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Document 61999CC0089
Opinion of Mr Advocate General Jacobs delivered on 15 February 2001. # Schieving-Nijstad vof and Others v Robert Groeneveld. # Reference for a preliminary ruling: Hoge Raad der Nederlanden - Netherlands. # Agreement establishing the World Trade Organisation - Article 50(6) of the TRIPs Agreement - Interpretation - Direct effect - Application to proceedings pending at the time of entry into force in the State concerned - Conditions regarding the time-limit for bringing substantive proceedings - Calculation of that time-limit. # Case C-89/99.
Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 15 février 2001.
Schieving-Nijstad vof et autres contre Robert Groeneveld.
Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas.
Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce - Article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs - Interprétation - Effet direct - Application à une procédure en attente d'une décision lors de l'entrée en vigueur pour l'Etat concerné - Conditions auxquelles un délai est fixé pour l'introduction du recours principal - Calcul dudit délai.
Affaire C-89/99.
Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 15 février 2001.
Schieving-Nijstad vof et autres contre Robert Groeneveld.
Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas.
Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce - Article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs - Interprétation - Effet direct - Application à une procédure en attente d'une décision lors de l'entrée en vigueur pour l'Etat concerné - Conditions auxquelles un délai est fixé pour l'introduction du recours principal - Calcul dudit délai.
Affaire C-89/99.
Recueil de jurisprudence 2001 I-05851
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2001:98
Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 15 février 2001. - Schieving-Nijstad vof et autres contre Robert Groeneveld. - Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad der Nederlanden - Pays-Bas. - Accord instituant l'Organisation mondiale du commerce - Article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs - Interprétation - Effet direct - Application à une procédure en attente d'une décision lors de l'entrée en vigueur pour l'Etat concerné - Conditions auxquelles un délai est fixé pour l'introduction du recours principal - Calcul dudit délai. - Affaire C-89/99.
Recueil de jurisprudence 2001 page I-05851
1. Dans ce renvoi du Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), la Cour est saisie de plusieurs questions relatives à l'application et à l'interprétation de l'article 50, paragraphe 6, de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l'«accord TRIPs») dans le contexte d'une demande de mesures provisoires visant à faire cesser l'atteinte alléguée à une marque.
L'accord TRIPs
2. L'accord TRIPs peut trouver son origine dans la conférence ministérielle réunie à Punta del Este en 1986 qui a lancé les négociations commerciales multilatérales du cycle de l'Uruguay. Le cycle de l'Uruguay (les négociations «les plus complexes de toute l'histoire mondiale» selon l'expression du Conseil) a abouti en 1994 à la signature de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (ci-après également l'«OMC») et de plusieurs autres accords plus spécifiques. Ces accords additionnels, annexés à l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce, comportent l'accord TRIPs. L'objectif premier de l'accord TRIPs est de renforcer et d'harmoniser la protection de la propriété intellectuelle à l'échelle mondiale .
3. L'article 1er de l'accord TRIPs, intitulé «Nature et portée des obligations», dispose en son paragraphe 1:
«Les membres donneront effet aux dispositions du présent accord. Les membres pourront, sans que cela soit une obligation, mettre en oeuvre dans leur législation une protection plus large que ne le prescrit le présent accord, à condition que cette protection ne contrevienne pas aux dispositions dudit accord. Les membres seront libres de déterminer la méthode appropriée pour mettre en oeuvre les dispositions du présent accord dans le cadre de leurs propres systèmes et pratiques juridiques.»
4. Il ressort clairement de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce que les Communautés européennes et chaque État membre sont chacun membres originels de l'organisation .
5. La troisième partie de l'accord TRIPs énonce les «Moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle». À cet effet, l'article 41, paragraphes 1 et 2, dispose:
«1. Les membres feront en sorte que leur législation comporte des procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle telles que celles qui sont énoncées dans la présente partie, de manière à permettre une action efficace contre tout acte qui porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle couverts par le présent accord, y compris des mesures correctives rapides destinées à prévenir toute atteinte et des mesures correctives qui constituent un moyen de dissuasion contre toute atteinte ultérieure. Ces procédures seront appliquées de manière à éviter la création d'obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif.
2. Les procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle seront loyales et équitables. Elles ne seront pas inutilement complexes ou coûteuses; elles ne comporteront pas de délais déraisonnables ni n'entraîneront de retards injustifiés.»
6. Les dispositions de l'article 50 de l'accord TRIPs qui intéressent la présente affaire sont les suivantes:
«1. Les autorités judiciaires seront habilitées à ordonner l'adoption de mesures provisoires rapides et efficaces:
a) pour empêcher qu'un acte portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle ne soit commis et, en particulier, pour empêcher l'introduction, dans les circuits commerciaux relevant de leur compétence, de marchandises, y compris des marchandises importées immédiatement après leur dédouanement;
b) pour sauvegarder des éléments de preuve pertinents relatifs à cette atteinte alléguée.
2. Les autorités judiciaires seront habilitées à adopter des mesures provisoires sans que l'autre partie soit entendue dans les cas où cela sera approprié, en particulier lorsque tout retard est de nature à causer un préjudice irréparable au détenteur du droit ou lorsqu'il existe un risque démontrable de destruction des éléments de preuve.
[...]
4. Dans les cas où des mesures provisoires auront été adoptées sans que l'autre partie soit entendue, les parties affectées en seront avisées, sans délai après l'exécution des mesures au plus tard. Une révision, y compris le droit d'être entendu, aura lieu à la demande du défendeur afin qu'il soit décidé, dans un délai raisonnable après la notification des mesures, si celles-ci seront modifiées, abrogées ou confirmées.
[...]
6. Sans préjudice des dispositions du paragraphe 4, les mesures provisoires prises sur la base des paragraphes 1 et 2 seront abrogées ou cesseront de produire leurs effets d'une autre manière, à la demande du défendeur, si une procédure conduisant à une décision au fond n'est pas engagée dans un délai raisonnable qui sera déterminé par l'autorité judiciaire ordonnant les mesures lorsque la législation d'un membre le permet ou, en l'absence d'une telle détermination, dans un délai ne devant pas dépasser 20 jours ouvrables ou 31 jours civils si ce délai est plus long.
