Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62001CC0104

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 12 novembre 2002.
Libertel Groep BV contre Benelux-Merkenbureau.
Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas.
Marques - Rapprochement des législations - Directive 89/104/CEE - Signes susceptibles de constituer une marque - Caractère distinctif - Couleur en elle-même - Couleur orange.
Affaire C-104/01.

Recueil de jurisprudence 2003 I-03793

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2002:650

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 12 novembre 2002 ( 1 )

1. 

Une couleur en elle-même, sans forme ni contour, peut-elle constituer une marque au sens de la première directive 89/104/CEE du Conseil ( 2 ), pour certains produits et services et, dans l'affirmative, à quelles conditions? Telles sont, en substance, les questions posées par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas) dans la présente affaire.

I — Le cadre juridique

2.

Le cadre juridique pertinent comprend la convention d'union de Paris pour la protection de la propriété industrielle ( 3 ), la législation communautaire et la loi uniforme Benelux sur les marques.

A — La convention de Paris

3.

La convention de Paris, à laquelle tous les États membres ont adhéré, constitue l'instrument de base des règles internationales régissant la propriété industrielle.

4.

Elle ne contient pas de définition des signes susceptibles de constituer une marque.

5.

À l'article 6 quinquies, A, elle prévoit que toute marque de fabrique ou de commerce régulièrement enregistrée dans le pays d'origine sera admise au dépôt et protégée telle quelle dans les autres pays ayant adhéré à cette convention, sous les réserves indiquées dans cet article. À l'article 6 quinquies, B, sous 2), elle énonce que sont refusées à l'enregistrement les marques qui sont dépourvues de tout caractère distinctif, ou bien composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine des produits ou l'époque de production, ou devenus usuels dans le langage courant ou les habitudes loyales et constantes du commerce du pays où la protection est réclamée.

6.

Selon l'article 6 quinquies, C, pour apprécier si la marque est susceptible de protection, il doit être tenu compte de tqutes les circonstances de fait, notamment de la durée de l'usage de la marque.

B — La législation communautaire

7.

La législation communautaire comprend la directive et le règlement (CE) n° 40/94 du Conseil ( 4 ).

1) La directive

8.

La directive a été adoptée par le Conseil afin de supprimer les disparités entre les législations des États membres sur les marques susceptibles de fausser les conditions de concurrence dans le marché commun. Elle vise le rapprochement des dispositions de ces législations ayant l'incidence la plus directe sur le fonctionnement du marché intérieur ( 5 ). Elle ne porte que sur les dispositions relatives aux marques acquises par l'enregistrement ( 6 ).

9.

La directive prévoit ainsi à quelles conditions un signe peut être enregistré comme marque ( 7 ). Son article 2, intitulé «Signes susceptibles de constituer une marque», dispose:

«Peuvent constituer des marques tous les signes susceptibles d'une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises.»

10.

L'article 3 de la directive, consacré aux motifs de refus ou de nullité, est rédigé comme suit:

«1.

Sont refusés à l'enregistrement ou susceptibles d'être déclarés nuls s'ils sont enregistrés:

a)

les signes qui ne peuvent constituer une marque;

b)

les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif;

c)

les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit ou de la prestation de service, ou d'autres caractéristiques de ceux-ci;

d)

les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce;

e)

les signes constitués exclusivement:

par la forme imposée par la nature même du produit,

par la forme du produit nécessaire à l'obtention d'un résultat technique,

par la forme qui donne une valeur substantielle au produit;

[...]

3.

Une marque n'est pas refusée à l'enregistrement ou, si elle est enregistrée, n'est pas susceptible d'être déclarée nulle en application du paragraphe 1 points b), c) ou d) si, avant la date de la demande d'enregistrement et après l'usage qui en a été fait, elle a acquis un caractère distinctif. En outre, les États membres peuvent prévoir que la présente disposition s'applique également lorsque le caractère distincţii a été acquis après la demande d'enregistrement ou après l'enregistrement.»

11.

Selon l'article 4 de la directive, une marque peut également être refusée à l'enregistrement, ou déclarée nulle si elle a été enregistrée, si elle est identique à une marque antérieure ou si elle présente avec celle-ci un risque de confusion, pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée.

12.

Aux fins de garantir la fonction d'origine de la marque, la directive définit ensuite la protection dont les marques enregistrées jouissent dans les États membres ( 8 ). Son article 5 prévoit:

«1.

La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

a)

d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci a été enregistrée;

b)

d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque.

2.

Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans l'État membre et que l'usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.»

13.

Toutefois, la directive n'exclut pas l'application aux marques des dispositions du droit des États membres, autres que le droit des marques, telles que les dispositions relatives à la concurrence déloyale, à la responsabilité civile ou à la protection des consommateurs ( 9 ). Ainsi, la directive prévoit, à son article 5, paragraphe 5:

«Les paragraphes 1 à 4 n'affectent pas les dispositions applicables dans un État membre et relatives à la protection contre l'usage qui est fait d'un signe à des fins autres que celle de distinguer les produits ou services, lorsque l'usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.»

14.

Les marques enregistrées doivent toutefois être utilisées sous peine de déchéance ( 10 ). Selon l'article 10 de la directive, cette déchéance intervient si, dans un délai de cinq ans, la marque n'a pas fait l'objet par le titulaire d'un usage sérieux. Aux termes de l'article 10, paragraphe 2, sous a), est considéré comme un usage sérieux «l'usage de la marque sous une forme qui diffère par des éléments n'altérant pas son caractère distinctif dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée».

2) Le règlement

15.

Comme la directive, le règlement a pour objet l'élimination des obstacles à la libre circulation des marchandises et à la libre prestation des services ainsi que l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée ( 11 ). Il prévoit la création d'une marque protégée et produisant ses effets sur l'ensemble du territoire des États membres de la Communauté, sans remettre en cause le droit des marques de ces États.

16.

Les dispositions du règlement relatives à l'acquisition des droits sur la marque et aux effets de la marque sont rédigées dans les mêmes termes que celles de la directive. Ainsi, l'article 4 reprend les dispositions de l'article 2 de la directive en ce qui concerne les signes susceptibles de constituer une marque communautaire, l'article 7, celles de l'article 3, précitées, relatives aux motifs de refus d'enregistrement et l'article 9, celles de l'article 5, précitées, sur les droits conférés par la marque. De même, la marque communautaire n'est protégée que dans la mesure où elle est utilisée. L'article 15 du règlement reprend les dispositions de l'article 10 de la directive, précitées, relatives à l'usage de la marque.

C — La loi uniforme Benelux sur les marques

17.

Les trois États membres de l'Union économique Benelux ont consigné leur droit des marques dans une loi commune, la loi uniforme Benelux sur les marques ( 12 ). Celle-ci a été modifiée, avec effet au 1er janvier 1996, par un protocole, signé à Bruxelles le 2 décembre 1992, qui visait à assurer la transposition de la directive pourles trois pays du Benelux ( 13 ).

18.

L'article 1er de la LBM dispose:

«Sont considérées comme marques individuelles les dénominations, dessins, empreintes, cachets, lettres, chiffres, formes de produits ou de conditionnement et tous autres signes servant à distinguer les produits d'une entreprise.

Toutefois, ne peuvent être considérées comme marques les formes qui sont imposées par la nature même du produit, qui affectent sa valeur essentielle ou qui produisent des résultats industriels.»

19.

L'article 6 bis de la LBM prévoit:

«1.

Le bureau Benelux des marques refuse d'enregistrer un dépôt lorsqu'il considère que:

a.

le signe déposé ne constitue pas une marque au sens de l'article 1er, notamment pour défaut de tout caractère distinctif comme prévu à l'article 6 quinquies, B, sous 2, de la convention de Paris;

[...]

3.

Le bureau Benelux informe le déposant sans délai et par écrit de son intention de refuser l'enregistrement en tout ou en partie, lui en indique les motifs et lui donne la faculté d'y répondre dans un délai à fixer par règlement d'exécution.

