Affaire T-166/98
Cantina sociale di Dolianova Soc. coop. rl e.a.
contre
Commission des Communautés européennes
« Organisation commune du marché vitivinicole – Règlement (CEE) nº 2499/82 – Aide communautaire – Recours en annulation – Recours en carence – Recours en indemnité »
|
Arrêt du Tribunal (deuxième chambre) du 23 novembre 2004 |
|
|
|
|
|
|
|
Sommaire de l'arrêt
- 1.
- Recours en annulation – Actes susceptibles de recours – Actes produisant des effets juridiques obligatoires – Institution n’ayant pas la compétence pour l’adoption de l’acte demandé – Exclusion – Rejet d’une demande de modification d’une disposition réglementaire – Défaut de qualité pour agir
[Traité CE, art. 173 (devenu, après modification, art. 230 CE) ; règlement de la Commission nº 2499/82]
- 2.
- Procédure – Requête introductive d’instance – Exigences de forme – Identification de l’objet du litige
[Règlement de procédure du Tribunal, art. 44, § 1, c)]
- 3.
- Recours en carence – Personnes physiques ou morales – Omissions susceptibles de recours – Omission de la Commission de faire droit à une demande de versement d’une aide prétendument due au titre du règlement nº
2499/82 – Irrecevabilité
[Traité CE, art. 175, al. 3 (devenu art. 232, al. 3, CE) ; règlement de la Commission nº 2499/82]
- 4.
- Recours en carence – Personnes physiques ou morales – Acte sollicité – Règlement – Irrecevabilité
[Traité CE, art. 175 (devenu art. 232 CE)]
- 5.
- Recours en indemnité – Objet – Demande d’indemnité alléguant l’illégalité d’une décision prise par un État membre lors de l’application d’une réglementation
communautaire – Règlement nº 2499/82 – Aide communautaire à la distillation préventive des vins de table – Choix de l’État membre d’appliquer, pour le versement de cette aide, la procédure prévue par l’article 9 dudit règlement
– Absence de mécanisme garantissant le versement de cette aide au producteur en cas d’insolvabilité du distillateur – Illégalité entachant le règlement nº 2499/82 lui-même – Imputabilité de l’illégalité alléguée à une institution communautaire
[Traité CE, art. 215, al. 2 (devenu art. 288, al. 2, CE) ; règlement de la Commission nº 2499/82, art. 8 et 9]
- 6.
- Recours en indemnité – Caractère autonome – Épuisement préalable des voies de recours internes – Exception – Impossibilité pour le juge national de donner suite à une action en paiement en l’absence de disposition communautaire autorisant
les autorités nationales à verser les montants réclamés – Recevabilité du recours présenté sans avoir épuisé les voies de recours internes
[Traité CE, art. 178 et 215, al. 2 (devenus art. 235 CE et 288, al. 2, CE)]
- 7.
- Recours en indemnité – Autonomie par rapport aux recours en annulation et en carence – Limites – Recours en indemnité susceptible de conduire à un résultat comparable à celui des autres voies de recours – Recevabilité
[Traité CE, art. 178 (devenu art. 235 CE)]
- 8.
- Recours en indemnité – Délai de prescription – Point de départ – Responsabilité du fait d’un acte normatif – Date de l’apparition des effets dommageables de l’acte
[Traité CE, art. 178 et 215, al. 2 (devenus art. 235 CE et 288, al. 2, CE) ; statut de la Cour de justice, art. 46]
- 9.
- Responsabilité non contractuelle – Conditions – Violation suffisamment caractérisée du droit communautaire – Article 9 du règlement nº 2499/82 – Aide communautaire à la distillation préventive de vins de table – Absence de mécanisme garantissant le versement de l’aide au producteur en cas d’insolvabilité du distillateur – Violation du principe interdisant l’enrichissement sans cause – Violation du principe de non-discrimination
[Traité CE, art. 178 et 215, al. 2 (devenus art. 235 CE et 288, al. 2, CE) ; règlement de la Commission nº 2499/92]
- 1.
Ne constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation que les mesures produisant des effets juridiques
obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique.