7. Dans les cas où les mesures provisoires seront abrogées ou cesseront d'être applicables en raison de toute action ou omission du requérant, ou dans les cas où il sera constaté ultérieurement qu'il n'y a pas eu atteinte ou menace d'atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les autorités judiciaires seront habilitées à ordonner au requérant, à la demande du défendeur, d'accorder à ce dernier un dédommagement approprié en réparation de tout dommage causé par ces mesures.
8. Dans la mesure où une mesure provisoire peut être ordonnée à la suite de procédures administratives, ces procédures seront conformes à des principes équivalant en substance à ceux qui sont énoncés dans la présente section.»
7. L'article 70, paragraphe 1, dispose:
«Le présent accord ne crée pas d'obligations pour ce qui est des actes qui ont été accomplis avant sa date d'application pour le membre en question.»
L'accord TRIPs et la Communauté
8. L'accord OMC et avec lui les autres accords conclus dans ce domaine, parmi lesquels l'accord TRIPs, ont été approuvés, en ce qui concerne la Communauté, par décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l'Uruguay (1986-1994) . Lesdits accords sont publiés en annexe à la décision . Ils sont entrés en vigueur le 1er janvier 1996 pour la Communauté et ses États membres.
9. Au regard du droit communautaire, l'accord TRIPs est un accord mixte: la Communauté et ses États membres avaient une compétence partagée pour le conclure . La Communauté et les États membres avaient une compétence conjointe dans des domaines relevant de l'accord TRIPs dans lesquels la Communauté avait déjà introduit en partie seulement des mesures d'harmonisation comme en matière de marques. S'agissant en particulier des dispositions de l'accord TRIPs relatives aux mesures à prendre pour garantir une protection efficace des droits de propriété intellectuelle, en ce compris les règles régissant les mesures provisoires, la Cour a souligné que la Communauté et ses États membres avaient une compétence partagée pour conclure l'accord TRIPs .
10. Dans l'arrêt Hermès , la Cour a déterminé qu'elle avait compétence pour interpréter l'article 50 de l'accord TRIPs non seulement lorsque les juridictions nationales sont appelées à ordonner des mesures provisoires pour protéger des droits découlant d'une marque communautaire , mais également lorsque l'affaire concerne les droits découlant d'une marque protégée au titre du droit interne des marques - la loi uniforme Benelux dans ce cas-là . Plus récemment dans l'affaire Dior e.a. , la Cour a réaffirmé sa jurisprudence Hermès et exposé que sa compétence pour interpréter l'article 50 de l'accord TRIPs n'était pas limitée aux seules situations relevant du droit des marques, mais qu'elle s'étendait aussi aux situations intéressant d'autres droits de propriété intellectuelle relevant du champ d'application de l'accord TRIPs .
L'économie et les finalités de l'article 50
11. La troisième partie de l'accord TRIPs représente la première tentative visant à appréhender sur le plan international les problèmes rencontrés pour faire respecter les droits de propriété intellectuelle et atteste la prise de conscience des pays industrialisés, lors de la négociation de l'accord, des problèmes croissants causés par les marchandises pirates ou de contrefaçon. C'est ainsi par exemple qu'un commentateur indique que, en 1985, les industries ont perdu chaque année dans les pays retenus plus d'1,3 milliard d'USD en raison des lacunes dans la protection internationale des droits d'auteur. Sur la base de ces chiffres, l'International Intellectual Property Alliance a souligné, dans son rapport fait à l'US International Trade Commission cette année-là, que «le gouvernement américain doit avoir pour objectif d'établir dans les affaires internationales un climat dans lequel la propriété intellectuelle soit respectée et protégée» .
12. Les dispositions constituant actuellement la troisième partie, en ce compris l'article 50, ont été inspirées par les pays industrialisés, en particulier les États-Unis, l'Europe, le Japon et l'Australie, en écho à ces préoccupations . L'article 50 a fait l'objet de relativement peu de controverses dans sa rédaction au cours de la négociation et il a dès lors subi relativement peu d'amendements . On peut dès lors considérer qu'il reflète largement les désirs des pays industrialisés.
13. Les mesures provisoires du type envisagé par l'article 50 sont d'un effet particulier lorsque le titulaire de droits de propriété intellectuelle apprend qu'une atteinte manifeste est portée ou risque d'être portée à ces droits. Elles lui permettent dans ces circonstances d'obtenir une mesure provisoire rapide et efficace. Dans ce type d'affaire - c'est-à-dire lorsque l'atteinte est manifeste - l'octroi d'une mesure de cet ordre suffira toujours à régler le litige: la partie qui commercialise (ou cherche à commercialiser) les marchandises pirates ou de contrefaçon n'aura aucune raison de contester l'ordonnance ni intérêt à plaider au fond.
14. Il y aura naturellement aussi des affaires dans lesquelles une mesure provisoire aura été obtenue alors que les circonstances sont moins tranchées: il peut y avoir une authentique défense contre l'atteinte alléguée - défense que le défendeur sera dans l'incapacité de développer dans le contexte de la mesure provisoire si elle est obtenue sur requête unilatérale (sans que l'autre partie soit entendue). Il peut aussi y avoir des affaires dans lesquelles le demandeur agit en empiétant sur les droits intellectuels du défendeur.
15. L'article 50, paragraphe 6, doit en conséquence être interprété en conciliant ces intérêts: d'une part, le demandeur ne doit avoir aucune obligation de poursuivre vainement la procédure au fond dans la majorité des cas où la mesure provisoire règle effectivement l'affaire et que le défendeur l'accepte; d'autre part, le défendeur doit avoir la possibilité d'exposer sa défense au fond s'il le souhaite.
