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Document 61999CJ0476

    Arrêt de la Cour du 19 mars 2002.
    H. Lommers contre Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij.
    Demande de décision préjudicielle: Centrale Raad van Beroep - Pays-Bas.
    Politique sociale - Égalité de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins - Dérogations - Mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes - Ministère mettant des places de garderie subventionnées à disposition de son personnel - Places réservées exclusivement aux enfants de fonctionnaires féminins, sous réserve de cas d'urgence relevant de l'appréciation de l'employeur.
    Affaire C-476/99.

    Recueil de jurisprudence 2002 I-02891

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2002:183

    61999J0476

    Arrêt de la Cour du 19 mars 2002. - H. Lommers contre Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij. - Demande de décision préjudicielle: Centrale Raad van Beroep - Pays-Bas. - Politique sociale - Égalité de traitement entre travailleurs masculins et travailleurs féminins - Dérogations - Mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes - Ministère mettant des places de garderie subventionnées à disposition de son personnel - Places réservées exclusivement aux enfants de fonctionnaires féminins, sous réserve de cas d'urgence relevant de l'appréciation de l'employeur. - Affaire C-476/99.

    Recueil de jurisprudence 2002 page I-02891


    Sommaire
    Parties
    Motifs de l'arrêt
    Décisions sur les dépenses
    Dispositif

    Mots clés


    Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Accès à l'emploi et conditions de travail - Égalité de traitement - Dérogations - Mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes - Réglementation, instaurée par un ministère, octroyant des places de garderie subventionnées aux seuls fonctionnaires féminins - Admissibilité - Conditions

    irective du Conseil 76/207, art. 2, § 1 et 4)

    Sommaire


    $$L'article 2, paragraphes 1 et 4, de la directive 76/207, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, ne s'oppose pas à une réglementation qui est instaurée par un ministère aux fins de lutter contre une sous-représentation importante des femmes en son sein et qui, dans un contexte caractérisé par une insuffisance avérée de structures d'accueil adéquates et abordables, réserve aux seuls fonctionnaires féminins les places de garderie subventionnées en nombre limité qu'il met à disposition de son personnel, tandis que les fonctionnaires masculins ne peuvent y avoir accès que dans des cas d'urgence relevant de l'appréciation de l'employeur. Il n'en va toutefois de la sorte que pour autant que l'exception ainsi prévue en faveur des fonctionnaires masculins soit notamment interprétée en ce sens qu'elle permet à ceux d'entre eux qui assument seuls la garde de leurs enfants d'avoir accès à ce système de garderie aux mêmes conditions que les fonctionnaires féminins.

    ( voir point 50 et disp. )

    Parties


    Dans l'affaire C-476/99,

    ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Centrale Raad van Beroep (Pays-Bas) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

    H. Lommers

    et

    Minister van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij,

    une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 2, paragraphes 1 et 4, de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40),

    LA COUR,

    composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, M. P. Jann, Mmes F. Macken et N. Colneric, présidents de chambre, MM. C. Gulmann, A. La Pergola (rapporteur), J.-P. Puissochet, R. Schintgen et V. Skouris, juges,

    avocat général: M. S. Alber,

    greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

    considérant les observations écrites présentées:

    - pour le gouvernement néerlandais, par M. M. A. Fierstra, en qualité d'agent,

    - pour la Commission des Communautés européennes, par Mme H. Michard et M. C. van der Hauwaert, en qualité d'agents,

    vu le rapport d'audience,

    ayant entendu les observations orales du gouvernement néerlandais, représenté par Mme H. G. Sevenster, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. H. M. H. Speyart, en qualité d'agent, à l'audience du 11 septembre 2001,

    ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 6 novembre 2001,

    rend le présent

    Arrêt

    Motifs de l'arrêt


    1 Par ordonnance du 8 décembre 1999, parvenue à la Cour le 16 décembre suivant, le Centrale Raad van Beroep a posé, en vertu de l'article 234 CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 2, paragraphes 1 et 4, de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40, ci-après la «directive»).

