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Document 61997CC0350

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 17 décembre 1998.
Wilfried Monsees contre Unabhängiger Verwaltungssenat für Kärnten.
Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgerichtshof - Autriche.
Articles 30, 34 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE à 30 CE) - Libre circulation des marchandises - Interdiction des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent - Dérogations - Protection de la santé et de la vie des animaux - Transports internationaux d'animaux vivants destinés à l'abattage.
Affaire C-350/97.

Recueil de jurisprudence 1999 I-02921

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1998:624

61997C0350

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 17 décembre 1998. - Wilfried Monsees contre Unabhängiger Verwaltungssenat für Kärnten. - Demande de décision préjudicielle: Verwaltungsgerichtshof - Autriche. - Articles 30, 34 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE à 30 CE) - Libre circulation des marchandises - Interdiction des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent - Dérogations - Protection de la santé et de la vie des animaux - Transports internationaux d'animaux vivants destinés à l'abattage. - Affaire C-350/97.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-02921


Conclusions de l'avocat général


1 Saisi d'une infraction à la législation autrichienne relative au transport par route d'animaux, le Verwaltungsgerichtshof (Autriche) vous invite à apprécier si les dispositions communautaires de droit primaire relatives au principe de la libre circulation des marchandises (1) et de droit dérivé portant sur la protection des animaux en cours de transport (2) s'opposent à l'imposition, au niveau national, d'une limite temporelle - en termes de durée de parcours - et de limites géographiques - à l'intérieur du territoire national et pour une distance maximale - des transports d'animaux destinés à l'abattage.

Législation nationale

2 L'article 5, paragraphes 1 et 2, du Tiertransportgesetz-Straße (loi sur le transport d'animaux par route, ci-après le «TGSt») (3) oblige en effet à ne poursuivre un tel transport que jusqu'à l'abattoir approprié le plus proche à l'intérieur des frontières du pays, la durée totale du parcours ne devant pas excéder 6 heures et la distance totale, sur l'itinéraire le plus court, ne pouvant dépasser 130 km, sauf dérogation spéciale.

3 Cette disposition se lit comme suit:

«Le transport d'animaux par route doit être effectué sur l'itinéraire le plus court, habituellement emprunté pour la circulation, acceptable sur le plan vétérinaire et autorisé par les dispositions relevant de la circulation routière et de la police de la route. Le chauffeur doit conduire avec précaution et ménagement, de façon à éviter en particulier toute blessure aux animaux transportés. Il doit être procédé au chargement et au déchargement avec précaution et ménagement; il convient d'éviter toute blessure aux animaux.

Le transport d'animaux destinés à l'abattage doit s'arrêter à l'abattoir approprié le plus proche dans les limites du territoire national; il peut être procédé au transport d'animaux destinés à l'abattage en tout état de cause dès lors que, en respectant les dispositions relevant de la circulation routière et de la police de la route, la durée totale du transport n'excède pas 6 heures et la distance parcourue reste inférieure à 130 kilomètres. Le kilométrage effectivement parcouru sur autoroute n'est pris en compte que pour moitié aux fins du calcul de la distance parcourue.»

4 En application de l'article 16, paragraphes 3 et 4, de cette même loi:

«(3) Toute personne...

(4) Qui effectue ou fait effectuer un transport d'animaux en violation des dispositions de l'article 5, paragraphes 1 ou 2, commet une infraction et est passible d'une amende administrative de 10 000 à 50 000 schillings.»

Cadre factuel et procédural

5 M. Monsees, le prévenu au principal, est poursuivi pour avoir enfreint cette législation. Parti à 11 heures le 23 août 1995 de Breitenwisch, en Allemagne, lieu de chargement de 31 bovins destinés à être acheminés jusqu'à Istanbul, en Turquie, le camionneur a poursuivi sa route à bord de son poids lourd jusqu'au 24 août 1995, à 10 h 15, moment auquel le bureau frontière autrichien d'Arnoldstein a procédé à un contrôle. Il a alors été constaté que le transport de ces animaux destinés à l'abattage n'avait pas été stoppé à l'abattoir approprié le plus proche sur le territoire autrichien, que la durée totale du transport avait été de 23 heures et 15 minutes, sans interruption (4), et que la distance parcourue avait été en tout état de cause supérieure à 300 km, sans qu'une autorisation de dépassement de la durée et de la longueur du trajet ait pu être présentée conformément au TGSt.

