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Document 61998CC0480

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 8 juin 2000.
Royaume d'Espagne contre Commission des Communautés européennes.
Aides d'Etat - Aides accordées aux entreprises du groupe Magefesa.
Affaire C-480/98.

Recueil de jurisprudence 2000 I-08717

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2000:305

61998C0480

Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 8 juin 2000. - Royaume d'Espagne contre Commission des Communautés européennes. - Aides d'Etat - Aides accordées aux entreprises du groupe Magefesa. - Affaire C-480/98.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-08717


Conclusions de l'avocat général


1 Le groupe Magefesa et les entreprises qui lui ont succédé fabriquent en Espagne des articles ménagers, tels que des autocuiseurs, des poêles et des couverts en acier inoxydable. Jusqu'en 1983, il détenait une part importante du marché espagnol, mais il a commencé, à partir de cette date, à éprouver des difficultés financières et il s'est organisé, dès 1984, en un réseau complexe composé de deux holdings et d'un groupement commercial d'entreprises (regroupant la société mère et des sociétés de production: Cunosa, Migsa, Indosa et Gursa).

2 À la fin de l'année 1985, le groupe Magefesa était au bord de la faillite. Pour empêcher l'arrêt de ses activités, un programme d'action, prévoyant notamment une réduction des effectifs et l'octroi d'aides par le gouvernement central et par les gouvernements des communautés autonomes où étaient situées les différentes usines du groupe (Pays basque, Cantabrique et Andalousie), a été proposé. Ces derniers ont eux-mêmes constitué trois sociétés intermédiaires (respectivement Ficodesa, Gemacasa et Manufacturas Damma), chargées de contrôler l'utilisation des aides et de garantir le fonctionnement des entreprises de Magefesa.

3 Par une première décision (1), non contestée par le gouvernement espagnol, la Commission avait déclaré illégales et incompatibles avec le marché commun les aides consistant en des garanties de prêts d'un montant total de 1,580 milliard de ESP, un prêt à des conditions autres que celles du marché, d'un montant de 2,085 milliards de ESP, des aides non remboursables d'un montant total de 1,095 milliard de ESP et une bonification d'intérêts d'un montant évalué à 9 millions de ESP. Par la même décision, les autorités espagnoles avaient été invitées notamment à retirer les garanties de prêts, à transformer le prêt à taux réduit en crédit normal et à récupérer les aides non remboursables.

4 En 1997, la Commission a reçu sept plaintes concernant les avantages résultant pour les entreprises du groupe Magefesa de la non-restitution de l'aide déclarée incompatible en 1989 et du non-respect de leurs obligations financières et fiscales. Elle a décidé d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) pour les aides accordées à ces entreprises ou à celles qui leur ont succédé depuis 1989 (2). Ensuite, par la décision 1999/509/CE, du 14 octobre 1998, concernant des aides accordées par l'Espagne aux entreprises du groupe Magefesa et à ses successeurs (3) (ci-après la «décision attaquée»), la Commission a déclaré illégale et incompatible avec le marché commun l'aide que constitue le non-paiement constant d'impôts et de cotisations sociales par Indosa et Cunosa jusqu'à leur déclaration de faillite, par Migsa et Gursa jusqu'à l'interruption de leurs activités, et enfin par Indosa après sa déclaration de faillite et jusqu'en mai 1997. Par la même décision, les autorités espagnoles ont été invitées à adopter les mesures qui s'imposent pour récupérer cette aide auprès des bénéficiaires, étant précisé que les montants récupérés doivent comprendre les intérêts dus à compter de l'octroi de l'aide jusqu'à la date effective du remboursement de celle-ci.

5 Dans son recours visant à l'annulation de la décision attaquée, le gouvernement espagnol invoque quatre moyens tirés, respectivement, de la violation de l'article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE), du non-respect du principe de sécurité juridique, de l'insuffisance de motivation et de l'impossibilité d'exiger le paiement d'intérêts.