    2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant M. Lommers au ministre en charge du ministère qui l'emploie, le Ministerie van Landbouw, Natuurbeheer en Visserij (ministère de l'Agriculture, du Patrimoine naturel et de la Pêche, ci-après le «ministère de l'Agriculture»), au sujet du refus de ce dernier de donner à l'enfant de M. Lommers accès au système de garderie qu'il subventionne, motif pris de ce qu'un tel accès est, en principe, réservé aux seuls fonctionnaires féminins dudit ministère.

    Le cadre juridique

    Dispositions communautaires

    3 L'article 1er, paragraphe 1, de la directive dispose:

    «La présente directive vise la mise en oeuvre, dans les États membres, du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, y compris la promotion, et à la formation professionnelle ainsi que les conditions de travail [...]. Ce principe est dénommé ci-après `principe de l'égalité de traitement'.»

    4 L'article 2 de la directive prévoit:

    «1. Le principe de l'égalité de traitement au sens des dispositions ci-après implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial.

    [...]

    4. La présente directive ne fait pas obstacle aux mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes dans les domaines visés à l'article 1er paragraphe 1.»

    5 L'article 5, paragraphe 1, de la directive se lit comme suit:

    «L'application du principe de l'égalité de traitement en ce qui concerne les conditions de travail, y compris les conditions de licenciement, implique que soient assurées aux hommes et aux femmes les mêmes conditions, sans discrimination fondée sur le sexe.»

    6 Se référant explicitement dans son exposé des motifs à l'article 2, paragraphe 4, de la directive, la recommandation 84/635/CEE du Conseil, du 13 décembre 1984, relative à la promotion des actions positives en faveur des femmes (JO L 331, p. 34), invite notamment les États membres:

    «1) [à] adopter une politique d'action positive destinée à éliminer les inégalités de fait dont les femmes sont l'objet dans la vie professionnelle ainsi qu'à promouvoir la mixité dans l'emploi, et comportant des mesures générales et spécifiques appropriées, dans le cadre des politiques et pratiques nationales [...], afin:

    a) d'éliminer ou de compenser les effets préjudiciables qui, pour les femmes qui travaillent ou qui cherchent un emploi, résultent d'attitudes, de comportements et de structures fondés sur l'idée d'une répartition traditionnelle des rôles entre les hommes et les femmes dans la société;

    b) d'encourager la participation des femmes aux différentes activités dans les secteurs de la vie professionnelle où elles sont actuellement sous-représentées, en particulier dans les secteurs d'avenir, et aux niveaux supérieurs de responsabilité, pour obtenir une meilleure utilisation de toutes les ressources humaines;

    [...]

    3) [à] prendre, poursuivre ou encourager des mesures d'actions positives dans les secteurs public et privé;

    4) [à] faire en sorte que les actions positives incluent, dans la mesure du possible, des actions portant sur les aspects suivants:

    [...]

    - adaptation des conditions de travail [...]

    [...]

    [...]

    8) [à] entreprendre, dans le secteur public également, des efforts en matière de promotion de l'égalité des chances qui puissent donner l'exemple [...]

    [...]»

    Dispositions nationales

    7 L'article 1a de la Wet Gelijke Behandeling van mannen en vrouwen (loi sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes), du 1er mars 1980 (ci-après la «WGB»), dispose:

    «1. Dans le service public, l'autorité compétente ne peut opérer de distinction entre hommes et femmes [...] dans les conditions de travail [...]

    [...]»

    8 L'article 5 de la WGB prévoit toutefois ce qui suit:

    «1. Il peut être dérogé aux dispositions des articles 1a, 2, 3 et 4 si la distinction opérée vise à placer les femmes dans une position privilégiée afin d'éliminer ou de réduire des inégalités de fait et si la distinction est en rapport raisonnable avec l'objectif visé.

    [...]»

