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Document 61995CC0392

Conclusions de l'avocat général Fennelly présentées le 20 mars 1997.
Parlement européen contre Conseil de l'Union européenne.
Ressortissants des pays tiers - Visa - Procédure législative - Consultation du Parlement européen.
Affaire C-392/95.

Recueil de jurisprudence 1997 I-03213

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1997:172

61995C0392

Conclusions de l'avocat général Fennelly présentées le 20 mars 1997. - Parlement européen contre Conseil de l'Union européenne. - Ressortissants des pays tiers - Visa - Procédure législative - Consultation du Parlement européen. - Affaire C-392/95.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-03213


Conclusions de l'avocat général


1 Le Parlement européen fait valoir dans le présent recours que le texte du règlement (CE) n_ 2317/95 du Conseil, du 25 septembre 1995, déterminant les pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres (1) (ci-après le «règlement»), diffère substantiellement du texte proposé par la Commission et sur la base duquel le Parlement a été consulté et que, en conséquence, le Conseil s'est rendu coupable d'un excès de pouvoir au détriment du Parlement. Le Conseil estime en effet qu'une nouvelle consultation n'est pas exigée lorsque la consultation initiale lui a fait suffisamment connaître les souhaits du Parlement.

I - Antécédents de droit et de fait

2 Le règlement est fondé sur l'article 100 C du traité instituant la Communauté européenne (ci-après le «traité») qui, dans sa partie pertinente, est libellé de la manière suivante (2):

«1. Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, détermine les pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres.

...

3. A compter du 1er janvier 1996, le Conseil adoptera à la majorité qualifiée les décisions visées au paragraphe 1. Avant cette date, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, arrête les mesures relatives à l'instauration d'un modèle type de visa.

...

6. Le présent article est applicable à d'autres sujets s'il en est ainsi décidé en vertu de l'article K.9 des dispositions du traité sur l'Union européenne relatives à la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, sous réserve des conditions de vote déterminées en même temps.

7. Les dispositions des conventions en vigueur entre les États membres régissant les matières couvertes par le présent article restent en vigueur tant que leur contenu n'aura pas été remplacé par des directives ou par des mesures prises en vertu du présent article.»

A - La proposition de règlement et l'avis du Parlement

3 Le 10 décembre 1993, la Commission a présenté au Conseil une proposition visant à établir une liste de pays tiers au sens de l'article 100 C, paragraphe 1 (3). Cette proposition était liée à une proposition concomitante de décision de la Commission, fondée sur l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, établissant la convention relative au contrôle des personnes lors du franchissement des frontières extérieures des États membres (4). L'article 1er, paragraphe 1, de la première de ces propositions disposait que les ressortissants des pays tiers figurant dans une annexe (que la Commission appelle «la liste négative») devraient être munis d'un visa. L'article 1er, paragraphe 2, devait permettre aux États membres de décider jusqu'au 30 juin 1996 s'ils exigent un visa des ressortissants d'autres pays tiers. Il disposait cependant que, avant cette date, le Conseil «décide, selon la procédure prévue à l'article 100 C, soit d'ajouter chacun de ces pays à cette liste, soit d'exempter ses ressortissants d'une exigence de visa», créant ainsi une «liste positive». Pour la période intérimaire, l'article 1er, paragraphe 3, proposait d'imposer que les États membres «s'informent mutuellement et ... informent la Commission ... des mesures qu'ils prennent en vertu du paragraphe 2». L'article 2 proposait de mettre en oeuvre le principe énoncé au deuxième considérant du préambule selon lequel «la reconnaissance mutuelle par les États membres des visas délivrés par chacun de ces États» est nécessaire «pour donner un effet utile à l'article 100 C», et constitue «une mesure d'accompagnement indispensable à la réalisation de l'objectif énoncé à l'article 7 A [du traité] en ce qui concerne la libre circulation des personnes». En conséquence, l'article 2 du dispositif de la proposition prévoyait qu'«Un État membre ne pourra exiger un visa d'une personne qui cherche à franchir ses frontières extérieures et qui possède un visa délivré par un autre État membre, dans la mesure où ce visa est valable dans l'ensemble de la Communauté» (c'est nous qui ajoutons les caractères italiques).

4 Par lettre du 11 janvier 1994, et conformément à l'article 100 C, paragraphe 1, du traité, le Conseil a consulté le Parlement au sujet de la proposition de la Commission. Le 29 mars 1994, la commission des libertés publiques et des affaires intérieures du Parlement a présenté à ce dernier son rapport sur la proposition (5). La résolution législative dans laquelle figure l'avis du Parlement a été adoptée le 21 avril 1994 (6). Dans son avis, le Parlement a proposé 14 amendements à la Commission et a formellement demandé à être de nouveau consulté au cas où le Conseil entendrait apporter des modifications substantielles à la proposition de la Commission. Les principales modifications souhaitées étaient les suivantes (7): i) les États membres ne devraient pas pouvoir imposer des exigences de visa à des pays qui ont été exclus de la liste négative pour des raisons équitables et objectives, et aucun État tiers dont les ressortissants ne sont pas soumis actuellement à l'exigence d'un visa pour pénétrer dans un État membre ne devrait figurer sur la liste négative (amendement 3); ii) la période impartie aux États membres pour décider s'ils exigent un visa des ressortissants des pays tiers ne figurant pas en annexe, c'est-à-dire l'établissement d'une liste positive, devrait être abrégée (amendement 7); iii) il faudrait renforcer l'interdiction pour les États membres d'exiger qu'une personne qui demande à effectuer un court séjour sur son territoire, qui est détentrice d'un visa uniforme ou détient un titre de séjour ou une autorisation délivrée par un autre État membre - il s'agit là du principe de la reconnaissance mutuelle - soit munie d'un visa délivré par ses propres autorités (amendement 8); et iv) la liste négative devrait être modifiée pour être conforme aux principes retenus au troisième alinéa du premier considérant (8) (amendement 14).

B - Le règlement

5 Le 25 septembre 1995, le Conseil a adopté le règlement en s'écartant à certains égards de la proposition de la Commission. En conséquence, la question essentielle à laquelle la Cour doit répondre consiste à savoir si ces différences sont substantielles et, le cas échéant, si cette circonstance doit entraîner l'annulation du règlement.

