EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62000CJ0435

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 14 novembre 2002.
Geha Naftiliaki EPE et autres contre NPDD Limeniko Tameio DOD/SOU et Elliniko Dimosio.
Demande de décision préjudicielle: Dioikitiko Protodikeio Rodou - Grèce.
Transports - Transports maritimes - Libre prestation des services - Restriction - Réglementation nationale, applicable à tous les prestataires indépendamment de leur nationalité, opérant une distinction entre les transports internes ou intracommunautaires et ceux à destination de pays tiers.
Affaire C-435/00.

Recueil de jurisprudence 2002 I-10615

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2002:661

62000J0435

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 14 novembre 2002. - Geha Naftiliaki EPE et autres contre NPDD Limeniko Tameio DOD/SOU et Elliniko Dimosio. - Demande de décision préjudicielle: Dioikitiko Protodikeio Rodou - Grèce. - Transports - Transports maritimes - Libre prestation des services - Restriction - Réglementation nationale, applicable à tous les prestataires indépendamment de leur nationalité, opérant une distinction entre les transports internes ou intracommunautaires et ceux à destination de pays tiers. - Affaire C-435/00.

Recueil de jurisprudence 2002 page I-10615


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1. Transports - Transports maritimes - Libre prestation des services - Règlement nº 4055/86 - Réglementation nationale prévoyant des droits portuaires différents pour les liaisons internes ou intracommunautaires et pour celles à destination ou en provenance de pays tiers - Inadmissibilité en l'absence de corrélation entre les droits portuaires et le coût des services prestés

(Règlement du Conseil n° 4055/86, art. 1er)

2. Transports - Transports maritimes - Libre prestation des services - Règlement nº 4055/86 - Réglementation nationale prévoyant, pour les liaisons extracommunautaires, des droits portuaires variant selon la distance ou la situation géographique des ports de destination - Inadmissibilité en l'absence de différences de traitement des voyageurs selon la destination ou la provenance

(Règlement du Conseil n° 4055/86, art. 1er)

Sommaire


1. L'article 1er du règlement n° 4055/86, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers, s'oppose à l'application, dans un État membre, de droits portuaires différents pour les liaisons internes ou intracommunautaires et pour celles entre un État membre et un pays tiers, si cette différence n'est pas objectivement justifiée.

Il s'ensuit que le fait, pour un État membre, d'imposer aux passagers des navires abordant ou ayant pour destination finale un port d'un pays tiers des droits portuaires différents de ceux imposés aux passagers des navires à destination interne ou à destination des États membres, sans qu'il y ait de corrélation entre cette différence et le coût des services portuaires dont bénéficient ces catégories de passagers, constitue une restriction à la libre prestation des services contraire audit article 1er.

( voir points 24, 26, disp. 1-2 )

2. L'article 1er du règlement n° 4055/86, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers, ne permet pas d'imposer pour les trajets à destination de ports de pays tiers des droits portuaires variant en fonction de critères relatifs à la distance de ces ports ou à leur situation géographique si la différence entre ces droits n'est pas objectivement justifiée par les différences de traitement auxquelles sont soumis les voyageurs en raison de leur destination ou de leur provenance.

( voir point 29, disp. 3 )

Parties


Dans l'affaire C-435/00,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Dioikitiko Protodikeio Rodou (Grèce), et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Geha Naftiliaki EPE,

Total Scope NE,

Stavros Georgios,

Afoi Charalambis OE,

Anastasios Charalambis,

Nicolaos Sarlis,

Dimitrios Kattidenios,

Antonios Charalambis,

Vassileios Dimitracopoulos

et

NPDD Limeniko Tameio DOD/SOU,

Elliniko Dimosio,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 1er du règlement (CEE) n° 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers (JO L 378, p. 1, et rectificatif JO 1987, L 93, p. 17),

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. J.-P. Puissochet (rapporteur), président de chambre, M. C. Gulmann, Mmes F. Macken et N. Colneric, et M. J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. S. Alber,

greffier: M. R. Grass,

considérant les observations écrites présentées:

