This document is an excerpt from the EUR-Lex website
Document 61997CC0256
Opinion of Mr Advocate General Jacobs delivered on 24 September 1998. # Déménagements-Manutention Transport SA (DMT). # Reference for a preliminary ruling: Tribunal de commerce de Bruxelles - Belgium. # Article 92 of the EC Treaty (now, after amendment, Article 87 EC) - Concept of State aid - Payment facilities granted by a public body responsible for collecting employers' and workers' social security contributions. # Case C-256/97.
Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 24 septembre 1998.
Déménagements-Manutention Transport SA (DMT).
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Bruxelles - Belgique.
Article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE) - Notion d'aide d'Etat - Facilités de paiement octroyées par un organisme public chargé de collecter les cotisations sociales des employeurs et des travailleurs.
Affaire C-256/97.
Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 24 septembre 1998.
Déménagements-Manutention Transport SA (DMT).
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Bruxelles - Belgique.
Article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE) - Notion d'aide d'Etat - Facilités de paiement octroyées par un organisme public chargé de collecter les cotisations sociales des employeurs et des travailleurs.
Affaire C-256/97.
Recueil de jurisprudence 1999 I-03913
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1998:436
Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 24 septembre 1998. - Déménagements-Manutention Transport SA (DMT). - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Bruxelles - Belgique. - Article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE) - Notion d'aide d'Etat - Facilités de paiement octroyées par un organisme public chargé de collecter les cotisations sociales des employeurs et des travailleurs. - Affaire C-256/97.
Recueil de jurisprudence 1999 page I-03913
1. Dans la présente affaire, le tribunal de commerce de Bruxelles (Belgique) demande à la Cour de dire pour droit si certaines facilités de paiement de cotisations de sécurité sociale octroyées à une entreprise par l'organisme public chargé de leur collecte sont à considérer comme des aides d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE et, en cas de réponse affirmative, si ces facilités sont compatibles avec le marché commun.
Le contexte
2. Le régime de sécurité sociale belge est contenu dans la loi du 27 juin 1969, telle que modifiée par la loi du 30 mars 1994, qui, selon l'ordonnance de renvoi, dispose entre autres ce qui suit.
3. L'Office national de sécurité sociale (ci-après l'«ONSS») est un établissement public placé sous la garantie de l'État belge. Il est chargé de collecter les cotisations sociales des employeurs et des travailleurs. L'ONSS est aussi chargé d'assurer la gestion financière globale de la sécurité sociale ainsi que la transparence et l'efficacité de son fonctionnement .
4. L'employeur est tenu de retenir les cotisations du travailleur sur sa paie et de transmettre ces cotisations à l'ONSS dans les délais fixés par le roi . Les employeurs qui ne versent pas les cotisations dans ces délais sont passibles de sanctions pénales et, dans certains cas, civiles, et sont redevables de majorations de cotisations et d'intérêts de retard . Il est admis que l'ONSS a le pouvoir d'octroyer des délais de grâce aux employeurs, même si le droit national reconnaît que ce pouvoir connaît certaines limites.
5. La juridiction nationale indique que, si une société devient insolvable, l'ONSS dispose d'un privilège général sur ses biens mobiliers pour le paiement des cotisations dues pendant trois ans.
6. L'article 442, paragraphe 1, du code de commerce dispose que la faillite peut être déclarée par jugement du tribunal de commerce, soit sur l'aveu du failli, soit à la requête d'un ou de plusieurs créanciers, soit d'office . Chaque tribunal de commerce dispose d'un service d'enquêtes commerciales, qui doit lui fournir les informations nécessaires pour qu'il puisse se prononcer en pleine connaissance de cause sur l'insolvabilité d'une entreprise. Le juge des enquêtes commerciales saisit une chambre du tribunal de commerce lorsqu'il est en possession d'éléments lui donnant à penser qu'une entreprise peut être insolvable. Cette chambre (le juge de l'audience) rend un jugement dans lequel elle constate que l'insolvabilité de l'entreprise a été ou non établie.