6 L'article 1er, paragraphe 1, et l'annexe du règlement combinés établissent une «liste commune» de pays tiers dont les ressortissants «doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres». L'article 1er, paragraphe 2, dispose que «Les ressortissants de pays issus de pays figurant sur la liste commune sont soumis aux dispositions du paragraphe 1 jusqu'à ce que le Conseil en décide autrement selon la procédure prévue à l'article 100 C du traité.» L'article 2, paragraphe 1, dispose que «Les États membres déterminent si les ressortissants des pays tiers ne figurant pas sur la liste commune sont soumis à l'obligation de visa.» Il n'est donc plus précisé que ce pouvoir prend fin le 30 juin 1996. En vertu de l'article 2, paragraphe 4, les États membres doivent communiquer à la Commission, laquelle les fera publier au Journal officiel, les mesures qu'ils ont prises dans ce cadre. Le règlement n'organise cependant pas la reconnaissance mutuelle des visas octroyés par d'autres États membres. Le deuxième considérant du préambule du règlement énonce que «l'établissement de la liste commune ... représente un pas important vers l'harmonisation des politiques en matière de visas [et] ... que les autres éléments en vue de l'harmonisation ... sont déterminés dans le cadre du titre VI du traité sur l'Union européenne» (c'est nous qui ajoutons les caractères italiques). Cela est mis en lumière au quatrième considérant, qui énonce que:

«Il conviendra de fixer, dans le cadre du titre VI du traité sur l'Union européenne, les principes selon lesquels un État membre ne peut exiger de visa d'une personne qui souhaite franchir ses frontières extérieures, lorsque cette personne est en possession d'un visa délivré par un autre État membre, qui est conforme aux conditions harmonisées applicables à la délivrance des visas et qui est valable dans toute la Communauté, ou lorsque cette personne est en possession d'un titre approprié délivré par un État membre» (c'est nous qui ajoutons les caractères italiques).

7 En outre, le règlement ne prévoit plus de date limite pour l'adoption d'une liste positive. En conséquence, l'article 3 dispose que:

«Cinq ans après l'entrée en vigueur du présent règlement, la Commission élabore un rapport sur l'état de l'harmonisation de la politique des États membres en matière de visa à l'égard des pays tiers ne figurant pas sur la liste commune et, le cas échéant, présente au Conseil des propositions concernant les autres mesures nécessaires pour réaliser l'objectif d'harmonisation prévu à l'article 100 C.»

8 L'article 4, paragraphe 1, permet aux États membres de «prévoir des exceptions à l'obligation de visa en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers soumis à l'obligation de visa en vertu de l'article 1er paragraphes 1 et 2». La définition du «visa» figure à l'article 5. L'article 6 autorise expressément chacun des États membres à procéder à une harmonisation mutuelle supplémentaire «dont la portée irait au-delà de la liste commune». A l'exception des dispositions qui obligent les États membres à communiquer les mesures qu'ils adoptent concernant soit des pays tiers qui ne figurent pas sur la liste commune, soit des exceptions pour les ressortissants de pays qui y figurent, le règlement est entré en vigueur le 3 avril 1996, conformément à son article 7.

II - Procédure et observations

9 Le Parlement a déposé son recours en annulation au greffe de la Cour le 15 décembre 1995. La partie défenderesse, à savoir le Conseil, invite la Cour à rejeter le recours comme non fondé et à condamner le requérant aux dépens. Cependant, au cas où la Cour annulerait le règlement, la partie défenderesse lui demande à titre subsidiaire de maintenir ses effets jusqu'à l'adoption d'une nouvelle réglementation en matière de visa. Par ordonnance du 23 mai 1996, la République française a été autorisée à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

10 Les parties ont toutes deux présenté des observations écrites et orales. La partie intervenante a présenté des observations écrites au sujet desquelles le requérant, mais non pas la partie défenderesse, a présenté des observations écrites additionnelles.

III - Résumé des observations

11 Selon le Parlement, le Conseil a introduit au moins trois modifications substantielles dans le texte de la proposition de la Commission, si bien qu'il était obligé de consulter à nouveau le Parlement (9). En premier lieu, et bien que l'article 1er de la proposition prévoyait l'établissement, avant le 30 juin 1996, d'une liste définitive des pays dont les ressortissants devraient être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures de la Communauté, l'article 2 du règlement a abandonné ce principe en permettant que les États membres «déterminent si les ressortissants des pays tiers ne figurant pas sur la liste commune sont soumis à l'obligation de visa». En second lieu, le requérant prétend que le Conseil a considérablement réduit la portée de la «liste commune» proposée en ramenant de 126 à 98 le nombre des pays tiers y figurant. En troisième lieu, le Parlement fait valoir que l'abandon du principe de la reconnaissance mutuelle des visas, que la Commission a décrit comme «la pierre angulaire» de sa proposition (10), et qui visait à permettre aux États membres de décider s'ils reconnaîtront ou non les visas accordés par d'autres États membres constitue une modification substantielle. Dans le deuxième considérant du préambule de sa proposition, la Commission a clairement exprimé qu'à son avis il était nécessaire d'organiser la reconnaissance mutuelle des visas dans le cadre de l'article 100 C, afin de mettre en oeuvre l'article 7 A du traité.

12 Le Conseil conteste dans son mémoire en défense le caractère substantiel de ces modifications. Une lecture comparative, d'une part, des articles 3, point d), et 100 C du traité et, d'autre part, de l'article K.1 du traité sur l'Union européenne fait apparaître que la compétence que l'article 100 C confère à la Communauté est circonscrite, en premier lieu, à l'établissement d'une liste de pays dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lorsqu'ils franchissent les frontières extérieures des États membres et, en deuxième lieu, à l'instauration d'un modèle type de visa. Le Conseil estime qu'il n'est tenu de consulter le Parlement à nouveau que si l'importance des modifications qu'il apporte à la proposition de la Commission est telle qu'elle affecte la substance même du texte considéré dans son ensemble, ce qui, selon lui, n'est pas le cas en l'espèce.

