EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61998CC0059

Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 19 novembre 1998.
Commission des Communautés européennes contre Grand-Duché de Luxembourg.
Manquement d'Etat - Non-transposition de la directive 94/46/CE.
Affaire C-59/98.

Recueil de jurisprudence 1999 I-01181

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1998:561

61998C0059

Conclusions de l'avocat général Alber présentées le 19 novembre 1998. - Commission des Communautés européennes contre Grand-Duché de Luxembourg. - Manquement d'Etat - Non-transposition de la directive 94/46/CE. - Affaire C-59/98.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-01181


Conclusions de l'avocat général


A - Introduction

1 Dans le cadre du présent recours en manquement, la Commission reproche au grand-duché de Luxembourg d'avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 94/46/CE de la Commission, du 13 octobre 1994, modifiant les directives 88/301/CEE et 90/388/CEE en ce qui concerne en particulier les communications par satellite (1). Elle estime que le Luxembourg n'a pas adopté toutes les mesures législatives, réglementaires et administratives nécessaires à la transposition de la directive, ou, tout au moins, ne les lui a pas communiquées.

2 Cette directive vise principalement à harmoniser et à libéraliser le marché des équipements de satellites et des services par satellite. C'est pour cette raison qu'elle impose aux États membres d'abolir les droits exclusifs ou spéciaux existant au profit d'opérateurs de communications par satellite et d'accorder à tous les opérateurs le droit de fournir des services de télécommunications. Elle impose également aux États membres de définir les modalités des procédures d'autorisation et de déclaration nécessaires à l'exploitation d'équipements de stations terrestres de télécommunications et, en particulier, les modalités d'attribution des licences et des fréquences, y compris le montant des frais correspondants. Or, c'est précisément ce que le Luxembourg n'aurait pas fait dans le délai qui lui était imparti, de sorte que la Commission s'est vue contrainte d'introduire le présent recours.

B - Les faits

3 En vertu des dispositions de l'article 4 de la directive, les États membres «fournissent à la Commission, dans un délai de neuf mois à compter de l'entrée en vigueur de la directive, les informations permettant à la Commission de constater que les dispositions des articles 1er et 2 sont respectées». La directive est entrée en vigueur le 8 novembre 1994 (2), ce qui a pour conséquence que le délai imparti pour notifier les mesures arrêtées a expiré le 8 août 1995.

4 N'ayant reçu aucune information du gouvernement luxembourgeois au sujet de la réglementation adoptée, la Commission a invité celui-ci à présenter ses observations par lettre de mise en demeure du 27 octobre 1995, conformément à l'article 169 du traité CE.

5 En réponse à cette mise en demeure, le gouvernement luxembourgeois a informé la Commission, par lettre du 20 décembre 1995, de l'existence d'un projet de loi sur les télécommunications devant porter, entre autres choses, sur l'abolition des droits spéciaux et exclusifs ainsi que sur la procédure d'octroi des licences. Par ailleurs, le grand-duché de Luxembourg a notifié, par lettre du 27 mai 1997, au titre de la transposition, entre autres, de la directive 94/46, le règlement grand-ducal du 25 avril 1997 fixant les conditions minimales du cahier des charges pour l'établissement et l'exploitation de réseaux de services GSM (3) et GSM/DCS 1800.

6 La Commission a toutefois estimé que, précisément, ce règlement ne concernait pas les communications par satellite et portait uniquement sur les communications mobiles terrestres.

7 Finalement, le 7 juillet 1997, elle a adressé un avis motivé au gouvernement luxembourgeois, reprochant au grand-duché de Luxembourg d'avoir manqué à l'obligation de transposition correcte de la directive. Elle a enjoint au gouvernement luxembourgeois d'arrêter les mesures nécessaires pour se conformer à l'avis motivé dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

8 Par lettre du 14 juillet 1997, le gouvernement luxembourgeois a notifié à la Commission, au titre de la transposition, entre autres, de la directive 94/46, à nouveau le règlement grand-ducal du 25 avril 1997 ainsi que la loi du 21 mars 1997 sur les télécommunications. La Commission est d'avis, s'agissant des documents produits par le grand-duché de Luxembourg, qu'ils ne sont pas de nature à assurer la mise en oeuvre de la directive. D'une part, elle considère que le règlement du 25 avril 1997 ne s'applique pas aux communications par satellite (4) et, d'autre part, que la loi du 21 mars 1997 doit être complétée par des mesures d'application en ce qui concerne les critères et procédures d'octroi des autorisations pour la fourniture de services par satellite.

