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Document 62001CC0215(01)

Conclusions de l'avocat général présentées le 3 avril 2003.
Bruno Schnitzer.
Demande de décision préjudicielle: Amtsgericht Augsburg - Allemagne.
Libre prestation des services - Directive 64/427/CEE - Services artisanaux de crépissage - Réglementation nationale exigeant l'inscription des entreprises artisanales étrangères au registre des métiers - Proportionnalité.
Affaire C-215/01.

Recueil de jurisprudence 2003 I-14847

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2003:194

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN MISCHO

présentées le 3 avril 2003 ( 1 )

I — Introduction

1.

Le litige au principal oppose la Staatsanwaltschaft Augsburg beim Amtsgericht Augsburg (Allemagne) à M. Bruno Schnitzer auquel il est reproché d'avoir commis des infractions à la législation allemande relative à la lutte contre le travail au noir. M. Schnitzer avait chargé une entreprise portugaise d'effectuer en Allemagne des travaux de crépissage de grande ampleur, ce que celle-ci a fait sans être inscrite au registre des métiers allemand.

2.

Saisie par l'Amtsgericht Augsburg d'une question préjudicielle sur l'interprétation des articles 49 CE, 50 CE, 54 CE et 55 CE ainsi que de la directive 64/427/CEE du Conseil, du 7 juillet 1964, relative aux modalités des mesures transitoires dans le domaine des activités non salariées de transformation relevant des classes 23 — 40 C.I.T.I. (industrie et artisanat) ( 2 ), la Cour avait décidé, dans un premier stade, de statuer sans audience de plaidoiries. Aucune des parties au litige au principal n'avait, en effet, demandé la tenue d'une telle audience.

3.

Le 17 septembre 2002, j'ai présenté mes conclusions dans la présente affaire.

4.

Par une ordonnance du 10 janvier 2003, la Cour a décidé de rouvrir la procédure orale au motif qu'il ne pouvait pas être exclu que M. Schnitzer n'avait pas reçu communication des observations écrites déposées dans cette affaire ainsi que l'invitation à faire savoir s'il demandait, conformément à l'article 104, paragraphe 4, du règlement de procédure, à être entendu en ses observations orales.

5.

Une audience de plaidoiries a eu lieu le 27 février 2003.

6.

Au cours de celle-ci, l'avocat de M. Schnitzer a développé une série d'arguments ayant trait au manque de clarté de la réglementation relative au registre des métiers et à l'incompatibilité de celle-ci avec la Constitution allemande. La Cour devra, cependant, se limiter à interpréter les dispositions pertinentes du droit communautaire.

II — Analyse

7.

Rappelons que la juridiction nationale nous demande s'il est «compatible avec le droit communautaire en matière de libre prestation des services ( 3 ) qu'une entreprise portugaise, qui remplit au Portugal les conditions pour exercer une activité professionnelle, doive remplir d'autres conditions — même purement formelles — [en l'occurrence, une inscription au registre des métiers (Handwerksrolle)], pour pouvoir exercer cette activité en Allemagne, non seulement à court terme mais également pour une longue période».

8.

À l'occasion de l'audience de plaidoiries, des précisions ont été apportées par l'avocat de M. Schnitzer quant à la manière dont la réglementation litigieuse est appliquée en Allemagne. Il en résulte que, depuis l'arrêt Corsten ( 4 ), l'inscription au registre des métiers est gratuite. Par ailleurs, les délais qui peuvent s'écouler avant que l'inscription ne soit effective, s'expliquent par le fait que les prestataires de services ne sont pas toujours à même de fournir immédiatement la preuve de ce qu'ils ont exercé le métier en question pendant six années consécutives, à titre indépendant ou en qualité de dirigeant chargé de la gestion de l'entreprise. Or, il s'agit là d'une condition établie par l'article 3 de la directive 64/427, applicable au moment des faits.

9.

Ce n'est donc pas l'obligation d'inscription au registre des métiers qui constitue la cause des retards en question.

10.

Or, dans mes conclusions du 17 septembre 2002, j'avais exprimé l'opinion que les dispositions pertinentes du traité CE et de la directive 64/427 ne s'opposent pas à l'exigence d'une inscription au registre des métiers lorsque celle-ci n'est pas de nature à retarder ou compliquer l'exercice du droit à la libre prestation des services et qu'elle n'entraîne ni des frais administratifs supplémentaires ni le versement obligatoire des cotisations à la chambre des métiers.

11.

Il ne saurait être nié, en effet, que la vérification des conditions d'expérience professionnelle posées par la directive en ce qui concerne les artisans qui ne sont pas titulaires d'un diplôme professionnel est parfaitement légitime.

12.

Quant à l'exigence d'une inscription au registre des métiers, la Cour a constaté, au point 38 de l'arrêt Corsten, précité, que l'objectif de cette inscription est de garantir la qualité des travaux d'artisanat exécutés et de protéger les destinataires de ceux-ci.

13.

La Cour a également admis que ceci constituait une raison impérieuse d'intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre prestation des services, et que l'exigence en question semblait propre à assurer l'objectif visé.

14.

Reste donc la question de savoir si l'inscription à ce registre va ou non au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi.

15.

Or, lorsque ladite inscription n'entraîne, en elle-même, pas un retard supplémentaire digne d'être relevé (nennenswerte Verzögerung), venant s'ajouter aux délais nécessaires pour la vérification des conditions d'expérience professionnelle, ni des frais administratifs, elle ne peut pas être considérée comme allant au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi.

16.

Je maintiens, dès lors, le premier point de la réponse que j'avais proposé de donner à la question préjudicielle.

