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Document 61996CC0253

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 9 octobre 1997.
Helmut Kampelmann e.a. contre Landschaftsverband Westfalen-Lippe (C-253/96 à C-256/96), Stadtwerke Witten GmbH contre Andreas Schade (C-257/96) et Klaus Haseley contre Stadtwerke Altena GmbH (C-258/96).
Demande de décision préjudicielle: Landesarbeitsgericht Hamm - Allemagne.
Information du travailleur - Directive 91/533/CEE - Article 2, paragraphe 2, sous c).
Affaires jointes C-253/96, C-254/96, C-255/96, C-256/96, C-257/96 et C-258/96.

Recueil de jurisprudence 1997 I-06907

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1997:478

61996C0253

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 9 octobre 1997. - Helmut Kampelmann e.a. contre Landschaftsverband Westfalen-Lippe (C-253/96 à C-256/96), Stadtwerke Witten GmbH contre Andreas Schade (C-257/96) et Klaus Haseley contre Stadtwerke Altena GmbH (C-258/96). - Demande de décision préjudicielle: Landesarbeitsgericht Hamm - Allemagne. - Information du travailleur - Directive 91/533/CEE - Article 2, paragraphe 2, sous c). - Affaires jointes C-253/96, C-254/96, C-255/96, C-256/96, C-257/96 et C-258/96.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-06907


Conclusions de l'avocat général


1 Les six renvois préjudiciels effectués par le Landesarbeitsgericht Hamm, relatifs à autant de procédures pendantes devant lui et contenant chacun cinq questions identiques en substance, permettent à la Cour d'interpréter pour la première fois la directive 91/533/CEE du Conseil, du 14 octobre 1991, relative à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail (1) (ci-après la «directive»).

Le cadre normatif

2 La directive constitue un instrument pour la réalisation des objectifs de la politique sociale communautaire (2) et pour l'application de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, adoptée à Strasbourg le 9 décembre 1989 (3).

Elle prévoit, pour ce qui nous intéresse ici, le droit du travailleur d'être pleinement informé des éléments qui caractérisent sa situation contractuelle et qui représentent donc le contenu des autres droits et obligations qui découlent pour lui du fait qu'il est partie à une relation de travail. La portée de l'obligation de l'employeur de garantir une information correcte au travailleur résulte de la liste des «éléments essentiels du contrat ou de la relation de travail», qui figure à l'article 2, paragraphe 2, de la directive. Parmi ceux-ci, les éléments pertinents aux fins des questions auxquelles la Cour est appelée à répondre sont ceux indiqués sous c):

«i) le titre, le grade, la qualité ou la catégorie d'emploi en lesquels le travailleur est occupé

ou

ii) la caractérisation ou la description sommaires du travail» (4).

3 Aux termes de l'article 3 de la directive, l'employeur doit remplir son obligation d'information en remettant au travailleur, deux mois au plus tard après le début de son travail, un ou plusieurs documents écrits qui comportent les éléments visés à l'article 2. Le travailleur doit également être informé, selon les mêmes modalités, en cas de modification des éléments en question. Pour les contrats existant déjà lors de l'entrée en vigueur, dans les différents États membres, des dispositions de transposition de la directive, l'article 9 prévoit que l'employeur remette au travailleur qui en fait la demande les documents visés à l'article 3 (5).

Tout en imposant une obligation d'information sur le contrat de travail, la directive, comme le prévoit expressément l'article 6, ne porte pas atteinte aux dispositions nationales qui régissent la forme du contrat ou de la relation de travail, ni à celles concernant la preuve de l'existence et du contenu du contrat ou de la relation de travail. La directive impose en outre aux États membres, à l'article 8, de garantir au travailleur le droit de recours aux tribunaux lorsqu'il s'estime lésé par le non-respect des obligations découlant de la directive, ce dans l'intention évidente de garantir le caractère effectif du droit à l'information.

4 Les États membres auraient dû transposer la directive au plus tard le 30 juin 1993 (6). La république fédérale d'Allemagne l'a fait par loi du 20 juillet 1995 (7). Les dispositions pertinentes de la loi allemande sont l'article 2, paragraphe 1, point 5, qui transpose l'article 2, paragraphe 2, sous c), de la directive et prévoit que le document d'information doit comporter la dénomination ou la description générale de l'activité; et l'article 4, deuxième phrase, transposant l'article 9, paragraphe 2, de la directive, qui, lorsque la relation de travail existait déjà à l'entrée en vigueur de la loi, dispense l'employeur de l'obligation d'informer le travailleur, même à la demande de ce dernier, quand les éléments essentiels résultent du contrat de travail écrit ou d'autres documents écrits (8).