    9 Le ministère de l'Agriculture a adopté, le 15 novembre 1993, la circulaire n_ P 93-7841 (ci-après la «circulaire»), conformément à laquelle il met à la disposition de son personnel féminin un certain nombre de places de garderie. Celles-ci, dont le nombre s'élevait à 128 en 1995, sont réparties entre les directions et services du ministère de l'Agriculture en proportion du nombre de travailleurs féminins qui y sont affectés, et ce à raison d'environ une place pour 20 travailleurs féminins. Il s'agit pour partie de places dans un service de garderie propre au ministère de l'Agriculture et pour partie de places obtenues par ledit ministère auprès de structures d'accueil communales.

    10 Les fonctionnaires ayant obtenu une place de garderie pour leur enfant doivent fournir une contribution parentale dont le montant est fixé en fonction de leurs revenus et est dégressif pour les enfants d'une même famille. Cette contribution est retenue directement sur le salaire des fonctionnaires.

    11 Il ressort notamment de la circulaire que:

    «Les services de garde d'enfants sont, en principe, réservés exclusivement aux collaboratrices du ministère, sous réserve de cas d'urgence, qui relèvent de l'appréciation du directeur.»

    Le litige au principal et la question préjudicielle

    12 M. Lommers est fonctionnaire au ministère de l'Agriculture. Son épouse exerce une activité professionnelle auprès d'un autre employeur.

    13 Le 5 décembre 1995, M. Lommers a demandé au ministère de l'Agriculture de réserver une place de garderie pour son enfant à naître. Cette demande a été rejetée le 20 décembre 1995 au motif que les enfants de fonctionnaires masculins ne peuvent bénéficier des services de garderie en cause au principal que dans des cas d'urgence.

    14 Par lettre du 28 décembre 1995, M. Lommers a introduit une réclamation contre cette décision de rejet auprès du ministère de l'Agriculture. Il a, le même jour, sollicité l'avis de la Commissie gelijke behandeling (ci-après la «commission "égalité de traitement"») sur la compatibilité de la position dudit ministère avec la WGB.

    15 Dans un courrier adressé le 22 février 1996 à la commission «égalité de traitement», le ministère de l'Agriculture a notamment indiqué que la distinction fondée sur le sexe retenue dans la circulaire résultait d'une volonté du ministère de combattre une situation de sous-représentation des fonctionnaires féminins en son sein. Il a relevé à cet égard que, à la date du 31 décembre 1994, sur un nombre total de 11 251 collaborateurs, seuls 2 792 étaient des femmes et que ces dernières étaient en outre peu représentées au niveau des grades supérieurs.

    16 Dans un avis rendu le 25 juin 1996, la commission «égalité de traitement» a considéré que le ministère de l'Agriculture n'avait pas enfreint les articles 1a, paragraphe 1, et 5 de la WGB. Estimant qu'il était de notoriété publique que les femmes renoncent plus souvent que les hommes à exercer ou à continuer d'exercer une profession pour des motifs liés à la garde de leurs enfants et que l'on pouvait raisonnablement considérer que l'insuffisance avérée de structures d'accueil était dès lors de nature à jouer un rôle déterminant dans la renonciation des femmes à leur emploi, ladite commission a considéré que la circulaire était justifiée au regard de l'objectif visant à réduire les départs dans le personnel féminin et qu'elle n'excédait pas ce qui était nécessaire à cette fin. Selon elle, le fait qu'un fonctionnaire masculin élevant seul des enfants puisse, au titre de l'«urgence», bénéficier d'un accès aux places de garderie devrait toutefois être plus clairement affirmé dans la circulaire. En outre, cette commission considère que la conformité à la WGB de la circulaire ne peut être tenue pour acquise une fois pour toutes et que des évaluations régulières devraient permettre de vérifier que la mesure en cause demeure appropriée.

    17 L'enfant de M. Lommers est né le 5 juillet 1996.

    18 Se fondant sur l'avis de la commission «égalité de traitement», dans l'attente duquel il avait suspendu sa décision, le ministère de l'Agriculture a rejeté la réclamation de M. Lommers, par décision du 11 septembre 1996.

