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Document 61995CC0282

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 26 novembre 1996.
Guérin automobiles contre Commission des Communautés européennes.
Pourvoi - Concurrence - Plainte - Recours en carence - Communication au titre de l'article 6 du règlement nº 99/63/CEE - Prise de position mettant fin à la carence - Pourvoi incident limité aux dépens.
Affaire C-282/95 P.

Recueil de jurisprudence 1997 I-01503

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1996:453

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIUSEPPE TESAURO

présentées le 26 novembre 1996 ( *1 )

1. 

Le Tribunal de première instance s'est prononcé, par arrêt du 27 juin 1995 dans l'affaire T-186/94 ( 1 ) (ci-après l'« arrêt »), sur le recours introduit par la société de droit français Guérin automobiles (ci-après la « requérante ») et visant à faire constater la carence de la Commission et, à titre subsidiaire, à faire annuler deux lettres antérieures de la Commission, à supposer qu'elles exprimaient une décision de ne pas instruire sa plainte. Dans cet arrêt, le Tribunal a déclaré, d'une part, qu'il n'y avait pas lieu de statuer en ce qui concerne le recours en carence, dans la mesure où ce recours avait été entretemps privé de son objet initial, d'autre part, que le recours en annulation était irrecevable, dans la mesure où les lettres en cause ne constituaient pas des actes susceptibles d'un recours au titre de l'article 173 du traité. Compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, le Tribunal a toutefois condamné la Commission aux dépens.

Par le présent pourvoi, la requérante demande à la Cour d'annuler l'arrêt, exception faite de la partie concernant les dépens, et d'accueillir la demande initiale. Le même arrêt fait également l'objet d'un pourvoi incident de la part de la Commission qui demande l'annulation de l'arrêt du Tribunal en ce qu'il a mis à sa charge l'ensemble des dépens.

Les faits et la procédure

2.

Par lettre du 3 août 1992, la requérante a présenté à la Commission, conformément à l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil ( 2 ), une plainte visant à faire constater une infraction à l'article 85 du traité dont se serait rendue coupable la société Volvo France qui, selon la requérante, avait résilié abusivement le contrat de concession à durée indéterminée conclu entre les parties le 10 septembre 1987. Dans cette même lettre, la requérante soutenait par ailleurs que plusieurs clauses des contrats de distribution exclusive et sélective de Volvo France n'étaient pas couvertes par le règlement (CEE) n° 123/85 de la Commission, du 12 décembre 1984, concernant l'application de l'article 85, paragraphe 3, du traité CEE à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles ( 3 ) (ci-après le « règlement d'exemption »). Les services de la Commission ont informé la requérante, par lettre du 29 octobre 1992, que, compte tenu par ailleurs du fait que la cour d'appel de Paris avait été saisie du problème relatif à la résiliation du contrat, il était difficile de voir une possibilité de soutenir qu'une telle affaire présentait un intérêt communautaire süffisant pour justifier son traitement. Il a par conséquent été fixé à la requérante un délai de quatre semaines pour présenter de nouveaux éléments, sous peine de voir le dossier classé sans suite.

Par lettre du 11 décembre 1992, la requérante a fait observer que la cour d'appel de Paris s'était uniquement prononcée sur la validité de la résiliation du contrat de concession, alors que la plainte qu'elle avait présentée à la Commission portait sur la licéité de l'ensemble du contrat de distribution au regard du règlement d'exemption. A la suite de ces précisions fournies par la requérante, les services de la Commission ont fait observer, par lettre du 21 janvier 1993, que la « plainte ne se fonde pas sur les conditions factuelles de la résiliation par Volvo France du contrat en question, mais qu'en définitive elle se fonde sur le refus de vente qui est désormais opposé à Guérin automobiles au seul motif d'un réseau de contrats de distribution exclusive et sélective qui, selon Guérin, sont nuls de plein droit car ils débordent substantiellement le cadre exempté par le règlement (CEE) n° 123/85 et ne relèvent pas non plus d'une exemption à titre individuel ». La Commission a ajouté: « Je dois vous informer à ce propos que le problème ainsi posé par vous, et qui d'ailleurs a fait l'objet d'autres plaintes, est actuellement soumis à l'examen de la Commission, dont le résultat vous sera communiqué à son achèvement ».

3.

Près d'un an plus tard, le 6 janvier 1994, la requérante a demandé à la Commission de lui communiquer le résultat de l'examen du dossier auquel se réfère la lettre du 21 janvier 1993. Cette lettre étant restée sans réponse, elle a adressé à la Commission, le 24 janvier suivant, une lettre de mise en demeure au sens de l'article 175 du traité. Par lettre du 4 février 1994, les services de la Commission se sont bornés à confirmer à la requérante que l'examen de l'autre cas était encore en cours et qu'« il aurait, le cas échéant, valeur de précédent pour les problèmes tels que ceux posés par vous. Je vous renouvelle encore une fois l'assurance que vous serez tenue informée aussitôt qu'aura été franchie une étape significative du déroulement de cet examen ».

Le 5 mai 1994, la requérante a introduit devant le Tribunal de première instance un recours au titre de l'article 175 du traité, visant, à titre principal, à faire constater la carence de la Commission et, à titre subsidiaire, à faire annuler les lettres des 21 janvier 1993 et 4 février 1994, à supposer qu'elles exprimaient une décision de la Commission de vouloir rejeter sa plainte.

4.

Le 13 juin 1994, les services de la Commission ont envoyé à la requérante une communication dont le titre comporte une référence explicite à l'article 6 du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil ( 4 ). Cette lettre est ainsi libellée:

« Maître,

J'accuse réception de votre lettre du 24 janvier 1994 concernant la situation de votre cliente Guérin automobiles depuis sa plainte du 11 décembre 1992 contre le contrat type de distribution de Volvo France alléguant des dépassements importants par rapport au cadre exempté par le règlement ainsi que de votre demande au titre de l'article 175 du traité visant à obtenir de la Commission qu'elle prenne position dans les deux mois sur cette affaire. Cette lettre appelle de ma part les observations qui suivent:

Votre plainte soulève la question, du point de vue des règles de concurrence, de la compatibilité avec le règlement (CEE) n° 123/85 d'un contrat concernant la distribution exclusive et sélective des automobiles tel qu'il est appliqué par Volvo France. A ce sujet et revenant sur ma lettre du 21 janvier 1993 à laquelle vous vous référez également, je vous confirme qu'un cas particulier est actuellement à l'instruction dans les services de la Commission, posant la question de la conformité au règlement du contrat type de distribution automobile d'un autre constructeur.

Cette autre affaire met en cause plusieurs des clauses ou pratiques évoquées dans votre plainte. Comme vous le savez, la Commission est soumise à des impératifs dans le choix de ses priorités, en raison des moyens limités dont elle dispose. Dès lors, il est conforme à l'intérêt communautaire que soient sélectionnés les cas les plus représentatifs lorsque plusieurs affaires comparables lui sont soumises. Pour cette raison, je vous confirme, me référant à l'article 6 du règlement (CEE) n° 99/63, que dans ces circonstances votre plainte ne peut pas faire l'objet d'un traitement individuel à l'heure actuelle.

Par ailleurs, le règlement n° 123/85 est directement applicable par les tribunaux nationaux; dès lors, votre cliente peut porter son litige, ainsi que la question de l'applicabilité de ce règlement au contrat en question, directement devant ces tribunaux.

Il vous appartient de faire vos observations sur la présente lettre. En ce cas, elles devraient me parvenir dans un délai de deux mois ».

Le 20 juin 1994, la requérante a adressé à la Commission des observations sur la lettre du 13 juin 1994, dans lesquelles elle lui demandait des précisions sur l'autre cas et si elle avait l'intention de joindre les deux dossiers en vue de respecter les droits de la défense. La requérante, n'ayant pas reçu de réponse à cette lettre, ni aux lettres des 13 et 24 juillet dans lesquelles elle réitérait ces demandes, a envoyé à la Commission, le 11 août 1994, une nouvelle lettre de mise en demeure au sens de l'article 175 du traité.

5.

La requérante a fait valoir devant le Tribunal, en premier lieu, dans sa réplique, que la lettre de la Commission du 13 juin 1994 ne pouvait pas être considérée comme mettant fin à la carence de l'institution. Cela pour les motifs suivants: a) une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 ne constituerait pas une prise de position au sens de l'article 175, deuxième alinéa, du traité; b) le contenu de la lettre attesterait que celle-ci n'était pas un rejet de plainte; c) la lettre serait insuffisamment motivée.

En deuxième lieu, la requérante a soutenu que le flou des réponses de la Commission relevait d'une stratégie visant à priver le plaignant de recours juridictionnel. En effet, en qualifiant, d'une part, les lettres des 21 janvier 1993 et 4 février 1994 de simples réponses d'attente, la Commission éviterait un recours en annulation; en affirmant, d'autre part, que la lettre du 13 juin 1994 constitue une véritable prise de position, la Commission échapperait à un recours en carence.

L'arrêt du Tribunal

6.

Dans son arrêt, le Tribunal a relevé à titre préliminaire, que, « au moment de l'introduction de la requête, les conclusions en carence étaient recevables » (point 22). Il a ensuite rappelé qu'un acte « qui n'est pas, lui-même, susceptible de recours en annulation peut, toutefois, constituer une prise de position mettant fin à la carence, s'il constitue le préalable nécessaire au déroulement d'une procédure devant déboucher sur un acte juridique lui-même susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation » (point 25), et que tel est précisément le cas d'une lettre envoyée par la Commission au plaignant, au sens de l'article 6 du règlement n° 99/63. En effet, conformément à une jurisprudence constante, la communication au titre de l'article 6 « constitue une prise de position au sens de l'article 175 du traité, bien qu'elle ne puisse pas faire l'objet d'un recours en annulation » (point 26).

