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Document 62001CC0024

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 11 juillet 2002.
Glencore Grain Ltd et Compagnie Continentale (France) SA contre Commission des Communautés européennes.
Pourvoi - Assistance d'urgence de la Communauté aux États de l'ex-Union soviétique - Appel d'offres - Libre concurrence - Audition de témoins.
Affaires jointes C-24/01 P et C-25/01 P.

Recueil de jurisprudence 2002 I-10119

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2002:449

62001C0024

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 11 juillet 2002. - Glencore Grain Ltd et Compagnie Continentale (France) SA contre Commission des Communautés européennes. - Pourvoi - Assistance d'urgence de la Communauté aux États de l'ex-Union soviétique - Appel d'offres - Libre concurrence - Audition de témoins. - Affaires jointes C-24/01 P et C-25/01 P.

Recueil de jurisprudence 2002 page I-10119


Conclusions de l'avocat général


1. Le présent pourvoi est dirigé contre l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 8 novembre 2000, Dreyfus e.a./Commission .

2. Les sociétés Glencore Grain Ltd, anciennement Richco Commodities Ltd, et la Compagnie Continentale (France) SA vous demandent d'annuler l'arrêt attaqué pour violation du droit communautaire et, en particulier, en ce qu'il n'aurait pas correctement apprécié le principe de la libre concurrence.

Le cadre juridique

3. Le cadre juridique est constitué par la décision 91/658/CEE et par le règlement (CEE) n° 1897/92 .

La décision 91/658

4. Cette décision participe aux efforts entrepris par la Communauté européenne pour soutenir la Fédération de Russie dans sa réforme politique et sa restructuration économique.

5. Dans ce but, le Conseil de l'Union européenne a octroyé un prêt à moyen terme de 1 250 millions d'écus à l'ex-Union soviétique et à ses républiques comme mesure d'assistance alimentaire et médicale et comme mesure incitative à poursuivre des réformes sur le plan économique.

6. L'article 4, paragraphe 3, de la décision 91/658 prévoit les conditions économiques, financières et juridiques qui président à l'octroi de ce prêt. Il dispose:

«L'importation des produits, dont le financement est assuré par le prêt, se fait au prix du marché mondial. La libre concurrence doit être garantie pour l'achat et la livraison des produits qui doivent répondre aux normes de qualité reconnues internationalement.»

Le règlement n° 1897/92

7. Ce règlement précise que les prêts sont octroyés sur la base d'accords conclus entre les républiques de l'ex-Union soviétique et la Commission .

8. Selon son article 4:

«1. Les prêts financent seulement les achats et les fournitures de produits couverts par des contrats qui ont été reconnus par la Commission en conformité avec les dispositions de la décision [91/658] et avec les dispositions des accords visés à l'article 2.

2. Les contrats sont soumis à la Commission par les républiques ou par les agents financiers qu'elles ont mandatés.»

9. Son article 5 énonce les conditions auxquelles la reconnaissance visée à son article 4 est subordonnée. Parmi ces conditions, figurent les deux points suivants:

«1) Le contrat est passé à la suite d'une procédure garantissant la libre concurrence. À cette fin, les organismes d'achat des républiques doivent, en sélectionnant les entreprises fournisseuses dans la Communauté, chercher au moins trois offres parmi des entreprises indépendantes entre elles [...].

2) Le contrat présente les conditions d'achat les plus favorables au vu des prix normalement obtenus sur les marchés internationaux.»

Les faits et la procédure

10. Le 9 décembre 1992, la Communauté, la Fédération de Russie et son agent financier, la Vnesheconombank, ont signé, conformément au règlement n° 1897/92, un accord-cadre sur le fondement duquel la Communauté européenne accordait à la Fédération de Russie le prêt institué par la décision 91/658.

11. Dans le courant du dernier trimestre de l'année 1992, les requérantes, sociétés de négoce international, ont été contactées dans le cadre d'un appel d'offres informel organisé par Exportkhleb, société d'État chargée par la Fédération de Russie de négocier les achats de blé.

