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Document 61998CC0082

    Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 3 février 2000.
    Max Kögler contre Cour de justice des Communautés européennes.
    Pourvoi - Recours de fonctionnaire - Coefficient correcteur applicable à la pension de retraite.
    Affaire C-82/98 P.

    Recueil de jurisprudence 2000 I-03855

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2000:63

    61998C0082

    Conclusions de l'avocat général Mischo présentées le 3 février 2000. - Max Kögler contre Cour de justice des Communautés européennes. - Pourvoi - Recours de fonctionnaire - Coefficient correcteur applicable à la pension de retraite. - Affaire C-82/98 P.

    Recueil de jurisprudence 2000 page I-03855


    Conclusions de l'avocat général


    1 L'ordonnance du Tribunal de première instance du 20 janvier 1998, Kögler/Cour de justice (1), attaquée dans le cadre du pourvoi objet des présentes conclusions, décrit comme suit le cadre réglementaire et factuel à l'origine du litige.

    «1. Le requérant est un ancien directeur de la direction de la traduction de la Cour de justice des Communautés européennes. Il a été admis à la retraite à compter du 1er décembre 1987. En tant que fonctionnaire retraité, il a toujours résidé à Konz, en Allemagne.

    2. En application de l'article 82, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après `statut'), les pensions des anciens fonctionnaires sont affectées d'un coefficient correcteur fixé pour le pays où le titulaire de la pension justifie avoir sa résidence.

    3. A la suite de la réunification de l'Allemagne, Berlin est devenue, en octobre 1990, la capitale de cet État membre.

    4. Dans ses arrêts du 27 octobre 1994, Benzler/Commission (T-536/93, RecFP p. II-777), et Chavane de Dalmassy e.a./Commission (T-64/92, RecFP p. II-723), le Tribunal a déclaré que les articles 6, paragraphe 2, d'une part, du règlement (CECA, CEE, Euratom) n_ 3834/91 du Conseil, du 19 décembre 1991, adaptant à compter du 1er juillet 1991 les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 361, p. 13, ci-après `règlement n_ 3834/91'), et, d'autre part, du règlement (CEE, Euratom, CECA) n_ 3761/92 du Conseil, du 21 décembre 1992, adaptant, à compter du 1er juillet 1992, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 383, p. 1, ci-après `règlement n_ 3761/92'), pour autant qu'ils fixaient un coefficient correcteur provisoire pour l'Allemagne sur la base du coût de la vie à Bonn, violaient le principe, énoncé à l'annexe XI du statut, selon lequel le coefficient correcteur d'un État membre doit être fixé par référence au coût de la vie dans la capitale, dès lors que Berlin était devenue la capitale de l'Allemagne depuis le 3 octobre 1990. Le Tribunal a, en conséquence, respectivement annulé les bulletins de rémunération et de pension des requérants dans ces affaires tels qu'établis sur le fondement des règlements précités.

    5. Il est, par ailleurs, constant que les coefficients correcteurs, qualifiés en note infrapaginale dans les règlements précités de `chiffre provisoire', ou dont il était précisé qu'ils étaient appliqués `sans préjudice des décisions que le Conseil est appelé à prendre suite à la proposition de la Commission', n'ont pas été modifiés ultérieurement.

    6. A la suite des arrêts mentionnés ci-dessus, plusieurs réunions se sont tenues au sein du Conseil pour déterminer les mesures que devrait comporter l'exécution des arrêts précités. Le Conseil a, ensuite, adopté, le 19 décembre 1994, le règlement (CECA, CE, Euratom) n_ 3161/94, adaptant, à partir du 1er juillet 1994, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 335, p. 1, ci-après `règlement n_ 3161/94'). L'article 6, paragraphe 1, de ce règlement prévoit, avec effet au 1er juillet 1994, un coefficient correcteur général pour l'Allemagne fondé pour la première fois sur Berlin, ainsi que des coefficients correcteurs spécifiques pour Bonn, Karlsruhe et Munich.