9 D'autres documents ont été transmis à la Commission, à titre informel, les 28 et 30 juillet 1997. Il s'agit tout d'abord de deux projets de règlements grand-ducaux portant sur les conditions du cahier des charges pour l'établissement et l'exploitation de réseaux fixes de télécommunications, intervenant en application de l'article 7, paragraphe 2, sous a) et b), de la loi du 21 mars 1997. Ces projets ont été officiellement notifiés à la Commission le 8 septembre 1997, au titre de la transposition des directives 92/44/CE, 95/62/CE, 97/13/CE et 97/33/CE. Les deux règlements grand-ducaux ont été adoptés le 22 décembre 1997 et ont finalement été publiés au Mémorial, Journal officiel du grand-duché de Luxembourg, le 29 décembre 1997. La Commission n'a, selon ses dires, jamais obtenu de réponse à sa question visant à savoir si le champ d'application de ces règlements s'étend également aux services par satellite.

10 Par ailleurs, la Commission a également reçu, de manière informelle, notification d'un autre règlement: le règlement grand-ducal du 23 avril 1997 relatif aux équipements terminaux de télécommunications et aux installations de stations terrestres de communications par satellite, incluant la reconnaissance mutuelle de leur conformité. Ce règlement ne fait cependant, selon la Commission, que transposer l'article 1er de la directive 94/46 et ne lui a, en outre, pas été officiellement notifié.

11 La Commission en conclut donc que le grand-duché de Luxembourg n'a pas procédé à une transposition complète de la directive 94/46 ou, en tout état de cause, n'a pas communiqué à la Commission les mesures d'application arrêtées. Les mesures prises soit ne concernent que des parties de la directive, soit nécessitent de plus amples modalités d'application qui n'ont cependant pas été définies ni communiquées.

12 Elle a donc introduit un recours devant la Cour de justice et conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- constater que, en ne prenant pas toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 94/46/CE de la Commission, du 13 octobre 1994, modifiant les directives 88/301/CEE et 90/388/CEE en ce qui concerne en particulier les communications par satellite, le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive;

- condamner le grand-duché de Luxembourg aux dépens.

13 Dans son mémoire en défense, le grand-duché de Luxembourg fait valoir que la directive 94/46 a été transposée au moyen de la loi du 21 mars 1997 pour ce qui est de l'abolition des droits exclusifs ou spéciaux en matière de télécommunications par satellite. Il affirme que cette loi s'applique précisément aussi aux communications par satellite, car elle vise les télécommunications de manière générale. S'il est vrai que la fourniture de services par satellite nécessite une autorisation, celle-ci est toutefois accordée de façon quasi automatique puisqu'une simple notification suffit. L'utilisation des fréquences est soumise à une autorisation générale, régime rendu nécessaire pour tenir compte des particularités de certains sites géographiques, afin d'assurer le bon fonctionnement des services par satellite en général. Il ne s'agirait cependant en l'espèce que d'une pure formalité. En outre, la loi du 10 avril 1997 a ratifié les dispositions adoptées dans le cadre des accords d'Intelsat (5). Quant à l'accord d'Eutelsat (6), un projet de loi serait déjà déposé.

14 Enfin, s'agissant des équipements terminaux de télécommunications et des équipements de stations terrestres de communications par satellite, ainsi que la reconnaissance mutuelle de leur conformité, ces conditions seraient mises en oeuvre par le règlement grand-ducal du 23 avril 1997.

15 C'est pourquoi le grand-duché de Luxembourg conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- rejeter le recours; - condamner la requérante aux dépens.

16 Les autres arguments des parties seront examinés, si nécessaire, dans le cadre de l'analyse juridique.

C - Analyse

17 Le grand-duché de Luxembourg conteste le manquement qui lui est imputé par la Commission. Selon lui, la directive a été transposée en ce qui concerne l'abolition des droits exclusifs ou spéciaux par le biais de la loi du 21 mars 1997, et en ce qui concerne les équipements terminaux de télécommunications et les équipements de stations terrestres de communications par satellite, au moyen du règlement grand-ducal du 23 avril 1997.

18 L'objectif de la directive 94/46 est de mettre en place le cadre juridique nécessaire à la levée des restrictions et à la promotion de nouvelles activités relevant des télécommunications par satellite et de réaliser ainsi l'harmonisation et la libéralisation du marché des équipements de satellites et des services par satellite, en abolissant les droits exclusifs ou spéciaux en la matière qui s'opposent à une telle libéralisation. Pour atteindre cet objectif, la directive impose aux États membres de prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir à tout exploitant le droit de fournir des services de télécommunications (7). Dans ce contexte, les États membres sont tenus de supprimer tous les droits exclusifs ou spéciaux qui y font obstacle.

