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Document 61997CC0373
Opinion of Mr Advocate General Saggio delivered on 28 October 1999. # Dionysios Diamantis v Elliniko Dimosio (Greek State) and Organismos Ikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE). # Reference for a preliminary ruling: Polimeles Protodikio Athinon - Greece. # Company law - Second Directive 77/91/EEC - Public limited liability company in financial difficulties - Increase in the capital of the company by administrative decision - Abuse of a right arising from a provision of Community law. # Case C-373/97.
Conclusions de l'avocat général Saggio présentées le 28 octobre 1999.
Dionysios Diamantis contre Elliniko Dimosio et Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE).
Demande de décision préjudicielle: Polymeles Protodikeio Athinon - Grèce.
Droit des sociétés - Deuxième directive 77/91/CEE - Société anonyme éprouvant des difficultés financières - Augmentation du capital social par voie administrative - Exercice abusif d'un droit découlant d'une disposition communautaire.
Affaire C-373/97.
Conclusions de l'avocat général Saggio présentées le 28 octobre 1999.
Dionysios Diamantis contre Elliniko Dimosio et Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE).
Demande de décision préjudicielle: Polymeles Protodikeio Athinon - Grèce.
Droit des sociétés - Deuxième directive 77/91/CEE - Société anonyme éprouvant des difficultés financières - Augmentation du capital social par voie administrative - Exercice abusif d'un droit découlant d'une disposition communautaire.
Affaire C-373/97.
Recueil de jurisprudence 2000 I-01705
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1999:528
Conclusions de l'avocat général Saggio présentées le 28 octobre 1999. - Dionysios Diamantis contre Elliniko Dimosio et Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epicheiriseon AE (OAE). - Demande de décision préjudicielle: Polymeles Protodikeio Athinon - Grèce. - Droit des sociétés - Deuxième directive 77/91/CEE - Société anonyme éprouvant des difficultés financières - Augmentation du capital social par voie administrative - Exercice abusif d'un droit découlant d'une disposition communautaire. - Affaire C-373/97.
Recueil de jurisprudence 2000 page I-01705
1 Par ordonnance du 24 juin 1997, le Protodikeio Athinon (Tribunal de grande instance d'Athènes) a soumis à la Cour deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 25 de la deuxième directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l'article 58 deuxième alinéa du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital, (ci-après la «directive») (1) et portant sur l'exercice abusif d'un droit octroyé par une disposition communautaire. La juridiction nationale souhaite en particulier s'entendre dire si, eu égard aux circonstances du litige au principal, la disposition de droit interne qui sanctionne l'exercice abusif d'un droit peut valablement être invoquée pour s'opposer à une action en annulation d'actes sociaux, introduite par un actionnaire pour violation d'un droit conféré par la directive.
2 La présente affaire s'inscrit donc dans le cadre du long contentieux apparu en Grèce à propos de l'interprétation et de l'application de l'article 25 de la directive dans des situations relatives à des entreprises en difficulté. C'est le retard mis par cet État membre dans la mise en oeuvre correcte de la directive qui est à l'origine de ce contentieux qui affecte la Grèce. La Cour a déjà, à plusieurs reprises, eu l'occasion d'examiner ce contentieux (2), et elle a énoncé très clairement, ayant à connaître de dispositions normatives nationales incompatibles avec cette directive, que la disposition de droit communautaire précitée avait pour objectif de «garantir aux actionnaires qu'une décision d'augmenter le capital social et, par conséquent, d'affecter les proportions des parts des actionnaires, ne soit prise sans leur participation à l'exercice du pouvoir décisionnel de la société» (3).
La législation communautaire.
3 La directive tend à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l'article 58, deuxième alinéa du traité CE (devenu l'article 48 CE), en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital.
L'article 25, paragraphe 1, de la directive dispose: «Toute augmentation du capital doit être décidée par l'assemblée générale. Cette décision ainsi que la réalisation de l'augmentation du capital souscrit font l'objet d'une publicité effectuée selon les modes prévus par la législation de chaque État membre conformément à l'article 3 de la directive 68/151/CEE.». Le paragraphe 2 de ce même article précise: «Toutefois, les statuts, l'acte constitutif ou l'assemblée générale dont la décision doit faire l'objet d'une publicité conformément au paragraphe 1 peuvent autoriser l'augmentation du capital souscrit jusqu'à concurrence d'un montant maximal qu'ils fixent en respectant le montant maximal éventuellement prévu par la loi. Dans les limites du montant fixé, l'organe de la société habilité à cet effet décide, le cas échéant, d'augmenter le capital souscrit. Ce pouvoir de l'organe a une durée maximale de cinq ans et peut être renouvelé une ou plusieurs fois par l'assemblée générale pour une période qui, pour chaque renouvellement, ne peut dépasser cinq ans».
L'article 29, paragraphe 1, de la directive dispose que «lors de toute augmentation du capital souscrit par apports en numéraire, les actions doivent être offertes par préférence aux actionnaires proportionnellement à la partie du capital représentée par leurs actions». Le paragraphe 4 de ce même article ajoute que le droit préférentiel ne peut être limité, ni supprimé par les statuts ou l'acte constitutif. Il peut l'être toutefois par décision de l'assemblée générale. L'organe de direction ou d'administration est tenu de présenter à cette assemblée un rapport écrit indiquant les raisons de limiter ou de supprimer le droit préférentiel et justifiant le prix d'émission proposé.
4 L'article 41, paragraphe 1, donne enfin aux États membres la faculté de déroger à l'article 25 de la directive, pour autant que cela soit nécessaire à l'adoption et à l'application des dispositions visant à favoriser la participation des travailleurs ou d'autres catégories de personnes déterminées par la loi nationale au capital des entreprises.
5 La directive donne aux États membres un délai de deux ans pour sa mise en oeuvre dans l'ordre juridique interne. Pour la Grèce, eu égard à l'acte d'adhésion, le délai dont question expire le 1er janvier 1981.
La législation nationale.
