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Document 61996CC0187

    Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 11 décembre 1997.
    Commission des Communautés européennes contre République hellénique.
    Manquement d'Etat - Libre circulation des travailleurs - Article 48 du traité CE - Article 7 du règlement (CEE) nº 1612/68 - Personne travaillant dans le service public d'un Etat membre - Reconnaissance mutuelle des périodes de service effectuées dans le service public d'un autre Etat membre.
    Affaire C-187/96.

    Recueil de jurisprudence 1998 I-01095

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1997:604

    61996C0187

    Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 11 décembre 1997. - Commission des Communautés européennes contre République hellénique. - Manquement d'Etat - Libre circulation des travailleurs - Article 48 du traité CE - Article 7 du règlement (CEE) nº 1612/68 - Personne travaillant dans le service public d'un Etat membre - Reconnaissance mutuelle des périodes de service effectuées dans le service public d'un autre Etat membre. - Affaire C-187/96.

    Recueil de jurisprudence 1998 page I-01095


    Conclusions de l'avocat général


    1 Par le présent recours, la Commission demande à la Cour de condamner la République hellénique pour manquement aux obligations que lui impose le droit communautaire, concrètement les articles 5 et 48 du traité CE et l'article 7, paragraphe 1, du règlement (CEE) n_ 1612/68 (1), en refusant, sur la base de sa législation interne, de tenir compte, en ce qui concerne un travailleur employé par l'administration publique, des périodes de service effectuées dans l'administration publique d'un autre État membre, aux fins de son classement dans une catégorie de salaires et de l'octroi d'un complément d'ancienneté. La Commission demande également que la défenderesse soit condamnée aux dépens.

    2 La Commission a été informée de l'existence de la législation litigieuse par une plainte d'un particulier, de nationalité grecque, qui travaille depuis avril 1986 en tant que musicien de l'orchestre municipal de Thessalonique, personne morale de droit public, et auquel il est lié par un contrat régi par le droit privé. L'intéressé avait précédemment travaillé pendant cinq ans pour l'orchestre municipal de Nice. Sa plainte portait sur le refus des autorités helléniques compétentes de tenir compte, aux fins de son classement dans l'échelle des salaires et de l'octroi du complément d'ancienneté, des cinq années de travail accomplies en France, alors que, s'il avait travaillé pendant cette même période au service d'un orchestre municipal en Grèce, cela lui aurait été compté.

    La procédure précontentieuse

    3 Le 13 novembre 1991, la Commission a demandé aux autorités helléniques de lui fournir des informations sur les éléments figurant dans la plainte. Elles ont répondu qu'il était impossible de tenir compte des années pendant lesquelles l'intéressé avait travaillé pour l'orchestre municipal de Nice comme s'il avait travaillé pour un orchestre grec, en donnant pour seule explication que cela serait contraire à la législation en vigueur.

    4 Estimant que la législation en cause enfreignait le principe de libre circulation des travailleurs dans la Communauté, la Commission a décidé d'engager la procédure prévue à l'article 169 du traité. Le 5 octobre 1993, elle a adressé une lettre de mise en demeure aux autorités helléniques, leur accordant un délai de deux mois pour présenter leurs observations. La République hellénique a communiqué ces dernières à la Commission, par lettre du 10 mars 1994. Jugeant que le point de vue exprimé était contraire à ce principe, la Commission a émis, le 18 mai 1995, un avis motivé, auquel la République hellénique devait se conformer dans un délai de deux mois. Le 24 août de la même année, en réponse à cet avis, le gouvernement de cet État membre a développé le point de vue déjà exprimé lors de la présentation de ses observations sur le manquement présumé, en affirmant que les dispositions litigieuses n'avaient pas pour objectif d'établir des discriminations entre les ressortissants de l'État membre ni entre les travailleurs nationaux et étrangers et qu'en toute hypothèse elles n'avaient pas d'effets discriminatoires.

    5 A l'issue du délai imposé à la République hellénique pour se conformer à l'avis motivé, la Commission a introduit le présent recours.

    6 Par lettre du 16 avril 1997, inscrite au registre de la Cour le 24 du même mois, la République hellénique a fait savoir qu'elle avait adopté la loi n_ 2470/97, publiée le 21 mars 1997, dont l'article 17 aurait complété la législation litigieuse, et en demandant de ce fait que la Commission examine la possibilité de se désister. La Commission ne s'étant pas prononcée à cet égard, j'estime qu'elle maintient le recours dans son intégralité.