Les faits et les questions

5 Dans les affaires C-253/96 à C-256/96, les demandeurs au principal sont employés par le Landschaftsverband Westfalen-Lippe (ci-après le «Landschaftsverband»). Chacun d'eux a été informé par écrit, par son employeur, de sa qualification et du niveau auquel il se situait. Tous les demandeurs ont, dans les années 1991 et 1992, demandé au Landschaftsverband leur promotion au grade immédiatement supérieur, ayant, entre autres, déjà accompli la période d'emploi, prescrite à cette fin, au niveau immédiatement inférieur. Le Landschaftsverband répliquait que l'information écrite concernant leur classement n'était pas correcte, car ils avaient en réalité exercé des fonctions correspondant au niveau inférieur à celui communiqué, de sorte que les conditions d'une promotion à un niveau supérieur n'étaient pas remplies.

Les recours formés devant l'Arbeitsgericht compétent ont tous été rejetés au motif que les demandeurs n'avaient pas prouvé avoir exercé le temps requis les fonctions correspondant au niveau et à la qualification prévus pour pouvoir prétendre à une promotion au niveau supérieur. Le juge national de première instance a estimé sans pertinence, aux fins de la preuve, la communication de l'employeur sur le classement reconnu à l'époque, puis considéré par celui-ci comme ne correspondant pas à la vérité. Les jugements de première instance ont été attaqués devant le Landesarbeitsgericht Hamm.

6 Dans les affaires C-257/96 et C-258/96, les demandeurs sont employés respectivement par la société à responsabilité limitée qui regroupe les services de fournitures de services de la ville de Witten (Stadtwerke Witten GmbH) et l'entreprise municipale de fourniture de services de la ville d'Altena (Stadtwerke Altena GmbH). Dans les deux cas, les travailleurs ont été à l'époque informés par leur employeur de leur promotion au niveau supérieur. Toutefois, en 1992 et en 1993, ces mêmes employeurs ont précisé aux employés en question qu'ils ne pouvaient pas prendre en considération les classements précédemment communiqués, dans la mesure où ils étaient le fruit d'une appréciation erronée: en conséquence, la promotion au niveau supérieur leur a été refusée.

Sur recours formés par les employés, un des juges saisis a accueilli le recours et condamné l'employeur à rémunérer le travailleur au niveau auquel celui-ci prétendait; l'autre, par contre, a rejeté le recours faute de preuve de l'exercice effectif de fonctions supérieures. De ces deux jugements aussi, les parties qui ont succombé ont fait appel devant le Landesarbeitsgericht Hamm.

7 Devant le juge national, on débat donc, à la lumière de la directive, et en particulier de son article 2, de la portée, sur le plan de leur valeur probante, des informations transmises par l'employeur au travailleur sur son classement et sur sa rémunération. Dans le cas d'espèce, les employeurs concernés font valoir que les informations communiquées aux employés ne correspondent pas aux fonctions effectivement exercées par ces derniers.

8 Estimant que la solution des litiges pendants devant lui dépend de l'interprétation des dispositions pertinentes de la directive, le Landesarbeitsgericht Hamm a soumis à la Cour cinq questions préjudicielles. On peut les résumer ainsi:

«1) L'article 2, paragraphe 2, de la directive doit-il être interprété en ce sens qu'il a comme objectif d'alléger la charge de la preuve qui pèse sur le travailleur, plus précisément de lui éviter de prouver, dans le cadre d'un litige sur son emploi, les éléments du contrat ou de la relation de travail qui lui ont été communiqués par écrit par son employeur?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, la disposition visée à l'article 2, paragraphe 2, sous c), point i), de la directive (9) doit-elle être considérée comme étant directement applicable, à compter du 1er juillet 1993, à l'encontre d'un organisme public?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question, les éléments consistant dans la `qualité ou la catégorie d'emploi', qui sont communiqués au travailleur en application de l'article 2, paragraphe 2, sous c), point i), de la directive (10), doivent-ils être entendus en ce sens que le travailleur doit être en mesure de savoir, à partir du classement au niveau et dans la catégorie qui lui ont été communiqués, s'il a droit à une promotion?

4) La communication visée à l'article 2, paragraphe 2, sous c), de la directive a-t-elle un caractère contraignant pour l'employeur, avec pour conséquence que ce dernier doit s'en tenir au classement communiqué aussi longtemps qu'il n'en prouve pas le caractère erroné ou en tout cas qu'il ne démontre pas que le travailleur n'a pas été correctement classé ou que la valeur de l'activité a baissé avec le temps (11)?