12. Par contrats conclus les 27 et 28 novembre 1992, les requérantes et Exportkhleb sont convenues de la quantité de blé et du prix.

13. Le 27 janvier 1993, la Commission a approuvé lesdits contrats.

14. Toutefois, selon les requérantes, les lettres de crédit sur la base desquelles le financement devait intervenir ne sont devenues opérationnelles que dans le courant de la seconde quinzaine du mois de février 1993, soit quelques jours seulement avant la fin de la période d'embarquement de la marchandise prévue par les contrats.

15. Or, si une partie importante de la marchandise était réunie, la totalité ne pouvait pas être livrée dans les délais prévus.

16. Au cours d'une réunion à Bruxelles le 19 février 1993, les requérantes sont convenues avec Exportkhleb de nouvelles livraisons de blé à un nouveau prix, compte tenu de l'augmentation considérable du prix du blé sur le marché mondial intervenue entre la date à laquelle avaient été conclus les contrats de vente (novembre 1992) et la date des nouvelles négociations (19 février 1993).

17. Eu égard à l'urgence découlant de la gravité de la situation alimentaire en Russie, il a été décidé, à la demande d'Exportkhleb, de formaliser ces modifications aux contrats initiaux par de simples avenants.

18. Le 9 mars 1993, Exportkhleb informait la Commission que des modifications portant, notamment, sur le prix du blé avaient été apportées aux contrats signés avec cinq de ses principaux fournisseurs.

19. Par lettre du 1er avril 1993, la Commission faisait valoir que «l'ampleur des augmentations de prix est telle qu['elle] ne pouv[ait] pas les considérer comme une adaptation nécessaire, mais comme une modification substantielle des contrats négociés.» Elle considère que, «[e]n fait, le niveau actuel des prix sur le marché mondial (fin mars 1993) n'est pas significativement différent de celui qui prévalait à la date à laquelle les prix ont été initialement convenus (fin novembre 1992).» Le membre de la Commission rappelle que la nécessité de garantir, d'une part, une libre concurrence entre fournisseurs potentiels et, d'autre part, les conditions d'achat les plus favorables était l'un des principaux facteurs gouvernant l'approbation des contrats par la Commission. Constatant qu'en l'espèce les amendements avaient été conclus directement avec les entreprises concernées, sans mise en concurrence avec d'autres fournisseurs, il concluait que «[l]a Commission ne peut pas approuver des changements aussi importants par le biais de simples amendements des contrats existants». Il indiquait également que, «s'il était jugé nécessaire de modifier les prix ou les quantités, il conviendrait de négocier de nouveaux contrats devant être soumis à la Commission pour approbation selon la procédure complète usuelle (en ce compris la présentation d'au moins trois offres).»

20. Glencore Grain a soutenu qu'Exportkhleb l'avait informée du refus opposé par la Commission le 5 avril 1993. La Compagnie Continentale a fait valoir que, à cette même date, elle a reçu un télex d'Exportkhleb l'informant de ce refus, mais que le texte complet de la lettre du 1er avril 1993 ne lui a été communiqué que le 20 avril 1993.

21. Par actes déposés au greffe de la Cour les 9 juin, 5 juillet et 22 juin 1993, la société anonyme Louis Dreyfus & Cie, Glencore Grain et la Compagnie Continentale ont, respectivement, introduit un recours devant votre Cour. Par ordonnances du 27 septembre 1993, votre Cour a renvoyé ces affaires devant le Tribunal en application de la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993, modifiant la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom instituant un Tribunal de première instance des Communauté européennes . Par arrêts du 24 septembre 1996 , le Tribunal a rejeté comme irrecevables les demandes en annulation présentées par chacune des requérantes. Le 5 mai 1998, la Cour a annulé les arrêts du Tribunal en ce qu'ils déclaraient irrecevables les demandes d'annulation et a renvoyé les affaires devant le Tribunal pour qu'il statue au fond et réserve les dépens.

