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Document 61995CJ0066

Arrêt de la Cour du 22 avril 1997.
The Queen contre Secretary of State for Social Security, ex parte Eunice Sutton.
Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni.
Directive 79/7/CEE - Egalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale - Responsabilité d'un Etat membre pour violation du droit communautaire - Droit de percevoir des intérêts sur des arriérés de prestations de sécurité sociale.
Affaire C-66/95.

Recueil de jurisprudence 1997 I-02163

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1997:207

61995J0066

Arrêt de la Cour du 22 avril 1997. - The Queen contre Secretary of State for Social Security, ex parte Eunice Sutton. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni. - Directive 79/7/CEE - Egalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale - Responsabilité d'un Etat membre pour violation du droit communautaire - Droit de percevoir des intérêts sur des arriérés de prestations de sécurité sociale. - Affaire C-66/95.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-02163


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1 Politique sociale - Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale - Retard dans le versement de prestations de sécurité sociale dû à une discrimination interdite par la directive 79/7 - Droit au paiement d'intérêts sur les montants finalement versés - Absence

(Directive du Conseil 79/7, art. 6)

2 Droit communautaire - Droits conférés aux particuliers - Violation par un État membre - Obligation de réparer le préjudice causé aux particuliers - Conditions - Modalités de la réparation - Application du droit national - Limites

Sommaire


3 L'article 6 de la directive 79/7, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, n'impose pas qu'un particulier puisse obtenir le paiement d'intérêts sur des montants versés au titre d'arriérés de prestations de sécurité sociale, lorsque le retard dans le versement de la prestation est dû à une discrimination interdite par la directive 79/7.$

En effet, les montants dus au titre de prestations de sécurité sociale, qui sont versés aux intéressés par les organismes compétents, auxquels il incombe notamment de vérifier si les conditions fixées par les textes applicables en la matière sont remplies, n'ont aucunement la nature de réparation d'un dommage subi, et ne peut se voir appliquer le raisonnement développé par la Cour à propos d'un dédommagement permettant le rétablissement d'une égalité de traitement effective dans son arrêt du 2 août 1993, Marshall, C-271/91, et selon lequel l'octroi d'intérêts, selon les règles nationales applicables, doit être considéré comme une composante indispensable d'un tel dédommagement. Dès lors, si l'article 6 de la directive 79/7 oblige les États membres à adopter les mesures nécessaires pour que toute personne qui s'estime victime d'une discrimination interdite par la directive dans le cadre de l'octroi de prestations de sécurité sociale puisse faire constater l'illégalité d'une telle discrimination et obtenir le paiement des prestations auxquelles elle aurait eu droit en son absence, le paiement d'intérêts sur les arriérés de prestations ne saurait être considéré comme une composante essentielle du droit ainsi défini.$

4 Un État membre est tenu de réparer les dommages causés à un particulier par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables. Cette obligation existe dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit violée a pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation est suffisamment caractérisée et qu'il existe un lien de causalité direct entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées.$

Sous réserve du droit à réparation qui trouve directement son fondement dans le droit communautaire dès lors que ces trois conditions sont réunies, c'est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu'il incombe à l'État de réparer les conséquences du préjudice causé, étant entendu que les conditions fixées par les législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne ni aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation.

Parties


Dans l'affaire C-66/95,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par la High Court of Justice of England and Wales, Queen's Bench Division, et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

The Queen

et

Secretary of State for Social Security, ex parte: Eunice Sutton,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation du droit communautaire en ce qui concerne le droit d'obtenir le paiement d'intérêts sur des montants perçus au titre d'arriérés d'une prestation de sécurité sociale relevant du champ d'application de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24),

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, G. F. Mancini (rapporteur), J. C. Moitinho de Almeida et L. Sevón, présidents de chambre, P. J. G. Kapteyn, C. Gulmann, D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann et H. Ragnemalm, juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour Mme Sutton, par M. Richard Drabble, QC, mandaté par Mme Carolyn George du Child Poverty Action Group,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. John E. Collins, Assistant Treasury Solicitor, en qualité d'agent, assisté de M. Christopher Vajda, barrister,

- pour le gouvernement allemand, par M. Ernst Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agent,