5) Enfin, la loi nationale de transposition est-elle conforme à la directive, en particulier à son article 9, dans la partie dans laquelle elle prévoit, dans le cas d'une relation de travail existant à l'entrée en vigueur de la loi, que l'employeur est dispensé de l'obligation de remettre au travailleur un document écrit, même à la demande de ce dernier, pour autant qu'un document établi précédemment ou un contrat de travail écrit comporte les éléments exigés, ce qui impliquerait que la précédente communication reste valable, avec pour autre conséquence qu'un employeur procédant à une nouvelle communication, en contradiction avec la première, doit prouver l'exactitude de la nouvelle communication?»

La première et la quatrième question

9 Nous estimons opportun de traiter ensemble la première et la quatrième question, étant donné que l'une et l'autre concernent la portée, sur le plan de la preuve, de la communication que l'employeur est tenu de transmettre au travailleur. Plus particulièrement, par la première question le juge national demande si le travailleur qui entend faire valoir en justice sa situation contractuelle, dans les termes résultant des informations écrites transmises par l'employeur, peut se limiter à produire les documents reçus, la charge d'en prouver l'éventuelle inexactitude reposant au contraire sur l'employeur. Par la quatrième question, le juge demande de même si l'employeur est lié par la communication faite au travailleur, au sens de l'article 2 de la directive, sauf à prouver l'inexactitude des éléments qu'elle contient.

A l'évidence, il s'agit dans les deux cas d'établir l'incidence, à titre de preuve, de la communication par laquelle l'employeur informe par écrit le travailleur des éléments essentiels du contrat ou de la relation de travail. Nous ajoutons, bien que le juge national n'en fasse pas mention, que la réponse à ces questions impose aussi l'interprétation de l'article 6 de la directive, aux termes duquel la directive «ne porte pas atteinte aux législations et/ou pratiques nationales en matière de forme de contrat ou de relation de travail, de régime des preuves de l'existence et du contenu du contrat ou de la relation de travail, de règles procédurales applicables en la matière» (12).

10 Nous dirons tout de suite qu'une interprétation correcte des dispositions pertinentes de la directive ne peut pas faire abstraction de son objectif ultime. Tout en étant fondée, comme nous l'avons rappelé, sur l'article 100 du traité, la directive représente, en raison de l'incidence évidente des législations nationales en la matière sur le fonctionnement du marché commun, un instrument d'application de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs et concourt à l'amélioration des conditions de vie et de travail de la main-d'oeuvre selon les finalités de la politique sociale communautaire (quatrième et cinquième considérants). En particulier, le législateur communautaire a voulu harmoniser les dispositions nationales sur l'information des travailleurs, en partageant ainsi l'objectif de «mieux [les] protéger ... contre une éventuelle méconnaissance de leurs droits» (13).

C'est précisément dans cette optique qu'il y a lieu de considérer, d'une part, la valeur de l'obligation de l'employeur de communiquer au travailleur les éléments essentiels du contrat ou de la relation de travail et, d'autre part, la non-pertinence de cette obligation, prévue par l'article 6 de la directive, en ce qui concerne les régimes de forme et de preuve du contrat de travail.

En particulier, en excluant la pertinence des obligations d'information écrite prévues par la directive en ce qui concerne tant la forme du contrat ou de la relation de travail que le régime de preuve, tel que prévu en droit national, le législateur communautaire a voulu permettre au travailleur de faire valoir par tout moyen, donc même en l'absence de forme écrite, l'existence et les modalités de déroulement de la relation de travail (14).

11 Cela ne signifie pas, bien entendu, que la communication n'a aucune valeur pour prouver les fonctions exercées. Une telle conclusion réduirait d'ailleurs à néant l'objectif et la raison d'être de la communication en question, qui est d'informer les travailleurs sur les éléments essentiels du contrat ou de la relation de travail, mais ce aussi, et surtout, afin de garantir l'efficacité de leurs droits et de les faire valoir, le cas échéant, devant les juridictions nationales.

Dans ces conditions, s'il est vrai que la directive ne porte pas atteinte aux régimes de preuve prévus par les ordres juridiques nationaux quant à l'existence et au contenu du contrat ou de la relation de travail, il faut néanmoins reconnaître que les éléments indiqués par l'employeur dans la communication ne peuvent pas ne pas avoir une certaine portée, également à des fins probatoires.