Quant au premier moyen, relatif à l'application incorrecte de l'article 92, paragraphe 1, du traité

Position des parties

6 La partie requérante fait valoir que la Commission a fait une application incorrecte de l'article 92, paragraphe 1, du traité en décidant que le non-paiement de certaines sommes à la sécurité sociale et au Trésor public par les entreprises Indosa, Cunosa, Migsa et Gursa constituait une aide incompatible avec le marché commun.

7 Dans ce contexte, elle invoque deux arguments.

8 Elle expose, tout d'abord, que lesdites entreprises se sont vu appliquer une réglementation générale, à savoir les règles en matière de redressement judiciaire et de recouvrement, applicable à toute entreprise soumise à une procédure de redressement judiciaire ou ayant contracté des dettes à l'égard de la sécurité sociale ou du Trésor public.

9 Or, une telle réglementation à caractère général ne saurait, par définition même, être constitutive d'une aide d'État. Il est, en effet, de jurisprudence constante que la condition de spécificité de la mesure nationale considérée constitue une des caractéristiques de la notion d'aide d'État.

10 À cet égard, les parties citent l'arrêt Piaggio (4), où la Cour a jugé que le régime national en cause était susceptible d'entrer dans le champ d'application de l'article 92 du traité, parce qu'il instituait, pour une certaine catégorie d'entreprises, un régime dérogatoire au droit commun de la faillite.

11 Force est cependant de remarquer que la Commission ne conteste pas que le droit espagnol de la faillite est une législation à caractère général. Toutefois, selon elle, ce ne serait pas cette législation en tant que telle qu'il y aurait lieu de qualifier d'aide d'État. En effet, celle-ci serait constituée par le non-paiement systématique de certaines dettes par les entreprises du groupe Magefesa et l'accumulation de nouvelles dettes par suite de la décision prise par les créanciers publics de ne pas demander la liquidation de ces entreprises.

12 Il en découle que, en l'espèce, il n'y a pas lieu de s'interroger plus avant sur le caractère général de la législation en cause, puisque la décision attaquée ne concerne pas cette législation elle-même, mais plutôt l'application qui en a été faite par les pouvoirs publics dans le cas d'espèce.

13 À cet égard, il convient de noter, tout d'abord, que le gouvernement espagnol ne conteste pas, et confirme même, l'analyse de la Commission selon laquelle les créanciers publics disposent, en vertu des dispositions applicables au redressement judiciaire ainsi qu'au recouvrement des créances, d'une large marge d'appréciation quant aux moyens auxquels ils choisissent de recourir en vue de recouvrer leurs créances.

14 Dès lors, les mesures critiquées par la Commission, à savoir la décision des créanciers publics de ne pas demander la mise en liquidation des entreprises considérées, ne découlent pas automatiquement de l'application d'une législation à caractère général, mais du choix discrétionnaire des autorités concernées.

15 Il y a lieu d'examiner si, comme l'affirme la décision attaquée, la façon dont les autorités publiques ont fait usage, dans le cas particulier des entreprises en cause, des droits qu'elles tirent de la réglementation générale pouvait être qualifiée d'aide au sens de l'article 92 du traité.

16 C'est dans ce contexte qu'intervient le second argument de la partie requérante, qui fait l'analyse suivante du comportement des autorités publiques dans le contexte des procédures critiquées par la Commission.

17 Les entreprises considérées n'auraient fait l'objet, selon la partie requérante, d'aucun traitement de faveur. En effet, le droit espagnol permettrait le redressement judiciaire avec poursuite des activités et n'imposerait pas à un créancier de solliciter la déclaration de redressement judiciaire d'un commerçant ou de demander sa mise en faillite. Les dispositions applicables se limiteraient à permettre aux créanciers de faire une telle demande dans certaines situations.

18 Il leur appartiendrait d'évaluer si une telle démarche était de nature à augmenter les chances de recouvrer tout ou partie des dettes ou si, au contraire, les perspectives d'un recouvrement ne seraient pas meilleures si les créanciers permettaient la poursuite de l'activité de l'entreprise sans demander le redressement judiciaire ou la mise en faillite.

19 Il y aurait lieu, en outre, de tenir compte du fait que les créanciers disposent de tout un ensemble d'autres moyens de se faire rembourser. En particulier, ils auraient la possibilité de recourir à diverses procédures de contrainte en vue d'obtenir un remboursement ou de se voir octroyer des garanties.