6 La loi no 1386 du 5 août 1983 (4) (ci-après la «loi») a institué en Grèce l'«Organismos Oikonomikis Anasygkrotisis Epichiriseon AE» (ci-après: l'«OAE»), société par actions dont le capital est entièrement souscrit par l'État et dont le but consiste à contribuer au développement économique et social du pays par l'assainissement financier des entreprises, l'importation et l'application des technologies étrangères, le développement du patrimoine technologique national ainsi que la création et la gestion d'entreprises nationalisées ou à économie mixte (article 2, paragraphe 2 de la loi).
En vue de la réalisation de ces objectifs, l'OAE peut assumer l'administration et la gestion courante d'entreprises en voie d'assainissement ou nationalisées, acquérir des participations dans le capital de certaines entreprises, accorder des prêts ou contracter des prêts, émettre des obligations et transférer des actions, en particulier aux travailleurs ou à leurs organes représentatifs, aux entités locales ou à d'autres personnes morales de droit public, aux instituts de bienfaisance, aux organismes sociaux ou aux particuliers (article 2, paragraphe 3, de la loi).
7 Conformément à l'article 5, paragraphe 1, de la loi, le ministre de l'Economie nationale peut décider d'assujettir au régime institué par cette loi les entreprises qui se trouvent en grave difficulté financière. L'article 7 prévoit ensuite que le ministre compétent peut décider de transférer à l'OAE la gestion de l'entreprise, de diminuer ses dettes pour en garantir la survie, ou de procéder à sa liquidation.
L'article 8, paragraphe 1, dans sa version modifiée par la loi no 1472/1984 (5), dispose que la publication de la décision ministérielle assujettissant l'entreprise au régime met fin aux pouvoirs des organes d'administration de la société et que si l'assemblée générale continue d'exister, elle n'a toutefois plus le pouvoir de révoquer les membres du conseil d'administration nommés par l'OAE. Le paragraphe 8 de ce même article prévoit que, pendant l'administration provisoire de la société assujettie audit régime, ce même conseil d'administration peut décider d'augmenter le capital social de la société, par dérogation aux dispositions applicables aux sociétés par actions qui prévoient, en revanche, dans ce domaine, la compétence exclusive de l'assemblée. L'augmentation doit être ensuite approuvée par le ministre compétent. La loi prévoit que les anciens actionnaires conservent néanmoins un droit préférentiel sur l'acquisition des actions de la nouvelle émission, droit qu'ils peuvent exercer dans le délai fixé par la décision ministérielle d'approbation.
8 Il convient ensuite de rappeler que la loi no 1386/1983 a fait l'objet de la décision 86/167/CEE de la Commission, du 7 octobre 1987, prise au titre de la procédure de l'article 93 du traité CE (devenu l'article 88 CE) (6). Dans cette décision, la Commission déclarait ne pas avoir d'objections à l'encontre de l'application de la loi, car le gouvernement hellénique avait modifié, pour le 31 décembre 1987, les dispositions relatives à l'augmentation du capital pour les rendre compatibles avec les articles 25, 26, 29 et 30 de la deuxième directive. Le 7 mars 1989, la Commission a entamé une procédure au titre de l'article 169 du traité CE (devenu l'article 226 CE) pour violation, par la République hellénique, des obligations qui lui incombaient en vertu de la deuxième directive. Le 10 mars 1990, le Parlement hellénique a adopté la loi no 1882/1990 (7), qui modifiait la législation antérieure sur le point en litige, dans le sens souhaité par la Commission. Ce n'est donc qu'à partir de cette date que l'État hellénique s'est conformé à l'obligation de mettre en oeuvre la directive dans l'ordre juridique interne.
9 L'article 281 du code civil hellénique prévoit enfin que «l'exercice d'un droit est interdit lorsque cet exercice outrepasse manifestement les limites imposées par la bonne foi, par les coutumes ou par la finalité socio-économique du droit».
Les faits et les questions préjudicielles.
10 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que M. Diamantis, demandeur au principal, est un actionnaire minoritaire de la société par actions Plastika Kavalas AE. Au début des années quatre-vingt, ladite société a connu de sérieuses difficultés financières. Telle est la raison pour laquelle le 24 août 1983, la majorité des actionnaires, au nombre desquels, selon le juge a quo, figurait ce même M. Diamantis, a demandé l'assujettissement de leur société au régime prévu par la loi no 1368/1983. La demande a été réitérée le 20 décembre de la même année.
11 La demande introduite par la société a donné lieu à la consultation de la commission ministérielle constituée en vertu de l'article 11 de la loi. Au vu de la situation financière précaire de la société, ladite commission a proposé l'assujettissement de la société au régime de liquidation spéciale visé aux articles 7, paragraphe 3, et 9, de la loi, qui aurait impliqué la liquidation immédiate des actifs et le paiement des dettes de la société. L'avis de la commission n'a toutefois pas été suivi par le ministre qui, par sa décision no 212, du 3 février 1984 (8), a choisi d'assujettir la société à un régime différent, réglé cependant par cette même loi, en son article 7, paragraphe 1, soit le régime de l'administration provisoire par l'OAE.
12 Le 28 mai 1986, l'OAE a décidé d'augmenter le capital social de la société pour un montant de 177 000 DR, portant ainsi le capital de 87 200 000 DR à 246 200 000 DR. Cette décision a été approuvée par le ministre. Conformément aux dispositions légales, les anciens actionnaires ont eu la possibilité d'exercer leur droit préférentiel sur les nouvelles actions dans un délai de quarante-cinq jours à dater de la publication de la décision ministérielle (effectuée le 11 juin 1986). Faute de réaction positive de la part actionnaires, les nouvelles actions ont été mises à la disposition de l'OAE, qui est arrivée dès lors à détenir quelque 67% du capital social de la Plastika Kavalas. Le 11 décembre 1986, l'assemblée générale des actionnaires, dont la majorité était désormais détenue par l'OAE, a décidé de réduire le capital social au minimum obligatoire légalement autorisé de 5 000 000 DR.
Le 9 janvier 1987, par décision no 14 du vice-ministre de l'Industrie, de l'Énergie et de la Technologie, le capital social a de nouveau été augmenté, conformément à l'article 10 de la loi no 1386/1983, pour atteindre un montant final de 1 267 200 000 DR, réparti en 1 267 200 actions. Dès ce moment, la société a recommencé à fonctionner régulièrement. La même décision ministérielle no 11 a mis fin à l'administration provisoire confiée à l'OAE. En 1991, la majorité des actions de la société ont été cédées à la société Plastika Makedonias AE et ensuite, en février 1994, la société Plastika Kavalas a été intégrée dans le groupe Petzetakis.