12 Cela dit, nous relevons que de l'absence de refus de certaines preuves résulte la possibilité pour le travailleur de prouver, par tout moyen, l'existence et les modalités de la relation de travail et, donc, par la production en justice du document qui lui a été remis par l'employeur en vertu des dispositions de mise en oeuvre de la directive. Évidemment, la portée et la valeur probante de ce document seront laissées à l'appréciation du juge, selon les règles de procédure de droit national.

Précisément parce qu'elle ne veut pas porter atteinte aux règles en matière de preuve, on ne saurait déduire de la directive le renversement de la charge de la preuve, incombant normalement au requérant selon le principe bien connu onus probandi incumbit ei qui dicit. Plus simplement, les travailleurs requérants dans les litiges devant le juge national seront aidés, dans cette charge qui leur incombe, par la possibilité de produire en justice le document en question, mais cela ne revient pas encore à affirmer que la seule production du document d'information, sauf preuve contraire fournie par la partie adverse, suffit à prouver dans tous les cas les éléments qu'il contient.

13 Les observations qui précèdent permettent de donner aussi une réponse à la quatrième question par laquelle le juge a quo demande à la Cour si l'employeur est lié par la communication effectuée au travailleur en application de l'article 2 de la directive, à moins de prouver l'inexactitude des éléments y figurant. Sur ce point il suffit de relever que les obligations de l'employeur découlent exclusivement du contrat, et non de la communication effectuée conformément à la directive, laquelle n'a que la valeur d'un document ultérieur établissant les éléments contractuels que, d'ailleurs, il devrait fidèlement reproduire. Il s'ensuit que, d'une part, l'employeur est lié exclusivement par le contrat et non par la communication ultérieure, mais, d'autre part, si le travailleur entend démontrer que la communication est conforme au contenu du contrat (résultant du contrat écrit ou de la situation de fait en l'absence de ce dernier), que la tâche lui sera facilitée puisqu'il dispose d'un élément de preuve, même s'il n'est pas incontestable, ni, selon les règles de procédure applicables, éventuellement suffisant en soi.

La deuxième question préjudicielle

14 Par la deuxième question préjudicielle, le juge a quo demande si l'article 2, paragraphe 2, sous c), i), de la directive (15) doit être considéré comme étant directement applicable et s'il peut donc être invoqué contre l'État à compter de la date d'expiration du délai accordé aux États membres pour transposer la directive.

Comme l'a déjà relevé la Commission, le juge national ne semble pas distinguer, quant au problème de l'effet direct de ladite disposition, entre la période précédant l'adaptation de l'ordre juridique allemand, qui va du 1er juillet 1993 au 20 juillet 1995, et la période postérieure à cette date, au cours de laquelle l'effet direct peut être invoqué en l'absence de transposition correcte de la disposition en question.

15 En l'absence de dispositions d'adaptation et à l'expiration du délai prévu pour transposer la directive, l'effet direct dépend, comme on le sait, des caractéristiques de la disposition et, en particulier, de son contenu normatif, qui doit être suffisamment clair et précis, de façon à ne pas être conditionné par l'adoption d'actes ultérieurs (16).

Dans notre cas, l'article 2, paragraphe 2, sous c), de la directive prévoit que l'employeur «est tenu de porter à la connaissance» du travailleur, entre autres, les éléments essentiels du contrat: «le titre, le grade, la qualité ou la catégorie d'emploi en lesquels le travailleur est occupé». Face à l'énumération précise des informations que l'employeur est tenu de communiquer au travailleur, il n'est à notre avis pas possible de douter du contenu normatif clair et précis de la disposition. A cette conclusion ne s'oppose pas non plus le fait que la directive offre au législateur national le choix entre la communication du titre, du grade, de la qualité ou de la catégorie de l'emploi et celle de ses caractéristiques ou de sa description sommaire.

En effet, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour, «la faculté, pour l'État, de choisir parmi une multiplicité de moyens possibles en vue d'atteindre le résultat prescrit par une directive n'exclut pas la possibilité, pour les particuliers, de faire valoir devant les juridictions nationales les droits dont le contenu peut être déterminé avec une précision suffisante sur la base des seules dispositions de la directive» (17). En prescrivant la communication des éléments visés à l'article 2, paragraphe 2, sous c), la directive a comme objectif d'assurer au travailleur la connaissance des caractéristiques fondamentales des fonctions à assumer. Même en tenant compte du choix accordé au législateur national, il est donc possible de déterminer le contenu minimal de l'obligation d'information, qui en toute hypothèse permet d'atteindre l'objectif: la communication des caractéristiques ou la description sommaire de l'emploi.