En procédant à la qualification de la lettre du 13 juin 1994, le Tribunal a par conséquent estimé que, bien que cette lettre n'envisage pas expressément un rejet de la plainte, « il ressort clairement de la double référence à l'article 6 du règlement n° 99/63, du respect des exigences formelles prévues par cette disposition, du contenu de cette lettre ainsi que du contexte dans lequel elle s'inscrivait que la Commission considérait, à la date à laquelle elle a adressé à la requérante la communication dont il s'agit, que les éléments qu'elle avait recueillis ne justifiaient pas qu'il soit donné une suite favorable à la plainte dont la requérante l'avait saisie » (point 29). Le Tribunal a également précisé que, à supposer même que la lettre en cause ne soit pas suffisamment motivée et qu'elle ait été adoptée à l'issue d'une procédure irrégulière, de tels griefs, qui « pourraient éventuellement être pertinents dans le cadre d'un recours introduit en vertu de l'article 173 du traité, sont dépourvus de pertinence par rapport à la question de savoir si la Commission a pris position au sens de l'article 175 du traité » (point 33).

Le Tribunal a également rejeté l'argument de la requérante selon lequel admettre qu'il a été mis fin à la carence reviendrait à permettre à la Commission de s'affranchir de tout contrôle juridictionnel. A cet égard, le Tribunal a souligné que la requérante, à la suite des observations qu'elle a présentées en réponse à la communication qui lui a été adressée au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63, « est désormais en droit d'obtenir une décision de la Commission se prononçant de façon définitive sur la plainte. Or, une telle décision peut, si la requérante s'y croit fondée, faire l'objet d'un recours en annulation devant le Tribunal » (point 34).

7.

Les conclusions présentées par la requérante à titre subsidiaire et visant à obtenir l'annulation des lettres des 21 janvier 1993 et 4 février 1994, dans la mesure où elles constitueraient l'expression de la volonté de rejeter la plainte, ont été déclarées irrecevables. Le Tribunal a en effet relevé qu'il s'agit de simples lettres d'attente qui ne constituent pas, dès lors, « des actes produisant des effets juridiques obligatoires, de nature à affecter les intérêts de la requérante, mais des actes préparatoires qui, comme tels, ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours juridictionnel » (point 40).

8.

En ce qui concerne les dépens, le Tribunal a d'abord constaté que la Commission n'a pas donné suite, dans le délai prévu à l'article 175 du traité, à la mise en demeure que la partie requérante lui a adressée le 24 janvier 1994; et ceci alors même qu'elle était dûment informée de la substance de la plainte depuis décembre 1992. Ayant ensuite relevé que la Commission n'avait notifié à la partie requérante une prise de position au sujet de sa plainte que postérieurement à l'introduction du recours (point 45), le Tribunal a décidé que la Commission supportera ses propres dépens, ainsi que les dépens de la partie requérante (point 46).

Le pourvoi introduit par la requérante

9.

La requérante met en cause devant la Cour le bien-fondé de l'arrêt, en faisant valoir que l'affirmation du Tribunal, selon laquelle la lettre du 13 juin 1994, alors qu'elle constitue une prise de position au titre de l'article 175 du traité et qu'elle est, partant, de nature à mettre fin à la carence, n'a pas, en même temps, le caractère d'un acte susceptible de recours au sens de l'article 173 du traité, serait entachée d'une erreur de droit. Elle fait valoir, au soutien de cette position:

a)

le défaut de prise en considération par le Tribunal de la correspondance postérieure à la lettre du 13 juin 1994 de la Commission, qui aurait permis de procéder à une qualification correcte des faits et, par conséquent, de constater que la carence persistait;

b)

l'appréciation incorrecte de la nature juridique de la lettre du 13 juin 1994, et cela sous plusieurs aspects, décrits en détail dans ce qui suit, visant à démontrer que cette lettre ne constitue pas une décision de rejet et, par conséquent, n'a pas mis fin à la carence;

c)

la contradiction qu'il y aurait pour le Tribunal à considérer que cette lettre est dépourvue d'effets juridiques vis-à-vis du destinataire, alors qu'il a constaté que le recours était privé de son objet, ce qui comporterait la violation du droit à un recours juridictionnel effectif, déterminée précisément par la circonstance que le particulier serait ainsi privé du droit à une protection juridictionnelle adéquate.

La requérante se plaint, en définitive, de ce qu'il n'a pas été mis fin à la carence (premier et deuxième moyens) et que, en toute hypothèse, le fait d'admettre la disparition de la carence en l'absence d'un acte susceptible de recours implique la violation du droit à un recours juridictionnel effectif (troisième moyen). Le pourvoi en cause offre par conséquent à la Cour l'occasion d'approfondir et de clarifier la nature des droits dont bénéficie le plaignant dans le cadre des procédures en matière de concurrence, notamment sous l'angle de la protection juridictionnelle ( 5 ). Il est donc opportun, avant d'examiner les différents moyens invoqués dans cette affaire, de rappeler, ne serait-ce que de manière synthétique, le cadre normatif et jurisprudentiel dans lequel se situe le présent litige.

Les droits dont jouit le plaignant d'après la jurisprudence

10.

Nous rappellerons d'abord que, conformément à l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17, les personnes physiques ou morales qui font valoir un intérêt légitime sont habilitées à présenter à la Commission une demande visant à faire constater une (prétendue) violation des articles 85 et 86 du traité. Cette possibilité n'est toutefois pas assortie de droits de nature substantielle. La jurisprudence en la matière a en effet dit clairement que le plaignant n'a pas droit à exiger de la Commission une décision relative à l'existence ou non de la violation alléguée ( 6 ) et que la Commission n'est même pas obligée d'ouvrir une instruction, puisque cette dernière « ne pourrait avoir d'autre objet que de rechercher les éléments de preuve relatifs à l'existence ou non d'une infraction qu'elle n'est pas tenue de constater » ( 7 ).

Tout ceci ne signifie cependant pas que le plaignant soit privé de toute protection. L'article 6 du règlement n° 99/63 lui reconnaît en effet des garanties sur le plan procédural, en prévoyant que, « lorsque la Commission, saisie d'une demande en application de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, considère que les éléments qu'elle a recueillis ne justifient pas d'y donner une suite favorable, elle en indique les motifs aux demandeurs et leur impartit un délai pour présenter par écrit leurs observations éventuelles ». La Commission a par conséquent la faculté de rejeter la demande, soit après un examen des éléments de droit et de fait qu'elle comporte, soit après avoir mené une enquête ou avoir ouvert une procédure d'infraction. Dans chacune de ces hypothèses, elle est cependant tenue d'informer la requérante des motifs qui l'ont amenée à ne pas accepter la demande et de lui fixer un délai pour la présentation d'éventuelles observations par écrit ( 8 ). C'est précisément l'objet de la communication prévue à l'article 6.

11.

La Cour a par ailleurs jugé dans l'arrêt Gema/Commission que « la communication visée à l'article 6 du règlement n° 99/63, ainsi qu'il ressort de l'expression ‘en indique les motifs aux demandeurs’, n'a pour but que d'assurer qu'un demandeur au sens de l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17/62 soit informé des raisons qui ont amené la Commission à conclure que les éléments qu'elle a recueillis au cours de l'instruction ne justifient pas de donner une suite favorable à la demande. Cette communication implique le classement de l'affaire, sans pour autant empêcher la Commission de rouvrir le dossier, si elle l'estime utile, notamment dans le cas où le demandeur fournit, dans le délai qu'elle lui octroie à cette fin, conformément aux dispositions de l'article 6, de nouveaux éléments de fait ou de droit » ( 9 ).

En l'espèce, après avoir exposé les caractéristiques et la raison d'être d'une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63, la Cour a souligné qu'une telle communication constitue une prise de position au sens de l'article 175 du traité et qu'elle est par conséquent de nature à mettre fin à la carence ( 10 ). Dans le même arrêt, la Cour a toutefois laissé sans réponse la question, qui avait pourtant fait l'objet d'une ample discussion au cours de la procédure, concernant la possibilité d'introduire un recours au titre de l'article 173 du traité ( 11 ) à l'encontre d'une telle communication, ainsi que, de manière plus générale, la question de la possibilité pour le plaignant d'attaquer la lettre de rejet de la plainte par un recours en annulation.

12.

A cet égard, il faut néanmoins rappeler que la Cour avait déjà affirmé, dans l'arrêt Metro/Commission, que la décision éventuelle de rejet de la plainte devait pouvoir faire l'objet d'un recours en annulation, en relevant notamment qu'« il est de l'intérêt à la fois d'une bonne justice et d'une exacte application des articles 85 et 86 que les personnes physiques ou morales qui sont, en vertu de l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17, habilitées à demander à la Commission de constater une infraction auxdits articles 85 et 86 puissent, s'il n'est pas fait droit, en tout ou en partie, à leur demande, disposer d'une voie de recours destinée à protéger leurs intérêts légitimes » ( 12 ). En l'espèce, il est vrai que le recours de Metro, en sa qualité de plaignant, était dirigé contre la décision de la Commission d'exempter un système de distribution au sens de l'article 85, paragraphe 3, du traité. Les termes généraux dans lesquels était rédigée l'affirmation que nous venons de rappeler ont cependant donné à penser que les mêmes considérations ne pouvaient pas ne pas être également valables en ce qui concerne une décision (définitive) de classement de la plainte.

La jurisprudence ultérieure en la matière a confirmé ce point de vue, puisque la Cour a en effet admis — à plusieurs reprises — qu'un classement définitif puisse faire l'objet d'un recours au titre de l'article 173 du traité ( 13 ). Deux questions n'en restent pas moins sans réponse, à savoir: a) si la communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 est également susceptible de faire l'objet d'un recours au titre de l'article 173 du traité, ou si cette possibilité est réservée à la décision de classement intervenue à l'issue des observations éventuellement présentées par le plaignant en application de ce même article 6; b) si la Commission a l'obligation, et non la simple faculté, d'adopter une décision définitive de classement de la plainte ( 14 ).

13.

Ces deux problèmes ont trouvé une réponse dans la jurisprudence du Tribunal. Dans l'arrêt Au to mec I ( 15 ), le Tribunal a en effet procédé à une rationalisation théorique de la typologie des actes que la Commission peut adopter dans la procédure au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63, en définissant les conditions formelles dans lesquelles ces actes peuvent faire l'objet d'un recours. Plus précisément, il a défini, dans le cadre de la procédure au titre de l'article 6, trois phases successives: une première phase caractérisée par un échange d'informations et d'observations préliminaires entre le plaignant et les services de la Commission; une deuxième phase, qui concerne la communication prévue par l'article 6; une troisième phase, dans laquelle la Commission prend connaissance des observations présentées par le plaignant et adopte, le cas échéant, une décision finale. Seule cette dernière décision, que la Commission ne semble cependant pas être tenue d'adopter, est susceptible, selon le Tribunal, de faire l'objet d'un recours en annulation.

