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Document 61997CJ0129

    Arrêt de la Cour du 9 juin 1998.
    Procédures pénales contre Yvon Chiciak et Fromagerie Chiciak (C-129/97) et Jean-Pierre Fol (C-130/97).
    Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Dijon - France.
    Règlement (CEE) nº 2081/92 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires - Compétence exclusive de la Commission - Portée de la protection des dénominations comprenant plusieurs termes.
    Affaires jointes C-129/97 et C-130/97.

    Recueil de jurisprudence 1998 I-03315

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1998:274

    61997J0129

    Arrêt de la Cour du 9 juin 1998. - Procédures pénales contre Yvon Chiciak et Fromagerie Chiciak (C-129/97) et Jean-Pierre Fol (C-130/97). - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Dijon - France. - Règlement (CEE) nº 2081/92 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires - Compétence exclusive de la Commission - Portée de la protection des dénominations comprenant plusieurs termes. - Affaires jointes C-129/97 et C-130/97.

    Recueil de jurisprudence 1998 page I-03315


    Sommaire
    Parties
    Motifs de l'arrêt
    Décisions sur les dépenses
    Dispositif

    Mots clés


    1 Agriculture - Législations uniformes - Protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires - Règlement n_ 2081/92 - Compétence des États membres pour prendre des décisions dérogatoires - Condition - Existence d'une règle expresse - Modification, sans respecter la procédure communautaire, d'une appellation enregistrée - Inadmissibilité

    (Règlement du Conseil n_ 2081/92, art. 17)

    2 Agriculture - Législations uniformes - Protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires - Appellation composée enregistrée selon la procédure simplifiée - Absence d'indication relative à une limitation de la protection - Protection étendue à la totalité des termes de l'appellation - Conclusion non contraignante

    (Règlement du Conseil n_ 2081/92, art. 17; règlement de la Commission n_ 1107/96)

    Sommaire


    1 Dans le système institué par le règlement n_ 2081/92 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, lorsque les États membres disposent de la compétence pour prendre des décisions, même provisoires, dérogeant aux dispositions du règlement, cette compétence résulte de règles expresses. Une éventuelle modification d'un élément du cahier des charges, tel que la dénomination du produit, à savoir l'appellation d'origine enregistrée, ne saurait donc être obtenue que dans le cadre des modalités et procédures communautaires fixées par le règlement.

    C'est ainsi que, après l'entrée en vigueur du règlement précité, et s'agissant d'une appellation d'origine pour laquelle un État membre a demandé l'enregistrement selon la procédure simplifiée prévue à l'article 17, applicable aux dénominations déjà existantes lors de l'entrée en vigueur du règlement, l'État membre en cause ne peut, en adoptant des dispositions nationales, modifier cette appellation et la protéger au niveau national.

    2 S'agissant d'une appellation d'origine «composée», enregistrée au titre de la procédure simplifiée prévue à l'article 17 du règlement n_ 2081/92 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, le fait qu'il n'existe pas pour cette appellation d'indication figurant sous forme de renvoi en bas de page de l'annexe du règlement n_ 1107/96 précisant que la demande d'enregistrement n'est pas sollicitée pour une des parties de l'appellation n'implique pas nécessairement que chacune de ses parties est protégée.

    En effet, il n'existe aucune indication dans ce dernier règlement que l'utilisation du système des renvois en bas de page a un tel objectif. En outre, dans le système de protection créé par le règlement n_ 2081/92, les questions relatives à la protection à accorder aux différentes composantes d'une dénomination, et notamment celles de savoir s'il s'agit éventuellement d'un nom générique ou d'un composant protégé, relèvent d'une appréciation qu'il appartient au juge national d'effectuer sur la base d'une analyse détaillée du contexte factuel présenté devant lui par les parties intéressées.