Il y a donc lieu de considérer que l'obligation de communication a un caractère inconditionnel et suffisamment précis.

16 L'effet direct d'une disposition contenue dans une directive peut, de jurisprudence constante, être invoqué contre l'État qui n'a pas appliqué la directive dans les délais ou correctement, mais pas à l'égard des particuliers (18). Au reste, on sait que la jurisprudence de la Cour a attribué une large portée à l'effet direct «vertical», en étendant la possibilité d'invoquer la directive à l'encontre des organes territoriaux (19) ou d'autorités qui offrent des services publics (20) et, de manière plus générale, à l'égard d'«organismes ou d'entités qui étaient soumis à l'autorité ou au contrôle de l'État ou qui disposaient de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers» (21), indépendamment de la forme juridique que revêt l'organisme en question.

Dans les affaires C-253/96 et C-256/96, la défenderesse devant le juge national est une «union provinciale» qui, au dire du juge de renvoi, est une entité territoriale, de sorte que la disposition de la directive peut certainement être invoquée à son encontre. Dans les affaires C-257/96 et C-258/96, les employeurs sont des entreprises municipales de services des villes de Witten et d'Altena, ou sont en tout cas contrôlées par ces municipalités, et donc, en vertu du pouvoir que l'entité territoriale qui les contrôle exerce sur elles, la directive peut aussi être invoquée à leur encontre.

17 Pour la période postérieure à la transposition de la directive, l'effet direct entre en ligne de compte pour le cas où la transposition n'a pas été correcte.

En particulier, le juge national a des doutes quant à la transposition correcte de l'article 2, paragraphe 2, sous c), de la directive par la loi du 20 juillet 1995 et, en particulier, par son article 2, paragraphe 1, point 5, en vertu duquel l'employeur doit informer le travailleur sur la «dénomination ou la description générale de l'activité qui doit être exercée par le travailleur».

18 Nous avons déjà rappelé que la directive permet au législateur national de choisir, lors de la transposition, de prescrire l'indication du titre, du grade, de la qualité ou de la catégorie d'emploi [article 2, paragraphe 2, sous c), i)] ou les caractéristiques ou la description sommaire de l'emploi [même article, point ii)]. Le législateur allemand a donc légitimement opté pour la deuxième possibilité. Toutefois, dans la formulation de la disposition nationale correspondante, le législateur a permis à l'employeur de remplir son obligation en informant le travailleur de la seule «dénomination» de l'activité, alors que la directive exige au moins la communication de ses «caractéristiques» (22).

Nous estimons que l'obligation d'informer le travailleur sur la seule «dénomination» de son activité ne permet pas d'atteindre l'objectif fixé sur ce point dans la directive: à savoir de garantir au travailleur la connaissance des principales caractéristiques de son emploi. En effet, même sans vouloir souscrire à l'interprétation offrant le plus de garanties, selon laquelle la disposition nécessiterait une individualisation analytique des tâches confiées au travailleur (23), il est certain que le travailleur doit être mis en mesure de connaître, même si c'est sommairement, le contenu de la prestation qu'il devra fournir. Si dans certains cas la dénomination des fonctions pourrait satisfaire cette exigence, cela pourrait ne pas être vrai pour d'autres types d'emploi, dont la description impose d'en déterminer les caractéristiques essentielles. En conséquence, l'article 2, paragraphe 1, point 5, de la loi du 20 juillet 1995 n'a pas correctement transposé la disposition de l'article 2, paragraphe 2, sous c), ii), de la directive, de sorte que cette dernière peut être invoquée utilement par les particuliers, à la fois pour qu'il en soit fait application à la place de la norme interne correspondante et pour que l'interprétation de la norme interne lui soit conforme.

La troisième question préjudicielle

19 Par la troisième question, le juge national demande à la Cour d'interpréter l'expression «qualité ou catégorie d'emploi» qui, selon l'article 2, paragraphe 2, sous c), i), de la directive, constitue un des éléments qui font l'objet de la communication au travailleur. En particulier, le juge national voudrait savoir si le travailleur doit être en mesure de déduire du classement à un niveau déterminé de rémunération et dans une catégorie professionnelle déterminée s'il a vocation à être promu en présence de conditions déterminées.