Le cours de la procédure.
13 Le 22 février 1991, M. Diamantis, actionnaire de la société, a saisi le Polymeles Protodikeio Athinon, réclamant l'annulation des modifications (deux augmentations et une réduction) du capital social de la société Plastika Kavalas effectuées en vertu de la loi no 1386/1983. M. Diamantis soutenait que ces délibérations de l'assemblée générale étaient contraires à l'article 25, paragraphe 1, de la directive, estimant que ces augmentations auraient réduit la proportion de ses parts par rapport au total des actions.
14 Les parties défenderesses, soit l'État hellénique et l'OAE, ont opposé que, conformément à l'article 281 du code civil hellénique, le demandeur aurait abusivement exercé le droit qui lui avait été octroyé par l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive et ils ont dès lors demandé le rejet de la demande. Pour les parties défenderesses, les éléments qui, en l'espèce, seraient constitutifs d'abus du droit, résideraient dans les circonstance suivantes: a) le demandeur avait lui-même, en compagnie de trente et un autres actionnaires, demandé l'assujettissement de la société au régime de la loi no 1386/1983; b) eu égard aux difficultés financières de la société, le demandeur n'avait jamais souhaité une augmentation du capital social: en effet, il n'avait pas exercé le droit préférentiel qui lui était garanti depuis la première augmentation; c) ce n'est qu'à la suite de l'assainissement de la société, dont le demandeur avait lui-même profité, mais qui avait eu des conséquences fondamentales et irréversibles pour la répartition du capital et des actions, qu'il avait décidé de faire valoir son droit en justice: en effet, l'action judiciaire n'a été introduite, respectivement, que 5 ans et 4 ans après la première et la deuxième augmentations de capital.
15 Le juge de renvoi estime que le recours est fondé en droit, mais considère d'autre part que l'exception soulevée par les parties défenderesses est fondée en fait et en droit. Il en arrive à cette conclusion par suite d'une instruction qui aurait montré, d'une part, que le demandeur au principal avait participé à la demande d'assujettissement de la société au régime prévu par la loi et, d'autre part, que, par suite de la mauvaise situation économique de la société, il n'avait jamais voulu l'augmentation de capital, raison pour laquelle il n'avait jamais exercé le droit préférentiel conféré par la législation nationale. Eu égard à ces éléments, le juge national considère que, compte tenu du temps écoulé depuis les opérations d'augmentation et de réduction temporaire du capital social, l'exercice du droit par le demandeur et l'éventuelle remise en cause de situations juridiques désormais acquises se heurteraient aux limites imposées par la bonne foi, par la morale et par les finalités socio-économiques du droit lui-même.
Estimant néanmoins qu'il était utile que la Cour de justice se prononce sur l'application, en l'espèce, du principe de l'abus du droit - considéré, à la lumière de la jurisprudence antérieure de la Cour, comme «principe général des droits des États membres» - le juge national a adressé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«a) Dans les circonstances de fait décrites et exposées dans les motifs de la présente ordonnance, convient-il de se poser la question de l'application, tant sur le plan formel que matériel, de l'article 281 du code civil hellénique, pour ce qui concerne l'exercice abusif de son droit par le demandeur dans le cadre des articles 25, paragraphe 1, et 29, paragraphe 1, de la deuxième directive?
b) Si la Cour considère que l'exception précitée est fondée tant en droit qu'en fait, quel est l'effet de celle-ci sur la validité des décisions ministérielles concernant l'augmentation et la réduction du capital de la société en cause, dont le demandeur est actionnaire, et, par voie de conséquence, qu'en est-il de la compatibilité des dispositions des articles 8, paragraphe 8, et 10, paragraphe 1, de la loi no 1386/1983 avec le droit communautaire, au vu du fait que, sans référence à l'article 281 du code civil hellénique, il a, comme indiqué ci-dessus, été jugé que ces dispositions sont contraires au régime institué par la directive 77/91/CEE?»
16 Le 24 novembre 1997, la Cour a décidé de surseoir à statuer jusqu'au prononcé de l'arrêt Kefalas, précité. Dès qu'il a été rendu, cet arrêt a été transmis au juge a quo, afin que celui-ci puisse décider s'il maintenait ou non les questions préjudicielles. La juridiction hellénique a répondu à la Cour qu'elle n'était pas autorisée à réexaminer d'office sa décision et que, de toute façon, à son avis, les circonstances de fait de l'affaire Kefalas ne seraient pas du tout les mêmes que celles du litige dont elle avait à connaître.
Sur les questions préjudicielles
17 Avant d'aborder au fond les questions déférées par le juge hellénique, nous considérons qu'il serait utile de rappeler brièvement les conclusions auxquelles la Cour a déjà abouti dans ses arrêts antérieurs, précités, relatifs à l'interprétation de l'article 25 de la deuxième directive et à la compatibilité avec la règle inscrite dans cette disposition de la législation hellénique relative à l'assainissement des entreprises en difficulté, qui fait l'objet de la présente procédure.
