel examen et sont ainsi amenées à procéder à une interprétation conforme des dispositions nationales, voire à les écarter en raison de leur incompatibilité ou de leur contrariété avec le droit communautaire. La jurisprudence de la Cour sur le point de droit concerné apporte assurément des éléments utiles à leur réflexion, à cet égard . De plus, certaines juridictions suprêmes nhésitent pas à faire preuve dune grande vigilance en ce qui concerne lobligation de soulever doffice lapplication du droit communautaire .

    74. En outre, il importe de rappeler que les auteurs du traité ont investi les juridictions suprêmes dun rôle déterminant dans la mise en oeuvre du mécanisme de coopération juridictionnelle que constitue la procédure préjudicielle. En effet, larticle 234 CE prévoit que, contrairement aux autres juridictions nationales qui disposent dune simple faculté de saisir la Cour dune question préjudicielle, les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours sont tenues de le faire .

    75. Limportance de lobligation de renvoi, posée par larticle 234 CE, a été soulignée avec force par la Cour dans larrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. . Linstitution dune telle obligation vise à éviter que sétablissent des divergences de jurisprudence à lintérieur de la Communauté sur des questions de droit communautaire . Cest aux juridictions suprêmes que revient la charge de poser des questions préjudicielles, afin déviter que perdurent ou apparaissent des divergences de jurisprudence entre les États membres et, en particulier, entre les juridictions ordinaires de lÉtat dans lequel elles exercent leurs fonctions.

    76. Lensemble de ces développements démontre combien le rôle des juridictions nationales et, au premier chef, celui des juridictions suprêmes est déterminant dans la mise en oeuvre du droit communautaire et dans la protection des droits qui en découlent pour les particuliers. Ce rôle déterminant implique nécessairement, en contrepartie, ladmission dun principe de la responsabilité de lÉtat du fait des juridictions suprêmes. Afin de sen convaincre encore davantage si besoin il y a il suffit de prendre connaissance de létat du droit interne des États membres à cet égard.

    c) Létat du droit interne des États membres en matière de responsabilité étatique du fait des juridictions

    77. À notre connaissance, tous les États membres admettent le principe de la responsabilité de lÉtat du fait de lactivité juridictionnelle. Tous hormis pour linstant lIrlande admettent ce principe à propos des décisions juridictionnelles proprement dites, dès lors quelles méconnaissent des règles de droit applicables sur leur territoire, en particulier, en cas datteinte à des droits fondamentaux.

    78. Toutefois, la portée de ce principe varie en fonction de la nature de la règle de droit méconnue et/ou de lorigine de la décision juridictionnelle.

    79. Sagissant de la nature de la règle de droit, seuls le Royaume-Uni et le royaume des Pays-Bas limitent clairement le jeu de la responsabilité de lÉtat à lhypothèse dune méconnaissance des règles posées à larticle 5 (en cas de privation de liberté), voire à larticle 6 de la CEDH (concernant les garanties du procès équitable, in procedendo, cest-à-dire au cours de lélaboration de la décision de justice, et non les garanties in iudicando, cest-à-dire celles afférentes au contenu de la décision elle-même).

    80. Tous les autres États membres hormis les Républiques hellénique, portugaise et française qui connaissent une situation évolutive et plus nuancée admettent le principe de la responsabilité de lÉtat quelle que soit la nature de la règle de droit violée.

    81. Sagissant de lorigine de la décision juridictionnelle, seuls la république dAutriche et le royaume de Suède limitent la responsabilité de lÉtat aux décisions émanant des juridictions ordinaires, à lexclusion de celles prononcées par des juridictions suprêmes. La législation suédoise excluant la responsabilité de lÉtat du fait des juridictions suprêmes a, semble-t-il, été inspirée par labsence de juridiction nationale adéquate pour examiner une éventuelle action en responsabilité de ce type. Toutefois, cette exclusion de responsabilité ne joue pas lorsquune décision a été révoquée ou modifiée par la juridiction suprême elle-même.

    82. Il résulte de ces données de droit comparé que, en dépit des divergences existantes à ce jour, le principe de la responsabilité de lÉtat du fait dune décision dune juridiction suprême portant violation dune règle de droit est généralement reconnu par les États membres, ou du moins une forte tendance se dessine en ce sens.

    83. Cette reconnaissance nest pas seulement dorigine normative (constitutionnelle ou législative), mais également dorigine jurisprudentielle. Il est intéressant de signaler que le royaume de Belgique est le seul État membre qui ait reconnu, par la voie jurisprudentielle, le principe général de la responsabilité de lÉtat du fait de son activité juridictionnelle. Ce principe a été posé par un arrêt de la Cour de cassation (Belgique) du 19 décembre 1991, De Keyser , dans le cadre dun litige opposant un particulier à lÉtat belge, à la suite dune décision de justice passée en force de chose jugée, au motif que cette décision a déclaré la faillite doffice dune société, en méconnaissance des principes de publicité et du contradictoire. Cette juridiction suprême a jugé que «les principes de séparation des pouvoirs, de lindépendance du pouvoir judiciaire et des magistrats qui le composent, ainsi que lautorité de la chose jugée nimpliquent pas que lÉtat serait, dune manière générale, soustrait à lobligation, résultant des dispositions légales précitées (articles 1382 et 1383 du code civil), de réparer le dommage causé à autrui par sa faute ou celle de ses organes dans ladministration du service public de la justice, notamment dans laccomplissement des actes qui constituent lobjet direct de la fonction juridictionnelle».

    84. Enfin, il est intéressant dobserver que, en Italie, ce principe de la responsabilité, dorigine normative, a été récemment appliqué par une décision du Tribunale di Roma (Italie) du 28 juin 2001, à un cas où la Corte suprema di cassazione aurait méconnu le droit communautaire .