20 Tel serait tout particulièrement le cas des pouvoirs publics auxquels la loi confèrerait plusieurs avantages spécifiques. Il en résulterait en particulier que ce ne serait pas nécessairement dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire qu'ils auraient les meilleures possibilités d'obtenir le remboursement de leurs créances. Ainsi, les autorités pourraient, notamment, par le biais d'une procédure de contrainte, obtenir la saisie des biens du débiteur et leur vente forcée, c'est-à-dire un résultat analogue à celui d'une déclaration de redressement judiciaire.

21 Dans un tel contexte, il serait parfaitement légitime que les pouvoirs publics n'aient pas demandé la mise en faillite des entreprises concernées.

22 Cette attitude serait d'autant plus justifiée que, selon la partie requérante, loin d'accorder aux entreprises débitrices un traitement de faveur, les autorités auraient, au contraire, recouru à tous les moyens légaux pour obtenir le paiement des sommes qui leur étaient dues.

23 À ce titre, le gouvernement espagnol énumère longuement les diverses démarches entreprises, sans succès, tant par l'administration fiscale que par la trésorerie générale de la sécurité sociale pour obtenir le remboursement de leurs créances.

24 La partie requérante souligne, en outre, qu'aucune des entreprises n'a bénéficié d'une remise de dettes et que des biens ont été saisis et réalisés à la suite du non-paiement des créances.

25 Il estime donc que l'on ne saurait en l'espèce parler de l'attribution d'une aide, puisqu'il n'y aurait pas eu octroi aux entreprises concernées d'un avantage quelconque au moyen de ressources d'État.

26 La Commission conteste l'affirmation de la partie requérante selon laquelle les autorités auraient employé tous les moyens légaux pour obtenir le remboursement des dettes.

27 Elle souligne à cet égard que les entreprises du groupe Magefesa se seraient abstenues durant des années de payer les sommes qu'elles devaient à la sécurité sociale et au Trésor public sans que les autorités aient entrepris aucune action pour obtenir leur mise en faillite ni ne soient parvenues à obtenir le paiement des sommes dues par d'autres moyens.

28 Si Cunosa et Indosa ont finalement été déclarées en faillite, ce serait à la demande de créanciers privés, ce qui démontrerait bien que les pouvoirs publics ne se seraient pas comportés en l'espèce comme un créancier privé placé dans une situation similaire, critère retenu par la jurisprudence de la Cour pour apprécier l'existence d'une aide d'État.

29 La Commission expose, en outre, que la poursuite de l'activité d'Indosa aurait été autorisée de manière indéfinie et apparemment sans conditions par un simple accord des créanciers, qui n'aurait pas été approuvé par un juge, et que la procédure de faillite resterait ainsi ouverte depuis cinq ans. Le caractère atypique et inhabituel d'une telle situation mettrait en lumière, selon elle, l'action «particulière» des pouvoirs publics en l'espèce.

30 Elle ajoute, à cet égard, que, après la déclaration de faillite, Indosa aurait accumulé de nouvelles dettes.

Appréciation

31 Que faut-il penser de ces divers arguments?

32 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, pour apprécier si le comportement des autorités publiques est constitutif d'une aide d'État, il y a lieu de le comparer à celui qu'aurait eu un investisseur privé dans les mêmes circonstances.

33 Dans ce contexte, il faut, comme le soulignent les parties au litige, prendre en considération le fait que les créanciers publics disposent, pour obtenir le recouvrement de leurs créances, d'un ensemble de privilèges que la loi n'accorde pas nécessairement aux créanciers privés.

34 La comparaison à laquelle nous avons fait allusion doit donc se faire avec ce que la Commission décrit comme un «créancier privé hypothétique», qui disposerait de l'ensemble des voies de recours que le droit attribue aux créanciers publics.

35 Or, un tel créancier doit être supposé avoir pour objectif de récupérer le montant de ses créances ou, à tout le moins, de minimiser ses pertes. À cette fin, il tentera d'évaluer les chances de voir l'entreprise se redresser si la poursuite de son activité est autorisée ainsi que les risques de voir ses pertes encore accrues du fait de la continuation de l'activité.

