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Document 61999CC0443

    Conclusions jointes de l'avocat général Gulmann présentées le 12 juillet 2001.
    Merck, Sharp & Dohme GmbH contre Paranova Pharmazeutika Handels GmbH.
    Demande de décision préjudicielle: Oberlandesgericht Wien - Autriche.
    Affaire C-443/99.
    Boehringer Ingelheim KG, Boehringer Ingelheim Pharma KG, Glaxo Group Ltd, The Wellcome Foundation Ltd, SmithKline Beecham plc, Beecham Group plc, SmithKline & French Laboratories Ltd et Eli Lilly and Co. contre Swingward Ltd et Dowelhurst Ltd.
    Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division - Royaume-Uni.
    Affaire C-143/00.
    Marques - Directive 89/104/CEE - Article 7, paragraphe 2 - Epuisement du droit conféré par la marque - Médicaments - Importation parallèle - Reconditionnement du produit revêtu de la marque.

    Recueil de jurisprudence 2002 I-03703

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2001:412

    61999C0443

    Conclusions jointes de l'avocat général Gulmann présentées le 12 juillet 2001. - Merck, Sharp & Dohme GmbH contre Paranova Pharmazeutika Handels GmbH. - Demande de décision préjudicielle: Oberlandesgericht Wien - Autriche. - Affaire C-443/99. - Boehringer Ingelheim KG, Boehringer Ingelheim Pharma KG, Glaxo Group Ltd, The Wellcome Foundation Ltd, SmithKline Beecham plc, Beecham Group plc, SmithKline & French Laboratories Ltd et Eli Lilly and Co. contre Swingward Ltd et Dowelhurst Ltd. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division - Royaume-Uni. - Affaire C-143/00. - Marques - Directive 89/104/CEE - Article 7, paragraphe 2 - Epuisement du droit conféré par la marque - Médicaments - Importation parallèle - Reconditionnement du produit revêtu de la marque.

    Recueil de jurisprudence 2002 page I-03703


    Conclusions de l'avocat général


    Introduction

    1. Les présentes affaires soulèvent un certain nombre de questions concernant les circonstances dans lesquelles le titulaire d'une marque peut invoquer ses droits afin d'empêcher le reconditionnement de ses produits de marque par un importateur parallèle.

    2. Les deux affaires ont été entendues conjointement et il convient de les examiner dans des conclusions communes. Étant donné que l'affaire C-143/00, Boehringer Ingelheim e. a. (C-143/00), soulève des problèmes plus larges et comporte un grand nombre de questions, y compris, de fait, celle posée dans l'affaire Merck, Sharp & Dohme (C-443/99), nous l'examinerons en premier.

    Les faits de l'affaire Boehringer Ingelheim e.a.

    3. Les parties demanderesses dans la procédure au principal Boehringer Ingelheim e.a., Boehringer Ingelheim AG, Boehringer Ingelheim Pharma AG (ci-après, conjointement, «Boehringer Ingelheim»), Glaxo Group Ltd, The Wellcome Foundation Ltd (ci-après, conjointement, «Glaxo Wellcome»), Eli Lilly and Company (ci-après «Eli Lilly») et SmithKline Beecham plc, Beecham Group plc, SmithKline and French Laboratories Ltd (ci-après, conjointement, «SmithKline Beecham»), sont des sociétés renommées qui fabriquent et commercialisent des produits pharmaceutiques. Les parties défenderesses dans la procédure au principal, Swingward Ltd et Dowelhurst Ltd (ci-après «Swingward»), sont des importateurs parallèles de produits pharmaceutiques y compris, avec l'autorisation des autorités du Royaume-Uni, de produits fabriqués par les parties demanderesses.

    4. Dans son ordonnance, la juridiction de renvoi explique que divers produits pharmaceutiques (des inhalateurs et des comprimés) ont été commercialisés dans la Communauté par l'une des parties demanderesses sous une marque, achetés par l'une des parties défenderesses et importés au Royaume-Uni. Dans chaque cas, les parties défenderesses ont altéré dans une certaine mesure le conditionnement des produits et les notices contenues dans les emballages.

    5. Il apparaît que les divers produits ont été reconditionnés de différentes manières. Dans certains cas, l'emballage original a reçu (sans recouvrir la marque) un autocollant mentionnant la marque et indiquant certaines informations importantes telles que le nom de l'importateur parallèle et son numéro de licence d'importation parallèle. Sur de tels emballages, le texte rédigé en une autre langue que l'anglais reste visible. Dans d'autres cas, le produit a été reconditionné dans des boîtes conçues par l'importateur parallèle sur lesquelles la marque originale est reproduite. Enfin, dans quelques cas, le produit a été reconditionné dans une boîte conçue par l'importateur parallèle qui ne porte pas mention de la marque. À la place, la dénomination générique du produit figure sur la boîte. À l'intérieur de celle-ci, lorsqu'il s'agit de comprimés, l'emballage interne alvéolaire («blisters») porte la marque originale mais est recouvert par une étiquette mentionnant la dénomination générique du produit et l'identité du titulaire de la licence d'importation parallèle. Dans l'un de ces cas, l'étiquette rappelle la marque. Dans un autre cas, elle énumère (en anglais) les noms des jours de la semaine, chacun figurant en face d'une alvéole contenant un comprimé. Lorsque le produit reconditionné sous sa dénomination générique est un inhalateur, la boîte, sur laquelle la marque figurait à l'origine, a été recouverte d'une étiquette indiquant la dénomination générique. Dans tous les cas, les boîtes contiennent une notice d'information destinée aux patients, rédigée en anglais, qui mentionne la marque, et, le cas échéant, la marque apparaît aussi sur les comprimés eux-mêmes.

    6. Les parties demanderesses s'opposent à toutes les formes de présentation de leurs produits décrites ci-dessus, estimant qu'un tel reconditionnement et un tel réétiquetage ne sont pas nécessaires pour permettre la commercialisation au Royaume-Uni des produits importés et que, partant, selon la jurisprudence de la Cour de justice, les importateurs parallèles n'ont pas le droit de reconditionner ainsi leurs produits. En conséquence, les parties demanderesses ont introduit une procédure devant la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division, pour infraction au droit de marque.

    7. Nous souhaitons indiquer ici que, dans les présentes conclusions, nous utilisons le terme «reconditionnement» pour désigner globalement toutes les catégories d'opérations décrites ci-dessus, à savoir le réétiquetage avec la marque, le changement d'emballage avec la marque et le changement d'emballage sans la marque, sauf lorsque le contexte indique plus précisément de quelle sorte d'opération il s'agit.

    8. Le renvoi a été rendu nécessaire par les doutes de la juridiction nationale quant à l'interprétation correcte de la législation communautaire pertinente et de la jurisprudence de la Cour dans ce domaine. Avant d'en venir aux questions détaillées auxquelles la juridiction de renvoi cherche une réponse et aux faits et à la question de l'affaire Merck, Sharp & Dohme, il est utile d'exposer la législation et de résumer la jurisprudence.

    Le cadre juridique communautaire

    9. Il y a trente ans, la Cour a établi le principe selon lequel, si le traité n'affecte pas l'existence des droits reconnus par la législation d'un État membre en matière de propriété industrielle et commerciale, l'exercice de ces droits peut cependant tomber sous le coup des interdictions édictées par le traité .

    10. L'article 28 CE interdit entre les États membres les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent. D'après la première phrase de l'article 30 CE, l'article 28 CE ne fait pas obstacle aux interdictions ou restrictions justifiées par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale. D'après la seconde phrase du même article, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.

    11. Il est clair que, si le titulaire d'une marque était habilité à utiliser son droit y afférent afin d'empêcher l'importation et la vente de marchandises mises sur le marché avec son consentement dans un autre État membre, il y aurait restriction quantitative ou mesure d'effet équivalent au sens de l'article 28 CE. Il y a longtemps déjà que la Cour a décidé que l'exercice, par le titulaire d'une marque, de ses droits y afférents afin d'empêcher ce commerce parallèle ne saurait être justifié par l'article 30 CE .

    12. Ce principe de l'épuisement communautaire a été consacré ensuite à l'article 7, paragraphe 1, de la directive sur les marques , qui dispose ce qui suit:

    «Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.»

    13. La Cour a toutefois reconnu également qu'il existait des cas dans lesquels l'article 30 CE pouvait permettre au titulaire d'une marque de s'opposer à l'importation à partir d'un autre État membre de produits mis sur le marché par lui-même ou avec son consentement. Ces cas, dans la mesure où ils concernent la présente espèce, seront étudiés dans les sections suivantes. Cette restriction au principe de l'épuisement du droit se reflète à l'article 7, paragraphe 2, de la directive sur les marques, qui dispose ce qui suit:

    «Le paragraphe 1 n'est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s'oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l'état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce.»

    14. L'analyse que donne la juridiction de renvoi du droit applicable dans ce domaine est centrée sur les articles 28 CE et 30 CE plutôt que sur l'article 7 de la directive. Or, la Cour a indiqué - ainsi que le relève la juridiction de renvoi - que l'article 7 régit globalement la question de l'épuisement du droit de marque des produits commercialisés dans la Communauté , tout en affirmant constamment que l'article 30 CE et l'article 7 de la directive doivent recevoir la même interprétation .

    La jurisprudence pertinente

    15. Dans son ordonnance de renvoi, la juridiction nationale se livre à une critique de la jurisprudence de la Cour dans ce domaine et, en fait, invite la Cour à inverser ses précédentes décisions sur certains points . Il convient de rendre compte de manière relativement détaillée de l'évolution de cette jurisprudence avant d'apprécier les critiques de la juridiction de renvoi et les observations soumises à la Cour.

    Les premières affaires

    16. La Cour a établi le principe d'épuisement des droits en matière de droit de marque dans l'arrêt Winthorp . Cette affaire concernait la tentative du titulaire d'un droit de marque d'exciper des droits que lui conférait le droit national afin d'empêcher l'importation en parallèle de produits pharmaceutiques dans leur emballage d'origine. La Cour a dit pour droit que, en tant qu'il apporte une exception à l'un des principes fondamentaux du marché commun, l'article 36 du traité CE (qui a précédé l'article 30 CE) n'admet des dérogations à la libre circulation des marchandises que dans la mesure où ces dérogations sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de cette propriété. En matière de marque, l'objet spécifique de la propriété commerciale est d'assurer au titulaire le droit exclusif d'utiliser la marque, pour la première mise en circulation d'un produit, et de le protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de cette marque. Un tel obstacle n'est pas justifié lorsque le produit a été écoulé licitement sur le marché de l'État membre d'où il est importé, par le titulaire lui-même ou avec son consentement, de sorte qu'il ne peut être question d'abus ou de contrefaçon de la marque .

    17. Dans l'affaire Hoffmann-La Roche , la Cour était invitée à se prononcer sur l'application du principe d'épuisement du droit de marque lorsqu'un importateur parallèle de produits pharmaceutiques les avait reconditionnés et avait réapposé la marque sur le nouvel emballage sans le consentement du titulaire de la marque. La raison du reconditionnement était que le produit était commercialisé dans des quantités différentes dans les États membres d'exportation et de destination.

    18. Dans son arrêt, la Cour a rappelé ce qu'elle avait dit dans l'arrêt Winthorp quant à la portée de dérogations en vertu de l'article 36 du traité CE à la libre circulation des marchandises et à la signification de l'objet spécifique de la marque , et, poursuivant, elle a dit que, en vue de répondre à la question de savoir si cet objet spécifique comporte le droit de s'opposer à l'apposition de celle-ci par un tiers après reconditionnement du produit - et, partant, de savoir si une telle action est justifiée au titre de l'article 36 du traité -, il fallait tenir compte de la fonction essentielle de la marque. Cette fonction est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit marqué, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit de ceux qui ont une autre provenance. Cette garantie de provenance implique que le consommateur ou l'utilisateur final puisse être certain qu'un produit marqué qui lui est offert n'a pas fait l'objet d'une intervention opérée par un tiers sans autorisation du titulaire de la marque, qui a atteint le produit dans son état originaire. Le droit qui est reconnu au titulaire de s'opposer à toute utilisation de la marque susceptible de fausser la garantie de provenance ainsi comprise relève donc de l'objet spécifique du droit de marque .