    85. Il résulte de cette analyse de droit comparé que le principe de la responsabilité de lÉtat du fait des juridictions suprêmes est susceptible dêtre reconnu comme un principe général de droit communautaire. En effet, il ressort dune jurisprudence constante que, pour reconnaître lexistence dun principe général de droit, la Cour nexige pas que la règle figure dans tous les ordres juridiques nationaux. De même, le fait que la portée et les conditions dapplication de la règle varient dun État membre à un autre est sans incidence. La Cour se limite à constater que le principe est généralement reconnu et que, au-delà des diversités, les droits internes des États membres révèlent lexistence de critères communs .

    86. Il résulte de lensemble de ces développements sur la portée du principe de la responsabilité de lÉtat, sur le rôle du juge national et sur létat du droit interne des États membres que le droit communautaire impose à ces derniers une obligation de réparation en cas de violation du droit communautaire du fait dune juridiction suprême. Cette conclusion ne saurait être contredite par les prétendus obstacles invoqués par certaines parties à la présente procédure.

    2. Les obstacles invoqués par certaines parties à la présente procédure ne sont pas de nature à exclure la responsabilité de lÉtat du fait de la méconnaissance du droit communautaire par une juridiction suprême

    87. Plusieurs obstacles ont été avancés par la république dAutriche et par les gouvernements autrichien, français et du Royaume-Uni. Ces obstacles tiendraient à lindépendance de la justice, au rapprochement du régime de responsabilité des États membres avec celui de la Communauté, à lautorité de la chose définitivement jugée et à limpartialité du juge national qui statuerait sur une telle action en responsabilité. Nous examinerons ces divers arguments dans lordre qui vient dêtre indiqué.

    a) Sur lindépendance de la justice

    88. Il importe de rappeler que largument tiré de lindépendance de la justice est dépourvu de pertinence en droit communautaire, comme en droit international. On le sait, en droit international, un État ne peut se prévaloir des particularités de son organisation constitutionnelle pour échapper à lengagement de sa responsabilité. Cette situation nest quune expression particulière du principe général selon lequel «une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution du traité» . Il en résulte que «le comportement dun organe de lÉtat même indépendant du pouvoir exécutif doit être regardé comme un fait de cet État» .

    89. Il en va de même en droit communautaire. En effet, la Cour répète invariablement «quun État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations et délais résultant des directives communautaires» . Elle en conclut, selon une jurisprudence constante, que «la responsabilité dun État membre au regard de larticle 169 est engagée, quel que soit lorgane de lÉtat dont laction ou linaction est à lorigine dun manquement, même sil sagit dune institution constitutionnellement indépendante» .

    90. Au demeurant, on peut se demander si la question de lindépendance de la justice ne devrait pas davantage se poser dans le cadre de linstitution dun régime de responsabilité personnelle des magistrats que dans celui dun régime de responsabilité de lÉtat .

    91. En outre, force est de constater que de telles considérations aussi légitimes soient-elles nont pas fait obstacle, dans bon nombre dÉtats membres, à linstitution dun tel régime de responsabilité étatique.

    b) Sur le parallèle entre le régime de responsabilité des États membres et celui de la Communauté

    92. Il est vrai que la détermination des conditions de fond régissant le régime de la responsabilité des États membres nest pas sans incidence sur celles régissant lengagement de la responsabilité de la Communauté. À cet égard, la jurisprudence de la Cour a connu un mouvement de rapprochement mutuel, qui sest notamment illustré dans larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité , sagissant de la responsabilité des États membres, puis dans larrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission , sagissant de la responsabilité de la Communauté.

    93. Dailleurs, le fonctionnement de la justice communautaire a déjà été mis en cause au motif que le Tribunal aurait méconnu le principe du délai raisonnable . Cette prétention a été examinée par la Cour, en sa qualité de juridiction suprême de lordre juridique communautaire.

    94. Toutefois, on ne saurait en conclure que le régime de la responsabilité des États membres et celui de la Communauté se réduisent à un parallélisme absolu. En effet, en létat actuel du droit communautaire, la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée du fait dune décision de la Cour, dès lors quelle constitue la juridiction suprême de lordre juridique communautaire. Il en irait sans doute différemment, notamment, dans lhypothèse où la Communauté européenne, voire lUnion européenne, adhérerait à la CEDH et accepterait de se soumettre au contrôle juridictionnel de la Cour européenne des droits de lhomme sagissant de la protection des droits fondamentaux dans le cadre de la mise en oeuvre du droit communautaire .

    c) Sur le respect de lautorité de la chose définitivement jugée

    95. Il convient de préciser le sens de cette notion avant de déterminer les conséquences que lon est en droit den tirer.

    96. Res judicata pro veritate habetur: ce qui a été jugé est tenu pour être conforme à la vérité. Ce principe issu du droit romain est reconnu par tous les États membres ainsi que dans lordre juridique communautaire. Il signifie quune décision juridictionnelle par laquelle un litige a été tranché ne peut être remise en cause, sauf par lexercice des voies de recours prévues par la loi. Il en résulte que, en cas dépuisement des voies de recours, une telle décision (revêtue de lautorité de la chose jugée) ne peut plus être remise en cause par lengagement dun même procès (elle acquiert alors force de chose jugée ou autorité de la chose définitivement jugée). Comme lont souligné plusieurs gouvernements, ce principe repose sur la nécessité dassurer la stabilité des rapports juridiques en évitant le renouvellement indéfini des contestations. Il est donc inspiré par une double exigence: de sécurité juridique et de bonne administration de la justice.

    97. Quelle conclusion peut-on en tirer dans le cadre de la mise en oeuvre du droit communautaire? Les États membres sont-ils en droit de se prévaloir du principe de lautorité de la chose définitivement jugée pour sopposer à lengagement dune action en responsabilité contre lÉtat du fait dune décision dune juridiction suprême prise en méconnaissance du droit communautaire? En labsence de réglementation communautaire en la matière, la réponse doit être recherchée sur le terrain de lautonomie procédurale des systèmes nationaux et du nécessaire encadrement qui laccompagne tenant au respect du principe déquivalence et deffectivité.