    19 Le recours introduit par ce dernier contre ladite décision a été déclaré non fondé par l'Arrondissementsrechtbank te 's-Gravenhage (Pays-Bas), par jugement du 8 octobre 1996. Statuant sur le seul fondement du droit national, cette juridiction a notamment fait sien l'avis de la commission «égalité de traitement».

    20 Le 13 novembre 1996, M. Lommers a interjeté appel de ce jugement devant le Centrale Raad van Beroep. Il a fait valoir que le ministère de l'Agriculture n'avait pas démontré que le nombre de femmes restant en fonction après leur congé de maternité avait augmenté grâce au système subventionné de garderie mis en place. Il a soutenu également que, dans la majorité des ministères néerlandais, aucune distinction n'était effectuée entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès aux systèmes subventionnés de garderie qui y sont organisés, ce qui indiquerait notamment que l'insuffisance des ressources disponibles ne peut être invoquée pour exclure les fonctionnaires masculins dudit ministère du bénéfice du système de garderie en cause au principal. M. Lommers considère en outre que cette exclusion méconnaît l'article 2 de la directive.

    21 Selon le ministère de l'Agriculture, le système en cause au principal est, au contraire, susceptible de justification au regard de l'article 2, paragraphe 4, de la directive. La priorité donnée aux femmes résulterait d'une volonté dudit ministère de combattre les inégalités existant entre fonctionnaires féminins et fonctionnaires masculins, s'agissant tant du nombre de femmes travaillant au ministère que de leur répartition par grade. La création de places de garderie subventionnées serait bien de nature à contribuer à éliminer cette inégalité de fait.

    22 Le Centrale Raad van Beroep souligne d'abord qu'une divergence d'opinion paraît exister quant à la question de savoir si l'article 2, paragraphe 4, de la directive est susceptible de recevoir application à l'égard de mesures visant les enfants de travailleurs, singulièrement lorsqu'il apparaît que le fait de garantir le bénéfice de telles mesures aux travailleurs des deux sexes n'empêcherait pas d'atteindre l'objectif de promotion de l'égalité des chances. Il relève ensuite que, selon une partie de la doctrine, des mesures telles que celle que prévoit la circulaire seraient de nature à figer et à légitimer une répartition traditionnelle des rôles entre hommes et femmes. Se référant aux arrêts du 17 octobre 1995, Kalanke (C-450/93, Rec. p. I-3051), et du 11 novembre 1997, Marschall (C-409/95, Rec. p. I-6363), le Centrale Raad van Beroep se demande en outre si la dérogation prévue par la circulaire au bénéfice des seuls travailleurs masculins se trouvant dans une situation d'urgence n'est pas excessivement restrictive. Il s'interroge enfin sur l'influence éventuelle que peut avoir la circonstance que l'exclusion du requérant au principal pourrait désavantager l'épouse de celui-ci au cas où cette dernière ne serait pas susceptible de bénéficier d'un service de garderie auprès de son propre employeur.

    23 Considérant que la jurisprudence de la Cour ne permet pas de trancher ces questions, le Centrale Raad van Beroep a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

    «L'article 2, paragraphes 1 et 4, de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, s'oppose-t-il à une réglementation instaurée par un employeur, en vertu de laquelle des places de garderie sont mises, avec son soutien financier, à disposition exclusivement des travailleurs féminins, un travailleur masculin ne pouvant en bénéficier que dans un cas d'urgence qui relève de l'appréciation de l'employeur?»

    Sur la question préjudicielle

    24 À titre liminaire, il y a lieu de relever que les articles 1a et 5 de la WGB assurent la transposition des articles 1er, paragraphe 1, et 2, paragraphes 1 et 4, de la directive en ce qui concerne le secteur public néerlandais et de rappeler, à cet égard, qu'il ressort d'une jurisprudence constante que, en appliquant le droit national, et notamment les dispositions d'une loi nationale spécialement introduite en vue d'exécuter une directive, la juridiction nationale est tenue d'interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive (voir, à propos de la directive, arrêt du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 53).