Ce qu'il est important de souligner est que l'arrêt en cause, qui a défini la communication au titre de l'article 6 comme un acte uniquement préparatoire, a éliminé toute incertitude de principe quant à la possibilité d'attaquer cette communication au titre de l'article 173 du traité. Le Tribunal a justifié une telle conclusion en affirmant notamment « qu'un recours en annulation dirigé contre une telle communication pourrait obliger la Cour et le Tribunal, comme dans le cas d'un recours dirigé contre la communication des griefs, à porter une appréciation sur des questions sur lesquelles la Commission n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer »; ce qui serait incompatible, entre autres, « avec les exigences d'une bonne administration de la justice et d'un déroulement régulier de la procédure administrative de la Commission » ( 16 ).

14.

A la suite à l'arrêt Auto mec I, la Commission a observé que: « les lettres de communication d'observations préliminaires seront donc rédigées de façon qu'elles ne puissent être considérées par leurs destinataires que comme une première réaction des services de la Commission sur la base des informations dont ils disposent. En tout état de cause, leurs destinataires seront toujours invités à faire parvenir leurs observations complémentaires à la Commission dans un délai raisonnable, expressément fixé par la lettre, faute de quoi la plainte sera considérée comme classée » ( 17 ).

La pratique ultérieure de la Commission n'est toutefois pas de nature à faire penser que ces critères ont été appliqués de manière rigoureuse; de sorte que l'on ne saurait exclure que le contentieux important en la matière, notamment relatif à la qualification juridique des actes adoptés dans le cadre de la procédure au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63, soit dû en partie précisément à l'ambiguïté des lettres adressées par la Commission aux plaignants.

15.

Les précisions apportées par la Cour dans l'arrêt SFEI e. a. /Commission ( 18 ), en ce qui concerne concrètement la qualification de la décision mettant fin à la procédure au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63, se révèlent partant particulièrement utiles dans ce contexte. Après avoir rappelé qu'« une institution, qui est dotée du pouvoir de constater une infraction et de la sanctionner et qui peut être saisie sur plainte de particuliers, comme c'est le cas de la Commission en droit de la concurrence, adopte nécessairement un acte qui produit des effets juridiques, lorsqu'elle met fin à l'enquête qu'elle a engagée à la suite de cette plainte » (point 27), la Cour a affirmé qu'« une lettre de classement ne peut s'analyser en une prise de position préliminaire ou préparatoire que si la Commission a fait clairement apparaître que sa conclusion ne vaut que sous réserve d'observations complémentaires des parties, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce » (point 30).

De l'avis de la Cour, par conséquent, une lettre qui indique et justifie l'intention de la Commission de classer la demande constitue toujours, et en tout état de cause, une décision susceptible de recours, sauf si elle renvoie expressément à des observations ultérieures du plaignant. Tel est le cas parce que, comme la Cour l'a expliqué, « à la différence d'une communication qui est destinée à donner aux entreprises concernées la possibilité de faire valoir leur point de vue sur les griefs articulés par la Commission et qui ne fixe pas définitivement la position de cette dernière l'acte de classement d'une plainte constitue le stade ultime de la procédure. Il ne sera suivi d'aucun autre acte susceptible de donner lieu à un recours en annulation » (point 28).

16.

L'arrêt litigieux en l'espèce a enfin apporté un nouvel élément à la jurisprudence en cause, en affirmant explicitement que, à la suite de la présentation des observations visées à l'article 6 du règlement n° 99/63, le plaignant a effectivement droit à une décision définitive susceptible de faire l'objet d'un recours au titre de l'article 173 du traité (point 34). Une telle conclusion, qui pouvait cependant déjà être déduite de certains éléments de jurisprudence antérieurs ( 19 ), semble s'imposer: en effet, le plaignant serait privé de toute protection juridictionnelle si la Commission n'était pas au moins tenue d'adopter, en plus de la communication visée à l'article 6 du règlement n° 99/63 (considérée comme un acte non susceptible de faire l'objet d'un recours), une décision définitive de rejet de la plainte.

En définitive, la jurisprudence que nous avons rappelée jusqu'à présent a consacré le droit du plaignant d'obtenir de la Commission, éventuellement au moyen d'un recours en carence, d'une part, une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63, acte de caractère préparatoire qui ne saurait faire l'objet d'un recours, mais qui constitue un élément indispensable aux fins de l'adoption de l'acte définitif, d'autre part, une décision définitive de rejet de sa plainte, décision susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation.

17.

La présente affaire met en évidence les problèmes auxquels est confronté le plaignant dans l'hypothèse où il n'a obtenu une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63, qu'après l'introduction d'un recours en carence et où il est encore dans l'attente d'une décision définitive, susceptible de faire l'objet d'un recours.

Ceci étant posé, nous allons examiner les différents moyens soulevés par la requérante contre l'arrêt litigieux.

Sur la persistance de la carence (premier et deuxième moyens)

18.

Nous rappelons que, par les deux premiers moyens qu'elle invoque, la requérante fait grief au Tribunal d'avoir considéré, de manière erronée, qu'il avait été mis fin à la carence de la Commission. A cet égard, elle soutient, en premier lieu, que le Tribunal aurait dû tenir compte de la correspondance postérieure à la lettre prévue par l'article 6 du règlement n° 99/63, ce qui lui aurait permis de procéder à une qualification juridique correcte des faits et également de constater que la carence persistait (premier moyen).

La requérante fait valoir en outre, non sans quelque ambiguïté, que l'évaluation opérée par le Tribunal en ce qui concerne la nature de la lettre du 13 juin 1994 est entachée d'erreurs et d'irrégularités (deuxième moyen). Elle soutient notamment: a) que le contenu même de la lettre fait apparaître qu'il ne s'agit que d'une réponse d'attente; b) que, pour arriver à une telle conclusion, le Tribunal n'aurait pas dû se fonder sur des éléments que la Commission allègue avoir rassemblés et qui seraient de nature à justifier la décision de ne pas donner suite à la plainte, alors qu'il n'existerait pas de traces de ces éléments dans le dossier; c) enfin que, dans ce contexte, il n'aurait pas été loisible au Tribunal de ne pas sanctionner la violation du principe du contradictoire, le rejet (présumé) étant fondé sur l'existence d'une autre plainte sur laquelle la requérante n'a jamais réussi à obtenir d'informations. De l'avis de la requérante, l'examen de ces griefs confirmerait que la lettre litigieuse ne pouvait pas être considérée comme une décision de rejet, constatation qui, à son tour, confirmerait la persistance de la carence.

19.

Nous estimons qu'il est opportun de commencer par l'examen de ce moyen, étant donné que l'examen destiné à vérifier si l'évaluation opérée par le Tribunal, en ce qui concerne la nature de la lettre en cause, était correcte ne peut que précéder — ne serait-ce que d'un point de vue logique — toute autre vérification. Il n'est pas superflu de préciser, à cet égard, que par ledit moyen la requérante ne conteste pas la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal, c'est-à-dire que la lettre en cause constitue « une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 » (point 30). En effet, elle s'est bornée, sur ce point, à affirmer que, dans certaines conditions, la lettre visée à l'article 6 ne saurait être considérée comme étant de nature à mettre fin à la carence et qu'il importe, au contraire, d'en vérifier concrètement le contenu, en vue de déterminer si elle implique ou non le classement de la plainte.

Nous observons à cet égard qu'il est vrai, comme cela résulte de l'arrêt précité, SFEI e. a. /Commission ( 20 ), que la nature de la lettre doit s'apprécier en fonction de son objet et non a priori, sur le fondement de critères uniquement formels. Il résulte cependant clairement du même arrêt qu'« une lettre de classement ne peut s'analyser en une prise de position préliminaire ou préparatoire » ( 21 ) que si la Commission a, d'une part, indiqué les motifs pour lesquels elle considère qu'elle ne doit pas donner suite à la plainte et, d'autre part, fixé aux plaignants un délai pour présenter des observations ultérieures.

20.

Or, il est constant en l'espèce que la Commission a fixé à la requérante un délai de deux mois pour présenter éventuellement des observations complémentaires. Il est également constant que la Commission a indiqué les motifs sur lesquels elle s'est fondée pour parvenir à la conclusion que la plainte de la requérante ne pouvait « faire l'objet d'un traitement individuel à l'heure actuelle », à savoir l'existence d'une autre plainte — relative à des faits analogues — plus représentative, ainsi que la possibilité de saisir directement les tribunaux nationaux, compte tenu du type de violation faisant l'objet de la plainte.

La lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 qui est en cause en l'espèce devrait par conséquent s'analyser, selon la terminologie utilisée dans l'arrêt SFEI e. a./Commission, « en une prise de position préliminaire ou préparatoire ». A bien y regarder, une telle conclusion, qui coïncide au moins en partie avec celle qui a été soutenue par la requérante, n'a pas été rejetée par le Tribunal, puisque ce dernier a affirmé, dans l'arrêt litigieux, « qu'une lettre au titre de l'article 6 ne fixe pas définitivement la position de la Commission » (point 31).

21.

Dans ces conditions, il faut admettre que les critiques de la requérante, selon lesquelles le Tribunal aurait commis des erreurs de droit en procédant à l'appréciation de la nature de la lettre du 13 juin 1994, sont dépourvues de fondement, au moins en ce qu'elles visent à contester le caractère définitif de la décision de rejet de la plainte.

Est notamment dépourvue de pertinence la thèse de la requérante, selon laquelle le Tribunal, comme cela résulte du point 29 de l'arrêt, s'est fondé de manière erronée, en vue de parvenir à la conclusion que la lettre litigieuse comporte une décision de rejet, sur des éléments recueillis par la Commission — mais dont il n'y aurait pas trace dans le dossier — et qui seraient propres, de l'avis de la Commission, à justifier la décision de ne pas donner suite à la plainte. Le Tribunal s'est en effet, au point 29 de l'arrêt, uniquement borné à rappeler l'existence des conditions nécessaires pour que la lettre en cause puisse être considérée comme une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63.