36 En attribuant un comportement similaire aux pouvoirs publics, on parvient nécessairement à la conclusion que l'on ne saurait attendre de ceux-ci qu'ils exigent la mise en faillite de l'entreprise à la première défaillance, sans tenir aucun compte du potentiel de celle-ci à plus long terme.

37 À l'inverse, on ne saurait toutefois admettre que les pouvoirs publics tolèrent passivement une accumulation de dettes sur de longues périodes sans que se dessine la moindre perspective d'une amélioration, situation dans laquelle un créancier privé prendrait toutes les mesures nécessaires pour limiter ses pertes.

38 L'examen des circonstances de l'espèce révèle que c'est à bon droit que la Commission a considéré que les autorités publiques ont toléré une accumulation de dettes dans des circonstances qui n'auraient pas été acceptables pour un créancier privé placé dans des circonstances similaires.

39 En particulier, la partie requérante admet elle-même que le non-paiement des sommes dues au Trésor public et à la sécurité sociale s'est prolongé durant des années et que c'est sur l'initiative des créanciers privés qu'Indosa et Cunosa ont finalement été mises en faillite.

40 De même, le gouvernement espagnol ne conteste pas que la poursuite de l'activité d'Indosa, loin de permettre de résorber le passif antérieur à la faillite, a, au contraire, généré de nouvelles pertes dépassant les deux milliards de pesetas, montant dont le remboursement ne paraît pas être une perspective réaliste puisque, selon les affirmations non contredites de la Commission, l'entreprise n'avait remboursé, au 14 décembre 1998, qu'approximativement 2,5 % de ce montant et la continuation de son activité s'était avérée préjudiciable aux intérêts du Trésor régional.

41 Comme l'expose la décision attaquée, les créanciers publics étaient en mesure, compte tenu de l'ampleur de leurs créances, de s'opposer à la poursuite des activités d'Indosa, qui n'avait d'ailleurs pas été ordonnée par un juge. Il leur appartenait, à cet égard, de tenir compte des antécédents de ladite entreprise, en particulier du fait que, depuis cinq ans, elle n'avait plus payé de cotisations de sécurité sociale ni d'impôts et que toutes les procédures intentées aux fins de récupérer ces sommes avaient échoué du fait de l'insuffisance de l'actif de l'entreprise.

42 Dès lors, les créanciers publics devaient être conscients du fait qu'il était peu probable que la poursuite de l'activité de l'entreprise permette le remboursement du passif. En revanche, ils ne pouvaient pas non plus ignorer le risque de voir l'entreprise générer de nouvelles dettes, dont la survenance diminuerait encore les chances de paiement des créances initiales.

43 C'est donc à bon droit que la décision attaquée conclut que, en autorisant la poursuite de l'activité d'Indosa sans, à tout le moins, subordonner cette autorisation au respect par Indosa de ses obligations non encore acquittées en matière fiscale et de sécurité sociale pour éviter d'accroître l'endettement, les créanciers publics ont eu un comportement de nature à réduire leurs chances de recouvrer leurs créances, que n'aurait pas eu un créancier privé.

44 Il découle de ce qui précède que la partie requérante n'a pas établi en quoi la Commission aurait violé l'article 92 du traité et que ce moyen doit être rejeté.

Quant au deuxième moyen, relatif à la violation du principe de sécurité juridique

45 La partie requérante expose que le principe de sécurité juridique, consacré par la jurisprudence de la Cour, exige que tout acte communautaire qui produit des effets de droit, en particulier lorsqu'il est susceptible de comporter des conséquences financières, soit suffisamment clair et précis pour permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l'étendue de leurs obligations.

46 Elle estime que, en l'espèce, la Commission a violé ce principe en déclarant illégale une aide dont elle ne connaît pas le montant et en l'obligeant à la récupérer sans savoir quelle est la somme qu'il convient de rembourser.