    98. Tout dabord, il importe de rappeler que, en vertu dune jurisprudence constante, «il appartient, en principe, aux juridictions nationales de vérifier si les modalités procédurales destinées à assurer, en droit interne, la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire [¼ ] sont conformes au principe de léquivalence» , cest-à-dire quelles ne sont pas moins favorables que celles concernant des réclamations semblables de nature interne. En effet, les juridictions nationales sont les mieux placées pour procéder à une telle appréciation dès lors quelle implique une connaissance relativement précise des règles procédurales internes. Néanmoins, la Cour prend généralement le soin de formuler certaines observations sur ce point afin de guider les juridictions nationales dans cet exercice .

    99. Comme on le sait, plusieurs États membres ont admis le droit pour les particuliers dintroduire une action en responsabilité contre lÉtat du fait de la violation dune règle de droit interne par une décision émanant dune juridiction suprême. Conformément au principe déquivalence, ces États membres sont tenus de réserver le même traitement à une action similaire fondée sur le droit communautaire.

    100. En outre, et en tout état de cause, il convient de souligner quaucun État membre nest en droit de conférer au principe de lautorité de la chose définitivement jugée une portée plus étendue à légard des actions en responsabilité fondées sur le droit communautaire quà légard de celles fondées sur son droit interne.

    101. Or, selon une conception traditionnelle dominante, lautorité de la chose jugée et, par voie de conséquence, lautorité de la chose définitivement jugée na vocation à jouer que dans certaines circonstances, lorsquil existe une triple identité dobjet, de cause et de parties entre un litige déjà tranché et un litige survenu ultérieurement. Lautorité de la chose jugée est donc en principe relative et non absolue . En conséquence, force est de constater quun litige tel que le litige au principal ayant pour objet la réparation dun dommage causé par une violation du droit communautaire et mettant en cause lÉtat ne répond pas à cette triple exigence didentité (cumulative et non alternative).

    102. Dailleurs, cest la raison pour laquelle la règle de lautorité de la chose jugée na pas empêché plusieurs États membres dinstituer un régime de responsabilité de lÉtat du fait du contenu des décisions de justice.

    103. Il en résulte que, en vertu du principe déquivalence, les États membres ne sont pas en droit de se prévaloir du principe de lautorité de la chose définitivement jugée pour sopposer a priori à lengagement dune telle action en responsabilité contre lÉtat. Cela est dautant plus vrai au regard du principe deffectivité .

    104. En effet, il importe de rappeler que les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables. Ce principe a été posé par la Cour dans larrêt Francovich e.a., précité , et a été constamment réaffirmé depuis lors, notamment, dans larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité . Les États membres sont donc tenus de ne pas rendre en pratique impossible ou excessivement difficile lexercice du droit à réparation, sagissant dun droit conféré par lordre juridique communautaire. Or, à lévidence, lexclusion dun droit de recours destiné à obtenir réparation tend à nier lexistence dun tel droit et méconnaît donc nécessairement le principe deffectivité qui encadre lautonomie procédurale des États membres.

    105. Il en résulte que le principe de lautorité de la chose définitivement jugée ne saurait sopposer à linstitution dans le chef des États membres dune obligation de réparer les dommages causés par une décision dune juridiction suprême rendue en méconnaissance du droit communautaire .

    106. Cette conclusion simpose à plus forte raison au regard du principe de primauté du droit communautaire. Une règle nationale, comme celle du respect de lautorité de la chose définitivement jugée, ne saurait être opposée à un particulier pour faire échec à une action en réparation fondée sur le droit communautaire.

    d) Sur les garanties dimpartialité du juge national

    107. Nous admettons que lon est légitimement en droit de se demander si le juge national qui aurait à connaître des recours en responsabilité contre lÉtat du fait dune décision émanant dune juridiction suprême présenterait des garanties suffisantes dimpartialité au regard des exigences posées par larticle 6, paragraphe 1, de la CEDH .

    108. En effet, en vertu dune jurisprudence constante, la Cour européenne des droits de lhomme estime que «limpartialité doit sapprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion, et aussi selon une démarche objective amenant à sassurer quil offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime», étant précisé que, «en la matière, les apparences peuvent revêtir de limportance» .

    109. Cela étant, cette question délicate nest sans doute pas inédite pour les États membres qui ont déjà institué un système de responsabilité étatique du fait des juridictions, incluant les juridictions suprêmes.

    110. En outre, comme nous le verrons ultérieurement, il nappartient pas à la Cour de se prononcer sur la détermination des juridictions compétentes en la matière, cette question relevant de manière privilégiée de la sphère dautonomie des États membres.

    111. Enfin, une garantie dimpartialité pourrait être puisée dans les ressources du mécanisme de coopération judiciaire que constitue la procédure de la question préjudicielle. En effet, afin de dissiper tout doute légitime sur son impartialité, on peut imaginer que le juge national fasse le choix de poser une question préjudicielle et donc confie à la Cour le soin dexaminer si la juridiction suprême concernée a effectivement violé le droit communautaire et, si oui, dans quelle mesure. Le recours à un tel procédé présenterait un double avantage puisquil permettrait à la fois de dissiper tout doute légitime sur limpartialité du juge national et déclairer ce dernier dans cet exercice délicat en écartant le risque derreur dans lappréciation dune prétendue erreur.

    112. Dans de telles circonstances, le rôle que la Cour serait invitée à jouer en sa qualité de juridiction internationale indépendante des juridictions nationales pourrait être rapproché de celui de la Cour européenne des droits de lhomme dans le cadre de lexamen des requêtes individuelles. Toutefois, il serait excessif den conclure quune telle situation aboutirait à instituer un ultime droit de recours, cest-à-dire à ériger la Cour en un ultime degré de juridiction. En effet, il ne sagit pas dinstaurer un renvoi préjudiciel automatique, mais plutôt de rappeler lexistence dune possibilité de renvoi. Nous ne voyons pas dans ce type de renvoi préjudiciel autre chose que lexpression dun mécanisme de coopération judiciaire inspiré par une logique de dialogue et de confiance mutuelle de juge à juge.