4.

Si les objections du bureau Benelux contre l'enregistrement n'ont pas été levées dans le délai imparti, l'enregistrement du dépôt est refusé en tout ou en partie. Le Bureau Benelux informe le déposant sans délai et par écrit en indiquant les motifs du refus et en mentionnant la voie de recours contre cette décision, visée à l'article 6 ter.

5.

Le refus d'enregistrer le dépôt pour tous les produits ou pour une partie des produits entrarne la nullité totale ou partielle du dépôt. Cette nullité ne produit pas ses effets avant que ne soit expiré, sans être utilisé, le délai de recours visé à l'article 6 ter ou que n'ait été rejetée irrévocablement la demande d'ordonner l'enregistrement.»

20.

L'article 6 ter de la LBM est rédigé comme suit:

«Le déposant peut, dans les deux mois qui suivent la communication visée à l'article 6 bis, quatrième alinéa, introduire devant la Cour d'appel de Bruxelles, le Gerechtshof de La Haye ou la Cour d'appel de Luxembourg une requête tendant à obtenir un ordre d'enregistrement du dépôt. [...] La Cour territorialement compétente se détermine par l'adresse du déposant, l'adresse du mandataire ou l'adresse postale, mentionnée lors du dépôt.»

II — Faits et procédure

21.

Le 27 août 1996, Libertei Groep BV ( 14 ) a demandé au bureau Benelux des marques ( 15 ) l'enregistrement de la couleur orange.

22.

Cette demande était formalisée dans le bordereau de dépôt par une surface unie colorée en orange dans l'espace réservé à la représentation du signe. Dans la rubrique permettant d'indiquer, notamment, la couleur de ce signe, il était mentionné «oranje» ( 16 ).

23.

Les produits et les services pour lesquels l'enregistrement de cette couleur a été demandé relèvent des classes 9, 35 à 38 au sens de l'arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l'enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié. Libertei a précisé qu'il s'agit, concernant les produits de la classe 9, de matériels de télécommunications et, pour les services des classes 35 à 38, de services de télécommunications ainsi que de gestion matérielle, financière et technique des moyens de télécommunications ( 17 ).

24.

Par lettre du 21 février 1997, le BBM a informé le mandataire de Libertei que la demande d'enregistrement était provisoirement refusée, faute pour Libertei d'avoir démontré que la couleur orange avait acquis un caractère distincţii par l'usage ( 18 ).

25.

Libertei a déposé des observations visant à apporter la preuve d'une telle acquisition.

26.

Par lettre du 10 septembre 1997, le BBM a notifié son refus de l'enregistrement de ladite couleur pour défaut de caractère distinctif.

27.

Le recours formé par Libertei contre cette décision devant le Gerechtshof de La Haye (Pays-Bas) a été rejeté pour le même motif.

28.

Libertei a introduit un pourvoi en cassation contre la décision du Gerechtshof de La Haye devant le Hoge Raad der Nederlanden.

III — Les questions préjudicielles

29.

Le Hoge Raad der Nederlanden, par ordonnance du 23 février 2001, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Une simple couleur spécifique, reproduite en tant que telle ou désignée par un code international, est-elle susceptible de présenter, pour certains produits et services, un caractère distinctif au sens de l'article 3, paragraphe 1, initio et sous b), de la directive?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question,

a)

Dans quelles circonstances peut-on admettre qu'une simple couleur spécifique ait un caractère distinctif au sens susvisé?

b)

Le fait que l'enregistrement soit demandé pour un nombre important de produits ou de services ou bien pour un produit ou service spécifique ou un groupe spécifique de produits ou services est-il susceptible de modifier la réponse à la première question?

3)

Pour apprécier le caractère distinctif qu'une couleur déterminée peut présenter en tant que marque, est-il nécessaire d'examiner s'il existe un intérêt général justifiant que cette couleur reste à la disposition de tous comme c'est le cas des signes qui désignent une provenance géographique?

4)

Pour répondre à la question de savoir si un signe déposé en tant que marque possède un caractère distinctif au sens de l'article 3, paragraphe 1, initio et sous d), de la directive, le [BBM] doit-il se limiter à une appréciation de ce pouvoir distinctif dans l'abstrait ou doit-il tenir compte de toutes les circonstances concrètes de l'espèce, et notamment de l'usage qui est fait de ce signe et de la manière dont il est utilisé?»

IV — Appréciation

A — L'objet du litige

30.

Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d'apprécier au regard des particularités de l'affaire tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu'il pose à la Cour ( 19 ). Néanmoins, la Cour considère qu'elle a pour mission d'interpréter toutes les dispositions du droit communautaire dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions ( 20 ).

31.

Ainsi, dans l'arrêt du 25 février 1999, Swaddling ( 21 ), elle a fourni une interprétation d'un acte de droit dérivé, alors que le renvoi portait seulement sur l'interprétation de certains articles du traité CE.

32.

En l'espèce, la juridiction de renvoi a posé à la Cour plusieurs questions préjudicielles portant sur l'article 3 de la directive aux fins de déterminer si, et éventuellement dans quelles conditions, une couleur sans forme ni contour est susceptible d'avoir un caractère distinctif pour certains produits et services.

33.

Or, ainsi que la Commission le fait valoir à juste titre ( 22 ), l'examen de ces questions nécessite de déterminer au préalable si une couleur en elle-même est un signe susceptible de constituer une marque au sens de l'article 2 de la directive.

34.

En effet, seuls les signes qui remplissent les conditions prévues à cet article peuvent être enregistrés comme marque. Ainsi que le confirme l'article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive, les signes qui ne remplissent pas ces conditions sont, par nature, impropres à constituer une marque.

35.

Il convient donc d'examiner si l'article 2 de la directive doit être interprété en ce sens qu'une couleur en elle-même, sans forme ni contour, constitue un signe susceptible de représentation graphique propre à distinguer les produits et les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises.

B — Arguments des parties intervenantes

36.

Libertei ( 23 ), le BBM ( 24 ), le gouvernement néerlandais ( 25 ), le gouvernement du Royaume-Uni ( 26 ) et la Commission ( 27 ) considèrent qu'une couleur en elle-même peut être enregistrée comme marque.

37.

Selon la Commission, une couleur, en tant que caractéristique visuelle, est, par définition, susceptible de représentation graphique ( 28 ). En outre, une couleur peut, d'une manière générale, avoir un caractère distinctif. La Commission souligne que les couleurs peuvent constituer un élément important de la communication entre une entreprise et ses clients ou les consommateurs; elles captent l'attention, elles peuvent posséder une signification intrinsèque et provoquer certaines associations chez le spectateur ( 29 ).

38.

La Commission, Libertel et le BBM invoquent au soutien de leur thèse la déclaration commune du Conseil de l'Union européenne et de la Commission figurant dans le procès-verbal de la réunion du Conseil au cours de laquelle la directive a été adoptée. Aux termes de cette déclaration, le «Conseil et la Commission considèrent que l'article 2 [de la directive] n'exclut pas la possibilité: d'enregistrer en tant que marque une combinaison de couleurs ou une couleur seule [...] à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises» ( 30 ).

39.

La Commission, le gouvernement du Royaume-Uni et le BBM soulignent, enfin, que leur position est partagée par l'Office de l'harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI). Selon l'OHMI, une couleur en soi peut, d'une manière générale, être protégée comme marque en vertu de l'article 4 du règlement parce qu'elle entre dans la catégorie désignée par les termes «tous signes» qui doivent être interprétés dans le sens le plus large. Il indique que limiter la protection des marques de couleur à une présentation spécifique serait contraire à l'esprit du droit communautaire des marques et qu'un contour ou une délimitation n'est pas nécessaire dans le cas d'une représentation graphique au sens de l'article 4 du règlement ( 31 ).

C — Analyse

40.