19 En outre, les États membres doivent, en vertu des dispositions de l'article 2, deuxième alinéa, sous b), de la directive, communiquer «les critères d'attribution des autorisations ainsi que les conditions attachées à ces autorisations et aux procédures de déclaration pour l'exploitation de stations terrestres d'émissions».

20 En l'espèce, cela a pour conséquence que le grand-duché de Luxembourg devait, dans le cadre d'une transposition complète de la directive 94/46, arrêter les mesures permettant et garantissant l'établissement et l'exploitation des services par satellite. En outre, il lui fallait adopter les dispositions législatives, réglementaires et administratives appropriées que requiert la procédure de demandes d'autorisation d'exploiter des services par satellite. Cela devait inclure, en particulier, les modalités d'octroi d'une telle autorisation, ainsi que celles de l'attribution des fréquences et des licences et le montant des frais et redevances y afférents.

21 C'est pourquoi la Commission rappelle, elle aussi, que le grand-duché de Luxembourg était tenu de mettre en place un cadre juridique décrivant précisément la procédure, de la déclaration jusqu'à l'octroi des licences et des fréquences.

22 En vertu des dispositions de l'article 14, paragraphe 3, de la loi du 21 mars 1997, c'est au ministre compétent qu'il revient de déterminer les modalités de déclaration. Le montant des frais de dossier dus par l'opérateur des communications par satellite devait être fixé par un règlement grand-ducal, en application de l'article 14, paragraphe 4, de la loi du 21 mars 1997. La Commission souligne toutefois, à bon droit, qu'à ce jour aucune de ces modalités n'a été arrêtée ni publiée.

23 Quant à l'octroi et à l'utilisation des fréquences, les articles 29 et suivants de la loi luxembourgeoise du 21 mars 1997 comportent les dispositions-cadres et principes généraux applicables à cette procédure. Mais les détails de la procédure d'attribution des fréquences ainsi que le montant des frais y afférents dus par l'opérateur devaient être réglementés de façon précise par le ministre et par règlements grand-ducaux.

24 Le gouvernement luxembourgeois indique qu'une autorisation est certes nécessaire pour l'établissement et l'exploitation de communications par satellite, mais qu'elle est accordée de façon quasi automatique et qu'en particulier une simple notification aux autorités compétentes suffit. Plus précisément, dans le cadre de la procédure d'attribution des fréquences et des licences, il est procédé à une coordination des exploitants en vue de garantir le fonctionnement en parallèle des services de communications. C'est ainsi que les articles 29 et suivants de la loi du 21 mars 1997 prévoient également que cette procédure nécessite de plus amples mesures d'application.

25 Pour que la directive 94/46 soit transposée, il aurait fallu que les mesures d'application complémentaires visées dans la loi du 21 mars 1997 soient adoptées et notifiées à la Commission conformément aux dispositions de l'article 2, deuxième alinéa, sous b). Or, cela n'a pas été fait.

26 La Commission reproche également à la réglementation luxembourgeoise en question de ne concerner - si l'on s'en tient tout au moins à son libellé - que les services de communications par satellite et non pas les services de réseaux de satellites, prévus à l'article 2, paragraphe 1, sous a), iv, second tiret, de la directive. La loi du 21 mars 1997 se référant à l'exploitation des réseaux de télécommunications en général et les règlements grand-ducaux adoptés sur le fondement de cette loi, relatifs aux conditions du cahier des charges, n'utilisant eux aussi que la notion générique de télécommunications, la Commission estime qu'il n'est certes pas exclu que leur champ d'application puisse intégrer également les services de réseaux par satellites, mais que cela ne ressort pas explicitement de la formulation des textes. La Commission affirme qu'elle a interrogé le grand-duché de Luxembourg à plusieurs reprises à ce sujet, sans jamais obtenir de réponse.

27 Rappelons tout d'abord que le règlement grand-ducal précité fixant les conditions minimales du cahier des charges, du 22 décembre 1997, n'a pas été notifié à la Commission au titre de la transposition de la directive 94/46.