    113. Cet argument relatif aux garanties dimpartialité du juge national, pas plus que ceux tirés de lindépendance de la justice, du parallèle avec le régime de responsabilité de la Communauté ou de lautorité de la chose définitivement jugée, ne sont de nature à faire obstacle à ladmission du principe de la responsabilité de lÉtat en cas de violation du droit communautaire par une juridiction suprême.

    114. En conséquence, il convient de répondre à la première question préjudicielle que le principe selon lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables est applicable lorsque le manquement reproché est attribué à une juridiction suprême.

    VI Sur les conditions de fond requises pour mettre en oeuvre la responsabilité de lÉtat du fait de la violation du droit communautaire par une juridiction suprême

    115. Avant de formuler des observations à propos du cas despèce, il importe de dessiner les contours du régime de responsabilité de lÉtat du fait dune juridiction suprême.

    A Observations des parties

    116. Les parties qui se sont exprimées sur ce point ont plaidé en faveur dun régime de responsabilité spécifique, restrictif, limité à des cas exceptionnels, voire très exceptionnels.

    117. Selon le gouvernement allemand, lengagement de la responsabilité de lÉtat supposerait que la décision de la juridiction suprême soit objectivement indéfendable et résulte dune violation intentionnelle du droit communautaire.

    118. Selon le gouvernement néerlandais, la responsabilité de lÉtat devrait répondre à lhypothèse dune violation manifeste et grave de lobligation de renvoi préjudiciel, dans le cadre de la préparation de la décision de justice. Il précise quune prétendue violation de lobligation de renvoi devrait être appréciée au regard de la situation existante au moment de ladoption de la décision de justice. Cette conception rejoint en partie celle de M. Köbler.

    119. Selon la Commission, lengagement de la responsabilité de lÉtat devrait être lié à une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire, dans lhypothèse où une juridiction suprême abuserait manifestement de son pouvoir ou méconnaîtrait visiblement le sens et la portée du droit communautaire. Une telle violation recouvrirait, notamment, lhypothèse dun manquement à lobligation de renvoi préjudiciel.

    B Analyse

    120. À ce stade, une question vient immédiatement à lesprit: la détermination des conditions de fond dune telle responsabilité relève-t-elle du droit national ou du droit communautaire?

    121. Nous estimons quun simple renvoi au droit national présenterait de sérieux inconvénients en termes de cohérence dans la protection effective des droits que les justiciables tirent du droit communautaire, au rang desquels figure le droit à réparation. En effet, comme la souligné lavocat général Tesauro dans ses conclusions dans laffaire Brasserie du pêcheur et Factortame, précitée, «un simple renvoi au droit national risquerait davaliser un système discriminatoire, dans la mesure où, pour une même violation, la protection offerte aux ressortissants communautaires serait inégale, voire inexistante pour certains dentre eux» . Il en a tiré la conclusion suivante: «[a]fin quune protection soit assurée dans tous les États membres de manière, sinon tout à fait uniforme, du moins homogène, il est indispensable que ce soit le droit communautaire lui-même qui établisse au moins les conditions minimales qui déterminent le droit à réparation» . Nous ne pouvons que partager ces considérations. Cest à cet exercice que sest livrée la Cour dans larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, sagissant de la responsabilité de lÉtat du fait du législateur, en affinant la jurisprudence Francovich e.a., précitée.

    122. Il convient donc dexaminer à quelles conditions «communautaires» minimales doit répondre la responsabilité de lÉtat du fait de ses juridictions suprêmes. Peut-on se contenter de transposer purement et simplement les conditions qui ont été dégagées par la Cour pour le législateur ou ladministration? Selon nous, une réponse négative simpose compte tenu de la spécificité de la fonction juridictionnelle. Néanmoins, il importe de respecter une certaine cohérence avec les régimes qui ont été définis pour ces deux autres organes de lÉtat et qui ont été appliqués à plusieurs reprises.

    123. Selon une formule devenue usuelle, la Cour a posé le principe selon lequel «un droit à réparation est reconnu par le droit communautaire dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée, enfin, quil existe un lien de causalité direct entre la violation de lobligation qui incombe à lÉtat et le dommage subi par les personnes lésées» . Il importe de déterminer le sens et la portée de ces trois conditions de fond quant à la responsabilité de lÉtat du fait des juridictions suprêmes, étant rappelé quil sagit là de conditions minimales. Elles nexcluent pas que la responsabilité de lÉtat puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit national .

    1. La nature de la règle violée

    124. Il est communément admis que lexigence selon laquelle la règle violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers nimplique pas nécessairement que la règle concernée soit pourvue de leffet direct. Il suffit que cette règle comporte lattribution de droits au profit des particuliers et que le contenu de ces droits soit identifiable avec une précision suffisante (sur la base des dispositions de la règle en question) . Leffet direct de la règle de droit en cause nest pas nécessaire, mais suffisant pour répondre à cette exigence. Selon nous, cette exigence concernant la responsabilité de lÉtat du fait du législateur ou de ladministration est transposable au cas de la responsabilité du fait des juridictions suprêmes.

    125. En outre, nous pensons que la responsabilité de lÉtat du fait dune juridiction suprême ne saurait être limitée au cas dune méconnaissance dune règle supérieure, à lexclusion de toutes les autres. Plusieurs arguments plaident en ce sens.

    126. Tout dabord, la détermination du caractère supérieur dune règle de droit est loin dêtre aisée, en particulier dans un système juridique comme le droit communautaire qui ne connaît pas de hiérarchie des normes .

