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Document 61998CC0173

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 25 mars 1999.
Sebago Inc. et Ancienne Maison Dubois & Fils SA contre G-B Unic SA.
Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Bruxelles - Belgique.
Marque - Epuisement du droit du titulaire d'une marque - Consentement du titulaire.
Affaire C-173/98.

Recueil de jurisprudence 1999 I-04103

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1999:173

61998C0173

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 25 mars 1999. - Sebago Inc. et Ancienne Maison Dubois & Fils SA contre G-B Unic SA. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Bruxelles - Belgique. - Marque - Epuisement du droit du titulaire d'une marque - Consentement du titulaire. - Affaire C-173/98.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-04103


Conclusions de l'avocat général


1 Dans son arrêt récent dans l'affaire Silhouette (1), la Cour a affirmé que des règles nationales prévoyant l'épuisement du droit conféré par une marque pour des produits mis dans le commerce hors de l'Espace économique européen (ci-après l'«EEE») sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement sont contraires à l'article 7, paragraphe 1, de la directive sur les marques (2). C'est ainsi seulement la commercialisation des produits dans l'EEE par le titulaire ou avec son consentement qui à première vue (3) épuise les droits de marque: la commercialisation des produits en dehors de l'EEE par le titulaire de la marque ou avec son consentement n'épuise pas ces droits. Le droit communautaire des marques reconnaît donc un principe d'«épuisement au sein de l'EEE» et non d'«épuisement international».

2 La question principale posée par la cour d'appel de Bruxelles dans sa demande de décision préjudicielle est de savoir si l'on peut considérer que le titulaire d'un droit de marque a consenti à la commercialisation dans l'EEE d'un lot de ses produits importé à partir de pays tiers au motif qu'il a consenti à la commercialisation au sein de l'EEE d'autres lots d'articles identiques ou similaires.

Les faits

3 La première appelante, Sebago Inc, est une société enregistrée aux États-Unis d'Amérique. Elle est titulaire de deux marques Benelux au nom de «Docksides» et de trois marques Benelux sous le nom de «Sebago». Ces cinq marques sont enregistrées, entre autres, pour des chaussures.

4 La deuxième appelante, S.A. Ancienne Maison Dubois et Fils, est le distributeur exclusif pour le Benelux des chaussures et autres articles de bottinerie de Sebago. Nous ferons référence ci-après aux appelantes sous l'appellation collective de «Sebago».

5 Sebago fait valoir que la défenderesse, GB-Unic, a enfreint son droit de marque en commercialisant ses produits dans la Communauté sans son consentement. GB-Unic a expliqué qu'elle a acheté 2 561 paires de chaussures «made in El Salvador» à une société de droit belge spécialisée dans l'importation parallèle (et qui avait donc vraisemblablement importé les chaussures en question à partir d'un pays extérieur à l'EEE). Dans la dixième édition de sa brochure de 1996 intitulée «La quinzaine Maxi-GB», annonçant des prix valables du 29 mai au 11 juin 1996, GB-Unic a fait de la publicité pour la vente dans ses hypermarchés Maxi-GB de chaussures «Docksides Sebago». Elle a vendu l'intégralité du stock au cours de l'été 1996.

6 Sebago ne conteste pas que les chaussures vendues par GB-Unic étaient des produits originaux. Elle prétend néanmoins que, comme elle n'avait pas autorisé la vente de ces chaussures dans la Communauté, GB-Unic n'avait pas le droit de les y vendre. Sebago invoque l'article 13 A 8 de la loi uniforme Benelux sur les marques, telle que modifiée par le protocole du 2 décembre 1992. Les termes de cet article sont similaires à ceux de l'article 7, paragraphe 1, de la directive sur les marques (ci-après la «directive»), sur lequel portait l'arrêt Silhouette précité et qui est repris au point 14 ci-dessous.

7 La cour d'appel fait observer que l'interprétation que font les parties de l'article 13 A 8 diffère sur deux points essentiels: d'abord sur la question de savoir si cette disposition prévoit le principe de l'épuisement international (thèse de GB-Unic) ou celui de l'épuisement communautaire seulement (thèse de Sebago); et en deuxième lieu, quant aux conditions dans lesquelles il est possible de présumer que le consentement du titulaire de la marque a été donné.