    Parties


    Dans les affaires jointes C-129/97 et C-130/97,

    ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le tribunal de grande instance de Dijon (France) et tendant à obtenir, dans les procédures pénales poursuivies devant cette juridiction contre

    Yvon Chiciak et Fromagerie Chiciak (C-129/97),

    Jean-Pierre Fol (C-130/97),

    en présence de: Syndicat de défense de l'Époisses (C-129/97 et C-130/97),

    Institut national des appellations d'origine contrôlées (INAO) (C-129/97 et C-130/97),

    Association nationale d'appellation d'origine laitière française (ANAOF) (C-129/97 et C-130/97),

    Laiterie de la Côte SARL e.a. (C-130/97),

    une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation du règlement (CEE) n_ 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1), et du règlement (CE) n_ 1107/96 de la Commission, du 12 juin 1996, relatif à l'enregistrement des indications géographiques et des appellations d'origine au titre de la procédure prévue à l'article 17 du règlement n_ 2081/92 (JO L 148, p. 1),

    LA COUR,

    composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann (rapporteur), H. Ragnemalm et M. Wathelet, présidents de chambre, J. C. Moitinho de Almeida, P. J. G. Kapteyn, J. L. Murray, J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann et L. Sevón, juges,

    avocat général: M. A. La Pergola,

    greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

    considérant les observations écrites présentées:

    - pour le Syndicat de défense de l'Époisses, par Me Daniel Bouchard, avocat au barreau de Dijon,

    - pour M. Chiciak, la Fromagerie Chiciak et M. Fol, par Me Corinne Linval, avocat au barreau de l'Aube,

    - pour le gouvernement français, par Mme Kareen Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. Frédéric Pascal, attaché d'administration centrale à la même direction, en qualité d'agents,

    - pour le gouvernement italien, par M. le professeur Umberto Leanza, chef du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assisté de M. Ivo M. Braguglia, avvocato dello Stato,

    - pour la Commission des Communautés européennes, par MM. José Luis Iglesias Buhigues, conseiller juridique, et Xavier Lewis, membre du service juridique, en qualité d'agents,

    vu le rapport d'audience,

    ayant entendu les observations orales du Syndicat de défense de l'Époisses, représenté par Me Daniel Bouchard, de M. Chiciak, de la Fromagerie Chiciak et de M. Fol, représentés par Me Corinne Linval, du gouvernement français, représenté par Mme Christina Vasak, secrétaire adjoint des affaires étrangères à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, et M. Frédéric Pascal, du gouvernement allemand, représenté par Mme Corinna Ullrich, Regierungsrätin au ministère fédéral de la Justice, en qualité d'agent, du gouvernement hellénique, représenté par Mme Ioanna Galani-Maragkoudaki, conseiller juridique spécial adjoint au service spécial du contentieux communautaire du ministère des Affaires étrangères, et M. Ioannis Chalkias, conseiller juridique adjoint auprès du Conseil juridique de l'État, en qualité d'agents, du gouvernement italien, représenté par M. Ivo M. Braguglia, et de la Commission, représentée par MM. José Luis Iglesias Buhigues et Xavier Lewis, à l'audience du 27 janvier 1998,

    ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 12 mars 1998,

    rend le présent

    Arrêt

    Motifs de l'arrêt


    1 Par jugements du 26 février 1997, parvenus à la Cour le 1er avril suivant, le tribunal de grande instance de Dijon a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation du règlement (CEE) n_ 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1, ci-après le «règlement de 1992»), et du règlement (CE) n_ 1107/96 de la Commission, du 12 juin 1996, relatif à l'enregistrement des indications géographiques et des appellations d'origine au titre de la procédure prévue à l'article 17 du règlement n_ 2081/92 (JO L 148, p. 1, ci-après le «règlement de 1996»).

    2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de procédures pénales poursuivies à l'encontre de MM. Chiciak et Fol pour avoir commercialisé, en violation de la réglementation nationale applicable, des fromages en utilisant une appellation d'origine protégée.

    3 Le règlement de 1992, entré en vigueur le 25 juillet 1993, établit des règles relatives à la protection des appellations d'origine et des indications géographiques des produits agricoles destinés à l'alimentation et des denrées alimentaires. Ce règlement rappelle, en son septième considérant, «que les pratiques nationales dans la mise en oeuvre des appellations d'origine et des indications géographiques sont actuellement disparates; qu'il est nécessaire d'envisager une approche communautaire; que, en effet, un cadre de règles communautaires comportant un régime de protection permettra aux indications géographiques et aux appellations d'origine de se développer du fait que ce cadre garantira, à travers une approche plus uniforme, des conditions de concurrence égale entre les producteurs de produits bénéficiant de ces mentions et qu'il conduira à une meilleure crédibilité de ces produits aux yeux des consommateurs». Il est indiqué, au douzième considérant, que, «pour bénéficier d'une protection dans tout État membre, les indications géographiques et les appellations d'origine doivent être enregistrées au niveau communautaire...».