    Lors de l'audience, la représentante du gouvernement hellénique a lu une décision du ministère de la Culture, du 31 octobre 1997, reconnaissant, au particulier qui avait saisi la Commission d'une plainte, ses années de service à l'orchestre municipal de Nice; elle a en outre affirmé que la loi adoptée en 1997 prévoit déjà que les services accomplis dans l'administration publique d'autres États membres sont reconnus, aux fins du calcul du salaire et de l'ancienneté, par les autorités helléniques.

    Dans cette même audience, la Commission a affirmé que, même si cette législation constitue un pas en avant important dans ce domaine, il reste des points qui ne sont pas clairs et qu'en toute hypothèse cette législation n'a pas d'effet rétroactif.

    Les dispositions nationales litigieuses

    7 Selon les informations dont dispose la Commission, les règles nationales appliquées au particulier auteur de la plainte figurent dans la loi n_ 1505/84, modifiée et complétée par la loi n_ 1810/88, relative à la grille des salaires du personnel de l'administration publique, et concrètement à son article 16, qui a la teneur suivante:

    «Années de service ouvrant droit à une majoration de salaire et à la prime d'ancienneté

    1. Les années de service prises en compte, pour l'évolution dans l'échelle de salaire fixée à l'article 3, l'octroi de la prime d'ancienneté prévue à l'article 9 et la fixation de la rémunération des employés prévue à l'article 15, paragraphe 2, de la loi, sont:

    a) les années de service accomplies dans une administration publique ou auprès de personnes morales de droit public ou de collectivités locales, dans le cadre d'une relation de travail de droit public.

    b) Les années de service accomplies auprès des entités susvisées, dans le cadre d'une relation de travail de droit privé, dans la mesure où elles sont reconnues comme ouvrant droit à pension par l'organisme local compétent ou ont été prises en compte pour le classement à un grade ou toute majoration de salaire.

    c) Les années de service accomplies auprès de personnes morales de droit privé, qui ont été prises en compte sur la base de dispositions spéciales pour la nomination, l'affectation, le classement à un grade ou pour toute autre majoration de salaire, ou qui sont reconnues comme ouvrant droit à pension par l'organisme local compétent ... l'ancienneté des enseignants dans les écoles à Chypre et dans les écoles grecques reconnues de l'étranger, ainsi qu'une période d'un maximum de huit ans, dans la mesure où les dispositions en la matière exigent une période de `qualification' en vue de la nomination. Cette `qualification' peut consister en une ancienneté ou en l'acquisition d'une spécialisation ou d'une expérience (2).

    d) Les années de service accomplies en qualité de militaire de carrière, volontaire ou rengagé dans les forces armées, les corps de sécurité et la police portuaire, après soustraction de la période pendant laquelle l'employé aurait servi comme conscrit ou réserviste s'il n'avait pas été engagé comme militaire (de carrière, volontaire ou rengagé).

    e) Les années de service prises en compte avant l'entrée en vigueur de la présente loi en tant que condition professionnelle substantielle de la nomination...

    f) Les années de service accomplies dans les pays socialistes par des réfugiés politiques rapatriés.

    g) Les années de service des agents de formation dans les écoles de l'enseignement privé.

    2. ...

    3. ...

    4. Les années de service prévues aux points b) et c) du paragraphe 1 du présent article, qui sont prises en compte pour l'évolution dans l'échelle de salaire ou pour l'octroi d'une prime d'ancienneté, sont calculées lors du départ à la retraite de l'employé qui a accompli 35 ans de service.»

    8 Ces dispositions ont été appliquées au particulier par renvoi de l'article 3 de la convention collective spéciale n_ 128, du 10 octobre 1989, relative aux conditions de rémunération et de travail du personnel employé, au titre d'un contrat de droit privé, par le secteur public ou des personnes morales de droit public.

    Les dispositions communautaires

    9 La Commission fait grief à la République hellénique d'avoir manqué aux obligations que lui imposent les articles 5 et 48 du traité et l'article 7, paragraphe 1, du règlement n_ 1612/68; ces dispositions ont la teneur suivante:

    «Article 5 [du traité]

    Les États membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté. Ils facilitent à celle-ci l'accomplissement de sa mission.