18 Appelée à se prononcer par voie préjudicielle dans le contexte de différentes procédures engagées par des actionnaires de sociétés ayant subi des modifications de capital opérées par la voie administrative, la Cour a dès l'abord précisé que, conformément à l'article 25, paragraphe 1, de la directive, l'assemblée générale des actionnaires était seule compétente pour décider des augmentations de capital. Après avoir établi que ladite disposition est dotée d'un effet direct (9), la Cour a affirmé que ce même article faisait obstacle à une réglementation nationale qui, afin d'assurer l'assainissement de sociétés en difficulté, prévoit qu'il peut être décidé par acte administratif d'augmenter leur capital social, sous réserve de la reconnaissance d'un droit préférentiel aux anciens actionnaires lors de l'émission de nouvelles actions. La Cour a en effet précisé que l'objectif principal de la directive, qui consiste à assurer un niveau minimal de protection des actionnaires dans l'ensemble des États membres «serait sérieusement compromis si les États membres pouvaient déroger aux dispositions de la directive, en maintenant en vigueur des réglementations, même qualifiées de spéciales ou exceptionnelles, qui permettent de décider, par voie de mesure administrative et en dehors de toute décision de l'assemblée générale des actionnaires, une augmentation du capital social aboutissant soit à obliger les anciens actionnaires à augmenter leurs apports, soit à leur imposer l'entrée dans la société de nouveaux actionnaires, de façon à réduire leur participation au pouvoir décisionnel de la société» (10). En d'autres termes, la Cour a précisé que, même sur la base d'une réglementation spéciale visant à l'assainissement de la société, l'assemblée générale ne pouvait pas être privée de son pouvoir le plus «intime», auquel elle ne saurait renoncer: celui de modifier la consistance du capital, c'est-à-dire du patrimoine de la société et en même temps des actionnaires eux-mêmes (11).
19 Dans l'arrêt Pafitis, précité, bien qu'il n'y ait pas eu de question spécifique qui lui fût soumise à ce sujet, la Cour s'est penchée pour la première fois sur la question de l'application éventuelle de la règle nationale de l'abus du droit à des actions judiciaires introduites par des actionnaires de société assujetties à la loi hellénique. Même si elle n'estime pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir s'il est permis, dans le cadre de l'ordre juridique communautaire, d'appliquer une règle nationale afin d'apprécier si un droit conféré par les dispositions communautaires en cause est exercé d'une manière abusive, la Cour précise que «il n'en reste pas moins que, en tout état de cause, la mise en oeuvre d'une telle règle ne saurait porter atteinte au plein effet et à l'application uniforme des dispositions communautaires dans les États membres». Eu égard aux circonstances de fait, la Cour a rejeté les arguments avancés par le gouvernement hellénique en concluant: «il y aurait atteinte à l'application uniforme du droit communautaire et à son plein effet si un actionnaire se prévalant de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive était censé abuser de son droit au seul motif qu'il est un actionnaire minoritaire d'une société assujettie à un régime d'assainissement ou qu'il aurait bénéficié de l'assainissement de la société. En effet, étant donné que l'article 25, paragraphe 1, s'applique indistinctement à tous les actionnaires et indépendamment de l'issue d'une éventuelle procédure d'assainissement, le fait de qualifier un recours fondé sur l'article 25, paragraphe 1, d'abusif pour de pareils motifs reviendrait à modifier la portée de cette disposition».
20 L'exception de l'abus du droit opposée au demandeur qui invoque, devant les juges grecs, le droit conféré par l'article 25, paragraphe 1, de la directive, a derechef fait l'objet de l'attention de la Cour dans l'arrêt Kefalas, rendu récemment. La Cour avait été amenée à dire si la juridiction hellénique pouvait à bon droit appliquer l'article 281 du code civil pour vérifier si un droit conféré au titre du droit communautaire n'était pas exercé par son titulaire de manière abusive, ou si une telle appréciation pouvait relever d'un principe général de droit communautaire. La Cour a répondu que le juge national pouvait appliquer une règle nationale pour apprécier si un droit découlant d'une disposition communautaire est exercé d'une manière abusive. Partant du principe que, selon la jurisprudence constante de la Cour, les justiciables ne sauraient abusivement ou frauduleusement se prévaloir des normes communautaires, la Cour a ajouté que, «par conséquent, il ne saurait être considéré comme contraire à l'ordre juridique communautaire que les juridictions nationales appliquent une règle nationale, telle que l'article 281 du code civil grec, pour apprécier si un droit découlant d'une disposition communautaire est exercé d'une manière abusive» (12). La Cour rappelle ensuite que, comme elle l'avait déjà précisé dans l'arrêt Pafitis, «la mise en oeuvre d'une telle règle nationale ne peut pas porter atteinte au plein effet et à l'application uniforme des dispositions communautaires dans les États membres». En conséquence, «les juridictions nationales ne peuvent pas, dans l'appréciation de l'exercice d'un droit découlant d'une disposition communautaire, modifier la portée de cette disposition ni compromettre les objectifs qu'elle poursuit» (13).
21 Sur le fond, la Cour a précisé à cette occasion que, sous peine de porter atteinte à l'application uniforme du droit communautaire et à son plein effet, il ne saurait être imputé à un actionnaire se prévalant de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive un exercice abusif du droit découlant de cette disposition en raison du fait qu'il n'a pas fait usage de son droit préférentiel, prévu à l'article 29, paragraphe 1, de la deuxième directive, sur les nouvelles actions émises à l'occasion de l'augmentation de capital litigieuse (14). En effet, relève la Cour, «l'exercice du droit préférentiel aurait signifié que l'actionnaire entendait apporter sa collaboration à la mise en oeuvre de la décision d'augmenter le capital en dehors de l'approbation de l'assemblée générale, décision qu'il conteste précisément sur le fondement de l'article 25, paragraphe 1, de la deuxième directive. Par conséquent, demander à un actionnaire de participer à une augmentation de capital adoptée sans l'approbation de l'assemblée générale pour qu'il puisse invoquer cette disposition modifierait la portée de cette dernière» (15).
22 Ce dernier arrêt montre que la Cour a admis que le juge national applique une règle nationale pour déterminer si un droit conféré par une disposition communautaire serait exercé de manière abusive, à condition, néanmoins, que le recours à cette règle ne compromette pas le plein effet et l'application uniforme du droit communautaire et en particulier n'implique pas une modification de la disposition communautaire ni ne compromette les objectifs qu'elle poursuit.
Il s'agit donc, à bien regarder, d'une concession plus apparente que réelle faite aux ordres juridiques nationaux. Certes, la Cour a préféré admettre que cette appréciation soit effectuée par application d'une règle nationale plutôt que d'un principe général de droit communautaire; toutefois, elle s'est empressée de préciser les limites que le droit communautaire impose à l'application de cette règle nationale. Il en va de même, est-il besoin de l'ajouter, lorsque l'application de la règle nationale est susceptible, comme en l'espèce, de conforter une situation juridique contraire au droit communautaire.