    19. La Cour a considéré qu'il était justifié, aux termes de l'article 36, première phrase du traité, de reconnaître au titulaire le droit de s'opposer à ce qu'un importateur d'un produit de marque, après reconditionnement de celui-ci, appose la marque sans son autorisation sur le nouvel emballage .

    20. La Cour a ensuite restreint cette position de principe, énonçant qu'il fallait encore examiner si l'exercice d'un tel droit pouvait constituer une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres au sens de l'article 36, deuxième phrase, du traité. Une telle restriction pourrait résulter du fait que le titulaire de la marque mette sur le marché, dans divers États membres, un produit identique dans des conditionnements divers, tout en se prévalant des droits inhérents à la marque pour empêcher le reconditionnement, même si celui-ci a été opéré dans des conditions telles que l'identité d'origine du produit marqué et l'état originaire de celui-ci ne sauraient en être affectés . Il pourrait en être ainsi par exemple lorsque le reconditionnement ne porte que sur l'emballage extérieur, en laissant intact l'emballage intérieur. Lorsque la fonction essentielle était ainsi sauvegardée, l'exercice par le titulaire de son droit de marque pourrait constituer une restriction déguisée si, compte tenu du système de commercialisation appliqué par celui-ci, elle contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres .

    21. La Cour a ajouté que, eu égard à l'intérêt du titulaire à ce que le consommateur ne soit pas induit en erreur sur la provenance du produit, il convenait en outre de ne reconnaître à l'opérateur la faculté de vendre le produit importé avec la marque apposée sur le nouvel emballage qu'à la condition qu'il avertisse préalablement le titulaire et qu'il indique clairement sur le nouvel emballage que le produit avait été reconditionné par lui .

    22. En conséquence, la Cour a statué ainsi:

    « a) Est justifiée, au sens de l'article 36, première phrase, du traité CEE, l'opposition par le titulaire d'un droit de marque, protégé dans deux États membres à la fois, à ce qu'un produit, licitement pourvu de la marque dans un de ces États, soit mis sur le marché dans l'autre État membre, après avoir été reconditionné dans un nouvel emballage sur lequel la marque a été apposée par un tiers;

    b) constitue, cependant, une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres au sens de l'article 36, deuxième phrase, du traité, une telle opposition

    - s'il est établi que l'utilisation du droit de marque par le titulaire, compte tenu du système de commercialisation appliqué par celui-ci, contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres;

    - s'il est démontré que le reconditionnement ne saurait affecter l'état originaire du produit;

    - si le titulaire de la marque est averti préalablement de la mise en vente du produit reconditionné; et

    - s'il est indiqué sur le nouvel emballage par qui le produit a été reconditionné.»

    23. Donc, après l'arrêt Hoffmann-La Roche, la légalité des importations parallèles de produits pharmaceutiques reconditionnés sur lesquels la marque avait été réapposée devait être appréciée comme suit, en laissant de côté la condition du préavis, dont nous discuterons séparément , et celle afférente aux informations portées sur le nouvel emballage, qui n'est pas en cause en l'occurrence.

    24. Premièrement, comme le reconditionnement est susceptible de fausser la garantie de provenance et que le droit du titulaire de la marque de s'opposer à toute utilisation de celle-ci susceptible d'avoir cet effet fait partie de l'objet spécifique du droit de marque, le titulaire est couvert a priori par l'article 36, première phrase, du traité lorsqu'il s'oppose à ce qu'un importateur appose la marque sur le nouvel emballage.

    25. Toutefois, l'exercice de ce droit peut constituer, dans certains cas, une restriction déguisée au sens de l'article 36, seconde phrase, du traité et, partant, être illicite.

    26. Tel pourrait être le cas si le titulaire de la marque a utilisé des conditionnements différents dans les divers États membres et fait usage de son droit de marque pour s'opposer à un reconditionnement qui, en fait, ne pouvait affecter l'identité d'origine et l'état originaire du produit de marque. Dans ce cas, l'exercice de droit de marque contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres.

    27. Peu après que la demande préjudicielle eut été introduite dans l'affaire Hoffmann-La Roche, la Cour a été invitée, dans l'affaire Centrafarm , à se prononcer sur un cas dans lequel l'importateur entendait non seulement reconditionner le produit, mais aussi apposer une marque différente. La société American Home Products était titulaire des marques Seresta, enregistrée au Benelux, et Serenid D, enregistrée au Royaume-Uni, qui concernaient toutes les deux des tranquillisants ayant les mêmes propriétés thérapeutiques qu'elle commercialisait aux Pays-Bas sous la marque Seresta et au Royaume-Uni sous la marque Serenid D. Centrafarm avait acheté des tranquillisants au Royaume-Uni et les commercialisait aux Pays-Bas dans un nouvel emballage et sous la marque Seresta. American Home Products a demandé à la justice d'interdire cette pratique. La Cour a été invitée à dire si les articles 30 et 36 du traité empêchaient le titulaire de la marque d'exciper des droits que lui reconnaissait une législation nationale pour s'opposer à cette commercialisation.

    28. La Cour a statué en octobre 1978, cinq mois après l'arrêt Hoffmann-La Roche. La Cour a rappelé ses observations dans la première affaire concernant l'objet spécifique et la fonction essentielle (en tant que garantie de provenance) d'une marque. Elle poursuivait ainsi:

    «[...] il est inhérent à cette garantie de provenance que seul le titulaire puisse identifier le produit par l'apposition de la marque.

    ... la garantie de provenance serait en effet compromise s'il était loisible à un tiers d'apposer la marque sur le produit, même original.

    [...]

    Le droit reconnu au titulaire de la marque de s'opposer à toute apposition non autorisée de celle-ci sur son produit relève ainsi de l'objet spécifique du droit de marque» .

    29. La Cour en est venue ensuite au point de savoir si l'exercice de ce droit était susceptible de constituer une restriction déguisée aux échanges entre États membres au sens de l'article 36, seconde phrase, du traité. Elle a reformulé dans l'arrêt Upjohn la conclusion qu'elle avait tirée sur ce point de façon à mettre sa jurisprudence sur le «remarquage» (c'est-à-dire le fait de remplacer une marque par une autre du même propriétaire) en harmonie avec celle concernant la réapposition d'une marque sur un produit reconditionné .

    L'affaire Bristol-Myers Squibb e.a. et les affaires connexes

    30. L'affaire Bristol-Myers Squibb e.a. et les deux affaires connexes Eurim-Pharm et MPA Pharma portaient également sur les cas dans lesquels le titulaire d'une marque pouvait empêcher un importateur parallèle de reconditionner ses produits pharmaceutiques de marque. La Cour est partie de ses conclusions dans l'affaire Hoffmann-La Roche, affinant ensuite sa jurisprudence .

    31. La Cour a déclaré tout d'abord que l'adoption de la directive sur les marques n'avait pas modifié en substance la jurisprudence dont il a été question ci-dessus. Donc, sous réserve des circonstances définies à l'article 7, paragraphe 2, l'article 7, paragraphe 1, de la directive interdit au titulaire d'une marque d'exciper de ses droits de propriétaire pour empêcher un importateur de commercialiser un produit mis en circulation dans un autre État membre par le titulaire ou avec son consentement, même si cet importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque sans l'autorisation du titulaire . Afin de déterminer si, en vertu de l'article 7, paragraphe 2, de la directive, le titulaire d'une marque peut s'opposer à la commercialisation de produits reconditionnés sur lesquels la marque a été réapposée, il y a lieu de se fonder sur la jurisprudence de la Cour dégagée dans le cadre de l'article 36 du traité .

    32. Après avoir mentionné l'arrêt Hoffmann-La Roche, la Cour a réaffirmé le principe fondamental d'épuisement des droits , puis rappelé les principes dégagés dans cette affaire quant à la fonction essentielle et à l'objet spécifique de la marque , concluant que l'article 7, paragraphe 2, de la directive signifiait que «le titulaire de la marque [pouvait] légitimement s'opposer à la commercialisation ultérieure d'un produit pharmaceutique lorsque l'importateur [avait] reconditionné le produit et y [avait] réapposé la marque, à moins que les quatre conditions énoncées dans l'arrêt Hoffmann-La Roche[...] soient réunies» . Rappelons que ces quatre conditions définissent les circonstances dans lesquelles l'exercice par le titulaire de ses droits afin d'empêcher une commercialisation constitue une restriction déguisée aux échanges entre États membres au sens de l'article 36, seconde phrase, du traité. Ces conditions sont i) que l'utilisation du droit de marque, compte tenu du système de commercialisation de son titulaire, contribue à cloisonner artificiellement les marchés; ii) que le reconditionnement ne soit pas susceptible d'affecter l'état originaire du produit; iii) que le titulaire reçoive un préavis et iv) que le nouvel emballage indique le nom du reconditionneur.

    33. La Cour a ensuite analysé plus précisément chacune de ces quatre conditions.

    34. En ce qui concerne la notion de cloisonnement artificiel des marchés entre États membres, la Cour a déclaré ce qui suit:

    «[...] l'utilisation du droit de marque par son titulaire pour s'opposer à la commercialisation sous cette marque des produits reconditionnés par un tiers contribuerait à cloisonner les marchés entre États membres, notamment lorsque le titulaire a mis en circulation, dans différents États membres, un produit pharmaceutique identique dans des conditionnements divers et que le produit ne peut, en l'état où il a été commercialisé par le titulaire du droit dans un État membre, être importé et mis en circulation dans un autre État membre par un importateur parallèle.

    Il s'ensuit que le titulaire de la marque ne peut pas s'opposer au reconditionnement du produit dans un nouvel emballage extérieur lorsque l'emballage, dans la taille utilisée par le titulaire dans l'État membre où l'importateur a acheté le produit, ne peut pas être commercialisé dans l'État membre d'importation en raison, notamment, d'une réglementation n'autorisant que des emballages d'une certaine taille ou d'une pratique nationale en ce sens, de règles en matière d'assurance maladie faisant dépendre de la taille de l'emballage le remboursement des frais médicaux, ou de pratiques de prescription médicale bien établies se basant, entre autres, sur des normes de dimension recommandées par des groupements professionnels et par les institutions d'assurance maladie.

    [...]

    [...] le titulaire peut s'opposer au reconditionnement du produit dans un nouvel emballage extérieur lorsque l'importateur est à même de réaliser un emballage pouvant être commercialisé dans l'État membre d'importation, par exemple, en apposant sur l'emballage extérieur ou intérieur d'origine des nouvelles étiquettes rédigées dans la langue de l'État membre d'importation, [...]

    En effet, le pouvoir du titulaire d'un droit de marque protégé dans un État membre de s'opposer à la commercialisation sous la marque des produits reconditionnés ne doit être limité que dans la mesure où le reconditionnement auquel a procédé l'importateur est nécessaire pour commercialiser le produit dans l'État membre d'importation.

    Enfin, il y a lieu de préciser que, contrairement à ce que prétendent les demanderesses au principal, l'utilisation par la Cour du terme cloisonnement artificiel des marchés n'implique pas que l'importateur doive démontrer que, en mettant en circulation dans différents États membres un produit identique dans des conditionnements divers, le titulaire de la marque a délibérément cherché à cloisonner les marchés entre États membres. En effet, en précisant qu'il doit s'agir d'un cloisonnement artificiel, la Cour a entendu souligner que le titulaire peut toujours se prévaloir de son droit de marque pour s'opposer à la commercialisation des produits reconditionnés lorsque ceci est justifié par la nécessité de sauvegarder la fonction essentielle de la marque, le cloisonnement en résultant ne pouvant dans ce cas être considéré comme artificiel» .

    35. La Cour a éclairci ainsi deux aspects de la première condition constitutive d'une restriction déguisée aux échanges qu'elle avait dégagée dans l'affaire Hoffmann-La Roche, à savoir que l'utilisation par le titulaire de son droit de marque contribue à cloisonner artificiellement les marchés.

    36. Premièrement, si la première affaire comportait une référence générale au fait de «[tenir] compte du système de commercialisation appliqué par le [titulaire de la marque]», les arrêts ultérieurs donnent un exemple d'un tel système de commercialisation - c'est-à-dire le cas dans lequel le titulaire a mis en circulation le même produit pharmaceutique dans plusieurs États membres, dans des conditionnements variés, et que le produit n'est pas susceptible, sous sa forme de commercialisation dans un État membre par le titulaire, d'être importé et mis sur le marché d'un autre État membre par un importateur parallèle. La Cour a souligné que, pour déterminer si le titulaire d'une marque perd pour cette raison le droit qui lui est conféré a priori de s'opposer à la commercialisation de produits reconditionnés, il convient de savoir si le reconditionnement est nécessaire pour vendre le produit dans l'État membre de destination.