22.

La thèse de la requérante, selon laquelle la Commission, en fondant son rejet sur l'existence d'une plainte analogue plus représentative, aurait admis n'avoir pris aucune mesure et n'avoir pas l'intention d'en prendre, ce qui éliminerait les doutes en ce qui concerne la persistance de la carence, ne saurait non plus être accueillie. En effet, étant donné que la Commission n'est pas tenue de procéder à l'instruction d'une plainte ( 22 ), il est bien évident que la requérante, en faisant valoir un tel argument, loin de contester les conclusions du Tribunal en ce qui concerne l'appréciation de la nature de la lettre du 13 juin 1994, met en cause le bien-fondé des motifs indiqués par la Commission pour justifier son intention de ne pas procéder à l'instruction de la plainte. A cet égard, il suffit cependant de relever que ce type de grief, qui est sans aucun doute pertinent dans le cadre d'un recours éventuel en annulation, ne l'est pas aux fins de la constatation de la carence.

La même conclusion s'impose également en ce qui concerne la thèse selon laquelle le Tribunal aurait omis de sanctionner la violation par la Commission du principe du contradictoire, alors que le rejet de la plainte est fondé sur l'existence d'une autre plainte, relative à une affaire analogue, au sujet de laquelle la requérante n'a pas réussi à obtenir d'informations, même au cours de la procédure qui s'est déroulée devant le Tribunal. L'éventuelle violation des droits de la défense, qui résulterait d'un tel comportement, est en effet dépourvue de pertinence aux fins d'établir la persistance de la carence.

23.

Les observations qui précèdent font apparaître clairement que le Tribunal a apprécié correctement la nature de la lettre du 13 juin 1994, de sorte qu'il y aurait lieu de rejeter le moyen en cause. Cependant, puisque le grief qui vient d'être examiné visait à faire constater que la lettre litigieuse ne constituait pas une décision de rejet et que, pour ce motif précisément, il n'a pas été mis fin à la carence, il reste, à notre avis, à vérifier si cette lettre, que le Tribunal a définie comme une prise de position non définitive, peut être considérée comme de nature à avoir privé le recours en carence de son objet initial.

En toute hypothèse, une telle vérification est néanmoins indispensable afin d'établir si le Tribunal a omis à tort de prendre en considération la correspondance postérieure à la lettre du 13 juin 1994 (premier moyen). Il va de soi, en effet, que l'existence d'une obligation, à charge du Tribunal, d'examiner cette correspondance n'a de sens que dans la mesure où il a été préalablement établi que la lettre litigieuse, et plus généralement une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63, n'est pas en elle-même de nature à éliminer la carence ou, en tout cas, à priver le recours en carence de son objet initial.

24.

Le problème ayant été posé en ces termes, il s'agit de déterminer si une lettre qui, de l'avis même du Tribunal, constitue une prise de position non définitive peut être considérée comme étant de nature à éliminer une carence et, en même temps, l'objet du recours. En d'autres termes: est-il juste de penser qu'une telle prise de position — préliminaire ou préparatoire qu'elle soit — est néanmoins de nature à mettre fin à la carence?

De l'avis de la requérante, une réponse positive à une telle question serait d'autant moins acceptable si l'on considère que, au moment où le Tribunal a statué, il n'y avait pas eu — et, ce qui est très significatif, il n'y a d'ailleurs pas eu jusqu'à présent — de décision définitive. C'est précisément sous un tel aspect que la requérante fait valoir, comme nous l'avons déjà indiqué, que le Tribunal aurait dû examiner la correspondance postérieure à la lettre du 13 juin 1994.

25.

Nous commençons par rappeler que, dans l'arrêt litigieux, le Tribunal, tout en n'ayant pas procédé à un examen de la correspondance postérieure à la lettre du 13 juin 1994, n'en a pas moins constaté que, « à la date à laquelle il statue, il ne ressort pas des pièces du dossier que la Commission aurait adopté une décision, au sens de l'article 189 du traité, en réponse à la plainte de la requérante ». De l'avis de la requérante, « cette constatation n'est cependant pas suffisante par elle-même pour conclure à la carence de l'institution défenderesse, dès lors que, dans certaines circonstances, un acte qui n'est pas, lui-même, susceptible de recours en annulation, peut toutefois constituer une prise de position mettant fin à la carence s'il constitue le préalable nécessaire au déroulement d'une procédure devant déboucher sur un acte juridique lui-même susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation, dans les conditions prévues à l'article 173 du traité » (point 25).

Partant de cette prémisse, le Tribunal est donc parvenu à la conclusion qu'une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 constitue une prise de position au sens de l'article 175 du traité — et qu'elle est, par conséquent, susceptible de priver le recours en carence de son objet — même lorsqu'il résulte de manière évidente que l'omission d'agir persiste, et cela précisément parce qu'il s'agit d'un acte préparatoire qui constitue une condition indispensable aux fins de l'adoption de la décision définitive. Par conséquent, toujours selon le Tribunal, les événements qui ont suivi l'envoi de la lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 seraient dépourvus de pertinence aux fins de la constatation de la carence.

26.

A l'évidence, une telle position présuppose, d'une part, que la communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 ait toujours le caractère d'un acte préparatoire, d'autre part, qu'un acte qui a le caractère d'acte préparatoire est néanmoins, en dépit de cette caractéristique, de nature à mettre fin à la carence. Ces deux postulats, qui n'ont par ailleurs pas été motivés de manière adéquate, entretiennent certains doutes et une certaine perplexité dans notre esprit.

S'agissant du premier aspect évoqué, nous rappelons en effet, principalement pour nous-mêmes, que, au sens de l'article 6 du règlement n° 99/63, la Commission, outre son obligation d'indiquer aux plaignants les motifs du rejet de leur demande, est tenue de leur impartir « un délai pour présenter par écrit leurs observations éventuelles» ( 23 ). Cette disposition vise donc — manifestement — à garantir que le plaignant bénéficie de la possibilité de présenter des observations sur les motifs de rejet de sa plainte qui lui ont été communiqués par la Commission.

27.

Si cela est vrai, il nous semble que l'on ne peut pas ne pas parvenir à la conclusion suivante: lorsque le plaignant ne se prévaut pas de la possibilité que nous avons mentionnée — soit parce qu'il considère que c'est inutile, compte tenu de la teneur de la communication, soit parce qu'il ne dispose pas de nouveaux éléments de fait ou de droit qui seraient de nature à amener la Commission à modifier son opinion —, la communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63, loin de pouvoir être qualifiée d'acte préparatoire, revêt au contraire le caractère d'un acte définitif. L'arrêt SFEI e. a. /Commission, dans lequel la Cour a considéré la communication en cause comme une prise de position définitive ( 24 ) bien que, dans ladite affaire, le plaignant n'ait même pas bénéficié de la possibilité prévue par l'article 6 du règlement n° 99/63 de présenter ses observations sur les motifs de rejet de sa plainte, va d'ailleurs en ce sens. Cela signifie, selon nous, que l'absence d'observations complémentaires, qu'elle soit due à la Commission ou à la volonté du plaignant, est en toute hypothèse de nature à impliquer le classement définitif de la plainte, avec la possibilité qui en résulte d'attaquer l'acte en cause.

Il n'est pas non plus superflu de rappeler à cet égard qu'une thèse en substance analogue avait été prise en considération par la Commission dans l'affaire Gema/Commission. Dans cette affaire, l'institution défenderesse faisait en effet observer que: « La communication visée à l'article 6 du règlement n° 99/63 pourrait être considérée comme une décision, car elle produirait des effets juridiques dans le chef du demandeur. Lorsque la Commission indique les motifs qui l'empêchent de donner à la demande une suite favorable, il y aurait ordinairement lieu de considérer que ce serait là une prise de position définitive. Le fait que l'article 6 du règlement n° 99/63 prévoit qu'un délai est imparti au demandeur pour présenter par écrit ses observations éventuelles n'enlèverait pas à la communication son caractère de décision. La disposition en question laisserait au demandeur la faculté de décider s'il désire encore prendre position sur cette communication. S'il s'abstient de le faire, il reconnaîtrait le caractère définitif de la communication » ( 25 ).

28.

Comme nous l'avons déjà montré, c'est précisément cette solution qui, selon nous, correspond le mieux à la lettre et à la ratio de l'article 6 du règlement n° 99/63. En effet, le plaignant qui décide de ne pas faire usage de la possibilité de présenter d'autres observations se verrait toujours et en tout état de cause privé de la possibilité de soumettre les motifs du classement sans suite (définitif) de sa plainte au contrôle du juge communautaire, avec pour conséquence que la faculté visée à l'article 6 du règlement n° 99/63 se transformerait en une obligation, au moins pour ceux qui ne souhaitent pas renoncer au contrôle juridictionnel.

Nous considérons en outre que cette solution n'est pas en contradiction avec l'arrêt Automec I ( 26 ) et qu'elle se borne en fait à lui apporter quelques précisions. En effet, s'il est vrai que dans cet arrêt la communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 a été qualifiée par le Tribunal d'acte préparatoire non susceptible de recours et considérée comme relevant de la phase dite « seconde phase », il est vrai par ailleurs que le Tribunal n'a même pas envisagé l'hypothèse que cette communication puisse constituer le dernier acte de la procédure. En tout cas, l'absence de la phase dite « troisième phase », mentionnée dans l'arrêt Automec I, ne saurait impliquer que la procédure prévue par l'article 6 du règlement n° 99/63 se termine par un acte préparatoire ni que l'acte en cause, bien qu'il n'ait aucun caractère préparatoire, ne soit pas susceptible d'un recours.

29.