8 En ce qui concerne la deuxième question, GB-Unic allègue que pour remplir la condition du consentement prévue par l'article 13 A 8, il suffit que des produits similaires de même marque aient été légalement commercialisés dans l'EEE avec le consentement du titulaire de la marque. Elle cite à l'appui de cette opinion deux jugements du tribunal de commerce de Bruxelles (4). Sebago, au contraire, avance que son consentement doit être obtenu pour chaque lot défini de marchandises, c'est-à-dire pour tout lot importé à un moment donné par un importateur particulier. Elle considère donc qu'elle ne peut être présumée avoir donné son consentement que si GB-Unic peut prouver, ce qui n'est pas le cas, qu'elle a obtenu les chaussures en question d'un vendeur qui faisait partie du réseau de distribution créé par Sebago dans la Communauté, ou d'un revendeur qui, bien que n'appartenant pas à ce réseau, avait obtenu ces chaussures légalement dans la Communauté.

9 GB-Unic a aussi allégué devant la juridiction nationale que Sebago n'a pas interdit à son licencié d'El Salvador d'exporter ses produits dans la Communauté et que l'on devrait donc présumer qu'elle a implicitement consenti à la commercialisation de ces marchandises dans la Communauté. Toutefois, la cour d'appel rejette expressément la pertinence de cet argument au motif qu'il n'est pas prouvé que Sebago ait concédé une licence d'exploitation de sa marque au Salvador (en fait Sebago conteste avoir accordé une telle licence).

10 La cour d'appel de Bruxelles a saisi la Cour des questions suivantes:

«Convient-il d'interpréter l'article 7, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, en ce sens que le droit conféré par la marque permet à son titulaire de s'opposer à l'usage de sa marque pour des produits authentiques qui n'ont pas été mis dans le commerce au sein de la Communauté économique européenne (élargie à la Norvège, l'Islande et au Liechtenstein, en vertu de l'accord du 2 mai 1992 instituant l'Espace économique européen), par le titulaire ou avec son consentement, lorsque:

- les produits revêtus de la marque proviennent directement d'un pays extérieur à la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen,

- les produits revêtus de la marque proviennent d'un pays de la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen où ils se trouvent en transit sans le consentement du titulaire de la marque ou de son représentant,

- si les produits ont été acquis dans un pays de la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen où ils ont été mis en vente pour la première fois sans le consentement du titulaire de la marque ou de son représentant,

- soit lorsque des produits revêtus de la marque, identiques aux produits authentiques revêtus de la même marque, mais importés parallèlement en provenance directe ou indirecte de pays extérieurs à la Communauté européenne ou à l'Espace économique européen, sont ou ont déjà été commercialisés au sein de la Communauté ou de l'Espace économique européen, par le titulaire de la marque ou avec son consentement,

- soit lorsque des produits revêtus de la marque, similaires aux produits authentiques revêtus de la même marque, mais importés parallèlement en provenance directe ou indirecte de pays extérieurs à la Communauté européenne ou à l'Espace économique européen, sont ou ont déjà été commercialisés au sein de la Communauté ou de l'Espace économique européen, par le titulaire de la marque ou avec son consentement?»

11 GB-Unic, le gouvernement français et la Commission ont déposé des observations écrites. A l'audience, Sebago, GB-Unic et la Commission étaient représentées.

La directive sur les marques

12 Les dispositions de la directive sur les marques qui sont pertinentes en l'espèce sont les articles 5 et 7, intitulés, respectivement, «Droits conférés par la marque» et «Épuisement du droit conféré par la marque».

13 L'article 5 prévoit que:

«1. La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement de faire usage, dans la vie des affaires:

a) d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b) d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe dans l'esprit du public un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque.

...

3. Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit:

a) d'apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

b) d'offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe;

c) d'importer ou d'exporter les produits sous le signe;

d) d'utiliser le signe dans les papiers d'affaires et la publicité.»

14 L'article 7, toutefois, limite le droit conféré par l'article 5 dans les termes suivants:

«1. Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

2. Le paragraphe 1 n'est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s'oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l'état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce».

15 Bien que l'article 7, paragraphe 1, de la directive sur les marques fasse référence à la commercialisation dans la Communauté, le principe de l'épuisement des droits a été étendu à l'EEE. La directive a été l'un des actes législatifs intégré dans le droit de l'EEE par l'accord sur l'EEE (5), qui est entré en vigueur le 1er janvier 1994 (6). L'annexe XVII à l'accord modifie l'article 7, paragraphe 1, de la directive «aux fins du présent accord» de manière à faire référence à la commercialisation dans l'EEE au lieu de la commercialisation dans la Communauté: elle remplace les termes «dans la Communauté» par les mots «sur le territoire d'une partie contractante» (7).