23 Il semble dès lors clair que si, d'une part, la Cour a indiqué que la règle applicable aux fins de l'appréciation du comportement abusif était la règle nationale, elle a, d'autre part, énoncé des critères précis, qui renvoient, en dernière analyse, au principe de primauté du droit communautaire sur le droit interne, qui confine dans des limites bien définies l'application d'une règle nationale qui, loin de pouvoir être qualifiée de «procédurale», comporte une appréciation relative au champ d'application matériel de la disposition de droit communautaire visant l'octroi de certains droits. C'est que la Cour interdit expressément aux juridictions nationales d'appliquer la règle nationale en matière d'abus du droit dans tous les cas dans lesquels l'application de cette règle nationale entraînerait une modification de la portée de la disposition communautaire ou en compromettrait les objectifs.
24 La référence opérée par la Cour au système national doit dès lors bien être comprise comme l'indication d'un instrument, dont le juge national dispose de manière à garantir l'application correcte du droit communautaire et donc à empêcher que l'on invoque l'exercice d'un droit conféré par une disposition communautaire, lorsque la disposition invoquée est seulement «apparemment» celle qui régit le cas d'espèce ou quand la situation du titulaire du droit invoqué en justice est seulement «apparemment» conforme aux prescriptions de la disposition en question (16). En d'autres termes, il s'agit en l'occurrence d'une appréciation qui prend en compte aussi le champ d'application de la règle, ses limites intrinsèques. Dans cette perspective, la latitude laissée au juge national quant à l'application de la règle nationale qui sanctionne un usage abusif du droit revient à sanctionner le recours au droit communautaire lorsque ces limites ont été dépassées, soit précisément dans des situations qu'il ne visait pas.
25 Cela étant, on ne peut qu'en conclure que l'appréciation des limites intrinsèques d'une disposition communautaire qui engendre des droits constitue un acte d'interprétation du droit communautaire qui, en dernière analyse, relève de la compétence la Cour. Reportons-nous à l'arrêt Kefalas, précité: la Cour a entrepris de fournir au juge national les précisions nécessaires quant à l'objectif poursuivi par l'article 25, paragraphe 1, de la directive. Selon la Cour, cet objectif consiste à «garantir aux actionnaires qu'une décision d'augmenter le capital social et, par conséquent, d'affecter les proportions des parts des actionnaires, ne soit prise sans leur participation à l'exercice du pouvoir décisionnel de la société» (17). Si le juge national est en mesure de vérifier que les destinataires du droit attribué par la disposition communautaire - en l'occurrence, les actionnaires, titulaires du droit que la décision d'augmenter le capital social ne soit pas prise sans leur participation - ont intenté l'action en annulation de l'augmentation du capital à la seule fin d'obtenir, au détriment de la société, des avantages illicites et manifestement étrangers à l'objectif de l'article 25, paragraphe 1, de la directive, il pourra invoquer la règle nationale sur l'abus du droit pour rejeter cette action.
26 Après avoir ainsi précisé la portée à conférer, à notre avis, à la référence à la règle nationale relative à l'abus du droit, telle que la Cour l'a formulée, et abordant donc la situation concrète sur laquelle porte le litige au principal, il conviendra de prime abord de relever la pertinence des considérations formulées par la Cour dans l'arrêt Kefalas aux fins de la réponse aux questions que nous examinons en l'occurrence: en effet, le situation prise en considération dans l'arrêt Kefalas coïncide en partie avec celle dont a à connaître le juge a quo. Le juge national estime aussi, en l'occurrence, qu'il y a matière à exercice abusif du droit de s'opposer à des modifications du capital social arrêtées par la voie administrative parce que l'actionnaire demandeur au principal n'aurait pas exercé le droit préférentiel dont il jouissait en vertu de la première augmentation de capital. Nous avons précédemment indiqué, comme la Cour l'a précisé dans l'arrêt Kefalas (18), que considérer comme abusif l'exercice du droit pour un tel motif entraînerait une modification de la disposition communautaire, en ce qu'elle reviendrait, paradoxalement, à exiger d'un actionnaire qu'il participe à une augmentation de capital arrêtée sans l'approbation de l'assemblée générale pour pouvoir ensuite contester cette augmentation en justice parce qu'elle aurait été effectuée en violation de l'article 25, paragraphe 1, de la directive. Il en va de même de l'observation du juge de renvoi, qui relève que c'est grâce à l'intervention publique que la société aurait été assainie, à la satisfaction des créanciers et des actionnaires eux-mêmes. La Cour a itérativement affirmé que la compétence décisionnelle de l'assemblée générale s'applique même dans le cas où la société connaît des difficultés financières graves (19). Comme, par ailleurs, il est évident que l'augmentation de capital a pour but, par définition, d'améliorer la situation patrimoniale de la société, considérer comme abusif, pour ce dernier motif, un recours fondé sur l'article 25, paragraphe 1, de la directive reviendrait à pénaliser le simple exercice du droit attribué par la disposition communautaire, et à donc en modifier la portée.
27 Il nous reste dès lors à examiner une autre circonstance qui, de l'avis du juge de renvoi, permettrait de qualifier d'«abusif», en l'espèce, l'exercice de l'action par le demandeur. Il s'agit du fait que le demandeur, en compagnie trente-deux actionnaires qui constituaient la majorité de la société, avait lui-même demandé que cette dernière soit soumise au régime spéciale prévu par la loi no 1386/1983. Nombre d'années après l'augmentation de capital litigieuse, l'exercice du droit par l'actionnaire et la remise en cause de situations juridiques désormais acquises, et - nous le supposons - devenues irrévocables pour le droit hellénique, constituerait, d'après le juge a quo, un dépassement des limites imposées par la bonne foi, la morale et l'objectif socio-économique du droit en question.
28 Disons tout de suite que nous ne partageons pas cette conclusion. Admettre le point de vue suggéré par le juge hellénique reviendrait en réalité à interpréter l'article 25, paragraphe 1, de la directive de manière à exclure de son champ d'application les actionnaires qui, pour ainsi dire, auraient acquiescé à la violation de leur droit de décider du sort du capital social, confiant la gestion de la société à un organisme distinct de l'assemblée générale. En d'autres termes, cela reviendrait à sanctionner, par la voie du prétendu principe général de l'abus de droit, le comportement contradictoire de l'actionnaire qui, dans un premier moment, aurait accepté de renoncer à l'exercice d'un droit, cependant garanti par des dispositions de droit communautaire, pour ensuite contester des décisions qui ne représentent que l'application concrète du régime, pourtant contraire à la directive, que lui-même avait invoqué.