    7. Par la suite, le règlement (CE, Euratom, CECA) n_ 2963/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, adaptant, à compter du 1er juillet 1995, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 310, p. 1), a confirmé la fixation d'un coefficient correcteur général pour l'Allemagne fondé sur le coût de la vie à Berlin, avec effet rétroactif au 1er juillet 1995.

    8. Or, le requérant est d'avis que la Cour aurait dû appliquer à ses bulletins de pension, pour la période courant du 1er juillet 1991 au 30 juin 1994, les coefficients correcteurs fondés sur le coût de la vie à Berlin, au lieu de les établir sur la base du coût de la vie à Bonn. En conséquence, le requérant a, par lettre du 29 janvier 1996, introduit une demande au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut, en vue d'une nouvelle fixation rétroactive de sa pension.

    9. La demande du requérant a été rejetée par décision du Greffier de la Cour agissant en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après `AIPN') du 12 mars 1996.

    10. Le 10 mai 1996, le requérant a introduit auprès du Comité chargé des réclamations de la Cour (ci-après `Comité'), une réclamation tendant au même but que la demande, en ajoutant qu'il demandait que l'institution indique une date rapprochée à laquelle le calcul désiré serait réalisé.

    11. Cette réclamation a été rejetée le 1er juillet 1996, au motif que celle-ci avait été introduite hors délai et qu'elle était dès lors irrecevable. En effet, `les actes faisant grief' au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut seraient, en l'occurrence, les bulletins de pension respectifs de la période en cause. Par conséquent, le requérant aurait laissé écouler les délais de recours statutaires.»

    Quant à la recevabilité du pourvoi

    2 Le Conseil estime que le pourvoi de M. Kögler est manifestement irrecevable. Il expose deux arguments dans ce contexte.

    3 En premier lieu, le Conseil soutient que le requérant demande, sans invoquer de moyens juridiques spécifiques à l'appui de ses conclusions, un réexamen de la requête présentée en première instance, ce qui, aux termes de l'article 49, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice et de la jurisprudence, échapperait à la compétence de la Cour.

    4 En effet, le Conseil estime que le requérant n'indique pas avec précision les éléments attaqués de l'ordonnance dont l'annulation est demandée ni les moyens juridiques invoqués spécialement à l'appui de cette demande, se bornant à répéter ou à reproduire littéralement les moyens et arguments formulés devant le Tribunal.

    5 Il est incontestable que les écrits du requérant paraîtront familiers à tout lecteur de la requête en première instance.

    6 D'un autre côté, il est dans la nature même d'un pourvoi de viser à soumettre à la juridiction compétente les moyens et arguments dont le requérant estime que le rejet, par le Tribunal, constituait une violation du droit communautaire.

    7 Il ne s'ensuit certes pas qu'un pourvoi pourrait se limiter à une répétition pure et simple de la requête. Il n'en demeure pas moins qu'il pourra s'avérer inévitable, pour le requérant au pourvoi, de s'appuyer dans une certaine mesure sur une argumentation déjà présentée en première instance.

    8 J'estime donc qu'il y a lieu de rejeter cet argument du Conseil.

    9 En deuxième lieu, il fait valoir que l'appréciation par le Tribunal des conclusions que le requérant était en droit de tirer des formulations utilisées dans les règlements nos 3841/91 et 3761/92, ainsi que des réponses du Conseil aux questions posées par le Tribunal dans l'affaire Benzler/Commission, précitée, est une appréciation de fait qui échappe au contrôle de la Cour dans le cadre du pourvoi.

    10 Je ne partage pas ce point de vue. En effet, la détermination des enseignements que le requérant était en droit de tirer des formulations utilisées dans les règlements du Conseil doit, à mon sens, être considérée comme un problème d'interprétation desdits règlements. Or, il n'est pas contestable que l'interprétation des règlements applicables est une question de droit susceptible de faire l'objet d'un pourvoi.