28 Si, comme l'a soutenu à juste titre la Commission, on admet que l'établissement et l'exploitation d'un réseau de satellites nécessitent une licence, il faut constater en tout état de cause que les règlements nécessaires visés aux articles 10, paragraphe 2, et 65 de la loi du 21 mars 1997, définissant plus précisément la procédure d'octroi des licences, n'ont pas été adoptés.

29 Il s'ensuit que, si la loi du 21 mars 1997 a fixé le cadre juridique et les conditions générales de l'établissement et de l'exploitation des communications par satellite, de la déclaration jusqu'à l'attribution des fréquences et des licences, il manque néanmoins les dispositions qui réglementent en détail chacune de ces procédures. En particulier, la loi du 21 mars 1997 ne nous dit pas de quelle manière l'autorisation, la fréquence ou la licence peuvent être obtenues ni quels frais de dossier et redevances cela entraîne pour l'auteur de la demande.

30 Le grand-duché de Luxembourg aurait cependant dû pour atteindre l'objectif de la directive, c'est-à-dire l'harmonisation et la libéralisation du marché des équipements de satellites et des services par satellite, arrêter toutes les mesures nécessaires afin que tous les opérateurs soient en mesure de fournir des prestations de services de télécommunications. Le grand-duché de Luxembourg aurait donc dû faire connaître également les critères d'attribution des autorisations ainsi que les conditions attachées à ces autorisations, et les modalités précises de la procédure de déclaration d'exploitation des équipements de communications par satellite.

31 Le grand-duché de Luxembourg conteste également le grief de manquement en se prévalant de la loi du 10 avril 1997. Cette loi a repris les accords de l'Organisation internationale de télécommunications par satellite (Intelsat). Quant à l'accord d'Eutelsat, la procédure législative n'aurait pas encore abouti.

32 Notons à cet égard que cette loi n'a pas été notifiée à la Commission, d'une part, et que, d'autre part, l'argument tiré de l'existence d'un projet de loi reprenant l'accord d'Eutelsat n'est pas de nature à faire disparaître un défaut de transposition de la directive.

33 En ce qui concerne, à présent, les équipements terminaux de télécommunications et les équipements de stations terrestres de communications par satellite, le gouvernement luxembourgeois invoque le règlement grand-ducal du 23 avril 1997.

34 La Commission fait valoir d'emblée que ce document ne lui a jamais été officiellement notifié.

35 Ce règlement est intervenu en application de l'article 28, paragraphe 2, de la loi du 21 mars 1997. Il a pour objet de fixer les conditions d'octroi de l'agrément aux fins d'utilisation d'équipements terminaux de télécommunications et d'équipements de stations terrestres de communications par satellite, lorsqu'ils doivent être connectés à un réseau de télécommunications accessible au public.

36 Cela ne dispense cependant pas l'opérateur de services par satellite de la nécessité d'obtenir une licence pour établir et exploiter un service par satellite.

37 Le gouvernement luxembourgeois ne pouvait par conséquent pas prétendre, à cet égard, non plus, que des mesures et règles détaillées d'application ont été adoptées et ni que leurs dispositions ont été notifiées à la Commission.

38 Il résulte donc de ce qui précède que le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 94/46 en n'adoptant pas toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour transposer la directive et en ne transmettant pas à la Commission, en particulier, celles de ces mesures qui concernent la procédure de déclaration et d'octroi des licences et des fréquences ainsi que les frais et redevances qui y sont liés.

39 En vertu des dispositions de l'article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu en ce sens, le grand-duché de Luxembourg doit par conséquent être condamné aux dépens.

D - Conclusion

40 A la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de statuer en ce sens:

1) constater que, en ne prenant pas toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 94/46/CE de la Commission, du 13 octobre 1994, modifiant les directives 88/301/CEE et 90/388/CEE en ce qui concerne en particulier les communications par satellite, et plus particulièrement les mesures qui concernent les procédures allant de la déclaration jusqu'à l'octroi des licences et des fréquences, ainsi que le montant des frais qui y sont liés, le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive;

2) condamner le grand-duché de Luxembourg aux dépens.

(1) - JO L 268, p. 15.

(2) - Voir l'article 5 de la directive.

(3) - Global System for Mobile Communications (GSM).

(4) - Étant donné que le gouvernement luxembourgeois n'invoque plus ce règlement dans son mémoire en défense, il n'est pas nécessaire de s'y attarder plus longuement.

(5) - Organisation internationale de télécommunications par satellite (Intelsat).

(6) - Organisation européenne de télécommunications par satellite (Eutelsat).

(7) - Voir l'article 2, deuxième alinéa, sous a), in fine de la directive.

Top