7. Déménagements-Manutention Transport (ci-après «DMT») est une entreprise de déménagement dont les activités sont en partie internationales. Il appert que la procédure au principal a pour origine une décision du tribunal de commerce d'enquêter d'office sur la situation financière de DMT. Le juge des enquêtes commerciales a saisi de l'affaire la quatrième chambre du tribunal de commerce. Celle-ci a déféré à la Cour deux questions à titre préjudiciel.
8. Les faits et les chiffres qui ont amené le juge des enquêtes commerciales à soupçonner DMT d'être insolvable ne ressortent pas avec une totale clarté de l'ordonnance de renvoi. Il apparaît toutefois que l'élément principal qui a amené la juridiction nationale à demander l'avis de la Cour est la constatation que l'ONSS a octroyé à DMT des facilités pour le paiement de ses cotisations de sécurité sociale pendant un certain nombre d'années et cela alors que le passif de DMT, qui se composait surtout de cotisations sociales, d'intérêts et de pénalités de retard impayés, était notablement supérieur à son actif.
9. Le procureur du roi, donnant, dans l'intérêt de la justice, son avis sur la procédure au principal, a estimé que DMT aurait dû faire l'aveu de sa faillite, n'était la mansuétude dont fait preuve l'ONSS depuis dix ans, et conclu que celui-ci était sorti de son rôle de collecteur de cotisations sociales pour s'attribuer un rôle proche de celui d'un dispensateur de crédits.
10. La juridiction de renvoi a estimé, eu égard aux circonstances, que les facilités de paiement des cotisations de sécurité sociale étaient susceptibles de constituer une aide d'État illégale, contraire à l'article 92, paragraphe 1, du traité, et, partant, a soumis les questions suivantes à la Cour:
«1) L'article 92 du traité doit-il être interprété en ce sens que des mesures, sous la forme de facilités de paiement octroyées par un organisme public comme l'ONSS, ayant pour résultat de permettre à une société commerciale de retenir, depuis au moins huit ans, une partie des sommes collectées auprès du personnel et d'utiliser ces sommes au soutien d'activités commerciales, l'entreprise n'étant pas en mesure d'obtenir un financement aux conditions normales du marché ou de pouvoir augmenter son capital, sont à considérer comme étant des aides d'État, au sens de cet article?
2) En cas de réponse affirmative à la première question, l'article 92 du traité doit-il être interprété en ce sens qu'une telle aide est compatible avec le marché commun?»
11. DMT, le gouvernement français et la Commission ont produit des observations écrites. A l'audience, les gouvernements belge, français et espagnol, ainsi que la Commission étaient représentés.
12. A l'audience, le gouvernement belge a nuancé les faits tels qu'ils étaient exposés dans l'ordonnance de renvoi. Il a en particulier affirmé que la procédure au principal ne concernait que des arriérés de cotisations de sécurité sociale à compter de juin 1994, et que la prolongation du délai, jusqu'en décembre 1996, avait été accordée par un jugement du tribunal de commerce de septembre 1996 et n'était donc pas l'effet de la seule mansuétude de l'ONSS. Il a admis toutefois que DMT connaissait des difficultés de paiement de ses cotisations de sécurité sociale depuis 1986.
13. Malgré la controverse sur les faits, nous sommes d'avis que la Cour peut statuer en termes généraux. Il reviendra bien sûr à la juridiction nationale de s'assurer de ce qu'elle a établi les faits avec suffisamment de certitude pour lui permettre d'appliquer la décision de la Cour à la procédure dont elle est saisie.
Recevabilité
14. Deux aspects de l'affaire semblent mettre en doute la possibilité d'un renvoi préjudiciel: la question se pose de savoir, premièrement, si la procédure au principal est de caractère juridictionnel et, deuxièmement, si la juridiction nationale a besoin pour statuer d'une réponse aux questions déférées.
15. Ainsi que nous l'avons déjà relevé, la procédure devant le tribunal de commerce agissant en tant que juge de l'insolvabilité s'articule en deux phases: l'enquête du juge des enquêtes commerciales et, le cas échéant, la poursuite de la procédure devant le juge de l'audience si une chambre est saisie de l'affaire. Tout au long de la procédure, il n'y a qu'une seule partie, l'entreprise qui fait l'objet de l'enquête, même si le procureur du roi peut intervenir dans l'intérêt de la justice.