    4 Aux termes de l'article 2, paragraphe 2, sous a), du règlement de 1992:

    «Aux fins du présent règlement, on entend par:

    a) `appellation d'origine': le nom d'une région, d'un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d'un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire:

    - originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays

    et

    - dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains, et dont la production, la transformation et l'élaboration ont lieu dans l'aire géographique délimitée.»

    5 Les articles 4 à 7 de ce règlement établissent une procédure d'enregistrement (procédure dite «normale»).

    6 L'article 4, paragraphe 1, du règlement de 1992 prévoit que, «Pour pouvoir bénéficier d'une appellation d'origine protégée (AOP) ou d'une indication géographique protégée (IGP), un produit agricole ou une denrée alimentaire doit être conforme à un cahier des charges». Il résulte du paragraphe 2 de cet article que le cahier des charges comporte, notamment, «le nom du produit ... comprenant l'appellation d'origine ou l'indication géographique».

    7 Selon l'article 5, paragraphe 4, du règlement de 1992, la demande d'enregistrement doit être adressée à l'État membre dans lequel est située l'aire géographique concernée. L'État membre vérifie, selon le paragraphe 5 de cet article, que la demande est justifiée et la transmet à la Commission accompagnée, notamment, du cahier des charges. Selon l'article 6, paragraphes 1, 2 et 3, cette dernière vérifie dans un délai de six mois, par un examen formel, que la demande d'enregistrement comprend tous les éléments prévus à l'article 4. Si la Commission parvient à la conclusion que la dénomination réunit les conditions pour être protégée, elle procède à une publication au Journal officiel des Communautés européennes. Si aucune déclaration d'opposition d'un État membre ou d'une personne physique ou morale intéressée ne lui est notifiée conformément à l'article 7, la Commission inscrit la dénomination dans un registre intitulé «Registre des appellations d'origine protégées et des indications géographiques protégées».

    8 Selon l'article 8 du règlement de 1992, les mentions «AOP» et «IGP» ne peuvent figurer que sur les produits agricoles et sur les denrées alimentaires conformes audit règlement.

    9 L'article 9 du règlement de 1992 prévoit:

    «L'État membre concerné peut demander la modification d'un cahier des charges, notamment pour tenir compte de l'évolution des connaissances scientifiques et techniques ou pour revoir la délimitation géographique.

    La procédure de l'article 6 s'applique mutatis mutandis.

    Toutefois, la Commission peut décider, selon la procédure de l'article 15, de ne pas appliquer la procédure prévue à l'article 6, lorsque la modification est mineure.»

    10 L'article 13, paragraphe 1, du règlement de 1992 dispose:

    «Les dénominations enregistrées sont protégées contre toute:

    a) utilisation commerciale directe ou indirecte d'une dénomination enregistrée pour des produits non couverts par l'enregistrement, dans la mesure où ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou dans la mesure où cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée;

    b) usurpation, imitation ou évocation, même si l'origine véritable du produit est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d'une expression telle que `genre', `type', `méthode', `façon', `imitation' ou d'une expression similaire;

    c) autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l'origine, la nature ou les qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l'emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que l'utilisation pour le conditionnement d'un récipient de nature à créer une impression erronée sur l'origine;

    d) autre pratique susceptible d'induire le public en erreur quant à la véritable origine du produit.

    Lorsqu'une dénomination enregistrée contient en elle-même le nom d'un produit agricole ou d'une denrée alimentaire considéré comme générique, l'utilisation de ce nom générique sur les produits ou denrées correspondants n'est pas considérée comme contraire au premier alinéa, point a) ou b).»