    25 La Cour a également jugé que le principe d'égalité de traitement posé par la directive a une portée générale et que la directive s'applique aux rapports d'emploi dans le secteur public (voir, notamment, arrêts du 26 octobre 1999, Sirdar, C-273/97, Rec. p. I-7403, point 18, et du 11 janvier 2000, Kreil, C-285/98, Rec. p. I-69, point 18).

    26 S'agissant de la mesure en cause au principal, il convient, en premier lieu, de relever, ainsi que l'a fait la juridiction de renvoi, que la mise à disposition en faveur de travailleurs, par leur employeur, de places de garderie, sur leur lieu de travail ou en dehors de ce dernier, doit bien être considérée comme une «condition de travail» au sens de la directive.

    27 Contrairement à la thèse défendue par la Commission lors de l'audience, cette qualification ne saurait être écartée au profit de celle de «rémunération» du simple fait que, comme en l'espèce au principal, le coût desdites places de garderie est partiellement supporté par l'employeur.

    28 À cet égard, il y a lieu en effet de rappeler que la Cour a précédemment jugé que le fait que la détermination de certaines conditions de travail peut avoir des conséquences pécuniaires n'est pas une raison suffisante pour faire rentrer de telles conditions dans le champ d'application de l'article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE), disposition fondée sur le lien étroit qui existe entre la nature de la prestation de travail et le montant du salaire (arrêts du 15 juin 1978, Defrenne III, 149/77, Rec. p. 1365, point 21, et du 30 mars 2000, Jämo, C-236/98, Rec. p. I-2189, point 59).

    29 En outre, ainsi que l'a observé à juste titre M. l'avocat général au point 48 de ses conclusions, une mesure telle que celle en cause au principal présente avant tout un caractère pratique. En effet, la mise à disposition de places de garderie évite au travailleur d'affronter les aléas et les difficultés caractérisant la recherche pour son enfant d'un lieu d'accueil qui soit tout à la fois adéquat et financièrement abordable. Une telle mesure a dès lors, particulièrement dans un contexte caractérisé par une offre insuffisante de places de garderie, pour objet et pour effet principaux de faciliter l'exercice de l'activité professionnelle des travailleurs concernés.

    30 Il convient, en deuxième lieu, de considérer qu'une disposition par laquelle un employeur réserve, sauf dans les cas d'urgence relevant de son appréciation, les places de garderie qu'il met à la disposition de son personnel aux seuls travailleurs féminins opère bien une différence de traitement fondée sur le sexe au sens des articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive. Les situations d'un travailleur masculin et d'un travailleur féminin, respectivement père et mère d'enfants en bas âge, sont en effet comparables au regard de la nécessité dans laquelle ceux-ci peuvent se trouver d'avoir recours à des services de garderie en raison de la circonstance qu'ils exercent un emploi (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 1988, Commission/France, 312/86, Rec. p. 6315, point 14, et, par analogie, en ce qui concerne la situation de travailleurs féminins et de travailleurs masculins assumant l'éducation de leurs enfants, arrêt du 29 novembre 2001, Griesmar, C-366/99, non encore publié au Recueil, point 56).

    31 Il convient dès lors, en troisième lieu, de vérifier si une mesure telle que celle en cause au principal est néanmoins admise par l'article 2, paragraphe 4, de la directive.

    32 Il résulte, à cet égard, d'une jurisprudence constante que cette dernière disposition a pour but précis et limité d'autoriser des mesures qui, tout en étant discriminatoires selon leurs apparences, visent effectivement à éliminer ou à réduire les inégalités de fait pouvant exister dans la réalité de la vie sociale. Elle autorise des mesures nationales dans le domaine de l'accès à l'emploi, y compris la promotion, qui, en favorisant spécialement les femmes, ont pour but d'améliorer leur capacité de concourir sur le marché du travail et de poursuivre une carrière sur un pied d'égalité avec les hommes (arrêts Kalanke, précité, points 18 et 19, Marschall, précité, points 26 et 27, et du 28 mars 2000, Badeck e.a., C-158/97, Rec. p. I-1875, point 19).