    37. Deuxièmement, la Cour a confirmé que, ainsi que le laissait entendre l'arrêt Hoffmann-La Roche, l'utilisation par le titulaire de ses droits afin de sauvegarder la fonction essentielle de la marque n'est pas considérée comme contribuant à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres.

    38. Pour ce qui est de l'exigence selon laquelle le reconditionnement ne doit pas être susceptible d'affecter l'état originaire du produit, la Cour a souligné premièrement que c'était l'état du produit à l'intérieur de l'emballage qui était visé. Le titulaire de la marque peut donc s'opposer à tout reconditionnement comportant le risque d'exposer le produit contenu dans l'emballage à des manipulations ou à des influences affectant son état originaire. Ce n'est pas le cas lorsque le reconditionnement ne porte que sur l'emballage extérieur, en laissant intact l'emballage intérieur. Le simple fait de retirer des plaquettes alvéolaires, flacons, fioles, ampoules ou inhalateurs de leur emballage extérieur d'origine et de les placer dans un nouvel emballage extérieur n'est donc pas de nature à affecter l'état originaire du produit contenu dans l'emballage .

    39. La Cour a conclu que, dans l'hypothèse où le reconditionnement est opéré dans des conditions qui ne sauraient affecter l'état originaire du produit contenu dans l'emballage, la fonction essentielle de la marque en tant que garantie de provenance est sauvegardée. Ainsi, le consommateur ou l'utilisateur final n'est pas induit en erreur sur la provenance des produits, mais reçoit effectivement des produits fabriqués sous le contrôle unique du titulaire de la marque. Celui-ci ne peut donc pas se prévaloir de son droit de marque pour s'opposer à la commercialisation sous sa marque des produits reconditionnés par un importateur. Or, cette conclusion confère à l'importateur certains droits qui, normalement, sont réservés au titulaire lui-même. Dans l'intérêt de celui-ci en tant que propriétaire de la marque et pour le protéger contre tout abus, il convient par conséquent, ainsi que la Cour l'a constaté dans l'arrêt Hoffmann-La Roche, de ne reconnaître ces droits que pour autant que l'importateur respecte certaines autres exigences .

    40. Premièrement, la Cour a confirmé que, eu égard à l'intérêt du titulaire de la marque à ce que le consommateur ou l'utilisateur final ne puisse être amené à croire qu'il est responsable du reconditionnement, le nouvel emballage doit indiquer clairement par qui le produit a été reconditionné et mentionner le nom du fabricant .

    41. Toutefois, même si cette condition est respectée, il ne peut être exclu que la réputation de la marque et de son titulaire puisse avoir à souffrir de la présentation du produit reconditionné: dans ce cas, le titulaire de la marque a un intérêt légitime, se rattachant à l'objet spécifique du droit de marque, à pouvoir s'opposer à la commercialisation du produit. Pour apprécier si la présentation du produit reconditionné est susceptible de nuire à la réputation de la marque, il convient de tenir compte de la nature du produit et du marché auquel il est destiné. En ce qui concerne les produits pharmaceutiques, les exigences en matière de présentation d'un produit reconditionné varient selon qu'il s'agit d'un produit vendu aux hôpitaux ou, par l'intermédiaire des pharmacies, aux consommateurs. Dans le premier cas, les produits pharmaceutiques sont administrés aux patients par des professionnels pour lesquels la présentation du produit ne revêt pas une grande importance. Dans le second cas, la présentation du produit revêt une importance plus grande pour le consommateur, même si, s'agissant de produits soumis à la prescription d'un médecin, cette circonstance est en soi susceptible d'inspirer aux consommateurs une certaine confiance en la qualité du produit .

    42. Enfin, la Cour a confirmé que l'importateur devait prévenir le titulaire de la marque avant de mettre en vente le produit reconditionné et, sur demande de celui-ci, lui en fournir un spécimen. Le titulaire serait ainsi en mesure de vérifier que le conditionnement n'est pas opéré de manière à affecter directement ou indirectement l'état originaire du produit et que la présentation après reconditionnement n'est pas de nature à nuire à la réputation de la marque. Cela lui permet aussi de mieux se préserver de la contrefaçon .

    43. Dans les trois décisions, la Cour a maintenu sa jurisprudence selon laquelle l'article 7, paragraphe 2, de la directive sur les marques ou l'article 36 du traité permettait au titulaire de la marque de s'opposer à la commercialisation ultérieure d'un produit pharmaceutique lorsque l'importateur avait reconditionné le produit et y avait réimposé la marque, à moins

    «- qu'il soit établi que l'utilisation du droit de marque par le titulaire pour s'opposer à la commercialisation des produits reconditionnés sous cette marque contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres. Tel est le cas, notamment, lorsque le titulaire a mis en circulation, dans divers États membres, un produit pharmaceutique identique dans des conditionnements divers et que le reconditionnement auquel a procédé l'importateur est, d'une part, nécessaire pour commercialiser le produit dans l'État membre d'importation et, d'autre part, opéré dans des conditions telles que l'état originaire du produit ne saurait en être affecté. En revanche, cette condition n'implique pas qu'il doive être établi que le titulaire de la marque a délibérément cherché à cloisonner les marchés entre États membres;

    - qu'il soit démontré que le reconditionnement ne saurait affecter l'état originaire du produit contenu dans l'emballage. Tel est le cas, notamment, lorsque l'importateur s'est limité à des opérations ne comportant aucun risque d'affectation, à savoir, par exemple, à retirer des plaquettes alvéolaires, flacons, fioles, ampoules ou inhalateurs de leur emballage extérieur d'origine et à les placer dans un nouvel emballage extérieur, à apposer des étiquettes autocollantes sur l'emballage intérieur du produit, à ajouter à l'emballage une nouvelle notice d'utilisation ou d'information ou à y insérer un article supplémentaire. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier que l'état originaire du produit contenu dans l'emballage n'est pas indirectement affecté du fait, notamment, que l'emballage extérieur ou intérieur du produit reconditionné ou une nouvelle notice d'utilisation ou d'information ne comporte pas certaines informations importantes ou mentionne des informations inexactes, ou qu'un article supplémentaire inséré dans l'emballage par l'importateur et destiné à la prise et au dosage du produit ne respecte pas le mode d'utilisation et les doses envisagées par le fabricant;

    - qu'il soit indiqué clairement sur le nouvel emballage l'auteur du reconditionnement du produit et le nom de son fabricant, ces indications devant être imprimées de telle façon qu'une personne ayant une vue normale et étant normalement attentive soit en mesure de les comprendre. De même, l'origine d'un article supplémentaire ne provenant pas du titulaire de la marque doit être indiquée de manière à dissiper toute impression que le titulaire de la marque en est responsable. En revanche, il n'est pas nécessaire d'indiquer que le reconditionnement a été opéré sans l'autorisation du titulaire de la marque;

    - que la présentation du produit reconditionné ne soit pas telle qu'elle puisse nuire à la réputation de la marque et à celle de son titulaire. Ainsi, l'emballage ne doit pas être défectueux, de mauvaise qualité ou de caractère brouillon, et

    - que l'importateur avertisse, préalablement à la mise en vente du produit reconditionné, le titulaire de la marque et lui fournisse, à sa demande, un spécimen du produit reconditionné» .

    44. Ainsi, dans l'arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., la Cour a-t-elle encore précisé les circonstances dans lesquelles le propriétaire d'une marque pouvait exciper de ses droits pour s'opposer au reconditionnement de ses produits par un importateur parallèle. Cette faculté ne lui est pas ouverte lorsqu'elle contribue à cloisonner artificiellement les marchés - par exemple, lorsque le reconditionnement est nécessaire à la commercialisation - et que le reconditionnement se fait d'une manière qui respecte les intérêts légitimes du titulaire de marque. La protection de ces intérêts légitimes signifie en particulier que l'état originaire du produit ne doit pas être affecté et que le reconditionnement n'est pas opéré d'une manière susceptible de porter atteinte à la réputation de la marque et de son titulaire . L'importateur doit donc respecter certaines exigences, telles qu'informer le titulaire du reconditionnement, lui fournir un spécimen du produit reconditionné et indiquer le nom du reconditionneur sur ce produit.

    Les affaires Loendersloot et Upjohn

    45. Plus récemment, dans ses arrêts Loendersloot et Upjohn , la Cour a confirmé (à une réserve près) et développé la jurisprudence résumée ci-dessus.

    46. Dans l'arrêt Loendersloot (qui, en soi, ne concernait pas les produits pharmaceutiques), la Cour a rappelé qu'elle avait jugé qu'en principe le titulaire d'un droit de marque pouvait légitimement s'opposer à la commercialisation ultérieure d'un produit pharmaceutique lorsque l'importateur avait reconditionné le produit et y avait réapposé la marque: en l'occurrence, le produit revêtu de la marque avait fait l'objet d'une intervention, opérée par un tiers sans autorisation du titulaire de la marque, susceptible de fausser la garantie de provenance apportée par celle-ci .

    47. Dans l'arrêt Upjohn, la Cour a dit pour droit que, conformément à la jurisprudence antérieure, la faculté qu'a le titulaire de la marque, en vertu de la législation nationale, de s'opposer au reconditionnement de ses produits avec réapposition de la marque originale était considérée comme justifiée à la lumière de l'article 36 du traité à moins qu'il ne soit établi, notamment, qu'une telle opposition contribuait au cloisonnement artificiel des marchés entre États membres . La Cour a résumé l'arrêt Centrafarm en ce sens qu'il établissait que la fonction essentielle de la marque serait compromise s'il était loisible à un tiers d'apposer la marque sur le produit, même original, et que le droit reconnu au titulaire de la marque de s'opposer à toute apposition non autorisée de celle-ci sur son produit relevait ainsi de l'objet spécifique du droit de marque. Dès lors, le titulaire était fondé, en vertu de l'article 36, première phrase, du traité, à empêcher l'importateur parallèle d'agir ainsi .

    La condition de nécessité

    48. En débattant, dans l'affaire Bristol-Myers Squibb e.a., de la notion de cloisonnement artificiel des marchés lorsque le titulaire a vendu le même produit sous des emballages différents dans divers États membres, la Cour a déclaré que le pouvoir du titulaire d'un droit de marque de s'opposer à la commercialisation des produits reconditionnés ne devait être limité que dans la mesure où le reconditionnement auquel avait procédé l'importateur était nécessaire pour commercialiser le produit dans l'État membre de destination . La Cour a rappelé ce principe dans l'arrêt Londersloot , disant que, lorsque des produits pharmaceutiques sont reconditionnés, les juridictions nationales doivent se demander si les circonstances propres aux marchés de leurs États faisaient de ce reconditionnement une nécessité objective.

    49. L'affaire Bristol-Myers Squibb e.a. fournit des indications quant aux cas dans lesquels le reconditionnement par l'importateur peut être jugé «nécessaire». La Cour y a mentionné l'impossibilité de commercialisation dans l'État membre de destination en raison, notamment, de réglementations ou pratiques nationales, de règles en matière d'assurance maladie régissant le remboursement des frais médicaux et de pratiques de prescription médicale bien établies . En revanche, la Cour n'a pas jugé le reconditionnement nécessaire lorsque l'importateur est à même «de réaliser un emballage pouvant être commercialisé dans l'État membre de destination, par exemple, en apposant sur l'emballage extérieur ou intérieur d'origine des nouvelles étiquettes rédigées dans la langue de l'État membre de destination [...]» .

    50. Depuis, la Cour a donné de nouvelles indications quant au sens de la notion d'«objectivité nécessaire» dans les arrêts Upjohn et Loendersloot .

    51. L'arrêt Upjohn portait sur la question de savoir si un importateur parallèle pouvait légalement apposer sur des produits importés la marque que le titulaire utilisait pour les mêmes produits dans l'État de destination même si ce n'était pas la marque sous laquelle il mettait les produits en circulation dans l'État d'exportation. Bien que cette question fût différente de celle du reconditionnement telle que discutée ci-dessus, la Cour a déclaré qu'il n'y avait pas de différence entre les deux situations aux fins de déterminer si le comportement du titulaire contribuait à cloisonner artificiellement les marchés .