Contrairement aux parties intervenantes, nous estimons que l'article 2 de la directive s'oppose à ce qu'une couleur sans forme ni contour puisse être enregistrée comme marque.

41.

Nous considérons, en effet, qu'une couleur en elle-même ne remplit pas les conditions prévues à cet article en ce sens que, d'une part, elle ne constitue pas un signe susceptible de représentation graphique et, d'autre part, elle n'est pas propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises.

42.

Toutefois, avant d'examiner chacune des conditions litigieuses, il nous semble utile de rappeler succinctement quelques caractéristiques essentielles de la notion de «couleur».

1. La notion de couleur

43.

«La couleur est une notion que tout le monde comprend de façon intuitive mais qu'il est bien difficile de définir de manière universelle» ( 32 ). Néanmoins, il est admis que la couleur est une sensation. Il s'agit de la perception par l'appareil visuel et de la transmission au cerveau des effets d'un rayonnement lumineux sur la matière. La couleur ne constitue donc pas une réalité objective préexistante dont nous aurions seulement à prendre connaissance, comme une pellicule posée sur un objet. Elle dépend, d'une part, de la nature et de l'intensité de la lumière et, d'autre part, de l'appareil visuel de l'observateur. Ainsi, la couleur d'un objet change en fonction de son éclairage et de la distance à laquelle cet objet est observé. Sa perception varie également en fonction des individus ( 33 ).

44.

La couleur a fait l'objet de plusieurs modes d'organisation. Newton, à qui est attribuée la première interprétation de la décomposition d'une lumière complexe par un prisme, a fixé à sept le nombre de couleurs principales du spectre ( 34 ). Les peintres distinguent les couleurs fondamentales, le jaune, le rouge et le bleu, à partir desquelles il est possible de produire les autres couleurs, dites «composées». Pour les applications industrielles de la couleur, les professionnels ont élaboré différentes collections d'échantillons rigoureusement spécifiés au moyen de codes qui permettent de définir un très grand nombre de tonalités ( 35 ). Toutefois, l'œil humain ne peut distinguer avec certitude qu'un nombre limité de nuances de couleurs ( 36 ). En outre, le nombre de mots spécifiques pour dénommer les couleurs est encore plus réduit ( 37 ). Le nombre de couleurs pouvant être identifiées et décrites avec précision par un observateur demeure donc très restreint.

45.

Enfin, la couleur est un langage. Comme il s'agit d'une sensation qui traduit l'apparence des choses, elle peut susciter des sentiments chez l'observateur. Elle peut aussi transmettre des informations. Ces sentiments, comme ces informations, sont des phénomènes purement culturels. Ils reposent sur des conventions d'ordre psychologique, symbolique, religieux ou autres, qui varient dans le temps et dans l'espace ( 38 ). Toutefois, dans la réalité, la couleur n'a pas d'existence autonome. Procédant de l'interaction entre un rayonnement lumineux et la matière, elle est toujours l'attribut de quelque chose. Si, en fonction de son intensité, de sa luminosité, la couleur d'un objet attire notre regard, ce que le cerveau perçoit et enregistre n'est pas la couleur en tant que telle, mais l'objet revêtu de cette couleur. Ainsi, la mémoire visuelle, dont l'expérience a démontré le caractère puissant et durable ( 39 ), est-elle constituée des représentations mentales des objets qui nous entourent.

46.

C'est à la lumière de ces observations qu'il convient d'examiner les deux conditions prévues à l'article 2 de la directive.

2. Un signe susceptible de représentation graphique

47.

Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, il y a lieu, pour l'interprétation d'une disposition de droit communautaire, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 40 ).

48.

Nous estimons que les arguments invoqués par les parties intervenantes en faveur de l'admission d'une couleur en elle-même comme marque, tirés du libellé de l'article 2 de la directive et de l'intention du législateur, ne sont pas convaincants.

49.

S'agissant, tout d'abord, du libellé de l'article 2 de la directive, identique sur ce point dans la plupart des versions linguistiques, aucune conclusion ne peut être tirée, selon nous, de l'expression «tous les signes» ainsi que du caractère indicatif de la liste des signes énumérés à cet article et qui sont aptes à être représentés graphiquement.

50.

Au contraire, l'existence d'une ambiguïté de l'article en cause sur le point de savoir si une couleur en elle-même doit être considérée comme un signe susceptible de constituer une marque ressort du fait que la transposition de cet article dans les législations des différents États membres a donné lieu à des solutions différentes. Ainsi, l'enregistrement d'une couleur en tant que telle est exclu explicitement par la législation portugaise ( 41 ). Il est prévu, dans les droits français et italien, uniquement en ce qui concerne, respectivement, des nuances de couleurs ( 42 ) ou des tonalités chromatiques ( 43 ). Il est admis en droit allemand ( 44 ). Enfin, il ne fait l'objet d'aucune réponse explicite dans les droits Benelux, danois, hellénique, irlandais, autrichien, finlandais, suédois et du Royaume-Uni. Il en va de même en droit espagnol depuis l'entrée en vigueur, le 31 juillet 2002, de la nouvelle loi sur les marques ( 45 ).

51.

En ce qui concerne, ensuite, la déclaration commune du Conseil et de la Commission, précitée, elle nous paraît dépourvue de valeur juridique pour deux raisons.

52.

D'une part, la Cour a jugé, dans l'arrêt du 26 février 1991, Antonissen ( 46 ), qu'une déclaration inscrite au procès-verbal de la réunion du Conseil au cours de laquelle a été adoptée une disposition de droit dérivé ne saurait être retenue pour l'interprétation de celle-ci lorsque le contenu de cette déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause, et que ladite déclaration n'a, dès lors, pas de portée juridique. Cette position a été confirmée par la Cour dans l'arrêt du 29 mai 1997, VAG Sverige ( 47 ).

53.

D'autre part, il convient de souligner que le Conseil et la Commission ont indiqué, en préambule de cette déclaration, que celle-ci ne préjugeait pas l'interprétation de la directive par la Cour ( 48 ). Le Conseil et la Commission ont donc pris le soin de limiter eux-mêmes expressément les effets juridiques de leur déclaration. Il serait donc excessif de tirer des conséquences de l'intention du législateur pour l'interprétation de l'article 2 de la directive.

54.

À cet égard, il est opportun de souligner que l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce ( 49 ), auquel ont adhéré tant les États membres que la Communauté pour ce qui entre dans ses compétences, ne cite, à son article 15, que les combinaisons de couleurs ( 50 ). Cette restriction permet de présumer qu'une couleur, per se, a été considérée, dans le cadre des négociations des accords OMC, comme impropre à être enregistrée comme marque. Cette appréciation est corroborée par le fait que le texte originel de cet article, qui datait de 1990, mentionnait les couleurs ( 51 ).

55.

C'est également à l'exclusion d'une couleur en elle-même des signes susceptibles de constituer une marque que conduit l'examen de l'économie de la directive et de l'objectif qui sous-tend la condition examinée.

56.

Il ressort, en effet, de l'économie de la directive que celle-ci prévoit la protection de la marque avant tout usage, dès son enregistrement. Celui-ci est donc subordonné à un certain nombre de conditions qui doivent être vérifiées par l'organisme compétent.

57.

Ainsi, le signe en cause doit avoir l'aptitude générale à constituer une marque, conformément aux articles 2 et 3, paragraphe 1, sous a), de la directive. Ensuite, il ne doit pas se heurter à l'un des autres motifs de refus visé audit article 3, paragraphe 1, ni à des droits antérieurs visés à l'article 4 de la directive.

58.

L'examen de ces conditions devant intervenir a priori en dehors de toute prise en considération d'un usage éventuel, il ne peut avoir lieu qu'à partir du signe tel qu'il est décrit dans la demande d'enregistrement.

59.