6 Par une décision administrative à caractère pénal («Straferkenntnis») du Bezirkshauptmannschaft Villach (autorité administrative de première instance) du 9 janvier 1996, M. Monsees a été condamné à une amende, assortie d'une contrainte par corps. L'appel formé contre cette décision ayant été rejeté le 26 juin 1996 par le Unabhängiger Verwaltungssenat Kärnten (chambre administrative indépendante du ressort de la province de Kärnten), M. Monsees s'est porté devant le Verwaltungsgerichtshof.

7 Il fait valoir, en substance, que le caractère international du transport litigieux empêche de faire application de la législation autrichienne, sauf à admettre que «tout transport international de bétail en provenance d'Allemagne et à destination de l'Est s'achevât à l'abattoir le plus proche de Salzbourg» (5).

8 Tout en relevant qu'une telle limitation aux échanges est effectivement en principe interdite, la juridiction saisie note que la protection de la santé et de la vie des animaux est susceptible de justifier, au titre de l'article 36 du traité, une telle limitation, à moins que les dispositions litigieuses ne soient contraires au principe de proportionnalité. Or, à cet égard, la juridiction de renvoi émet certaines réserves, dès lors que des moyens plus souples, tels que des périodes de repos plus fréquentes, ou l'obligation de nourrir et d'abreuver les animaux à intervalles réguliers, auraient suffi à assurer la protection recherchée.

9 Pour ce qui est des dispositions de droit dérivé par ailleurs invoquées, elle juge en revanche inapplicable en l'espèce la directive 95/29, à défaut d'expiration de son délai de transposition à la date des faits (6). Elle estime que seule la directive 91/628 serait, le cas échéant, pertinente, mais note qu'aucune restriction au transport d'animaux n'est prévue au titre de ce texte.

10 Le Verwaltungsgerichtshof a dès lors sursis à statuer jusqu'à ce que votre Cour se soit prononcée sur la question suivante:

«Les articles 30 à 36 du traité CE (dispositions relatives à la libre circulation des marchandises) ainsi que les autres dispositions du droit communautaire en vigueur doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'un État membre restreigne le transport d'animaux vivants destinés à l'abattage, de telle sorte que ce type de transport ne peut être effectué que jusqu'à l'abattoir approprié le plus proche à l'intérieur du territoire national, et qu'un tel transport ne peut être effectué en tout état de cause que lorsque, en respectant les dispositions relatives à la circulation routière et à la police de la route, la durée totale du transport ne dépasse pas 6 heures et la distance parcourue n'excède pas 130 kilomètres, le kilométrage effectivement parcouru sur autoroute n'étant compté que pour moitié aux fins du calcul de la distance?»

Dispositions communautaires pertinentes

11 Trois types de réglementations sont susceptibles de présenter un intérêt dans les circonstances de l'espèce.

Les articles 30 et suivants du traité

12 La juridiction de renvoi fait tout d'abord une référence explicite dans sa question à l'article 30 du traité, qui prohibe tant les restrictions quantitatives à l'importation que les autres mesures d'effet équivalent, «... susceptible[s] d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire» (7).

13 Par dérogation à ce texte, seules certaines mesures contraires au principe de la libre circulation des marchandises peuvent néanmoins être justifiées, soit par référence à l'article 36, soit - pour les mesures indistinctement applicables, comme en l'espèce - en tant qu'exigences impératives de la législation nationale, poursuivant un «... but d'intérêt général de nature à primer les exigences de la libre circulation des marchandises...» (8). Pourrait constituer une telle exigence impérative, selon le juge de renvoi, le double objectif légitime de protéger la santé des animaux et d'assurer la sécurité des usagers de la route (9), si les mesures nationales adoptées pour la poursuite de cette exigence impérative étaient proportionnées à l'objectif poursuivi, ce dont il doute (10). Au titre de l'article 36, sont notamment visées les «... interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons ... de protection de la santé et de la vie ... des animaux...».

14 Le prévenu au principal a en outre fait état de textes de droit dérivé relatifs à la protection des animaux en cours de transport.