    11 Les arguments relatifs à l'irrecevabilité du pourvoi ne pouvant donc pas, selon moi, être accueillis, il y a lieu d'examiner le pourvoi au fond.

    Quant au fond du pourvoi

    12 L'ordonnance attaquée examine successivement les deux arguments invoqués par le requérant pour contester l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Cour.

    13 En ce qui concerne le premier, le Tribunal constate que le requérant a fait valoir, en substance, que le Conseil se serait «fermement engagé» à fixer définitivement les coefficients correcteurs qualifiés de «provisoires» dans les notes des règlements nos 3834/91, 3761/92 et suivants et qu'il estime que, dans ces circonstances, le principe de la protection de la confiance légitime s'oppose à la thèse selon laquelle il aurait dû attaquer ses bulletins de pension à un stade antérieur.

    14 Selon le Tribunal, il est de jurisprudence constante qu'un fonctionnaire ne saurait invoquer une violation du principe de la protection de la confiance légitime en l'absence d'assurances précises que lui aurait fournies l'administration.

    15 Or, il ressortirait de l'ensemble des circonstances de l'espèce que le Conseil s'était uniquement réservé la possibilité de modifier ces coefficients correcteurs, sans s'imposer l'obligation de revenir rétroactivement sur la fixation de ceux-ci.

    16 Dès lors, selon le Tribunal, on ne saurait dire que le Conseil avait donné au requérant des «assurances précises», comme l'exigerait la jurisprudence relative au principe de la protection de la confiance légitime. Par conséquent, le Tribunal a estimé que «le requérant ne saurait prétendre que le Conseil a créé dans son chef une `confiance légitime' lui permettant d'espérer qu'il pouvait échapper à l'application des délais statutaires susmentionnés».

    17 Pour ce qui est du second argument invoqué par le requérant devant le Tribunal, selon lequel son recours ne viserait pas un acte de l'AIPN, mais une carence, l'ordonnance attaquée rappelle, tout d'abord, que les bulletins de pension mensuels qui ont été notifiés au requérant entre le 1er juillet 1991 et le 30 juin 1994 constituent manifestement des actes faisant grief à celui-ci, dans la mesure où ils fixent chaque fois le montant de sa pension.

    18 Selon le Tribunal, dans la mesure où les actes en cause ont été notifiés individuellement au requérant, celui-ci aurait dû introduire chaque fois une réclamation dans les trois mois suivants, respectant ainsi le délai prévu à l'article 90 du statut. Or, en l'occurrence, il aurait introduit sa réclamation le 10 mai 1996, c'est-à-dire presque deux ans après l'expiration du délai légal courant à compter de la réception du dernier bulletin de juin 1994.

    19 Le Tribunal déclare donc le recours irrecevable en raison de l'introduction tardive de cette réclamation.

    20 Il rappelle, par ailleurs, qu'un fonctionnaire qui a omis d'intenter, dans les délais prévus aux articles 90 et 91 du statut, un recours en annulation d'un acte lui faisant grief ne saurait, par le biais d'une demande d'indemnisation du préjudice causé par cet acte, réparer cette omission et se ménager ainsi de nouveaux délais de recours.

    21 Or, selon le Tribunal, «en l'occurrence, le recours du requérant, fondé prétendument sur une carence du Conseil, doit être considéré comme visant à contourner les délais prévus aux articles 90 et 91 du statut en ce qu'il a pour objet, d'une part, l'annulation d'une décision du Comité qui ne fait que confirmer une irrecevabilité préexistante, et, d'autre part, l'obtention, par un recours de type indemnitaire, du montant additionnel qu'il aurait reçu s'il s'était vu appliquer le coefficient correcteur `Berlin' dès 1991».

    22 Je soulignerai d'emblée que je souscris à l'analyse du Tribunal et que j'estime qu'il y a lieu de rejeter les trois arguments développés, en substance, par le requérant au soutien de son pourvoi, que j'examinerai dans l'ordre retenu par celui-ci.