Si le signe remplit les conditions prévues, il est enregistré comme marque. C'est, ensuite, à partir de la marque enregistrée que l'autorité compétente pourra apprécier si le signe d'un concurrent est identique à celle-ci ou présente avec elle un risque de confusion, conformément à l'article 5 de la directive. Enfin, c'est également au vu du signe enregistré que sera appréciée la question de savoir si le titulaire de la marque en a fait un usage suffisant pour ne pas être déchu de ses droits, conformément à l'article 10 de la directive.

60.

Il ressort donc de l'économie de la directive que c'est à partir de la représentation graphique du signe figurant dans la demande d'enregistrement que s'effectue l'examen de l'ensemble des conditions relatives à l'acquisition des droits sur la marque et que sont déterminés les droits et les obligations conférés par l'enregistrement de celle-ci.

61.

L'économie de la directive conduit donc à interpréter la première condition de son article 2 comme visant à permettre de connaître précisément le signe qui sera utilisé par le déposant afin de distinguer ses produits et ses services.

62.

Cette interprétation est confortée par l'objectif qui sous-tend la condition litigieuse. Comme l'a exposé l'avocat général Dámaso Ruiz-Jarabo Colomer dans ses conclusions dans l'affaire Sieckmann (C-273/00), pendante devant la Cour ( 52 ), la condition tenant à l'aptitude à une représentation graphique est imposée par le principe de sécurité juridique.

63.

Selon l'avocat général, «[u]ne marque enregistrée confère un monopole à son titulaire, qui fait un usage exclusif des signes qui la constituent, à l'exclusion de tout autre. La consultation du registre doit permettre de connaître, dans toute la mesure inhérente à la publicité des registres, la nature et la portée des signes, des indications et des symboles enregistrés et c'est à cette fin que l'on exige leur représentation graphique. Si une entreprise s'approprie certains signaux et indications déterminées, afin de distinguer ses produits et ses services de ceux des autres, il convient de connaître avec une précision détaillée les symboles qu'elle fait siens afin que les autres sachent à quoi s'en tenir» ( 53 ). Ainsi, le monopole conféré par l'enregistrement de la marque a pour contrepartie une véritable obligation d'information des tiers quant au signe protégé.

64.

Il s'ensuit qu'une représentation graphique quelconque ne suffit pas. Il faut qu'elle remplisse deux conditions. La représentation doit, tout d'abord, être claire et précise afin que l'on puisse savoir sans aucun doute possible ce qui fait l'objet de l'exclusivité. Elle doit, en outre, être intelligible à ceux qui souhaiteraient consulter le registre, à savoir les autres producteurs et les consommateurs, c'est-à-dire qu'elle ne doit pas nécessiter des efforts exagérés pour déterminer le signe qui sera effectivement utilisé par le déposant ( 54 ).

65.

Nous estimons qu'une couleur en elle-même ne remplit pas ces conditions. À titre liminaire, il convient de préciser que nous ne faisons pas de distinction entre une couleur reproduite dans la demande d'enregistrement et une couleur simplement désignée par un code international. Dans ce dernier cas, il ne nous semble pas que l'effort demandé à un consommateur ou à un concurrent de consulter la collection d'échantillons correspondante pour voir la teinte revendiquée par le déposant soit exagéré. Sauf dans le cas où cette collection d'échantillons serait difficilement accessible, une telle désignation permet clairement et sans ambiguïté de comprendre quelle est la couleur choisie par le déposant.

66.

Nous estimons cependant que la reproduction ou la désignation d'une couleur en tant que telle ne permet pas de déterminer quel sera le signe utilisé par le déposant pour distinguer ses produits et ses services.

67.

Comme nous l'avons indiqué au point 45 des présentes conclusions, la couleur est toujours l'attribut de quelque chose. À la différence des signes énumérés à l'article 2 de la directive, tels que les mots, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, une couleur en elle-même n'a pas d'existence autonome.

68.

En d'autres termes, il n'est pas possible de déterminer avec certitude comment la couleur revendiquée apparaîtra sur les produits pour lesquels son enregistrement est demandé. Ainsi, elle pourra aussi bien constituer la coloration de la totalité de la surface extérieure de ceux-ci ou de leur emballage, ou apparaître sur une partie seulement de ces derniers, ou dans le cadre de dessins bien précis, entourée par la couleur générique des produits.

69.

Il en va de même en ce qui concerne les services. Par hypothèse, les services ne possèdent aucune forme matérielle en eux-mêmes ni, partant, aucune couleur. La marque ne pourra donc être apposée que sur des documents, des véhicules ou d'autres objets servant à leur prestation. Là encore, la couleur revendiquée pourra en constituer toute la teinte ou apparaître sur une partie seulement de ceux-ci, dans le cadre de dessins bien précis.

70.

En outre, le fait que le déposant demande l'enregistrement de la couleur en elle-même et vise, ainsi, à s'en voir attribuer l'usage exclusif laisse penser qu'il se réserve toutes ces possibilités.

71.

Cette appréciation se vérifie encore mieux si le déposant, comme dans l'affaire Heidelberger Bauchemie, précitée, demande l'enregistrement de plusieurs couleurs per se ( 55 ). L'absence de toute organisation de ces couleurs dans un assemblage ou un arrangement déterminé dans la demande d'enregistrement permet de toute évidence, dans la réalité, une multitude de combinaisons possibles.

72.

La revendication d'une couleur sans forme ni contour permettra donc difficilement à l'autorité compétente de vérifier véritablement que les autres conditions requises pour l'enregistrement d'une marque sont satisfaites. En effet, selon qu'elle recouvre la totalité du produit ou qu'elle figure dans le cadre d'un dessin bien précis, la couleur peut apparaître au consommateur comme purement ornementale ou comme une composante d'un signe distinctif. De même, il est possible de s'interroger sur les conditions dans lesquelles l'autorité compétente pourra apprécier véritablement le risque de confusion du signe ainsi revendiqué avec une marque antérieure dans la composition de laquelle entrerait la couleur revendiquée ou une nuance de celle-ci.

73.

Ensuite, nous estimons que l'enregistrement comme marque d'une couleur en elle-même ne permettrait pas aux autres opérateurs qui consulteraient le registre de déterminer quels sont leurs droits.

74.

En effet, conformément à l'article 5 de la directive, le titulaire peut interdire l'usage, dans la vie des affaires, pour tout produit ou service identique ou analogue à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée, non seulement d'un signe identique à celle-ci, mais encore de tout signe qui serait susceptible de prêter à confusion avec ladite marque dans l'esprit du public.

75.

Si la marque enregistrée est la couleur en elle-même, les autres opérateurs pourront difficilement déterminer de quelle manière ils ont encore la possibilité de faire usage de cette couleur pour des produits et des services identiques ou simplement analogues à ceux pour lesquels l'enregistrement de ladite couleur a été autorisé.

76.

En outre, cette incertitude ne concernera pas seulement la couleur telle qu'elle est reproduite dans le registre ou désignée par un code international, mais un grand nombre de nuances proches de celle-ci. En effet, comme nous l'avons vu aux points 43 et 44 des présentes conclusions, la possibilité pour le public de distinguer sans risque de confusion les nuances de couleurs est limitée à la fois par les propriétés de l'œil humain et le caractère variable de la couleur des objets en fonction de la lumière et de la distance à laquelle nous les voyons.

77.

Nous estimons qu'une telle incertitude est contraire au principe de sécurité juridique qui sous-tend l'exigence d'une aptitude à être représentée graphiquement. Il convient de rappeler que, dans l'arrêt du 29 septembre 1998, Canon ( 56 ), la Cour a expressément reconnu l'importance qu'il convenait d'attacher à ce principe dans le domaine des marques ( 57 ).

78.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, nous estimons qu'une couleur sans forme ni contour ne peut pas être considérée comme un signe susceptible de représentation graphique au sens de l'article 2 de la directive.

79.

Une couleur, per se, ne remplit pas non plus la seconde condition prévue à l'article 2 de la directive, selon laquelle ne peuvent constituer une marque que les signes propres à distinguer les produits et les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises.