La directive 91/628

15 La directive 91/628 a tout d'abord été mentionnée. Ses considérants se réfèrent à l'objectif de protection et de soins portés aux animaux en cours de transport sur de longues distances. Si ce texte ne prescrit en lui-même aucune limitation, en termes de durée en particulier, des transports par route des animaux vivants (seule est prévue la périodicité des intervalles pour nourrir et abreuver les bêtes (11)), il prévoit en revanche, en son article 13, paragraphe 1, que:

«La Commission soumet, avant le 1er juillet 1992, un rapport élaboré sur la base d'un avis du comité scientifique vétérinaire, assorti d'éventuelles propositions, sur:

- la question de la fixation d'une durée maximale de transport pour certains types d'animaux,

- les intervalles prévus [aux fins d'alimenter et d'abreuver les animaux]...

- la durée de repos [pour les voyages dépassant vingt-quatre heures, à partir du lieu de départ et compte tenu du lieu de destination, le long de l'itinéraire prévu]...

...»

La directive 95/29

16 C'est sur le fondement de cette dernière disposition qu'a été adoptée la directive 95/29, modifiant la directive 91/628, également invoquée au cours de la procédure nationale.

17 A cet égard, il peut être relevé que cette directive tend précisément à prévenir les mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives à l'importation que les États membres pourraient être tentés d'adopter sous couvert de soins particuliers portés aux animaux vivants durant le transport. Cela ressort en particulier de son troisième considérant:

«considérant que des États membres ont réglementé les durées de transport, les intervalles auxquels les animaux doivent être nourris et abreuvés, les périodes de repos et l'espace disponible; que ces règles sont, dans certains cas, très détaillées et sont invoquées par certains États membres pour restreindre les échanges intracommunautaires d'animaux vivants; que les personnes chargées du transport des animaux doivent disposer de critères clairement définis qui leur permettent d'agir à l'échelon communautaire sans se trouver en conflit avec différentes dispositions nationales».

18 Afin d'atteindre cet objectif, «... tout en assurant un niveau satisfaisant de protection des animaux concernés», la directive 95/29 prévoit «... d'harmoniser les durées de déplacement, les intervalles auxquels les animaux doivent être nourris et abreuvés, les périodes de repos et l'espace disponible en ce qui concerne certains types d'animaux» (12).

19 C'est pourquoi est inséré un nouveau point a bis) à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 91/628, dont le second tiret oblige les États membres à veiller à ce que les durées de déplacement et de repos ainsi que les intervalles d'alimentation et d'abreuvement pour certains types d'animaux soient conformes à ceux fixés au chapitre VII de l'annexe de la directive 95/29 (13).

20 Le chapitre en question fixe notamment, en ses points 1 et 2, la durée maximale de voyage par route autorisée pour des animaux de l'espèce bovine comme ne pouvant dépasser 8 heures.

Le point 3 autorise toutefois une prolongation de cette durée si le véhicule servant au transport remplit certaines conditions supplémentaires (14). Dans ce cas, en application du point 4, sous d), les intervalles d'abreuvement et d'alimentation, de même que les durées de voyage et de repos, sont prolongés. Ainsi les bovins doivent-ils bénéficier alors, «... après 14 heures de transport, d'un temps de repos suffisant, d'au moins 1 heure, notamment pour être abreuvés et si nécessaire alimentés. Après ce temps de repos, le transport peut reprendre pour une période de 14 heures.» Il est à noter que ces durées de voyage peuvent encore être prolongées de deux heures, en vertu du point 8, dans l'intérêt des animaux, compte tenu en particulier de la proximité du lieu de destination.

Enfin les États membres sont-ils autorisés, en application du point 9, à aménager un régime spécial pour les transports d'animaux destinés à l'abattage se déroulant entièrement sur leur territoire, pour lequel les dispositions dérogatoires ne peuvent trouver à s'appliquer. Une durée de transport maximale de 8 heures non reconductible peut ainsi être prévue pour les transports d'animaux destinés à l'abattage effectués exclusivement à partir d'un point de départ jusqu'à un point de destination situés sur leur propre territoire, «et ce dans le respect des dispositions générales du traité», comme le précise le cinquième considérant de la directive 95/29.