16. La Commission a une approche analogue de l'article 50 en général, lorsqu'elle observe qu'il représente un équilibre entre une protection provisoire rapide et efficace des droits de propriété intellectuelle et l'intérêt du défendeur à être préservé d'une manipulation protectionniste des mesures provisoires. Cet objectif, ajoute-t-elle, est conforme à l'article 41, paragraphes 1 et 2 , de l'accord. Ces dispositions introduisent la troisième partie comportant l'article 50. L'article 41, paragraphe 1, on le rappellera, requiert d'appliquer les procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle de manière à éviter la création d'obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif. L'article 41, paragraphe 2, requiert que les procédures destinées à faire respecter les droits de propriété intellectuelle soient loyales et équitables et ne soient pas inutilement complexes ou coûteuses. Il convient de respecter l'esprit de ces dispositions - en substance équilibre et loyauté - dans l'interprétation des paragraphes de l'article 50.
17. Enfin, nous ferons les deux observations suivantes sur l'application effective de l'article 50, paragraphe 6.
18. Premièrement, en l'absence de toute législation communautaire dans ce domaine, c'est à notre sens le droit interne qui remédiera le mieux aux lacunes présentées par les règles de procédure qui y sont établies en détail, applicables à tous les membres de l'OMC en ce compris les quinze États membres de l'Union européenne: il serait hasardeux d'imposer des règles de procédure que les négociateurs de l'accord TRIPs n'ont pas retenues. Cette approche trouve un appui dans la dernière phrase de l'article 1er, paragraphe 1, de l'accord qui dispose que «Les membres seront libres de déterminer la méthode appropriée pour mettre en oeuvre les dispositions du présent accord dans le cadre de leurs propres systèmes et pratiques juridiques».
19. Deuxièmement, la juridiction saisie d'une demande de mesures provisoires (ou, le cas échéant, la juridiction d'appel saisie d'un recours contre l'octroi ou le refus de mesures provisoires) est à l'évidence la mieux placée pour statuer sur un certain nombre d'aspects procéduraux lorsque l'accord et le droit interne le permettent. Cette juridiction connaîtra les faits et sera donc en mesure de prendre en compte dans une situation donnée les exigences d'équilibre et de loyauté qui président à l'article 50, paragraphe 6.
20. Compte tenu de ces facteurs, nous allons à présent aborder la procédure au principal et les questions posées.
La procédure au principal et les questions posées
21. La procédure au principal dans cette affaire a pour objet l'atteinte alléguée à une marque figurative «Route 66» enregistrée par M. Groeneveld, demeurant à Oosterhout, aux Pays-Bas, pour différentes catégories de produits et de services incluant des boissons alcooliques, des services de restauration et des services hôteliers et de traiteur.
22. Route 66 était une célèbre voie rapide fédérale aux États-Unis, ayant reçu son nom en 1926 et qui, partant de la Michigan Avenue à Chicago, parcourait 2 400 miles à travers huit états jusqu'à Santa Monica en Californie. Route 66 est devenue (et a peut-être toujours été) comme mythique aux États-Unis et au-delà (il y a par exemple des «associations Route 66» en Norvège, en Italie et au Japon). Elle figure dans «The Grapes of Wrath» de John Steinbeck: décrite comme «la route mère», c'était la route qu'ont empruntée plus de 200 000 personnes qui avaient abandonné en 1930 la poussière de la plaine du Midwest pour migrer en Californie. Elle apparaît aussi dans «On the Road» de Jack Kerouac et a inspiré des chansons pop et des séries télévisées.
23. L'aspect des marques figuratives enregistrées par M. Groeneveld est dérivé de l'aspect du panneau routier signalisant la Route 66 lorsqu'elle était encore praticable sur toute sa longueur. Nous indiquerions au passage qu'il nous paraît surprenant qu'un tel signe ait été enregistré comme marque.
24. M. Schieving et M. Nijstad exploitent ensemble une discothèque à Meppel, aux Pays-Bas, qui comporte un café appelé «Route 66».
25. Après avoir mis vainement MM. Schieving et Nijstad en demeure, M. Groeneveld les a cités en référé. La demande a été formée le 31 octobre 1995 et l'audience s'est tenue le 6 novembre 1995. Le 9 janvier 1996, le président du Rechtbank Assen a accordé les mesures sollicitées par M. Groeneveld et a ordonné à M. Schieving et à M. Nijstad (1) de cesser immédiatement et à l'avenir l'emploi de la (des) dénomination(s) «(Café) Route 66» et des marques «ROUTE 66» ainsi que de tout autre signe ressemblant aux marques déposées «ROUTE 66», pour les produits et les services pour lesquels ces marques sont enregistrées (notamment les services de restauration et de traiteur), et (2) de cesser immédiatement et à l'avenir tout autre emploi des marques «ROUTE 66» et/ou d'un signe ressemblant, tel que la dénomination incriminée «(Café) Route 66», fait sans juste motif dans la vie des affaires dans des circonstances susceptibles de porter préjudice aux titulaires des marques.
26. Par arrêt du 3 septembre 1997, le Gerechtshof te Leeuwarden a confirmé l'ordonnance du président tout en adaptant le dispositif de l'ordonnance pour le rendre conforme à la nouvelle version de la loi uniforme Benelux sur les marques.
27. M. Schieving et M. Nijstad se sont pourvus en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden. Le Hoge Raad a rejeté les huit premières branches du pourvoi qui avaient trait à l'interprétation de différentes dispositions de la loi uniforme Benelux sur les marques. La neuvième branche du pourvoi visait le rejet par le Gerechtshof d'un moyen soulevé devant lui par MM. Schieving et Nijstad concernant l'effet direct de l'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs.