    127. En outre, à ce jour, cette condition de supériorité de la règle de droit violée qui a été dégagée par la Cour il y a un certain nombre dannées, à propos de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté, a été abandonnée récemment à la faveur de larrêt Bergaderm et Goupil/Commission, précité, de sorte que lon peut aujourdhui parler dun alignement des deux régimes de responsabilité (Communauté-États membres) .

    128. Enfin, eu égard à cette logique de cohérence des régimes de responsabilité, il serait pour le moins singulier dintroduire à présent une telle exigence. En effet, de même que «la protection des droits que les particuliers tirent du droit communautaire ne saurait varier en fonction de la nature nationale ou communautaire de lautorité à lorigine du dommage» , de même devrait-il en être ainsi entre les différents organes de lÉtat, sous réserve de certaines adaptations liées à la fonction spécifique en cause.

    129. Ces précisions sur la nature de la règle de droit communautaire violée étant faites, il convient à présent de déterminer à quelles conditions doit répondre la violation du droit communautaire pour être susceptible de donner lieu à réparation.

    2. La nature de la violation du droit communautaire

    130. Il résulte de larrêt Francovich e.a., précité, que, «[s]i la responsabilité de lÉtat est imposée par le droit communautaire, les conditions dans lesquelles celle-ci ouvre un droit à réparation dépendent de la nature de la violation du droit communautaire qui est à lorigine du dommage causé» .

    131. Cette condition tenant à la nature de la violation en cause a été précisée par la Cour dans larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité. Dans le prolongement de sa jurisprudence concernant les conditions dengagement de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté du fait de son activité normative, elle a distingué les deux hypothèses suivantes.

    132. Premièrement, dans lhypothèse où lÉtat membre en cause, au moment où il a commis linfraction, nétait pas confronté à des choix normatifs et disposait dune marge dappréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir lexistence dune violation suffisamment caractérisée. Cest le cas lorsque le droit communautaire impose au législateur national, dans un domaine régi par le droit communautaire, des obligations de résultat ou des obligations de comportement (comme la transposition dune directive dans un certain délai) ou dabstention. Cette conception large de la responsabilité de lÉtat a été appliquée à plusieurs reprises par la Cour notamment à raison de labsence de transposition dune directive , dune transposition méconnaissant les effets dans le temps dune directive , du refus de ladministration de délivrer une licence dexportation alors que loctroi dune telle délivrance aurait dû être quasi automatique eu égard à lexistence de directives dharmonisation dans le domaine concerné .

    133. Deuxièmement, dans lhypothèse où un État membre agit dans un domaine dans lequel il dispose dun large pouvoir dappréciation, sa responsabilité ne peut être engagée quen cas de violation suffisamment caractérisée, cest-à-dire lorsque, dans lexercice de sa fonction normative, il a méconnu de manière manifeste et grave les limites qui simposent à lexercice de ses pouvoirs .

    134. Toutefois, on peut sinterroger sur la pertinence actuelle dune telle distinction au regard de lévolution récente de la jurisprudence de la Cour en matière de responsabilité de lÉtat du fait du législateur ou de ladministration.

    135. En effet, dans la première hypothèse visée par larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, cest-à-dire lorsque les États membres disposent dune marge dappréciation considérablement réduite, voire inexistante, lappréciation par la Cour de lexistence dune violation suffisamment caractérisée repose de moins en moins sur la constatation dune simple infraction au droit communautaire. Elle se fonde au contraire de plus en plus sur des critères comparables à ceux qui prévalent dans la seconde hypothèse visée par larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, cest-à-dire lorsque les États membres disposent dun large pouvoir dappréciation.

    136. Ainsi, la Cour a jugé qu«une simple infraction au droit communautaire par un État membre peut constituer une violation suffisamment caractérisée, mais ne la constitue pas nécessairement» . Elle a ajouté que, «[p]our déterminer si une telle infraction au droit communautaire constitue une violation suffisamment caractérisée, le juge national saisi dune demande en réparation doit tenir compte de tous les éléments qui caractérisent la situation qui lui est soumise» . Elle a précisé que, «parmi ces éléments, figurent notamment le degré de clarté et de précision de la règle violée , le caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, le caractère excusable ou inexcusable dune éventuelle erreur de droit, la circonstance que les attitudes prises par une institution communautaire ont pu contribuer à ladoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit communautaire» . Il est frappant de constater que ces éléments sont identiques, en tout point, à ceux énoncés par larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, dans une hypothèse où il a été considéré que le législateur disposait dun large pouvoir dappréciation .

    137. Cette jurisprudence a été confirmée par larrêt Larsy, précité , à propos de lallocation par ladministration belge dune pension de retraite à un travailleur indépendant. La Cour a pris soin de préciser que, dans cette affaire, linstitution nationale compétente nétait confrontée à aucun choix normatif .

    138. Dans ces conditions, en létat actuel de la jurisprudence de la Cour, nous estimons quil nest pas nécessaire de déterminer si lÉtat dispose dans lexercice de la fonction juridictionnelle dun large pouvoir dappréciation ou non. En revanche, il importe de déterminer si les éléments posés par la Cour pour évaluer lexistence dune violation suffisamment caractérisée du droit communautaire, imputable au législateur ou à ladministration, peuvent être totalement ou partiellement transposés au cas dune violation imputable à une juridiction suprême.

    139. Selon nous, lélément décisif tient au caractère excusable ou inexcusable de lerreur de droit en cause. Cette qualification peut dépendre soit du degré de clarté et de précision de la règle de droit violée, soit de lexistence ou de létat de la jurisprudence de la Cour en la matière. Plusieurs exemples peuvent être évoqués en ce sens.

    140. Ainsi, la responsabilité de lÉtat est susceptible dêtre engagée, par exemple, dans lhypothèse où une juridiction suprême rendrait une décision contraire à des dispositions de droit communautaire bien que leur sens et leur portée soient évidents. Ce serait le cas lorsque le libellé des dispositions en cause est clair et précis en tous ses éléments et dépourvu dambiguïté, de sorte quil ne laisse finalement la place à aucun travail dinterprétation, mais à son application pure et simple.