21 Ainsi que le note le juge de renvoi, cette directive est néanmoins inapplicable en principe ratione temporis aux faits de l'espèce, son délai de transposition n'étant pas expiré à la date des faits au principal. Cependant, comme le souligne justement la Commission, elle était déjà entrée en vigueur à l'époque des faits et «son contenu peut donc être pris en considération lors de l'appréciation juridique» (15).

La convention européenne sur la protection des animaux en transport international

22 Il convient enfin de mentionner la convention européenne sur la protection des animaux en transport international (16), à laquelle il est fait référence au troisième considérant de la directive 91/628. Cette convention, adoptée dans le cadre du Conseil de l'Europe le 13 décembre 1968, contient des prescriptions - en particulier en son article 6, point 4 - analogues à celles prévues au chapitre I, partie A, point 2, sous d), de l'annexe de la directive 95/29 relativement aux intervalles d'abreuvement et d'alimentation des bovins en cours de transport.

23 Si elle ne fixe pas de durées impératives de transport, la convention prévoit néanmoins, au titre de son article 14, que: «Les animaux doivent être acheminés aussi rapidement que possible, et les délais, en particulier ceux de correspondance, doivent être réduits au minimum».

Prise de position

24 Il ne fait guère de doute que la législation nationale, en ce qu'elle prescrit obligatoirement, en particulier, l'arrêt de tout transport international d'animaux destinés à l'abattage sur son territoire national à l'abattoir le plus proche afin qu'il soit procédé à la mise à mort des animaux, constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation. Cela n'est d'ailleurs en réalité contesté par aucune des parties intervenues à la procédure (17). Il peut être en outre relevé, avec le prévenu au principal (18), que la législation litigieuse n'empêche en réalité pas seulement les importations, mais également les exportations, c'est-à-dire en l'espèce tout transport international en provenance d'Autriche, et tout transit même par l'Autriche. C'est donc en violation tant de l'article 30 que de l'article 34 du traité que les dispositions nationales imposent l'arrêt de tout transport de ce type à l'abattoir le plus proche à l'intérieur du territoire national.

25 Vous avez néanmoins rappelé, notamment dans votre arrêt Hedley Lomas, que: «le recours à l'article 36 du traité permet de maintenir des restrictions à la libre circulation des marchandises justifiées par des raisons de protection de la santé et de la vie des animaux, laquelle constitue une exigence fondamentale reconnue par le droit communautaire» (19).

26 Une justification au titre de l'article 36 n'est cependant pas susceptible d'être accueillie si «des directives communautaires prévoient l'harmonisation des mesures nécessaires à la réalisation de l'objectif spécifique que poursuivrait le recours à l'article 36» (20). Dans un tel cas, en effet, les contrôles appropriés doivent être effectués et les mesures de protection prises dans le cadre tracé par la directive d'harmonisation.

27 Reste alors à vérifier, dans le cas qui nous occupe, si les dispositions de droit dérivé invoquées prévoient l'harmonisation des mesures nécessaires à la protection de la santé des bovins destinés à l'abattage en cours de transport, objectif spécifique que poursuivrait l'article 36.

28 Tel n'est manifestement pas le cas de la directive 91/628, qui, nous l'avons vu, ne prescrit aucune mesure contraignante à l'égard des États membres. Le renvoi qu'elle opère par ailleurs, en son article 13, à l'adoption ultérieure d'une législation complémentaire, souligne qu'elle n'a pas vocation à constituer l'instrument d'harmonisation complet des réglementations nationales en la matière. L'article 13, paragraphe 4, précise d'ailleurs, s'il en était besoin, que: «Dans l'attente de la mise en oeuvre des dispositions visées aux paragraphes 1 et 2, les règles nationales de cette matière sont applicables dans le respect des dispositions générales du traité».

29 Pour ce qui est de la directive 95/29, s'il est vrai qu'elle harmonise en particulier la durée maximale des transports des bovins et les intervalles aux fins de les alimenter et de les abreuver, nous avons signalé que son délai de transposition n'était cependant pas expiré à la date des faits au principal. Or, vous considérez qu'une directive n'a pas pour effet d'éliminer la compétence que l'article 36 du traité reconnaît aux États membres, lorsque le délai qu'elle leur laisse pour adopter les dispositions nécessaires pour s'y conformer n'est pas écoulé (21). Jusqu'au terme du délai de transposition de cette directive, les États membres peuvent donc se fonder sur l'article 36 du traité pour justifier une action par des considérations tenant à la protection de la santé et de la vie des animaux.