22. Par ordonnance du 11 juin 1998, le Tribunal a décidé de joindre les affaires aux fins des procédures orale et écrite .

23. C'est dans ces circonstances que le Tribunal a rendu l'arrêt faisant l'objet du présent pourvoi.

24. Rappelons, avant d'examiner le pourvoi, les termes de l'arrêt attaqué.

L'arrêt attaqué

25. Par le premier moyen, la Commission a soutenu que la demande d'annulation, introduite le 22 juin 1993, était tardive. Le Tribunal a rejeté ce premier moyen en considérant qu'il n'était pas fondé .

26. Par la première branche du deuxième moyen, les requérantes ont principalement avancé l'argument selon lequel la condition relative au respect de la libre concurrence avait été respectée lors de la passation des contrats en février 1993, comme elle l'avait été lors de la conclusion des contrats en novembre 1992. Elles ont, de plus, observé que les dispositions de la décision 91/658 et du règlement n° 1897/92 n'exigent aucun formalisme particulier pour la mise en concurrence des fournisseurs communautaires.

27. Le Tribunal a rejeté cette première branche pour les raisons suivantes:

«65 Il convient de souligner, à titre liminaire, que la condition relative au respect de la libre concurrence lors de la passation des contrats est essentielle au bon fonctionnement du mécanisme de prêt instauré par la Communauté. Au-delà de la prévention des risques de fraude ou de collusion, elle tend, de manière plus générale, à garantir une utilisation optimale des moyens mis en place par la Communauté en vue de l'assistance aux républiques de l'ex-Union soviétique. De fait, elle vise à protéger aussi bien la Communauté, en tant que prêteur, que ces républiques, en tant que bénéficiaires de l'assistance alimentaire et médicale.

66 Le respect de cette condition n'apparaît donc pas comme une simple obligation formelle, mais bien comme un élément indispensable de la mise en oeuvre du mécanisme de prêt.

67 Il convient, dans ces conditions, de vérifier si la Commission, lorsqu'elle a adopté la décision attaquée a, à juste titre, considéré que n'était pas établi le respect de la condition de [la] libre concurrence lors de la conclusion des avenants aux contrats. La légalité de la décision doit être appréciée au regard de l'ensemble des règles qui s'imposaient à la Commission en la matière, en ce compris les accords conclus avec les autorités russes.

68 Les avenants conclus avec les différentes entreprises communautaires constituent, les uns par rapport aux autres, des contrats spécifiques, devant, chacun, faire l'objet d'une autorisation de la part de la Commission. Il convient donc d'examiner si chaque requérante, lorsqu'elle est convenue des nouveaux termes du contrat avec Exportkhleb, a été mise en concurrence avec au moins deux entreprises indépendantes.

69 À cet égard, il y a lieu de relever, tout d'abord, que le télex adressé par Exportkhleb aux requérantes les invitant à une réunion à Bruxelles les 22 et 23 février 1993 ne peut être regardé comme établissant la preuve que chaque entreprise a, avant la conclusion des avenants, été mise en concurrence avec au moins deux entreprises indépendantes les unes des autres.

70 Il est vrai que les textes communautaires applicables ne prévoient pas de forme particulière pour l'appel d'offres. Toutefois, en l'espèce, la question n'est pas de savoir si un télex peut constituer un appel d'offres valable, mais celle de savoir si ce télex établit que chaque entreprise a été mise en concurrence avec d'autres avant de conclure les nouveaux termes. Or, force est de constater que le télex d'Exportkhleb, libellé de manière générale, sans indiquer notamment les quantités qui seraient à livrer ou les conditions de livraison, n'apporte pas cette preuve.

71 De même, les extraits de la presse spécialisée produits par les requérantes, qui font état de la venue de représentants d'Exportkhleb en Europe pour discuter, notamment, des approvisionnements de blé dans le cadre du prêt communautaire, n'établissent en rien que les avenants ont été conclus avec des entreprises qui auraient été préalablement mises en concurrence avec au moins deux autres entreprises indépendantes.