    Ils s'abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité.»

    «Article 48 [du traité]

    1. ...

    2. Elle [la libre circulation des travailleurs] implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

    ...»

    «Article 7 [du règlement n_ 1612/68]

    1. Le travailleur ressortissant d'un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage.

    ...»

    Examen du recours

    10 La Commission estime que, même si les dispositions litigieuses sont appliquées sans aucune distinction en fonction de la nationalité, elles comportent en réalité une discrimination cachée, puisqu'elles sont susceptibles de désavantager principalement les ressortissants des autres États membres. En effet, si le fait qu'un État membre reconnaisse comme années de service dans l'administration publique seulement les services effectués dans sa propre administration, en refusant de reconnaître comme telles les années de service effectuées dans l'administration publique d'un autre État membre, semble neutre au regard du droit communautaire, ce n'est qu'une apparence: ce critère de distinction désavantage essentiellement les travailleurs ressortissants d'autres États membres qui ont travaillé successivement dans l'un ou plusieurs d'entre eux, puis en Grèce, puisque l'exigence de travail dans l'administration nationale ne sera satisfaite en réalité que par les travailleurs de nationalité grecque.

    La Commission estime que la législation hellénique litigieuse, en ne prévoyant pas la possibilité de prendre en compte les services effectués dans l'administration d'un autre État membre, constitue également un obstacle à la liberté de circulation des ressortissants grecs, dans la mesure où cela pourrait les dissuader de se déplacer dans d'autres États membres pour y occuper un emploi.

    Elle invoque de surcroît, à l'appui de sa thèse en ce sens que la compétence des États membres pour fixer les conditions de reconnaissance des services antérieurs est limitée par le droit communautaire, le principe dit «de l'assimilation des faits ou événements qui se sont produits sur le territoire d'un autre État membre avec des faits ou événements analogues ayant eu lieu sur le territoire de l'État membre d'accueil», développé par la jurisprudence de la Cour.

    Dans la réplique, la Commission précise que les dispositions de droit hellénique litigieuses ne doivent être considérées comme contraires au droit communautaire que dans la mesure où elles ne prévoient pas la reconnaissance des services effectués antérieurement dans un autre État membre, en tant qu'employé de l'administration publique, d'une personne morale de droit public ou d'une administration locale, l'unique raison de cette exclusion étant que ces services n'ont pas été effectués dans l'administration publique nationale, et que les autres exigences indépendantes de l'État dans lequel l'intéressé a travaillé ne font pas l'objet de son recours. Elle ajoute que le «principe de l'assimilation» ne signifie pas que toute période antérieure de services, dans l'administration d'un autre État membre, sera obligatoirement et automatiquement reconnue, mais que ce principe impose aux autorités compétentes l'obligation de procéder à un examen comparatif minutieux entre les services rendus dans un autre État membre et ceux reconnus au titre de la législation nationale.

    11 La République hellénique soutient dans son mémoire en défense que le fait que la législation interne ne prévoit pas la prise en considération des années de service effectuées dans l'administration publique d'un autre État membre, dans le cadre d'une relation de travail régie par le droit public, s'explique par le fait que l'accès des travailleurs communautaires au service public d'un État membre dont ils ne sont pas ressortissants est un phénomène récent. Elle est d'avis que cette lacune légale ne saurait être comblée par une application généralisée du «principe de l'assimilation», à supposer qu'on en admette l'existence, mais qu'il conviendrait d'adopter préalablement les dispositions nécessaires dans le cadre communautaire.

    La défenderesse estime que la législation litigieuse est justifiée par différentes raisons. La première est qu'il n'est pas toujours facile de déterminer si les fonctions exercées dans un autre État membre constituent un emploi au service de l'administration publique, puisque la frontière entre le secteur privé et le secteur public varie d'un État membre à l'autre, de même que les caractéristiques et les conséquences juridiques de la relation de travail présentent des différences, ce qui rend la comparaison malaisée. La deuxième raison invoquée réside dans les difficultés susceptibles de survenir au moment de décider si l'expérience acquise dans l'administration d'un autre État membre est équivalente à celle qui peut être obtenue dans l'État dans lequel ces services vont être comptés; en effet, si le point de vue de la Commission paraît fondé pour certains cas individuels, il est certain que cela laisse une large marge d'appréciation discrétionnaire, avec le risque de créer des situations arbitraires et des inégalités importantes en matière de majorations de salaire, de déroulement de la carrière professionnelle et de promotions.