- pour le gouvernement suédois, par Mme Lotty Nordling, rättschef au département du commerce extérieur du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Christopher Docksey et Mme Marie Wolfcarius, membres du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Mme Sutton, représentée par M. Richard Drabble, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par MM. John E. Collins et Stephen Richards, barrister, du gouvernement suédois, représenté par M. Erik Brattgård, departementsråd au département du commerce extérieur du ministère des Affaires étrangères, et de la Commission à l'audience du 25 juin 1996,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 19 septembre 1996,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 12 octobre 1994, parvenue à la Cour le 13 mars 1995, la High Court of Justice of England and Wales, Queen's Bench Division, a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation du droit communautaire en ce qui concerne le droit d'obtenir le paiement d'intérêts sur des montants perçus au titre d'arriérés d'une prestation de sécurité sociale relevant du champ d'application de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Mme Sutton au Secretary of State for Social Security (ci-après le «Secretary of State») au sujet du versement d'intérêts sur des sommes payées au titre d'arriérés d'une prestation de sécurité sociale dénommée «Invalid Care Allowance» (ci-après l'«ICA»).

Sur la directive 79/7

3 Conformément à son article 1er, la directive 79/7 vise à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans le domaine de la sécurité sociale et de certains autres éléments de protection sociale précisés à l'article 3.

4 Il résulte de l'article 2 que la directive s'applique à la population active, y compris les travailleurs indépendants, les travailleurs dont l'activité est interrompue par une maladie, un accident ou un chômage involontaire et les personnes à la recherche d'un emploi, ainsi qu'aux travailleurs retraités et aux travailleurs invalides.

5 En vertu de l'article 4, le principe de l'égalité de traitement implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial et familial, en particulier pour ce qui concerne le champ d'application des régimes de sécurité sociale et leurs conditions d'accès, l'obligation de cotiser et le calcul des cotisations, le calcul des prestations et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations.

6 L'article 6 oblige les États membres à introduire dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour permettre à toute personne qui s'estime lésée par la non-application du principe de l'égalité de traitement de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle après, éventuellement, le recours à d'autres instances compétentes.

7 L'article 7, paragraphe 1, sous a), précise que la directive ne fait pas obstacle à la faculté qu'ont les États membres d'exclure de son champ d'application la fixation de l'âge de la retraite pour l'octroi des pensions de retraite et les conséquences pouvant en découler pour d'autres prestations.

Sur le droit national applicable

8 L'article 37, paragraphe 1, du Social Security Act 1975 (loi sur la sécurité sociale, ci-après la «loi»), tel que modifié, dispose qu'une personne a droit à l'ICA pour chaque jour au cours duquel elle se consacre à l'assistance d'une personne frappée d'incapacité grave, si cette activité est régulière et substantielle, si elle n'est pas rémunérée et si la personne frappée d'incapacité est le parent de l'intéressé au sens de la législation applicable. Le paragraphe 5 du même article prévoit qu'une personne qui a atteint l'âge de la retraite n'a pas droit à l'ICA, à moins qu'elle n'y ait eu droit, ou qu'elle ne soit considérée comme y ayant eu droit, immédiatement avant d'atteindre cet âge. Au Royaume-Uni, l'âge de la retraite est fixé à 60 ans pour les femmes et à 65 ans pour les hommes.

9 En droit anglais, aucun intérêt n'est payable sur les arriérés de prestations de sécurité sociale au titre de la période antérieure à la décision de l'organisme compétent en faveur de l'intéressé.

Sur le litige au principal

10 Mme Sutton, dont la fille est tombée malade en 1968, se consacre à ses soins depuis cette année-là. Le 19 février 1987, Mme Sutton, qui avait alors 63 ans, s'est adressée à l'Adjudication Officer (ci-après l'«Officer»), autorité nationale compétente, pour demander à bénéficier de l'ICA. L'Officer a rejeté cette demande au motif que Mme Sutton avait atteint l'âge de la retraite et ne pouvait être considérée comme ayant eu droit à l'ICA avant d'atteindre cet âge.

11 Mme Sutton a contesté cette décision devant le Social Security Appeal Tribunal (ci-après le «Tribunal»), faisant valoir que l'article 37, paragraphe 5, de la loi était contraire à la directive 79/7 puisqu'il l'empêchait, en raison de son âge, de bénéficier des prestations sociales auxquelles aurait eu droit un homme du même âge.

12 Le Tribunal a rejeté le recours en constatant, d'une part, que l'article 37, paragraphe 5, de la loi n'était pas contraire à la directive 79/7 puisque la différence entre hommes et femmes dans l'octroi des prestations sociales découlait de la fixation d'âges de retraite différents et était donc autorisée par l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive. D'autre part, Mme Sutton n'entrerait pas dans le champ d'application de la directive 79/7 tel que défini dans son article 2, puisqu'elle aurait travaillé pour la dernière fois en 1957.