72 Comme l'a souligné la requérante Glencore Grain, il est exact que les textes applicables imposent seulement à Exportkhleb de chercher au moins trois offres concurrentes. Il n'est donc pas exclu que certaines entreprises, bien qu'y ayant été invitées, renoncent à présenter une offre.

73 Toutefois, en l'espèce, le dossier ne fait même pas apparaître que, pour chacun des avenants finalement conclus, au moins deux entreprises tierces concurrentes auraient décliné la demande d'Exportkhleb.

74 Ainsi, dans la télécopie qu'elle a adressée à la Commission le 9 mars 1993 en vue de signaler les modifications apportées aux contrats, Exportkhleb s'est limitée à indiquer les contrats conclus avec chaque entreprise. Pour chaque contrat, il n'est mentionné que l'offre faite par l'entreprise qui a obtenu le contrat et les termes convenus après négociation avec Exportkhleb et cette entreprise. Il n'est nullement fait état, pour chacun de ces contrats, d'au moins deux autres réponses, fussent-elles négatives, aux invitations à soumettre des offres. Cette télécopie révèle seulement que chaque entreprise a conclu avec Exportkhleb un contrat correspondant au tonnage qui lui restait à livrer à la date de la réunion à Bruxelles. En réalité, si des offres étaient bien jointes à la télécopie du 9 mars 1993, il s'agissait d'offres distinctes pour des contrats distincts, et non pour un seul et même contrat. Cette télécopie ne permet donc pas non plus d'établir que chaque avenant aurait été conclu après mise en concurrence d'au moins trois entreprises indépendantes entre elles.

75 La Commission a par ailleurs indiqué, sans être contestée sur ce point, que lors de la notification officielle, par la [Vnesheconombank], des nouveaux termes des contrats, soit les 22 et 26 mars 1993, elle n'a pas reçu les réponses, favorables ou non, d'au moins trois entreprises indépendantes.

76 Les requérantes font toutefois observer que la libre concurrence a été respectée, puisque chacune a été obligée de s'aligner sur le prix le plus bas proposé.

77 Il est vrai que la télécopie du 9 mars 1993 d'Exportkhleb à la Commission révèle que les prix offerts allaient de 155 à 158,50 USD, mais que le prix convenu avec Exportkhleb était finalement de 155 USD pour toutes les entreprises.

78 Néanmoins, cela démontre tout au plus que, avant la conclusion de chacun des contrats, il a existé une négociation entre Exportkhleb et chaque requérante. En revanche, compte tenu également des éléments qui précèdent, cela n'établit pas que ce prix aurait été le résultat de la mise en concurrence, pour chaque contrat à passer, d'au moins trois entreprises indépendantes entre elles.

79 Il apparaît ainsi qu'il n'est pas démontré que la Commission ait commis une erreur en concluant que le principe de [la] libre concurrence n'avait pas été respecté lors de la conclusion des avenants aux contrats.

80 L'une des conditions cumulatives énoncées dans la réglementation applicable n'étant pas remplie, il y a lieu de rejeter le premier moyen, sans qu'il y ait lieu d'examiner si le prix convenu dans les avenants correspondait aux prix du marché mondial.»

28. Par la deuxième branche du deuxième moyen, les requérantes ont soutenu que le principe de protection de la confiance légitime aurait été violé. Elles ont mis en avant les assurances verbales qu'elles affirment avoir reçu de la Commission et la correspondance échangée avec cette dernière . Le Tribunal a rejeté cette branche en considérant que les conditions de la violation dudit principe ne sont pas réunies.

29. Par la troisième branche du deuxième moyen, les requérantes ont estimé que la Commission n'avait pas respecté l'obligation de motivation, telle qu'elle découle de l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE). Le Tribunal a relevé que la décision de la Commission était conforme aux exigences du droit communautaire et a également rejeté cette branche.