3. La capacité de distinguer les produits et les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises

80.

Nous estimons que l'article 2 de la directive exclut les catégories de signes ou d'indications qui sont intrinsèquement inaptes à avoir un caractère distinctif.

81.

Cette analyse n'est pas en contradiction avec la jurisprudence du Tribunal de première instance des Communautés européennes ( 58 ) et de la Cour ( 59 ), selon laquelle le caractère distinctif d'une marque doit être apprécié par rapport aux produits ou services pour lesquels son enregistrement est demandé ( 60 ). En effet, cette jurisprudence a été dégagée dans le cadre de l'appréciation des motifs absolus de refus visés à l'article 7, paragraphe 1, sous b) à e), du règlement et par les dispositions correspondantes de la directive, dans des affaires qui concernaient des signes relevant d'une catégorie expressément citée par les articles 4 du règlement ou 2 de la directive, ou dans le cadre de l'application de l'article 3, paragraphe 3, de la directive portant sur l'acquisition d'un caractère distinctif par l'usage ( 61 ).

82.

Par ailleurs, refuser cette interprétation reviendrait à priver en grande partie d'effet utile la seconde condition prévue à l'article 2 de la directive et, dans une large mesure, l'article 3, paragraphe 1, sous a), de celle-ci, selon lequel sont refusés à l'enregistrement les signes qui ne peuvent constituer une marque ( 62 ). En effet, il convient de rappeler que la condition selon laquelle les marques dépourvues de caractère distinctif doivent être refusées à l'enregistrement est expressément reprise à l'article 3, paragraphe 1, sous b), de la directive.

83.

En outre, si, à ce jour, la Cour n'a pas encore été amenée à prendre position sur la question de savoir si la demande d'enregistrement d'un signe ou d'une indication non cités aux articles 2 de la directive ( 63 ) ou 4 du règlement pouvait être rejetée uniquement sur le fondement de ces dispositions, elle a néanmoins affirmé, à plusieurs reprises, le caractère général des conditions visées aux articles 2 et 3, paragraphe 1, sous a), de la directive ( 64 ). De même, dans l'arrêt Philips Electronics, précité, elle a indiqué qu'«il ressort clairement du libellé de l'article 3, paragraphe 1, sous a), et de l'économie de la directive que cette disposition vise essentiellement à exclure de l'enregistrement les signes qui n'ont pas l'aptitude générale à constituer une marque» ( 65 ).

84.

Il s'agit donc, à ce stade de l'analyse, d'apprécier si une couleur en elle-même est propre à avoir un caractère distinctif au vu de ses seules qualités intrinsèques. Nous estimons que non pour deux raisons.

85.

D'une part, ainsi que nous venons de le voir, la demande d'enregistrement d'une couleur en elle-même ne permet pas de déterminer quel est le signe qui apparaîtra effectivement sur les produits ou en relation avec les services concernés. Or, l'appréciation de l'aptitude à avoir un caractère distinctif implique, selon nous, de connaître précisément quel est ce signe.

86.

D'autre part, nous estimons qu'une couleur en elle-même ne peut pas remplir la fonction d'indiquer l'origine de produits ou de services. En effet, il convient de rappeler que la Cour a défini cette fonction comme visant à «garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit marqué, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit de ceux qui ont une autre provenance» ( 66 ). La marque doit donc assurer la garantie de provenance du produit qu'elle revêt ( 67 ). Il s'agit, par conséquent, d'un sens très précis.

87.

Or, comme nous l'avons vu au point 45 des présentes conclusions, si une couleur en elle-même, c'est-à-dire en tant qu'entité abstraite, peut avoir une signification ou susciter des sentiments, ce sont seulement ceux que lui attribuent les conventions en vigueur dans une société à une époque donnée ( 68 ). En outre, même cette signification ou ces sentiments, qui peuvent reposer sur des phénomènes culturels solidement implantés, dépendent des conditions dans lesquelles la couleur nous apparaît ( 69 ). Il s'ensuit qu'une couleur ne peut avoir un sens précis que si elle est vue dans le cadre d'une forme ou d'un dessin déterminé ( 70 ).

88.

Il est donc erroné, selon nous, de considérer qu'une couleur sans forme ni contour puisse avoir un sens aussi précis que celui d'indiquer sans confusion possible l'origine d'un produit ou d'un service.

89.

Il n'en est pas moins vrai que l'OHMI a procédé à plusieurs reprises à l'enregistrement comme marque d'une couleur per se. Ainsi, ont été enregistrées, notamment, la couleur lilas/violet pour du chocolat ( 71 ), la couleur magenta pour des produits et des services en matière de télécommunications ( 72 ) et la couleur jaune pour des produits anticorrosion ( 73 ). L'OHMI a considéré que chacune de ces couleurs avait acquis pour la désignation des produits ou des services concernés un caractère distinctif par l'usage qui en avait été fait ( 74 ).

90.

De tels enregistrements nous semblent discutables au regard du signe réellement perçu par les consommateurs et qu'ils ont appris à reconnaître comme indiquant l'origine des produits et des services concernés. En effet, comme nous l'avons dit, la couleur est toujours l'attribut de quelque chose. Par conséquent, ce que les consommateurs ont appris à reconnaître n'est pas la couleur en tant que telle, mais un objet revêtu de cette couleur ( 75 ). La couleur est donc toujours associée mentalement à un autre élément. Le plus souvent, il s'agira d'un logo ou d'un vocable ( 76 ). Au minimum, cet autre élément sera la forme du produit soumis à la vente.

91.

Si cet autre élément vient à manquer, les consommateurs ne seront plus en mesure d'identifier avec certitude l'origine du produit ou du service concernés. En d'autres termes, si le logo ou le vocable qu'ils avaient l'habitude de voir sur le produit ou son emballage n'y figure plus, ou si la forme de ce produit vient à changer, les consommateurs pourront avoir un doute sur l'origine de celui-ci, même si la couleur reste la même.

92.

Par conséquent, réduire les signes à la couleur abstraite et enregistrer celle-ci comme marque revient, selon nous, à prendre une partie de la marque pour le tout. La marque n'est pas constituée par la couleur en elle-même, mais par cette couleur associée à un autre élément ou appliquée à un objet.

93.

Cette analyse a été retenue par certains offices nationaux. Ainsi, l'office compétent du Royaume-Uni n'a pas enregistré la couleur verte en elle-même à la demande de la société pétrolière BP pour les produits et les services offerts dans ses stations de distribution de carburant, mais cette couleur appliquée aux surfaces extérieures des locaux ou des bâtiments conformément aux schémas joints aux demandes d'enregistrement ( 77 ). De même, cet office n'a pas enregistré la couleur rose en elle-même pour des matériaux d'isolation, mais «the colour pink, as defined by pantone n° 196C, applied to the entire surface of the goods» ( 78 ). En matière de services, l'autorité irlandaise compétente a enregistré au profit de United Parcel Service of America la marque répondant à la définition suivante: «The mark consits of the colour brown as shown on the form of application, being the predominant colour applied to the visible surface of the uniforms worn by staff in the performance of the services» ( 79 ).

94.

En outre, cette analyse, selon laquelle ce n'est pas la couleur en elle-même qui peut acquérir un caractère distinctif par l'usage, correspond aux règles en vigueur devant le United States Patent and Trademark Office (bureau des brevets et des marques des États-Unis) ( 80 ). À cet égard, il convient de souligner que la marque de la société Qualitex, qui a permis à la Cour suprême des États-Unis de se prononcer pour la première fois sur la protection des marques de couleur et à en admettre la possibilité, n'est pas constituée par la nuance vert doré en elle-même, mais par «a particular shade of green-gold applied to the top and the surfaces of the goods» ( 81 ).

95.

Au vu de ces éléments, nous estimons que les exemples précités d'enregistrements comme marque d'une couleur per se n'infirment pas notre interpretation de l'article 2 de la directive ( 82 ).

96.