Tel n’est pas le cas des actes portant rejet d’une demande lorsque l’institution n’est pas compétente pour adopter l’acte
demandé et que donc l’acte de refus n’a pas un caractère décisionnel.
De même, le recours contre la décision de la Commission portant refus d’opérer une correction rétroactive d’un acte est irrecevable
lorsque la correction demandée doit être adoptée sous la forme d’un règlement de portée générale, en raison du défaut de qualité
pour agir du requérant.
(cf. points 64, 76)
- 2.
Une requête devant, aux termes de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, indiquer l’objet
du litige, des conclusions tendant à l’annulation d’actes autres que celui attaqué ou qui le fondent ou lui sont coordonnés
ou connexes sans qu’ils soient identifiés, doivent, faute de précision suffisante, être déclarées irrecevables.
(cf. point 79)
- 3.
Dès lors que la Commission n’est pas compétente pour faire droit à la demande des producteurs de vin de leur verser l’aide
prétendument due au titre du règlement nº 2499/82, établissant les dispositions relatives à la distillation préventive pour
la campagne viticole 1982/1983, le recours en carence visant à sanctionner une telle abstention est irrecevable. En effet,
il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir ainsi omis d’adresser aux requérantes un acte autre qu’une recommandation
ou un avis, au sens de l’article 175, troisième alinéa, du traité (devenu article 232, troisième alinéa, CE).
(cf. points 70, 81)
- 4.
Des particuliers qui ne sont pas recevables à contester la légalité d’un acte réglementaire ne sont pas non plus recevables
à saisir la Cour d’un recours en carence visant la non-adoption du même acte après avoir adressé à une institution communautaire
une invitation à l’édicter.
(cf. point 82)
- 5.
Dès lors que le régime de versement de l’aide prévu par l’article 9 du règlement nº 2499/82, établissant les dispositions
relatives à la distillation préventive pour la campagne viticole 1982/1983, ne garantit pas, notamment en cas de faillite
d’un distillateur, le versement indirect aux producteurs concernés de l’aide incluse dans le prix minimal d’achat, pour le
vin livré à ce distillateur et distillé conformément aux dispositions dudit règlement, l’éventuelle illégalité consistant
dans l’absence de garantie pour les producteurs de bénéficier de cette aide résulte directement de la lacune du règlement
nº 2499/82, et non de l’option exercée par l’État membre concerné, en application de l’article 8 dudit règlement, en faveur
du régime de versement indirect de l’aide prévu par ledit article 9. Il s’ensuit que cette illégalité entache le règlement
lui-même et non le comportement de l’État membre concerné, qui s’est limité à appliquer correctement ce règlement. Elle est
donc imputable à la Commission, auteur dudit règlement.
(cf. points 109-112)
- 6.
S’il est exact que le recours en indemnité doit être apprécié au regard de l’ensemble du système de protection juridictionnelle
des particuliers et que sa recevabilité peut donc se trouver subordonnée, dans certains cas, à l’épuisement des voies de recours
internes, il faut cependant, pour qu’il en soit ainsi, que ces voies de recours nationales assurent d’une manière efficace
la protection des particuliers intéressés qui s’estiment lésés par les actes des institutions communautaires et qu’elles soient
susceptibles d’aboutir à la réparation du dommage allégué.
À cet égard, la recevabilité d’un recours en indemnité ne saurait être subordonnée à l’épuisement des voies de recours internes
lorsque, à supposer que la réglementation communautaire incriminée soit déclarée invalide par un arrêt rendu à titre préjudiciel
par la Cour, saisie en application de l’article 177 du traité (devenu article 234 CE), les juridictions nationales ne pourraient
donner suite à une action en paiement – ou à toute autre action appropriée – sans intervention préalable du législateur communautaire,
en raison de l’absence de disposition communautaire autorisant les autorités nationales compétentes à verser les montants
réclamés. En effet, dans une telle hypothèse, il serait contraire non seulement à une bonne administration de la justice et
à l’exigence d’économie de la procédure, mais également à la condition relative à l’absence de recours interne efficace d’obliger
les personnes intéressées à épuiser les voies de droit nationales avant d’intenter un recours en indemnité.