- pour Geha Naftiliaki EPE, Total Scope NE, M. Georgios, Afoi Charalambis OE, MM. Anastasios Charalambis et Sarlis, par Me E. Bakaloumas, dikigoros,

- pour la NPDD Limeniko Tameio DOD/SOU, par Me I. Stamoulis, dikigoros,

- pour la Commission des Communautés européennes, par Mme M. Patakia et M. B. Mongin, en qualité d'agents,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 9 juillet 2002,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 10 juillet 2000, parvenue à la Cour le 27 novembre suivant, le Dioikitiko Protodikeio Rodou (tribunal administratif de première instance de Rhodes) a posé, en vertu de l'article 234 CE, trois questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 1er du règlement (CEE) n° 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers (JO L 378, p. 1, et rectificatif JO 1987, L 93, p. 17).

2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'une procédure opposant Geha Naftiliaki EPE, Total Scope NE, M. Georgios, Afoi Charalambis OE, MM. Anastasios Charalambis, Sarlis, Kattidenios, Antonios Charalambis et Dimitracopoulos à la NPDD Limeniko Tameio DOD/SOU (ci-après la «caisse portuaire du Dodécanèse») et à l'Elliniko Dimosio (État grec). Elles concernent la fixation par la législation hellénique de droits portuaires plus élevés pour les voyageurs à destination de ports de pays tiers.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 Le règlement n° 4055/86 dispose:

«Article premier

1. La libre prestation des services de transport maritime entre États membres et entre États membres et pays tiers est applicable aux ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire des services.

2. Les dispositions du présent règlement s'appliquent également aux ressortissants des États membres établis hors de la Communauté et aux compagnies maritimes établies hors de la Communauté et contrôlés par des ressortissants d'un État membre, si leurs navires sont immatriculés dans cet État membre conformément à sa législation.

[...]

4. Aux fins du présent règlement, sont considérés comme des services de transport maritime entre États membres et entre États membres et pays tiers, s'ils sont normalement assurés contre rémunération:

a) les transports intracommunautaires:

transport de voyageurs ou de marchandises par mer entre un port d'un État membre et un port ou une installation offshore d'un autre État membre;

b) le trafic avec des pays tiers:

transport de voyageurs ou de marchandises par mer entre un port d'un État membre et un port ou une installation offshore d'un pays tiers.

[...]

Article 6

1. Lorsqu'un ressortissant ou une compagnie maritime d'un État membre tels qu'ils sont définis à l'article 1er paragraphes 1 et 2 connaît ou risque de connaître une situation où il ne lui est pas effectivement possible de participer aux trafics vers un pays tiers déterminé et en provenance de celui-ci, l'État membre concerné en informe le plus rapidement possible les autres États membres et la Commission.

[...]

Article 7

Le Conseil, statuant selon les conditions prévues dans le traité, peut étendre le bénéfice des dispositions du présent règlement aux prestataires de services de transport maritime ressortissants d'un État tiers et établis dans la Communauté.

[...]

Article 9

Aussi longtemps que les restrictions à la libre prestation des services ne sont pas supprimées, chacun des États membres les applique sans distinction de nationalité ou de résidence à tous les prestataires de services visés à l'article 1er paragraphes 1 et 2.

[...]

Article 12

Le présent règlement entre en vigueur le jour suivant celui de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes.»

La réglementation nationale

4 L'article 6 de la loi n° 2399/1996 (FEK A' 90), dans sa version en vigueur lors de l'adoption des actes contestés dans le cadre du litige au principal (ci-après la «loi n° 2399/1996»), dispose ce qui suit:

«1. Un droit spécial en faveur de l'organisme public d'administration et d'exploitation du port d'embarquement est perçu pour tout passager embarqué dans un moyen de transport maritime, que ce soit à destination de l'intérieur du pays ou de l'étranger. Ce droit est imposé à titre de contrepartie, en vue de financer la modernisation et l'amélioration des ouvrages et des installations portuaires, l'utilisation du port et d'autres objectifs liés à l'amélioration des services offerts aux voyageurs.