    Elle conclut que la combinaison d'éléments, tels que l'absence de dispositions de droit communautaire visant à harmoniser ou à coordonner les législations nationales en ce domaine, les difficultés objectives soulevées par le problème en cause, et le fait que la législation litigieuse ne contient aucune discrimination directe fondée sur la nationalité, fait que la demande de condamnation de la République hellénique s'avère particulièrement lourde et disproportionnée.

    12 En examinant la législation litigieuse, j'observe que les critères pour que les employés du secteur public en Grèce se voient reconnaître, à des fins de salaire et d'ancienneté, les années antérieures de service dans l'administration, entendue au sens large, diffèrent selon que la relation de travail de l'intéressé a été régie par le droit public ou par le droit privé et, dans le second cas, selon que l'employé a été au service d'un organisme de droit public ou d'une personne morale de droit privé.

    13 Si la relation de travail était régie par le droit public, les années de service antérieures sont reconnues d'emblée. En revanche, si la relation était régie par le droit privé, leur reconnaissance aux effets précités est soumise à certaines conditions:

    - si les années de service ont été effectuées dans un organisme public, elles sont reconnues seulement lorsque l'institution compétente les considère comme susceptibles d'engendrer un droit à pension ou, alternativement, lorsqu'elles ont été prises en compte pour le classement en grade ou toute majoration de salaire;

    - si, au contraire, elles ont été accomplies au service d'une personne morale de droit privé, elles sont reconnues en outre lorsque, par application de dispositions spéciales, elles ont été prises en compte aux fins de la nomination, de l'affectation, du classement en grade, ou de toute majoration de salaire.

    14 Il s'avère indiscutablement que la législation hellénique que j'examine ne prévoit pas la possibilité de compter, aux fins citées, les années de service effectuées dans un autre État membre. Il est tout aussi certain qu'elle ne prévoit aucune interdiction à cet effet. En pratique, conformément aux affirmations de la Commission, non démenties par la République hellénique, la reconnaissance est refusée si les services n'ont pas été accomplis en Grèce, sous réserve des exceptions prévues pour le personnel enseignant employé dans des écoles grecques à l'étranger et pour les réfugiés politiques, lesquelles ne font pas l'objet du présent recours.

    15 Il reste à vérifier si un État membre est tenu, en vertu des articles 5 et 48 du traité et de l'article 7 du règlement n_ 1612/68, de compter aux ressortissants des États membres, y compris les siens propres, employés dans son administration publique, les années où ils ont travaillé dans le service public d'un autre État membre, à des fins de calcul du salaire et de l'ancienneté, dans les conditions selon lesquelles il prend en compte les années travaillées dans sa propre administration.

    16 J'aimerais préciser, à titre préliminaire, que, conformément à la jurisprudence de la Cour, le fait que l'employé public qui demande en Grèce la reconnaissance des années accomplies dans le service public d'un autre État membre a la nationalité grecque ne comporte aucune incidence sur l'application du principe de non-discrimination. En effet, tout ressortissant communautaire qui a fait usage de son droit à la libre circulation des travailleurs et qui a exercé une activité professionnelle dans un autre État membre relève, quels que soient son lieu de résidence et sa nationalité, de l'application de l'article 48 du traité (3).

    17 La législation controversée et l'application qu'en font les autorités nationales ne sont pas fondées sur le critère de nationalité en tant qu'élément de distinction pour réglementer la reconnaissance des services antérieurs. C'est également vrai pour la résidence, bien qu'il convienne de reconnaître que la situation géographique de ce pays permet difficilement de concevoir que quelqu'un ait travaillé antérieurement dans l'administration grecque sans résider en Grèce. Je pense toutefois, à l'instar de la Commission, que cela peut comporter une discrimination déguisée et constituer un obstacle à la libre circulation des personnes.

    18 La Cour a estimé, depuis 1974, que «... les règles d'égalité de traitement, tant du traité que de l'article 7 du règlement n_ 1612/68, prohibent non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent au même résultat» (4). La Cour a également affirmé que doivent être regardées comme indirectement discriminatoires les conditions du droit national qui, bien qu'indistinctement applicables selon la nationalité, affectent dans leur grande majorité les travailleurs migrants, ainsi que les conditions indistinctement applicables qui peuvent être plus facilement remplies par les travailleurs nationaux que par les travailleurs migrants, ou encore qui risquent de jouer, en particulier, au détriment des travailleurs migrants (5).