17.

Au cours de l'audience de plaidoiries, le débat a également porté sur la question de savoir à partir de quel moment on était en présence d'un établissement dans le pays d'accueil.

18.

À cet égard, j'avais indiqué, au point 65 de mes conclusions du 17 septembre 2002, qu'il appartient au juge de renvoi de vérifier, «eu égard à la durée, à la fréquence, à la périodicité et à la continuité des activités [de la firme portugaise], si cette dernière exerce son activité en Allemagne à titre temporaire au sens du traité» ( 5 ). S'il apparaissait que, à partir d'un certain moment, cette activité avait perdu ce caractère temporaire, ou qu'elle était entièrement ou principalement tournée vers le territoire allemand, l'exigence de l'inscription au registre des métiers (y compris celle du paiement des cotisations à la chambre des métiers) jouerait sans restriction.

19.

La Commission des Communautés européennes a signalé qu'elle avait adopté, en date du 7 mars 2002, une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles [COM (2002) 119 final].

20.

L'article 5, paragraphe 2, de cette proposition de directive prévoit que «dans le cas où le prestataire se déplace sur le territoire de l'État membre d'accueil, est présumé constituer une ‘prestation de services’ l'exercice d'une activité professionnelle pour une durée n'excédant pas seize semaines par an dans un État membre par un professionnel établi dans un autre État membre. La présomption visée au premier alinéa ne préjuge pas d'une appréciation au cas par cas, notamment à la lumière de la durée de la prestation, de sa fréquence, de sa périodicité et de sa continuité.»

21.

Cette proposition de directive montre qu'il existe un besoin, et la Commission a fortement insisté sur ce point pendant l'audience de plaidoiries, de tracer une ligne de séparation plus claire entre la libre prestation des services et l'établissement, de telle façon que des prestataires de services potentiels sachent à quoi s'en tenir avant d'entamer leurs activités dans un autre État membre.

22.

En l'espèce, l'entreprise portugaise qui a travaillé pour M. Schnitzer aurait, selon la juridiction de renvoi, effectué des travaux de crépissage de grande ampleur en Bavière méridionale, entre novembre 1994 et novembre 1997. Si cette activité s'est poursuivie de manière continue, ladite société aurait donc dépassé très largement la durée de seize semaines figurant dans la proposition de directive de la Commission.

23.

Il appartient, en tout état de cause, à la juridiction nationale d'établir sur la base de tous les critères disponibles, et, notamment, de ceux exposés au point 24 de mes conclusions du 17 septembre 2002, s'il s'agit, en l'espèce, d'un cas d'établissement.

24.

Tout ceci m'incite à confirmer également le deuxième point de la proposition de réponse que j'avais faite à la question préjudicielle, dans mes conclusions du 17 septembre 2002, à savoir que, «lorsque les activités de la personne ou de l'entreprise sur le territoire de l'État membre d'accueil se sont prolongées sur une longue durée, de manière pratiquement continue, [...] sur la base de toute une série de contrats, il appartient au juge compétent de déterminer à partir de quel moment la situation doit être assimilée à un établissement et, dès lors, donner lieu au versement de cotisations à la chambre des métiers».

25.

À l'audience comme dans ses observations écrites, la Commission a également abordé le problème de la sévérité des sanctions applicables en Allemagne. À cet égard, c'est à la juridiction nationale qu'il appartient d'apprécier si une entreprise, à propos de laquelle l'examen des conditions d'accès aux activités concernées, prévues par la directive 64/427, a été effectué et a donné lieu à une réponse positive formelle, mais qui n'a pas été inscrite au registre des métiers, même après une activité assez longue, peut être soumise à des sanctions aussi sévères, pour «travail au noir», qu'une société qui ne se serait pas soumise à ce conditions d'expérience professionnelle contrôle ou qui ne remplirait même pas les requises.

III — Conclusion

26.

Pour les raisons exposées ci-dessus, je maintiens les conclusions auxquelles j'étais parvenu le 17 septembre 2002 et qui étaient les suivantes:

«1)

Les articles 49 CE, 50 CE, 54 CE et 55 CE ainsi que l'article 4 de la directive 64/427/CEE du Conseil, du 7 juillet 1964, relative aux modalités des mesures transitoires dans le domaine des activités non salariées de transformation relevant des classes 23 — 40 C.I.T.I. (industrie et artisanat), ne s'opposent pas à une réglementation d'un État membre qui subordonne l'accomplissement, sur son territoire, d'activités artisanales par des prestataires de services établis dans d'autres États membres, en plus de l'examen des conditions d'accès aux activités concernées, à l'exigence d'une inscription au registre des métiers lorsque celle-ci n'est pas de nature à retarder ou compliquer l'exercice du droit à la libre prestation des services et qu'elle n'entraîne ni des frais administratifs supplémentaires ni le versement obligatoire de cotisations à la chambre des métiers.

2)

Lorsque les activités de la personne ou de l'entreprise sur le territoire de l'État membre d'accueil se sont prolongées sur une longue durée, de manière pratiquement continue et sur la base de toute une série de contrats, il appartient au juge compétent de déterminer à partir de quel moment la situation doit être assimilée à un établissement et, dès lors, donner lieu au versement de cotisations à la chambre des métiers.»


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) JO 1964, 117, p. 1863.

( 3 ) Souligné par l'auteur.

( 4 ) Arrêt du 3 octobre 2000 (C-58/98, Rec. p. I-7919).

( 5 ) Voir arrêt du 12 décembre 1996, Reisebüro Broede (C-3/95, Rec. p. I-6511, point 22).

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