30 Notons pourtant - à titre surabondant puisque tel n'est pas l'objet de votre saisine - que, même après l'expiration du délai de transposition de la directive 95/29, celle-ci ne saurait certainement pas être interprétée comme autorisant, pour les transports internationaux, qu'un État membre impose à peine de sanction un arrêt impératif à l'abattoir le plus proche à l'intérieur de ses frontières, comme le fait la législation litigieuse (22). Si cette prescription impérative est, il est vrai, prévue et autorisée au titre de cette directive, il s'agit là d'un régime spécial mis en place à l'égard des seuls transports nationaux d'animaux destinés à l'abattage, au départ et à destination de points situés à l'intérieur d'un même territoire national, en application du point 9 du chapitre VII de l'annexe. Pour ceux-là, seulement, une durée de transport maximale de 8 heures non reconductible peut être prévue par un État membre.

31 Aucune des dispositions de droit dérivé applicables en l'espèce n'harmonisant des mesures nécessaires à la réalisation de l'objectif spécifique que poursuivrait le recours à l'article 36, nous en revenons donc à l'examen d'une justification de la législation autrichienne - en principe contraire au principe de la libre circulation des marchandises -, au titre de cet article, au regard de la protection de la santé et de la vie des animaux.

32 Ce n'est qu'ensuite, le cas échéant, qu'il conviendra de rechercher si les mesures adoptées ne peuvent être justifiées par une exigence impérative. Rappelons en effet qu'une dérogation au titre de l'article 36 du traité est à prendre en considération avant celle d'une justification par une exigence impérative relevant de l'intérêt général (23).

33 Les mesures prises dans le cadre de l'article 36 du traité ne sont justifiées «qu'à la condition qu'il existe un rapport raisonnable entre les moyens mis en oeuvre et le but recherché et que la protection de la santé ne puisse pas être atteinte de manière aussi efficace par des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires» (24). En d'autres termes, les mesures nationales adoptées sur le fondement de l'article 36 du traité ne sont justifiées que si elles tiennent compte des exigences de la libre circulation des marchandises, telles qu'elles sont énoncées par le traité, et notamment par la dernière phrase de cet article (25).

34 L'objectif de protection des animaux destinés à l'abattage durant leur transport pouvait-il être réalisé par des mesures moins restrictives, et ce de manière tout aussi efficace?

35 Conformément à votre jurisprudence constante (26), il appartient à la partie qui invoque l'application de l'article 36 du traité de démontrer l'existence d'une menace pour la santé des animaux.

36 Nous ne doutons pas, ainsi que le souligne le gouvernement autrichien (27), que les dispositions litigieuses du TGSt sont susceptibles d'atteindre l'objectif de protection de la santé des animaux destinés à l'abattage en cours de transport. La limitation du temps de transport et de la distance parcourue participe évidemment de cet objectif, en réduisant notamment l'état de tension et d'épuisement susceptible de naître de tels transports.

37 Il ne nous paraît cependant pas moins évident que, pour atteindre cet objectif, les dispositions nationales ne procèdent pas à une mise en balance des intérêts adéquate. En effet, l'application de la législation autrichienne à des hypothèses de transport international aboutit à ce résultat aberrant d'empêcher en réalité tout transit par l'Autriche, sauf à en faire le lieu de destination finale. Tout transport d'animaux destinés à l'abattage, qu'il s'effectue au départ de l'Autriche et à destination d'un autre État membre ou qu'il passe simplement sur le territoire autrichien au titre d'un simple transit de transport international en provenance et à destination d'autres États membres, est en réalité rendu impossible par l'imposition d'un arrêt à l'abattage le plus proche à l'intérieur des frontières autrichiennes. Même les importations d'animaux destinés à l'abattage en Autriche sont entravées substantiellement, puisque le lieu de destination finale ne peut être librement choisi. Dès lors, tout transport international d'animaux destinés à l'abattage par route est rendu impossible en Autriche par l'application des dispositions litigieuses.