    Il n'en va autrement que si ces dispositions sont justifiées par des considérations objectives, indépendantes de la nationalité des travailleurs concernés, et sont proportionnées à l'objectif légitimement poursuivi par le droit national (6).

    19 Je remarque qu'il s'ajoute en pratique, aux conditions déjà indiquées pour la reconnaissance des services antérieurs, une condition exigeant que les services aient été accomplis en Grèce. C'est une condition objective qui s'applique indistinctement aux travailleurs nationaux et à ceux des autres États membres et qui ne distingue pas non plus selon la résidence du travailleur. Il s'agit toutefois d'une condition que seuls peuvent remplir, en pratique, les travailleurs de nationalité grecque. On arrive ainsi au résultat que l'application des dispositions litigieuses par les autorités helléniques défavorise les travailleurs ressortissant des autres États membres qui, usant de leur droit de libre circulation, se rendent en Grèce pour exercer un emploi dans l'administration publique, puisque le problème de la reconnaissance des services effectués dans d'autres États membres se posera presque exclusivement à ces derniers (7). C'est pourquoi j'estime que ces dispositions s'avèrent discriminatoires.

    20 Il me reste à examiner maintenant si la différence de traitement qui en découle est objectivement justifiée et si elle est proportionnée à l'objectif poursuivi par le droit national. A cet effet, j'analyserai la finalité invoquée en ce qui concerne la norme qui réglemente la reconnaissance, en faveur des employés publics, des services antérieurement accomplis dans l'administration.

    Il me paraît pertinent de rappeler à cette fin que la Cour a déjà estimé, dans l'arrêt Scholz (8), que le refus de prendre en considération la période de travail accomplie dans l'administration publique d'un autre État membre par une ressortissante allemande qui avait acquis la nationalité italienne en raison de son mariage, pour l'attribution de points supplémentaires à l'issue d'un concours général visant à pourvoir à des emplois d'agent de restauration dans une université italienne, constituait une discrimination indirecte injustifiée.

    Par ailleurs, l'avocat général M. Jacobs, dans les conclusions qu'il a présentées le 17 juillet 1997 dans l'affaire C-15/96, en instance devant la Cour, sur la question préjudicielle formée par l'Arbeitsgericht Hamburg dans un litige dans lequel un médecin de nationalité grecque employé par la ville de Hambourg demande la reconnaissance, aux fins de promotion et de calcul de son salaire, de l'expérience acquise dans un autre État membre en tant que médecin exerçant dans la même spécialité, a proposé à la Cour de dire qu'une clause d'une convention collective applicable au service public d'un État membre qui prévoit une promotion après huit ans d'ancienneté dans l'exercice de certaines fonctions, en excluant la prise en compte d'un travail comparable effectué dans l'administration publique d'un autre État membre, est contraire à l'article 48 du traité et à l'article 7, paragraphe 1, du règlement n_ 1612/68 (9).

    21 Il ressort des lettres a), b) et c) de l'article 16 de la loi n_ 1505/84 que, aux fins citées, les services antérieurs sont reconnus en toute hypothèse aux employés publics si le contrat qui les liait à l'administration était régi par le droit public et, sous certaines conditions, s'ils avaient travaillé pour l'administration dans le cadre d'un contrat régi par le droit privé ou avaient été employés par une personne morale de droit privé.

    Ces conditions sont très disparates et elles ne s'appliquent pas de façon cumulative. Comme je l'ai déjà observé, l'une d'elles relève du cadre de la sécurité sociale et consiste à exiger que l'institution compétente admette parallèlement que la période de service est susceptible d'engendrer un droit à pension; l'autre est liée à l'appréciation de l'expérience acquise dans l'exercice de fonctions antérieures, en exigeant que les services antérieurs aient été pris en compte pour la nomination, l'affectation, le classement en grade ou toute augmentation de salaire.

    22 J'en déduis que la finalité de ces règles consiste, en général, à reconnaître que les employés concernés ont déjà démontré par le passé leur aptitude à travailler pour le service public et à éviter qu'un changement de poste ou d'organisme ne leur porte préjudice en affectant leurs droits en matière de salaire.