    23 Il fait valoir, en premier lieu, que c'est à tort que le Tribunal aurait refusé de considérer comme provisoire le coefficient correcteur appliqué en l'espèce. En effet, il ressortirait des termes utilisés par le Conseil dans les règlements applicables lors de l'établissement des bulletins litigieux, à savoir les règlements nos 3834/91, 3761/92 et le règlement (Euratom, CECA, CE) n_ 3608/93 du Conseil, du 20 décembre 1993, adaptant, à partir du 1er juillet 1993, les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (2), que ces dispositions n'étaient pas à considérer comme définitives.

    24 Le requérant insiste sur le fait que les deux derniers de ces règlements comportent l'expression «sans préjudice des décisions que le Conseil ... est appelé à prendre». Cette expression révélerait le caractère contraignant pour le Conseil de la prise de telles décisions à l'avenir.

    25 En outre, le requérant souligne que le premier desdits règlements qualifie les coefficients fixés de «chiffre provisoire» et, dans son dernier considérant, justifie expressément le caractère provisoire de la fixation.

    26 Ce considérant est libellé comme suit: «considérant que, en attendant une décision du Conseil sur la proposition de la Commission fixant à partir du 1er octobre 1990 les coefficients correcteurs dont sont affectées en Allemagne les rémunérations et prestations des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes, il y a lieu d'adapter, à titre provisoire, les coefficients existants».

    27 Constatons, tout d'abord, que l'argumentation du requérant revient à dire en substance que le Conseil avait suscité, dans son chef, la «confiance légitime» que les «chiffres provisoires» allaient bientôt être rectifiés et rendus définitifs, et qu'il n'était, dès lors, pas nécessaire pour lui d'introduire une action contentieuse dans les délais statutaires. La question du caractère provisoire ou non des dispositions réglementaires en cause ne doit donc être examinée ici que dans le contexte de l'application du principe de la protection de la confiance légitime.

    28 Or, comme l'a rappelé, à juste titre, le Tribunal, au point 34 de l'ordonnance attaquée, une telle confiance légitime ne peut, selon une jurisprudence constante, découler que d'«assurances précises» données par une institution communautaire (3).

    29 Il ne suffit donc pas que les textes en cause permettent l'interprétation qu'en fait le requérant, encore faut-il que la lecture qu'il en fait découle des textes avec un degré suffisant de certitude. En particulier, il ne faut pas que l'interprétation proposée ne constitue que l'une des significations possibles des dispositions litigieuses.

    30 Or, tel est le cas en l'espèce et le Tribunal cite, aux points 35 à 38 de l'ordonnance attaquée, les raisons qui justifient cette conclusion.

    31 Le Tribunal note, à bon droit, que la seule signification certaine de l'expression «sans préjudice des décisions que le Conseil est appelé à prendre suite à la proposition de la Commission du 10 septembre 1991 [SEC(91) 1612 final]» est que le Conseil se réserve la possibilité de modifier les coefficients correcteurs.

    32 Il s'ensuit que rien dans ces formulations ne donne une quelconque certitude quant aux décisions futures du Conseil. En particulier, si ces textes n'excluent pas la possibilité que celui-ci adopte de nouveaux coefficients avec un effet rétroactif, ils ne permettent en rien de considérer une telle hypothèse comme certaine.

    33 Le requérant fait d'ailleurs valoir au titre de son deuxième argument, dont nous examinerons ci-après les autres aspects, que sa confiance portait sur le fait que le Conseil adopterait un règlement définitif et non pas, comme l'affirmerait le Tribunal aux points 37 et 38 de l'ordonnance attaquée, sur le fait de se voir appliquer le coefficient correcteur «Berlin».

    34 Cette considération est dénuée de pertinence. En effet, il ne pouvait avoir de certitude quant au principe même de l'adoption d'un acte rétroactif. Dès lors, l'idée qu'il se faisait du contenu éventuel de celui-ci importe peu.