    11 L'article 17 du règlement de 1992, qui prévoit la procédure d'enregistrement dite «simplifiée» et qui vise l'enregistrement des dénominations existant déjà à la date d'entrée en vigueur du règlement, dispose:

    «1. Dans un délai de six mois suivant la date d'entrée en vigueur du présent règlement, les États membres communiquent à la Commission quelles sont, parmi leurs dénominations légalement protégées ou, dans les États membres où un système de protection n'existe pas, consacrées par l'usage, celles qu'ils désirent faire enregistrer en vertu du présent règlement.

    2. La Commission enregistre, selon la procédure prévue à l'article 15, les dénominations visées au paragraphe 1 qui sont conformes aux articles 2 et 4. L'article 7 ne s'applique pas. Toutefois, les dénominations génériques ne sont pas enregistrées.

    3. Les États membres peuvent maintenir la protection nationale des dénominations communiquées conformément au paragraphe 1 jusqu'à la date à laquelle une décision sur l'enregistrement est prise.»

    12 Le règlement de 1996 indique en son annexe la liste des dénominations enregistrées en tant qu'indications géographiques protégées (IGP) ou appellations d'origine protégée (AOP) au titre de l'article 17 du règlement de 1992. Parmi celles-ci figure «Époisses de Bourgogne (AOP)».

    13 Le règlement de 1992 a été modifié par le règlement (CE) n_ 535/97 du Conseil, du 17 mars 1997 (JO L 83, p. 3, ci-après le «règlement de 1997»), qui a, notamment, inséré à l'article 5, paragraphe 5, après le premier alinéa, le texte suivant:

    «Une protection, au sens du présent règlement, au niveau national ainsi que, le cas échéant, une période d'adaptation ne peuvent être accordées que transitoirement par cet État membre à la dénomination ainsi transmise à partir de la date de cette transmission; elles peuvent également être accordées transitoirement, dans les mêmes conditions, dans le cadre d'une demande de modification du cahier des charges.

    La protection nationale transitoire cesse d'exister à partir de la date à laquelle une décision sur l'enregistrement en vertu du présent règlement est prise...

    Les mesures prises par les États membres en vertu du deuxième alinéa ne produisent leur effet que sur le plan national et ne doivent pas affecter les échanges intracommunautaires.»

    14 Le décret français du 14 mai 1991, relatif à l'appellation d'origine «Époisses de Bourgogne» (JORF p. 6593, ci-après le «décret de 1991»), a institué cette appellation et a défini les fromages susceptibles d'en bénéficier. Le gouvernement français a demandé l'enregistrement de cette appellation conformément à la procédure simplifiée de l'article 17 du règlement de 1992 et la Commission a procédé à son enregistrement dans le cadre du règlement de 1996.

    15 Par le décret du 14 avril 1995, relatif à l'appellation d'origine contrôlée «Époisses» (JORF p. 6271, ci-après le «décret de 1995»), le décret de 1991 a été modifié, le nom «Époisses de Bourgogne» ayant été remplacé par celui d'«Époisses» dans toutes ses dispositions. Le gouvernement français a indiqué dans ses observations que, par lettre du 25 avril 1997, il avait demandé à la Commission, conformément à l'article 9 du règlement de 1992, une modification du cahier des charges de l'appellation d'origine protégée «Époisses de Bourgogne».

    16 MM. Chiciak et Fol sont des producteurs de fromage qui sont poursuivis pour avoir «utilisé le nom `Époisses', appellation d'origine protégée créée par le décret de 1995, réservée aux fromages dont les caractéristiques sont définies par le décret de 1991 relatif à l'appellation d'origine `Époisses de Bourgogne'». Les prévenus au principal n'ont pas contesté l'absence de conformité des produits fabriqués par eux aux exigences de ce dernier décret. Ils ont cependant notamment fait valoir qu'ils pouvaient légalement utiliser la dénomination «Époisses» pour leurs fromages, au motif que le décret de 1995 était contraire au règlement de 1992. Selon eux, ce règlement réserve à la Commission la compétence exclusive pour conférer une protection aux appellations d'origine et interdit aux États membres de légiférer en la matière. Ils ont rappelé qu'ils n'avaient pas contrevenu au décret de 1991 et que la dénomination qui avait été enregistrée conformément à la demande des autorités françaises par le règlement de 1996 était «Époisses de Bourgogne» et non «Époisses».