29 Nous n'estimons pas, toutefois, devoir nécessairement attribuer au comportement de l'actionnaire la signification que le juge national - et avec lui le gouvernement hellénique - souhaitent lui attribuer. Demander l'application de la loi n'implique pas nécessairement, pour l'actionnaire, admettre que le pouvoir de prendre des décisions en matière d'augmentation de capital soit transféré à un organisme extérieur à l'assemblée générale. L'assujettissement de la société au régime prévu par la loi hellénique offre en effet un large éventail de solutions, quant au sort de la société, et il serait dès lors exagéré d'attribuer une signification particulière au comportement de l'actionnaire. Et ce d'autant plus, ainsi que le juge national lui-même le relève, que l'actionnaire demandeur au principal n'a jamais souhaité une augmentation de capital, raison pour laquelle il n'a pas exercé le droit préférentiel dont il bénéficiait cependant. L'on peut donc supposer que, en souscrivant à la demande d'assujettissement de la société à la loi spéciale, l'actionnaire visait en réalité un objectif qui ne résidait pas dans la liquidation de la société avec les bénéfices que cette liquidation lui apportait. Une telle solution s'avère tout à fait plausible dès lors que, au moment où la demande a été introduite, la situation financière de la société était compromise au point d'inciter la commission consultative prévue par la loi elle-même à procéder à sa liquidation, avec les avantages, du point de vue du paiement des dettes, indiqués aux articles 7 et 9 de la loi.
30 Enfin, certes, en raison de l'introduction de la demande d'assujettissement de la société au régime prévu par la loi, les actionnaires ne pouvaient pas automatiquement exclure que l'accueil de la demande pouvait entraîner l'attribution à un organisme extérieur du pouvoir de décider des modifications du capital social. Nous considérons pourtant que le lien entre la volonté des actionnaires et les décisions des organes administratifs est trop vague et indirect pour pouvoir soutenir que, en introduisant l'action en annulation des délibérations intervenues en violation de la directive, les actionnaires auraient cherché à obtenir, au détriment de la société, des avantages illicites et manifestement étrangers à l'objectif de la disposition communautaire.
31 Mais il y a plus. Nous rappellerons que l'argument principal - devenu en réalité, au regard de l'arrêt Kefalas, le seul - que les défenderesses au principal avancent pour qualifier d'«abusif» l'exercice du droit par l'actionnaire est lié au retard que celui-ci aurait mis à entamer l'action judiciaire aux fins d'obtenir que soient invalidées les délibérations de l'assemblée générale intervenues en violation de la directive. En d'autres termes, l'actionnaire aurait outrepassé les limites imposées par la bonne foi, par la morale et par les finalités socio-économiques du droit en question au motif qu'il aurait exercé son droit des années après les opérations visées, alors que dans un premier moment, en demandant l'instauration du régime prévu par la loi spéciale, il aurait tacitement et a priori acquiescé à la violation de son droit. En fin de compte, cette attitude démontrerait, dans la logique de cet argument, que l'objectif réel poursuivi par l'actionnaire, en introduisant l'action devant le juge national, aurait été d'obtenir des avantages illicites, par ailleurs sans autre précision de la part des défenderesses au principal ou du juge de renvoi, au détriment de la société.
32 Un tel argument ne saurait être accueilli. Pour étayer notre point de vue, il nous suffit de dûment prendre en compte que le droit que, lui reproche-t-on, l'actionnaire aurait exercé «trop tard», est une situation juridique attribuée en vertu d'une directive communautaire qui n'a pas été mise en oeuvre, dans les délais, par l'État hellénique. En effet, la directive dont la violation est en cause aurait dû être mise en oeuvre en Grèce pour la date indiquée dans l'acte d'adhésion (soit le 1er janvier 1981). Ainsi que nous le savons, tel n'a pas été le cas; en revanche, deux ans après la date présentement indiquée par l'État membre, celui-ci a adopté une législation interne qui prévoit un régime d'augmentation du capital des société qui s'oppose directement à l'article 25 de la directive.
33 Face à une telle situation de manquement patent et continu aux obligations communautaires par ledit État membre, nous considérons qu'il n'est possible de tirer aucune conséquence négative pour un particulier, du défaut d'exercice en temps voulu (20) d'un droit, octroyé par une directive qui n'a pas été mise en oeuvre, ou de comportements apparemment contradictoires ou négligents eu égard aux possibilité offertes par la directive. Il semble en revanche tout à fait justifié de considérer que le particulier n'était pas à même de connaître son droit avant que la directive n'ait été mise en oeuvre dans l'ordre juridique national. La directive constitue, faut-il le rappeler, un acte dont les États membres sont destinataires; jusqu'aux modifications apportées par le traité de Maastricht, toutes les directives entraient en vigueur exclusivement après notification aux États destinataires. En outre, la directive en cause a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes, série L, dans la parte relative aux actes dont la publication n'est pas une condition de leur applicabilité; la publication, effectuée à des seules fins d'information, ne pouvait dès lors, à notre avis, impliquer aucune présomption erga omnes de connaissance qui puisse être opposée aux administrés.
34 Nous rappellerons ensuite que l'article 189 du traité CE (devenu l'article 249 CE), en combinaison avec le principe général de bonne foi visé à l'article 5 du traité CE (devenu l'article 10 CE) et avec la clause générale insérée dans le texte des directives (21), impose aux États membres d'adopter les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer au texte de la directive et d'abroger, dans leur ordre juridique, les dispositions qui n'y seraient pas conformes. Si tel n'est pas le cas, comme en l'espèce, l'État membre se trouve en situation de manquement et n'est pas fondé à reprocher à un particulier, titulaire de droits découlant de la directive, de ne pas avoir réagi en temps voulu à la violation de ces mêmes droits. Il en va de même s'agissant du prétendu acquiescement préalable à la violation de la directive, qui serait inhérent à la demande d'assujettissement de la société au régime de la loi sur l'assainissement des entreprises. En effet, il n'est pas possible d'exclure que le comportement du particulier ait été dicté par l'idée que le régime spécial prévu par la loi ne présentait aucune incompatibilité avec le droit communautaire. Cette conviction, certes erronée, avait été provoquée exclusivement par le comportement illicite de l'État hellénique qui, au moment de la demande, n'avait pas encore procédé à la mise en oeuvre de la directive et donc n'avait pas mis les administrés dans les conditions qui leur auraient permis de connaître pleinement les droits qui leur avaient été attribués par cette directive.