    35 J'ajouterai que le terme «provisoire», utilisé pour décrire le coefficient fixé et auquel le requérant attache une grande importance, ne figure qu'au règlement n_ 3834/91 et avait déjà été abandonné par le Conseil en juillet 1992, lors de l'adoption du règlement suivant, soit deux ans avant le dernier bulletin de pension litigieux.

    36 Il est vrai que, comme l'invoque le requérant, le Conseil a affirmé, dans ses réponses aux questions écrites du Tribunal dans les affaires Benzler/Commission et Chavane de Dalmassy e.a./Commission, précitées, que «les coefficients correcteurs définitifs seraient adoptés avec effet rétroactif». Le Tribunal souligne cependant, à bon droit, que cette phrase ne saurait être lue autrement que dans le contexte global de la réponse du Conseil. Il résulte de celle-ci, dont le texte figure au point 25 de l'arrêt Benzler/Commission, précité, que de fortes réticences existaient au sein du Conseil à l'égard de la proposition de la Commission en raison du fait que les données statistiques disponibles ne reflétaient pas pleinement la nouvelle situation résultant de l'unification allemande et que le changement de capitale n'avait pas encore produit d'effets significatifs. Le Conseil avait, dès lors, demandé à la Commission de lui présenter une «analyse approfondie portant sur les aspects statistiques, économiques, concrets et juridiques à la base de sa proposition».

    37 Il résulte clairement de la lettre invoquée par le requérant qu'une nouvelle décision du Conseil ayant un effet rétroactif dépendait des conclusions susceptibles d'être tirées de cette analyse.

    38 Il s'ensuit que la formule susmentionnée, comme celles utilisées dans les règlements litigieux, permet certes l'interprétation qu'en donne le requérant, sans cependant représenter, au vu du contexte dans lequel elle s'insère, la seule interprétation possible de la volonté de son auteur.

    39 Dès lors, cette seule phrase ne saurait raisonnablement être considérée comme donnant une certitude au requérant.

    40 Il découle de ce qui précède que c'est à bon droit que le Tribunal a considéré que les conditions d'application du principe de la protection de la confiance légitime n'étaient pas remplies.

    41 Le requérant invoque, en deuxième lieu, le fait que le Tribunal aurait omis d'examiner les arguments qu'il tire du principe de bonne foi, principe qu'il faudrait prendre en compte lors de l'interprétation de tous les actes juridiques des organes communautaires.

    42 En l'espèce, le Conseil aurait fait croire au requérant qu'il adopterait le moment venu, avec effet rétroactif, un régime définitif aux modalités encore inconnues, qui remédierait aux carences du régime provisoire et contre lequel, le cas échéant, on pourrait agir au moyen des voies de recours statutaires.

    43 Selon le requérant, le Tribunal aurait donc dû comprendre que l'espoir du requérant de voir adopter un règlement ultérieur, qui devait obligatoirement ouvrir de nouveaux délais de recours, était justifié et que, par conséquent, on ne pouvait admettre le moyen d'irrecevabilité pris de l'expiration des délais de recours.

    44 Force est de constater que cette argumentation n'est pas dissociable du premier argument présenté par le requérant, comme le révèlent d'ailleurs les nombreux recoupements dans ses écrits.

    45 En effet, il n'y aurait, en l'espèce, violation du principe de bonne foi que si les attentes du requérant quant à l'attitude future du Conseil étaient justifiées. Ceci ne serait le cas que si celui-ci avait antérieurement donné au requérant des raisons convaincantes d'espérer une action déterminée. Or, nous avons vu que tel n'était pas le cas.

    46 Il y a lieu, dès lors, de rejeter cet argument du requérant.

    47 Celui-ci fait valoir, en troisième lieu, que le Tribunal aurait modifié l'objet du litige afin de pouvoir déclarer le recours irrecevable. Il affirme, en effet, que sa demande et son recours «ne sont pas dirigés contre les bulletins provisoires qui lui ont été transmis, mais bien contre le fait que, de manière indue, le règlement définitif et les bulletins envisagés dans les règlements du Conseil se sont fait longtemps attendre».