30. Par les troisième et quatrième moyens, les requérantes ont introduit des demandes de réparation des préjudices matériel et moral que le Tribunal a rejeté comme étant non fondées.

Le pourvoi

31. Par le présent pourvoi, les requérantes demandent à votre Cour d'annuler l'arrêt attaqué en ce qu'il aurait commis une erreur de droit dans l'appréciation de la condition de la libre concurrence inscrite à l'article 5 du règlement n° 1897/92 (premier moyen) et dans l'application qui en a été faite lors de la conclusion des avenants aux contrats (deuxième moyen). Elles reprochent également au Tribunal d'avoir violé les règles de procédure (troisième moyen) et d'avoir refusé d'accorder l'indemnité sollicitée (quatrième moyen).

32. L'examen au fond du présent pourvoi étant subordonné à sa recevabilité, nous commencerons l'étude de ce pourvoi par vérifier si les conditions en matière de recevabilité sont réunies.

Sur la recevabilité du pourvoi

33. Il convient de rappeler certains principes régissant le pourvoi, notamment quant à l'étendue de la compétence de la Cour.

34. D'une part, citant l'article 48, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, aux termes duquel la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui sont révélés pendant l'instance, votre Cour considère que:

«Permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu'elle n'a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d'un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d'un pourvoi, la compétence de la Cour est donc limitée à l'appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges» .

35. En application de cette jurisprudence, nous estimons que la deuxième branche du deuxième moyen doit être qualifiée de moyen nouveau au sens de votre jurisprudence. En effet, les requérantes font valoir comme moyen d'annulation que le Tribunal leur aurait imposé des obligations, découlant du règlement n° 1897/92, qui n'incomberaient qu'aux autorités russes. Ce moyen n'a pas été invoqué en première instance devant le Tribunal, mais est présenté pour la première fois devant votre Cour. Nous le considérons donc comme un moyen nouveau.

36. Dès lors, la deuxième branche du deuxième moyen doit être déclarée irrecevable.

37. D'autre part, il ressort de votre jurisprudence constante que, selon les articles 168 A du traité CE (devenu article 225 CE) et 51 du statut CE de la Cour de justice, le pourvoi est limité aux questions de droit et doit être fondé sur des moyens tirés de l'incompétence du Tribunal, d'irrégularités de procédure devant le Tribunal portant atteinte aux intérêts de la partie requérante ou de la violation du droit communautaire par ce dernier .

38. Il résulte clairement de votre jurisprudence que le pourvoi ne peut s'appuyer que sur des moyens portant sur la violation de règles de droit, à l'exclusion de toute appréciation des faits. Le Tribunal est seul compétent, d'une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l'inexactitude matérielle de ses constations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises et, d'autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour n'est plus compétente que pour exercer, en vertu de l'article 168 A du traité, un contrôle de la qualification juridique de ces faits et des conséquences de droit qui en sont tirées par le Tribunal .

39. La Cour n'est donc pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d'administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d'apprécier la valeur qu'il convient d'attribuer aux éléments qui lui ont été soumis . Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour .

40. Nous devons donc vérifier si, telles qu'elles viennent d'être rappelées, vos exigences jurisprudentielles en matière de recevabilité sont respectées dans notre affaire.

41. À cet égard, nous relevons que les troisième et quatrième branches du deuxième moyen ne respectent pas les conditions de recevabilité qui viennent d'être rappelées.

42. Dans la troisième branche de ce moyen, les requérantes estiment que le Tribunal se serait livré à une appréciation erronée en droit en ne prenant pas en compte la pratique administrative de la Commission et les obligations qui en découlent. Elles avancent les arguments selon lesquels la Commission aurait dû leur demander d'autres documents que les seuls contrats modifiés. La Commission n'aurait pas procédé à un examen suffisamment approfondi des circonstances de l'espèce .