20 A titre préliminaire, il convient de relever que la réponse que nous suggérons de faire à la question précédente prive la demande du juge national de pertinence. En effet, étant donné qu'il était permis au législateur national d'appliquer la directive sans imposer la communication de la «qualité ou de la catégorie d'emploi», mais en exigeant seulement la communication des caractéristiques ou la description sommaire du travail, et que c'est précisément l'orientation choisie par le législateur allemand dans l'article 2, paragraphe 1, point 5, de la loi du 20 juillet 1995, la réponse à la question ne semble plus pertinente. En tout état de cause, pour le cas où la Cour ne serait pas de cet avis, nous estimons pouvoir formuler les remarques suivantes.

21 La directive se borne à exiger que l'employeur informe le travailleur sur sa position contractuelle lors de son engagement et lui communique les modifications apportées en cours de contrat aux éléments contractuels tels que spécifiés dans la communication initiale. Il ne nous semble pas possible de déduire de la disposition communautaire l'obligation pour l'employeur de fournir des informations de nature à permettre au travailleur de déceler à l'avance sa progression de carrière; celle-ci dépendra principalement de la convention collective. Du reste, il est significatif que la directive veuille assurer l'information du travailleur non eu égard à tout aspect du contrat et à chacune de ses implications, mais seulement par référence aux «éléments essentiels» de celui-ci (article 2, paragraphe 1). Il est également significatif que la directive vise à fournir au travailleur une information «minimale» (24), en admettant implicitement que d'autres informations sur la condition juridique du travailleur échappent à l'obligation de communication de la part de l'employeur.

La cinquième question

22 Par la cinquième question préjudicielle, le juge a quo demande à la Cour d'interpréter l'article 9, paragraphe 2, de la directive, selon lequel, pour les contrats existant à l'entrée en vigueur des dispositions d'application de la directive, l'employeur remet au travailleur les documents prévus par l'article 2 à la demande de ce dernier, et donc, en l'absence d'une telle demande, l'employeur n'est pas tenu de l'informer sur les éléments essentiels du contrat. En particulier, le juge allemand demande à la Cour d'apprécier la compatibilité, avec la disposition de la directive que nous venons de citer, de l'article 4 de la loi du 20 juillet 1995, dans la mesure où elle exonère l'employeur de l'obligation de remettre au travailleur un document écrit dans le cas dans lequel un document établi antérieurement ou un précédent contrat de travail contient déjà les éléments nécessaires (25). Dans ces cas, selon le juge allemand, la précédente communication étant valide, l'employeur qui fait une nouvelle communication contraire à la précédente devrait en prouver l'exactitude.

23 La disposition de la directive constitue un compromis évident entre le droit du travailleur à être informé, droit par rapport auquel il paraît intolérable d'établir une discrimination entre travailleurs engagés avant et travailleurs engagés après la transposition de la directive (26), et l'exigence de ne pas imposer une charge bureaucratique excessive à l'employeur, qui serait autrement contraint d'adresser dans un délai assez bref les documents d'information à un nombre de travailleurs potentiellement très élevé.

L'équilibre entre les deux intérêts différents est réalisé par la directive en subordonnant l'information à une demande du travailleur. S'agissant d'une dérogation à l'obligation fondamentale prévue par la directive, nous estimons que le législateur national ne peut pas en étendre la portée au-delà de ce qui est expressément prévu. La disposition allemande en cause autorise l'employeur à ne pas informer le travailleur, pas même à sa demande, lorsqu'il existe des documents préexistants dont résultent les éléments exigés par la directive. De cette façon, on porte atteinte plus qu'il n'est permis au droit du travailleur à l'information, en l'obligeant à reconstituer sa situation contractuelle sur la base d'une multiplicité de documents antérieurs, au détriment du besoin de clarté que, au travers de sa demande d'information à l'employeur, le travailleur avait manifesté.

24 Nous en venons ensuite à l'autre problème posé par la cinquième question et qui est relatif au caractère contraignant des communications écrites antérieures à la transposition de la directive. Qu'il nous soit permis à cet égard de renvoyer à ce que nous avons déjà observé dans les considérations développées à propos de la première et de la quatrième question. La communication ne remplace pas le contrat de travail et les obligations (et les droits) des parties ne résultent que du contrat de travail. Une nouvelle communication différente de la précédente ne peut être justifiée que par une modification d'un élément du contrat. Celui qui veut se prévaloir de cette modification peut en fournir la preuve aussi en produisant la nouvelle communication, dans les limites et avec les effets qui lui sont reconnus par le droit processuel interne.