    52. Dans l'arrêt Upjohn, la Cour a déclaré que la condition de nécessité était respectée si, dans un cas déterminé, l'interdiction faite à l'importateur de remplacer la marque [sur l'emballage] entravait son accès effectif aux marchés de l'État membre de destination. Tel était le cas si des réglementations ou pratiques dans l'État membre de destination empêchaient la commercialisation du produit en question sur le marché de cet État sous la marque qu'il portait dans l'État membre d'exportation [dans l'emballage utilisé dans l'État membre d'exportation]. En revanche, la condition de nécessité ne serait pas remplie si le remplacement de la marque [de l'emballage] s'expliquait exclusivement par la recherche par l'importateur parallèle d'un avantage commercial .

    53. Dans l'arrêt Londersloot, la Cour a déclaré que, même si le réétiquetage (qui, plus que le reconditionnement en tant que tel, était en cause) était nécessaire pour vendre dans l'État de destination, il devait être fait de manière à rendre le commerce parallèle réalisable tout en portant le moins possible atteinte à l'objet spécifique du droit de marque. Ainsi, quand les étiquettes originales sont conformes aux règles en matière d'étiquetage en vigueur dans l'État membre de destination, mais que celles-ci requièrent des renseignements supplémentaires, il n'est pas nécessaire d'enlever et de réapposer ou de remplacer les étiquettes originales, puisque l'apposition sur les bouteilles en question d'un simple autocollant mentionnant ces renseignements supplémentaires peut suffire .

    L'ordonnance de renvoi et les questions posées dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a.

    54. Il ressort de l'ordonnance de renvoi, extrêmement longue et détaillée, que la High Court n'est pas convaincue du bien-fondé à tous égards de la jurisprudence résumée ci-dessus. Sur deux points spécifiques, elle estime que la jurisprudence est incohérente ou (et) erronée.

    55. Premièrement, la juridiction de renvoi considère qu'il y a conflit entre, d'une part, le principe, dégagé tout d'abord dans l'affaire Hoffmann-La Roche, selon lequel le titulaire peut se prévaloir de son droit de marque pour s'opposer à l'importation parallèle des produits de marque reconditionnés lorsqu'il le fait dans le but de préserver les droits constituant l'objet spécifique de la marque et, d'autre part, le principe, dégagé tout d'abord dans l'affaire Bristol-Myers Squibb e.a., selon lequel le pouvoir du titulaire de s'opposer à l'importation parallèle de tels produits ne devrait être limité que pour autant que le reconditionnement est nécessaire pour les commercialiser. La juridiction de renvoi ne voit pas pourquoi le critère de la nécessité devrait entrer en ligne de compte: si la commercialisation des produits reconditionnés n'est pas de nature à nuire à l'objet spécifique de la marque, la jurisprudence antérieure ne devrait pas fournir au titulaire le moyen légal de s'y opposer.

    56. Si toutefois, contrairement à la conception qu'elle a du droit pertinent, le critère de la nécessité joue bien un rôle, la juridiction de renvoi ne s'estime pas suffisamment éclairée par la jurisprudence de la Cour sur la signification de cette notion. Peut-on dire, notamment, qu'il est «nécessaire» de changer l'emballage externe de produits pharmaceutiques alors que l'apposition d'autocollants suffirait aux mêmes fins mais nuirait sensiblement à la compétitivité des produits sur un marché donné?

    57. Deuxièmement, la juridiction de renvoi ne considère pas comme intellectuellement justifiée l'exigence, dégagée par la Cour dans sa jurisprudence, de donner au titulaire préavis du reconditionnement. Elle invite la Cour à reconsidérer cette exigence. Si toutefois la Cour la maintient, la juridiction de renvoi souhaite obtenir des indications quant à la forme et aux délais du préavis ainsi qu'aux conséquences d'un défaut de préavis.

    58. Elle a déféré en conséquence les questions suivantes à la Cour:

    «1) Le titulaire d'une marque peut-il utiliser les droits qu'il tire de sa marque pour mettre fin ou faire obstacle à l'importation de ses propres marchandises en provenance d'un État membre et à destination d'un autre État membre ou pour s'opposer à leur commercialisation ou promotion ultérieure lorsque l'importation, la commercialisation ou la promotion n'affecte pas ou pas de façon substantielle l'objet spécifique de ses droits?

    2) La réponse à la question précédente est-elle différente si la raison invoquée par le titulaire est que l'importateur ou le distributeur en aval utilise sa marque d'une façon qui, bien qu'elle n'affecte pas son objet spécifique, n'est pas nécessaire?

    3) Si l'importateur des marchandises du titulaire ou un distributeur de ces marchandises importées doit prouver que son utilisation de la marque du titulaire est nécessaire, cette condition est-elle remplie s'il établit que l'utilisation de la marque est raisonnablement requise pour lui permettre d'avoir accès (a) à une partie seulement du marché de ces marchandises ou (b) à l'ensemble du marché de ces marchandises, ou cette condition exige-t-elle que l'utilisation de la marque était essentielle pour permettre que les marchandises soient mises sur le marché et si aucune de ces solutions n'est correcte, que signifie nécessaire?

    4) Si, à première vue, le titulaire d'une marque a le droit de faire valoir ses droits de marque nationaux face à toute utilisation de sa marque sur des marchandises ou en relation avec elles, qui n'est pas nécessaire, le fait d'utiliser ce droit pour faire obstacle ou exclure les importations parallèles de ses propres marchandises qui n'affectent pas l'objet spécifique ou la fonction essentielle de la marque constitue-t-il un comportement abusif et une restriction déguisée dans les échanges au sens de la deuxième phrase de l'article 30 CE?

    5) Lorsque l'importateur ou une personne distribuant des marchandises importées entend utiliser la marque du titulaire sur ces marchandises ou en relation avec elles et que cette utilisation n'affecte pas et n'affectera pas l'objet spécifique de la marque, doit-il néanmoins avertir préalablement le titulaire de son intention d'utiliser la marque?

    6) S'il faut répondre à la question précédente par l'affirmative, cela signifie-t-il que le fait pour l'importateur ou le distributeur de ne pas avertir de la sorte le titulaire a pour effet d'habiliter ce dernier à restreindre ou à faire obstacle à l'importation ou à la commercialisation ultérieure de ces marchandises, même si cette importation ou commercialisation ultérieure n'affectera pas l'objet spécifique de la marque?

    7) Si un importateur ou une personne distribuant des marchandises importées doit préalablement avertir le titulaire d'utilisations de la marque qui n'affectent pas son objet spécifique,

    a) cette condition s'applique-t-elle à toutes les utilisations de ce type de la marque, y compris à la publicité, au réétiquetage et au reconditionnement, ou si elle ne s'applique qu'à certaines de ces utilisations, auxquelles?

    b) l'importateur ou le distributeur doit-il avertir le titulaire ou suffit-il que celui-ci reçoive cet avertissement?

    c) de combien de temps l'avertissement doit-il précéder l'utilisation?

    8) Une juridiction d'un État membre peut-elle, à la demande du titulaire du droit de marque, adresser des injonctions, accorder une indemnisation ou ordonner la délivrance de stocks ou d'autres mesures à l'égard de marchandises importées, de leur conditionnement ou de la publicité faite à leur propos, lorsque de telles mesures (a) mettent fin ou font obstacle à la libre circulation de marchandises placées sur le marché communautaire par le titulaire ou avec son consentement mais que (b) elles n'ont pas pour objet d'empêcher que l'objet spécifique des droits soit affecté et qu'elles ne contribuent pas à empêcher que l'objet spécifique soit affecté?»

    Les faits et la question déférée dans l'affaire Merck, Sharp & Dohme

    59. La partie demanderesse au principal dans l'affaire C-443/99, Merck, Sharp & Dohme GmbH (ci-après «Merck») commercialise en Autriche des produits pharmaceutiques qui portent sa marque Proscar. La partie défenderesse au principal, Paranova Pharmazeutika Handels GmbH (ci-après «Paranova»), est un importateur parallèle de produits pharmaceutiques, y compris du Proscar, sous licence des autorités autrichiennes. Paranova a acheté en Espagne des comprimés de Proscar et les a reconditionnés en vue de les commercialiser en Autriche. Le reconditionnement a consisté à donner aux médicaments un nouvel emballage externe, sur lequel la marque a été réapposée, à produire ou à adapter (notamment en les traduisant) les imprimés divers, tels que les indications et précautions d'emploi, et à apposer sur le nouvel emballage les mentions prescrites en vue de mettre le produit sur le marché en Autriche.

    60. Merck a sollicité et obtenu une ordonnance de référé empêchant Paranova d'utiliser ainsi sa marque au motif que le reconditionnement (et donc la réapposition de la marque) par Paranova constituait une intervention illicite dans son droit de marque, la juridiction de première instance observant que la substitution d'un nouvel emballage à l'emballage d'origine ne serait licite que pour autant que l'apposition d'étiquettes ne permît pas aussi d'adapter le produit à la législation autrichienne.

    61. Saisi en appel, l'Oberlandesgericht Wien a posé la question suivante à la Cour:

    «L'article 7, paragraphe 2, de la directive 89/104/CEE, première directive du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit-il être interprété en ce sens que le titulaire d'une marque peut s'opposer à la commercialisation sous cette marque d'un médicament lorsque l'importateur a reconditionné le produit, y a réapposé la marque et a satisfait en outre aux autres conditions posées par la Cour dans son arrêt Bristol-Myers Squibb e. a. (affaires jointes C-427/93, C-429/93 et C-436/93) (pas d'altération du produit contenu dans l'emballage, indication claire du fabricant et de l'origine, absence d'atteinte à la réputation de la marque ou de son titulaire en raison d'un emballage défectueux et information du titulaire de la marque sur la mise en vente du médicament reconditionné), et alors que, sans un tel reconditionnement, le succès commercial du produit serait compromis du seul fait qu'une partie non négligeable des consommateurs de l'État d'importation ont une attitude de méfiance à l'égard de médicaments manifestement destinés au marché d'un autre État (où une autre langue est en usage) et dont l'emballage a été seulement adapté par l'apposition d'étiquettes à la législation nationale qui régit la mise sur le marché des médicaments?»

    62. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que l'Oberlandesgericht Wien a des doutes sur la bonne interprétation de la jurisprudence de la Cour décrite ci-dessus, et, en particulier, de l'arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., de même nature que ceux qui ont amené la High Court à poser les questions de l'affaire Boehringer Ingelheim e.a.

    63. L'Oberlandesgericht Wien dit notamment que l'on ne voit pas bien, en particulier dans le cas des produits pharmaceutiques, dans quels cas le fait pour le titulaire de se prévaloir de son droit de marque dans le but de s'opposer à la commercialisation du produit reconditionné sous la même marque pourrait contribuer à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres. Si, comme cela semble être le cas, un nombre non négligeable des consommateurs concernés conçoivent de la méfiance à l'égard de médicaments adaptés aux normes autrichiennes sur la présentation des médicaments par le biais d'étiquettes, il serait certainement possible de dire qu'une interdiction du reconditionnement de ces médicaments contribuerait à un cloisonnement artificiel des marchés. Il y a donc lieu de déterminer si un reconditionnement du médicament en cause n'est licite que s'il n'existe pas d'autre moyen de le mettre en conformité avec la législation de l'État d'importation ou également si l'utilisation d'autocollants, tout en respectant les exigences de la loi, nuirait en fait aux ventes du produit reconditionné par rapport au «produit original». En d'autres termes, qu'entend-on précisément par la condition selon laquelle le reconditionnement doit être «nécessaire» pour commercialiser le produit importé? Cette question est en substance la même que celle qui préoccupe la High Court et qui a été résumée ci-dessus au point 56.

    Les observations des parties

    64. Dans l'affaire Merck, Sharp & Dohme, Merck, Paranova, le gouvernement belge et la Commission ont présenté des observations écrites. Merck, Paranova et la Commission ont été représentées à l'audience.