43. Dans la quatrième branche de ce moyen, les requérantes considèrent que le Tribunal a fait preuve d'une approche erronée en droit en appréciant inexactement la preuve de la libre concurrence qui avait été rapportée. Elles font valoir que le Tribunal aurait dû déduire de la télécopie envoyée par Exportkhleb à la Commission le 9 mars 1993 que la condition de la libre concurrence avait bien été respectée .

44. L'examen des troisième et quatrième branches du deuxième moyen montre que les arguments des requérantes sont fondés sur la remise en cause de la constatation et de l'appréciation des faits au regard desquels le Tribunal a considéré que la condition de la libre concurrence n'avait pas été respectée. Les requérantes n'avancent aucun argument visant à démontrer que la conclusion que le Tribunal a tirée de faits déterminés serait entachée d'une erreur de droit.

45. Les troisième et quatrième branches du deuxième moyen doivent dès lors être déclarées irrecevables.

Sur le fond du pourvoi

Sur le premier moyen: l'appréciation erronée du respect de la condition de la libre concurrence inscrite à l'article 5 du règlement n° 1897/92

Arguments des parties

46. Les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la condition de la libre concurrence et la condition relative aux prix, exigées dans le règlement n° 1897/92, étaient cumulatives. Elles estiment, au contraire, que ces deux conditions sont indissociablement liées entre elles. En effet, la condition relative aux prix du marché mondial permettrait de déterminer si la condition de la libre concurrence a été respectée dans la mesure où les prix du marché mondial refléteraient en tant que tels les prix résultant au plan mondial d'une concurrence libre et loyale.

47. Selon la Commission, les deux conditions sont de nature différente. La condition tenant au respect de la libre concurrence concernerait la procédure de conclusion des contrats, alors que la condition relative aux prix des marchés internationaux concernerait le contenu des contrats. Le Tribunal aurait donc à juste titre considéré ces deux conditions comme étant cumulatives.

Appréciation

48. Afin de pouvoir porter une appréciation sur le caractère fondé ou non fondé de ce moyen d'annulation, il nous paraît nécessaire de se pencher sur le libellé de l'article 5, paragraphe 1, du règlement n° 1897/92.

49. Tel qu'il est énoncé, l'article 5 énumère une série de conditions qui doivent être respectées lors de la conclusion des contrats. À cet égard, en son paragraphe 1, il dispose que «[l]e contrat est passé à la suite d'une procédure garantissant la libre concurrence» . Les auteurs de ce règlement décrivent ensuite les règles procédurales à respecter, à savoir l'obligation pour les organismes d'achat de chercher au moins trois offres parmi les entreprises indépendantes .

50. À la lumière de ce libellé, nous considérons que la libre concurrence est entendue, au sens du règlement n° 1897/92, comme une règle de procédure et non comme une règle de fond. Dès lors que le Tribunal a souverainement constaté que la procédure n'avait pas été respectée, nous estimons que le moyen n'est pas fondé.

51. Le premier moyen doit donc être rejeté.

Sur la première branche du deuxième moyen: l'appréciation erronée de l'application de la condition de la libre concurrence lors de la conclusion des avenants aux contrats

Arguments des parties

52. Selon les requérantes, ce serait à tort que le Tribunal a exigé que chaque fournisseur soit mis en concurrence avec au moins deux entreprises indépendantes lors de la conclusion des nouveaux termes du contrat. Elles estiment que la réglementation communautaire pertinente n'exige rien de tel.

53. La Commission conteste cette interprétation et considère, au contraire, qu'il ressort très clairement de ladite réglementation que cette condition est fixée.

Appréciation

54. Les arguments de la requérante ne nous paraissent pas pertinents.

55. Comme le fait remarquer à juste titre la Commission dans son mémoire en défense , l'article 5, paragraphe 1, du règlement n° 1897/92 précise, de manière explicite, que «[l]e contrat est passé à la suite d'une procédure garantissant la libre concurrence. À cette fin, les organismes d'achat des républiques doivent, en sélectionnant les entreprises fournisseuses dans la Communauté, chercher au moins trois offres parmi des entreprises indépendantes entre elles, et doivent, en sélectionnant les entreprises des pays fournisseurs n'appartenant pas à la Communauté, chercher au moins trois offres parmi des entreprises indépendantes entre elles [...]» .