Conclusion

25 A la lumière des considérations qui précèdent, nous suggérons donc à la Cour de répondre comme suit aux questions posées par le Landesarbeitsgericht Hamm dans les différentes affaires examinées :

«1) L'article 2, paragraphe 2, de la directive 91/533/CEE du Conseil, du 14 octobre 1991, relative à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail, doit être interprété en ce sens qu'il n'a pas pour but le renversement de la charge de la preuve lorsqu'on entend faire valoir en justice les éléments du contrat ou de la relation de travail objet de la communication écrite; cette dernière, tout en n'étant pas la source des obligations contractuelles, constitue un élément de preuve à apprécier dans les limites et selon les règles de procédure propres à l'ordre juridique national visé (première et quatrième questions).

2) La disposition de l'article 2, paragraphe 2, sous c), de la directive 91/533 est directement applicable à compter du 1er juillet 1993, au moins dans la mesure où elle prescrit l'obligation minimale de communiquer au travailleur les informations relatives à la caractérisation ou à la description sommaires du travail; pour la période postérieure à l'application de la directive dans l'ordre juridique national, cette disposition peut être invoquée devant le juge national en cas de transposition incorrecte en droit national (deuxième question).

3) L'expression `qualité ou catégorie d'emploi' visée à l'article 2, paragraphe 2, sous c), i), de la directive 91/533 doit être interprétée en ce sens que l'on ne saurait en déduire l'obligation pour l'employeur de fournir des informations telles que le travailleur puisse en déduire sa progression de carrière (troisième question).

4) L'article 9, paragraphe 2, de la directive 91/533 doit être interprété en ce sens qu'il fait obstacle à l'application d'une disposition nationale, telle que l'article 4, deuxième phrase, de la loi allemande d'application, qui exonère l'employeur de l'obligation de remettre au travailleur, même lorsque ce dernier en fait la demande, un document écrit dans le cas dans lequel un document rédigé antérieurement ou un précédent contrat écrit contient déjà les éléments nécessaires (cinquième question).»

(1) - JO L 288, p. 32.

(2) - La base juridique choisie pour l'adoption de la directive est l'article 100 du traité, mais son cinquième considérant mentionne également l'article 177 et l'obligation qui en découle pour les États membres de «promouvoir l'amélioration des conditions de vie et de travail de la main-d'oeuvre permettant leur égalisation dans le progrès».

(3) - En particulier, au point 17 de la charte, les États reconnaissent qu'«il convient de développer l'information, la consultation et la participation des travailleurs, selon des modalités adaptées, en tenant compte des pratiques en vigueur dans les différents États membres».

(4) - Il s'agit d'éléments du contrat ou de la relation de travail eu égard auxquels la directive n'autorise pas à remplir l'obligation d'information par le biais d'un renvoi à des dispositions normatives ou à des conventions collectives qui régissent la matière, contrairement aux éléments visés sous f), g), h) et i) (voir article 2, paragraphe 3), mettant ainsi en évidence le fait que le travailleur a droit, par rapport aux éléments en question, à une information détaillée et individuelle.

(5) - En vertu de l'article 3 de la directive, constituent un moyen d'information adapté tant le contrat de travail écrit, que la lettre d'engagement ou un autre document écrit ou une déclaration écrite et signée par l'employeur, à condition que tous, même considérés globalement, contiennent les éléments visés à l'article 2. Autrement dit, il faut que l'information sur les éléments essentiels du contrat ou du rapport de travail soit assurée sous forme écrite.

(6) - Voir article 9, paragraphe 1, de la directive.

(7) - Gesetz über den Nachweis der für ein Arbeitsverhälnis geltenden wesentlichen Bedingungen (Nachweisgesetz- NachwG), BGBl. I, p. 946.

(8) - Selon l'article 4, deuxième phrase, «Soweit eine früher ausgestellte Niederschrift oder ein schriftlicher Arbeitsvertrag die nach diesem Gesetz erforderlichen Angaben enthält, entfällt diese Verpflichtung».

(9) - En réalité, dans cette question comme dans les autres, le juge de renvoi se réfère à l'article 2, paragraphe 2, sous c), ii), de la directive. Comme l'ont relevé la Commission et le gouvernement allemand dans leurs observations respectives, la question fait toutefois référence au point i) de cette disposition, ce qui trouve, du reste, confirmation dans le fait que la question suivante mentionne la «qualité ou la catégorie d'emploi», expression qui figure au point i) et non au point ii).

(10) - Voir nos remarques dans la note précédente.

(11) - La quatrième question préjudicielle dans les affaires C-257/96 et C-258/96 est formulée différemment, compte tenu des particularités des faits des espèces en cause. Toutefois, dans ces deux affaires aussi, le juge national souhaite obtenir des précisions sur la valeur probante de l'information communiquée au travailleur sur son classement; et ce afin de vérifier dans quelle mesure le travailleur a la charge de prouver les fonctions effectivement exercées. La formulation littérale différente de la question ne requiert donc pas un traitement séparé.