    141. La responsabilité de lÉtat est également susceptible dêtre engagée, par exemple, dans lhypothèse où une juridiction suprême rendrait une décision méconnaissant manifestement la jurisprudence de la Cour, telle quelle se présente au jour du prononcé de la décision en cause. En effet, les arrêts rendus par la Cour, en particulier dans le cadre de la procédure de la question préjudicielle, lient nécessairement les juridictions nationales quant à linterprétation des dispositions de droit communautaire . Celles-ci ne peuvent sécarter de la jurisprudence de la Cour. Elles sont uniquement en droit de poser une question préjudicielle afin dobtenir des précisions utiles pour trancher le litige qui leur est soumis .

    142. En revanche, la responsabilité de lÉtat ne saurait être engagée à raison dune décision dune juridiction suprême qui serait contraire à une jurisprudence de la Cour, intervenue postérieurement à son prononcé, alors que cette décision serait conforme à létat de la jurisprudence existante à cette date, à plus forte raison lorsque tout portait à croire que cette jurisprudence était définitivement établie. En effet, dans une telle hypothèse, si erreur il y a, on ne saurait reprocher à la juridiction suprême davoir manqué à une quelconque de ses obligations, car elle sest à juste titre fondée sur la jurisprudence existante au jour où elle a statué. Selon nous, cette analyse nest pas incompatible avec les effets dans le temps des arrêts préjudiciels en interprétation.

    143. On le sait, la Cour a invariablement jugé que linterprétation quelle donne dune disposition de droit communautaire éclaire et précise la signification et la portée de cette règle telle quelle aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur, de sorte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge à des rapports juridiques nés et constitués avant le prononcé de larrêt préjudiciel en interprétation. Mais, selon nous, encore faut-il que de tels rapports juridiques naient pas été définitivement consolidés par une décision de justice, à plus forte raison lorsquil sagit dune décision insusceptible de recours. Si les rapports juridiques en cause ont été définitivement consolidés par une décision dune juridiction suprême, le principe de sécurité juridique soppose à toute mise en cause de la responsabilité de lÉtat de ce chef .

    144. Enfin, selon nous, on ne peut a priori exclure lengagement de la responsabilité de lÉtat du fait de la méconnaissance manifeste par une juridiction suprême de lobligation de renvoi préjudiciel qui pèse sur elle, par exemple, dans le cas où il nexiste pas de jurisprudence de la Cour sur le point de droit en cause à la date du prononcé de sa décision.

    145. À ce jour, la Cour ne sest jamais précisément prononcée à ce sujet .

    146. Comme on le sait, lobligation de renvoi préjudiciel est fondamentale. Elle participe largement à la garantie de lapplication uniforme du droit communautaire ainsi quà celle de la protection effective des droits que les particuliers tirent de lordre juridique communautaire. Ces considérations étaient bien présentes à lesprit de la Cour lorsquelle a déterminé, dans larrêt Cilfit e.a., précité , la portée de lobligation de renvoi posée par le traité.

    147. En outre, lobligation de renvoi préjudiciel tend à sinscrire dans la logique du «droit au juge». En effet, en vertu dune jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de lhomme, «si le droit de saisir la Cour par voie de question préjudicielle nest pas absolu [¼ ], il nest pas exclu que, dans certaines circonstances, le refus opposé par une juridiction nationale, appelée à se prononcer en dernière instance, puisse porter atteinte au principe déquité de la procédure, tel quénoncé à larticle 6, paragraphe [1], de la convention, en particulier lorsquun tel refus apparaît comme entaché darbitraire» . Dailleurs, comme cela a été indiqué à laudience, ce corollaire du «droit au juge» trouve une expression particulière en Allemagne .

    148. Dans ces conditions, il est logique et raisonnable de considérer que le manquement manifeste à une obligation de renvoi de la part dune juridiction suprême est, en soi, susceptible dengager la responsabilité de lÉtat.

    149. Toutefois, dans de telles circonstances, la mise en cause de la responsabilité de lÉtat risque de se heurter à certaines difficultés pour rapporter la preuve dun lien de causalité direct entre le manquement à lobligation de renvoi et le préjudice allégué. En effet, cette preuve du lien de causalité suppose que le particulier soit en mesure détablir que labsence de renvoi lui a nécessairement causé un préjudice, réel et certain, et non hypothétique, qui ne serait pas survenu si la juridiction suprême avait décidé de poser une question préjudicielle.

    150. Cette preuve sera sans doute relativement facile à établir sagissant dun préjudice purement moral, qui tiendrait par exemple à la perte dune chance de voir ses prétentions aboutir .

    151. Tel ne sera vraisemblablement pas le cas sagissant dun préjudice matériel. En effet, la preuve du lien de causalité entre un tel préjudice et le manquement à lobligation de renvoi suppose que le particulier prétendument lésé établisse que la décision de la juridiction suprême aurait été conforme à ses prétentions si cette dernière avait effectivement posé une question préjudicielle. Sauf à ce que la Cour prononce un arrêt sur le point de droit concerné, peu de temps après le prononcé de la décision de la juridiction suprême, et que cet arrêt conforte ce particulier dans ses prétentions, il est difficile dimaginer comment la preuve dun tel lien de causalité pourrait être rapportée.

    152. Selon nous, il serait excessif dimposer au juge national, qui serait saisi dune demande en réparation dun prétendu dommage matériel, de poser une question préjudicielle à la Cour afin de connaître la réponse quelle aurait été susceptible de donner dans lhypothèse où elle aurait été effectivement saisie dune telle question.

    153. Ces développements et les exemples qui ont été donnés démontrent que, pour apprécier si une juridiction suprême a commis une violation suffisamment caractérisée susceptible dengager la responsabilité de lÉtat, il importe de rechercher si cette juridiction a commis une erreur de droit excusable ou inexcusable.