47 Je ne partage pas l'analyse de la requérante.

48 En effet, comme l'expose la Commission, la décision attaquée décrit en détail les mesures constituant l'aide en cause et la période pendant laquelle elles sont intervenues. Elle comporte, en outre, des estimations précises de la quasi-totalité des montants en cause, qui viennent s'ajouter à la description des obligations y afférentes.

49 La partie requérante, destinataire de la décision attaquée, était dès lors parfaitement en mesure de déterminer l'étendue des obligations qui lui étaient imposées.

50 Tel est d'autant plus le cas que le calcul des montants à restituer nécessite la prise en compte de l'ensemble des éléments déterminant la dette fiscale des entreprises en cause, ainsi que leurs contributions sociales, c'est-à-dire de données fixées par la législation nationale et parfaitement accessibles pour les autorités nationales compétentes.

51 C'est donc à bon droit que la Commission cite la jurisprudence (5) selon laquelle elle n'est pas tenue de déterminer le montant de l'aide à restituer lorsque le calcul de celui-ci suppose de prendre en considération des éléments déterminés par le droit national.

52 Tel est d'autant plus le cas lorsque, comme en l'espèce, selon une affirmation de la partie défenderesse non contredite par la requérante, le manque de coopération des autorités concernées a empêché la Commission d'obtenir la communication de certains éléments d'information.

53 Il s'ensuit qu'il y a lieu de rejeter ce deuxième moyen.

Quant au troisième moyen, relatif à la violation de l'obligation de motivation

54 La partie requérante fait valoir que la décision attaquée ne comporte pas de motivation expliquant en quoi le non-paiement de certaines sommes indéterminées au Trésor public et à la sécurité sociale par quatre entreprises, dont deux en redressement judiciaire et deux inactives, constituerait une aide publique incompatible avec le marché commun, affecterait le commerce intracommunautaire et fausserait la concurrence, alors que l'État en cause se serait limité à appliquer la réglementation nationale en matière de redressement judiciaire et aurait exercé toutes les voies de recours légales.

55 Il y aurait donc violation de l'obligation de motivation prévue à l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE).

56 Comme nous l'avons vu ci-dessus, il n'est cependant pas possible, en l'espèce, de considérer que les autorités nationales se soient limitées à appliquer la législation en vigueur et qu'elles aient employé tous les moyens légaux possibles.

57 De plus, les entreprises considérées étaient en activité au moment où ont été accordées les aides litigieuses et étaient donc susceptibles de fausser la concurrence. Dans ce contexte, la décision attaquée mentionne les parts de marché de Magefesa ainsi que le volume du commerce intracommunautaire.

58 Enfin, même si, en raison du manque de coopération des autorités concernées, la décision attaquée comporte une estimation incomplète du montant desdites aides, elle souligne l'importance des sommes dues dans chaque cas (6), apportant ainsi une indication claire de leur aptitude à affecter la concurrence.

59 Il découle de ce qui précède que la décision attaquée est motivée à suffisance de droit. Il y a donc lieu de rejeter ce moyen.

Quant au quatrième moyen, relatif à la perception des intérêts

Position des parties

60 La partie requérante soutient que la Commission n'était pas en droit d'imposer, dans le cadre de l'obligation de récupération de l'aide litigieuse, la perception d'intérêts sur les dettes d'entreprises soumises à une procédure de redressement judiciaire.

61 Elle expose à cet égard que, selon la jurisprudence de la Cour, la récupération d'une aide illégale devrait être opérée conformément aux règles de procédure du droit national, à condition que celles-ci soient appliquées de manière à ne pas rendre impossible en pratique la récupération exigée par le droit communautaire.

62 Or, en vertu de l'article 884 du code de commerce espagnol, «à partir de la date de déclaration du redressement judiciaire, les dettes du failli cessent de produire des intérêts», à la seule exception des crédits hypothécaires et de ceux garantis par nantissement. Cette règle serait justifiée par l'intérêt commun des créanciers d'éviter de faire peser sur le patrimoine de l'entreprise concernée, tel qu'il existait au moment de la déclaration de faillite, de nouvelles obligations susceptibles d'aggraver la situation des créanciers déjà existants.