À l'inverse, les enregistrements cités au point 93 des présentes conclusions démontrent, selon nous, que les opérateurs économiques qui utilisent une couleur pour identifier leurs produits ou leurs services doivent pouvoir bénéficier de la protection que confère le régime des marques sans qu'il soit nécessaire d'enregistrer la couleur en elle-même. En outre, ces opérateurs peuvent également recourir aux dispositions du droit de leurs États membres relatives à la concurrence déloyale, à la responsabilité civile ou à la protection des consommateurs, ainsi que cela ressort du sixième considérant et de l'article 5, paragraphe 5, de la directive.

97.

En l'état, aucun élément ne permet de penser que la protection de ces opérateurs contre des concurrents qui, par l'utilisation de la même couleur ou d'une nuance de celle-ci, chercheraient à profiter de la renommée ou du caractère distinctif de leur marque serait empêchée ou amoindrie par l'exclusion des couleurs en tant que telles des catégories de signes visées à l'article 2 de la directive.

98.

En revanche, il existe de bonnes raisons de croire que l'enregistrement comme marque de couleurs en tant que telles pourrait avoir des conséquences négatives pour la libre concurrence qui, comme nous l'avons vu au point 8 des présentes conclusions, constitue la finalité de la directive.

99.

En effet, l'enregistrement d'une couleur en elle-même aboutit, en application de l'article 5 de la directive et, à tout le moins, en raison de l'impossibilité pour les autres opérateurs économiques de pouvoir déterminer précisément si et comment ils peuvent encore faire usage de cette couleur, à en conférer l'usage exclusif au titulaire de la marque. En outre, comme nous l'avons vu au point 76 des présentes conclusions, cet usage exclusif ne portera pas seulement sur la couleur telle qu'elle est reproduite dans la demande d'enregistrement ou désignée par un code international, mais pourra s'étendre à un grand nombre de nuances de celle-ci. En d'autres termes, il est très probable que l'enregistrement comme marque d'une nuance particulière de bleu conduise à conférer à son titulaire l'usage exclusif du bleu ( 83 ).

100.

Ensuite, compte tenu des sentiments qu'elles peuvent susciter chez l'observateur et de leur caractère plus ou moins visible, le nombre de couleurs réellement utilisables pour un produit ou un service particulier est encore plus restreint. Pour s'en convaincre, il convient de se référer aux «couleurs des sociétés de distribution de carburant», citées en exemple par les partisans de l'enregistrement comme marque des couleurs per se ( 84 ). Le nombre des couleurs utilisées par ces sociétés sur les surfaces extérieures de leurs bâtiments et dans leurs logos est inférieur à celui des couleurs ayant un nom spécifique et la plupart d'entre elles sont employées concurremment par plusieurs sociétés ( 85 ).

101.

Il suffirait donc que plusieurs couleurs en elles-mêmes soient enregistrées comme marque pour conférer un véritable monopole de l'utilisation de la couleur à quelques opérateurs économiques. Or, un tel monopole pourrait être de nature à fausser les conditions de concurrence.

102.

En effet, comme la Commission l'a souligné très justement dans ses observations écrites ( 86 ), les couleurs revêtent aujourd'hui une grande importance pour les entreprises. Ces dernières sont de plus en plus nombreuses à colorer leurs produits et les objets en relation avec la prestation de leurs services ( 87 ). Ces couleurs servent à capter l'attention des consommateurs ( 88 ). En outre, grâce aux sentiments qu'elles suscitent, elles permettent aux entreprises de situer leurs produits et leurs services dans notre imaginaire ( 89 ). Les couleurs sont donc devenues un véritable instrument de communication entre les entreprises et les consommateurs. Il est probable que leur utilisation ira croissant compte tenu de ce que l'image occupe aujourd'hui une place prépondérante dans la communication.

103.

Dès lors, il est légitime de penser qu'un opérateur économique qui se verrait privé de la possibilité d'utiliser les couleurs ou même un certain nombre d'entre elles serait défavorisé par rapport à ses concurrents et qu'un monopole de l'utilisation des couleurs pourrait même entraver l'arrivée de nouveaux opérateurs sur un marché donné.

104.

Au vu de ces considérations, la finalité du droit de marque pourrait également justifier que les couleurs en elles-mêmes ne puissent pas être attribuées à l'usage exclusif de certains opérateurs économiques et qu'elles restent à la disposition de tous.

105.

Au vu des motifs exposés ci-dessus, nous proposons à la Cour de répondre que l'article 2 de la directive doit être interprété en ce sens qu'une couleur en elle-même, sans forme ni contour, ne constitue pas un signe susceptible de représentation graphique propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises.

106.

Compte tenu de cette réponse, les autres questions posées par la juridiction de renvoi sont sans objet pour le litige au principal. Nous estimons qu'il n'y a pas lieu d'y répondre.

V — Conclusion

107.

Au regard des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par le Hoge Raad der Nederlanden:

«L'article 2 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens qu'une couleur en elle-même, sans forme ni contour, ne constitue pas un signe susceptible de représentation graphique propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises.»


( 1 ) Langue originale: le français.

( 2 ) Directive du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la «directive»).

( 3 ) Convention du 20 mars 1883 (ci-après la «convention de Paris»).

( 4 ) Règlement du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié (ci-après le «règlement»).

( 5 ) Premier et troisième considérants.

( 6 ) Quatrième considérant.

( 7 ) Septième considérant.

( 8 ) Neuvième et dixième considérants.

( 9 ) Sixième considérant.

( 10 ) Huitième considérant.

( 11 ) Premier considérant.

( 12 ) Loi signée à Bruxelles le 19 mars 1962, Moniteur belge du 14 octobre 1969 (ci-après la «LBM»).

( 13 ) Moniteur belge du 12 mars 1996.

( 14 ) Ci-après «Libertei».

( 15 ) Ci-après le «BBM».

( 16 ) Ordonnance de renvoi, point 3.6.

( 17 ) Conclusions du procureur générai près le Hoge Raad der Nederlanden, note en bas de page 1 (annexe 1 de l'ordonnance de renvoi).

( 18 ) Ordonnance de renvoi, point 3.1.

( 19 ) Voir, par exemple, arrêt du 15 décembre 1995, Bosman (C-415/93, Rec. p. I-4921, point 59).

( 20 ) Arrêt du 18 mars 1993, Viessmann (C-280/91, Rec. p. I-971, point 17). Voir, également, arrêt du 8 février 2001, Lange (C-350/99, Rec. p. I-1061, points 20 à 25).

( 21 ) C-90/97, Rec. p. I-1075, point 21.

( 22 ) Point 69 de ses observations écrites.

( 23 ) Point 7.2 de ses observations écrites.

( 24 ) Point 4.1 de ses observations écrites.

( 25 ) Point 23 de ses observations écrites.

( 26 ) Point 13 de ses observations écrites.

( 27 ) Point 74 de ses observations écrites.

( 28 ) Point 71 de ses observations écrites.

( 29 ) Point 73 de ses observations écrites.

( 30 ) JO OHMI n° 5/96, p. 607.

( 31 ) Décision de la troisième chambre de recours du 18 décembre 1998, affaire R 122/1998-3, points 17 et 18. Dans cette affaire, le requérant demandait l'enregistrement de la couleur «light green» pour de la gomme à mâcher à usages cosmétique, médical et non médicinal.

( 32 ) «La couleur», dossier pour la science n° 27 (disponible sur le site http://www.pourlascience.com).

( 33 ) Idem. Voir, également, Manuel de la couleur. Solar, 2001, p. 6 et 138.

( 34 ) Rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet (par référence aux sept notes de la gamme).

( 35 ) Voir les dictionnaires chromatiques, les systèmes Pantone, RAL, ACC, etc. (par exemple, le système ACC, Acoat Color Codification, peut définir jusqu'à 2,4 millions de couleurs).