    154. Selon nous, dans le cadre de cet exercice, il nest ni nécessaire ni opportun de porter une attention particulière à des éléments tels que lattitude des institutions communautaires ou le caractère intentionnel ou involontaire de la violation du droit communautaire.

    155. Sagissant de lattitude des institutions communautaires (du moins celle de la Commission), contrairement à ce qui est le cas pour la responsabilité de lÉtat du fait du législateur ou de ladministration, il est difficile dadmettre que cet élément est pertinent pour apprécier si la responsabilité de lÉtat est engagée du fait dune juridiction suprême. En effet, les juridictions suprêmes ne sont pas les mieux placées pour avoir connaissance de lattitude de la Commission, telle que lengagement dune procédure en manquement par la Commission qui mettrait en cause, par exemple, la conformité de dispositions de droit interne avec le droit communautaire.

    156. Sagissant du caractère intentionnel ou involontaire de la violation du droit communautaire, force est de reconnaître quil serait particulièrement difficile de se prononcer sur lexistence dun élément subjectif, à plus forte raison dans lhypothèse fort probable où la décision de justice en cause émanerait dune formation collégiale. Au demeurant, à notre avis, il serait délicat de demander à un juge national de rechercher si un de ses collègues a été inspiré par lintention malveillante de violer une règle de droit.

    3. Le lien de causalité direct entre la violation de lobligation qui incombe à lÉtat et le dommage subi par les personnes lésées

    157. Cet aspect a déjà été abordé à propos du manquement à lobligation de renvoi préjudiciel. Il suffit quil existe un lien de causalité direct entre la violation concernée et un dommage réel et certain, de nature patrimoniale ou morale.

    158. En conséquence, il convient dindiquer à la juridiction de renvoi que, lorsquune violation du droit communautaire par un État membre est imputable à une juridiction suprême, les particuliers lésés ont droit à réparation, dès lors que la règle de droit communautaire violée a pour objet de leur conférer des droits, que la violation est suffisamment caractérisée et quil existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers. Sous cette réserve, cest dans le cadre du droit national de la responsabilité quil incombe à lÉtat de réparer les conséquences du préjudice causé par la violation du droit communautaire qui lui est imputable, étant entendu que les conditions fixées en droit national ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne ni aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile lobtention de la réparation.

    VII Sur la détermination de la juridiction compétente pour apprécier le bien-fondé de laction en réparation

    159. Ce point concerne à la fois la détermination de la juridiction nationale compétente et le rôle respectif de la juridiction nationale et de la Cour pour apprécier le bien-fondé dune action en réparation intentée contre lÉtat à raison de sa responsabilité du fait dune juridiction suprême.

    A Sur la détermination de la juridiction nationale compétente

    160. Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si les États membres demeurent libres de désigner la juridiction nationale compétente pour examiner une action en réparation intentée contre lÉtat à raison de sa responsabilité du fait dune juridiction suprême.

    161. Il importe de rappeler que, en vertu dune jurisprudence constante, «il appartient à lordre juridique de chaque État membre de désigner la juridiction compétente pour trancher les litiges qui mettent en cause des droits individuels, dérivés de lordre juridique communautaire, étant entendu cependant que les États membres portent la responsabilité dassurer, dans chaque cas, une protection effective à ces droits» . La Cour en a conclu que, «[s]ous cette réserve, il nappartient pas à la Cour dintervenir dans la solution des problèmes de compétence [¼ ] au plan de lorganisation judiciaire nationale» .

    162. En réponse à la question de la juridiction de renvoi sur ce point, il importe de préciser que ce principe dautonomie institutionnelle, sous réserve dassurer une protection juridictionnelle effective, a également vocation à sappliquer aux éventuelles actions en réparation engagées par les particuliers contre les États membres à raison de leur responsabilité du fait dune juridiction suprême.

    B Sur le rôle respectif de la Cour et des juridictions nationales pour apprécier le bien-fondé de laction en réparation

    163. Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, sil lui appartient dapprécier en lespèce le bien-fondé de laction en réparation ou si cette tâche revient à la Cour.

    164. Il importe de rappeler que, dans larrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, la Cour a jugé quelle «ne saurait substituer son appréciation à celles des juridictions nationales, seules compétentes pour établir les faits des affaires au principal et pour caractériser les violations du droit communautaire en cause» . Néanmoins, elle «[a] estimé [¼ ] utile de rappeler certaines circonstances dont les juridictions nationales pourraient tenir compte» . Cette jurisprudence a été confirmée à plusieurs reprises . Elle sapplique pleinement dans le cas dune action mettant en cause la responsabilité de lÉtat du fait de la violation du droit communautaire par une juridiction suprême. Nous nous contenterons donc de formuler quelques observations sur le cas despèce.

    VIII Sur le cas despèce

    165. Par ses troisième et quatrième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si, en lespèce, les conditions de fond pour retenir la responsabilité de lÉtat sont remplies.

    166. À titre liminaire, il convient de rappeler que la règle de droit prétendument violée, à savoir larticle 48 du traité, est deffet direct et a donc nécessairement pour objet de conférer des droits aux particuliers . Cet article énonce, en son paragraphe 1, le principe de la libre circulation des travailleurs. Cette liberté implique notamment, aux termes de son paragraphe 2, labolition de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des États membres en ce qui concerne lemploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Ces règles du traité ont été mises en oeuvre et explicitées par le règlement n° 1612/68.

    167. En outre, il convient de préciser que la Cour a jugé que le principe de non-discrimination, posé à larticle 39, paragraphe 2, CE et mis en oeuvre par le règlement n° 1612/68, sapplique à «tout ressortissant communautaire, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui a fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs et qui a exercé une activité professionnelle dans un autre État membre» . En conséquence, selon la Cour, le fait que le particulier qui se prévaut du principe de non-discrimination est un ressortissant de lÉtat membre en cause, et non dun autre État membre, est sans incidence sur lapplication dun tel principe . En vertu de cette jurisprudence, M. Köbler était donc en droit de se prévaloir du principe de non-discrimination des travailleurs, posé par larticle 39, paragraphe 2, CE.