16. L'absence de caractère contradictoire de la procédure n'empêche pas en soi de conclure que le tribunal de commerce est compétent pour poser une question préjudicielle . La Cour a dit pour droit que les juridictions nationales ne sont habilitées à la saisir «que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel» . Le fait que la procédure nationale en cause comporte une phase d'enquête pure et simple ne s'oppose pas au renvoi: la Cour a reçu un renvoi formé par un Pretore (magistrat) italien dans une affaire où celui-ci assumait les rôles tant de procureur que de juge d'instruction, menant l'enquête préliminaire en sa qualité de procureur et, lorsque cette enquête ne révélait pas de motif de poursuivre la procédure, rendant une ordonnance en ce sens au lieu et place d'un juge d'instruction . La Cour s'est jugée compétente pour répondre à une demande préjudicielle si celle-ci émanait d'une cour ou d'un tribunal agissant dans le cadre général de sa mission de juger, en toute indépendance et conformément à la loi, les affaires relevant de sa compétence, même si certaines fonctions de cette cour ou de ce tribunal exercées dans la procédure qui est à l'origine du renvoi ne sont pas, à proprement parler, de caractère juridictionnel .
17. En l'espèce, le tribunal de commerce, conformément à l'article 442, paragraphe 1, du code de commerce belge, est appelé à décider si DMT est insolvable. Il apparaît que le juge des enquêtes commerciales a saisi la quatrième chambre du tribunal de commerce et, partant, ne joue plus de rôle dans la procédure. Le juge de l'audience, une fois saisi par le juge des enquêtes commerciales, doit rendre un jugement constatant soit que l'entreprise est insolvable, soit que les conditions requises pour conclure à l'insolvabilité ne sont pas remplies. Le tribunal joue donc un rôle de nature plutôt juridictionnelle qu'administrative. Il est donc clair, selon nous, que le tribunal de commerce, en tant que juge de l'insolvabilité, a le pouvoir de saisir la Cour d'une demande préjudicielle conformément à l'article 177 du traité CE.
18. Le second doute qui pèse sur la recevabilité du renvoi porte sur le point de savoir si la juridiction nationale a besoin, pour statuer, d'une réponse à ses questions, ainsi que l'exige l'article 177. Compte tenu du rôle de la juridiction de renvoi dans la procédure au principal, il y a lieu de tenir pour acquis que le tribunal de commerce considère qu'une réponse de la Cour à la question de savoir si les facilités de paiement octroyées par l'ONSS équivalent à une aide d'État illégale aura un effet sur sa décision de déclarer ou non DMT insolvable. Si ces facilités constituent une aide d'État, il est vraisemblable que la juridiction de renvoi considère que DMT doit s'acquitter immédiatement de ses obligations envers l'ONSS, ce qui aura ipso facto pour effet qu'elle se rendra insolvable. Toutefois, il ne ressort pas clairement de l'ordonnance de renvoi que c'est bien ainsi qu'elle statuerait. On ne sait pas non plus si l'issue de la procédure au principal tourne réellement autour de ce point, étant donné que les constatations de la juridiction nationale - quoique mises en cause par le gouvernement belge - donnent à penser que DMT est incapable en toute hypothèse de remplir ses obligations.
19. La Cour a toutefois toujours considéré que c'est à la juridiction nationale d'apprécier, compte tenu des faits, la nécessité d'obtenir une décision préjudicielle pour rendre son arrêt . La Cour a souligné qu'il convient de respecter l'appréciation de la juridiction nationale, même s'il est difficile de concevoir comment les réponses demandées à la Cour peuvent avoir une incidence sur la solution des litiges au principal , pourvu que les questions ne soient pas manifestement sans rapport avec ceux-ci , et que la Cour ne soit pas invitée à émettre un avis pur et simple sur des questions générales ou hypothétiques . En l'espèce, il ne nous semble pas judicieux que la Cour réfute l'appréciation par la juridiction nationale de la pertinence des questions posées pour la solution de l'affaire dont elle est saisie.
Le cadre du traité
20. Il est utile de préciser d'emblée la répartition des compétences entre les juridictions nationales, la Commission et la Cour en matière d'aide d'État .
21. Le libellé de l'article 92, paragraphe 1, est le suivant:
«Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.»