13 Le Conseil soutient que la seule différence d'ordre juridique entre le règlement et la proposition est que le règlement prévoit une période transitoire plus longue au cours de laquelle il continuera d'être loisible aux États membres de réglementer les exigences de visa pour les ressortissants de pays tiers dont les pays ne figurent pas dans la liste commune. Puisque le Conseil «connaissait parfaitement» les souhaits du Parlement (c'est-à-dire son soutien à la proposition de la Commission assorti de la suggestion d'une période transitoire plus courte qui viendrait à échéance le 31 décembre 1995 au lieu du 30 juin 1996), il estime qu'il était inutile de le consulter à nouveau (11). La partie défenderesse estime que les amendements qu'elle a apportés au contenu de la liste négative proposée par la Commission étaient d'ordre tout à fait mineur. Ils se bornaient à ajouter trois États ou entités territoriales à la liste proposée et à en supprimer certains pays qui sont d'anciennes colonies de certains États membres ou qui, de l'avis du Conseil, ne présentent pas un risque significatif d'immigration pour la Communauté.

14 Le Conseil prétend que le principe de la reconnaissance mutuelle ne pourrait s'appliquer que lorsque les visas accordés par un État membre sont réputés valables dans l'ensemble de la Communauté. La proposition de la Commission ne prévoyait cependant pas de dispositions à cet effet, puisque l'article 100 C du traité ne l'habilite pas à proposer de telles mesures. En conséquence, le Conseil affirme que l'article 2 de la proposition n'aurait pu avoir qu'un effet déclaratoire, et il était nécessaire de le supprimer par souci de sécurité juridique (12) et afin d'éviter de semer la confusion. En conséquence, il fait valoir qu'il n'existe pas de différence juridique substantielle entre les effets respectifs de la proposition et du règlement.

15 La République française insiste sur le caractère politiquement sensible de la détermination des pays tiers dont les ressortissants devraient obtenir un visa. Elle estime que l'harmonisation de la politique des visas ne peut donc être que progressive et que le Conseil est habilité, en vertu de l'article 100 C du traité, à établir une liste commune minimale. En ce qui concerne les prétendus amendements de fond, la République française prétend que le règlement a simplement remis la date d'harmonisation complète qui avait été proposée. Pour ce qui est de la reconnaissance mutuelle des visas, elle fait valoir que l'article 2 de la proposition a été rédigé dans l'optique de l'adoption concomitante de la convention relative au contrôle des personnes lors du franchissement des frontières extérieures (13). Selon la République française, le contexte politique était tel qu'une adoption rapide de la convention n'était pas prévisible. Le Conseil a donc été obligé d'amender la proposition puisque, toujours selon la République française, il ne disposait d'aucune compétence pour organiser la reconnaissance mutuelle des visas dans le cadre de l'article 100 C du traité. La République française estime que dans ces circonstances particulières une nouvelle consultation n'était pas exigée pour supprimer l'article 2 de la proposition.

IV - Analyse

A - Introduction

16 Bien que les observations présentées dans cette affaire portent expressément sur la nature du rapport qui existe entre l'article K.1 du titre VI du traité sur l'Union européenne et la compétence que l'article 100 C du traité octroie au législateur communautaire, il importe de garder présent à l'esprit que la principale question juridique qui se pose est de savoir si les modifications que le Conseil a incorporées lors de l'adoption du règlement étaient telles qu'une nouvelle consultation du Parlement s'imposait. Si les arguments du Parlement sont corrects, il faut annuler le règlement, sous réserve de toute décision que la Cour pourrait prendre pour maintenir ses effets en vigueur jusqu'à l'adoption d'un nouveau règlement. Dans ces circonstances, nous ne pensons pas qu'il nous faille exprimer une opinion décisive sur la portée de l'article 100 C du traité ou sur la portée de la compétence dont dispose la Cour, à la lumière de l'article L du traité sur l'Union européenne, pour procéder, comme le suggère le Conseil, à une lecture comparative du titre VI de ce traité dans le cadre de son appréciation de la portée de l'article 100 C du traité.

B - Le droit de nouvelle consultation

17 La jurisprudence que la Cour a consacrée à la «reconsultation» du Parlement européen est à présent constante. Nous nous bornerons à commenter les principes qui sont pertinents pour le présent recours.

18 Dans l'arrêt qu'elle a rendu dans l'«affaire des taxes sur le transport des marchandises», la Cour a déclaré que: (14)

«17 Il y a lieu de rappeler d'abord que la consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le traité constitue une formalité substantielle dont le non-respect entraîne la nullité de l'acte concerné (15) ... La participation effective du Parlement au processus législatif de la Communauté, selon les procédures prévues par le traité, représente, en effet, un élément essentiel de l'équilibre institutionnel voulu par le traité. Cette compétence constitue l'expression d'un principe démocratique fondamental, selon lequel les peuples participent à l'exercice du pouvoir par l'intermédiaire d'une assemblée représentative ... (16).

18 Or, l'exigence de consulter le Parlement européen au cours de la procédure législative, dans les cas prévus par le traité, implique l'exigence d'une nouvelle consultation du Parlement européen à chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s'écarte dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement a déjà été consulté, à l'exception des cas où les amendements correspondent, pour l'essentiel, au souhait exprimé par le Parlement lui-même ... (17).

19 Il y a lieu dès lors d'examiner si les modifications dont fait état le Parlement concernent ou non la substance même du texte considéré dans son ensemble.»

19 En application de ces principes, la Cour compare le texte de la proposition initiale de la Commission et celui que le Conseil a adopté (18). En d'autres termes, la Cour utilise «un critère objectif, à savoir la comparaison de deux textes» (19). La Cour a également dit pour droit que, si l'amendement adopté par le Conseil, même s'il est de nature substantielle, «correspondait largement au souhait exprimé par le Parlement» (20), une nouvelle consultation n'était pas nécessaire. Comme l'a très justement fait remarquer l'agent du Conseil, ce souhait ne peut être que celui que le Parlement a exprimé dans l'avis qu'il a annexé à sa résolution législative. D'autres modes d'expression de l'avis du Parlement sont sans pertinence pour la procédure de consultation. En l'espèce, le Conseil n'a pas contesté que la majorité des amendements qu'il a apportés vont à l'encontre de cet avis.