Appréciation

16 La question posée est construite de manière quelque peu complexe. Elle semble néanmoins soulever deux problèmes majeurs.

17 Le premier, visant à savoir si l'article 7, paragraphe 1, de la directive prévoit le principe d'épuisement international des droits de marque, a été réglé depuis le dépôt de l'ordonnance de renvoi par l'arrêt Silhouette, précité (8). Dans cette affaire, la Cour a dit pour droit que l'article 7, paragraphe 1, ne prévoit que l'épuisement des droits au sein de l'EEE et qu'il serait contraire à la directive qu'un État membre décide de l'épuisement des droits de marque à partir de la commercialisation dans un pays extérieur à l'EEE. Il est donc clair que la loi du Benelux (dont les dispositions, rappelons-le, sont analogues à celles de l'article 7, paragraphe 1, de la directive) devrait être interprété comme ne prévoyant qu'un épuisement limité à l'EEE. En conséquence, même si les chaussures étaient mises en circulation en dehors de l'EEE avec le consentement de Sebago, cela ne suffirait pas à empêcher Sebago d'exercer ses droits de marque pour ces chaussures au sein de l'EEE.

18 La question clef en l'espèce est donc le second point litigieux entre les parties: le consentement d'un titulaire d'un droit de marque à la commercialisation au sein de l'EEE d'un lot d'un certain type de marchandises portant sa marque signifie-t-il qu'il a épuisé son droit de s'opposer à la commercialisation dans l'EEE d'autres lots de produits identiques (ou similaires) portant la même marque (9). En d'autres termes, la référence dans l'article 7, paragraphe 1, de la directive au «consentement» à la commercialisation dans la Communauté de «produits» doit-elle être comprise comme signifiant le consentement à la commercialisation d'un certain type de produit (c'est-à-dire une ligne de produit), plutôt qu'à chaque lot d'un certain type de produit?

19 Sebago, le gouvernement français et la Commission font valoir que le consentement du titulaire de la marque à la commercialisation dans l'EEE d'un lot de marchandises n'épuise pas ses droits de marque pour la commercialisation d'autres lots de ses produits même s'ils sont identiques. GB-Unic est de l'avis contraire.

20 Il est utile d'examiner d'abord la nature du principe de l'épuisement lorsqu'il est appliqué dans un contexte purement intracommunautaire. En droit communautaire, l'exercice des droits de propriété intellectuelle peut faire obstacle à la libre circulation des marchandises à l'intérieur de la Communauté mais peut être justifié par application de l'article 36 du traité CE. Comme l'«utilisation» d'une marque est une notion très large (10), de nombreuses opérations différentes portant sur des marchandises peuvent constituer une violation du droit de marque. Ainsi, si aucune limitation n'était imposée à l'exercice de droits de marque, les revendeurs désirant vendre des produits de marque qu'ils ont légalement achetés pourraient en théorie être obligés d'obtenir le consentement du titulaire de la marque pour une telle revente et toute autre opération concernant ces produits.

21 Il est clair que le principe de l'épuisement en droit communautaire concerne les transactions sur les marchandises protégées par une marque après leur «mise en circulation» (11) au sein de l'EEE par le titulaire de la marque ou avec son consentement. Si un titulaire d'une marque commercialise un lot particulier de produits, il ne met en circulation que ce lot: de manière évidente, il ne met pas de ce fait en circulation tous les autres lots de produits identiques (ou similaires) restant dans son entrepôt, et il conserve donc, en ce qui concerne ces lots restants, tous les droits dont il peut jouir pour imposer des conditions de vente au détail.

22 Il est vrai que le principe de l'épuisement a été normalement formulé de manière assez vague simplement par référence à l'épuisement des droits de propriété intellectuelle concernant les «produits» mis dans le commerce par le titulaire de la marque ou avec son consentement. On retrouve ces termes dans l'article 7, paragraphe 1, de la directive. Toutefois, l'article 7, paragraphe 1, devrait être lu en combinaison avec l'article 7, paragraphe 2, relatif aux exceptions au principe d'épuisement, lequel fait référence à la «commercialisation ultérieure» des produits. Les termes utilisés en français montrent à notre avis plus clairement même que la version anglaise que le principe d'épuisement ne concerne pas d'autres ventes du même type de produits mais plutôt des opérations, sur des produits déterminés, qui font suite à la première vente.