( 36 ) Selon Pastoureau, M., Dictionnaire des couleurs de notre temps, Bonneton, Paris, 1999, une petite centaine de nuances, peut-être deux cents chez les sujets les plus entraînés.

( 37 ) En général, moins d'une douzaine dans notre société occidentale: le blanc, le rouge, le noir, le vert, le jaune, le bleu, le gris, le brun, le rose, le violet et l'orangé. On emploie aussi, pour désigner les couleurs, des noms empruntés aux plantes (par exemple, citron, lilas), aux animaux (par exemple, chamois, corbeau), a des substances minérales (par exemple, rubis, turquoise), aux phénomènes naturels (par exemple, aurore, horizon) ou a des substances diverses (par exemple, paille, rouille). Toutefois, l'identification précise des nuances de couleurs ainsi désignées est empreinte d'une grande subjectivité.

( 38 ) Par exemple, le bleu, qui, en Europe, constitue aujourd'hui une couleur «froide», était considérée au Moyen Âge et à la Renaissance comme une couleur «chaude». De même, aujourd'hui, au Japon, il importe moins de savoir si la couleur est un rouge, un bleu ou un jaune que de savoir s'il s'agit d'une couleur mate ou d'une couleur brillante (Pastoureau, M-, précité).

( 39 ) Selon l'Encyclopédie Hachette Multimédia, sur 2500 diapositives présentées en plusieurs jours, on en reconnaît 90 %. À l'inverse, la mémoire spécifique des couleurs est très éphémère. Pour s'en convaincre, cette encyclopédie propose une expérience amusante: il s'agit de lire une phrase de cinq ou six mots dont les lettres sont de quatre couleurs différentes (par exemple, bleu, rouge, ¡aune et vert) et d'essayer de la reproduire avec des feutres de ces mêmes couleurs en utilisant la bonne couleur pour chaque lettre. Il est très difficile de se rappeler ne serait-ce que quelques lettres de la bonne couleur alors qu'il est aisé de se souvenit de la phrase (hrtp://www.ani.enmel.hachertemulrimedia.fr ).

( 40 ) Voir, par exemple, arrêt du 14 juin 2001, Kvaerner (C-191/99, Rec. p. I-4447, point 30).

( 41 ) Selon l'article 166, paragraphe 1, alínea d), du Código da Propriedade Industrial (code de la propriété industrielle) approuvé par le décret-loi n° 26/95, du 24 janvier 1995, ne peuvent pas être enregistrées comme marques, notamment «les couleurs, sauf lorsque plusieurs couleurs sont combinées entre elles ou avec d'autres éléments de manière particulière et distinctive».

( 42 ) L'article L 711-1 du code de la propriété intellectuelle français, tel qu'il a été modifié par la loi du 4 janvier 1991, prévoit que peuvent constituer une marque les signes figurants tels que «les dispositions, combinaisons ou nuances de couleurs».

( 43 ) L'article 16 de la loi sur les marques italienne telle que modifiée par le décret législatif du 4 décembre 1992, prévoit: «[p]euvent constituer l'objet de l'enregistrement en tant que marque d'entreprise tous les nouveaux signes susceptibles d'être représentés graphiquement, notamment I 1 les combinaisons de couleurs ou les tonalités chromatiques, pourvu qu'ils soient aptes à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d autres entreprises».

( 44 ) L'article 3 du Gesetz über den Schutz von Marken und sonstigen Kennzeichen (loi allemande sur la protection des marques et des autres signes distinctifs), du 25 octobre 1994 énonce: «[s]ont susceptibles d'être protégés comme marques tous les signes [...] y compris les couleurs et es combinaisons de couleurs, qui sont propres a distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises». Toutefois, le Bundespatentgericht (Allemagne) (Tribunal fédéral des brevets) continue de s interroger sur l'aptitude d'une couleur abstraite à constituer une marque et a soumis à la Cour une question préjudicielle dans l'affaire Heidelberger Bauchemie (C-49/02), pendante devant la Cour, que nous allons évoquer plus en détail ci-après.

( 45 ) L'évolution de la législation espagnole est significative de l'ambiguïté du libellé de la directive sur la question en cause en ce sens que l'article 11 de la loi n° 32/88 sur la marque prévoyait expressément qu'une couleur en soi ne pouvait pas être enregistrée et qu'une couleur ne pouvait l'être que si elle était délimitée par une forme. La loi nouvelle a repris les termes de la directive et a laisse non résolue la question de l'aptitude d'une couleur en elle-même à constituer une marque.

( 46 ) C-292/89, Rec. p. I-745, point 18.

( 47 ) C-329/95, Rec. p. I-2675, point 23.

( 48 ) Ce préambule est rédigé comme suit: «Les déclarations du Conseil et de la Commission dont le texte figure ci-dessous ne faisant pas partie du texte législatif, elles ne préjugent pas l'interprétation de ce dernier par la Cour de justice des Communautés européennes».

( 49 ) Constituant l'annexe 1 C de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), approuvé au nom de la Communauté, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994 (JO L 336, p. 1).

( 50 ) L'article 15, paragraphe 1, de cet accord est rédigé comme suit: «Tout signe, ou toute combinaison de signes, propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises sera propre à constituer une marque de fabrique ou de commerce. De tels signes, en particulier les mots, y compris les noms de personne, les lettres, les chiffres, les éléments figuratifs et les combinaisons de couleurs, ainsi que toute combinaison de ces signes, seront susceptibles d'être enregistrés comme marques de fabrique ou de commerce. Dans les cas où des signes ne sont pas en soi propres à distinguer les produits ou services pertinents, les membres pourront subordonner l'enregistrabilité au caractère distinctif acquis par l'usage. Les membres pourront exiger, comme condition de l'enregistrement, que les signes soient perceptibles visuellement».

( 51 ) Gervais, D., The TRIPS Agreement: drafting history and analysis, Sweet & Maxwell, 1998, p. 105.

( 52 ) Dans cette affaire, la Cour est interrogée sur le point de savoir si une odeur peut constituer une marque (arrêt du 12 décembre 2002, Rec. p. I-11737, p. I-11739).

( 53 ) Point 36 de ses conclusions.

( 54 ) Ibidem, point 38.

( 55 ) Dans cette affaire, l'office des brevets et des marques allemand a été saisi d'une demande d'enregistrement des couleurs bleu et jaune. La marque revendiquée fait l'objet de la description suivante: «La marque demandée est constituée des couleurs de l'entreprise de la demanderesse qui sont utilisées sous toutes les formes imaginables, en particulier dans les emballages et les étiquettes. La référence précise des couleurs est RAL 5015/HKS 47 — bleu et RAL 1016/HKS 3 — jaune.

( 56 ) C-39/97, Rec. p. I-5507, point 27.

( 57 ) Au point 21 de cet arrêt, la Cour a jugé que, en tout état de cause, il convenait, pour des raisons de sécurité juridique et de bonne administration, de s'assurer que les marques dont l'usage pourrait être contesté avec succès devant les juridictions ne sont pas enregistrées.

( 58 ) Le Tribunal a énoncé cette règle dès son premier arrêt rendu en matière de marque communautaire (arrêt du 8 juillet 1999, Procter & Gamble/OHMI -BABY-DRY», T-163/98, Rec. p. II-2383, point 21), et l'a régulièrement réaffirmée dans ses arrêts ultérieurs (voir, notamment, arrêt du 5 avril 2001, Bank für Arbeit und Wirtschaft/OHMI «Easybank», T-87/00, Rec. p. II-1259, point 21).

( 59 ) Arrêt du 18 juin 2002, Philips Electronics (C-299/99, Rec. p. I-5475, point 59).

( 60 ) Nous estimons que les dispositions du règlement et de la directive qui sont rédigées en des termes identiques doivent recevoir la même interprétation.

( 61 ) Arrêt du 4 octobre 2001, Merz & Krell (C-517/99, Rec. p. I-6959, point 30).