2. Le droit consiste soit en une majoration proportionnelle du prix du billet, soit en une somme fixe en drachmes, selon le port de destination, le type de voyage en fonction de la catégorie de navire, etc. Il est déterminé de la manière suivante:

A. Pour les passagers des navires transbordeurs de personnes et/ou de véhicules de toute nature et des hydroptères des lignes intérieures, le droit s'élève à 5 % du prix des billets.

B. Pour les passagers des navires transbordeurs de personnes et/ou de véhicules battant pavillon grec ou pavillon étranger, sur des lignes extérieures, le droit est déterminé de la manière suivante:

a) un droit fixe de 5 000 GRD est perçu pour tout voyageur à destination de tout port d'un pays étranger, à l'exception des pays de l'Union européenne, de Chypre, de l'Albanie, de la Russie, de l'Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie en ce qui concerne la mer Noire.

[...]

e) Les caisses portuaires concernées versent 30 % des recettes issues du droit fixe, tel que prévu à l'alinéa précédent, à la Caisse de retraite de la marine civile, conformément aux procédures prévues par les dispositions relatives à cet organisme.

C. En ce qui concerne les passagers participant à des circuits touristiques (croisières) sur des navires de croisière battant pavillon grec ou pavillon étranger:

a) pour tout passager participant à une croisière touristique d'un jour entre ports grecs, un droit fixe de 50 GRD est perçu par port abordé par le navire. Si la croisière d'un jour s'étend à un port étranger, le droit fixe prévu au paragraphe B, sous a), b) ou c), selon le cas, est versé au dernier port.

[...]

[...]

4. Le droit est inscrit sur les billets et est directement perçu par les agences maritimes, les agences de tourisme et les entreprises analogues, sous leur responsabilité. Les responsables de la perception du droit sont tenus de déposer le montant perçu pour chaque mois calendrier, dans les dix premiers jours du mois suivant, sur le compte spécial de l'organisme public bénéficiaire en charge de l'administration et de l'exploitation du port, au seul titre de l'exécution d'ouvrages visant le service des passagers, ouvert auprès de la Banque de Grèce, et ils sont tenus de déposer conjointement un état mentionnant le nombre des billets émis par places et le montant à verser. Ces sommes ne peuvent être rendues disponibles que pour des ouvrages en relation avec le service de transport de passagers.

5. Les entreprises ayant la responsabilité de la perception sont pleinement et solidairement responsables, conjointement avec les passagers assujettis, du versement du droit. [...]

6. La constatation des montants dus au titre du droit portuaire s'opère par acte de l'organe collégial de l'organisme public d'administration et d'exploitation du port. [...]»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

5 Les sociétés Geha Naftiliaki EPE et Total Scope NE sont les armateurs, respectivement, des hydroptères «Fl. Marianna» et «Fl. Zeus». La copropriété de navires de MM. Anastasios Charalambis, Sarlis, Kattidenios, Antonios Charalambis et Dimitracopoulos est l'armateur de l'hydroptère «Iviscos», dont l'agent maritime est la société Afoi Charalambis OE.

6 Ces trois navires effectuent des trajets au départ du port de Rhodes à destination de la Turquie avec retour dans la même journée. Ils ont transporté, au cours du mois de juin 1996, 4 067 passagers d'un jour et 3 703 passagers en transit.

7 Par acte du 1er août 1996, la caisse portuaire du Dodécanèse a constaté un défaut de paiement de droits portuaires, entre autres, à charge de M. Georgios, représentant Geha Naftiliaki EPE et Total Scope NE, et à charge de Afoi Charalambis OE. Cet acte de constatation a été approuvé, le 5 août 1996, par le directeur régional du Dodécanèse.

8 Par le recours introduit devant la juridiction de renvoi, les requérants au principal demandent l'annulation des décisions visées au point précédent ainsi que le remboursement de certaines sommes versées au titre de droits portuaires.