35 Dans ces conditions, nous considérons qu'il serait erroné de prétendre imposer au particulier une obligation de connaître son droit sous peine de voir qualifier d'«abusif» l'exercice du droit fondé sur la directive non transposée, dans tous les cas dans lesquels son comportement aurait été un tant soit peu incohérent par rapport aux prescriptions de cette même directive. Adopter un point de vue différent reviendrait à conférer à l'État, responsable du manquement et donc responsable direct des difficultés, pour le particulier, de connaître le droit, la possibilité de tirer profit de son manquement en invoquant la règle de l'abus de droit pour ainsi faire rejeter l'action introduite par l'actionnaire. Une telle solution imposerait au particulier de procéder à une recherche, aux résultats plus qu'incertains, pour déterminer si les dispositions de la directive concernée, non transposée, correspondent aux exigences de clarté et de précision nécessaires pour pouvoir être invoquées en justice à l'encontre de l'État responsable du manquement.
36 Les circonstances qui ont donné naissance au présent litige confirment la conclusion à laquelle nous venons d'aboutir. Il ressort de l'ordonnance de renvoi et des observations présentées par les parties que le demandeur au principal a introduit son recours en février 1991, soit un certain nombre d'années après l'adoption des actes en cause (en ne dépassant pas, toutefois, les délais de forclusion et de prescription), mais immédiatement après la lecture, devant la Cour, des conclusions de l'avocat général dans l'affaire Karella et Karellas (22). La défense du requérant a en effet précisé, à l'audience devant la Cour, que ce n'est que la lecture de ces conclusions, qui ont été suivies par la Cour, qui a permis de définitivement faire la lumière, en Grèce, sur la situation juridique des actionnaires, sur l'effet direct de la directive et, partant, sur la possibilité de faire valoir en justice le droit qui leur est accordé au titre de cette dernière, mise en oeuvre depuis peu de temps dans l'ordre juridique interne, par des dispositions dénuées d'effet rétroactif. Ce n'est donc qu'à partir de ce moment-là que l'actionnaire est parvenu à prendre connaissance de son droit de s'opposer à une augmentation de capital de sa société effectuée par voie administrative. En effet, avant cette date, l'administration et les juridictions avaient l'habitude de considérer que l'application d'une disposition interne qui autorisait ce type d'augmentation du capital social était licite. Vouloir qualifier d'abusif l'exercice d'une action fondée sur la directive pour le seul fait que, avant l'intervention de l'État membre visant sa mise en oeuvre et donc dans une situation de manquement de ce dernier, le particulier aurait adopté un comportement tout à fait légitime au regard de la loi interne, mais non compatible avec la directive, équivaudrait à imposer au particulier l'obligation d'avoir connaissance des droits conférés par une directive communautaire, car le défaut d'exercice de ces droits ou un comportement incompatible entraînerait des conséquences négatives à son égard. Cela reviendrait dès lors à affaiblir, en premier lieu, le principe selon lequel l'effet direct «vertical» des directives est un moyen mis à disposition des particuliers pour leur permettre de réagir aux violations du droit communautaire commises par un État membre et, en deuxième lieu, l'effet de dissuasion de ce moyen sur les violations de l'obligation de mettre en oeuvre correctement les directives dans les délais fixés. En revanche, pensons-nous, l'ignorance, par le particulier, du droit conféré par une directive qui n'a pas été mise en oeuvre doit être considérée comme tout à fait irrépréhensible en ce qu'elle est simplement la conséquence inévitable du comportement - lui, répréhensible -- de l'État membre coupable du manquement. En d'autres termes, au regard des circonstances de la publication, le fait que les États membres soient les destinataires de la directive, l'obligation, qui leur incombe, de la mettre en oeuvre dans les ordres juridiques nationaux, l'exigence d'application uniforme et intégrale des directives dans les États membres et, en dernière analyse, l'application du principe général de bonne foi visé à l'article 5 du traité CE, ne permettent pas de retenir, dans l'état actuel du droit communautaire, une présomption de connaissance des droits attribués par une directive qui n'a pas été mise en oeuvre. Partant, le comportement d'un particulier, fût-il en apparence incohérent tel qu'en l'espèce -- ne saurait en aucun cas être sanctionné en invoquant l'application du principe général interdisant l'abus de droit (23).
37 Nous estimons donc pouvoir répondre à la première question posée par le juge de renvoi en ce sens que le plein effet et l'application uniforme de l'article 25 de la deuxième directive du Conseil, du 13 décembre 1976, 77/91/CEE, seraient compromis par la latitude laissée au juge national de qualifier d'abusif l'exercice du droit par un actionnaire en raison du fait qu'il n'a pas exercé le droit préférentiel sur les actions émises par suite d'une augmentation de capital effectuée selon des modalités incompatibles avec l'article 25 de la directive, ou qu'il a demandé que la société concernée soit soumise à l'application d'une loi interne incompatible avec la directive à un moment où, par suite du manquement de l'État membre qui invoque l'exercice abusif du droit, l'actionnaire pouvait légitimement ne pas avoir connaissance du droit qui lui avait été octroyé par la directive qui n'avait pas été mise en oeuvre.