    48 Cette argumentation revient à soutenir que le recours est en réalité dirigé contre une carence du Conseil. Force est cependant de constater que le système de recours prévu à l'article 90 du statut ne donne pas la possibilité à un requérant d'attaquer une carence du Conseil, puisque, en vertu de cette disposition, c'est uniquement contre un acte ou une abstention de l'AIPN que peuvent agir les personnes couvertes par le statut.

    49 Contrairement à ce qu'affirme le requérant, il ne s'ensuit pas qu'il ne dispose d'aucun recours contre ce qu'il considère être une abstention fautive du Conseil.

    50 En effet, la carence alléguée du Conseil aurait pu être invoquée par le requérant au soutien d'un recours contre l'AIPN comme cela a été le cas, par exemple, dans les affaires Benzler/Commission et Chavane de Dalmassy e.a./Commission, précitées.

    51 Il en découle que c'est contre les actes ayant matérialisé, dans la situation du requérant, la carence alléguée du Conseil que le requérant devait diriger son recours, comme le constate le Tribunal au point 39 de l'ordonnance attaquée.

    52 C'est également, à juste titre, que le Tribunal a refusé de considérer qu'il était en présence d'un recours visant une carence de l'AIPN. En effet, il n'est pas contestable que des bulletins de pension ont été adressés au requérant. Il ne saurait, dès lors, être question d'une carence de l'AIPN, même si le contenu desdits bulletins ne correspondait pas aux attentes du requérant.

    53 Ce dernier qualifie toutefois les bulletins en question de «provisoires» et soutient qu'ils ne règlent donc pas sa situation de façon définitive et qu'ils ne sont, par conséquent, pas susceptibles de recours.

    54 Il est à noter que le requérant part du point de vue qu'un acte individuel adopté sur la base d'un règlement temporaire serait nécessairement, lui aussi, provisoire, ce qui ne me semble pas un raisonnement indiscutable.

    55 En tout état de cause, il néglige le fait que, dans l'arrêt Benzler/Commission, précité, qu'il a lui-même invoqué à maintes reprises, le Tribunal a déjà jugé que les bulletins de pension de la période en cause devaient être considérés comme des actes faisant grief, même s'ils découlaient de l'application d'un coefficient provisoire.

    56 C'est, dès lors, à bon droit que le Tribunal a conclu qu'il n'y avait pas carence de l'AIPN, celle-ci ayant adressé au requérant des actes faisant grief et donc susceptibles de recours.

    57 La réclamation contre lesdits actes était manifestement tardive, puisque les délais de réclamation prévus à l'article 90 du statut étaient dépassés. L'irrecevabilité du recours en découlait clairement sans qu'il soit possible de reprocher au Tribunal, comme le fait le requérant, une interprétation excessivement stricte de cette disposition.

    58 En effet, comme l'a souligné le Tribunal aux points 40 et 41 de l'ordonnance attaquée, sans être contredit, à cet égard, par le requérant, d'une part, il est de jurisprudence constante que le délai de réclamation est d'ordre public et n'est donc pas à la disposition des parties. Il s'ensuit que le fait que l'institution défenderesse ait répondu au fond à une réclamation tardive ne permet pas de rendre recevable le recours ultérieur.

    59 D'autre part, il ressort également de la jurisprudence citée par le Tribunal que l'obstacle du délai de réclamation expiré ne peut être contourné par une nouvelle ouverture de délai par le biais d'une demande introduite en vertu de l'article 90, paragraphe 1, du statut.