    65. Dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a., Boehringer Ingelheim, Glaxo Wellcome, Eli Lilly et SmithKline Beecham (conjointement), Swingward, les gouvernements allemand et norvégien et la Commission ont présenté des observations écrites. Tous ont été représentés à l'audience.

    66. Les observations écrites en particulier concernent pour partie les faits sous-jacents à la procédure au principal. Les juridictions de renvoi ont toutefois correctement libellé leurs questions en termes de principes généraux, de sorte que les réponses de la Cour pourront s'appliquer dans d'autres contextes. Nous essaierons de même d'éviter de nous laisser distraire par des détails de fait puisque nous estimons qu'il est à la fois possible et justifié de répondre en se fondant sur des principes généraux.

    67. Pour autant qu'elles traitent des principes généraux pertinents, l'essence des observations peut être résumée comme suit. Les observations des parties sur les questions afférentes à l'exigence d'un préavis sont mentionnées ci-dessous, dans le cadre des développements consacrés à cette exigence.

    68. Merck soutient que la Cour a déjà répondu à la question de l'Oberlandesgericht Wien, en dernier lieu dans son arrêt Upjohn; un avantage commercial, consistant par exemple à surmonter la réticence des consommateurs envers les autocollants, ne saurait permettre à un importateur parallèle de reconditionner un produit importé. Au cas où la Cour réfuterait cette thèse, Merck fait valoir que l'interdiction de changer l'emballage ne restreint pas les échanges si l'importateur peut adapter l'emballage d'origine, même si les consommateurs préfèrent les produits dont l'emballage a été changé. Dans une économie de marché, c'est à l'importateur parallèle de surmonter cette réticence. Les intérêts commerciaux de celui-ci sont subjectifs et ne sauraient servir à apprécier la validité de son comportement sans enfreindre le principe de sécurité juridique. De plus, le principe de proportionnalité exige qu'une restriction apportée à un droit fondamental n'aille pas au-delà de ce qui est suffisant et nécessaire pour atteindre l'objectif recherché.

    69. Boehringer Ingelheim fait valoir que l'interdiction faite à une partie qui n'en est pas le titulaire d'utiliser une marque ne constitue pas une entrave à la libre circulation des marchandises entre États membres aux fins de l'article 28 CE si l'opérateur parallèle peut avoir un accès réel aux marchés de l'État de destination sans empiéter sur les droits du titulaire. Subsidiairement, le droit communautaire n'interdit pas au titulaire de s'opposer à un empiétement sur son droit de marque à moins que cet empiétement ne soit nécessaire pour accéder au marché de l'État de destination, qu'il porte atteinte aussi peu que possible à l'objet spécifique de la marque et que les autres intérêts légitimes du titulaire soient préservés. L'empiétement sur le droit de marque du titulaire n'est nécessaire que si la réglementation en vigueur et les pratiques de même effet dans l'État de destination empêchent l'importateur, à défaut de cet empiétement, de vendre le produit dans cet État. Le titulaire peut donc légitimement s'opposer à un empiétement dicté par les préférences du consommateur local en faveur d'une certaine présentation du produit dès lors que la réglementation en vigueur et les pratiques de l'État de destination permettent sa commercialisation sans cet empiétement.

    70. Glaxo fait valoir que le reconditionnement des produits du titulaire et la réapposition de la marque sans son consentement constituent un empiétement dans l'objet spécifique de la marque. Cet empiétement est passible en soi d'une action en contrefaçon de la marque, sous la seule réserve des quatre conditions fixées dans l'arrêt Hoffmann-Laroche. Il n'est notamment pas exigé de surcroît de preuve du caractère dommageable du reconditionnement, ou de ce qu'il porte atteinte à l'objet spécifique de la marque.

    71. Pour ce qui est de la condition de nécessité, Glaxo estime que la Cour a entendu distinguer entre les changements de conditionnement qui sont exigés pour que les produits puissent être mis en circulation et ceux qui sont «nécessaires» pour maximiser l'acceptation du produit par le marché, comme des modifications ayant pour objet de permettre aux importateurs parallèles d'augmenter leurs prix ou de les rendre plus attractifs aux yeux des consommateurs, ou encore d'accroître les ventes. S'il n'est pas démontré que le reconditionnement est nécessaire pour vendre le produit dans l'État membre de destination, il n'y a pas de cloisonnement artificiel du marché de la part du titulaire. Le principe de libre circulation est respecté dès lors que l'importateur peut reconditionner le produit si cela est nécessaire pour le commercialiser.

    72. SmithKline Beecham fait valoir que la jurisprudence de la Cour indique que la question de la preuve de l'atteinte à la réputation de la marque peut être prise en considération en vertu de l'article 30, seconde phrase, CE mais qu'il ne s'agit pas d'une condition préalable pour l'application de la première phrase du même article. L'atteinte et la nécessité sont choses différentes. S'il est nécessaire d'autoriser le reconditionnement, sous n'importe quelle forme, afin d'éviter une restriction déguisée, le fait que ce reconditionnement lèse le titulaire reste un élément dont il y a lieu de tenir compte. En soi, le fait que le reconditionnement n'entraîne pas de préjudice ne le rend pas nécessaire. «Nécessaire» signifie essentiel pour vendre le produit en ce sens que, à défaut de reconditionnement, il ne pourrait être mis sur le marché. Surmonter la réticence des consommateurs envers les produits munis d'autocollants ne constitue pas un motif légitime de reconditionnement.

    73. D'après Paranova, l'obligation d'apposer des autocollants au lieu de reconditionner le produit Proscar constituerait un obstacle à la vente et entraînerait un cloisonnement indésirable des marchés. La substitution des emballages de produits pharmaceutiques provenant d'autres États membres est en principe licite pourvu que l'importateur respecte les conditions posées par la Cour dans sa jurisprudence. La Cour a souligné, dans l'arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., que les médicaments constituent un domaine sensible où la présentation du produit est susceptible d'inspirer (ou de détruire) la confiance du public. Il faut tenir compte de la situation de marché particulière des médicaments, sans se soucier du caractère commercial ou non commercial des différents types de présentation. S'agissant d'un marché dans lequel les autorités nationales préfèrent les médicaments reconditionnés à ceux dont l'emballage est recouvert d'étiquettes, imposer ces derniers représenterait une entrave aux échanges bien plus importante que celle constituée, dans l'affaire Bristol-Myers Squibb e.a., par les tailles différentes des emballages.

    74. Pour ce qui est de la condition de la «nécessité» du reconditionnement, elle manque de clarté et n'est, du reste, pas le critère décisif, d'après Paranova. L'interprétation qu'en donne la Cour dans l'arrêt Upjohn ne s'accorde pas avec sa jurisprudence antérieure. Pour concilier les différentes décisions, il faut que la question de la «nécessité» ne se pose que s'il a été porté atteinte à l'objet spécifique de la marque. Si toutefois elle était jugée applicable, cette condition devrait être comprise dans un sens large de manière à permettre l'accès effectif au marché, ce qui exclut uniquement les circonstances relevant de la sphère subjective de l'importateur parallèle lui-même.

    75. Swingward est d'avis que la jurisprudence indique qu'un droit de marque ne peut être invoqué qu'en cas d'un préjudice spécifique et concret porté à l'objet spécifique de la marque. Le seul cas dans lequel un comportement à l'égard d'une marque n'est pas nécessaire, c'est lorsqu'il s'explique uniquement par les tentatives de l'importateur parallèle de s'assurer un avantage commercial au sens de la jurisprudence Upjohn, c'est-à-dire un avantage commercial injuste ou abusif.

    76. Le gouvernement allemand fait valoir dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a. qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que le reconditionnement ou le réétiquetage de produits de marque peut affecter les droits du titulaire, y compris ceux qui constituent l'objet spécifique de la marque et qu'il n'y a pas lieu de s'écarter de cette jurisprudence établie. La Cour a aussi indiqué clairement dans quelles circonstances le reconditionnement et le réétiquetage de médicaments de marque sont licites, par référence à la notion de nécessité. De simples avantages économiques, tels qu'un accroissement des ventes, ne suffisent pas pour que le reconditionnement ou le réétiquetage soit jugé nécessaire. Il n'y a donc, par exemple, pas de nécessité objective de reconditionner le produit lorsque l'apposition d'autocollants ou l'emploi d'emballages étrangers sont moins bien perçus. D'un autre côté, si le marché des ventes potentielles rend en fait très nettement plus difficile la vente du produit non modifié, le reconditionnement doit être réputé nécessaire.

    77. Le gouvernement norvégien fait valoir dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a. que le texte de l'article 30 CE repose sur la prémisse que les restrictions d'importations ne sont justifiées que si la propriété industrielle et commerciale était mise en péril. De plus, une condition de nécessité constituerait une violation de l'article 30 CE en tant que restriction illicite des importations. Des extraits de la jurisprudence de la Cour invoqués à l'appui de la thèse contraire n'étayent pas une conclusion selon laquelle un titulaire de marque peut s'opposer à l'importation de produits reconditionnés qui n'affectent pas l'état originaire du produit ni ne nuisent à la réputation de la marque et de son titulaire. Si les quatre conditions posées dans l'arrêt Hoffmann-La Roche sont remplies, le titulaire n'a plus aucune raison légitime de s'opposer à l'importation du produit reconditionné. Le gouvernement norvégien en conclut donc qu'aucune condition de nécessité ne se dégage de la jurisprudence de la Cour. Si toutefois l'existence d'une telle condition devait être établie, elle devrait être réputée remplie si l'importateur parallèle considère que le reconditionnement est nécessaire pour vendre le produit.

    78. Le gouvernement norvégien ajoute, dans l'affaire Merck, Sharp & Dohme, que la condition de nécessité sera satisfaite dès lors qu'une partie importante du public a tendance à ne pas acheter des produits non reconditionnés parce qu'une proportion importante des consommateurs et usagers éprouvent de la méfiance à l'égard de médicaments qui étaient manifestement destinés au marché d'un autre État où est parlée une autre langue.

    79. La Commission fait valoir dans l'affaire Merck, Sharp & Dohme que la «nécessité» qui justifie objectivement le reconditionnement par un importateur parallèle peut être légale (comme dans l'affaire Loendersloot) ou de fait (comme dans l'affaire Bristol-Myers Squibb e.a.). Comme la reconnaissance de la nécessité objective déroge au principe interdisant la violation de la marque, consacré par le droit communautaire, cette nécessité doit être interprétée de manière restrictive. L'importateur parallèle doit le moins possible porter atteinte à l'objet spécifique de la marque. Il ne saurait par exemple remplacer l'emballage dès lors qu'il est possible d'apposer des autocollants. Rien n'indique que la substitution d'emballage soit nécessaire en l'occurrence, en droit ou en fait. D'après la jurisprudence de la Cour, il n'y a pas cloisonnement artificiel des marchés à moins que la réticence à l'égard des produits importés ne soit telle que l'importateur parallèle se voie refuser l'accès effectif au marché de l'État de destination. Il semble donc qu'une réticence même importante des consommateurs ne suffise pas. Même si la juridiction nationale devait constater que les ventes de produits réétiquetés étaient considérablement inférieures, voire quasi nulles, elle devrait se demander les raisons de cette réticence. Si elle était due en fait à une information insuffisante, la juridiction nationale serait amenée à se demander si l'importateur parallèle ne devait pas plutôt s'efforcer d'éduquer les consommateurs et les pharmaciens.

    80. La Commission fait valoir dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a. que la question essentielle est de savoir si l'exigence de nécessité doit se combiner aux conditions relatives à la protection de l'objet spécifique de la marque. Même si l'affaire Bristol-Myers Squibb e.a. n'est pas entièrement dépourvue d'ambiguïtés à cet égard, si la Cour avait entendu modifier la nature de la liste des conditions fixée dans l'arrêt Hoffmann-La Roche en en rendant certaines subsidiaires, elle aurait pu parfaitement le faire dans cet arrêt. La Commission est donc d'avis que l'exigence de «nécessité» s'ajoute aux critères concernant la protection de l'objet spécifique de la marque. L'apposition d'autocollants est plus facile à justifier par la nécessité que le changement d'emballages sous la même marque mais exige toujours une telle justification. Quant au changement d'emballages sans apposition de la marque, il semblerait superflu d'imposer une exigence de «nécessité» puisque l'utilisation de la marque ne va pas au-delà de ce qui est indispensable pour revendre les produits. Dans ce type d'affaire, seules les quatre dernières conditions fixées dans l'affaire Bristol-Myers Squibb e.a. et relatives à l'objet spécifique devraient trouver application. Quant à la signification de la «nécessité», la Commission estime que la réticence des consommateurs ne rend pas le reconditionnement nécessaire au sens de la jurisprudence de la Cour, à moins d'être telle qu'elle ne puisse être surmontée par des prix plus bas et davantage d'information.