28. Relevant que l'accord TRIPs est entré en vigueur le 1er janvier 1996 aux Pays-Bas, MM. Schieving et Nijstad ont invoqué l'article 50, paragraphe 6, de cet accord et sollicité la Cour de déterminer que, si et dans la mesure où elles pouvaient être susceptibles d'être confirmées ou accordées, les mesures prises par le président dans son ordonnance du 9 janvier 1996 n'auraient pas pu produire leurs effets plus de 20 jours ouvrables, ou 31 jours civils si ce délai est plus long, après la signification, période à l'issue de laquelle ces mesures doivent être réputées abrogées puisque M. Groeneveld n'a pas engagé d'action au fond contre eux dans ce délai.
29. Devant le Hoge Raad, MM. Schieving et Nijstad ont fait grief au Gerechtshof d'avoir méconnu l'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs en rejetant ce moyen et en les déboutant de leur demande. Le Hoge Raad a dès lors posé les questions suivantes à titre préjudiciel:
«1) L'article 50 de l'accord TRIPs, en particulier le paragraphe 6 de cet article, a-t-il un effet direct?
2) Faut-il interpréter l'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs en ce sens que les mesures provisoires visées aux paragraphes 1 et 2 de cette disposition sont frappées de plein droit de caducité soit si l'action n'est pas engagée au fond dans le délai fixé à cet effet dans la mesure provisoire soit, si ce délai n'est pas fixé, si l'action n'est pas engagée au fond dans un délai de 20 jours ouvrables ou de 31 jours civils (si ce délai est plus long), ou en ce sens que cette caducité requiert (toujours) une demande de la partie contre laquelle la mesure est prise?
3) Lorsque le délai dans lequel l'action doit être engagée au fond n'est pas fixé dans la mesure provisoire, commence-t-il:
a) le jour qui suit celui auquel le juge a pris la mesure provisoire, ou
b) le jour qui suit celui auquel la décision comportant la mesure provisoire est signifiée au défendeur, ou
c) le jour qui suit celui auquel la décision comportant la mesure provisoire est devenue irrévocable, ou
d) à tout autre moment?
4) Le juge qui prend une mesure provisoire doit-il fixer d'office un délai dans lequel une action doit être engagée au fond ou ne peut-il fixer ce délai que si la demande lui en est faite?
5) Le juge appelé à statuer en degré d'appel sur une mesure prise par le premier juge et qui confirme celle-ci peut-il en fin de compte fixer un délai tel que visé ci-avant soit d'office soit à la demande d'une des parties, si le premier juge a négligé de le faire?
6) L'article 50 de l'accord TRIPs s'applique-t-il si cet accord entre en vigueur dans l'État membre en question à un moment où le premier juge a pris l'affaire en délibéré mais où il n'a pas encore statué?»
30. Le Hoge Raad signale dans sa décision de renvoi avoir déjà posé la première question à la Cour dans son arrêt de renvoi du 30 octobre 1998, parvenu à la Cour le 5 novembre 1998 et inscrit sous le numéro d'affaire C-392/98 Assco Gerüste .
31. Des observations écrites ont été présentées par M. Groeneveld, les gouvernements français, portugais et du Royaume-Uni, le Conseil et la Commission. Les observations des gouvernements français et portugais et du Conseil sont exclusivement centrées sur la première question. MM. Schieving et Nijstad et la Commission étaient représentés à l'audience.
La procédure nationale en cause
32. L'article 289, paragraphe 1, du code de procédure civile néerlandais (ci-après le «code») dispose:
«Dans toutes les affaires où, compte tenu des intérêts des parties, une mesure immédiate provisoire s'impose en raison de l'urgence, la demande peut être introduite à une audience que le président tiendra à cette fin aux jours ouvrables qu'il fixera à cet effet.»
33. Dans cette hypothèse, l'article 290, paragraphe 2, du code dispose que les parties peuvent comparaître volontairement devant le président siégeant en référé, le demandeur devant alors être représenté à l'audience par un avocat, alors que le défendeur peut comparaître en personne ou être représenté par un avocat.
34. Selon l'article 292 du code, la mesure d'urgence adoptée par le président ne préjuge pas de l'examen au fond de l'affaire au principal.
35. En vertu l'article 295 du code, la décision au provisoire peut faire l'objet d'un appel devant le Gerechtshof dans les deux semaines à compter de son prononcé.
36. Dans l'affaire Hermès , il s'agissait de savoir si la procédure néerlandaise était une «mesure provisoire» au sens de l'article 50, paragraphe 1, de l'accord TRIPs et si, partant, l'article 50, paragraphe 6, s'appliquait à cette procédure. Dans son ordonnance de renvoi, le président de l'Arrondissementsrechtbank avait relevé dans cette affaire que, dans le cadre de la procédure de référé telle qu'elle est organisée par la loi néerlandaise, la partie adverse est citée, les parties ont le droit d'être entendues et le juge des référés se livre à une appréciation du contenu de l'affaire qu'il coule, par ailleurs, dans une décision écrite, motivée et susceptible de recours. De plus, bien que les parties aient ensuite la faculté d'engager une procédure au fond, elles acceptent d'ordinaire de s'en tenir à la décision de référé dans les matières relevant de l'accord TRIPs.
37. Dans son arrêt Hermès, la Cour a déterminé qu'une mesure dont l'objet est de mettre fin aux prétendues atteintes à un droit de marque et qui est adoptée dans le cadre d'une procédure de cette nature est une «mesure provisoire» au sens de l'article 50, paragraphe 1.
La première question
38. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l'article 50 (en particulier son paragraphe 6) de l'accord TRIPs a un effet direct.
39. Il découle des points 47 et 48 de l'arrêt que la Cour a récemment rendu dans l'affaire Dior e.a. que, dans le domaine des marques, c'est au droit communautaire qu'il appartient de déterminer les effets juridiques de l'article 50 de l'accord TRIPs sur les règles de droit interne régissant les mesures provisoires. C'est en revanche au droit interne qu'il appartient de déterminer les effets juridiques de l'article 50 de l'accord TRIPs dans «un domaine dans lequel la Communauté n'a pas encore légiféré et qui, par conséquent, relève de la compétence des États membres».