38 Par le deuxième question le juge national souhaite connaître les conséquences sur la validité des décisions ministérielles de variation du capital social que peut entraîner une décision déclarant fondée l'exception tirée de l'abus du droit. En raison de la réponse apportée à la première question, nous considérons qu'il n'est pas nécessaire d'examiner la deuxième. En revanche, si la Cour considère que les circonstances de fait mentionnées par le juge national justifient l'application de l'exception tirée l'abus du droit, faute d'autres précisions émanant du juge national, nous considérons que la Cour devrait se contenter de répondre qu'il appartient à ce dernier de décider si, nonobstant le rejet de l'action de l'actionnaire, les délibérations de l'assemblée relatives aux modification du capital, prises en violation de la directive, restent en vigueur ou devraient au contraire demeurer sans effet pour cause d'incompatibilité avec le droit communautaire.Conclusions39 Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par le Polymeles Protodikeio Athinon:«Il convient d'interpréter l'article 25 de la deuxième directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l'article 58 deuxième alinéa du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital, en ce sens qu'une juridiction nationale ne saurait qualifier d'abusif le comportement d'un actionnaire demandant que soit déclarée illicite une augmentation de capital opérée selon des modalités interdites par la directive, au motif que ledit actionnaire n'a pas exercé le droit préférentiel sur les actions émises par suite de l'augmentation de capital, ou au motif que la société dont il est l'actionnaire est soumise à l'application d'une loi interne incompatible avec la directive, à un moment où, en raison du manquement de l'État membre qui fait valoir le caractère abusif de l'exercice du droit, il n'apparaît pas avec certitude que l'actionnaire avait connaissance du droit qui lui avait été octroyé par la directive qui n'a pas été mise en oeuvre».
(1) - JO L 1977, L 26.
(2) - Voir les arrêts arrêt de la Cour du 30 mai 1991, Karella et Karellas, C-19/90, C-20/90, Rec. p. I-2691; du 24 mars 1992, Syndesmos Melon tir Eleftheras Evangelikis Ekklisias e a., C-381/89, Rec. p. I-2111; du 12 novembre 1992, Kerafina-Karamische- und Finanz-Holding e Vioktimatiki, C-134/91 et C-135/91, Rec. p. I-5699; du 12 mars 1996, Pafitis e.a. (C-441/93, Rems. p. I-1347), et du 12 mai 1998, Kefalas e.a., C-367/96, Rec. p. I-2843.
(3) - Arrêt Kefalas, point 28.
(4) - Journal officiel du gouvernement de la République hellénique,du 8 août 1983, n_ 107/A, p. 14.
(5) - Journal officiel du gouvernement de la République hellénique du 6 août 1984, A, 112, p. 1273.
(6) - JO L 76, p. 18.
(7) - Journal officiel du gouvernement de la République hellénique. no 43/A, du 23 mars 1990.
(8) - Journal officiel du gouvernement de la République hellénique, no B 60 du 8 février 1984.
(9) - Arrêt Karella, point 23; arrêt Syndesmos Melon tis Eleftheras Evangelikis Ekklisias, précité, point 43; arrêt Kerafina, point 18.
(10) - Arrêt Karella, point 26; arrêt Syndesmos Melon tis Eleftheras Evangelikis Ekklisias, point 33; arrêt Kerafina, point 18.
(11) - Voir les conclusions de l'avocat général M. Tesauro sous l'arrêt Pafitis, point 13.
(12) - Arrêt Kefalas, point 21.
(13) - Arrêt Kefalas, point 22.
(14) - Arrêt Kefalas, point 26.
(15) - Arrêt Kefalas, point 27.
(16) - Voir les conclusions de l'avocat général M. Tesauro sous l'arrêt Kefalas, points 24 à 27, et les arrêts de la Cour cités dans ces conclusions.
(17) - Arrêt précité, point 28.
(18) - Précité, points 26 et 27.
(19) - Voir, en dernier lieu l'arrêt Kefalas, précité, point 24.
(20) - Il n'est pas inutile de préciser qu'il apparaît que le recours de l'actionnaire a été formé en temps utile au regard de l'échéance du délai de prescription.
(21) - L'article 43 de la directive impose aux États membres de procéder à sa mise en oeuvre dans un délai de deux ans à compter de sa notification. Comme nous l'avons précédemment rappelé, pour la Grèce, conformément à l'article 143 de l'acte d'adhésion, ce délai expire le 1er janvier 1981.
(22) - Conclusions présentées le 16 janvier 1992 (Rec. p. I-2126). A cette occasion, l'avocat général M. Tesauro a, pour la première fois, proposé à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Conseil d'État hellénique en ce sens que: 1) les dispositions de l'article 25 de la directive sont exemptes de conditions et suffisamment précises de sorte que le particulier peut les invoquer devant une juridiction nationale à l'encontre de l'administration, en faisant valoir qu'elles sont incompatibles avec la réglementation contenue dans une disposition de loi, et 2) que ces mêmes dispositions doivent être interprétées en ce sens qu'elles font obstacle à l'application d'une réglementation qui, visant à réglementer la gestion de certaines entreprises en crise, tout en conservant aux anciens actionnaires un droit préférentiel, permet de décider l'augmentation du capital social par un acte administratif et sans une délibération de l'assemblée.
(23) - Ou, pourrions-nous ajouter, par application des délais de prescription et de forclusion opposés à une action fondée sur un droit attribué par une directive qui n'a pas été mise en oeuvre, sous peine de permettre à l'État membre coupable de manquement de tirer avantage de l'inexécution de ses obligations. C'est la raison pour laquelle nous pouvons partager le point de vue adopté par la Cour dans l'arrêt de la Cour du 25 juillet 1991, Emmott, C-208/90, Rec. p. I-4269, selon lequel «jusqu'au moment de la transposition correcte de la directive, l'État membre défaillant ne peut pas exciper de la tardiveté d'une action judiciaire introduite à son encontre par un particulier en vue de la protection des droits que lui reconnaissent les dispositions de cette directive et qu'un délai de recours de droit national ne peut commencer à courir qu'à partir de ce moment» (point 23), et nous nourrissons quelque doute à propos de la solution adoptée dans les arrêts ultérieurs, qui conduirait à réduire le champ d'application du principe énoncé préalablement aux seuls cas dans lesquels la forclusion aboutit à priver totalement la requérante au principal de la possibilité de faire valoir son droit devant la juridiction nationale (voir, pour tous ces arrêts, l'arrêt de la Cour du 15 septembre 1998, Spac, C-260/96, Rec. p. I-4997).