    81. On relèvera que, dans ses observations écrites dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a., la Commission considère que les première, cinquième, septième et huitième questions de la High Court sont irrecevables pour autant qu'elles ont trait à l'emploi de la marque par voie de publicité, puisqu'il ne ressort nullement de l'ordonnance de renvoi que les litiges qui opposent les différentes parties devant la juridiction nationale concernent la publicité. Cette thèse n'a pas été discutée à l'audience. Il semble donc inévitable de conclure que la High Court ne demande pas d'explication du droit communautaire concernant cette question pour trancher les litiges dont elle est saisie. Nous envisageons donc de ne pas traiter des questions déférées pour autant qu'elles ont trait à la publicité ou à la promotion par des importateurs parallèles.

    La relation entre l'objet spécifique de la marque et la nécessité du reconditionnement

    82. Les première, deuxième, quatrième et huitième questions posées dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a. portent toutes en substance sur le point de savoir si un titulaire peut exciper de son droit de marque pour empêcher un importateur parallèle d'exécuter diverses opérations de reconditionnement considérées en droit national comme des contrefaçons de sa marque en l'absence de menace pour l'objet spécifique ou la fonction essentielle de la marque et/ou de nécessité pour l'importateur parallèle de procéder à ce reconditionnement.

    83. Ainsi que nous l'avons dit plus haut, il ressort de l'ordonnance de renvoi que la juridiction nationale estime que la Cour n'a pas fait acte de cohérence en imposant les conditions séparées relatives à l'objet spécifique de la marque et à la nécessité du reconditionnement.

    84. Or, il n'y a, à nos yeux, pas d'inconséquence ou d'incohérence à imposer ces différentes exigences puisqu'elles sont pertinentes à divers stades de l'analyse qui doit montrer si un titulaire peut exciper de son droit de marque pour empêcher un importateur parallèle de reconditionner les produits de marque.

    85. Premièrement, la jurisprudence indique que le titulaire d'une marque est a priori fondé, en vertu de l'article 30, première phrase, CE ou de l'article 7, paragraphe 2, de la directive, à s'opposer à la réapposition non autorisée de sa marque après un reconditionnement .

    86. À notre avis, ce principe vaut pour toutes les formes de reconditionnement dont il est question ici parce que i) chacune de ces opérations est en principe susceptible de porter atteinte à la garantie fournie par la marque de ce qu'un produit qui en est revêtu n'a pas été manipulé par un tiers sans l'autorisation du titulaire et que ii) l'objet spécifique de la marque inclut le droit d'empêcher toute utilisation de celle-ci qui est de nature à compromettre cette garantie de provenance, ce qui est le cas de chacune de ces opérations de reconditionnement .

    87. Deuxièmement, si l'exercice de ce droit d'opposition constitue une restriction déguisée des échanges entre États membres, il n'est pas légitimé par l'article 30, seconde phrase, CE.

    88. Dans sa jurisprudence résumée ci-dessus, la Cour a fourni des éléments pour apprécier le point de savoir si l'exercice du droit de marque par le titulaire constitue une restriction déguisée des échanges entre États membres au sens de l'article 30, seconde phrase, CE.

    89. La jurisprudence indique d'une manière tout à fait claire que l'exercice de son droit de marque par le titulaire constitue une restriction déguisée s'il contribue à cloisonner artificiellement les marchés .

    90. Un cas dans lequel l'exercice par le titulaire de son droit de marque contribue à cloisonner artificiellement les marchés est celui du titulaire qui utilise des emballages différents dans les divers États membres alors que le reconditionnement est nécessaire pour accéder effectivement au marché de l'État de destination .

    91. Ainsi la question de la nécessité du reconditionnement peut-elle se poser lors de l'examen du point de savoir si l'exercice par le titulaire de son droit de marque, quoique légitimé a priori par l'article 30, première phrase, CE est en fait exclu par la seconde phrase du même article.

    92. La juridiction de renvoi et les parties défenderesses de l'affaire Boehringer Ingelheim e.a. sont cependant d'avis que, si tel est bien l'état de la jurisprudence, celle-ci doit être réformée.

    93. La juridiction de renvoi relève que la Cour a dit ce qui suit dans l'arrêt Bristol-Myers Squibb e.a.:

    «Il résulte de la jurisprudence de la Cour que l'article 36 n'admet de dérogations au principe fondamental de la libre circulation des marchandises dans le marché commun que dans la mesure où elles sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de la propriété industrielle et commerciale en cause» .

    94. Étant donné que la juridiction de renvoi constate que les opérations de reconditionnement dont il s'agit ne compromettent pas l'objet spécifique de la marque des parties requérantes, ni même ne lui font courir un risque, elle estime qu'aucune exception au principe de la libre circulation des marchandises ne saurait être justifiée. La notion de nécessité est étrangère au principe fondamental sus-énoncé.

    95. Toutefois, il ne nous semble pas qu'il y ait contradiction entre, d'une part, la déclaration de la Cour rapportée ci-dessus et, d'autre part, l'assertion selon laquelle les parties requérantes peuvent en principe (sous réserve de l'article 30, seconde phrase, CE) exciper de leur droit de marque même en l'absence d'un préjudice avéré ou d'un risque de préjudice. La déclaration de la Cour s'inscrivait dans le cours d'un raisonnement portant sur l'interprétation de l'article 7, paragraphe 2, de la directive sur les marques. Les points suivants de l'arrêt montrent que la Cour confirmait la thèse qu'elle avait exprimée dans l'arrêt Hoffmann-La Roche selon laquelle, puisque le reconditionnement était susceptible de fausser la garantie de provenance, le titulaire de la marque pouvait en principe invoquer ses droits afin d'empêcher la commercialisation des produits reconditionnés .

    96. Une telle interprétation signifie bien sûr qu'il peut exister des circonstances dans lesquelles le titulaire de la marque peut ainsi invoquer ses droits même s'il peut apparaître dans un cas particulier qu'il n'y a pas de préjudice réel à l'objet spécifique ou à la fonction essentielle de la marque. Nous ne partageons pas cependant l'avis de la juridiction de renvoi qui y voit, semble-t-il, une conséquence nécessairement regrettable ou illogique.

    97. Il ressort des termes des dispositions pertinentes du traité CE telles qu'interprétées par la Cour que l'ingérence d'un tiers, tel que l'importateur parallèle, dans les droits de propriété intellectuelle, tels que ceux du titulaire de la marque, ne saurait être couverte par le droit communautaire que si l'exercice incontrôlé de ces droits affectait la libre circulation des marchandises. En introduisant le critère de la nécessité, et en justifiant par là toute ingérence nécessaire pour s'assurer l'accès au marché de l'État de destination, la Cour a développé une formule qui reflète précisément cet équilibre.

    98. Il faut également avoir à l'esprit que le reconditionnement d'un produit qui porte une marque, qu'elle soit ou non réapposée sur le nouveau conditionnement externe ou simplement retirée et non remplacée, constitue une forme particulièrement usurpante de la contrefaçon d'une marque.

    99. Il ne faut pas oublier non plus que la plupart des «affaires de reconditionnement» précédemment évoquées ont trait à des produits pharmaceutiques et que le marché des produits pharmaceutiques présente, pour les raisons examinées ci-après , certaines caractéristiques qui ne sont pas partagées avec les marchés de nombreux autres produits.

    100. La juridiction de renvoi et les parties défenderesses dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a. se sont déclarées préoccupées par ce qu'elles considèrent comme une conséquence inévitable de l'affirmation du critère de la nécessité couplée à une interprétation stricte de la notion de nécessité: à savoir que les titulaires auront le pouvoir de faire valoir leurs droits de marque même si leur stratégie d'entreprise vise à cloisonner les marchés. Mais il ne s'ensuit pas une telle conséquence. Il convient de se rappeler que la Cour n'a introduit le critère de la nécessité que dans le contexte d'un type de comportement qui contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés et qui, partant, constituerait une restriction déguisée aux échanges entre États membres au sens de l'article 30, seconde phrase, CE. Ce n'est pas le seul cas à notre avis. Ainsi que nous l'avons dit dans nos conclusions dans l'affaire Upjohn, s'il peut être établi que la pratique du titulaire qui consiste à utiliser des marques diverses dans différents États membres visait à cloisonner les marchés, cette simple circonstance suffira pour l'empêcher de se prévaloir de son droit de marque afin de s'opposer à l'apposition d'une marque différente par l'importateur . Cela vaut aussi lorsque, au lieu d'un changement de marque, il y a réapposition de la marque après reconditionnement .

    101. Les parties défenderesses dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a. se réfèrent aussi à l'arrêt SABEL à l'appui de leur thèse selon laquelle les titulaires ne saurait exciper de leur droit en l'absence d'une preuve bien étayée d'une atteinte à l'objet de la marque. L'affaire SABEL concernait toutefois l'article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive qui dispose qu'une marque est refusée à l'enregistrement ou, si elle est enregistrée, est susceptible d'être déclarée nulle «lorsqu'en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion [...]». Donc, cette disposition exige explicitement qu'il soit établi qu'il y ait un risque de confusion. Or, dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a., la procédure au principal ne concerne pas des marques ou des produits similaires: il s'agit (au moins en partie) de l'utilisation d'une marque identique sur des produits identiques. En l'occurrence, il y avait violation au titre de l'article 5, paragraphe 1, sous a), qui n'exige pas de preuve d'un quelconque risque de confusion (ni d'un autre préjudice).

    102. Dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a., la juridiction de renvoi affirme dans son ordonnance avoir considéré que les requérantes avaient développé une argumentation convaincante quant à une contrefaçon en vertu du droit national. Nous remarquerons incidemment que, comme le laisse entendre le point précédent, la notion de contrefaçon est désormais harmonisée par la directive sur les marques . Il en découle que le droit national n'est plus totalement libre de qualifier tel comportement de contrefaçon.

    103. Nous concluons donc que le titulaire d'une marque peut se servir de ses droits pour empêcher l'importateur parallèle d'un produit pharmaceutique de reconditionner ce produit à condition que cette utilisation de ses droits ne contribue pas à cloisonner artificiellement les marchés entre les États membres ou, par ailleurs, ne constitue pas une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres. Le titulaire d'une marque qui se sert de ses droits pour empêcher un importateur parallèle de procéder au reconditionnement nécessaire contribue à un tel cloisonnement artificiel. C'est là la conclusion inévitable de la jurisprudence examinée ci-dessus et nous ne voyons pas de raison de nous en écarter. Cette conclusion pose toutefois la question de l'interprétation de la «nécessité» à laquelle nous en venons maintenant.

    La notion de «nécessité»

    104. La troisième question de l'affaire Boehringer Ingelheim e.a. et la question unique de l'affaire Merck, Sharp & Dohme ont trait à la portée de la notion de «nécessité» dégagée par la Cour en tant que critère employé pour déterminer si un titulaire, en excipant de son droit de marque, contribue à cloisonner artificiellement les marchés et, partant, si son action constitue une restriction déguisée dans le commerce au sens de l'article 30, seconde phrase, CE.

    105. Il a été avancé diverses interprétations de cette notion. Dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a., la juridiction de renvoi donne à entendre dans sa troisième question qu'elle peut signifier soit que l'utilisation de la marque «est raisonnablement requise pour ... permettre [à l'importateur] d'avoir accès» au marché (nous examinerons ci-après la question du marché pertinent, également soulevée dans cette question), soit qu'elle est «essentielle» à cette fin. Les parties requérantes, cela se comprend, soutiennent que «nécessaire» ne signifie rien d'autre qu'«essentiel» alors que les parties défenderesses, d'une manière tout aussi compréhensible, soutiennent (en partant de la prémisse que le critère soit pertinent) que cette notion se définit par référence à l'accès effectif au marché compris dans le sens le plus extensif.