Ce qui précède montre bien que la phase qui suit l'envoi de la lettre prévue par l'article 6 du règlement n° 99/63 peut se révéler déterminante déjà aux fins de la qualification de l'acte en cause, ce qui n'est certainement pas sans conséquences importantes pour le plaignant, au moins sur le plan de la protection juridictionnelle. A ce stade du raisonnement, il convient de se demander s'il faut prendre en considération la suite de la procédure prévue par l'article 6 du règlement n° 99/63, et dans quelle mesure, lorsque le plaignant, comme la requérante en l'espèce, fait usage de la possibilité de présenter des observations complémentaires. La réponse la plus logique est que, dans une hypothèse de ce type, la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99/63 ne peut pas être qualifiée d'acte définitif, et en tout cas pas en raison de sa nature, avec la conséquence qu'il faut également exclure qu'il s'agit d'un acte attaquable au sens de l'article 173 du traité.

On retourne ainsi au point de départ, en ce sens qu'il faut définir si, en tant qu'acte préparatoire, la communication peut tout de même être considérée comme étant de nature à mettre fin à la carence. La réponse fournie par le Tribunal à une telle question, nous le rappelons, a été positive, précisément parce que cet acte constitue le préalable nécessaire à l'adoption de l'acte définitif ( 27 ). Si l'on considère cependant que le plaignant demande non pas l'adoption d'un acte préparatoire, mais l'adoption de la décision, peut-on effectivement considérer qu'une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 constitue une prise de position valable au sens de l'article 175 du traité et, en même temps, est réellement de nature à priver le recours de son objet?

30.

A cet égard, nous commençons par rappeler que, comme le Tribunal l'a d'ailleurs relevé dans l'arrêt en cause, une première réponse à cette question a déjà été donnée par la Cour dans l'arrêt Gema/Commission. Dans cet arrêt, après avoir jugé que la lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 « implique le classement de l'affaire » ( 28 ), la Cour a en effet reconnu expressément qu'elle est « un acte qui constitue une prise de position au sens de l'article 175 du traité, deuxième alinéa, du traité » ( 29 ).

Cette affirmation doit toutefois être lue à la lumière des particularités du cas d'espèce: a) la lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 avait été envoyée avant l'introduction du recours, avec la conséquence que celui-ci avait été déclaré irrecevable; b) le plaignant n'avait pas fait usage de la possibilité de présenter d'autres observations, de sorte que le problème de l'éventuelle persistance de la carence ne se posait même pas; c) en tout cas, le fait même que la lettre en cause a été définie, dans l'arrêt précité, comme un acte impliquant « le classement de l'affaire » et dépourvu de « caractère provisoire » nous amène à exclure, bien que la Cour n'ait pas abordé la question de savoir si elle est susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation ( 30 ), que cette lettre ait le caractère d'un acte préparatoire. Dans ces conditions, il est évident que l'arrêt Gema/Commission ne peut nullement être considéré comme décisif aux fins de la présente affaire, bien au contraire.

31.

En fait, la question que nous devons résoudre — en partant de l'idée que la lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 ne revêt pas le caractère d'un acte définitif lorsque le plaignant fait usage de son droit de présenter des observations complémentaires — est celle de savoir si l'objet d'un recours en carence disparaît dès que l'institution prend position, ne fût-ce que par le biais d'un acte « préparatoire », ou si tel est le cas uniquement lorsqu'il a été mis fin à l'omission de statuer par l'adoption d'un acte définitif.

Cette question a été expressément examinée dans les conclusions de l'avocat général relatives aux affaires Automec II et Asia Motor 1 ( 31 ), dans lesquelles ont été analysés tant le fondement que les implications des deux options que nous venons de rappeler.

32.

Notamment, la thèse selon laquelle un acte préparatoire ne saurait être en aucun cas considéré comme de nature à faire cesser la carence, précisément en raison de ladite qualification, impliquerait que, « dès lors que le Tribunal est saisi d'un recours au titre de l'article 175 du traité recevable, l'objet de celui-ci ne s'épuise que lorsque l'institution défenderesse a adopté un ‘acte’ formel » ( 32 ), avec pour conséquence que le recours conserve son objet jusqu'à ce que la Commission prenne une décision définitive ( 33 ). Dans cette optique, la lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 provoquerait une sorte de suspension de la carence mais n'y mettrait pas fin. Cette solution « aurait pour avantage que l'existence d'un recours toujours pendant, pouvant être réactivé à tout moment, serait un aiguillon incitant la Commission à demeurer active. Le désavantage serait qu'un recours potentiellement inutile resterait inscrit au rôle du Tribunal, le sort de ce recours étant entre les mains des parties et non du Tribunal » ( 34 ).

Dans les conclusions précitées, l'hypothèse que l'acte préparatoire prive déjà le recours en carence de son objet a été au contraire définie comme « théoriquement moins attrayante dans la mesure où elle présuppose qu'il peut être mis fin à une abstention de statuer, dans le sens d'adopter un acte attaquable au moyen d'une mesure ne comportant pas d'actes attaquables. Si elle présente l'avantage de décharger rapidement le rôle du Tribunal, cette thèse présente le désavantage correspondant de contraindre un plaignant à exercer une série de recours en vue d'obtenir des résultats si la Commission continue à faire preuve d'inertie dans le traitement du dossier » ( 35 ). Ce désavantage, il est à peine besoin de le souligner, est la raison d'être de l'affaire qui nous occupe ici.

33.

Le Tribunal, pour sa part, ne semblait nullement exclure que la suite de la procédure prévue par l'article 6 du règlement n° 99/63, telle qu'elle s'était déroulée après l'envoi de la lettre au titre du même article, était pertinente afin de constater l'éventuelle persistance de la carence. En effet, dans l'affaire Asia Motor 1 ( 36 ), dans laquelle les requérantes avaient soutenu, entre autres, que la lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 ne saurait être considérée comme de nature à mettre fin à l'objet du recours, le Tribunal a précisé de manière significative qu'en l'espèce la Commission avait non seulement satisfait aux obligations procédurales que lui impose l'article 6 du règlement n° 99/63 (bien qu'elle ne l'ait fait qu'après l'introduction du recours), mais également adopté, entre-temps et bien qu'avec un retard considérable, une décision définitive de rejet des plaintes dont elle avait été saisie par les requérantes. Il en concluait que « le recours est devenu sans objet, à tout le moins et en tout état de cause, à la suite de la décision du 5 décembre 1991 et qu'il n'y a plus lieu, dès lors, de statuer à cet égard » ( 37 ). La constatation faite dans le même arrêt, à savoir que « l'acte dont l'omission fait l'objet du litige a été adopté après l'introduction du recours mais avant le prononcé de l'arrêt », revêt une importance particulière, avec la conséquence que « dans le cas d'espèce, la Commission qui a rejeté définitivement la plainte des parties requérantes, après l'envoi de la communication prévue à l'article 6 du règlement n° 99/63, ne peut être réputée avoir refusé d'agir » ( 38 ).

Les considérations que nous venons de rappeler, dont il n'était cependant pas possible de tirer une réponse claire et sans équivoque en ce qui concerne le problème en cause de la présente affaire ( 39 ), nous amènent néanmoins à considérer que le Tribunal avait eu l'intention de prendre en considération, aux fins de la constatation de la carence, également les événements qui ont eu lieu après l'envoi de la lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63. Appelé à se prononcer expressément sur ce point, précisément dans l'arrêt qui fait l'objet du présent pourvoi, le Tribunal a par contre fourni une réponse explicite en sens contraire.

La solution qui a été ainsi choisie ne peut cependant être considérée comme satisfaisante, tant parce qu'elle fait dépendre la cessation de la carence, et, avec elle, de l'objet du recours, d'un acte qui est seulement préparatoire aux fins de l'adoption de l'acte (définitif) demandé par le plaignant que parce qu'elle peut se révéler de nature à contraindre ce dernier à réitérer le recours en carence afin d'obtenir un résultat utile. Il faut cependant se poser la question de savoir quelles peuvent être les solutions envisageables, dans le respect du droit et en particulier de la ratio de l'article 6 du règlement n° 99/63, pour remédier à ces inconvénients.

34.

Une première possibilité pourrait être celle qui a été suggérée dans les conclusions que nous avons rappelées, c'est-à-dire qu'il n'est pas mis fin à l'objet du recours tant qu'une décision définitive n'est pas intervenue. Même si elle a le mérite d'éliminer les inconvénients résultant du fait que l'on considère qu'il a été mis fin à la carence et que le recours est par conséquent privé de son objet, cette solution n'est toutefois pas exempte de critiques. Elle n'est notamment pas de nature à faire obstacle à une éventuelle persistance de l'inertie de la Commission, même pour de longues périodes, alors que le plaignant ne pourrait en aucune manière, dans cette hypothèse, contraindre la Commission à agir.

Une seconde possibilité, qui est d'ailleurs celle que nous suggérons, consiste au contraire à imposer à la Commission, qui ne peut et ne doit certes pas repousser sine die l'adoption de l'acte définitif, de répondre aux observations présentées par le plaignant dans un délai raisonnable, passé lequel, si elle n'a pas pris de décision, il y a lieu de considérer que les conditions sont réunies pour que le Tribunal constate la carence. Nous ajoutons que la fixation d'un délai raisonnable — pendant la durée duquel la Commission est tenue de confirmer ce qu'elle a déjà communiqué dans la lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63, ou bien de rouvrir le dossier, si elle le juge opportun à la suite d'observations présentées ultérieurement par la requérante — s'impose, à notre avis, pour garantir la sécurité juridique et une protection juridictionnelle adéquate. Le délai « raisonnable », qui pourrait être « raisonnablement » fixé entre trois et six mois, répond par ailleurs à l'exigence que soit garantie une bonne administration de la justice, exigence d'autant plus impérative dans les domaines tels que ceux visés en l'espèce, dans lesquels seule une intervention dans un délai donné peut permettre d'atteindre l'objectif d'une plainte au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17. Il est à peine besoin de souligner que la fixation d'un délai raisonnable, visant à garantir les exigences et les principes que nous venons de mentionner, ne constitue assurément pas une nouveauté dans la jurisprudence de la Cour ( 40 ).

35.