40. Nous devons avouer qu'il n'est pas aisé de comprendre pourquoi le droit communautaire régit les effets de l'article 50 de l'accord TRIPs non seulement lorsque c'est une marque communautaire qui est impliquée, mais également dans des situations intéressant des marques nationales (uniformes Benelux) . Il faut garder à l'esprit que, conformément à la propre jurisprudence de la Cour, lorsque l'article 50 de l'accord TRIPs est appliqué en rapport avec une marque nationale/Benelux, il apparaît être appliqué dans une situation relevant du droit national . La référence faite au point 47 de l'arrêt Dior e.a. au point 28 de l'arrêt Hermès n'est pas probante puisque ce dernier passage concernait la seule marque communautaire. La ligne suivie par la Cour s'explique peut-être parce qu'il serait trop lourd de soumettre les mesures provisoires à deux régimes juridiques distincts, l'un régissant la marque communautaire et l'autre régissant les marques nationales.
41. Quoi qu'il en soit, dans l'arrêt Dior e.a. la Cour a décidé que l'article 50 de l'accord TRIPs n'a pas un effet allant jusqu'à créer pour les particuliers des droits dont ceux-ci peuvent se prévaloir directement devant le juge en vertu du droit communautaire. La Cour a ajouté toutefois que la constatation que les dispositions de l'accord TRIPs n'ont pas, en ce sens, d'«effet direct» ne répond toutefois pas entièrement au problème soulevé par les juridictions de renvoi. Elle a alors indiqué que dans un domaine auquel l'accord TRIPs s'applique et dans lequel la Communauté a déjà légiféré, comme c'est le cas de celui de la marque, les autorités judiciaires des États membres sont tenues en vertu du droit communautaire, lorsqu'elles sont appelées à appliquer leurs règles nationales en vue d'ordonner des mesures provisoires pour la protection des droits relevant d'un tel domaine, de le faire dans la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de l'article 50 de l'accord TRIPs .
42. Ainsi, bien que l'article 50 n'ait pas d'effet direct, l'absence d'effet direct a une incidence moindre que celle qu'elle aurait pu avoir étant donné que - en droit des marques - les juridictions sont tenues d'interpréter le plus possible leur droit interne conformément à l'article 50. Ce principe est fidèle à l'approche antérieure de la Cour à l'égard du GATT de 1947, lorsqu'elle a indiqué par exemple qu'«il importe que les dispositions de laccord général, comme les dispositions de tous autres accords liant la Communauté, reçoivent la même application dans l'ensemble de celle-ci» .
La deuxième question
43. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si c'est de plein droit que les mesures provisoires au sens de l'article 50, paragraphes 1 et 2, cessent d'être applicables si l'action au fond n'est pas engagée soit dans le délai fixé à cet effet dans les mesures provisoires, soit, si ce délai n'est pas fixé, dans un délai de 20 jours ouvrables ou de 31 jours civils (si ce délai est plus long), ou s'il faut que la partie contre laquelle les mesures sont prises demande qu'elles cessent d'être applicables.
44. On rappellera que l'article 50, paragraphe 6, dispose que les mesures provisoires seront abrogées ou cesseront de produire leurs effets d'une autre manière, à la demande du défendeur, si une procédure conduisant à une décision au fond n'est pas engagée dans un délai raisonnable qui sera déterminé par l'autorité judiciaire ordonnant les mesures lorsque la législation d'un membre le permet ou, en l'absence d'une telle détermination, dans un délai ne devant pas dépasser 20 jours ouvrables ou 31 jours civils si ce délai est plus long.
45. Il se peut bien sûr que dans certains systèmes - comme devant cette Cour - une demande de mesures provisoires ne puisse être formée que si un recours au fond est simultanément engagé ou qu'il l'a déjà été. L'interprétation de l'article 50, paragraphe 6, sollicitée par la juridiction nationale ne présentera toutefois d'intérêt que pour les systèmes permettant de former une demande de mesure provisoire avant qu'une action au fond ne soit engagée.
46. La Commission indique que, devant le Hoge Raad, MM. Schieving et Nijstad ont soutenu que le membre de phrase «à la demande du défendeur» ne peut se rapporter qu'au verbe «seront abrogées» et que les parties contractantes n'ont pas pu avoir pour intention de considérer l'expression «ou cesseront de produire leurs effets d'une autre manière» comme dépendante d'une demande de la partie défenderesse. Ils ont dès lors soutenu qu'une telle demande était requise dans le premier cas mais pas dans le second.
47. Dans notre esprit toutefois, cette interprétation se concilie difficilement avec la version de la disposition en langue anglaise d'où il ressort qu'une demande du défendeur est requise dans les deux cas.
48. Cette dernière interprétation est confirmée par les versions de la disposition en langues française et espagnole, les seules autres versions faisant foi . Dans ces deux langues, les termes «à la demande du défendeur» suivent les termes «seront abrogées ou cesseront de produire leurs effets d'une autre manière» indiquant donc clairement que la demande du défendeur est requise en tout état de cause. Il s'ensuit à notre avis, ainsi que M. Groeneveld, le Royaume-Uni et la Commission le soutiennent, que l'article 50, paragraphe 6, ne reçoit application qu'en cas de demande du défendeur, que les mesures provisoires cessent de produire leurs effets par abrogation ou «d'une autre manière».
49. Cela ne signifie pas, toutefois, qu'un État membre ne puisse pas déterminer expressément dans sa législation que des mesures provisoires cesseront automatiquement de produire leurs effets. L'article 50, paragraphe 6, vise à assurer au défendeur un moyen de contester des mesures provisoires ordonnées avant qu'une action au fond ait été engagée. Ainsi que nous l'avons évoqué ci-dessus , cette disposition vise à équilibrer les intérêts des parties les plus concernés par l'octroi de mesures provisoires dans des actions tendant à protéger des droits de propriété intellectuelle. Dans notre esprit, cet équilibre n'est pas rompu si le défendeur se voit accorder une protection plus étendue que celle conférée par l'article 50, paragraphe 6, à condition que cela ne porte pas exagérément atteinte aux intérêts du titulaire des droits de propriété intellectuelle en cause. Une règle de droit interne faisant automatiquement cesser les effets d'une mesure provisoire si une action au fond n'est pas engagée le jour même ne respecterait manifestement pas l'équilibre nécessaire entre les intérêts; une règle faisant automatiquement cesser les effets d'une mesure provisoire si une action au fond n'est pas engagée dans le mois pourrait bien en revanche respecter cet équilibre.