20 L'argument central du Conseil consiste à dire que, lorsqu'il est parfaitement au courant des souhaits du Parlement pour un certain aspect d'une proposition, et que ceux-ci correspondent ou non à la décision finale du Conseil, il ne servirait à rien de le consulter à nouveau. Une telle nouvelle consultation ne ferait que retarder l'adoption du texte final par le Conseil. L'agent qui représente le Conseil a insisté à l'audience sur ce que «le traité n'impose pas que chaque fois que le Conseil est en désaccord avec une opinion exprimée du Parlement, il y ait obligation de reconsulter». Si tel était le cas, a-t-il ajouté, «on ferait de la consultation une obligation qui serait purement formelle». Contrairement à d'autres procédures législatives communautaires, la procédure de consultation n'est en effet pas «l'occasion de donner lieu à une deuxième lecture». De l'avis du Conseil, le même principe s'appliquerait lorsqu'il amende une disposition sur laquelle le Parlement ne s'est pas exprimé. En l'espèce, le Conseil soutient que le Parlement a exposé de manière non équivoque dans son avis ses souhaits pour tous les aspects de la proposition qui a été amendée par le Conseil et que, partant, une nouvelle consultation était inutile.

21 Nous ne souscrivons pas à l'argument du Conseil selon lequel la nouvelle consultation devient inutile lorsqu'il est au courant des souhaits du Parlement au sujet des amendements envisagés. L'agent du Conseil déclare que l'objectif de la consultation est de disposer de l'avis du Parlement sur tous les éléments du texte. Nous ne voyons pas comment un tel avis peut exister lorsque le texte n'est plus celui sur lequel le Parlement a été invité à exprimer son point de vue. Alors qu'il n'existe par définition qu'une manière de modifier un texte de manière à le faire correspondre aux souhaits du Parlement, il existe une quantité infinie de manières de le modifier dans un sens contraire à ses souhaits. Ce n'est que lorsqu'une modification apportée par le Conseil correspond en substance aux souhaits du Parlement qu'il peut prétendre être vraiment au courant du point de vue du Parlement sur cette modification précise; s'il en était autrement, le Conseil n'agirait pas «après consultation du Parlement européen» en ce qui concerne les parties modifiées du texte. En effet, le point de vue du Conseil mènerait inévitablement à conclure à l'inexistence de l'exigence d'une nouvelle consultation sauf dans les cas où, plutôt que de se borner à modifier la proposition de la Commission, le Conseil ajoute à un texte législatif des éléments complètement neufs.

22 Nous ne voyons pas quelle est la pertinence de l'argument que le Conseil avance au sujet de modifications qui sont apportées à une disposition et sur lesquelles le Parlement n'a exprimé aucun avis. Cette situation ne se présente pas en espèce; on peut manifestement considérer que, lorsqu'il approuve la proposition dans son ensemble, le Parlement approuve toute disposition qu'il n'a pas cherché à amender, et ces dispositions peuvent requérir une nouvelle consultation dans les mêmes conditions que les dispositions qui ont fait l'objet d'amendements parlementaires.

23 Même s'il peut exister des cas dans lesquels la nature de l'avis du Parlement sur la proposition initiale est tellement limpide que, du moins d'un point de vue politique, il est entendu que le Parlement et le Conseil ont des vues divergentes, cela serait sans pertinence sur le plan juridique. Lorsque le traité prévoit une consultation, le Parlement est habilité à exprimer ses vues tant sur la proposition initiale que sur le texte amendé si l'amendement est substantiel. Puisque, dans le cadre de la procédure de nouvelle consultation, le Conseil ne peut, par définition, arrêter aucune décision définitive ou contraignante avant que le Parlement n'ait rendu son avis sur le texte révisé (21), il s'ensuit qu'à notre avis on ne saurait ignorer la valeur juridique du second avis du Parlement. Comme l'a formulé la Cour, «cette consultation ... [du Parlement] est susceptible d'avoir des conséquences sur le contenu de l'acte adopté» (22). Se dispenser de la consultation à cause du préjugé selon lequel l'attitude du Parlement était connue et inacceptable pour le Conseil révèle des opinions arrêtées et des positions intransigeantes de la part des deux institutions et contrevient à l'objectif du processus de consultation.

24 De toute façon, la Cour a déjà rejeté de manière non équivoque l'argument du Conseil à cet égard. Dans l'affaire des taxes sur le transport des marchandises, le Conseil a présenté dans sa duplique un argument tout à fait similaire, selon lequel «même dans l'hypothèse où le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s'écarterait dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement avait été consulté, il serait dispensé de reconsulter cette institution, dès lors que ... le Conseil serait suffisamment informé de l'opinion du Parlement sur les points essentiels en cause» (23). Après avoir dit pour droit que l'argumentation du Conseil «doit être rejetée», la Cour a déclaré que (24):

«... admettre la thèse du Conseil aboutirait à compromettre gravement cette participation essentielle au maintien de l'équilibre institutionnel voulu par le traité et reviendrait à méconnaître l'influence que peut avoir sur l'adoption de l'acte en cause la consultation régulière du Parlement».

Il nous semble que cette motivation est également valable en l'espèce.

25 Nous ne décelons pas non plus de pertinence dans les remarques générales du Conseil qui comparent la nouvelle consultation à une seconde lecture législative. Il est évident que l'avis que rend le Parlement dans le cadre d'une nouvelle consultation ne revêt pas la même portée juridique qu'une seconde lecture dans les procédures de coopération ou de codécision. En outre, l'exigence d'une nouvelle consultation, telle que définie dans la jurisprudence de la Cour, ne survient que lorsque certaines conditions objectives ont été remplies; puisque cette exigence est limitée aux amendements qui modifient substantiellement le texte considéré dans son ensemble, il est évident qu'elle ne survient pas chaque fois que le Conseil est en désaccord avec le Parlement. Elle signifie cependant que la marge de manoeuvre dont dispose le Conseil lors de l'examen de propositions législatives est limitée par l'obligation qui lui incombe de respecter les prérogatives que le traité a réservées au Parlement et qu'il ne peut s'ériger en arbitre exclusif de la futilité ou non d'une nouvelle consultation du Parlement.