23 Par ailleurs, dans son arrêt Christian Dior (12), la Cour parle de l'épuisement du «droit de revente» (13) et dans la version française de son arrêt BMW (14) la Cour dit de l'article 7 qu'il permet «la commercialisation ultérieure d'un exemplaire d'un produit revêtu d'une marque» (mise en italique par nos soins) (15).

24 Il est par conséquent extrêmement clair, au moins dans le contexte purement interne de l'EEE, que le principe de droit communautaire de l'épuisement des droits de marque se rapporte aux produits, ou lots de produits, individuels, et non pas à l'ensemble de la ligne de produits.

25 Passons maintenant à la question de savoir si le titulaire de la marque a le droit d'empêcher l'importation d'un lot particulier de produits qui a été commercialisé, par lui-même ou avec son consentement, en dehors de l'EEE (16). GB-Unic admet que, selon les termes de l'article 7, paragraphe 1, le titulaire de la marque n'aura épuisé ses droits d'interdire l'importation de ce lot que s'il a consenti à sa commercialisation au sein de l'EEE. Toutefois, il fait valoir que ce consentement a été donné au sens de l'article 7, paragraphe 1, lorsque le propriétaire de la marque a autorisé la commercialisation dans l'EEE d'autres lots individuels du produit en question puisqu'il a de ce fait implicitement consenti à la commercialisation dans l'EEE de l'ensemble de cette ligne de produits.

26 GB-Unic tente de justifier son opinion en avançant que, dans des cas concernant la commercialisation de produits authentiques en dehors de l'EEE, l'importation de ces produits dans l'EEE ne porte pas préjudice aux fonctions d'une marque tant qu'indication de l'origine et des qualités du produit. Comme nous l'avons observé dans nos conclusions dans l'affaire Silhouette, ces arguments sont extrêmement séduisants. Cependant, ils n'ont pas suffi à empêcher de conclure dans cette affaire que la directive interdit aux États membres de pratiquer l'épuisement international des droits de marque. Ils ne peuvent donc pas être invoqués maintenant pour renverser cette jurisprudence, ce qui, comme nous allons le montrer maintenant, serait la conséquence pratique d'une acceptation de l'interprétation de l'article 7, paragraphe 1, défendue par GB-Unic.

27 De l'avis de GB-Unic, l'article 7, paragraphe 1, autorise le titulaire de la marque à empêcher les importations parallèles à partir de pays tiers à moins que, et jusqu'à ce que, il ait lui même commencé à commercialiser un produit identique (ou similaire) dans l'EEE, mais plus après. Il peut y avoir, il est vrai, des cas dans lesquels ce droit limité confère un réel avantage au titulaire de la marque, étant donné qu'il peut y avoir un avantage à pouvoir choisir les marchés appropriés et la date de lancement d'un produit sur un marché déterminé. Néanmoins, dans la grande majorité des cas où le titulaire de la marque ne commercialise pas déjà le produit dans l'EEE, c'est vraisemblablement ou bien qu'il n'a pas d'objection à la commercialisation des produits dans cette zone parce que ces derniers ne sont pas en concurrence avec son propre réseau de commercialisation ou bien qu'il a un «motif légitime», au sens de l'article 7, paragraphe 2, de s'opposer à leur importation, par exemple parce que, pour une raison justifiée, le produit en question n'est pas adapté au marché de l'EEE. Ainsi il est improbable que la question de l'épuisement international se pose à moins que le titulaire de la marque ne commercialise déjà des produits identiques (ou similaires) au sein de l'EEE: c'est à ce moment là qu'il devient sensible aux importations parallèles.

28 Dire que dès qu'un titulaire de marque a consenti à la commercialisation d'un lot particulier de produits dans l'EEE il doit être présumé avoir consenti à la commercialisation d'autres lots identiques (ou similaires) priverait donc d'une bonne partie de son effet pratique la limitation par la Cour du principe d'épuisement à l'épuisement au sein de l'EEE. En pratique, cela imposerait effectivement presque toujours une règle d'épuisement international puisque, en l'absence de motif légitime, toute importation parallèle dans l'EEE devrait nécessairement être admise.

29 Une telle limitation de l'effet de la directive telle qu'elle est interprétée dans l'arrêt Silhouette peut sembler désirable et serait sans aucun doute bien accueillie dans de nombreux milieux. Toutefois, comme la Cour l'a observé dans cet arrêt, il ne lui a été présenté aucun argument en ce sens que la directive pouvait être interprétée comme imposant une règle d'épuisement international. Le débat n'a porté que sur la question de savoir si la directive laissait aux États membres le pouvoir de régir la matière. Un épuisement international imposé de la manière suggérée par GB-Unic ne découle pas aisément de la formulation de l'article 7, paragraphe 1. Telle ne semble pas non plus avoir été l'intention du législateur communautaire (17).