    17 Le Syndicat de défense de l'Époisses et l'Association nationale d'appellation d'origine laitière française ont contesté l'argumentation tirée de l'illégalité du décret de 1995. Ils ont soutenu que le terme «Époisses» est protégé au même titre que celui «Époisses de Bourgogne». A cet égard, ils ont notamment renvoyé au règlement de 1996 qui contient en annexe la liste des appellations d'origine protégées ayant été enregistrées. Y figurent, notamment: Époisses de Bourgogne, Camembert de Normandie, Chabichou du Poitou. Concernant ces deux derniers fromages, pris à titre d'exemple, un renvoi en bas de page précise expressément que la protection des termes «chabichou» et «camembert» n'est pas sollicitée. Il résulterait donc d'une interprétation a contrario de l'absence de précision à cet égard que la partie «Époisses» de l'appellation «Époisses de Bourgogne» serait protégée en tant que telle.

    18 Dans ces conditions, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

    «1) Le règlement n_ 2081/92, du 14 juillet 1992, exclut-il, à compter de son entrée en vigueur, toute compétence résiduelle des États membres pour modifier une appellation d'origine préexistante?

    2) Les indications figurant sous forme de renvois en bas de page de l'annexe du règlement n_ 1107/96, du 12 juin 1996, constituent-elles une liste exhaustive des parties de dénominations comprenant plusieurs termes, exclues de la protection?»

    19 Par ordonnance du président de la Cour du 10 avril 1997, ces deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt.

    Sur la première question

    20 Par sa première question, la juridiction nationale demande en substance si le règlement de 1992 doit être interprété en ce sens que, après son entrée en vigueur, un État membre peut, en adoptant des dispositions nationales, modifier une appellation d'origine pour laquelle il a demandé l'enregistrement conformément à l'article 17 et la protéger au niveau national.

    21 MM. Chiciak et Fol, le gouvernement hellénique ainsi que la Commission estiment que le règlement de 1992 a une portée exclusive, en sorte qu'il exclut, dès son entrée en vigueur, toute compétence des États membres pour créer une nouvelle dénomination géographique ou pour modifier toute dénomination qui aurait été enregistrée conformément à ce règlement.

    22 Les gouvernements italien et allemand considèrent que le règlement de 1992 a pour objet de fournir une protection efficace au niveau communautaire. Toutefois, cet objet ne contredirait ni n'exclurait les législations nationales ayant un caractère complémentaire, qui accordent une protection moins étendue.

    23 Le gouvernement français, soutenu par le Syndicat de défense de l'Époisses, fait valoir que le règlement de 1992 vise à assurer, au niveau communautaire, une protection des appellations d'origine, sans pour autant retirer aux États membres leur compétence en matière de gestion desdites appellations. Il fait notamment valoir que, si le règlement de 1997 prévoit désormais expressément que la protection nationale de dénominations peut être maintenue jusqu'à l'enregistrement au niveau communautaire, une telle compétence nationale existait nécessairement dès l'entrée en vigueur du règlement de 1992. Chaque État membre serait donc autorisé à protéger certains éléments des dénominations dans l'attente de l'aboutissement de la procédure d'enregistrement communautaire.

    24 A cet égard, ainsi que l'a d'ailleurs relevé M. l'avocat général au point 4 de ses conclusions, il suffit d'examiner si un État membre qui a, conformément à l'article 17 du règlement de 1992, demandé l'enregistrement d'une appellation d'origine protégée lors de l'entrée en vigueur dudit règlement est compétent pour modifier cette appellation sans respecter la procédure prévue à cet effet par le règlement.

    25 Il convient de rappeler que, selon les septième et douzième considérants, le règlement de 1992 a pour objet d'assurer une protection uniforme dans la Communauté des dénominations géographiques qui lui sont conformes. En outre, il y a lieu de constater que cette protection uniforme provient de l'enregistrement, effectué conformément aux règles spécifiquement prévues par le règlement.

    26 En effet, le règlement de 1992 a instauré l'obligation d'enregistrement communautaire des dénominations géographiques pour que ces dernières puissent bénéficier d'une protection dans tout État membre et a défini le cadre communautaire appelé à régir désormais cette protection, qui ne s'obtient qu'à l'issue d'une procédure contraignante de notification, de vérification et d'enregistrement.