    33 La Cour a plus particulièrement jugé que l'article 2, paragraphes 1 et 4, de la directive, ne s'oppose pas à une réglementation nationale relative à la fonction publique qui accorde, dans les professions qualifiées dans lesquelles les femmes sont sous-représentées et pour lesquelles l'État ne détient pas le monopole de formation, au moins la moitié des places de formation aux femmes. Ayant relevé qu'une telle réglementation s'inscrit dans un concept restreint d'égalité des chances dans la mesure où ce ne sont pas des postes de travail qui sont réservés aux femmes, mais des places de formation en vue d'obtenir une qualification dans la perspective d'un accès ultérieur à des professions qualifiées dans la fonction publique, et qu'elle se contente donc d'améliorer les chances des candidats féminins dans le secteur public, la Cour a considéré que cette mesure relève de celles qui se proposent d'éliminer les causes des moindres chances d'accès au travail et de carrière accordées aux femmes et qui ont pour but d'améliorer leurs possibilités de concourir sur le marché du travail et de poursuivre une carrière sur un pied d'égalité avec les hommes (arrêt Badeck e. a., précité, points 52 à 55).

    34 Ainsi que l'a fait valoir à juste titre le gouvernement néerlandais dans ses observations, des considérations similaires permettent de conclure qu'une mesure telle que celle en cause au principal - qui répond par ailleurs aux orientations ressortant des points 1, 3, 4 et 8 de la recommandation 84/635 - ne méconnaît pas l'article 2, paragraphes 1 et 4, de la directive.

    35 Contrairement à ce que soutient la Commission à cet égard, l'arrêt Commission/France, précité, ne préjuge, pour sa part, aucunement de la solution à retenir dans la présente affaire au principal. La Cour s'est en effet bornée à relever, au point 15 dudit arrêt, qu'aucun élément du dossier qui lui avait été soumis par l'État membre défendeur ne permettait de conclure que le fait, imputable à ce dernier, de maintenir indistinctement en vigueur tout un ensemble de conventions collectives dont découlent des droits particuliers réservés aux femmes pouvait correspondre à la situation particulière envisagée à l'article 2, paragraphe 4, de la directive.

    36 S'agissant de la mesure en cause au principal, il convient, premièrement, de relever que, au vu de l'ordonnance de renvoi, du dossier de l'affaire au principal et des débats qui se sont tenus devant la Cour, il apparaît que, à l'époque de l'adoption de la circulaire et à celle des faits au principal, l'emploi au sein du ministère de l'Agriculture était caractérisé par une situation de sous-représentation importante des femmes, s'agissant tant de leur nombre que de leur présence à des postes de grade supérieur.

    37 Il y a lieu, deuxièmement, de relever que, ainsi que l'a notamment observé la commission «égalité de traitement» dans son avis susmentionné du 25 juin 1996, une insuffisance avérée de structures d'accueil adéquates et abordables pour les enfants est de nature à inciter plus particulièrement les travailleurs féminins à renoncer à leur emploi (voir également à ce propos les neuvième et dixième considérants de la recommandation n_ 92/241/CEE du Conseil, du 31 mars 1992, concernant la garde des enfants, JO L 123, p. 16).

    38 Dans ces conditions, il y a lieu de constater qu'une mesure telle que celle en cause au principal, qui s'inscrit dans le concept restreint d'égalité des chances dans la mesure où ce ne sont pas des postes de travail qui sont réservés aux femmes, mais le bénéfice de certaines conditions de travail destinées à faciliter la poursuite et la progression de leur carrière professionnelle, relève, en principe, de celles qui se proposent d'éliminer les causes des moindres chances d'accès au travail et de carrière accordées aux femmes et qui ont pour but d'améliorer leurs possibilités de concourir sur le marché du travail et de poursuivre une carrière sur un pied d'égalité avec les hommes. Il appartient, à cet égard, à la juridiction de renvoi de vérifier que les circonstances de fait rappelées aux points 36 et 37 du présent arrêt sont bien établies.