30 On ne peut à notre avis pas attendre de la Cour qu'elle détourne le sens de la législation pour atteindre tel ou tel objectif, même supposé souhaitable. Si la directive s'avère avoir des effets inacceptables, la bonne façon d'y remédier est de modifier la directive ou, comme le fait remarquer la Cour au point 30 de son arrêt Silhouette, de conclure des accords internationaux pour étendre le principe de l'épuisement aux produits mis dans le commerce dans des pays tiers, comme cela a été fait dans l'accord EEE.

31 Nous concluons donc que Sebago ne peut pas être présumée avoir consenti à la mise dans le commerce dans l'EEE du lot de produits en question en consentant à la commercialisation dans l'EEE d'autres lots de produits identiques ou similaires. L'article 7, paragraphe 1, de la directive doit donc être interprété comme signifiant que lorsque des produits ont été commercialisés par le titulaire de la marque ou avec son consentement à l'intérieur de l'EEE, il ne lui est pas interdit de ce fait d'exercer ses droits de marque pour s'opposer à l'importation dans l'EEE d'autres produits identiques ou similaires portant sa marque.

Conclusion

32 En conséquence, il convient à notre avis de répondre de la façon suivante aux questions posées par la cour d'appel de Bruxelles:

«1) L'article 7, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, telle que modifiée par l'Accord sur l'Espace économique européen du 2 mai 1992, s'oppose à des règles nationales prévoyant l'épuisement du droit conféré par une marque pour des produits mis dans le commerce hors de l'EEE sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

2) L'article 7, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens que lorsque des produits ont été commercialisés dans l'EEE par le titulaire de la marque ou avec son consentement, il ne lui est pas de ce fait interdit d'exercer ses droits de marque pour s'opposer à l'importation dans l'EEE d'autres produits identiques ou similaires portant sa marque.

(1) - Arrêt du 16 juillet 1998, Silhouette International Schmied/Hartlauer Handelsgesellschaft, C-355/96, Rec. p. I-4799.

(2) - Première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989 L 40, p. 1).

(3) - Sous réserve de la non-application éventuelle du principe d'épuisement pour des «motifs légitimes» au sens de l'article 7, paragraphe 2.

(4) - Prés. Com. Bxl, 16 avril 1997, non publié, GTR Group/GB-Unic & Exmin Europe; Prés. Com. Bxl, 8 septembre 1997, non publié, Texeuropean/Parimpex Belgium.

(5) - JO 1994 L 1, p. 3.

(6) - Le 1er mai pour le Liechtenstein.

(7) - P. 483. En outre, le protocole 28 concernant la propriété intellectuelle, annexé à l'accord, contient un article 2 intitulé «Épuisement des droits». L'article 2, paragraphe 1, prévoit: «Dans la mesure où l'épuisement des droits est traité dans les actes ou la jurisprudence communautaires, les parties contractantes prévoient l'épuisement des droits de propriété intellectuelle tel que prévu dans le droit communautaire. Sans préjudice de l'évolution future de la jurisprudence, la présente disposition est interprétée conformément à la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des CE antérieure à la date de signature de l'accord».

(8) - Dans la note 1.

(9) - Cette question aurait pu se poser dans l'affaire Phytheron International/Bourdon (C-352/95, Rec. 1997, p. I-1729), si les faits avaient été décrits différemment dans l'ordonnance de renvoi (voir points 11 et 12 de nos conclusions dans cette affaire).

(10) - Voir article 5, paragraphe 3, de la directive, cité au point 13 ci-dessus.

(11) - Voir, par exemple, point 8 de l'arrêt Centrafarm/Winthrop (16/74, Rec. 1974, p. 1183).

(12) - Arrêt du 4 novembre 1997, Parfums Christian Dior (C-337/95, Rec. p. I-6013).

(13) - Point 37 de l'arrêt.

(14) - Arrêt du 23 février 1999, C-63/97.

(15) - Point 57 de l'arrêt.

(16) - Bien que, dans la présente affaire, même le consentement à la commercialisation en dehors de l'EEE ne soit pas clairement établi: voir point 9 ci-dessus.

(17) - Voir points 18 et 19 de l'arrêt et points 31 et 32 de nos conclusions dans cette affaire.

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