    27 Les autorités françaises ont demandé, dans le délai de six mois prescrit audit règlement, l'enregistrement de l'appellation d'origine «Époisses de Bourgogne», protégée conformément au décret de 1991, selon la procédure «simplifiée» prévue à l'article 17 du règlement de 1992, ce qui implique notamment que l'enregistrement a été fait sans la phase d'opposition prévue à l'article 7 du règlement de 1992 dans le cadre de la procédure «normale» d'enregistrement.

    28 Un État membre qui a utilisé la procédure d'enregistrement prévue à l'article 17 peut, conformément au paragraphe 3 de cette disposition, maintenir la protection nationale de l'appellation en cause jusqu'à la date à laquelle une décision sur l'enregistrement est prise.

    29 Or, la protection uniforme des appellations d'origine instituée par le règlement de 1992 implique que l'État membre, qui estime appropriée une modification de l'appellation d'origine dont l'enregistrement est demandé conformément au règlement, respecte les procédures instituées à cette fin.

    30 Une éventuelle modification d'un élément du cahier des charges, tel que la dénomination du produit, à savoir l'appellation d'origine enregistrée, ne saurait donc être obtenue que dans le cadre des modalités et procédures communautaires fixées par le règlement de 1992, et en particulier dans le respect de la procédure prescrite à l'article 9 du règlement, renvoyant à la procédure de l'article 6.

    31 Or, le gouvernement français prétend que, au moins tant qu'aucune décision relative à la demande d'enregistrement n'a été prise, il doit être reconnu aux États membres, selon le système du règlement, la possibilité d'octroyer une protection nationale provisoire. Il soutient que sa position est corroborée par la nouvelle disposition insérée à l'article 5 du règlement de 1992 par le règlement de 1997, introduisant la possibilité, pour un État membre ayant demandé un enregistrement, d'accorder «une protection au sens du présent règlement, au niveau national ... à la dénomination ainsi transmise», protection qui peut également être accordée «dans le cadre d'une demande de modification du cahier des charges».

    32 A cet égard, il convient de constater, tout en rappelant que la nouvelle disposition insérée à l'article 5 du règlement de 1992 par le règlement de 1997 ne s'applique pas à la procédure d'enregistrement prévue à l'article 17, que, avant l'entrée en vigueur du règlement de 1997, une compétence telle que celle invoquée par le gouvernement français ne trouvait aucun fondement dans le règlement de 1992. Contrairement à ce que soutient ce gouvernement, il ressort précisément du règlement de 1997 que, dans le système institué par le règlement de 1992, lorsque les États membres disposent de la compétence pour prendre des décisions, même provisoires, dérogeant aux dispositions du règlement, cette compétence résulte de règles expresses.

    33 Il y a donc lieu de répondre à la première question que le règlement de 1992 doit être interprété en ce sens que, après son entrée en vigueur, un État membre ne peut, en adoptant des dispositions nationales, modifier une appellation d'origine pour laquelle il a demandé l'enregistrement conformément à l'article 17 et la protéger au niveau national.

    Sur la seconde question

    34 Compte tenu du contexte dans lequel la seconde question est posée et eu égard aux explications de la juridiction de renvoi, il est demandé en substance par cette question si, s'agissant d'une appellation d'origine «composée», le fait qu'il n'existe pas pour celle-ci d'indication figurant sous forme de renvoi en bas de page de l'annexe du règlement de 1996 précisant que la demande d'enregistrement n'est pas sollicitée pour une des parties de cette appellation implique que chacune de ses parties est protégée.

    35 A cet égard, le gouvernement français et la Commission font en substance valoir que, s'agissant de dénominations composées, la règle générale, qui découle de l'article 13 précité du règlement de 1992, est que, dès lors qu'il ne s'agit pas d'un terme générique ou d'un terme commun, la protection s'applique non seulement à la dénomination dans son ensemble, mais également à chaque terme de la dénomination. Selon eux, si, en ce qui concerne les dénominations composées, seule leur dénomination globale était protégée, cela aurait pour conséquence de ne pas permettre d'assurer pleinement le niveau de protection défini à l'article 13 du règlement de 1992. Lors de l'examen du règlement de 1996, le principe aurait été posé que les mentions non protégées des dénominations composées devaient être expressément spécifiées. Cette précision ne préjugerait pas du caractère générique ou non de la partie de la dénomination concernée. Dans le cas d'espèce, l'absence de renvoi en bas de page signifierait que la protection porte non seulement sur l'ensemble de la dénomination, mais également sur chacun des termes constitutifs.