( 62 ) L'article 7, paragraphe 1, sous a), du règlement est encore plus explicite puisqu'il énonce que sont refusés à l'enregistrement les signes qui ne sont pas conformes à l'article 4 de ce règlement.

( 63 ) La Cour est saisie actuellement de plusieurs affaires en ce sens. Outre les affaires Sieckmann et Heidelberger Bauchemie, précitées, elle est également saisie de la question de savoir si une marque peut être constituée par des bruits ou des sons (affaire Shield Mark, C-283/01, pendante devant la Cour).

( 64 ) Arrêts, précités, Canon, point 27, et Merz & Krell, points 23 et 24.

( 65 ) Point 37, souligné par nous.

( 66 ) Voir, notamment, arrêts du 17 octobre 1990, HAG GF (C-10/89, Rec. p. I-3711, point 14); Canon, précité, point 28, et Merz & Krell, précité, point 22.

( 67 ) Arrêt du 23 avril 2002, Boehringer Ingelheim e.a. (C-143/00, Rec. p. I-3759, point 29).

( 68 ) Ainsi, le noir renvoie au deuil, le blanc à la pureté (Pastoureau, M., précité, p. 31 et 157).

( 69 ) Le port d'un crêpe noir évoque le deuil; toutefois, le port d'une robe noire dans une soirée n'a pas nécessairement cette signification.

( 70 ) Klinkenberg, J.-M., «Qu'est-ce que le signe?», dans Le langage, éditions sciences humaines, p. 105. L'auteur cite l'exemple suivant, emprunté au code Je la route: associée à une forme ronde, la couleur rouge signifie une interdiction; associée à une forme triangulaire, elle annonce un danger.

( 71 ) Enregistrement du 27 octobre 1999, n° 31336.

( 72 ) Enregistrement du 3 août 2000, n° 212787.

( 73 ) Enregistrement du 9 janvier 2001, n° 396176.

( 74 ) Comme il n'existe pas, dans les statistiques de l'OHMI, de rubrique portant spécifiquement sur les couleurs per se, il est difficile d'affirmer qu'aucune marque de ce type n'a été enregistrée a priori. Néanmoins, la jurisprudence de l'OHMI permet de déduire que, si de tels enregistrements ont été admis, c'est seulement à titre très exceptionnel (voir, par exemple, affaire R 122/1998-3, précitée, points 17, 18 et 21).

( 75 ) Voir, en ce sens, point 70 de nos conclusions dans l'affaire Toshiba Europe (arrêt du 25 octobre 2001, C-112/99, Rec. p. I-7945).

( 76 ) Si un automobiliste peut associer le vert aux stations BP, c'est que, dans le logo de cette compagnie, les lettres «BP» sont sur fond vert et que certaines parties de la surface extérieure des bâtiments des stations-services de ladite compagnie sont de la même couleur. De même, le vocable «Milka» figure sur l'emballage des tablettes de chocolat pour lesquelles la couleur lilas/violet a été enregistrée comme marque par l'OHMI.

( 77 ) High Court of Justice in Northern Ireland, Chancery Division, 16 juin 2000, BP Amoco PLC v. John Kelly Ltd and Glenshane Tourist Services Ltd.

( 78 ) Enregistrement du 25 octobre 1996, n° 2004215. La représentation de la marque sur le registre montre un dessin d'un matériau isolant.

( 79 ) Enregistrement du 27 octobre 1998, n° 221818. La représentation de la marque sur le registre montre un uniforme de la couleur revendiquée.

( 80 ) Selon le Trademark Manual of Examining Procedures, révisé en juin 2002, l'enregistrement d'une marque est subordonné à son usage préalable. La section 1202.05, intitulée «Color as a mark», prévoit: «Color marks are marks that consists solely of one or more colors used on particular objects. For marks used in connection with goods, the color may be used on the entire surface of the goods, on a portion of the goods, or on all part of the packaging for the goods [...] Similarly, service marks may consist of color used on all or part of materials used in the advertising and rendering of the services [...] Color marks are never inherently distinctive, and cannot be registered on the Principal Register without a showing of acquired distinctiveness [...]» (http://www.uspto.gov.).

( 81 ) Enregistrement n° 1633711. La représentation de la marque sur le registre montre un dessin du produit. Dans l'arrêt Qualitex Co. v. Jacobson Products Co. 514 U. S. 159 (1995), la Cour suprême a jugé qu'une couleur ne peut être enregistrée comme marque que s'il est démontré qu'elle a acquis avec le temps «a secondary meaning», c'est-à-dire que les consommateurs lui reconnaissent une fonction d'origine. La Cour suprême a confirmé sa position dans l'arrêt Wal-Mart Stores Inc. v. Samara Brothers, Inc., 165 F.3d 120 (2000).

( 82 ) Il en est de même des arrêts du Tribunal, du 25 septembre 2002, Viking-Umwelttechnik/OHMI «Juxtaposition de vert et de gris» (T-316/00, Rec. p. II-3715), et du 29 octobre 2002, KWS Saat/OHMI «Nuance d'orange» (T-173/00, Rec. p. II-3843), rendus postérieurement à l'audience dans la présente procédure. Dans ces arrêts, le Tribunal considère, à titre liminaire, que les couleurs ou combinaisons de couleurs, en tant que telles, sont susceptibles de constituer des marques communautaires dans la mesure où elles sont propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'une autre entreprise (arrêts, précités, Viking-Umwelttechnik/OHMI «Juxtaposition de vert et de gris», point 23, et KWS Saat/OHMI «Nuance d'orange», point 25). En outre, dans l'arrêt KWS Saat/OHMI «Nuance d'orange», précité, le Tribunal considère qu'une nuance de la couleur orange, en tant que telle, est susceptible de présenter un caractère distinctif pour certains services. Nous relevons, tout d'abord, que la question de savoir si une couleur en tant que telle, sans forme ni contour, est susceptible de constituer une marque communautaire au sens de l'article 4 du règlement n'a pas été discutée devant le Tribunal. S'agissant, ensuite, des motifs sur le fondement desquels le Tribunal a admis qu'une nuance de la couleur orange, en tant que telle, pouvait avoir un caractère distinctif pour certains services, ils ne nous conduisent pas à remettre en cause notre analyse.

( 83 ) Cette analyse est également celle de l'OHMI. Voir, en ce qui concerne la couleur bleue, la décision de la deuxième chambre de recours du 29 février 2000, affaire R 342/1999-2, rejetant la demande d'enregistrement déposée par la société ARAL. Voir également la décision R 122/1998-3, précitée, point 29.

( 84 ) Voir observations écrites de Libertel, point 7.1.

( 85 ) Par exemple, le jaune par Shell, Agip et BP, le bleu par ARAL, Total et ELF, le rouge par Total et ELF, l'orangé par Total et Esso, etc.

( 86 ) Point 73.

( 87 ) Selon le Géodys 2000/2001, La marque dans tous ses états, «de nombreux industriels créent, dans leur structure design, une équipe spécialisée dans les couleurs et matières. C'est Moulinex qui a commencé, en 1997, en colorant de jaune ou vert son petit électroménager [...] Aujourd'hui, Apple colore ses IMac, Nurofen ses boites de médicaments et Philips ses téléviseurs», p. 218.

( 88 ) Selon Kapferer, J.-N., «la couleur est le premier repère d'une marque pour un consommateur en libre-service», dans Les marques, Capital de l'entreprise, Les chemins de la reconquête, Les éditions d'organisation, 1995, Paris, p. 355.

( 89 ) Les couleurs acidulées incarnent comme valeur la régression en rappelant au consommateur les couleurs de l'enfance, les couleurs criardes la transgression et donnent au consommateur l'impression de se libérer des conventions, les teintes naturelles l'authenticité et confèrent aux produits un aspect rustique apaisant, les couleurs high tech (vert métallisé) la sécurité et rassurent parce qu'elles sont synonymes de perfection (Géodys 2000/2001, précité, p. 218).

Top