En définitive, et pour résumer les arguments que nous avons exposés jusqu'à présent, la communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 comporte en elle-même le classement de la plainte — et elle est, par conséquent, qualifiée d'acte définitif — toutes les fois que le plaignant ne se prévaut pas de la possibilité de présenter ultérieurement des observations complémentaires. Dans cette hypothèse, par conséquent, elle prive effectivement le recours de son objet et constitue en même temps un acte attaquable au sens de l'article 173 du traité. Lorsque, au contraire, le plaignant fait usage de la possibilité de présenter des observations, le recours en carence ne se trouve privé de son objet que dans l'hypothèse où la Commission adopte, dans le délai raisonnable fixé par la Cour, la décision définitive de rejet de la plainte. Le défaut d'adoption d'une telle décision, dans ce délai, emporterait par contre, naturellement lorsque les conditions en sont réunies, la constatation de la carence par le juge.

Dans les deux hypothèses — il est à peine besoin de le souligner— le comportement des intéressés, après que leur a été envoyée la lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63, se révèle par conséquent décisif en vue de constater si la carence persiste ou si elle a au contraire cessé et si le recours est ou non privé de son objet.

36.

Il en résulte, en ce qui nous concerne ici, que, puisque le Tribunal a considéré comme dépourvue de toute pertinence, aux fins de la constatation de la carence, la circonstance qu'au moment où il a rendu son arrêt une décision définitive de rejet n'était pas encore intervenue, il y a lieu d'accueilir le premier moyen de la requérante.

Sur les effets juridiques de L lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 et la violation du droit à un recours juridictionnel effectif (troisième moyen)

37.

Par le troisième moyen, la requérante fait valoir que le fait même de considérer que la lettre du 13 juin 1994 est de nature à priver le recours en carence de son objet initial mais qu'elle ne constitue pas un acte attaquable comporterait une violation du droit à un recours juridictionnel effectif.

Compte tenu du fait que ce droit compte parmi les principes généraux du droit communautaire ( 41 ), la requérante fait valoir que le Tribunal — en considérant la lettre en cause comme dépourvue d'effets juridiques contraignants à son égard, mais en même temps comme étant de nature à éliminer la carence — a créé une zone grise dans laquelle le plaignant serait privé de toute protection juridictionnelle: il serait en effet privé de la possibilité, d'une part, de faire constater l'omission illégale d'adoption de l'acte demandé, d'autre part, d'introduire un recours en annulation.

38.

En réalité, il faut reconnaître à cet égard que la solution adoptée par le Tribunal n'est pas de nature à priver la requérante de toute protection. Néanmoins, en imposant au plaignant, en face d'une inertie persistante de la Commission, d'introduire une seconde action en carence à la seule fin d'obtenir l'acte (définitif) demandé (par le premier recours en carence) et éventuellement de demander l'annulation dudit acte par un recours au titre de l'article 173 du traité ( 42 ), une telle solution rend pour le moins plus difficile l'accès à la justice.

Dans ces conditions, il est bien difficile de ne pas souscrire à l'idée selon laquelle « la duplication des recours transforme le contrôle juridictionnel communautaire en un véritable parcours du combattant où la persévérance et la résistance deviennent les vertus cardinales! » ( 43 ), ce qui nous amène à douter du caractère adéquat de la protection juridictionnelle ainsi assurée au plaignant.

Nous estimons toutefois, également à la lumière des conclusions auxquelles nous sommes parvenu en ce qui concerne le premier moyen, qu'il n'est pas nécessaire d'approfondir davantage le moyen en cause.

39.

Il va sans dire que la solution serait tout autre au cas où la Cour déclarerait que les motifs invoqués par la requérante afin de démontrer la persistance de la carence ne sont pas fondés. Dans ce cas, en effet, il serait difficile de démontrer que n'est pas fondée la thèse de la requérante, selon laquelle la circonstance même qu'une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 est en elle-même de nature à priver le recours en carence de son objet initial impliquerait — nécessairement — qu'il s'agit d'un acte qui produit des effets juridiques contraignants à l'égard du destinataire, par conséquent d'un acte attaquable ( 44 ). Il s'ensuivrait, de toute évidence, que, du fait même d'avoir considéré comme non attaquable la communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63, le Tribunal aurait méconnu le droit de la requérante à un recours juridictionnel effectif.

Nous ajoutons qu'il serait préférable, à notre avis, de reconnaître que la lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 revêt toujours, et en tout état de cause, le caractère d'un acte attaquable ( 45 ), plutôt que d'avaliser une situation dans laquelle le plaignant, afin d'obtenir une décision définitive et de la soumettre, le cas échéant, au contrôle du juge communautaire, est contraint d'introduire deux recours en carence ( 46 ). Dans le cas contraire, on ne pourrait pas, en effet, ne pas constater le caractère inadéquat, en termes d'efficacité et de rapidité, de la protection juridictionnelle du particulier qui a présenté une demande conformément à l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17, caractère que, selon nous, la Cour ne saurait admettre.

40.

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu d'annuler l'arrêt du 27 juin 1995 en ce qu'il a dit pour droit que les moyens que nous venons d'examiner n'étaient pas fondés.

Le pourvoi incident de la Commission

41.

Le pourvoi incident concerne la partie de l'arrêt dans laquelle le Tribunal a condamné la Commission, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, à supporter ses propres frais et ceux de la requérante (points 44 à 46).

La Commission fait valoir, au soutien de son pourvoi, que le Tribunal a fait une confusion entre la recevabilité du recours en cause et l'examen du fond. De l'avis de la Commission, une condamnation aux dépens ne se justifierait, en définitive, que si le Tribunal avait effectivement constaté la carence, ou au moins procédé, ne fût-ce que prima facie, à un examen du fond, ce qui n'aurait pas été le cas en l'espèce.

42.

La Commission elle-même ne se dissimule pas, par ailleurs, que l'article 51, deuxième alinéa, du statut, en vertu duquel « un pourvoi ne peut porter uniquement sur la charge et le montant des dépens », pourrait constituer un obstacle à la recevabilité du pourvoi qu'elle a introduit. Elle parvient cependant à la conclusion qu'en l'espèce cette disposition ne serait pas d'application, essentiellement au motif que, puisqu'elle vise à éviter — également pour des raisons d'économie de la procédure — que la Cour soit amenée à n'examiner une affaire que sur le plan des dépens, cette disposition n'aurait aucune raison d'être en cas de pourvoi incident. Dans ce cas, en effet, la Cour devrait en tout état de cause examiner l'affaire visée en raison des moyens invoqués dans le cadre du pourvoi principal.

Or, nous commençons par rappeler que la Cour a interprété l'article 51 en ce sens qu'il s'applique également lorsque — bien que le moyen concernant les dépens ne soit pas le seul moyen du pourvoi — tous les autres moyens ont été déclarés non fondés ( 47 ). Cela signifie, à l'évidence, que la raison d'être d'une telle disposition, contrairement à ce qui a été soutenu par la Commission, ne consiste pas à éviter à la Cour de devoir examiner une affaire à la seule fin de statuer sur les dépens. Il faut en effet reconnaître, également au regard de la jurisprudence que nous venons de rappeler, que la disposition en cause vise plutôt à empêcher qu'un jugement rendu par le Tribunal soit mis en cause uniquement sur le plan des dépens, sans que la circonstance que cette mise en cause ait lieu par le biais du pourvoi principal ou incident soit pertinente. D'autre part, les termes généraux dans lesquels est rédigée la disposition en cause ne peuvent pas ne pas conduire à la conclusion qu'elle est également applicable dans les deux hypothèses.

43.

Pour le cas où la Cour parviendrait à une conclusion différente, nous faisons remarquer d'abord que le Tribunal, en statuant de la manière critiquée en l'espèce, s'est borné à faire application d'une jurisprudence constante de la Cour en vertu de laquelle, même si l'objet du recours vient à disparaître parce que l'institution appelée à statuer ne prend position qu'après l'introduction du recours, les dépens sont mis à la charge de ladite institution ( 48 ). La ratio d'une telle jurisprudence est tout à fait claire: il serait, en effet, pour le moins injuste de condamner la requérante aux dépens, alors qu'un tel recours a été précisément introduit du fait de l'inaction de l'institution appelée à statuer.

Cela ne signifie pas, contrairement à ce qui a été soutenu par la Commission, confondre la recevabilité et l'examen au fond, mais prendre acte de la circonstance que l'objet du recours a disparu en raison du comportement de l'institution appelée à statuer. Qu'il nous soit permis d'ajouter que l'éventualité que le recours en carence ne soit pas fondé, bien que dépourvue de pertinence aux fins de la répartition des dépens, serait très difficile à admettre — et non seulement prima facie — en ce qui concerne la présente affaire. A cet égard, il faut en effet rappeler, d'une part, que le Tribunal a constaté que la Commission n'a pas donné suite à la lettre de mise en demeure qui lui a été adressée par la requérante le 24 janvier 1994, « bien qu'elle ait été informée de la substance de la plainte depuis fin décembre 1992 », d'autre part, qu'il est désormais incontestable que celui qui présente une plainte au sens de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 a droit, en toute hypothèse, à une décision. Dans ces conditions, nous estimons que la prétention de la Commission n'a manifestement aucun fondement, au point d'apparaître vexatoire.

Sur le recours introduit devant le Tribunal

44.

Au sens de l'article 54, premier alinéa, du statut, lorsque la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d'être jugé. Puisque l'examen du recours présenté par la requérante n'impose, en l'état, aucune vérification des faits, nous considérons que la Cour peut statuer à titre définitif sur le présent litige.

45.

Par le premier moyen, la requérante a fait valoir, devant le Tribunal, que la lettre de la Commission du 13 juin 1994 ne pouvait pas être considérée comme de nature à mettre fin à la carence et que, notamment, une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 ne constituait pas une prise de position au sens de l'article 175, deuxième alinéa, du traité.

Nous avons déjà montré, à la suite de l'examen du premier motif du pourvoi, que, dans l'hypothèse où, comme en l'espèce, le plaignant a fait usage de la possibilité de présenter des observations complémentaires, cette lettre ne peut être considérée comme étant de nature à priver le recours en carence de son objet, à moins que la Commission n'adopte une décision définitive dans un délai raisonnable. Puisqu'il est constant que cette décision n'était pas intervenue au moment où le Tribunal a statué et que le délai raisonnable, qui ne devrait en tout état de cause pas dépasser six mois, avait été amplement dépassé, il ne nous reste qu'à vérifier si, en omettant de statuer sur la demande de la requérante, la Commission a effectivement violé une obligation d'agir.