    36 Cette argumentation ne saurait être accueillie. Si, dans le règlement de 1996, il a été estimé nécessaire, dans un certain nombre de cas, de préciser par des renvois en bas de page que la protection d'une partie de la dénomination concernée n'a pas été demandée, il convient d'en tirer comme conséquence que, pour cette partie de la dénomination, les intéressés ne peuvent faire valoir de droits en vertu du règlement de 1992. Par ailleurs, le règlement de 1996 ne contient aucun élément permettant de connaître les raisons pour lesquelles les États membres ont décidé de ne pas demander la protection, que ce soit parce qu'il s'agit d'une partie devenue générique, parce que la partie en cause n'est pas protégée sur le plan national au moment de l'introduction de la demande en vertu de l'article 17 du règlement de 1992 ou encore pour d'autres raisons. En effet, il ressort simplement du huitième considérant du règlement de 1996 que «certains États membres ont fait savoir que, pour certaines parties de dénominations, la protection n'était pas demandée et qu'il convient d'en tenir compte».

    37 Même s'il peut s'avérer exact qu'il découle de l'article 13 du règlement de 1992 que, à défaut de circonstances spécifiques allant dans le sens contraire, la protection conférée par cette disposition couvre non seulement l'appellation composée en tant que telle, mais également chacune de ses composantes, dès lors qu'il ne s'agit pas d'un terme générique ou d'un terme commun, cette même disposition ne saurait constituer une base suffisante pour interpréter le règlement de 1996 en ce sens que, s'il n'existe pas de renvoi en bas de page, chacune des composantes de la dénomination composée est protégée.

    38 En effet, il n'existe aucune indication dans le règlement de 1996 - adopté par la Commission selon la procédure du comité prévue à l'article 15 du règlement de 1992 - que l'utilisation du système des renvois en bas de page avait un tel objectif. En outre, dans le système de protection créé par le règlement de 1992, les questions relatives à la protection à accorder aux différentes composantes d'une dénomination, et notamment celles de savoir s'il s'agit éventuellement d'un nom générique ou d'un composant protégé contre les pratiques visées à l'article 13 du règlement de 1992, relèvent d'une appréciation qu'il appartient au juge national d'effectuer sur la base d'une analyse détaillée du contexte factuel présenté devant lui par les parties intéressées.

    39 Il y a donc lieu de répondre à la seconde question en ce sens que, s'agissant d'une appellation d'origine «composée», le fait qu'il n'existe pas pour celle-ci d'indication figurant sous forme de renvoi en bas de page de l'annexe du règlement de 1996 précisant que la demande d'enregistrement n'est pas sollicitée pour une des parties de cette appellation n'implique pas nécessairement que chacune de ses parties est protégée.

    Décisions sur les dépenses


    Sur les dépens

    40 Les frais exposés par les gouvernements français, allemand, hellénique et italien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

    Dispositif


    Par ces motifs,

    LA COUR,

    statuant sur les questions à elle soumises par le tribunal de grande instance de Dijon, par jugements du 26 février 1997, dit pour droit:

    1) Le règlement (CEE) n_ 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, doit être interprété en ce sens que, après son entrée en vigueur, un État membre ne peut, en adoptant des dispositions nationales, modifier une appellation d'origine pour laquelle il a demandé l'enregistrement conformément à l'article 17 et la protéger au niveau national.

    2) S'agissant d'une appellation d'origine «composée», le fait qu'il n'existe pas pour celle-ci d'indication figurant sous forme de renvoi en bas de page de l'annexe du règlement (CE) n_ 1107/96 de la Commission, du 12 juin 1996, relatif à l'enregistrement des indications géographiques et des appellations d'origine au titre de la procédure prévue à l'article 17 du règlement n_ 2081/92, précisant que la demande d'enregistrement n'est pas sollicitée pour une des parties de cette appellation n'implique pas nécessairement que chacune de ses parties est protégée.

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