    39 Il demeure néanmoins que, en vertu d'une jurisprudence constante, il y a lieu, en déterminant la portée de toute dérogation à un droit individuel, tel que l'égalité de traitement entre hommes et femmes consacrée par la directive, de respecter le principe de proportionnalité qui exige que les dérogations ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché et que soient conciliés, dans toute la mesure du possible, le principe d'égalité de traitement et les exigences du but ainsi poursuivi (arrêts précités Johnston, point 38; Sirdar, point 26, et Kreil, point 23).

    40 Dans le cadre de la répartition des compétences prévue à l'article 234 CE, c'est en principe à la juridiction nationale qu'il incombe de veiller au respect du principe de proportionnalité. Toutefois, il ressort de la jurisprudence de la Cour que celle-ci est compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d'interprétation relevant du droit communautaire qui peuvent lui permettre d'apprécier la compatibilité d'une mesure nationale avec ce droit pour le jugement de l'affaire dont elle est saisie. En l'occurrence, et ainsi qu'il résulte du point 22 du présent arrêt, la juridiction de renvoi a de surcroît formulé diverses interrogations précises auxquelles il convient d'apporter une réponse.

    41 À titre liminaire, il convient de relever qu'une mesure telle que celle en cause au principal qui se veut destinée à abolir une inégalité de fait pourrait néanmoins également risquer de contribuer à perpétuer une distribution traditionnelle des rôles entre hommes et femmes.

    42 Une telle circonstance peut certes paraître de nature à renforcer l'opinion doctrinale à laquelle se réfère la juridiction de renvoi et selon laquelle, si l'objectif de promotion de l'égalité des chances entre hommes et femmes poursuivi par l'instauration d'une mesure bénéficiant aux travailleurs féminins ayant la qualité de mère peut être atteint tout en étendant le bénéfice de cette mesure aux travailleurs masculins ayant la qualité de père, le fait d'en exclure les hommes ne serait pas conforme au principe de proportionnalité.

    43 En l'occurrence, il y a toutefois lieu de tenir compte de la circonstance que, dans le contexte d'insuffisance de l'offre précédemment souligné, le nombre de places de garderie disponibles en vertu de la mesure en cause au principal est lui-même limité et que des listes d'attente existent pour les fonctionnaires féminins du ministère de l'Agriculture, si bien que ces derniers ne sont eux-mêmes aucunement assurés de pouvoir obtenir une telle place.

    44 Il convient, en outre, de relever qu'une mesure telle que celle en cause au principal n'a aucunement pour effet de priver les travailleurs masculins concernés, ni du reste les travailleurs féminins qui n'auraient pas pu obtenir une place d'accueil dans le cadre du système de garderie subventionné par le ministère de l'Agriculture, de tout accès à des places de garderie pour leurs enfants, celles-ci demeurant, pour l'essentiel, accessibles sur le marché des services correspondant (voir, par analogie, à propos de places de formation professionnelle, arrêt Badeck e.a., précité, point 53).

    45 Il y a lieu de rappeler également que la mesure en cause au principal n'exclut pas totalement les fonctionnaires masculins de son champ d'application mais autorise l'employeur à donner suite aux demandes de ces derniers dans des cas d'urgence qui relèvent de son appréciation.

    46 En ce qui concerne la portée de cette exception, il peut être relevé que tant le ministère de l'Agriculture dans le cadre des procédures menées au principal et devant la commission «égalité de traitement» que le gouvernement néerlandais devant la Cour ont indiqué que les fonctionnaires masculins qui élèvent seuls des enfants devraient, sur ce fondement, pouvoir avoir accès au système de garderie en cause au principal.