38 Ainsi, si l'on suivait le gouvernement autrichien dans son raisonnement, il conviendrait d'admettre que la protection des animaux destinés à l'abattage en cours de transport international ne peut être mieux assurée ... qu'en prohibant tout transport international. Le succès d'une telle approche ne peut être que garanti... Nous ne pouvons pourtant nous empêcher de relever son caractère quelque peu radical. Certes pourrait-il être soutenu également qu'il n'est de bons transports d'animaux que d'animaux morts, comme tente de le suggérer le gouvernement autrichien (28), mais là encore nous ne sommes pas convaincu qu'il s'agisse nécessairement de la solution conciliant au mieux protection de la santé des animaux et exigences du marché intérieur.

39 Toujours est-il que telle n'est pas l'approche retenue notamment par les États signataires de la convention adoptée dans le cadre du Conseil de l'Europe, précitée, ou par le législateur communautaire, aux fins d'assurer le même objectif de protection.

40 Rappelons, à propos de ce dernier point, que la directive 91/628 invite à réduire autant que possible la durée des transports d'animaux sur de longues distances. C'est la même idée qui est développée dans le cadre de la directive 95/29. Afin d'assurer une meilleure protection des animaux transportés, sont harmonisées en particulier les durées maximales de transport (29). Celles-ci peuvent ainsi être reportées jusqu'à 30 heures si certaines conditions tenant à l'aménagement du poids lourd sont respectées. La poursuite de cet objectif guide également en partie l'harmonisation des intervalles auxquels les animaux doivent être nourris et abreuvés, les périodes de repos, l'espace disponible et les normes auxquelles doivent répondre les moyens de transport en ce qui concerne le transport de certains types d'animaux.

41 Quant à la convention, sans aborder la question de son opposabilité en l'espèce - qui n'a d'ailleurs guère soulevé de débats (30) -, notons simplement que ses auteurs ont suggéré et adopté d'autres moyens aux fins de garantir la protection de la santé et de la vie des animaux que ceux, plus radicaux, mis en place ou suggérés par le gouvernement autrichien. Nous l'avons vu (31), y sont envisagées des prescriptions en substance analogues à celles prévues à l'annexe de la directive 95/29.

42 Ces deux exemples illustrent clairement combien l'objectif de protection de la santé et de la vie des animaux destinés à l'abattage, au cours de leur transport par route, peut être atteint par d'autres voies plus respectueuses des exigences de la libre circulation que l'ensemble de celles retenues par la législation autrichienne. Cette dernière ne méconnaît d'ailleurs pas en réalité les mesures susceptibles de parvenir à la réalisation de l'objectif visé, tout en étant conciliables avec les exigences du marché commun, puisqu'elle contient des limites maximales horaires.

43 Nous en concluons donc que les mesures nationales litigieuses, équivalant à des restrictions quantitatives aux échanges, ne peuvent être justifiées au titre de la protection de la santé et de la vie des animaux poursuivie par l'article 36 du traité.

44 Nous avons signalé qu'ont été également avancées au cours de la procédure nationale, de même que devant votre Cour, des exigences impératives relevant de l'intérêt général de nature à justifier ces dispositions. Aucune d'entre elles ne nous paraît cependant de nature à justifier l'entrave à la libre circulation ainsi constatée.

45 En effet, le double objectif de protection de la santé des animaux et de sécurité des usagers de la route, invoqué pour justifier les mesures nationales, s'il nous paraît légitime, ne nous semble pas pour autant constitutif d'une «exigence impérative» susceptible, dans les circonstances de l'espèce, de faire échapper la réglementation nationale à l'interdiction des mesures d'effet équivalent, malgré son effet restrictif sur les échanges.