22. Selon l'article 93, paragraphe 1, du traité, la Commission procède avec les États membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces États. L'article 93, paragraphe 2, fixe la procédure que la Commission doit suivre si elle constate qu'une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d'État n'est pas compatible avec le marché commun ou que cette aide est appliquée de façon abusive. L'article 93, paragraphe 3, dispose ce qui suit:
«La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 92, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale.»
23. La mise en oeuvre du régime de contrôle des aides d'État institué par l'article 93 incombe à la Commission ainsi qu'aux juridictions nationales . La Cour a précisé les rôles respectifs de la Commission et des juridictions nationales dans l'arrêt Steinike & Weinlig .
24. La Cour a établi premièrement que, en organisant par l'article 93 l'examen permanent et le contrôle des aides par la Commission, les auteurs du traité entendaient que la reconnaissance de l'incompatibilité éventuelle d'une aide avec le marché commun résulte, sous le contrôle de la Cour, d'une procédure appropriée dont la mise en oeuvre relève de la responsabilité de la Commission. Les juridictions nationales ne sauraient, en invoquant le seul article 92, se prononcer sur la compatibilité de l'aide .
25. Toutefois, les juridictions nationales peuvent être saisies de procédures dans lesquelles elles sont amenées à interpréter et à appliquer la notion d'aide contenue à l'article 92 afin de déterminer si une aide d'État qui a été introduite en violation de la procédure de contrôle préalable prévue à l'article 93, paragraphe 3, aurait dû être soumise à cette procédure . Une juridiction nationale a la faculté de demander l'avis de la Commission pour interpréter l'article 92 ; en outre, une juridiction nationale a la faculté ou est tenue de saisir la Cour d'une demande préjudicielle en vertu de l'article 177, ainsi que l'a fait le tribunal de commerce de Bruxelles en l'espèce. Les juridictions nationales doivent garantir aux justiciables que toutes les conséquences d'une violation de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, en seront tirées conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes d'exécution que le recouvrement des soutiens financiers accordé au mépris de cette disposition .
26. Donc, ni la Cour ni la juridiction nationale ne sont compétentes pour se prononcer sur la compatibilité de l'aide avec le marché commun. En conséquence, la Cour ne saurait répondre à la seconde question de la juridiction nationale et les présentes conclusions se limiteront donc à l'interprétation de la notion d'aide au sens de l'article 92.
Première question
27. Afin de déterminer si une pratique telle que celle imputée à l'ONSS en l'espèce constitue une aide aux fins de l'article 92, il est utile d'en examiner les divers éléments de la définition à l'article 92, paragraphe 1.
Les ressources d'État
28. Cette disposition suppose d'abord que l'aide soit accordée par un État membre ou au moyen de ressources d'État. La distinction opérée entre aide accordée par l'État et aide accordée au moyen de ressources d'État permet d'élargir la définition de l'aide, au-delà de l'aide accordée directement par l'État, également à celle qui est accordée par des organismes publics ou privés désignés ou institués par l'État . Étant donné que l'ONSS est un établissement public, placé sous la garantie de l'État et responsable envers lui de la collecte des cotisations de sécurité sociale, il est clair qu'il relève de cette définition. De plus, la Cour a dit pour droit que, dans la mesure où les fonds de sécurité sociale sont financés par des cotisations obligatoires imposées par la législation de l'État, gérées et réparties conformément à cette législation, elles doivent être considérées comme des ressources d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, même si elles sont gérées par des institutions distinctes des autorités publiques .
La notion d'avantage
29. Deuxièmement, l'intervention de l'État doit avantager son destinataire.
30. Le traité vise toute aide «sous quelque forme que ce soit». La Cour a très tôt jugé que la notion d'aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, est plus large que celle de subvention, étant donné qu'elle englobe non seulement des avantages positifs, tels que les subventions elles-mêmes, mais aussi des interventions qui, sous des formes variées, atténuent des charges qui figurent normalement au budget d'une entreprise et qui, partant, sans être des subventions au sens strict, sont d'une nature similaire et produisent le même effet .