    106. Il ressort des observations présentées à la Cour que les divergences des parties quant à l'interprétation correcte de la notion de nécessité sont dues pour une grande part aux constatations de la Cour dans l'arrêt Upjohn , en particulier aux points suivants:

    «Considérer que la condition de cloisonnement des marchés définie dans l'arrêt Bristol-Myers Squibb e.a. ... s'applique au cas de remplacement d'une marque implique également, contrairement à ce que fait valoir Paranova, qu'il faut que ce remplacement de la marque soit objectivement nécessaire au sens de cet arrêt pour que le titulaire de marques ne puisse s'y opposer.

    Il s'ensuit qu'il y a lieu pour les juridictions nationales d'examiner si les circonstances prévalant au moment de la commercialisation rendaient objectivement nécessaire le remplacement de la marque originaire par celle de l'État membre d'importation aux fins de la mise sur le marché du produit en cause dans cet État par l'importateur parallèle. Cette condition de nécessité est remplie si, dans un cas déterminé, l'interdiction faite à l'importateur de remplacer la marque entrave son accès effectif aux marchés de l'État membre d'importation. Tel est le cas si des réglementations ou pratiques dans l'État membre d'importation empêchent la commercialisation du produit en question sur le marché de cet État sous la marque qu'il porte dans l'État membre d'exportation. Il en est ainsi d'une règle protectrice des consommateurs interdisant l'utilisation dans l'État membre d'importation de la marque utilisée dans l'État membre d'exportation parce qu'elle est susceptible d'induire les consommateurs en erreur.

    En revanche, la condition de nécessité ne sera pas remplie si le remplacement de la marque s'explique exclusivement par la recherche par l'importateur parallèle d'un avantage commercial.

    Il appartient aux juridictions nationales d'apprécier, dans chaque cas concret, s'il a été objectivement nécessaire, pour l'importateur parallèle, d'utiliser la marque utilisée dans l'État membre d'importation pour permettre la commercialisation des produits importés» .

    107. Merck tente de déduire de ce qui précède, et en particulier du deuxième point reproduit ci-dessus , que la Cour a dit pour droit que «entraver» signifie «empêcher», lequel à son tour signifie rendre impossible. Ainsi le reconditionnement n'est-il licite que si, à défaut, la commercialisation est impossible. À notre avis, ce point de vue est trop étriqué. Il est certes vrai qu'une réglementation ou une pratique qui empêche l'accès au marché, ou le rend impossible, est à considérer comme «entravant» cet accès. Cela ne veut pas dire toutefois qu'il soit juste de considérer que seule une telle réglementation ou une telle pratique peut «entraver» l'accès. Dans ce point de l'arrêt Upjohn, la Cour ne faisait que donner un exemple de circonstances dans lesquelles le reconditionnement serait tenu pour nécessaire; elle ne prétendait pas à l'exhaustivité.

    108. Les considérants de la Cour montrent bien que le reconditionnement doit être «objectivement» nécessaire. Il n'appartient donc pas à l'importateur parallèle de dire ce qui est nécessaire, comme le dit le gouvernement norvégien. La thèse de la juridiction de renvoi dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a., selon laquelle il existe toujours différents modes substituables de reconditionnement, de sorte qu'aucun ne peut être nécessaire, nous semble peu fondée pour la même raison.

    109. Paranova a déclaré que, dans certains États membres - elle cite l'Autriche, le Danemark et la Finlande (et aussi la Norvège dans l'Espace économique européen) -, les médicaments présentés dans des emballages munis d'autocollants n'obtiennent pas l'autorisation ou l'agrément de mise en circulation. Si cela est exact, il s'agit évidemment d'un cas dans lequel le reconditionnement serait objectivement nécessaire pour accéder au marché.

    110. Il nous semble toutefois qu'il est juste de considérer le reconditionnement comme objectivement nécessaire dans d'autres circonstances, plus nuancées. Si la juridiction nationale établit - comme dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a. - qu'il y a une «résistance large et importante» de la part des consommateurs concernés envers les emballages recouverts d'autocollants, et si cette résistance a pour effet que l'importateur parallèle serait bel et bien exclu du marché à moins d'être autorisé à changer l'emballage du produit, il nous semble que le reconditionnement devrait être jugé objectivement nécessaire pour l'accès au marché en ce sens qu'il est raisonnablement requis à cette fin. Même s'il est clair que les «réglementations [et] pratiques» ne sauraient englober les modèles de préférence des consommateurs, néanmoins si ces modèles sont suffisamment forts, répandus et largement reconnus pour influencer, par exemple, les modes de prescription des médecins et les pratiques d'achat des pharmaciens et empêcher l'«accès effectif», il est juste de considérer le reconditionnement comme objectivement nécessaire.

    111. Il nous semble clair également, au vu de la jurisprudence de la Cour, qu'un mode particulier de reconditionnement ne saurait être tenu pour nécessaire si une autre méthode, qui interviendrait moins dans les droits du titulaire, suffisait à ouvrir à l'importateur parallèle un accès effectif au marché de l'État de destination . Donc, si la juridiction nationale constate que les emballages munis d'autocollants accèdent effectivement au marché, il ne saurait être nécessaire que l'importateur parallèle procède à des modes de reconditionnement plus radicaux, comme le changement d'emballage.

    112. On remarquera en outre que toutes les affaires mentionnées ci-dessus, à l'exception de Loendersloot qui n'est citée que dans la mesure où elle confirme les décisions antérieures, ont trait à des produits pharmaceutiques. Le marché des médicaments présente un certain nombre de caractéristiques qui le distinguent sur des points importants des marchés de nombreux autres produits. Notamment, les prix sont fixés en général ou influencés par des régulateurs nationaux et ne reflètent pas le jeu normal de l'offre et de la demande et les vendeurs en gros et au détail ne peuvent librement ajuster les prix sur un marché national donné pour augmenter les ventes. De plus, les conséquences d'un reconditionnement négligent des produits pharmaceutiques peuvent se répercuter sur la santé publique et, partant, s'étendre bien au-delà de l'atteinte aux droits du titulaire de la marque.

    113. Ces caractéristiques du marché sont peut-être à l'origine de la répugnance apparente de la Cour à limiter indûment le droit du titulaire à s'opposer au reconditionnement. Ainsi, par exemple, l'effet limité des forces normales du marché sur un marché très réglementé signifie que des prix différents sur des marchés nationaux distincts ne sont pas nécessairement imputables au fait que le titulaire de la marque tire avantage de marchés nationaux divisés; de même cela peut signifier que des importateurs parallèles ne peuvent pas, à l'instar des importateurs de la plupart des autres produits, baisser les prix pour surmonter les éventuelles réticences envers leurs produits importés. De nouveau, il nous semble que la jurisprudence de la Cour concilie des considérations contradictoires: d'une part, par exemple, le droit du titulaire de se prévaloir de l'article 30, première phrase, CE pour s'opposer à tout reconditionnement devrait empêcher la commercialisation de produits importés qui ont souffert du processus de reconditionnement; d'autre part, l'importateur a en général le droit de reconditionner soigneusement le produit dans la mesure nécessaire à s'assurer un accès effectif au marché et peut donc se servir du reconditionnement comme d'un moyen de surmonter la réticence des consommateurs.

    114. Swingward soutient que, lorsque la Cour a établi dans l'affaire Upjohn que la condition de nécessité ne serait pas remplie si la substitution (ou la réapposition) de la marque ne s'expliquait que par la tentative de l'importateur parallèle de s'assurer un avantage commercial, il fallait comprendre un avantage commercial injuste ou abusif. Ce n'est que dans ce cas que l'utilisation de la marque dans l'emballage n'est pas nécessaire.

    115. Il ressort toutefois clairement du contexte de cette déclaration de l'arrêt Upjohn que le contraste que la Cour voulait mettre en lumière opposait, d'une part, des éléments qui échappaient à la maîtrise de l'importateur parallèle, tels que les réglementations et pratiques, et, d'autre part, le désir de celui-ci de maximiser ses ventes. Une intervention de l'importateur qui n'est pas nécessaire pour surmonter des difficultés objectives mais qui, d'après l'importateur, stimulerait les ventes n'est pas «nécessaire» au sens de la jurisprudence Upjohn. L'arrêt ne laisse pas à entendre que l'intention de la Cour était qu'une intervention perçue comme conférant un avantage commercial «juste» (par opposition à «injuste» ou «abusif») dût être tenue pour nécessaire .

    116. Pour ce qui est de la seconde facette de la troisième question posée dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a., à savoir si l'emploi de la marque par l'importateur parallèle doit être nécessaire pour lui permettre d'accéder a) à une partie seulement du marché de produits ou b) à la totalité de ce marché, il ressort clairement à notre avis de la jurisprudence de la Cour que le refus d'accès à une partie du marché de produits n'est pas admissible. Cela découle de l'arrêt Bristol-Myers Squibb e.a. , dans lequel la Cour a dit que:

    «lorsque, conformément aux règles et pratiques en vigueur dans l'État membre d'importation, le titulaire y utilise plusieurs tailles d'emballage différentes, il ne suffit pas de constater qu'une de ces tailles est également commercialisée dans l'État membre d'exportation pour conclure qu'un reconditionnement du produit n'est pas nécessaire. En effet, il existerait un cloisonnement des marchés si l'importateur ne pouvait commercialiser le produit que sur une partie limitée du marché de celui-ci» .

    117. La juridiction de renvoi déclare que, au vu des éléments dont elle dispose, il ne fait pas de doutes que certains pharmaciens n'achèteront pas des produits recouverts d'autocollants en raison de l'idée, basée fréquemment sur l'expérience, qu'une partie de leurs clients n'en voudront pas, ce qui veut dire qu'il existe une partie du marché dont les produits réétiquetés sont exclus totalement. Nous sommes prêt à admettre que, si le produit est ainsi exclu du marché, le changement d'emballage est nécessaire pour que les parties défenderesses aient un accès effectif au marché pertinent.

    118. Nous concluons en conséquence qu'il est loisible, en vertu du droit communautaire, à un importateur parallèle de reconditionner des médicaments dans la mesure où cela est raisonnablement requis pour lui permettre de s'assurer un accès effectif au marché (ou à une part importante du marché) de l'État membre de destination et dans la mesure où d'autres méthodes, moins radicales, de reconditionnement ne lui permettront pas de s'assurer un accès effectif à ce marché (ou à une part importante de celui-ci). À cette fin, il convient de tenir compte non seulement des obstacles de droit - tels que les exigences réglementaires de l'État membre de destination - mais aussi d'obstacles de fait, dont la réticence des consommateurs envers, par exemple, des boîtes munies d'autocollants, qui est de nature à influencer les prescriptions ou pratiques en matière d'ordonnances.

    119. Cette conclusion, de même que notre conclusion sur le premier point , nous semble être une interprétation correcte de la jurisprudence tendant à un juste équilibre entre les intérêts en concurrence: d'une part, celui de l'importateur parallèle à tirer profit de la libre circulation des marchandises et, d'autre part, celui du titulaire à préserver ses droits de propriété intellectuelle. Nous souhaitons noter toutefois que cet équilibre sera rompu, au détriment du principe fondamental de la libre circulation des marchandises, si les règles ou pratiques nationales de procédure concernant la charge de la preuve empêchent en fait l'importateur parallèle de démontrer la nécessité du reconditionnement dans des circonstances particulières.

    L'exigence de préavis

    120. Les cinquième, sixième et septième questions de l'affaire Boehringer Ingelheim e.a. invitent en substance la Cour à revoir l'exigence du préavis de reconditionnement qu'elle avait imposée dans sa jurisprudence antérieure. La juridiction de renvoi demande notamment si, dès lors que le reconditionnement envisagé ne porte pas atteinte à l'objet spécifique de la marque, le préavis est néanmoins exigé et, le cas échéant, quelle en est la durée, si l'importateur doit le donner lui-même ou s'il suffit que le titulaire le reçoive d'une autre source, et quelle est la conséquence du défaut de préavis.

    121. Boehringer Ingelheim soutient qu'il n'y a pas de raison valable de revenir sur l'exigence de préavis établie par la Cour. Cette exigence n'impose pas une charge déraisonnable à l'importateur parallèle, n'entrave pas la libre circulation des marchandises, ne retarde pas la commercialisation des produits importés ni ne rend cette commercialisation sensiblement plus difficile. Puisque cette exigence ne dépend pas d'une utilisation de la marque qui cause préjudice à l'objet spécifique de celle-ci, le titulaire peut s'opposer à toute utilisation de sa marque par un importateur parallèle à moins que celui-ci ne lui ait donné préavis.