13 Mme Sutton a interjeté appel de cette décision devant le Social Security Commissioner (ci-après le «Commissioner»), qui a décidé de surseoir à statuer sur son recours en attendant que certaines juridictions supérieures et la Cour de justice tranchent des litiges parallèles. Après l'arrêt de la Cour du 30 mars 1993, Thomas e.a. (C-328/91, Rec. p. I-1247), le Commissioner a considéré que l'Officer ne pouvait invoquer l'article 7, paragraphe 1, sous a), de la directive 79/7 pour refuser l'ICA aux femmes âgées de plus de 60 ans en vertu de l'article 37, paragraphe 5, de la loi.

14 A l'audience du 21 janvier 1994 devant ce même Commissioner, Mme Sutton a pu établir qu'elle relevait du champ d'application de la directive, parce qu'elle travaillait à mi-temps lorsque sa fille est tombée malade. Usant du pouvoir qui lui est conféré de faire rétroagir le versement de l'ICA un an avant la date de la demande, le Commissioner a donc décidé que Mme Sutton avait droit à l'ICA à compter du 19 février 1986 jusqu'à la date de son décès et que le paiement des arriérés de l'ICA ferait l'objet d'une compensation, en raison de paiements excédentaires effectués antérieurement au titre d'autres prestations non cumulables. Mme Sutton a ainsi reçu 5 588,60 UKL à titre d'arriérés de l'ICA.

15 Par lettre du 8 février 1994 adressée au Secretary of State, le Child Poverty Action Group, agissant au nom de Mme Sutton, a réclamé des intérêts sur le montant des arriérés qui avaient été octroyés à cette dernière. Le Secretary of State a rejeté cette demande au motif que le droit national ne prévoit pas le paiement d'intérêts sur les prestations de sécurité sociale.

16 Mme Sutton a intenté un recours contre cette décision devant la High Court of Justice, Queen's Bench Division, en faisant valoir, d'une part, que, sur la base de l'arrêt de la Cour du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357), elle avait droit à la réparation des dommages subis en raison de la violation de la directive par le Royaume-Uni. D'autre part, l'article 6 de la directive imposerait le paiement d'intérêts sur les arriérés de prestations, de la même manière que l'article 6 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40), imposerait le paiement d'intérêts sur le montant versé à titre de réparation pour un licenciement discriminatoire (arrêt du 2 août 1993, Marshall II, C-271/91, Rec. p. I-4367).

17 C'est dans le cadre de ce litige que la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice la question préjudicielle suivante:

«Lorsqu'un demandeur a droit à une prestation nationale de sécurité sociale du fait qu'il relève du champ d'application de la directive 79/7/CEE du Conseil, le droit communautaire lui donne-t-il, dans les circonstances de la présente affaire, droit à des intérêts sur la prestation octroyée et, dans l'affirmative:

i) à compter de quelle date les intérêts sont-ils dus?

ii) quel est le taux d'intérêt applicable?

iii) les intérêts doivent-ils être calculés seulement sur le solde restant dû après compensation, conformément aux règles nationales en matière de cumul, avec tous autres paiements de prestations effectués au titre de la même période?»

Sur la question préjudicielle

18 Par sa question, la juridiction nationale vise en substance à savoir si le droit communautaire impose qu'un particulier puisse obtenir le paiement d'intérêts sur des montants versés au titre d'arriérés de prestations de sécurité sociale telles que l'ICA, lorsque le retard dans le versement de la prestation est dû à une discrimination interdite par la directive 79/7. En cas de réponse affirmative, elle demande à la Cour de préciser les modalités du versement desdits intérêts.

19 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que, selon Mme Sutton, le droit au paiement d'intérêts dans une telle situation pourrait découler soit de l'article 6 de la directive 79/7, soit du principe de la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire. Il convient d'examiner successivement ces deux possibilités.

Quant à l'article 6 de la directive 79/7

20 S'agissant du premier aspect, Mme Sutton et la Commission ont rappelé que, dans l'arrêt Marshall II, précité, la Cour a dit pour droit que l'article 6 de la directive 76/207 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que la réparation du préjudice subi par une personne lésée du fait d'un licenciement discriminatoire soit limitée par l'absence d'intérêts destinés à compenser la perte subie par le bénéficiaire de la réparation, du fait de l'écoulement du temps jusqu'au paiement effectif du capital accordé.