31. Le point crucial est donc de savoir si l'entreprise intéressée reçoit un avantage que le cours normal des événements sur le marché privé ne lui aurait pas procuré. S'agissant de mesures ayant trait aux cotisations de sécurité sociale, la Cour a jugé, dans l'affaire France/Commission , qu'une réduction préférentielle de ces cotisations constituait une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, puisqu'elle a permis à une entreprise «de ne pas avoir à supporter des coûts qui auraient normalement dû grever [ses] ressources financières propres... et [a] ainsi empêché que les forces en présence sur le marché ne produisent leurs conséquences normales» .
32. Or, il n'y a pas eu, en l'espèce, de réduction pure et simple du montant des cotisations de sécurité sociale dont le paiement incombait à DMT. En fait, celle-ci a été autorisée à payer au-delà du délai normal et a encouru des intérêts et des pénalités de retard. Dans ces conditions, DMT soutient qu'elle n'a pas reçu d'avantages équivalant à une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1. Les gouvernements belge, français et espagnol font valoir que, lorsque des facilités de paiement sont accordées, mais dûment compensées par des conditions telles qu'un intérêt, des garanties et des pénalités, l'entreprise concernée ne reçoit aucun avantage équivalant à une aide. La Commission soutient en revanche que DMT a bénéficié d'un avantage substantiel du seul fait d'avoir été dispensée de l'obligation qui incombe normalement aux entreprises de payer leurs cotisations de sécurité sociale dans les délais normaux: les facilités de paiement ont permis à DMT de garder par-devers elle des cotisations prélevées sur ses salariés et de les investir dans ses activités commerciales au lieu de les verser à l'ONSS.
33. Il est clair que, dans certaines circonstances, le fait de tolérer de façon permanente et libérale que les cotisations de sécurité sociale soient payées en retard peut donner à l'entreprise qui bénéficie de cette largesse un avantage commercial appréciable et, dans des cas extrêmes, équivaloir à une dispense de paiement . Il n'est donc pas douteux que la possibilité d'un paiement tardif constitue une aide d'État en pareil cas .
34. A notre avis, la méthode proposée par le gouvernement français est celle qui permet le mieux de résoudre la question de savoir si les facilités de paiement des cotisations de sécurité sociale constituent une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1. Selon ce gouvernement, les conditions d'octroi de ces facilités doivent être comparées à celles qu'un créancier privé aurait octroyées dans un cas similaire. Pareilles facilités ne constitueraient une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1, que si elles étaient octroyées dans des conditions manifestement plus libérales que celles qu'aurait consenties un créancier privé.
35. Nous convenons avec les gouvernements français et belge que le critère de l'investisseur privé, qui a souvent été appliqué pour déterminer si la fourniture par l'État de capitaux à une entreprise est une aide , n'est pas adéquat en l'espèce. Toutefois, ainsi que le soutient la Commission, c'est l'investisseur privé et le créancier privé qui font, pour l'essentiel, le marché privé. Selon nous, il convient d'établir la comparaison la plus étroite possible, c'est-à-dire, en l'espèce, une comparaison avec un créancier privé et les conditions que ce créancier aurait proposées à un client/débiteur se trouvant dans une situation financière délicate .
36. Pour établir la comparaison, le créancier hypothétique doit, dans la mesure du possible, ressembler sur tous les points importants à l'organisme d'État concerné. Donc, en l'espèce, le créancier hypothétique devrait avoir une capacité similaire d'accorder des facilités de paiement et disposer d'avantages analogues, tels qu'un privilège sur les biens de l'entreprise débitrice. Toutefois, nous nous accordons avec la Commission à considérer qu'il serait peu réaliste de penser que le créancier privé hypothétique a un intérêt à éviter que l'entreprise ne soit mise en liquidation. Le créancier privé est censé agir dans son propre intérêt commercial. Donc, si le moyen le plus efficace dont il dispose pour recouvrer sa créance est de permettre que l'entreprise soit mise en liquidation, il faut tenir pour acquis qu'il ne tentera pas de s'y opposer.
37. Il appartiendra à la juridiction nationale de décider, en se fondant sur son appréciation des faits, si, compte tenu de leurs conditions, les facilités de paiement des cotisations de sécurité sociale sont manifestement plus libérales que celles qu'aurait accordées un créancier privé, protégeant ses intérêts commerciaux dans une situation comparable sur le marché privé. Si tel est le cas, ces facilités constituent une aide au sens de l'article 92, paragraphe 1. On notera que la première question posée par la juridiction nationale semble sous-tendue par l'hypothèse que l'entreprise concernée est incapable de se procurer des fonds aux conditions normales du marché.