63 La disposition précitée constituerait donc une modalité prévue par le droit national qu'il y aurait lieu d'observer dans le contexte de la récupération d'une aide, puisqu'elle ne rendrait pas celle-ci impossible et ne serait pas discriminatoire par rapport à des situations comparables régies uniquement par le droit national.

64 La partie requérante ajoute que la jurisprudence pertinente de la Cour (7) n'imposerait d'ailleurs l'obligation de percevoir des intérêts que «le cas échéant».

65 La Commission relève tout d'abord, sans être contredite sur ce point par le gouvernement espagnol, que ledit article 884 du code de commerce espagnol n'empêche pas le paiement des intérêts en ce qui concerne les entreprises Migsa et Gursa, puisque celles-ci n'ont pas été déclarées en faillite.

66 En outre, en ce qui concerne Indosa et Cunosa, il n'est pas non plus contesté entre les parties que le même article n'empêche pas de réclamer les intérêts échus jusqu'à la déclaration de faillite non plus d'ailleurs que les intérêts échus sur les aides accordées après cette déclaration, dans la mesure où ceux-ci constituent des dettes de la masse de la faillite et non des «dettes du failli».

67 Dès lors, l'argument soulevé par la partie requérante doit être considéré comme ne concernant que les intérêts échus depuis la déclaration de faillite sur les dettes des entreprises Indosa et Cunosa.

Appréciation

68 Remarquons d'emblée que c'est à juste titre que la Commission fait valoir que la règle énoncée par l'article 884 du code de commerce espagnol n'est pas une règle de procédure.

69 En effet, cette disposition a pour objet la détermination du montant qui sera finalement dû aux créanciers et concerne donc nécessairement le fond du droit.

70 C'est également à bon droit que la Commission souligne que, en l'absence d'un remboursement des intérêts sur les sommes octroyées illégalement, le bénéficiaire de l'aide obtiendrait un avantage financier assimilable à un prêt sans intérêts.

71 Faut-il pour autant en déduire qu'il y a lieu de rejeter dans sa totalité le moyen soulevé par la partie requérante?

72 Je ne le pense pas.

73 En effet, il y a lieu de tenir compte du fait que, contrairement à ce qui était le cas dans les arrêts cités ci-dessus, nous sommes ici dans l'hypothèse où le remboursement à intervenir doit s'effectuer dans le contexte d'une faillite et donc en concurrence avec les prétentions de l'ensemble des créanciers, privés ou publics, de l'entreprise défaillante.

74 Or, la règle imposant aux pouvoirs publics de renoncer aux intérêts décrits ci-dessus est d'application générale en ce sens qu'elle s'applique à la totalité des créanciers, privés ou publics, dans toutes les procédures de redressement judiciaire.

75 Elle ne constitue donc en rien un traitement de faveur à une entreprise ou à une catégorie d'entreprises. En outre, elle ne laisse aucune marge d'appréciation aux créanciers. Ceux-ci se voient privés automatiquement des sommes en cause. Tel est le cas, rappelons-le, pour les créanciers privés comme pour les créanciers publics. Ce n'est donc pas uniquement aux dépens des fonds publics qu'une renonciation est imposée en faveur du débiteur.

76 Le contraste entre le jeu de la disposition en cause et le comportement des autorités publics que nous avons analysés au titre de l'examen du premier moyen est donc éloquent.

77 Ladite disposition doit, dès lors, être vue comme étant l'expression d'un choix fait par le législateur national, auquel il incombe d'organiser l'institution de la faillite et, dans ce cadre, de définir un équilibre entre les différents intérêts en présence.

78 Il s'ensuit qu'une telle règle doit être considérée comme relevant de l'autonomie institutionnelle que le droit communautaire reconnaît aux États membres.

79 De plus, la disposition nationale en cause ne rend pas impossible en pratique l'exécution de l'obligation de remboursement puisqu'elle n'affecte qu'une partie des intérêts échus, et ce uniquement en cas de déclaration de faillite de l'entreprise bénéficiaire de l'aide.

80 On ne saurait pas non plus alléguer que ladite règle impliquerait un élément de discrimination à l'encontre du droit communautaire, puisqu'elle joue de la même façon dans toutes les procédures de faillite et quel que soit le créancier.