La troisième question
50. Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance quand commence le délai dans lequel l'action doit être engagée au fond lorsqu'il n'est pas fixé dans les mesures provisoires. La juridiction de renvoi suggère trois moments auxquels le délai peut commencer à courir, à savoir (a) le jour qui suit celui auquel le juge a pris la mesure provisoire en question; (b) le jour qui suit celui auquel la décision comportant la mesure provisoire est signifiée au défendeur; ou (c) le jour qui suit celui auquel la décision comportant la mesure provisoire est devenue irrévocable.
51. L'article 50, paragraphe 6, étant lui-même muet sur cette question, nous considérons qu'en l'absence de toute disposition communautaire sur ce point, cela relève du droit interne de chaque État membre, étant entendu que dans chaque cas la règle de droit interne en question intègre adéquatement l'esprit et la lettre de l'article 50, paragraphe 6. Sous réserve de cette qualification, sur laquelle nous reviendrons, il serait malavisé à notre sens de chercher à lire dans cette disposition des exigences procédurales plus détaillées que les auteurs de l'accord TRIPs n'ont pas jugé opportun d'énoncer.
52. Cette approche trouve au reste un appui dans la troisième phrase de l'article 1er, paragraphe 1, de l'accord, qui dispose que les membres sont libres de déterminer la méthode appropriée pour mettre en oeuvre les dispositions de l'accord dans le cadre de leurs propres systèmes et pratiques juridiques.
53. On peut noter que le texte qui a préfiguré l'article 50, paragraphe 6, dans le rapport du président au groupe de négociation chargé des marchandises, daté du 23 juillet 1990, un projet sur l'état des travaux dans la négociation de l'accord TRIPs, disposait que le délai commencerait à courir à partir de la signification des mesures provisoires sauf si la juridiction en décide autrement .
54. En décembre 1990, lorsque le projet d'acte final reprenant les résultats des négociations commerciales multilatérales du cycle de l'Uruguay a été soumis aux ministres à Bruxelles, le texte de l'article 50, paragraphe 6, était identique à celui figurant dans l'accord adopté. La référence au délai courant à partir de la signification des mesures avait été abandonnée et aucune autre indication sur le moment auquel le délai commencerait à courir ne l'a remplacée. Cela corrobore aussi l'idée voulant que les négociateurs ont considéré qu'il convenait de laisser les droits internes des États membres résoudre cette question.
55. Il y a une remarquable diversité entre les règles de procédure des différents États membres qui régissent actuellement les demandes de mesures provisoires anticipant l'engagement de la procédure au fond. Il apparaît qu'il y a un délai légal qui court à partir de la décision ordonnant les mesures provisoires au Danemark (deux semaines), en Finlande (un mois) et en Espagne (anciennement 8 jours, maintenant 20 jours). Il y a un délai légal qui court à partir de la date de la signification de la décision au Portugal (30 jours) et en Suède (un mois). Il appartient à la juridiction d'ordonner un délai en Autriche (le délai, qui court à partir de la signification de la décision ordonnant les mesures provisoires, sera fixé par le juge) et en Italie (que le juge fixera sans dépasser 30 jours et, à défaut de fixation par le juge, 30 jours) et, à la demande du défendeur, en Allemagne (généralement entre deux semaines et un mois depuis la signification de la décision fixant le délai). En Angleterre et au pays de Galles, la juridiction doit prescrire au demandeur de s'engager à entamer immédiatement l'action au fond; il en va de même en Écosse et en Irlande . En Grèce, la juridiction peut fixer un délai (pas moins de 30 jours). En Belgique, en France et au Luxembourg les juridictions ont coutume, mais pas toujours, de fixer un délai qui varie selon les cas. Aux Pays-Bas, ni la loi ni la jurisprudence ne confère expressément aux juges de pouvoir à cet effet, mais les juges ont actuellement tendance à fixer des délais de plusieurs mois à partir de différents points de départ possibles (par exemple, après que la décision ordonnant les mesures provisoires n'est plus susceptible de recours, ou lorsque le défendeur forme une demande de rétractation des mesures provisoires) qui n'inclut pas la date de la décision ou de sa signification.
56. Dans notre esprit, la diversité des régimes internes montre qu'il est hasardeux de chercher à imposer une interprétation identique de tous les détails de procédure qui ne sont pas réglés dans l'article 50, paragraphe 6. Le texte et la finalité de cette disposition, qui doivent déteindre sur l'application que les juridictions nationales sont appelées à faire des règles internes en vue d'ordonner des mesures provisoires pour protéger des droits relevant d'un domaine auquel l'accord TRIPs s'applique et dans lequel la Communauté a déjà légiféré , peuvent être mis en oeuvre par des règles de procédure divergeant légèrement sur le détail. Il nous semble donc que les règles internes aux termes desquelles le délai peut courir différemment de la date de la décision (ou du jour qui suit) ordonnant les mesures provisoires ou de la date de la signification de la décision (ou du jour qui suit) ne portent pas atteinte au texte et à la finalité de l'article 50, paragraphe 6. [Il convient de relever que les délais courent souvent non pas à partir de l'acte, mais à partir du jour qui suit: voir par exemple l'article 80, paragraphe 1, sous a), du règlement de procédure de la Cour de justice]. L'article 50, paragraphe 4, de l'accord TRIPs requérant déjà, dans le cas où des mesures provisoires auront été adoptées sans que l'autre partie ait été entendue, d'en aviser rapidement les parties affectées (sans délai après l'exécution des mesures au plus tard), il s'ensuit que la décision doit en tout état de cause être rapidement signifiée.