26 Il s'ensuit qu'il faut rejeter la qualification que le Conseil voudrait donner à l'obligation de procéder à une nouvelle consultation.

C - La validité du règlement

27 Nous sommes d'accord avec le requérant pour dire que la liste citée à l'article 1er, paragraphe 1, de la proposition de la Commission était destinée à être une liste univoque et exclusive, contraignante pour tous les États membres, qui désigne limitativement les pays tiers dont les ressortissants «doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres». L'article 1er, paragraphe 2, est également clair lorsqu'il accorde aux États membres et au Conseil un pouvoir limité pour établir des listes avant le 30 juin 1996. Nous considérons que ces dispositions, combinées en particulier avec le quatrième considérant du préambule de la proposition, qui parle d'autoriser «que des divergences entre les réglementations et pratiques des États membres» subsistent «pendant une période limitée et à titre transitoire» (c'est nous qui ajoutons les caractères italiques), font apparaître que la Commission a simplement proposé de permettre aux États membres de maintenir, pour une durée limitée, des listes nationales imposant des exigences de visa à l'égard de pays tiers qui ne figurent pas sur la liste commune. Il s'agissait à notre avis d'un caractère essentiel de la proposition. En conséquence, il faut examiner en quoi les amendements du Conseil ont affecté la fonction de la liste.

28 L'article 1er, paragraphe 1, demeure quasiment inchangé dans le règlement, mais l'article 2, paragraphe 1, restreint radicalement sa portée en disposant que «Les États membres déterminent si les ressortissants des pays tiers ne figurant pas sur la liste commune sont soumis à l'obligation de visa» (c'est nous qui ajoutons les caractères italiques). Ce pouvoir n'est pas soumis à la limite temporelle qui figure à l'article 1er, paragraphe 2, de la proposition (à savoir le 30 juin 1996). L'article 3 du règlement souligne la portée de cette modification, car il n'oblige la Commission qu'à élaborer «un rapport sur l'état de l'harmonisation de la politique des États membres en matière de visa...». Le Conseil a substitué à une proposition de politique communautaire commune et exclusive en matière de visa ce que le Parlement a judicieusement décrit à l'audience comme étant «le plus petit commun dénominateur», à savoir une liste communautaire commune qui pourrait en outre devoir coexister avec 15 listes nationales supplémentaires; une telle modification est d'une portée comparable à celle qui a été condamnée par la Cour dans l'arrêt cabotage des marchandises.

29 Nous estimons donc que l'abandon par le Conseil de la proposition de la Commission, qui visait à l'établissement pour le 30 juin 1996 au plus tard d'une politique communautaire complète en matière de visa, constitue, pris isolément, une modification tellement substantielle au regard du texte de la proposition considéré dans son ensemble qu'il suffirait à justifier l'annulation du règlement pour défaut de consultation.

30 En outre, le contenu de la «liste commune» est différent du tableau proposé par la Commission, dans lequel la «liste négative» visait à régir le degré d'harmonisation initial des politiques nationales en matière de visa, l'harmonisation complète étant remise au 30 juin 1996 au plus tard. En adoptant le règlement, le Conseil a supprimé certains pays tiers de cette liste et en a ajouté trois autres. Le Parlement et le Conseil s'accordent pleinement pour dire que l'établissement de la liste commune constitue l'objectif même de l'article 100 C et du règlement. Le Conseil ne conteste pas qu'il aurait été contraint de consulter à nouveau le Parlement s'il avait supprimé ou ajouté un nombre considérable de pays tiers. Il n'en demeure pas moins que la «classification» des pays tiers concernés qui en résulte est une question éminemment politique qui peut diviser les institutions et qui peut affecter en profondeur la relation entre la Communauté et ces pays. L'annexe est la disposition la plus importante du règlement, et c'est pour cette raison que nous estimons que le Conseil n'est pas habilité à amender cette liste à moins que le Parlement n'ait eu l'occasion de donner son avis sur les modifications en cause. En l'espèce, nous ne pensons pas que les modifications apportées à la liste sont à ce point mineures qu'elles libèrent le Conseil de son obligation expresse de consulter le Parlement sur l'établissement de la liste des pays tiers concernés par l'exigence d'un visa.

31 Il nous semble en tout cas que la Cour a élaboré le critère de la «modification substantielle» dans le but de déterminer si le Parlement avait été suffisamment consulté dans le cadre de politiques dans lesquelles le Conseil jouit d'une grande marge discrétionnaire, principalement la politique des transports. A notre avis, ce critère pourrait être inopportun lorsque le traité exige la consultation du Parlement sur un choix discret entre deux alternatives. Par exemple, l'article 188 B, paragraphe 3, du traité oblige le Conseil à consulter le Parlement sur la nomination des membres de la Cour des comptes; si le Conseil, après avoir reçu l'accord du Parlement sur une liste de huit candidats, souhaitait en remplacer un, il ne pourrait se soustraire à l'obligation qui lui incombe de consulter à nouveau le Parlement au motif que le nouveau candidat, s'il était nommé, ne représentait qu'un quinzième de la composition totale de la Cour des comptes et que, partant, la modification n'était pas substantielle. De même en l'espèce, l'article 100 C du traité exige expressément que le Parlement soit consulté sur la détermination des «pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres». Le choix à effectuer consiste à inclure dans la liste ou à en exclure chaque pays particulier; alors que le critère de la «modification substantielle» peut s'appliquer aux autres dispositions du règlement, nous ne sommes pas du tout certain qu'il puisse s'appliquer pour déterminer l'application des exigences spécifiques du traité à la liste qui est annexée à ce règlement. Cela n'affecte en rien le pouvoir discrétionnaire dont dispose le Conseil sur le fond du choix des pays qui devraient figurer sur la liste des pays tiers, mais vise simplement à assurer le respect approprié de la procédure décrite à l'article 100 C, paragraphe 1, pour l'établissement de cette liste.