46 La raison en est encore une fois l'inadéquation des moyens mis en oeuvre au but poursuivi. Sans revenir sur l'objectif de protection des animaux, qui a déjà fait l'objet d'un examen dans le cadre de l'étude de l'application de l'article 36 du traité, notons que la préoccupation de sécurité routière - nonobstant le point de savoir si elle est susceptible de constituer une exigence impérative au sens de votre jurisprudence Cassis de Dijon (32) - aurait pu être atteinte par une voie moins irrespectueuse du principe de la libre circulation. Il suffit à cet égard de relever que le législateur communautaire a pu intégrer, dans les directives sur la protection des animaux en cours de transport, l'objectif de sécurité routière, sans pour autant que ce dernier justifie une entrave disproportionnée aux échanges. Cette préoccupation apparaît par exemple à travers la référence, à l'article 1er, point 3, second tiret, de la directive 95/29, au règlement (CEE) n_ 3820/85 (33), adopté, précisément, notamment pour des considérations de sécurité routière (34).

47 Nous estimons en conséquence que les mesures nationales litigieuses, équivalant à des restrictions quantitatives aux échanges, ne peuvent pas davantage être justifiées au titre d'exigences impératives tenant à la protection de la santé des animaux et à la sécurité routière.

Conclusion

48 Pour les considérations qui précèdent, nous vous suggérons d'apporter la réponse suivante à la question qui vous est posée par le Verwaltungsgerichtshof:

«Les articles 30 à 36 du traité CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'un État membre restreigne le transport d'animaux vivants destinés à l'abattage, en imposant que ce type de transport ne puisse être effectué que jusqu'à l'abattoir approprié le plus proche à l'intérieur du territoire national, et qu'un tel transport ne puisse être effectué en tout état de cause que lorsque, en respectant les dispositions relatives à la circulation routière et à la police de la route, la durée totale du transport ne dépasse pas 6 heures et la distance parcourue n'excède pas 130 km, le kilométrage effectivement parcouru sur autoroute n'étant compté que pour moitié aux fins du calcul de la distance.»

(1) - Articles 30 à 36 du traité CE.

(2) - Sont visées les directives 91/628/CEE du Conseil, du 19 novembre 1991, relative à la protection des animaux en cours de transport et modifiant les directives 90/425/CEE et 91/496/CEE (JO L 340, p. 17), et 95/29/CE du Conseil, du 29 juin 1995, modifiant la directive 91/628 (JO L 148, p. 52).

(3) - BGBl. 1994, n_ 411.

(4) - Il est simplement signalé que les animaux ont été nourris le 24 août à 4 h 45 à Samerberg, sans que l'on sache si un arrêt a été nécessaire pour cela.

(5) - Paragraphe 4 des motifs de la traduction en français de l'ordonnance de renvoi.

(6) - Le délai de transposition, tel que prévu à l'article 2 de cette directive, n'expirait que le 31 décembre 1996. Ce délai pouvait même être reporté jusqu'au 31 décembre 1997 pour appliquer les dispositions relatives au rallongement de la durée maximale du voyage.

(7) - Arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville (8/74, Rec. p. 837, point 5).

(8) - Arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral, dit «Cassis de Dijon» (120/78, Rec. p. 649, point 14).

(9) - Page 6 de la traduction en français de l'ordonnance de renvoi.

(10) - Le juge de renvoi relève ainsi que: «... il y a lieu d'émettre des réserves en ce sens que lesdites mesures prévues ... n'étaient pas nécessaires à la réalisation de l'objectif de la protection des animaux, mais que des moyens plus souples, tels que des périodes de repos plus fréquentes, l'obligation de nourrir et d'abreuver les animaux à intervalles, et autres mesures semblables, suffisent» (p. 7 de la traduction en français de l'ordonnance de renvoi).

(11) - En application du chapitre I, partie A, point 2, sous d), de l'annexe: «Au cours du transport, les animaux doivent être abreuvés et recevoir une alimentation appropriée à des intervalles convenables. Ces intervalles ne doivent pas dépasser vingt-quatre heures sauf si des cas spécifiques nécessitent une prolongation de cette période d'un maximum de deux heures dans l'intérêt des animaux compte tenu notamment des espèces transportées, des moyens de transport utilisés, ainsi que de la proximité du lieu de déchargement».

(12) - Quatrième considérant.

(13) - Article 1er, point 3, de la directive 95/29.