(cf. points 115-117)
- 7.
Le recours en indemnité est une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies
de recours et subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique. Elle tend à la réparation du
préjudice causé par une institution communautaire. Il serait dès lors contraire à l’autonomie de cette action, ainsi qu’à
l’efficacité du système des voies de recours instauré par le traité, de considérer qu’un recours en indemnité est irrecevable
au motif qu’il pourrait conduire, du moins pour les parties requérantes, à un résultat comparable aux résultats d’un recours
en annulation ou d’un recours en carence. C’est uniquement dans le cas où un recours en indemnité tendrait en réalité au retrait
d’une décision individuelle destinée aux parties requérantes et devenue définitive – de sorte qu’il aurait le même objet et
le même effet qu’un recours en annulation – que ce recours en indemnité pourrait être considéré comme un détournement de procédure.
(cf. point 122)
- 8.
Le délai de prescription pour les actions contre les Communautés en matière de responsabilité non contractuelle, prévu à l’article
46 du statut de la Cour de justice, ne saurait commencer à courir avant que ne soient réunies toutes les conditions auxquelles
se trouve subordonnée l’obligation de réparation, à savoir l’existence d’un comportement illégal des institutions communautaires,
la réalité du préjudice allégué et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué. La condition
susvisée relative à l’existence d’un préjudice certain est remplie dès lors que le préjudice est imminent et prévisible avec
une certitude suffisante, même s’il ne peut pas encore être chiffré avec précision.
Il s’ensuit que, s’agissant de la responsabilité de la Communauté découlant d’un acte normatif, le délai de prescription ne
saurait commencer à courir avant que les effets dommageables de cet acte ne se soient produits et, par conséquent, avant le
moment où les intéressés ont subi un préjudice certain. En l’occurrence, un tel délai de prescription commence à courir à
partir du moment où le requérant est en mesure de se rendre effectivement compte de celui-ci, car il apparaît imminent et
prévisible.
(cf. points 129-131, 145, 149, 154)
- 9.
En omettant, dans l’économie du règlement nº 2499/82, établissant les dispositions relatives à la distillation préventive
pour la campagne viticole 1982/1983, d’assortir le régime de versement de l’aide communautaire prévu par l’article 9 de ce
règlement d’un mécanisme garantissant le versement de celle-ci aux producteurs concernés, en cas d’insolvabilité du distillateur,
la Commission a méconnu de manière manifeste et grave les limites s’imposant à son pouvoir d’appréciation.
En effet, ledit régime est manifestement contraire au principe général du droit communautaire interdisant l’enrichissement
sans cause, car il n’est assorti d’aucun mécanisme susceptible d’assurer le versement de cette aide aux producteurs ayant
rempli l’ensemble de leurs obligations et ayant effectué la distillation dans les délais prescrits par le règlement.
En outre, en cas d’insolvabilité du distillateur, l’option entre les procédures visées aux articles 9 et 10 du règlement nº
2499/82 pour le versement de l’aide communautaire entraîne une différence de traitement, selon les États membres, quant à
la garantie de versement de ladite aide aux producteurs concernés, alors que cette aide leur est en principe due en vertu
de la réglementation communautaire applicable. Une telle différence n’est pas objectivement justifiée par la diversité des
situations considérées, dès lors qu’elle ne se rapporte pas aux conditions d’octroi de l’aide à la distillation préventive,
mais uniquement aux modalités administratives de cet octroi et donc ne saurait s’expliquer par des différences concernant
la situation des producteurs de vin ou, plus généralement, celle des secteurs vitivinicoles dans les divers États membres.
Il s’ensuit que le règlement nº 2499/82 est entaché d’une violation suffisamment caractérisée du principe de non-discrimination
et du principe interdisant l’enrichissement sans cause, ce qui engage dès lors la responsabilité extracontractuelle de la
Communauté du fait des dommages causés par les institutions.
(cf. points 157, 161, 172-174, 176)