32 Le Conseil cherche à justifier la suppression de 28 pays de la liste en arguant que, dans leur majeure partie, ceux-ci ne présentaient pas un risque d'afflux important vers la Communauté, tant en raison de leur éloignement que de leur modeste nombre d'habitants. Après que le Parlement a mis en avant la présence de l'Afrique du Sud, du Zimbabwe et du Botswana dans cette catégorie et le fait que toute appréciation du risque d'afflux n'est probablement valable que pour une courte période, le Conseil a eu pour seule réaction d'accueillir ce dernier argument mais d'insister sur les développements politiques positifs qui se sont récemment opérés en Afrique du Sud. Il fait remarquer que l'«on pouvait supposer que le Parlement était d'accord avec» ces développements politiques. Il en va peut-être ainsi, mais il s'agit d'une appréciation politique à laquelle le Conseil ne pouvait procéder seul.

33 Le Conseil a fait valoir pour la première fois dans sa duplique que, s'il avait supprimé ces pays de la liste négative de l'annexe 1, c'était en réaction à la position du Parlement selon laquelle «... aucun État tiers dont les ressortissants ne sont pas soumis actuellement à l'exigence d'un visa pour pénétrer dans un État membre» (amendement 3, c'est nous qui ajoutons les caractères italiques) ne devrait figurer sur cette liste. Le Conseil déclare que tous ces pays répondent à cette description en tant qu'anciennes colonies de certains États membres, en particulier du Royaume-Uni. Nous ne pensons pas qu'il soit ni nécessaire ni possible d'exprimer une opinion sur ce point, vu le caractère incomplet de l'information et l'ambiguïté de la proposition d'amendement précitée. En tout état de cause, l'ajout de trois pays est à notre avis concluant.

34 La défense du Conseil au sujet de l'ajout du Pérou, de l'ancienne république yougoslave de Macédoine et de la république fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) à la liste proposée par la Commission consiste à dire que, eu égard au nombre de pays compris dans la liste proposée (126), il faudrait qualifier l'incorporation de ces trois pays de simple modification de détail. Nous ne pouvons pas nous rallier à l'approche du Conseil. L'ajout ou la suppression même d'un seul pays sans consulter le Parlement nous paraît, en principe, représenter une modification substantielle. Dans un processus politique, c'est aux participants seuls qu'il appartient de décider quels pays devraient ou non être incorporés dans la liste. La Cour ne peut pas apprécier les arguments essentiellement politiques qu'avance le Conseil ni décider sur une base simplement numérique si la modification apportée à la liste est substantielle. Il faut donc considérer que ces ajouts revêtent un caractère substantiel.

35 Le troisième moyen principal du Parlement concerne la suppression du principe de la reconnaissance mutuelle qui figurait dans la proposition, et en particulier la suppression de la disposition qui était proposée à l'article 2 et selon laquelle «Un État membre ne pourra exiger un visa d'une personne qui cherche à franchir ses frontières extérieures et qui possède un visa délivré par un autre État membre, dans la mesure où ce visa est valable dans l'ensemble de la Communauté.» Le Conseil prétend que la suppression de toute référence au principe de la reconnaissance mutuelle était nécessaire par souci de sécurité juridique, puisque les mesures requises pour mettre en oeuvre ce principe ne peuvent être adoptées qu'en vertu du titre VI du traité sur l'Union européenne intitulé «Dispositions sur la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures», en fait les articles K à K.9. Il observe que la compétence de la Communauté est limitée à l'établissement d'une liste de pays au sens de l'article 100 C, paragraphe 1, du traité et à la préparation d'un modèle type de visa et que tout le reste, y compris la reconnaissance mutuelle, relève de l'article K. C'est pourquoi, en effet, il fait valoir qu'il a supprimé la reconnaissance mutuelle car il estimait que son inclusion dans le règlement n'aurait pas été légale.

36 S'il fallait suivre l'argument du Conseil, la Cour serait confrontée à des problèmes très difficiles. Le premier concerne le rôle qui appartient à la Cour dans l'interprétation du traité sur l'Union européenne. L'article L de ce traité (25) fait obstacle à ce que la Cour exerce dans le cadre du titre VI du traité sur l'Union européenne les compétences qu'elle tire du traité CE et, partant, elle ne peut pas interpréter ce titre selon nous. La Cour se doit cependant d'interpréter l'article 100 C du traité si cela est pertinent pour prendre sa décision. Ce faisant, elle suivra sa pratique constante qui consiste à envisager «l'esprit, l'économie et les termes» de la disposition concernée «compte tenu du système du traité et des finalités qui lui sont propres» (26). Pour parvenir à une conclusion au sujet de la portée de la compétence communautaire qui découle de l'article 100 C du traité, la Cour examinera cette disposition dans le contexte du traité dans lequel elle figure et elle ne peut pas, à notre avis, préciser ou restreindre cette interprétation en se référant à une disposition qu'il lui est expressément interdit d'interpréter. Cependant, dans l'hypothèse où la Cour peut tenir compte d'une manière générale de l'existence et du contenu du titre VI du traité sur l'Union européenne, il est manifeste que ce titre se rapporte à la coopération entre les États membres, ce qui est une activité qui ne devrait pas être de nature à restreindre la compétence communautaire. En outre, l'article M du traité sur l'Union européenne dispose qu'aucune disposition de ce traité - qui comprend le titre VI - «n'affecte les traités instituant les Communautés européennes...». L'article M relève lui-même de la compétence de la Cour. En résumé, nous estimons que la Cour doit interpréter l'article 100 C sans tenir compte du contenu du titre VI et en gardant présent à l'esprit que le contenu de ce titre ne peut affecter l'article 100 C lui-même, si ce n'est le troisième alinéa de l'article K.3, paragraphe 2, point c).