(12) - Cette disposition s'écarte en partie de la proposition de la Commission, intitulée de manière significative «proposition de directive du Conseil relative à un élément de preuve de la relation de travail» (JO 1991, C 24, p. 3), sans pourtant aller à l'encontre de son objectif. Le quatrième considérant de la proposition justifiait l'acte par la nécessité d'«établir au niveau communautaire l'obligation générale selon laquelle tout travailleur salarié doit disposer d'un document constituant un élément de preuve des conditions essentielles de la relation de travail qui le lie à son employeur». La finalité de cette proposition était, de manière déclarée, de garantir au travailleur un autre moyen de preuve des droits qu'il retire de son contrat de travail, ainsi qu'il ressort du reste clairement de l'avis du Comité économique et social (JO 1991, C 159, p. 32). Sur les différences entre la proposition et le texte adopté ensuite, voir Clark, J., Hall, M., The Cinderella Directive? Employee Rights to Information about Conditions Applicable to their Contract or Employment Relationship, dans ILJ, 1992, p. 108; Bercusson, B.: European Labour Law, Londres, 1996, p. 433 et suiv.

(13) - Voir le deuxième considérant de la directive.

(14) - L'objectif de la proposition de la Commission était aussi cohérent avec cette interprétation, au point que le Comité économique et social suggérait dans son avis (voir note 12) de remanier la rédaction de l'article 2 comme suit: «... la relation de travail et les conditions qui la régissent pourront être attestées par tout moyen adéquat» et ce dans la mesure où «si la preuve de l'existence de la relation de travail devait être conditionnée, d'une manière ou d'une autre, par l'acquittement par l'employeur de son obligation de délivrer un document écrit, les tribunaux pourraient être conduits à présumer l'inexistence de la relation de travail toutes les fois qu'un contrat n'a pas été constaté par écrit. Dans ce cas, le travailleur serait placé dans une position défavorable et il deviendrait difficile de prouver l'existence de la relation de travail».

(15) - Concernant ce qui a été dit en relation avec le point i) de la disposition en question, le thème de l'effet direct peut être utilement traité en relation avec toute la disposition prévue sous c) qui, comme nous l'avons déjà dit et comme on le verra mieux par la suite, représente deux alternatives.

(16) - Voir, parmi de très nombreux arrêts, ceux du 19 janvier 1982, Becker, (8/81, Rec. p. 53); du 17 octobre 1989, Carpaneto Piacentino e.a. (231/87 et 129/88, Rec. p. 3233); du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357), et du 23 février 1994, Comitato di coordinamento per la difesa della cara e.a. (C-236/92, Rec. p. I-483).

(17) - Voir arrêt Francovich, précité dans la note précédente, point 17.

(18) - Voir surtout l'arrêt du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C-91/92, Rec. p. I-3325).

(19) - Voir arrêt du 22 juin 1989, Fratelli Costanzo (103/88, Rec. p. 1839).

(20) - Voir arrêt du 26 février 1986, Marshall (152/84, Rec. p. 723).

(21) - Voir arrêt du 12 juillet 1990, Foster (C-188/89, Rec. p. I-3313, point 18).

(22) - La disposition allemande se lit littéralement comme suit: «die Bezeichnung oder allgemeine Beschreibung der vom Arbeitnehmer zu leistenden Tätigkeit», alors que, même dans la version allemande, la disposition contenue dans la directive requiert l'information sur la «kurze Charakterisierung oder Beschreibung der Arbeit».

(23) - Cette interprétation pouvait peut-être trouver une meilleure justification dans le texte de la proposition de la Commission, qui exigeait la communication des «caractéristiques du type d'emploi et de la catégorie du poste». Voir, toutefois, l'avis du Comité économique et social qui estime cette formulation «excessive».

(24) - On peut le déduire du fait que l'article 2, paragraphe 2, exige que l'information porte «au moins» sur les éléments indiqués après et que l'article 2, paragraphe 2, sous j), admet que le contenu de l'information puisse être complété par l'employeur par référence aux conventions collectives.

(25) - Pour le texte de l'article 4, deuxième phrase, de la loi allemande nous renvoyons à la note 8.

(26) - L'exigence d'égalité de traitement est soulignée par Clark, J., et Hall, M.: The Cinderella Directive?, précité à la note 12, p. 111.

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