81 J'ajouterai que, si l'on suivait la thèse de la Commission, on imposerait à un État membre de faire une exception supplémentaire, au profit de la puissance publique et au détriment des créanciers privés, au principe de l'égalité des créanciers. En effet, l'interprétation de l'article 92 proposée par la Commission reviendrait, en pratique, à conférer une sorte de privilège à certaines créances de la puissance publique.

82 Or, ce principe d'égalité, même s'il souffre de nombreuses exceptions, est d'une importance essentielle puisque l'objet d'une procédure de faillite est de créer un cadre ordonné pour le remboursement des créances, cadre ordonné que la loi substitue à la concurrence entre créanciers, dans l'intérêt commun de ceux-ci.

83 En outre, en modifiant l'étendue des droits des créanciers dans une procédure de redressement judiciaire, on affecterait le régime de la propriété dans les États membres, alors que l'article 222 du traité CE (devenu article 295 CE) réserve expressément cette matière à la compétence des États membres.

84 J'estime donc que l'interprétation proposée par la Commission donnerait en l'espèce à l'article 92 du traité des effets d'une ampleur telle qu'elle ne me semble pas correspondre à l'intention des auteurs du traité.

85 Dans son mémoire en duplique, la Commission a cependant ajouté que l'obligation d'exiger le paiement d'intérêts a été codifiée à l'article 14, paragraphe 2, du règlement (CE) n_ 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE (8). Cette obligation ne connaîtrait aucune exception et devrait donc s'appliquer même dans le cas où l'entreprise bénéficiaire fait l'objet d'une procédure de faillite.

86 Il y a toutefois lieu de remarquer que l'article 14, paragraphe 1, du règlement n_ 659/1999, qui n'était d'ailleurs pas en vigueur au moment de l'adoption de la décision attaquée, rappelle que «La Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général de droit communautaire».

87 Cette disposition s'applique également au remboursement des intérêts, puisque cette obligation est un élément du remboursement de l'aide.

88 Or, il ressort de ce qui précède que, dans le cas d'espèce, le remboursement des intérêts échus sur les dettes d'Indosa et de Cunosa postérieurement à la déclaration de faillite se heurterait à des principes découlant du traité.

89 Il y a donc lieu d'accueillir ce moyen, dans la mesure où il concerne le remboursement des intérêts échus postérieurement à la déclaration de faillite sur les aides illicitement perçues avant celle-ci par les entreprises Indosa et Cunosa.

Conclusions

90 Pour les raisons qui précèdent, je vous propose d'annuler la décision 1999/509/CE de la Commission, du 14 octobre 1998, concernant des aides accordées par l'Espagne aux entreprises du groupe Magefesa et à ses successeurs, dans la mesure où elle impose au royaume d'Espagne d'obtenir le remboursement des intérêts échus postérieurement à la déclaration de faillite sur les aides illicitement perçues avant celle-ci par les entreprises Indosa et Cunosa, de rejeter le recours pour le surplus et de décider que la partie requérante supportera, outre ses propres dépens, les deux tiers des dépens de la Commission.

(1) - Décision 91/1/CEE de la Commission, du 20 décembre 1989, concernant les aides accordées en Espagne par le gouvernement central et plusieurs gouvernements autonomes à Magefesa, producteur d'ustensiles de cuisine en acier inoxydable et de petits appareils électriques (JO 1991, L 5, p. 18).

(2) - Voir communication 97/C 330/02 (JO C 330, p. 2).

(3) - JO 1999, L 198, p. 15.

(4) - Arrêt du 17 juin 1999 (C-295/97, Rec. p. I-3735).

(5) - Arrêt du 27 janvier 1998, Ladbroke Racing/Commission (T-67/94, Rec. p. II-1).

(6) - Voir, en particulier, les tableaux figurant dans la décision attaquée.

(7) - Voir arrêts du 4 avril 1995, Commission/Italie (C-348/93, Rec. p. I-673), et du 8 juin 1995, Siemens/Commission (T-459/93, Rec. p. II-1675).

(8) - JO L 83, p. 1.

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