37 La seconde difficulté est plus intimement liée à la nature du présent recours: c'est le Parlement qui l'exerce dans un cadre juridique dans lequel la préservation des prérogatives du Parlement, à savoir son droit d'être consulté, est l'unique raison d'être de la compétence de la Cour. En général, le Parlement ne peut pas se prévaloir du pouvoir général que l'article 173 accorde aux États membres, au Conseil et à la Commission de contester la validité, entre autres, d'un acte du Conseil pour défaut de compétence. Le Conseil invoque en effet son propre défaut de compétence. Répondre à cet argument engagerait forcément de manière indirecte le Parlement dans un débat sur la compétence, dans un contexte dans lequel il ne cherche qu'à préserver ses prérogatives. La procédure de consultation représente un aspect essentiel de l'équilibre institutionnel et reflète le caractère démocratique du Parlement. La Cour exige qu'elle soit respectée sur le plan juridique, mais il ne lui appartient pas de décider rétroactivement lequel des points de vue des deux institutions au sujet de la compétence était correct.

38 Nous pensons qu'il faut répondre à ces deux questions en procédant, comme l'a fait la Cour dans sa jurisprudence, à une comparaison de textes. Si le Conseil apporte une modification substantielle au champ d'application et à la portée du texte, y compris une modification justifiée selon lui par le défaut de compétence alors qu'il sait que le Parlement ne partage pas cet avis, il doit alors consulter à nouveau le Parlement. En tout cas, le fait que l'interprétation que le Conseil donne aux règles juridiques applicables impose une certaine modification ne suffit pas à le dispenser de l'obligation de procéder à une nouvelle consultation. Après tout, chaque fois qu'elle propose, examine et adopte une législation communautaire, chacune des institutions politiques de la Communauté adopte ce faisant une interprétation des dispositions applicables du traité, que les autres institutions peuvent partager ou non. On peut établir à cet égard une analogie avec la situation dans laquelle le Conseil apporte une modification à la base juridique d'une législation communautaire proposée par la Commission et approuvée par le Parlement: chaque fois que ladite modification avait pour effet de passer à une procédure législative qui garantit au Parlement un moindre degré de participation que celui qui était initialement proposé, le Conseil a toujours estimé, à raison selon nous, que cette modification affectait la substance de la proposition et, partant, l'obligeait à procéder à une nouvelle consultation (27).

39 En ce qui concerne le caractère substantiel de la suppression de la reconnaissance mutuelle, il ne fait aucun doute que la proposition faite par le Parlement (voir son amendement 8 résumé au point 4 ci-dessus) d'augmenter l'obligation de reconnaissance mutuelle, imposée par l'article 2 de la proposition de la Commission, de dispositions relatives à la portée de cette obligation et aux conditions dans lesquelles des «visas types» seraient délivrés démontre l'importance qu'il accordait à ce principe. L'argument du Conseil ne consiste pas à prétendre que la suppression de la reconnaissance mutuelle ne constitue pas, en tant que telle, une modification substantielle. Au contraire, le Conseil fait valoir que le traité ne permettait pas de réaliser la reconnaissance mutuelle car, à son avis, celle-ci ne pouvait être adoptée sur la base de l'article 100 C mais présupposait l'adoption concomitante par les États membres, sur la base de l'article K.3 du traité sur l'Union européenne, de la convention sur le franchissement des frontières extérieures. L'agent du Conseil a fait allusion à l'audience à une certaine naïveté politique qui transparaît de la proposition de la Commission, ce sur quoi nous ne nous prononcerons naturellement pas. Le Conseil déclare que tant que cette convention n'avait pas été adoptée, ce qui était le cas, l'idée d'un «visa ... valable dans l'ensemble de la Communauté», telle qu'elle figure à l'article 2 de la proposition, était vide de sens et le maintien de cette référence dans le règlement définitif aurait créé une impression trompeuse préjudiciable au principe de la sécurité juridique. Comme le fait apparaître sa formulation même, cet argument repose encore sur une certaine vision de la portée de la compétence que l'article 100 C du traité réserve à la Communauté, mais ne vise pas à contester que, en apparence, une modification importante a été insérée entre la proposition et le règlement. L'interprétation restrictive faite par le Conseil n'est pas la seule possible. L'article 100 C, paragraphe 1, du traité semblerait à première vue être également susceptible d'une interprétation selon laquelle un visa accordé à un ressortissant d'un pays tiers figurant dans un acte communautaire adopté en vertu de cette disposition doit ou peut être reconnu dans tous les États membres pour autant que ledit acte le prévoie. Il n'est pas nécessaire, en l'espèce, de trancher entre ces deux interprétations. Cependant, il est plausible qu'en fait non seulement le Parlement et le Conseil, mais aussi la Commission aient eu des points de vue divergents (28). Contentons-nous de dire que, si l'article 100 C, paragraphe 1, couvre la reconnaissance mutuelle, le caractère substantiel de la modification est indiscutable, et tant le Parlement que la Commission semblent avoir embrassé cette interprétation de l'article. Puisque l'approche correcte de l'appréciation du caractère substantiel d'une modification est fondée sur une comparaison de textes plutôt que sur un démêlement de questions de compétence, le Conseil aurait dû consulter à nouveau le Parlement. Dans ce contexte, nous considérons qu'il faut accueillir le recours du Parlement.

D - Le maintien des effets du règlement

40 Dans son mémoire en défense, le Conseil a invité la Cour, en vertu de l'article 174 du traité, à limiter les effets de l'éventuelle annulation du règlement. Le Parlement n'a pas présenté d'observations relatives à cette demande. La partie défenderesse soutient que l'absence de maintien des effets juridiques du règlement jusqu'à l'adoption d'une nouvelle législation entraînerait pour les ressortissants des pays tiers qui figurent dans la liste commune annexée au règlement une importante insécurité juridique. Puisque l'adoption de cette liste représente un «pas» en direction d'une éventuelle harmonisation complète de la liste des pays tiers dont les ressortissants devront être munis d'un visa pour pénétrer dans la Communauté, l'annulation pure et simple des effets du règlement restaurerait paradoxalement la situation antérieure, dans laquelle les États membres pouvaient appliquer la politique de leur choix en matière de visa. En conséquence, bien qu'elle ne puisse actuellement présenter qu'un caractère informatif, la liste commune dispense les ressortissants des pays couverts de s'enquérir éventuellement auprès de 15 autorités nationales distinctes s'ils devront être munis d'un visa pour venir dans la Communauté. Nous considérons donc qu'il faut maintenir les effets du règlement par souci de sécurité juridique. Cependant, il importe de rappeler dans le cadre de cette recommandation l'obligation qui incombe au Conseil, en particulier, d'adopter un nouveau règlement avec la célérité voulue, conformément à la procédure décrite à l'article 100 C du traité. On se souviendra que dans l'arrêt des taxes sur le transport des marchandises, bien que la Cour ait rejeté la demande du Parlement visant à ce qu'une date limite soit imposée au Conseil, la Cour a dit pour droit que celui-ci a «le devoir de remédier, dans un délai raisonnable, à l'irrégularité commise» (29).