21 Mme Sutton et la Commission ont fait observer d'abord que le libellé de l'article 6 de la directive 79/7 est pratiquement identique à celui de l'article 6 de la directive 76/207, qui faisait l'objet de l'arrêt Marshall II, précité. Ensuite, les deux directives poursuivraient le même objectif, à savoir l'égalité réelle de traitement entre hommes et femmes. Enfin, la directive 79/7 constituerait la mise en oeuvre du programme législatif entamé par l'adoption de la directive 76/207, laquelle annonce, dans son quatrième considérant et dans son article 1er, paragraphe 2, des instruments ultérieurs visant à mettre en oeuvre progressivement le principe de l'égalité de traitement en matière de sécurité sociale. Dans ces conditions, les articles 6 des directives 76/207 et 79/7 devraient être interprétés de la même manière.

22 Il s'ensuivrait que l'article 6 de la directive 79/7 impose le paiement d'intérêts sur des arriérés de prestations sociales lorsque le retard dans le paiement des prestations est imputable à une discrimination fondée sur le sexe, interdite en vertu de la directive en question.

23 Cette interprétation ne saurait être retenue. Il convient en effet de constater que l'arrêt Marshall II, précité, concernait l'octroi d'intérêts sur des montants dus à titre de réparation du préjudice subi du fait d'un licenciement discriminatoire. Ainsi que la Cour l'a observé au point 31 dudit arrêt, dans un tel contexte, une réparation intégrale du préjudice subi ne saurait faire abstraction d'éléments, tels que l'écoulement du temps, susceptibles d'en réduire, en fait, la valeur. L'octroi d'intérêts, selon les règles nationales applicables, doit donc être considéré comme une composante indispensable d'un dédommagement permettant le rétablissement d'une égalité de traitement effective.

24 En revanche, le litige au principal concerne le droit de percevoir des intérêts sur des montants dus au titre de prestations de sécurité sociale. De telles prestations sont versées aux intéressés par les organismes compétents, auxquels il incombe notamment de vérifier si les conditions fixées par les textes applicables en la matière sont remplies. Il en résulte que les montants versés n'ont aucunement la nature de réparation d'un dommage subi et que le raisonnement développé par la Cour dans l'arrêt Marshall II, précité, ne trouve pas à s'appliquer dans une telle situation.

25 Dès lors, si l'article 6 de la directive 79/7 oblige les États membres à adopter les mesures nécessaires pour que toute personne qui s'estime victime d'une discrimination interdite par la directive dans le cadre de l'octroi de prestations de sécurité sociale puisse faire constater l'illégalité d'une telle discrimination et obtenir la paiement des prestations auxquelles elle aurait eu droit en son absence, le paiement d'intérêts sur des arriérés de prestations ne saurait être considéré comme une composante essentielle du droit ainsi défini.

26 On ne saurait opposer à une telle conclusion l'argument que la Commission tire des arrêts du 16 juillet 1992, Jackson et Cresswell (C-63 et C-64/91, Rec. p. I-4737), et du 13 juillet 1995, Meyers (C-116/94, Rec. p. I-2131), qui feraient apparaître que des prestations de sécurité sociale liées à l'emploi sont susceptibles de relever du champ d'application de la directive 76/207. Selon la Commission, lorsque le bénéfice de telles prestations est reconnu avec retard en raison d'une discrimination interdite par la directive 76/207, des intérêts sont dus sur les arriérés de prestations, conformément au principe énoncé dans l'arrêt Marshall II, précité. Or, rien n'indiquerait que, dans le cas d'une prestation de sécurité sociale relevant de la directive 79/7, le principe de l'égalité de traitement a une portée inférieure à celle consacrée par la directive 76/207, de sorte que la même conclusion s'imposerait dans le cadre des deux directives.

27 Ce raisonnement repose sur une prémisse erronée. S'il ressort effectivement de l'arrêt Jackson et Cresswell et de l'arrêt Meyers, précités, que certaines prestations de sécurité sociale relèvent de la directive 76/207, cela ne signifie pas que l'article 6 de cette directive, tel qu'interprété dans l'arrêt Marshall II, précité, impose le versement d'intérêts sur des arriérés de prestations lorsque le retard dans leur paiement est imputable à une discrimination fondée sur le sexe, interdite en vertu de la directive en question. En effet, quelle que soit la directive applicable, des montants versés au titre d'une prestation de sécurité sociale ne présentent pas de caractère indemnitaire, de sorte que le paiement d'intérêts ne saurait être imposé sur la base de l'article 6 de la directive 76/207, pas plus qu'en vertu de l'article 6 de la directive 79/7.