57. Des règles internes permettant qu'une période nettement plus longue s'écoule entre la décision ou sa signification et le début du délai dans lequel la procédure au fond doit être entamée ne saurait toutefois réaliser le but de l'article 50, paragraphe 6. Nous ne sommes dès lors pas convaincu que l'usage suivi aux Pays-Bas, qui, semble-t-il, recourt parfois à la troisième option suggérée par la juridiction nationale («le jour qui suit celui auquel la décision comportant la mesure provisoire est devenue irrévocable»), soit parfaitement conforme au texte et à la finalité de l'article 50, paragraphe 6.
58. La réponse à la troisième question de la juridiction nationale doit donc en principe être recherchée dans le droit interne. Ainsi que l'on peut le voir dans la synthèse exposée ci-avant des règles et des usages internes, dans une minorité d'États membres toutefois, le droit interne n'apparaît pas fournir une règle ou un usage aisément vérifiable permettant de déterminer quand le délai commence à courir lorsque la juridiction qui a ordonné les mesures provisoires ne prescrit pas le délai dans lequel l'action au fond doit être entamée. Dans ces circonstances, nous considérons qu'il sera tout aussi conforme au texte et à la finalité de l'article 50, paragraphe 6, que le délai coure à partir du jour de la décision ordonnant les mesures provisoires ou à partir du jour de la signification de cette décision (ou toujours dans les deux cas à partir du jour qui suit la date qui nous intéresse).
La quatrième question
59. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande si le juge qui ordonne une mesure provisoire doit fixer d'office un délai dans lequel une action doit être engagée au fond ou s'il ne doit le faire que si la demande lui en est faite.
60. Dans notre esprit, c'est à nouveau au droit interne de chaque État membre qu'il revient de déterminer si la juridiction ordonnant une mesure provisoire doit fixer d'office un délai dans lequel une action doit être engagée au fond. Cela découle des termes de l'article 50, paragraphe 6, qui dispose expressément qu'un délai raisonnable sera déterminé par l'autorité judiciaire ordonnant les mesures uniquement lorsque la législation d'un État membre le permet. Ainsi qu'il ressort du point 55 ci-avant, dans un certain nombre d'États membres la loi fixe un délai obligatoire: dans ces États il est manifestement sans intérêt de se demander si la juridiction peut ou doit fixer un délai.
61. Toutefois, lorsque la législation d'un État membre permet bel et bien à l'autorité judiciaire saisie de fixer d'office des délais de cet ordre, nous considérons que l'attitude la plus conforme au texte et à la finalité de l'article 50, paragraphe 6, consiste pour cette autorité à le faire systématiquement même si aucune partie ne le demande.
La cinquième question
62. Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande si le juge appelé à statuer en degré d'appel sur une mesure prise par le premier juge et qui confirme celle-ci peut encore fixer un délai tel que visé ci-avant soit d'office, soit à la demande d'une des parties, si le premier juge a négligé de le faire.
63. Le Royaume-Uni relève qu'une juridiction d'appel sera tout aussi bien informée qu'une juridiction de premier degré des faits et des questions en litige; c'est pourquoi, lorsque la juridiction de première instance a omis de déterminer ce qui constitue un délai raisonnable, il est souhaitable que ce soit la juridiction d'appel qui le fasse au vu des circonstances de l'espèce, pourvu que son droit interne le permette. La Commission considère elle aussi que l'on n'aperçoit pas pourquoi seule la juridiction de premier degré serait «l'autorité judiciaire ordonnant les mesures»: le juge d'appel peut être le premier qui impose des mesures provisoires ou peut les confirmer ou les modifier en fonction du déroulement de l'appel.
64. Cette approche nous paraît conforme au texte et à la finalité de l'article 50, paragraphe 6. Nous ajouterions que la question ne se pose pas uniquement lorsque le juge de premier degré a omis de fixer un délai: même s'il a fixé un délai, le juge d'appel confirmant l'ordonnance peut juger opportun de modifier ce délai si le droit interne lui en confère la faculté. Par exemple, si la juridiction de premier degré a fixé un délai de quinze jours à partir de la signification de l'ordonnance, et si le délai d'appel imposé par le droit interne est de quinze jours à partir de la signification de l'ordonnance, il est clair que le délai peut devoir être revu en appel en fonction des moments où l'appel aura été formé, entendu et vidé.
65. Toutefois, lorsque le droit interne permet à une juridiction d'appel de fixer un délai d'office, il nous semble que l'attitude la plus conforme au texte et à la finalité de l'article 50, paragraphe 6, consiste pour cette juridiction à le faire systématiquement même si aucune partie ne le demande. Bien qu'un délai fixé en première instance puisse être appelé à être modifié dans certaines circonstances, ainsi que nous l'avons évoqué ci-avant, on peut également concevoir des circonstances dans lesquelles il sera approprié de conserver le délai initial en dépit d'un appel.
Conclusions sur les cinq premières questions
66. Il peut être utile à ce stade de faire la synthèse des conclusions auxquelles nous sommes parvenu sur l'interprétation de l'article 50, paragraphe 6.
67. La réponse à la première question est fournie par l'arrêt Dior e.a.
68. Deuxièmement, l'article 50, paragraphe 6, requiert une demande du défendeur pour abroger une mesure provisoire ou pour qu'elle cesse de produire ses effets d'une autre manière.
69. Troisièmement, c'est le droit interne qui détermine quand commence le délai dans lequel une action au fond doit être engagée lorsque la décision ordonnant les mesures provisoires ne le fait pas. Il est tout aussi conforme au texte et à la finalité de l'article 50, paragraphe 6, que le délai coure soit à partir du jour de la décision ordonnant les mesures provisoires, soit à partir du jour de la signification de cette décision (ou dans les deux cas à partir du jour qui suit cette date).
70. Quatrièmement, c'est le droit interne qui détermine si une juridiction ordonnant une mesure provisoire doit fixer d'office un délai dans lequel une action doit être engagée au fond.