9 À l'appui de leur recours, ils soutiennent que les montants des droits portuaires en cause au principal ont été irrégulièrement calculés. Ils estiment que ceux-ci devaient être perçus conformément à l'article 6, paragraphe 2, A, de la loi n° 2399/1996, soit à concurrence de 5 % du prix du billet, et non conformément à l'article 6, paragraphe 2, B, sous a), de la même loi, qui prévoit un montant de 5 000 GRD par passager, dès lors que les navires concernés ont été affrétés par des agences de voyage, en plein affrètement, pour effectuer une excursion d'un jour de Rhodes vers la Turquie et retour et que la destination finale de ces navires était Rhodes, soit un port national, et non la Turquie.

10 Les requérants au principal soutiennent également que les hydroptères ne sont pas soumis au droit prévu à l'article 6, paragraphe 2, B, sous a), de la loi n° 2399/1996, car ils n'y sont pas mentionnés de manière spécifique, mais au droit prévu à l'article 6, paragraphe 2, A, de cette loi.

11 Ils affirment que le calcul de droits portuaires en fonction du lieu de destination du navire crée une discrimination non seulement à leur détriment, mais aussi au détriment des voyageurs. Cette discrimination serait interdite au titre des engagements internationaux de la République hellénique. Elle serait surtout incompatible avec les articles 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE), 62 du traité CE (abrogé par le traité d'Amsterdam) et 84 du traité CE (devenu, après modification, article 80 CE) ainsi qu'avec le règlement n° 4055/86.

12 La juridiction de renvoi considère que le montant des droits portuaires constaté par l'acte du 1er août 1996 de la caisse portuaire du Dodécanèse a été légalement calculé conformément à l'article 6, paragraphe 2, B, sous a), de la loi n° 2399/1996, car il convient de faire application, en l'espèce au principal, de l'article 6, paragraphe 2, C, sous a), de la même loi, dans la mesure où il s'agit de croisières d'un jour.

13 La juridiction de renvoi juge que c'est également à juste titre que le droit prévu à l'article 6, paragraphe 2, B, sous a), de la loi n° 2399/1996 a été appliqué aux voyageurs transportés sur les hydroptères «Fl. Marianna», «Fl. Zeus» et «Iviscos».

14 Elle relève en outre que les droits portuaires en cause au principal sont perçus aux fins de l'utilisation de ports et de la modernisation et de l'amélioration des installations portuaires. Ces droits sont imposés en contrepartie d'un service spécifique fourni aux navires qui abordent les ports et à leurs passagers, à l'occasion de l'utilisation de ces installations, et ils sont versés à l'organisme public chargé de l'administration et de l'exploitation du port.

15 La juridiction de renvoi rappelle que le règlement n° 4055/86 porte application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers à partir du 1er janvier 1987.

16 Estimant que l'application de ce règlement à l'espèce au principal soulevait des difficultés, le Dioikitiko Protodikeio Rodou a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Convient-il d'interpréter l'article 1er du règlement (CEE) n° 4055/86 du Conseil de l'Union européenne en ce sens que ses dispositions interdisent à un État membre d'imposer, dans le cadre de sa législation nationale, des restrictions aux prestations de services dans le domaine des transports maritimes entre États membres et pays tiers, en termes généraux, même si ces restrictions sont imposées indistinctement pour tous les navires, que ceux-ci soient utilisés par des prestataires de services nationaux ou par des ressortissants d'autres États membres, et pour tous les passagers indistinctement, quelle que soit leur nationalité, ou convient-il d'interpréter les dispositions dudit règlement en ce sens qu'elles interdisent à un État membre d'instaurer, dans le cadre de sa législation nationale, des restrictions applicables aux seules prestations de service entre un autre État membre et un pays tiers, réservant ainsi aux transporteurs nationaux effectuant des transports maritimes vers des pays tiers un traitement plus favorable que celui réservé aux transporteurs qui sont des ressortissants d'autres États membres?