    122. Pour Glaxo, l'exigence de préavis n'est pas lourde et est raisonnable. Elle doit être mise en oeuvre ainsi que la Cour l'exige constamment depuis l'arrêt Hoffmann-La Roche. L'importateur parallèle doit donner un préavis. Celui-ci doit être suffisamment antérieur à la commercialisation pour permettre la prise en compte d'objections et l'importateur parallèle qui ne donne pas préavis doit être sanctionné puisque, à défaut, il ne serait pas incité à respecter cette exigence et, en pratique, il n'y aurait jamais de préavis. Un préavis de 28 jours est raisonnable.

    123. Swingward soutient qu'il découle de la jurisprudence de la Cour que l'exigence imposée à l'importateur de donner préavis au titulaire est une exigence de procédure destinée à mettre ce dernier en état de veiller à ses droits légitimes. C'est un moyen d'aboutir à une fin, mais pas une fin en soi. En langage communautaire, c'est un droit secondaire, de procédure. En tant que tel, le principe de proportionnalité s'applique. Lorsqu'il n'y a pas atteinte à l'objet spécifique de la marque, un défaut de préavis ne fera pas préjudice au titulaire. En conséquence, il serait disproportionné par rapport à la raison d'être de cette exigence qu'une négligence transforme l'usage inoffensif de la marque en une atteinte au droit de marque. Quant à la période de deux jours suggérée par la juridiction de renvoi, Swingward la juge raisonnable. Enfin, Swingward soutient que l'obligation de préavis est respectée dès lors que le titulaire reçoit le préavis, que celui-ci lui ait été envoyé par l'importateur ou par un tiers.

    124. Le gouvernement allemand estime que, si le titulaire n'a pas reçu des informations suffisantes sur le type de reconditionnement avant la mise en circulation des produits reconditionnés, dans un délai suffisant pour lui permettre de vérifier le respect des conditions du reconditionnement imposées par la Cour, il est justifié d'empêcher l'importateur d'invoquer l'épuisement du droit de marque. Le préavis doit être donné à temps pour permettre au titulaire d'évaluer la méthode employée. L'avis doit émaner de l'importateur parallèle.

    125. La Commission fait valoir que l'exigence de préavis, combinée à la faculté pour le titulaire d'exiger que l'importateur parallèle lui fournisse un spécimen du produit reconditionné ou réétiqueté avant de le mettre sur le marché, permet au titulaire de s'assurer de ce que l'objet spécifique de son droit est préservé. Cette exigence vise donc la protection de l'objet spécifique du droit de marque. La jurisprudence montre que la Cour entendait que chacune des conditions posées fût remplie avant que le titulaire pût être privé de son droit à s'opposer à la commercialisation ultérieure d'un produit pharmaceutique reconditionné. Il découle de cette jurisprudence qu'un titulaire peut s'opposer à cette commercialisation ultérieure s'il n'a pas été prévenu de l'utilisation envisagée de sa marque. Le délai de préavis doit être calculé uniquement par référence aux droits du titulaire de la marque, et sera donc normalement plutôt bref. Il sera plus long si l'importateur parallèle choisit de le notifier sans envoyer simultanément un spécimen. Dans ce cas, une période supplémentaire est requise pour que le titulaire décide d'exiger un spécimen et le reçoive.

    126. Nous souhaitons souligner que l'exigence de préavis remonte à l'arrêt Hoffmann-La Roche , dans lequel la Cour a dit pour droit que, compte tenu de l'intérêt du titulaire à ce que le consommateur ne soit pas induit en erreur sur la provenance du produit, l'opérateur ne devrait être admis à vendre le produit reconditionné que sous condition d'en donner préavis et de mentionner sur le nouvel emballage que le produit a été reconditionné par lui.

    127. Dans l'arrêt Bristol-Myers Squibb e.a. , la Cour a dit pour droit que «le titulaire de la marque devait être averti préalablement de la mise en vente du produit reconditionné», en spécifiant que le préavis devait émaner de l'importateur. Dans l'arrêt Loendersloot , elle a rappelé cette affirmation dans le cas spécifique des produits pharmaceutiques, ajoutant que, même dans le contexte plus large des faits de l'espèce (réétiquetage de whisky), «les intérêts du titulaire de la marque, et notamment son intérêt à pouvoir combattre la contrefaçon, sont suffisamment pris en compte si [l'importateur] l'avertit préalablement de la mise en vente des produits réétiquetés» .

    128. L'exigence que l'importateur parallèle donne préavis au titulaire avant de mettre en vente le produit reconditionné a donc une genèse bien établie et des motifs sérieux.

    129. Dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a., la juridiction de renvoi se demande pourtant si elle est appropriée lorsqu'il n'y a pas d'atteinte à l'objet spécifique de la marque.

    130. À notre avis, l'exigence de préavis ne saurait dépendre de l'existence ou non d'une atteinte réelle à l'objet spécifique de la marque. Ainsi que nous l'avons vu plus haut, la jurisprudence de la Cour indique clairement que celle-ci considère que le seul fait du reconditionnement est de nature à porter atteinte à l'objet spécifique de la marque. Le préavis donné au titulaire lui offre la possibilité de vérifier s'il y a réellement atteinte à l'objet spécifique ou à la fonction essentielle de la marque. Si l'exigence de préavis était supprimée, l'importateur parallèle aurait d'emblée le droit de décider si le type de reconditionnement entrepris porte atteinte en fait aux intérêts légitimes du titulaire. Cela irait à l'encontre des indications limpides données par la Cour depuis l'introduction de cette exigence dans l'arrêt Hoffmann-La Roche, première affaire de reconditionnement en 1978. Nous ne voyons pas de raison d'infléchir ainsi la jurisprudence.

    131. Nous ne voyons pas davantage de raisons de nous écarter des indications claires de la Cour selon lesquelles c'est à l'importateur parallèle qu'il revient de donner préavis. Swingward soutient que, puisque la Medicines Control Agency (MCA) du Royaume-Uni avertit le titulaire lorsqu'elle accorde une licence de produit (importation parallèle), le titulaire est suffisamment informé des importations parallèles envisagées. Nous réfutons cet argument pour deux raisons.

    132. D'abord, il résulte de l'échantillon joint aux observations de Boehringer Ingelheim qu'une notification de la MCA ne contient pas d'information relative à la forme de reconditionnement du produit en cause. Elle ne saurait donc constituer un préavis au sens de la jurisprudence de la Cour.

    133. Deuxièmement, les importateurs parallèles de toute l'Union doivent connaître leurs obligations et les moyens de s'en acquitter. La satisfaction de l'exigence posée par la Cour ne saurait être liée au cadre réglementaire d'un seul État membre. L'exigence que l'importateur donne préavis au titulaire est simple à appliquer et simple à respecter, contribuant ainsi à l'application uniforme du droit communautaire.

    134. Pour ce qui est du délai de préavis requis, il va de soi qu'il doit être raisonnable. Il doit notamment suffire pour permettre au titulaire - qui, s'agissant de produits pharmaceutiques, est en général une grande société comportant plusieurs subdivisions, situées éventuellement dans plusieurs pays, qui sont susceptibles d'être concernées - d'apprécier l'acceptabilité de l'emballage envisagé. À notre avis, un délai de trois à quatre semaines devrait être raisonnable. Indiquons que, selon Boehringer Ingelheim, l'association britannique des importateurs parallèles a proposé trois semaines. Il se peut que des circonstances exceptionnelles justifient un délai plus bref ou plus long dans un cas particulier. Cette question relève de la juridiction nationale.

    135. Enfin, la juridiction nationale demande quelle serait la conséquence d'un défaut de préavis. Il a été soutenu devant cette juridiction qu'il serait absurde qu'un titulaire puisse bloquer des importations parallèles en pareil cas puisque, même si le préavis est exigé, il serait tout à fait disproportionné de permettre à un titulaire d'empêcher la commercialisation ultérieure d'importations parallèles en raison du non-respect d'une règle de procédure dès lors qu'il n'a été porté aucune atteinte à l'objet spécifique de la marque.

    136. Il semble impossible toutefois de ne pas conclure que, si un importateur parallèle ne donne pas au titulaire de la marque un préavis raisonnable du reconditionnement, celui-ci est fait en infraction au droit de marque. La formulation retenue par la Cour dans les arrêts Hoffmann-La Roche et Bristol-Myers Squibb e.a. montre qu'elle entendait que chacune des conditions posées dans ces affaires, y compris l'obligation de préavis, fût remplie pour qu'un titulaire perde son droit de s'opposer au reconditionnement. On peut ajouter la raison pragmatique que l'imputation à l'importateur parallèle d'une atteinte au droit de marque est la seule sanction réaliste du défaut de préavis et qu'il ne servirait à rien que la Cour imposât une exigence sans prévoir de sanction.

    Conclusion

    137. Nous proposons par conséquent à la Cour de répondre ainsi aux questions posées dans les présentes affaires:

    Dans l'affaire Merck, Sharp & Dohme (C-443/99):

    «L'article 7, paragraphe 2, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, ne confère pas au titulaire d'une marque le droit de s'opposer à la commercialisation sous cette marque d'un médicament lorsque l'importateur a reconditionné le produit, y a réapposé la marque et a satisfait en outre aux autres conditions posées par la Cour dans son arrêt du 11 juillet 1996, Bristol-Myers Squibb e.a. (C-427/93, C-429/93 et C-436/93) (pas d'altération du produit contenu dans l'emballage, indication claire du fabricant et de l'origine, absence d'atteinte à la réputation de la marque ou de son titulaire en raison d'un emballage défectueux et information du titulaire de la marque sur la mise en vente du médicament reconditionné) si le reconditionnement et la réapposition de la marque sont raisonnablement nécessaires pour permettre à l'importateur d'accéder effectivement au marché de l'État membre de destination (ou à une partie significative de ce marché), dans la mesure où d'autres méthodes, moins radicales, de reconditionnement ne lui permettraient pas d'atteindre cet objectif. À cet effet, il y a lieu de tenir compte non seulement des obstacles de droit - tels que la réglementation en vigueur dans l'État membre de destination - mais aussi des obstacles de faits, dont la réticence des consommateurs à l'égard, par exemple, d'emballages munis d'autocollants, qui est susceptible d'affecter les prescriptions ou les pratiques en matière d'ordonnances.»

    Dans l'affaire Boehringer Ingelheim e.a. (C-143/00):

    «1) Ni les articles 28 CE et 30 CE ni l'article 7, paragraphe 2, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, ne s'opposent à ce qu'un titulaire de marque excipe de son droit pour empêcher l'importateur parallèle d'un produit pharmaceutique de reconditionner ce produit à condition que cette utilisation de ses droits ne contribue pas à un cloisonnement artificiel des marchés entre les États membres ou, par ailleurs, ne constitue pas une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres. Le titulaire d'une marque qui utilise ses droits de marque pour empêcher un importateur parallèle de procéder au reconditionnement nécessaire contribue à un tel cloisonnement artificiel.

    2) Le reconditionnement est nécessaire s'il est raisonnablement requis pour permettre à l'importateur de s'assurer un accès effectif au marché (ou à une part importante du marché) de l'État membre de destination dans la mesure où d'autres méthodes, moins radicales, de reconditionnement ne lui permettraient pas d'atteindre cet objectif. À cet effet, il y a lieu de tenir compte non seulement des obstacles de droit - tels que la réglementation en vigueur dans l'État membre de destination -, mais aussi des obstacles de faits, dont la réticence des consommateurs à l'égard, par exemple, d'emballages munis d'autocollants, qui est susceptible d'affecter les prescriptions ou les pratiques en matière d'ordonnances.

    3) L'importateur parallèle qui souhaite vendre des produits reconditionnés portant une marque doit dans tous les cas donner un préavis raisonnable au titulaire de la marque. Un délai de trois à quatre semaines sera normalement considéré comme raisonnable. Un importateur parallèle qui n'a pas donné de préavis raisonnable au titulaire ne saurait invoquer l'article 30 CE ou l'article 7, paragraphe 2, de la directive, dans une procédure engagée contre lui pour atteinte à la marque.»

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