    En particulier, quand la relation de travail antérieure a été régie par le droit privé, je crois que la règle qui fait dépendre la reconnaissance de ces années de service du fait qu'elles aient été prises en compte pour le classement en grade, la nomination, l'affectation ou une majoration de salaire, vise à récompenser l'expérience que le travailleur apporte à ses fonctions, alors qu'à mon avis la règle qui fait dépendre la reconnaissance de ces années de service de ce que l'institution compétente les considère comme susceptibles d'engendrer un droit à pension vise à grouper les droits à pension du travailleur, en évitant qu'il ne soit désavantagé par son changement d'employeur.

    23 Si telles sont les finalités poursuivies par la réglementation que j'examine, je ne vois aucune justification objective qui permette de limiter la reconnaissance des services antérieurs auprès d'une administration publique, sous un régime de droit public ou de droit privé, à ceux fournis dans l'État membre en cause, en refusant de reconnaître les périodes accomplies dans des situations ou des régimes identiques ou analogues, dans un autre État membre.

    24 En effet, en ce qui concerne l'aptitude du travailleur, celui qui a déjà fait partie du service public dans un autre État membre sera tout aussi apte au service public en Grèce que celui qui a déjà travaillé pour l'administration grecque; c'est pourquoi il n'est pas possible de lui opposer un refus de l'employeur de récompenser l'expérience qu'il a acquise en tant qu'employé public.

    Quant à la règle qui fait dépendre la reconnaissance des années de service antérieures de la condition qu'elles aient été prises en compte pour le classement en grade, la nomination, l'affectation ou une majoration de salaire, je ne vois pas pourquoi il faudrait estimer que l'expérience acquise en Grèce dans l'exercice de fonctions déterminées est meilleure que celle qui s'acquiert en exerçant des fonctions analogues dans un autre État membre.

    Enfin, en ce qui concerne la reconnaissance des droits à pension en tant que condition pour la reconnaissance des services antérieurs, si le travailleur a fait usage de son droit de libre circulation, cette question sera régie par l'article 51 du traité, par le règlement (CEE) n_ 1408/71 (10) et par les principes établis par la jurisprudence de la Cour (11).

    En ce qui concerne la reconnaissance des droits à pension des travailleurs migrants, il convient de rappeler que la Cour a déjà estimé, dans son arrêt Vougioukas (12), qu'une législation nationale selon laquelle, pour l'acquisition de droits à pension, on ne tient compte que des périodes de service effectuées dans les hôpitaux publics nationaux, sans pouvoir reconnaître en tant que telles les périodes similaires effectuées dans les hôpitaux publics d'autres États membres, peut dissuader le travailleur communautaire d'exercer son droit à la libre circulation.

    25 Les autorités helléniques allèguent, en tant que justification de la législation controversée, d'une part, qu'il est impossible, en l'absence de dispositions communautaires à cet effet, de compter les années d'expérience acquises dans un autre État membre. D'autre part, elles invoquent la difficulté de déterminer si un emploi exercé dans un autre État membre constitue un emploi dans l'administration publique, dans la mesure où la frontière entre le secteur privé et le secteur public varie d'un État membre à l'autre et où les caractéristiques et les effets juridiques de la relation de travail sont également différents.

    26 En ce qui concerne la première allégation, je voudrais rappeler que, dès 1974, la Cour a reconnu un effet direct à l'article 48 du traité: cela signifie que cette disposition confère aux particuliers des droits que les tribunaux nationaux doivent sauvegarder et qu'elle impose aux États membres une obligation précise qui ne nécessite l'intervention d'aucun acte, soit des institutions de la Communauté, soit des États membres, et qui ne laisse à ceux-ci, pour son exécution, aucune faculté d'appréciation (13).

    27 Quant à la difficulté que comporte la comparaison entre le régime sous lequel les services ont été effectués à l'étranger et le régime sous lequel les mêmes services ou des services similaires sont effectués en Grèce, il s'agit d'un problème pratique qui ne saurait affecter l'application du principe selon lequel les ressortissants communautaires ne doivent pas subir, dans le cadre de leur emploi, de discriminations fondées sur leur nationalité. Tout doute sur la correspondance entre l'un ou l'autre régime peut être facilement dissipé au moyen de certificats délivrés par l'employeur ou par les autorités consulaires concernées (14).