Conclusion

41 Pour les motifs que nous avons développés ci-dessus, nous recommandons à la Cour:

1) d'annuler le règlement (CE) n_ 2317/95 du Conseil du 25 septembre 1995, déterminant les pays tiers dont les ressortissants doivent être munis d'un visa lors du franchissement des frontières extérieures des États membres;

2) de déclarer que les effets du règlement annulé seront maintenus jusqu'à ce que le Conseil ait adopté une nouvelle législation en la matière;

3) de condamner le Conseil aux dépens;

4) d'ordonner que la République française supporte ses propres dépens.

(1) - JO L 234, p. 1.

(2) - Tel qu'inséré par l'article G, point 23, du traité sur l'Union européenne.

(3) - Le texte de cette proposition a été publié en janvier 1994 (JO C 11, p. 15).

(4) - COM(93) 684 final, du 10 décembre 1993 (JO 1994, C 11, p. 6).

(5) - Document A3-0193/94.

(6) - Elle a été publiée au JO C 128, p. 346, p. 350.

(7) - Cette liste restreinte reprend les modifications qui, à notre avis, sont à mettre en liaison avec les amendements apportés par le Conseil.

(8) - Dans l'amendement 3 qu'il a proposé, le Parlement a demandé l'ajout de cet alinéa.

(9) - Le Parlement cite les arrêts du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil (C-65/90, Rec. p. I-4593, ci-après l'«arrêt cabotage des marchandises»); du 1er juin 1994, Parlement/Conseil (C-388/92, Rec. p. I-2067, ci-après l'«arrêt transports de cabotage»), et du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil (C-21/94, Rec. p. I-1827, ci-après l'«arrêt des taxes sur le transport de marchandises»).

(10) - Voir l'exposé des motifs qui accompagnait la proposition de règlement de la Commission, et en particulier ses commentaires relatifs à la proposition d'article 2, à la p. 4 de cet exposé qui, pour sa part, figure dans le document COM(93) 684 final.

(11) - Le Conseil cite notamment l'arrêt transports de cabotage, point 10.

(12) - A cet égard, le Conseil se réfère au point 7 de la résolution du Conseil, du 8 juin 1993, relative à la qualité rédactionnelle de la législation communautaire (JO C 166, p. 1) qui dispose que «les dispositions qui n'ont pas un caractère normatif ... devraient être évitées».

(13) - COM(93) 684, précité à la note 4 ci-dessus.

(14) - Points 17 à 19 de l'arrêt.

(15) - La Cour cite, à titre d'exemple, l'arrêt du 10 mai 1995, dit «TACIS», Parlement/Conseil (C-417/93, Rec. p. I-1185, point 9).

(16) - La Cour cite, à titre d'exemple, l'arrêt du 30 mars 1995, Parlement/Conseil (C-65/93, Rec. p. I-643, point 21).

(17) - La Cour cite, à titre d'exemple, le point 10 de l'arrêt transports de cabotage, précité à la note 9 ci-dessus, et l'arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C-280/93, Rec. p. I-4973, point 38).

(18) - Voir le point 13 de l'arrêt transports de cabotage.

(19) - Voir le point 34 des conclusions de l'avocat général M. Léger sous l'arrêt des taxes sur le transport de marchandises.

(20) - Arrêt du 4 février 1982, Buyl e.a./Commission (817/79, Rec. p. 245).

(21) - Voir, en ce qui concerne la procédure de consultation, le point 10 de l'arrêt TACIS, précité à la note 15 ci-dessus.

(22) - Voir l'arrêt du 27 septembre 1988, Commission/Conseil (165/87, Rec. p. 5545, point 20).

(23) - Point 24 de l'arrêt; voir aussi le point 61 des conclusions de l'avocat général M. Léger et la note 72 qui l'accompagne. Voir aussi le point 17 de l'arrêt transports de cabotage, précité à la note 9 ci-dessus.

(24) - Points 25 et 26 de l'arrêt.

(25) - L'article L dispose que les dispositions des divers traités établissant les Communautés européennes «... qui sont relatives à la compétence de la Cour de justice ... et à l'exercice de cette compétence...» ne sont applicables qu'à certaines dispositions du traité sur l'Union européenne, y compris l'article L, mais à l'exclusion de l'ensemble de l'article K, sauf l'article K.3, paragraphe 2, point c), qui est sans pertinence en l'espèce.

(26) - Arrêt du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission (6/72, Rec. p. 215, point 22).

(27) - Voir, par exemple, les faits sur lesquels la Cour s'est prononcée dans l'arrêt du 11 juin 1991, Commission/Conseil (C-300/89, Rec. p. I-2867, point 3); le point 19 des conclusions de l'avocat général M. Jacobs sous l'arrêt du 7 juillet 1992, Parlement/Conseil (C-295/90, Rec. p. I-4193, p. I-4221) et l'arrêt du 26 mars 1996, Parlement/Conseil (C-271/94, Rec. p. I-1689, point 7).

(28) - Voir également, par exemple, les points de vue exprimés dans: O'Keeffe, «The New Draft External Frontiers Convention and the Draft Visa Regulation» in J. Monar & R. Morgan eds., The Third Pillar of the European Union, Bruxelles, 1994, p. 135 et suiv.; Hailbronner, «Visa Regulations and Third-Country Nationals in EC Law», 1994, 31 CMLRev 969; Peers, «The Visa Regulation: Free Movement Blocked Indefinitely», 1996, 21 ELRev 150.

(29) - Point 33 de l'arrêt.

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