46.

Or, la réponse ne peut être que positive. S'il est vrai en effet que la Commission n'est pas tenue d'adopter une décision qui constate une infraction aux règles de la concurrence ni d'instruire une plainte présentée au titre de l'article 3 du règlement n° 17, elle n'en est pas moins obligée, en cas de classement sans suite, « de motiver sa décision afin de permettre au Tribunal de vérifier si elle a commis des erreurs de fait ou de droit ou encore un détournement de pouvoir » ( 49 ).

Dans ces conditions, la référence faite par la Commission à une affirmation du Tribunal, selon laquelle « le fait pour la Commission d'accorder des degrés de priorité différents aux dossiers dont elle est saisie dans le domaine de la concurrence est conforme aux obligations imposées à celle-ci par le droit communautaire » ( 50 ), est tout à fait dépourvue de pertinence pour démontrer qu'elle n'a enfreint aucune obligation d'agir. Cette affirmation implique en effet que la Commission est tout à fait en droit de rejeter une demande en fonction des priorités qu'elle a définies, mais qu'elle ne peut certainement pas le faire de manière à se soustraire au contrôle juridictionnel.

47.

En définitive, le pouvoir d'appréciation dont dispose la Commission, en ce qui concerne la suite à donner aux plaintes qui lui sont présentées, n'est certainement pas de nature à pouvoir mettre en cause le droit, désormais incontesté, de celui qui présente une plainte, conformément à l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, à obtenir une décision.

Nous ajoutons, enfin, qu'est également dénuée de fondement la thèse de la Commission, selon laquelle il ne se serait pas écoulé de délai raisonnable entre le moment où la plainte a été présentée et le moment où elle a reçu la lettre de mise en demeure. A cet égard, il suffit de rappeler que la Commission n'a donné aucune suite à la lettre de mise en demeure de la requérante du 24 janvier 1994, bien qu'elle ait été informée de la substance de la plainte dès le mois de décembre 1992.

Conclusion

48.

Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour:

d'annuler l'arrêt du Tribunal du 27 juin 1995 dans l'affaire T-186/94, Guérin automobiles/Commission;

de déclarer irrecevable le pourvoi incident de la Commission;

de déclarer que la Commission a omis, en violation de l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité, et de l'article 6 du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 du Conseil, d'adopter une décision définitive à l'égard du plaignant;

de condamner la Commission à l'ensemble des dépens.


( *1 ) Langue originale: l'italien.

( 1 ) Guérin automobiles/Commission (Ree. p. II-1753).

( 2 ) Règlement du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204).

( 3 ) JO 1985, L 15, p. 16.

( 4 ) JO 1963, 127, p. 2268.

( 5 ) Voir, entre autres, Idot: « La situation des victimes de pratiques anticoncurrentielles après les arrêts Asia Motor et Àutomec II », dans Europe, 1992, p. 1 et suiv.; Gilliams et Maselis: « Le statut du plaignant en droit communautaire », dans Journal des Tribunaux, 1996, p. 25 et suiv.; Amadeo: « La posizione del singolo controinteressato dinanzi alla Commissione nell'applicazione delle regole di concorrenza », dans II Diritto dell'Unione Europea, 1996, p. 405 et suiv.

( 6 ) Arrêt du 18 octobre 1979, Gema/Commission (125/78, Rec. p. 3173, points 17 et 18); ainsi que, récemment, arrêt du 18 septembre 1996, Asia Motor France c. a. /Commission (T-387/94, Rec. p. II-961, point 46, ci-après l'« arrêt Asia Motor III »). Comme le Tribunal l'a précisé dans l'arrêt du 18 septembre 1992, Automcc/Commission (T-24/90, Ree. p. II-2223, point 75, ci-après l'« arrêt Automec II »), une solution différente ne s'impose que lorsque l'objet de la plainte relève des compétences exclusives de la Commission.

( 7 ) Arrêt Automec II, cité à la note précédente, point 76; ainsi que l'arrêt du 24 janvier 1995, BEMIM/Commission (T-114/92, Rec. p. II-147, point 81). Voir, par ailleurs, l'arrêt du 24 janvier 1995, Tremblay c. a. /Commission (T-5/93, Ree. p. II-185, point 61), dans lequel le Tribunal a expressément constaté que la requérante ne peut prétendre obtenir de la Commission une décision en rapport avec la violation dénoncée, même dans l'hypothèse où la Commission aurait « acquis la conviction que les pratiques concernées constituaient une infraction à l'article 86 du traité ». Cette dernière affirmation, qui a été justifiée sur la base de la thèse selon laquelle le fait d'imposer à la Commission l'obligation d'adopter, « une fois qu'elle a constaté une infraction, une décision obligeant les entreprises concernées à y mettre fin, est contraire au texte même de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17, selon lequel la Commission peut adopter une telle décision » (arrêt du 18 novembre 1992, Rendo c. a./Commission (T-16/91, Rec. p. II-2417, point 98), soulève, en réalité, quelques doutes.

( 8 ) Cela signifie que la Commission, même si elle n'est pas tenue d'adopter une décision établissant l'existence d'une infraction aux règles de la concurrence ni de procéder à l'instruction d'une plainte présentée conformément à l'article 3 du règlement n° 17, n'en est pas moins tenue « d'examiner attentivement les moyens de fait et de droit soulevés par l'auteur de la plainte pour vérifier l'existence d'un comportement anticoncurrentiel. De plus, en cas de classement sans suite, la Commission est obligée de motiver sa décision afin de permettre au Tribunal de vérifier si elle a commis des erreurs de fait ou de droit ou encore un détournement de pouvoir » (arrêt du 19 octobre 1995, Rendo c. a. /Commission, C-19/93 P, Rec. p. I-3319, point 27).

( 9 ) Arrêt précité à la note 6, point 17; c'est nous qui soulignons.

( 10 ) Loc. cit., points 19 et 20.

( 11 ) Voir cependant, sur ce point, les conclusions relatives à l'affaire précitée, prononcées par l'avocat général M. Capotorti. Ce dernier, après être parvenu à la conclusion que le défaut d'adoption d'une lettre au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 constitue une omission illégale de la part de la Commission et qu'elle peut faire l'objet, par conséquent, d'un recours en carence au sens de l'article 175 du traité, a relevé ensuite que l'acte en question, qui n'avait été adopté par la Commission qu'après l'introduction du recours en carence, « pouvait être attaqué en temps utile par un recours en annulation, étant donné que les actes soumis au contrôle de légalité de la Cour sont décrits dans l'article 173, alinéa 1, par une formule identique à celle qu'utilise l'article 175 précité, dernier alinéa » (Rec. 1979, p. 3193 et, notamment, p. 3200).

( 12 ) Arrêt du 25 octobre 1977 (26/76, Rec. p. 1875, point 13).

( 13 ) Voir l'arrêt du 11 octobre 1983, Demo-Studio Schmidt/ Commission (210/81, Rcc. p. 3045, point 14), dans lequel le droit du plaignant à contester la décision de classement de la plainte a été justifié pour le même motif (repris textuellement) que celui utilisé dans l'arrêt Metro/Commission. Voir, par ailleurs, l'arrêt du 28 mars 1985, CICCE/Commission (298/83, Rcc. p. 1105, point 18), dans lequel la Cour a affirmé qu'elle était compétente pour contrôler, à la lumière des éléments de fait et de droit qui ont été présentés par la requérante, la légalité de la décision de classement de a plainte prise par la Commission; ainsi que l'arrêt du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds (142/84 et 156/84, Rcc. p. 4487, point 12), dans lequel la Cour a rappelé que, aux fins de la recevabilité d'un recours en annulation dirigé contre une lettre de rejet d'une plainte, il est suffisant que cette lettre « ait le contenu d'une décision et en produise les effets, en ce qu'elle met fin à l'enquête engagée, comporte une appréciation des accords en cause et empêche les requérantes d'exiger la réouverture de l'enquête, à moins que celles-ci ne fournissent des éléments nouveaux ».

( 14 ) La position de la Commission à cet égard a été pendant longtemps de dire qu'elle n'avait aucune obligation d'adopter une décision formelle de rejet et qu'elle pouvait, au contraire, choisir les cas dans lesquels elle estimait opportun de prendre une telle décision. Voir, notamment, le onzième rapport sur la politique de concurrence, 1981, point 118, ainsi que le quinzième rapport sur la politique de concurrence, 1985, point 1, dans lesquels clic affirme que c'est seulement « en tant que de besoin » que la Commission adopte une décision définitive de rejet, susceptible de faire l'objet d'un recours devant la Cour.

( 15 ) Arrêt du 10 juillet 1990, Automcc/Commission (T-64/89, Rec. p. II-367, points 45 à 47, ci-après l'« arrêt Automec I »).

( 16 ) Loc. cit. point 46.

( 17 ) Vingtième rapport sur la politique de concurrence, 1990, point 165, p. 138.

( 18 ) Arrêt du 16 juin 1994 (C-39/93 P, Rec. p. I-2681).

( 19 ) Voir, par exemple, l'arrêt Autornec II, (cité à la note 6), point 85; ainsi que l'arrêt du 24 janvier 1995, Ladbroke/Commission (T-74/92, Ree. p. II-115, point 60).

( 20 ) Arrêt précité à la note 18, points 28 à 31.

( 21 ) Loc. cit., point 30.

( 22 ) Voir, ci-dessus, le point 10.

( 23 ) C'est nous qui soulignons.

( 24 ) Arrêt précité à la note 18.

( 25 ) Arrêt précité à la note 6, partie « En fait », notamment p. 3182.

( 26 ) Arrêt précité à la note 15.