2) Un État membre est-il en droit d'imposer aux passagers des navires qui abordent ou qui ont pour destination finale un port d'un pays tiers (à l'Union européenne) des droits portuaires différents (car d'un montant plus élevé) de ceux qu'il impose aux passagers des navires à destination interne ou à destination des États membres de l'Union européenne même si, dans ces deux cas de figure, lesdits droits s'imposent à tous les passagers indépendamment de leur nationalité ou du pavillon battu par les navires ou une telle réglementation constitue-t-elle une restriction à la liberté de transporter des passagers à destination de pays tiers au motif que le droit plus élevé est susceptible d'influencer le choix des itinéraires et que, partant, elle est incompatible avec les dispositions inscrites à l'article 1er du règlement (CEE) n° 4055/86?

et

3) En cas de réponse négative, les droits portuaires imposés aux passagers à destination de ports de pays tiers peuvent-ils être en outre différenciés, selon le pays tiers, en fonction d'un critère de distance des ports ou de situation géographique ou une telle législation nationale est-elle aussi contraire audit règlement en ce qu'elle est constitutive de discrimination à l'égard des transports maritimes à destination d'un pays tiers déterminé (ou de pays tiers déterminés) et constitue à ce titre une restriction imposée aux transports maritimes effectués à destination de ce ou de ces pays?»

Sur la première question

17 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 1er du règlement n° 4055/86 s'oppose à ce qu'un État membre impose, dans le cadre de sa législation nationale, toute restriction aux prestations de services dans le domaine des transports maritimes entre États membres et pays tiers ou si seules sont interdites par cette disposition les restrictions établissant une discrimination entre les transporteurs nationaux et les transporteurs ressortissants d'autres États membres effectuant des transports maritimes vers des pays tiers.

18 La caisse portuaire du Dodécanèse expose que les droits portuaires en cause au principal sont mis à la charge non des sociétés de transport maritime mais des voyageurs qu'elles transportent et que, en conséquence, ils n'entrent pas dans le champ d'application du règlement n° 4055/86. Elle soutient que ces droits sont destinés à couvrir les dépenses de construction et d'entretien des installations portuaires ainsi que l'offre de services portuaires en général. Ils constitueraient dès lors des redevances, compatibles avec l'article 81 du traité CE (devenu article 77 CE), dont la validité ne saurait être remise en cause par une disposition de droit communautaire dérivée telle que l'article 1er du règlement n° 4055/86.

19 Cependant, ainsi que le relève la Commission, la majoration de droits portuaires affecte directement et de manière mécanique le prix du trajet, de sorte qu'une différenciation dans les droits supportés par les passagers est automatiquement répercutée sur le coût du trajet. La Cour a eu l'occasion de juger que l'application de taxes portuaires différenciées selon que le trajet est national ou intracommunautaire constitue une atteinte au principe de la libre prestation des services, interdite en vertu du règlement n° 4055/86 (voir arrêts du 5 octobre 1994, Commission/France, C-381/93, Rec. p. I-5145, point 21, et, concernant des taxes aéroportuaires, du 26 juin 2001, Commission/Portugal, C-70/99, Rec. p. I-4845).

20 Le règlement n° 4055/86, ayant rendu applicable au secteur des transports maritimes entre États membres l'intégralité des règles du traité régissant la libre prestation des services (voir arrêt Commission/France, précité, point 13), s'oppose à l'application de toute réglementation nationale qui a pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre, à moins que ladite réglementation n'apparaisse justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général et à la condition que les mesures qu'elle édicte soient nécessaires et proportionnées (voir arrêt Commission/Portugal, précité, point 28).

21 L'article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 4055/86 ayant étendu le principe de la libre prestation des services dans les liaisons intracommunautaires aux liaisons entre un État membre et un pays tiers, il y a lieu d'appliquer, concernant ces dernières liaisons, les règles dégagées à propos des précédentes.

22 En conséquence, les prestations de services de transport maritime entre le port de Rhodes et un port turc ne sauraient, sans justification objective (voir arrêt Commission/France, précité, point 16), être soumises à des conditions plus rigoureuses que celles auxquelles sont assujetties les prestations de services analogues entre le port de Rhodes et les ports de la République hellénique ou d'autres États membres.