56. C'est donc à tort que les requérantes affirment que ni la décision 91/658 ni le règlement n° 1897/92 ne prescrivent l'obligation de mettre en concurrence au moins trois entreprises pour assurer le respect de la libre concurrence . Comme nous venons de le rappeler, le règlement n° 1897/92 mentionne très explicitement cette condition.

57. Par conséquent, nous vous proposons de rejeter le deuxième moyen dans sa première branche comme étant non fondé.

Sur le troisième moyen: la violation de l'article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal relatif à l'audition des témoins

Arguments des parties

58. Selon les requérantes, le Tribunal aurait dû entendre des témoins afin de procéder à la vérification de certains faits. Elles relèvent que le Tribunal a refusé de prendre en compte des articles de presse à titre de preuve de la libre concurrence. Dans ces conditions, elles soutiennent que, pour établir l'existence de la libre concurrence, le Tribunal aurait dû avoir recours à des témoins .

59. La Commission fait observer, au contraire, que l'article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal confère à ce dernier le pouvoir discrétionnaire de décider d'entendre ou non des témoins . Une telle décision ne pourrait être contestée en appel que si les requérantes avaient démontré que le fait de ne pas avoir entendu des témoins était manifestement déraisonnable.

Appréciation

60. À cet égard, deux points de votre jurisprudence méritent d'être cités.

61. Premièrement, nous relevons que vous avez déjà jugé que, «le Tribunal ne saurait être tenu de citer des témoins d'office, dès lors que l'article 66, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal précise que ce dernier fixe les mesures d'instruction qu'il juge convenir par voie d'ordonnance articulant les faits à prouver» .

62. Deuxièmement, vous avez déjà affirmé que «[l]e Tribunal est [...] seul juge de la nécessité éventuelle de compléter les éléments d'information dont il dispose sur les affaires dont il est saisi. Le caractère probant ou non des pièces de la procédure relève de son appréciation souveraine des faits, qui, selon une jurisprudence constante, échappe au contrôle de la Cour dans le cadre du pourvoi, sauf en cas de dénaturation des éléments de preuve présentés au Tribunal ou lorsque l'inexactitude matérielle des constatations du Tribunal ressort des documents versés au dossier» .

63. Or, nous constatons qu'aucune indication fournie dans le cadre du présent pourvoi ne permet de penser que tel est le cas en l'espèce.

64. Par conséquent, le moyen tiré de la violation de l'article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal doit être écarté.

Sur le quatrième moyen: la demande d'annulation du refus du Tribunal d'accorder l'indemnité sollicitée

Arguments des parties

65. Selon les requérantes, le Tribunal aurait fait une application inexacte des règles de droit en estimant que la Commission avait agi de manière licite. C'est pour cette raison et parce que la question du préjudice repose en grande partie sur des faits que les requérantes estiment que l'affaire doit être renvoyée devant le Tribunal pour qu'il statue sur l'indemnité.

66. D'après la Commission, ce moyen doit être écarté parce qu'il est lié aux moyens précédents qui ne sont pas fondés.

Appréciation

67. Il suffit de rappeler que l'engagement de la responsabilité suppose la réunion d'un certain nombre de conditions en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché à l'institution, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement et le préjudice invoqué .

68. L'examen des moyens précédents n'ayant pas permis de démontrer l'existence d'une quelconque faute commise par la Commission, c'est à bon droit que le Tribunal a refusé d'accorder l'indemnité.

69. Dès lors, le quatrième moyen doit être écarté.

Conclusion

70. Au regard des considérations qui précèdent, nous vous proposons, en conséquence, de:

1) rejeter les pourvois;

2) condamner les requérantes aux dépens, conformément à l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure.

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