38. Le critère du créancier privé déterminera aussi à partir de quel moment l'octroi de facilités de paiement devient une aide d'État. Il se peut que cet octroi, pendant une période raisonnable, soit conforme au comportement que l'on peut attendre d'un créancier privé, mais que, à partir d'un certain moment, ce créancier cesse d'accorder les facilités et cherche à recouvrer sa créance. Il appartiendra à la juridiction de renvoi de décider à quel moment ce retournement serait intervenu.
Une faveur accordée à certaines entreprises
39. Troisièmement, une aide ne relèvera de l'article 92, paragraphe 1, que pour autant qu'il ne s'agira pas d'une mesure générale mais d'une faveur accordée à certaines entreprises. Les gouvernements belge, français et espagnol font valoir que, lorsque des facilités de paiement de cotisations de sécurité sociale sont octroyées dans les mêmes conditions à toute entreprise se trouvant dans une situation objectivement définie, ces facilités ne constituent pas une aide au sens de l'article 92 puisque, présentant un caractère général, elles ne favorisent pas certaines entreprises.
40. Il est exact que des mesures à caractère général ne relèvent pas de l'article 92. Toutefois, ainsi que le souligne la Commission, la Cour a jugé que, lorsque l'organisme qui consent des facilités financières à caractère apparemment général dispose d'un pouvoir considérable d'appréciation pour en déterminer les bénéficiaires et les conditions, l'entreprise favorisée se trouvera dans une meilleure situation par rapport à d'autres entreprises et, partant, la mesure ne saurait être considérée comme à caractère général . Il apparaît en l'espèce que l'ONSS jouit d'un pouvoir discrétionnaire d'octroyer des facilités de paiement à qui il veut et, jusqu'à un certain point, aux conditions qui lui agréent: si tel est bien le cas, les mesures en question ne sauraient être considérées comme présentant un caractère général.
La concurrence et les échanges
41. Enfin, l'article 92, paragraphe 1, établit l'illégalité, «dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres», des aides «qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence».
42. Ainsi que la Commission l'expose, il semble évident que si, en l'occurrence, les mesures s'avèrent constituer une aide, elles sont susceptibles de fausser ou de menacer de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises au sens de l'article 92, paragraphe 1. La concurrence peut être faussée même lorsque le montant de l'aide octroyée est relativement faible . Les mesures peuvent aussi affecter les échanges entre États membres. Lorsqu'une aide financière d'État renforce la position d'une entreprise par rapport à d'autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires, il y a lieu de considérer que ces dernières sont affectées par cette aide . En l'espèce, l'aide supposée est susceptible de renforcer la position de DMT sur le marché des déménagements, au détriment de ses concurrents.
43. Nous concluons donc, en réponse à la première question de la juridiction de renvoi, que des mesures revêtant la forme de facilités de paiement de cotisations de sécurité sociale, octroyées de manière discrétionnaire, constituent l'octroi d'une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, si ces facilités, compte tenu des conditions dans lesquelles elles sont accordées, sont manifestement plus libérales que celles qu'un créancier privé accorderait dans une situation comparable.
Seconde question
44. Ainsi que nous l'avons exposé ci-dessus, c'est à la seule Commission qu'il appartient de décider, sous réserve du contrôle de la Cour, si une aide est compatible avec le marché commun. Il n'appartient donc pas à la Cour de répondre à la seconde question de la juridiction de renvoi.
Conclusion
45. En conséquence, nous estimons que la seconde question posée par le tribunal de commerce de Bruxelles n'appelle pas de réponse et qu'il convient de répondre à la première question ce qui suit:
«Des mesures qui consistent à accorder de façon discrétionnaire des facilités de paiement de cotisations de sécurité sociale constituent l'octroi d'une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1 du traité CE, si ces facilités, compte tenu des conditions dans lesquelles elles sont accordées, sont manifestement plus libérales que celles qu'un créancier privé accorderait en pareil cas.»