    168. En outre, en vertu dune jurisprudence constante, ce principe prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application dautres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat . Dans larrêt OFlynn, précité, la Cour a précisé que «doivent être regardées comme indirectement discriminatoires les conditions de droit national qui, bien quindistinctement applicables selon la nationalité, affectent essentiellement [¼ ] ou dans leur grande majorité les travailleurs migrants [¼ ], ainsi que les conditions indistinctement applicables qui peuvent être plus facilement remplies par les travailleurs nationaux que par les travailleurs migrants [¼ ] ou encore qui risquent de jouer, en particulier, au détriment des travailleurs migrants» .

    169. Au regard de ces données jurisprudentielles, tel est manifestement le cas de la condition doctroi de lindemnité spéciale dancienneté tenant à lacquisition de quinze ans dancienneté de professorat dans les universités exclusivement autrichiennes. En effet, force est de constater que cette condition risque de jouer, en particulier au détriment des travailleurs migrants, cest-à-dire au détriment des travailleurs qui ont exercé leur droit à la libre circulation. Cest le cas de ceux qui, comme M. Köbler, ont quitté leur État membre dorigine pour aller travailler dans un autre État membre et qui y reviennent ensuite pour poursuivre leur carrière.

    170. Selon nous, il est difficile dadmettre que le Verwaltungsgerichtshof a commis une erreur excusable en jugeant que lexigence dune telle condition, indirectement discriminatoire, était raisonnablement justifiée par la volonté de récompenser la fidélité dun employé à légard de son employeur.

    171. En effet, à supposer que cette prétendue justification ait eu vocation à sappliquer en lespèce, au motif que les universités autrichiennes relèveraient dun employeur unique, contrairement à ce qui était le cas dans laffaire Schöning-Kougebetopoulou, précitée, la juridiction suprême aurait dû vérifier si la condition dancienneté en cause était proportionnée à un tel objectif. Nous rappelons que la Cour a maintes fois souligné cette exigence générale de proportionnalité . Elle a également pris soin de la rappeler au point 21 de larrêt Schöning-Kougebetopoulou, précité, quelle a transmis à la juridiction suprême à la suite de son ordonnance de renvoi, même si, dans cette affaire, la Cour a jugé que la prétendue justification tirée de la récompense de la fidélité entre un employé et un employeur déterminé était dénuée de pertinence. Dans cette affaire, il nétait donc pas nécessaire, pour résoudre le litige au principal, dexaminer le rapport de proportionnalité entre la condition dancienneté en cause et une telle justification .

    172. En lespèce, on peut regretter que le Verwaltungsgerichtshof nait pas procédé à la vérification du respect du principe de proportionnalité. En effet, il est difficile de considérer que la condition dancienneté en cause soit proportionnée à une éventuelle justification de ce type. Elle va, sans aucun doute, au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lobjectif invoqué .

    173. En outre, cette juridiction suprême aurait dû maintenir sa question préjudicielle, quitte à la compléter afin dobtenir certaines précisions sur la portée de larrêt Schöning-Kougebetopoulou, précité. En effet, si lon sen tient à la jurisprudence Cilfit e.a., précitée, il est difficile de considérer que cette dernière était effectivement convaincue, dune part, que lapplication supposée correcte du droit communautaire simposait avec une telle évidence quelle ne laissait place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre le point de droit en cause et que, dautre part, cette évidence simposerait à la fois aux juridictions des autres États membres et à la Cour .

    174. En conséquence, il convient de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi que larticle 39 CE doit être interprété comme ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Dans des circonstances telles que celles du litige au principal, on peut considérer que lerreur commise par le Verwaltungsgerichtshof sur le sens et la portée de cet article du traité est inexcusable, et donc susceptible dengager la responsabilité de lÉtat.

    IX Conclusion

    175. Eu égard à lensemble de ces considérations, nous proposons à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien de la manière suivante:

    «1) Le principe selon lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables est applicable lorsque le manquement reproché est attribué à une juridiction suprême.

    2) Lorsquune violation du droit communautaire par un État membre est imputable à une juridiction suprême, les particuliers lésés ont droit à réparation, dès lors que la règle de droit communautaire violée a pour objet de leur conférer des droits, que la violation est suffisamment caractérisée et quil existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers. Sous cette réserve, cest dans le cadre du droit national de la responsabilité quil incombe à lÉtat de réparer les conséquences du préjudice causé par la violation du droit communautaire qui leur est imputable, étant entendu que les conditions fixées en droit national ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne ni aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile lobtention de la réparation.

    3) Le principe selon lequel il appartient à lordre juridique de chaque État membre de désigner la juridiction compétente pour trancher les litiges qui mettent en cause des droits individuels dérivés de lordre juridique communautaire, sous réserve dassurer une protection juridictionnelle effective, est applicable aux actions en réparation engagées par les particuliers contre un État membre en raison dune prétendue violation du droit communautaire du fait dune juridiction suprême.

    4) Les juridictions nationales sont seules compétentes pour apprécier si les conditions de fond pour retenir la responsabilité de lÉtat du fait dune juridiction suprême sont remplies, en particulier pour déterminer le caractère excusable ou inexcusable de lerreur de droit à lorigine de la violation du droit communautaire en cause. Dans le cadre de cet exercice, elles peuvent tenir compte des observations formulées par la Cour à cet égard.

    5) Larticle 39 CE doit être interprété comme ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Dans des circonstances telles que celles du litige au principal, on peut considérer que lerreur commise par la juridiction suprême concernée sur le sens et la portée de cet article du traité est inexcusable et, donc, susceptible dengager la responsabilité de lÉtat.»

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