Quant au principe de la responsabilité de l'État membre pour violation du droit communautaire

28 Il convient donc d'examiner la seconde possibilité évoquée dans l'ordonnance de renvoi, selon laquelle le droit au paiement d'intérêts sur des arriérés de prestations de sécurité sociale découle du principe de la responsabilité de l'État pour violation du droit communautaire.

29 A ce propos, Mme Sutton fait valoir que le Royaume-Uni n'a pas transposé la directive 79/7 de façon satisfaisante et qu'elle a subi une perte du fait du paiement tardif de l'ICA à laquelle elle avait droit. En effet, l'inflation aurait érodé la valeur réelle du montant auquel elle avait droit. Elle en déduit que le Royaume-Uni est obligé de réparer, par le versement d'un montant correspondant aux intérêts échus, le dommage qu'il lui a causé par la violation de ladite directive.

30 Le gouvernement du Royaume-Uni estime pour sa part que le principe de la responsabilité de l'État membre pour violation du droit communautaire ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce au principal. En effet, dans une telle situation et contrairement à ce qui aurait été le cas dans l'affaire Francovich e.a., précitée, le résultat prescrit par la directive, à savoir le paiement des prestations de sécurité sociale, aurait été atteint.

31 A cet égard, il y a lieu de rappeler d'abord que, ainsi que la Cour l'a itérativement jugé, le principe de la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables est inhérent au système du traité (arrêts Francovich e.a., précité, point 35; du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C-46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029, point 31; du 26 mars 1996, British Telecommunications, C-392/93, Rec. p. I-1631, point 38; du 23 mai 1996, Hedley Lomas, C-5/94, Rec. p. I-2553, point 24; du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a., C-178/94, C-179/94, C-188/94, C-189/94 et C-190/94, non encore publié au Recueil, point 20).

32 Ensuite, pour ce qui est des conditions dans lesquelles un État membre est obligé de réparer les dommages ainsi causés, il résulte de la jurisprudence précitée qu'elles sont au nombre de trois, à savoir que la règle de droit violée a pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation est suffisamment caractérisée et qu'il existe un lien de causalité direct entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées (arrêts précités Brasserie du pêcheur et Factortame, point 51; British Telecommunications, point 39; Hedley Lomas, point 25; Dillenkofer e.a., point 21). L'appréciation de ces conditions est fonction de chaque type de situation (arrêt Dillenkofer e.a., point 24).

33 Enfin, il résulte d'une jurisprudence constante depuis l'arrêt Francovich e.a., précité, points 41 à 43, que, sous réserve du droit à réparation qui trouve directement son fondement dans le droit communautaire dès lors que les trois conditions relevées ci-dessus sont réunies, c'est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu'il incombe à l'État de réparer les conséquences du préjudice causé, étant entendu que les conditions fixées par les législations nationales en matière de réparation des dommages ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne et ne sauraient être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'obtention de la réparation.

34 Il appartient au juge national d'apprécier à la lumière de ce qui précède si, dans le cadre du litige dont il est saisi et de la procédure nationale, Mme Sutton a droit à la réparation du dommage qu'elle aurait subi du fait de la violation du droit communautaire par un État membre et, le cas échéant, de déterminer le montant de cette réparation.

35 Il y a donc lieu de répondre à la question posée par la juridiction nationale que l'article 6 de la directive 79/7 n'impose pas qu'un particulier puisse obtenir le paiement d'intérêts sur des montants versés au titre d'arriérés de prestations de sécurité sociale telles que l'ICA, lorsque le retard dans le versement des prestations est dû à une discrimination interdite par la directive 79/7. Toutefois, un État membre est tenu de réparer les dommages causés à un particulier par la violation du droit communautaire. Dans l'hypothèse où les conditions d'une telle obligation sont remplies, il appartient au juge national de tirer les conséquences de ce principe.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

36 Les frais exposés par les gouvernements du Royaume-Uni, allemand et suédois, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par la High Court of Justice of England and Wales, Queen's Bench Division, par ordonnance du 12 octobre 1994, dit pour droit:

L'article 6 de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, n'impose pas qu'un particulier puisse obtenir le paiement d'intérêts sur des montants versés au titre d'arriérés de prestations de sécurité sociale telles que l'Invalid Care Allowance, lorsque le retard dans le versement des prestations est dû à une discrimination interdite par la directive 79/7. Toutefois, un État membre est tenu de réparer les dommages causés à un particulier par la violation du droit communautaire. Dans l'hypothèse où les conditions d'une telle obligation sont remplies, il appartient au juge national de tirer les conséquences de ce principe.

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