    47 Il convient d'indiquer, à cet égard, qu'une mesure qui exclurait les fonctionnaires masculins qui assument seuls la garde de leurs enfants de la possibilité d'accéder à un système de garderie subventionné par leur employeur irait au-delà de ce qu'autorise la dérogation prévue à l'article 2, paragraphe 4, de la directive, en portant une atteinte excessive au droit individuel à l'égalité de traitement que garantit cette dernière. À l'égard de tels fonctionnaires, l'argument tiré de la circonstance que les femmes sont davantage susceptibles d'interrompre leur carrière professionnelle en vue d'assumer la garde de leurs enfants en bas âge ne revêt du reste plus la même pertinence.

    48 Dans les conditions exposées aux points 43 à 47 du présent arrêt, il ne saurait être soutenu que le fait que la circulaire ne garantit pas l'accès aux places de garderie sur un pied d'égalité aux fonctionnaires des deux sexes est contraire au principe de proportionnalité.

    49 Quant à la circonstance que l'épouse du requérant au principal pourrait, le cas échéant, rencontrer des difficultés dans la poursuite de sa carrière professionnelle compte tenu de la nécessité de faire assurer la garde des enfants en bas âge du couple, elle paraît dépourvue de pertinence aux fins d'apprécier le bien-fondé de la mesure en cause au principal au regard de l'article 2, paragraphes 1 et 4, de la directive. Il convient en effet de relever que, en ce qui concerne des conditions de travail déterminées par un employeur, le principe d'égalité de traitement ne saurait, par définition, recevoir application qu'entre les travailleurs employés par celui-ci. Cette disposition ne saurait dès lors être interprétée en ce sens qu'elle impose à un employeur, qui adopte une mesure destinée à lutter contre une situation de sous-représentation des femmes caractérisant son propre personnel, de tenir compte de considérations liées au maintien de l'emploi de travailleurs féminins ne faisant pas partie de ce personnel.

    50 Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l'article 2, paragraphes 1 et 4, de la directive ne s'oppose pas à une réglementation qui est instaurée par un ministère aux fins de lutter contre une sous-représentation importante des femmes en son sein et qui, dans un contexte caractérisé par une insuffisance avérée de structures d'accueil adéquates et abordables, réserve aux seuls fonctionnaires féminins les places de garderie subventionnées en nombre limité qu'il met à disposition de son personnel, tandis que les fonctionnaires masculins ne peuvent y avoir accès que dans des cas d'urgence relevant de l'appréciation de l'employeur. Il n'en va toutefois de la sorte que pour autant que l'exception ainsi prévue en faveur des fonctionnaires masculins soit notamment interprétée en ce sens qu'elle permet à ceux d'entre eux qui assument seuls la garde de leurs enfants d'avoir accès à ce système de garderie aux mêmes conditions que les fonctionnaires féminins.

    Décisions sur les dépenses


    Sur les dépens

    51 Les frais exposés par le gouvernement néerlandais et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

    Dispositif


    Par ces motifs,

    LA COUR,

    statuant sur la question à elle soumise par le Centrale Raad van Beroep, par ordonnance du 8 décembre 1999, dit pour droit:

    L'article 2, paragraphes 1 et 4, de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, ne s'oppose pas à une réglementation qui est instaurée par un ministère aux fins de lutter contre une sous-représentation importante des femmes en son sein et qui, dans un contexte caractérisé par une insuffisance avérée de structures d'accueil adéquates et abordables, réserve aux seuls fonctionnaires féminins les places de garderie subventionnées en nombre limité qu'il met à disposition de son personnel, tandis que les fonctionnaires masculins ne peuvent y avoir accès que dans des cas d'urgence relevant de l'appréciation de l'employeur. Il n'en va toutefois de la sorte que pour autant que l'exception ainsi prévue en faveur des fonctionnaires masculins soit notamment interprétée en ce sens qu'elle permet à ceux d'entre eux qui assument seuls la garde de leurs enfants d'avoir accès à ce système de garderie aux mêmes conditions que les fonctionnaires féminins.

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