71. Cinquièmement, si le droit interne le permet, le juge d'appel qui ordonne, confirme ou modifie une mesure provisoire peut fixer d'office un délai dans lequel une action doit être entamée au fond.
La sixième question
72. Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande si l'article 50 de l'accord TRIPs s'applique si cet accord est entré en vigueur dans l'État membre en question à un moment où le premier juge a pris l'affaire en délibéré mais où il n'a pas encore statué.
73. L'article 70, paragraphe 1, de l'accord TRIPs dispose que l'accord ne crée pas d'obligations pour ce qui est des actes qui ont été accomplis avant sa date d'application pour l'État membre en question.
74. Pour répondre à la dernière question de la juridiction nationale, nous devons d'abord résoudre la question de savoir si les «actes» visés à l'article 70, paragraphe 1, s'entendent seulement des actes comportant une prétendue atteinte commise par le défendeur ou si les «actes» s'entendent dans un sens plus large qui inclurait un acte judiciaire comme l'ordonnance interlocutoire rendue en premier degré le 9 janvier 1996. La première interprétation paraît plus conforme à la teneur générale de l'article 70, dont la plupart des dispositions établissent des liens clairs entre la date d'entrée en vigueur de l'accord et le statut de l'objet des droits de propriété intellectuelle: voir par exemple les paragraphes 2 et 3. De surcroît, l'article 70, paragraphe 4, utilise le terme «acte» dans un contexte qui est clairement limité à des actes de nature plutôt factuelle que juridique.
75. Au reste, le terme «acte» est employé à l'article 41, paragraphe 1, dans l'expression «tout acte qui porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle». Les jugements au sens général sont en revanche évoqués par les termes «décisions judiciaires» ou «décisions» (voir article 41, paragraphe 3 et paragraphe 4).
76. L'article 50 de l'accord TRIPs est dès lors applicable (aux conditions définies dans les autres dispositions transitoires de son article 70) lorsque cet accord entre en vigueur dans l'État membre concerné après que la procédure de première instance est close, mais avant que la juridiction saisie en première instance n'ait statué, à condition que l'acte qui porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle, ayant fait l'objet de la mesure provisoire ordonnée au sens de l'article 50, paragraphe 6, ait été commis ou se poursuive après l'entrée en vigueur de l'accord TRIPs.
77. Comme on peut supposer que l'acte commis en l'espèce par les défendeurs portant prétendument atteinte aux droits de propriété intellectuelle (à savoir l'exploitation d'un café appelé «Route 66») est par nature un acte continu qui s'est poursuivi au moins jusqu'à la date de la décision judiciaire (9 janvier 1996) et qu'il s'est donc produit à la fois avant et après la date à laquelle l'accord est entré en vigueur pour le royaume des Pays-Bas (1er janvier 1996), il paraît clair que l'article 50 est applicable.
78. Il s'ensuit que l'article 50 était applicable lorsque le président du Rechtbank Assen a ordonné les mesures provisoires en cause (par décision du 9 janvier 1996) et lorsque le Gerechtshof te Leeuwarden a confirmé ces mesures en appel (par arrêt du 3 septembre 1997).
Conclusion
79. Par ces motifs, nous estimons que les questions posées par le Hoge Raad der Nederlanden appellent les réponses suivantes:
«1) Dans un domaine relevant de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l'accord TRIPs), figurant dans l'annexe 1 C de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce, approuvé au nom de la Communauté européenne, pour ce qui est de la partie relevant de la compétence de celle-ci, par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, et dans lequel la Communauté a déjà légiféré, les autorités judiciaires sont tenues, en vertu du droit communautaire, lorsqu'elles sont appelées à appliquer leurs règles nationales en vue d'ordonner des mesures provisoires pour la protection des droits relevant d'un tel domaine, de le faire dans la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de l'article 50 de l'accord TRIPs.
Dans un domaine dans lequel la Communauté n'a pas encore légiféré et qui, par conséquent, relève de la compétence des États membres, la protection des droits de propriété intellectuelle et les mesures adoptées à cet effet par les autorités judiciaires ne relèvent pas du droit communautaire. Il s'ensuit que le droit communautaire ne requiert ni n'interdit que l'ordre juridique d'un État membre accorde aux particuliers le droit d'invoquer directement la règle énoncée à l'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs ou impose aux juridictions d'appliquer cette règle d'office.
2) L'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs requiert une demande de la partie contre laquelle une mesure provisoire a été prescrite pour abroger celle-ci ou pour qu'elle cesse de produire ses effets d'une autre manière.
3) Lorsque la décision ordonnant une mesure provisoire au sens de l'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs ne fixe pas de date à laquelle commence le délai dans lequel une action au fond doit être engagée, c'est le droit interne de l'État membre concerné qui détermine quand ce délai commence. Il est tout aussi conforme au texte et à la finalité de l'article 50, paragraphe 6, que le délai coure soit à partir du jour de la décision ordonnant les mesures provisoires, soit à partir du jour de la signification de cette décision (ou dans les deux cas à partir du jour qui suit cette date).
4) C'est le droit interne de l'État membre concerné qui détermine si une juridiction ordonnant une mesure provisoire au sens de l'article 50, paragraphe 6, de l'accord TRIPs doit fixer d'office un délai dans lequel une action au fond doit être entamée.
5) C'est le droit interne de l'État membre concerné qui détermine si le juge d'appel peut fixer d'office un délai dans lequel une action au fond doit être entamée.
6) L'article 50 de l'accord TRIPs est applicable lorsque cet accord entre en vigueur dans l'État membre concerné après que la procédure de première instance est close, mais avant que la juridiction saisie en appel n'ait statué, à condition que l'acte qui porterait atteinte aux droits de propriété intellectuelle, ayant fait l'objet de la mesure provisoire ordonnée au sens de l'article 50, paragraphe 6, ait été commis ou se poursuive après l'entrée en vigueur de l'accord TRIPs.»