    60 Le requérant affirme encore que la thèse du Tribunal a pour conséquence de le priver de toute voie de recours puisque le Tribunal aurait soutenu que, si une disposition réglementaire est appliquée correctement et si les circonstances qui justifient son caractère provisoire ne disparaissent qu'après l'expiration du délai prévu pour introduire un recours contre l'acte individuel d'exécution, les personnes concernées par ce dernier ne pourraient, à aucun moment, agir avec des chances de succès contre l'acte d'exécution désormais dépourvu de tout fondement juridique ou contre son fondement juridique devenu caduc.

    61 Ce point de vue ne saurait être retenu. En effet, si un acte individuel est adopté sur la base d'une réglementation provisoire qui n'a plus de raison d'être, cette considération peut être invoquée pour contester la validité dudit acte. Si, en revanche, la réglementation provisoire était encore justifiée au moment de l'adoption de l'acte individuel, le fait qu'elle ait perdu ultérieurement cette justification n'implique pas, per se, remise en cause de tous les actes individuels adoptés sur son fondement.

    62 Comme le fait valoir, à juste titre, le Conseil, le principe de sécurité juridique s'oppose à une telle thèse.

    63 Le requérant affirme également que, au moment où il aurait dû, selon le Tribunal, attaquer les bulletins litigieux, il n'aurait pas encore pu utilement formuler son grief tiré de la non-adoption par le Conseil d'un coefficient définitif couvrant la période en cause puisqu'il n'était pas encore clair que le Conseil n'allait pas en établir.

    64 Cet argument est à rejeter. En effet, le fait que, après l'expiration du délai de recours contre un acte, intervienne un élément sur lequel le requérant estime qu'il aurait pu fonder un grief n'est pas de nature à rouvrir les délais de recours contre ledit acte.

    65 Enfin, le requérant soutient que la modification erronée, par le Tribunal, de l'objet du recours apparaît également dans le fait que celui-ci a considéré que l'objet du recours était d'obtenir l'attribution, pour la période considérée, d'une pension calculée en fonction du coût de la vie à Berlin (4).

    66 Force est cependant de constater que les développements du requérant relatifs au fond du pourvoi visent tous à démontrer le droit de celui-ci à obtenir une telle pension.

    67 C'est donc à bon droit que le Tribunal a jugé que tel était bien l'objet véritable du recours, à savoir la remise en cause, après l'expiration des délais statutaires, des bulletins de pension afin d'obtenir, pour la période considérée, le versement d'une pension plus élevée, parce que recalculée en fonction du coût de la vie à Berlin.

    68 En tout état de cause, il y a lieu, en outre, de constater que le requérant critique sur ce point un élément qui n'est pas essentiel pour la validité du raisonnement du Tribunal. En effet, celui-ci est fondé sur la considération que le requérant s'était vu adresser un acte faisant grief qu'il aurait dû attaquer dans les délais. Le Tribunal s'est donc prononcé sur le moyen procédural qu'aurait dû utiliser le requérant. L'objectif en vue duquel il intenterait un tel recours n'était pas pertinent à cet égard.

    Conclusion

    69 Il ressort de ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter le pourvoi.

    70 En ce qui concerne les dépens, la Cour et le Conseil ont conclu à la condamnation du requérant aux dépens. En vertu de l'article 122 du règlement de procédure de la Cour, l'article 70 de celui-ci n'est pas applicable à un pourvoi formé par les fonctionnaires ou autres agents des institutions. Il y a donc lieu, selon moi, d'appliquer l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure et de condamner le requérant aux dépens de l'instance, le Conseil, partie intervenante, supportant ses propres dépens, en vertu du paragraphe 4 du même article.

    (1) - T-160/96, RecFP p. I-A-15 et II-35.

    (2) - JO L 328, p. 1.

    (3) - Voir, par exemple, les arrêts du 5 février 1997, Ibarra Gil/Commission (T-207/95, RecFP p. I-A-13 et II-31), et Petit-Laurent/Commission (T-211/95, RecFP p. I-A-21 et II-57).

    (4) - Voir spécifiquement le point 42 de l'ordonnance attaquée.

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