    28 Je souhaiterais rappeler, en outre, qu'un État membre ne saurait invoquer une difficulté supposée ou réelle pour justifier le manquement aux obligations que lui impose le droit communautaire. On le sait, la seule excuse valable admise par la Cour pour justifier un manquement consiste dans l'impossibilité absolue de l'État membre de satisfaire à ses obligations (15).

    29 Je terminerai en indiquant que la réglementation litigieuse, qui établit une différence de traitement entre les travailleurs qui n'ont pas exercé leur droit à la libre circulation et les travailleurs migrants, ne constitue pas seulement une discrimination cachée au détriment des travailleurs nationaux d'autres États membres; elle doit également être considérée comme un obstacle à la libre circulation des ressortissants grecs, qui peuvent être dissuadés d'exercer leur droit de libre circulation lorsqu'ils savent que, s'ils se déplacent dans un autre État membre pour y travailler, avec l'intention de retourner dans leur pays d'origine et d'entrer dans la fonction publique nationale, les années passées à l'étranger seront complètement «perdues» du point de vue de la prise en compte de l'expérience acquise et de l'ancienneté, avec les conséquences que cela comporte en matière de salaire. A cet égard, la Cour a affirmé que «... l'ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes vise à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l'exercice d'activités professionnelles de toute nature sur le territoire de la Communauté et s'oppose aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d'un autre État membre» (16).

    Les dépens

    La Commission ayant établi le bien-fondé de ses moyens, il convient de condamner la République hellénique au paiement des dépens, en application de l'article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure.

    Conclusions

    Pour les raisons qui viennent d'être exposées, je propose à la Cour de:

    - déclarer que, en refusant de reconnaître les services accomplis antérieurement par ses employés dans l'administration publique des autres États membres, dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles elle reconnaît les services accomplis dans sa propre administration, aux fins de classement dans l'échelle des salaires, d'octroi du complément d'ancienneté, et pour déterminer la rémunération, la République hellénique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 48 du traité CE et de l'article 7 du règlement (CEE) n_ 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté;

    - condamner la République hellénique aux dépens.

    (1) - Règlement du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).

    (2) - La version de ce point c) est celle qui résulte de la loi n_ 1810/88 [de même que pour les points e), f) et g) de cet article].

    (3) - Arrêts du 23 février 1994, Scholz (C-419/92, Rec. p. I-505, point 9), et du 22 novembre 1995, Vougioukas (C-443/93, Rec. p. I-4033, point 38).

    (4) - Arrêts du 12 février 1974, Sotgiu (152/73, Rec. p. 153, point 11), et du 30 mai 1989, Allué et Coonan (33/88, Rec. p. 1591, point 11).

    (5) - Arrêt du 23 mai 1996, O'Flynn (C-237/94, Rec. p. I-2617, point 18).

    (6) - Ibid., point 19.

    (7) - Arrêt du 4 octobre 1991, Paraschi (C-349/87, Rec. p. I-4501, point 24).

    (8) - Précité à la note 3, point 11.

    (9) - Affaire Schöning- Kougebetopoulou.

    (10) - Règlement du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travaileurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans la version modifiée et consolidée du règlement (CEE) n_ 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6).

    (11) - Arrêts Scholz et Vougioukas, précités à la note 3, et arrêt du 25 juin 1997, Mora Romero (C-131/96, Rec. p. I-3659).

    (12) - Précité à la note 3, points 39 et 40.

    (13) - Arrêt du 4 décembre 1974, Van Duyn (41/74, Rec. p. 1337, points 5 à 8).

    (14) - Conclusions de l'avocat général M. Jacobs dans l'affaire Scholz, précitée à la note 3, p. I-507, point 30.

    (15) - Arrêts du 4 avril 1995, Commission/Italie (C-350/93, Rec. p. I-699, point 15); du 10 juin 1993, Commission/Grèce (C-183/91, Rec. p. I-3131, point 10); du 2 février 1989, Commission/Allemagne (94/87, Rec. p. 175, point 8), et du 15 janvier 1986, Commission/Belgique (52/84, Rec. p. 89, point 14).

    (16) - Arrêt du 15 décembre 1995, Bosman (C-415/93, Rec. p. I-4921, point 94).

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