23 Quant à l'article 81 du traité, invoqué par la caisse portuaire du Dodécanèse, il ne fait nullement obstacle à l'application du règlement n° 4055/86. Cette disposition permet la perception, par le transporteur au passage des frontières, de taxes ou de redevances devant tenir compte «des frais réels effectivement entraînés par ce passage». Or, la caisse portuaire ne démontre pas que de tels frais diffèrent selon les destinations dans les mêmes proportions que les droits portuaires en cause au principal.

24 Il convient donc de répondre à la première question que l'article 1er du règlement n° 4055/86 s'oppose à l'application, dans un État membre, de droits portuaires différents pour les liaisons internes ou intracommunautaires et pour celles entre un État membre et un pays tiers, si cette différence n'est pas objectivement justifiée.

Sur la deuxième question

25 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, au regard de l'article 1er du règlement n° 4055/86, un État membre peut imposer aux passagers des navires abordant ou ayant pour destination finale un port d'un pays tiers des droits portuaires différents de ceux imposés aux passagers des navires à destination interne ou à destination d'autres États membres, lorsque lesdits droits s'appliquent indépendamment de la nationalité des passagers ou du pavillon battu par les navires.

26 Il convient de répondre à cette question, compte tenu des considérations exposées aux points 19 à 24 du présent arrêt, que le fait d'imposer aux passagers des navires abordant ou ayant pour destination finale un port d'un pays tiers des droits portuaires différents de ceux imposés aux passagers des navires à destination interne ou à destination des États membres, sans qu'il y ait de corrélation entre cette différence et le coût des services portuaires dont bénéficient ces catégories de passagers, constitue une restriction à la libre prestation des services contraire à l'article 1er du règlement n° 4055/86.

Sur la troisième question

27 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 1er du règlement n° 4055/86 permet d'imposer pour les trajets à destination de ports de pays tiers des droits portuaires variant en fonction de critères relatifs à la distance de ces ports ou à leur situation géographique.

28 Un critère relatif à la distance ou à la situation géographique du port de destination ne saurait justifier à lui seul l'imposition de droits portuaires différenciés. Seule l'existence de différences objectives dans les services fournis aux passagers par les transporteurs peut justifier une telle différence (voir, en ce sens, arrêts précités Commission/France, point 16, et Commission/Portugal, point 36).

29 Il convient donc de répondre à la troisième question que l'article 1er du règlement n° 4055/86 ne permet pas d'imposer pour les trajets à destination de ports de pays tiers des droits portuaires variant en fonction de critères relatifs à la distance de ces ports ou à leur situation géographique si la différence entre ces droits n'est pas objectivement justifiée par les différences de traitement auxquels sont soumis les voyageurs en raison de leur destination ou de leur provenance.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

30 Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Dioikitiko Protodikeio Rodou, par ordonnance du 10 juillet 2000, dit pour droit:

1) L'article 1er du règlement (CEE) n° 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers, s'oppose à l'application, dans un État membre, de droits portuaires différents pour les liaisons internes ou intracommunautaires et pour celles entre un État membre et un pays tiers, si cette différence n'est pas objectivement justifiée.

2) Le fait d'imposer aux passagers des navires abordant ou ayant pour destination finale un port d'un pays tiers des droits portuaires différents de ceux imposés aux passagers des navires à destination interne ou à destination des États membres, sans qu'il y ait de corrélation entre cette différence et le coût des services portuaires dont bénéficient ces catégories de passagers, constitue une restriction à la libre prestation des services contraire à l'article 1er du règlement n° 4055/86.

3) L'article 1er du règlement n° 4055/86 ne permet pas d'imposer pour les trajets à destination de ports de pays tiers des droits portuaires variant en fonction de critères relatifs à la distance de ces ports ou à leur situation géographique si la différence entre ces droits n'est pas objectivement justifiée par les différences de traitement auxquels sont soumis les voyageurs en raison de leur destination ou de leur provenance.

Top