( 27 ) Le Tribunal cite à l'appui de cette thèse, les arrêts du 12 juillet 1988, Parlement/Conseil (377/87, Rec. p. 4017, points 7 et 10), et du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil (302/87, Rec. p. 5615, point 16). A cet égard, nous observons cependant que, dans le premier arrêt, la Cour — en omettant expressément de se prononcer sur l'exception d'irrecevabilité du recours en carence dans la mesure où il était dirigé contre le projet de budget et, par conséquent, d'un acte préparatoire — s'est bornée à prononcer un non-lieu à statuer dans la mesure où l'adoption de l'acte en cause était intervenue entre-temps. En ce qui concerne la seconde affaire dans laquelle était en cause la légitimation active du Parlement en vertu de l'article 173 du traité; il est vrai que la Cour a jugé que: « le Parlement européen peut obtenir un arrêt déclarant la carence du Conseil, alors que le projet qui constitue un acte préparatoire ne pourrait être contesté en vertu de l'article 173 », mais les termes dans lesquels elle l'a fait sont peu clairs et ne sont, en tout état de cause, pas décisifs pour ce qui nous importe ici. En fait, bien que nous soyons d'accord sur le fait que, dans certaines hypothèses, les actes à caractère uniquement préparatoire peuvent avoir des effets juridiques définitifs vis-à-vis du destinataire de sorte que le fait qu'ils ne soient pas adoptés peut faire l'objet d'un recours en carence (ce qui est le cas du défaut d'adoption du projet de budget par le Conseil et, également, du défaut d'adoption d'une proposition de directive par la Commission; dans ces hypothèses, en effet, le défaut d'adoption des actes dont il s'agit pourrait empêcher respectivement le Parlement et le Conseil d'exercer leurs compétences), nous ne pouvons pas ne pas noter à cet égard que a situation est tout à fait différente, ou au moins devrait l'être, lorsqu'il s'agit d'un acte tel qu'une communication au sens de l'article 6 du règlement n° 99/63. Dans cette dernière hypothèse, en effet, l'éventuelle adoption de l'acte en cause, loin de répondre à la demande du plaignant (sauf dans un sens qui lui est défavorable) peut tout à fait constituer une prise de position préparatoire qui permette le maintien de la carence. Les observations qui suivent se concentrent sur cet aspect.

( 28 ) Arrêt précité à la note 6, point 17.

( 29 ) Idem, point 21.

( 30 ) Nous rappelons que, dans l'arrêt Gema/Commission, la Cour n'a en effet pas eu l'occasion de se prononcer sur le caractère d'acte attaquable ou non de la lettre au titre de l'article 6 en cause, étant donné que les conclusions qui visaient à en obtenir l'annulation étaient manifestement irrecevables. Sur cette question, qui avait fait l'objet d'un large débat au cours de la procédure, l'avocat général M. Capotorti (voir ci-dessus, note 11) a au contraire pris position en répondant par l'affirmative. A cette occasion, d'ailleurs, la Commission, en examinant à cet égard trois solutions possibles, n'avait pas exclu l'hypothèse que la communication au titre de l'article 6 soit toujours et en tout état de cause un acte pouvant être attaqué par les intéressés, conformément à l'article 173 du traité.

( 31 ) Conclusions de M. le juge Edward, faisant fonction d'avocat général, présentées le 10 mars 1992 (Ree. 1992, p. II-2226, points 90 à 97), dans les affaires Automec II, précitée à la note 6, et Asia Motor France c. a. /Commission (arrêt du 18 septembre 1992, T-28/90, Rec. p. II-2285, ci-après l'« arrêt Asia Motor I »).

( 32 ) Loc. cit., point 94.

( 33 ) A cet égard, on ne peut pas ne pas rappeler l'affirmation selon laquelle « un refus explicite d'agir peut être déféré à la Cour sur la base de l'article 175, des lors qu'il ne met pas fin à la carence » (arrêt du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil, précité à la note 27, point 17). Compte tenu du contexte spécifique dans lequel cette affirmation a été formulée, ainsi que de la jurisprudence ultérieure, nous ne considérons cependant pas qu'elle puisse être invoquée à l'appui de la thèse qui est soutenue ici.

( 34 ) Conclusions du 10 mars 1992 (précitées à la note 31), point 95.

( 35 ) Loc. cit., point 96; c'est nous qui soulignons.

( 36 ) Arrêt précité à la note 31, points 34 à 37.

( 37 ) Loc. cit., point 35.

( 38 ) Loc. cit., point 37.

( 39 ) Il n'est pas superflu d'observer que, même dans l'arrêt ultérieur Ladbroke/Commission, le Tribunal n'a nullement levé les doutes persistant à cet égard. En effet, après avoir constaté qu'il s'était écoulé beaucoup de temps entre le moment du dépôt de la plainte et celui de la date de réception de la lettre de mise en demeure adressée à la Commission, le Tribunal a affirmé que « la requérante était en droit d'obtenir de la part de la Commission, à tout le moins, une communication provisoire au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63 ... ou une telle décision », c'est-à-dire la décision définitive (arrêt précité à la note 19, point 61; c'est nous qui soulignons).

( 40 ) Voir, par exemple, l'arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz (120/73, Rec. p. 1471, point 4), dans lequel la Cour a jugé qu'un délai de deux mois constitue le délai raisonnable dans lequel la Cour est tenue de se prononcer sur la compatibilité des aides nouvelles projetées et régulièrement notifiées. Voir, en outre, précisément en ce qui concerne un recours en carence, l'arrêt du 6 juillet 1971, Pays-Bas/Commission (59/70, Rec. p. 639, points 15, 16, 22 et 23), dans lequel la Cour a affirmé la nécessité d'un délai raisonnable en fonction des « exigences de la sécurité juridique et de la continuité de l'action communautaire ». S'il est vrai que l'on a fait valoir de telles exigences pour soutenir que « l'exercice du droit de saisir la Commission ne saurait être retardé indéfiniment », par conséquent, au bénéfice de l'institution défenderesse, il est également vrai qu'il serait pour le moins injuste de considérer que ces exigences ne trouvent pas application dans l'hypothèse inverse, à savoir quand c'est l'institution qui retarde indéfiniment l'adoption de l'acte demandé.

( 41 ) Voir, entre autres, l'arrêt du 15 mai 1986, Johnston (222/84, Rec. p. 1651, point 18); ainsi que l'arrêt du 19 mars 1991, Commission/Belgique (C-249/88, Rec. p. I-1275, point 25).

( 42 ) C'est ce qui ressort d'une lecture correcte du point 34 de l'arrêt attaqué.

( 43 ) Bolze: « Note sur l'arrêt Guérin », dans Revue trimestrielle de droit européen, 1996, p. 393.

( 44 ) Cette conclusion trouve d'ailleurs confirmation dans l'affirmation selon laquelle « la notion d'actes pouvant donner lieu à recours est identique dans les articles 173 et 175, les deux dispositions ne formant que l'expression d'une seule et même voie de droit » (arrêt du 18 novembre 1970, Chcvallcy/Commission, 15/70, Rcc. p. 975, point 6). Une telle affirmation implique, à l'évidence, qu'il n'est pas possible d'obtenir, au titre de l'article 175, l'adoption d'un acte dont on ne peut pas demander l'annulation au sens de l'article 173.

( 45 ) Nous observons à cet égard que nous n'estimons pas pouvoir partager la thèse, exprimée par le Tribunal dans l'arrêt Automcc I, selon laquelle un recours visant à obtenir l'annulation d'une communication au titre de l'article 6 « pourrait obliger la Cour et le Tribunal, comme dans le cas d'un recours dirigé contre la communication des griefs, à porter une appréciation sur les questions sur lesquelles la Commission n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer », ce qui serait incompatible, entre autres, « avec les exigences d'une bonne administration de la justice et d'un déroulement régulier de la procédure administrative devant la Commission » (arret précité à la note 15, point 46). Il suffit de constater à cet égard, d'une part, que le parallèle entre la communication des griefs et la communication au titre de l'article 6, vu les différences importantes qui caractérisent les deux actes en cause, est pour le moins forcé, d'autre part, que la thèse que nous venons de proposer devrait, dans le cas où l'on parviendrait à la conclusion que la lettre au titre de l'article 6 prive le recours en carence de son objet, être sérieusement prise en considération. D'autre part, il ne nous semble pas que cette thèse soulève d'objections majeures, étant donné que: a) la motivation du rejet de la plainte est précisément contenue dans cette lettre; b) la décision définitive qui intervient ultérieurement n'est, dans la plupart des cas, qu'une simple confirmation de la lettre au titre de l'article 6; c) dans l'hypothèse où, à la suite des observations ultérieures qui lui sont présentées, la Commission déciderait d'ouvrir une instruction ou une procédure d'infraction, il serait suffisant de considérer qu'il s'agit d'une nouvelle procédure au titre de l'article 6. Nous ajoutons, enfin, que cette solution aurait le seul inconvénient d'obliger le plaignant à formuler, en même temps, aussi bien ses observations au sujet de la lettre au titre de l'article 6 que le recours en annulation.

( 46 ) A ce stade du raisonnement, une question vient spontanément à l'esprit: combien de recours en carence le plaignant devrait-il introduire dans les hypothèses où l'adoption de la décision qu'il demande présuppose l'adoption non pas d'un, mais de plusieurs actes?

( 47 ) Dans des hypothèses de ce type, la Cour a en effet dit pour droit que « tous les autres moyens invoqués par le requérant ayant été rejetés, celui concernant les dépens doit, en application de cette disposition [article 51], être rejeté comme irrecevable » (arrêt du 14 septembre 1995, Hcnrichs/Commission C-396/93 P, Rec. p. I-2611, point 66). Voir, dans le même sens, également les ordonnances du 13 janvier 1995, Roujansky/Conseil (C-253/94 P, Rec. p. I-7, point 14), et Bonnamy/Conscil (C-264/94 P, p. I-15, point 14). Il est à peine besoin de souligner que cette solution s'imposerait, en ce qui concerne le moyen relatif aux dépens qui a été soulevé par un pourvoi incident, également dans le cas où la Cour rejetterait tous les moyens invoqués dans le pourvoi principal. Une telle situation, en effet, serait tout à fait analogue à celle dans laquelle, dans le cadre d'un pourvoi, tous les autres moyens ont été déclarés non fondés.

( 48 ) Voir, par exemple, l'arrêt du 24 novembre 1992, dans l'affaire Buckl c. a. /Commission (C-15/91 et C-108/91, Rec. p. I-6061, point 33).

( 49 ) Arrêt du 19 octobre 1995, Rendo c. a. /Commission (précité à la note 8), point 27.

( 50 ) Arrêt Automec II (précité à la note 6), point 77.

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