(14) - Ces conditions sont les suivantes:

«- quantité suffisante de litière étendue sur le sol du véhicule,

- quantité de fourrage à bord du véhicule appropriée, en fonction des espèces d'animaux transportées et en fonction de la durée du voyage,

- accès direct aux animaux,

- possibilité d'une ventilation adéquate pouvant être adaptée en fonction de la température (intérieure et extérieure),

- cloisons mobiles pour la création de compartiments,

- dispositif permettant le branchement sur une adduction d'eau lors des arrêts,

- quantité suffisante d'eau pour l'abreuvement des animaux pendant le voyage».

(15) - Sous II, point 2, paragraphe 3, de ses observations.

(16) - Série des traités européens, n_ 65.

(17) - En ce sens, voir p. 10 des observations en français de la Commission, et sous 1, paragraphe 2, des observations en français du prévenu au principal. Le gouvernement autrichien lui-même a surtout centré ses observations sur les justifications susceptibles d'être avancées à l'encontre de l'entrave à la libre circulation à laquelle aboutirait l'application de sa législation, le cas échéant, sans aborder en profondeur ce dernier point. Il admet d'ailleurs qu'«il ne semble pas complètement exclu qu'une mesure, telle que celle décrite à l'article 5, paragraphe 2, du TGSt, puisse être considérée comme une mesure d'effet équivalent au sens de l'article 30 du traité...» (point III.2 de ses observations).

(18) - Sous 1, paragraphe 3, de ses observations.

(19) - Arrêt du 23 mai 1996 (C-5/94, Rec. p. I-2553, point 18). Voir également l'arrêt du 19 mars 1998, Compassion in World Farming (C-1/96, Rec. p. I-1251, point 47, ci-après l'arrêt «Compassion»).

(20) - Ibidem. Voir également l'arrêt Compassion, précité, point 47.

(21) - Arrêts du 15 décembre 1976, Simmenthal (35/76, Rec. p. 1871, point 36), et du 8 novembre 1979, Denkavit Futtermittel (251/78, Rec. p. 3369, points 18 à 21).

(22) - En ce sens, voir également p. 16 et 17 de la traduction en français des observations de la Commission.

(23) - Arrêt du 25 juillet 1991, Aragonesa de Publicidad Exterior et Publivía (C-1/90 et C-176/90, Rec. p. I-4151, point 16).

(24) - Arrêt du 27 mars 1985, Denkavit Futtermittel (73/84, Rec. p. 1013, point 14).

(25) - Arrêts du 10 juillet 1984, Campus Oil e.a. (72/83, Rec. p. 2727, point 44), et du 13 mars 1986, Mirepoix (54/85, Rec. p. 1067, point 13).

(26) - Arrêts du 14 juillet 1983, Sandoz (174/82, Rec. p. 2445, point 22), et du 30 novembre 1983, Van Bennekom (227/82, Rec. p. 3883, point 40).

(27) - Point III.3 de ses observations.

(28) - Au point III.5 de ses observations, on peut lire que: «... la solution alternative, pour ne citer qu'un exemple, du transport frigorifique serait une solution praticable susceptible de réduire la souffrance inutile des animaux pendant le transport».

(29) - Se reporter au point 20 des présentes conclusions.

(30) - Il peut être relevé que, invités, à l'occasion de l'affaire Compassion, précitée, à évaluer la valeur contraignante d'une convention similaire - la convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages -, vous avez jugé que: «... à partir de son entrée en vigueur, elle fait partie intégrante de l'ordre juridique communautaire» (point 31). Vous n'en avez pas moins estimé que la convention particulière dont vous aviez à connaître alors ne comportait pas de prescriptions juridiquement contraignantes pour les parties contractantes et donc pour la Communauté (points 32 à 37).

(31) - Points 22 et 23 des présentes conclusions.

(32) - On sait en effet que la liste des justifications énumérées par votre Cour, notamment dans l'arrêt Cassis de Dijon, précité, en son point 8 - «... efficacité des contrôles fiscaux ... protection de la santé publique ... loyauté des transactions commerciales et ... défense des consommateurs» - n'est en aucun cas limitative.

(33) - Règlement du Conseil, du 20 décembre 1985, relatif à l'harmonisation de certaines dispositions en matière sociale dans le domaine des transports par route (JO L 370, p. 1).

(34) - Le triple objectif de sécurité routière, d'harmonisation des conditions de concurrence et de progrès social, poursuivi par cette réglementation, apparaît à la lecture de son premier considérant.

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