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Document 61995CC0015

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 11 juillet 1996.
EARL de Kerlast contre Union régionale de coopératives agricoles (Unicopa) et Coopérative du Trieux.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Morlaix - France.
Prélèvement supplémentaire sur le lait - Quantité de référence - Conditions de transfert - Cession temporaire - Société en participation entre producteurs.
Affaire C-15/95.

Recueil de jurisprudence 1997 I-01961

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1996:294

61995C0015

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 11 juillet 1996. - EARL de Kerlast contre Union régionale de coopératives agricoles (Unicopa) et Coopérative du Trieux. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Morlaix - France. - Prélèvement supplémentaire sur la lait - Quantité de référence - Conditions de transfert - Cession temporaire - Société en participation entre producteurs. - Affaire C-15/95.

Recueil de jurisprudence 1997 page I-01961


Conclusions de l'avocat général


1 Dans la présente affaire, le tribunal de grande instance de Morlaix pose à la Cour, conformément à l'article 177 du traité CE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation et à la validité de certaines dispositions du règlement (CEE) n_ 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l'application du prélèvement visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n_ 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers (1).

2 Ces questions ont été soulevées à l'occasion d'un litige dans lequel l'entreprise agricole à responsabilité limitée EARL de Kerlast a assigné l'Union régionale de coopératives agricoles (ci-après l'«Unicopa») et la Coopérative du Trieux en raison de l'imputation d'une certaine quantité de lait sur sa quantité de référence, ce qui a donné lieu au paiement d'un prélèvement supplémentaire pour dépassement de cette quantité de référence.

3 L'EARL de Kerlast est une entreprise se consacrant principalement à la production laitière, titulaire d'une quantité de référence individuelle de 365 045 litres. Pour sa part, M. Kergus, qui est à la fois exploitant agricole et chauffeur routier, possède une exploitation laitière à laquelle a été attribuée une quantité de référence individuelle de 144 245 litres. Selon l'autorité française compétente pour l'application de l'organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers, M. Kergus n'est pas un producteur SLOM (2). Les producteurs SLOM sont ceux qui n'avaient pas livré de lait au cours de la période de référence choisie pour l'attribution des quantités de référence individuelles du fait qu'ils avaient souscrit un engagement de non-commercialisation en vertu du règlement (CEE) n_ 1078/77 (3) et qui ont obtenu des quantités de référence spécifiques au titre du règlement (CEE) n_ 764/89 (4).

4 Par acte sous seing privé intervenu le 11 septembre 1992, l'EARL de Kerlast et M. Kergus ont créé une société en participation en vertu de laquelle l'EARL de Kerlast reprenait l'exploitation de la quantité de référence de M. Kergus (144 245 litres), celui-ci recevant, en contrepartie, 20 % du produit des ventes de lait réalisées par la société en participation.

5 D'octobre 1992 à septembre 1993, la Coopérative du Trieux, affiliée à Unicopa et acheteuse du lait produit par l'EARL de Kerlast, a imputé le lait sur la quantité de référence de celle-ci et sur celle de M. Kergus, en fonction des indications fournies par les deux parties. En revanche, à partir du mois d'octobre 1993, la coopérative acheteuse a décidé d'attribuer la totalité du lait acquis auprès de l'EARL de Kerlast à la quantité de référence de celle-ci. De ce fait, cette entreprise a dépassé sa quantité de référence individuelle et, en décembre 1993 et janvier 1994, la Coopérative du Trieux a déduit des sommes versées à l'EARL de Kerlast les montants respectifs de 26 022 FF et 83 134 FF, à titre de prélèvement supplémentaire.

6 Le 1er avril 1994, l'EARL de Kerlast a assigné la Coopérative du Trieux et l'Unicopa devant le tribunal de grande instance de Morlaix afin d'obtenir l'annulation de l'imputation ainsi effectuée et le paiement de l'intégralité de sa production laitière. Pour la solution de ce litige, la juridiction nationale a estimé nécessaire de poser à la Cour les trois questions suivantes:

«1) L'article 7 du règlement communautaire n_ 857/84 peut-il être interprété comme interdisant la constitution de sociétés en participation (par nature dépourvues de personnalité morale, non opposables aux tiers et de caractère occulte) par les producteurs comme constituant des locations déguisées de quotas ou [ces sociétés sont-elles] autorisées comme adaptations structurelles nécessaires au sens de l'article 1er du règlement n_ 856/84?

2) L'article 12, sous c), du règlement n_ 857/84 et l'article 3 bis du règlement n_ 764/89 doivent-ils être interprétés comme imposant une reprise personnelle effective de la production?

3) L'article 40, paragraphe 3, du traité de la Communauté économique européenne s'oppose-t-il à ce que l'État membre, en application du règlement n_ 857/84 du 31 mars 1984 (modifié par le règlement n_ 764/89 du 20 mars 1989), prenne une décision d'interdiction des sociétés en participation et d'autorisation de GAEC [groupements agricoles d'exploitation en commun] partiels laitiers? (circulaire n_ 4019 du 20 novembre 1989 DPE/SPM/C 89; circulaire n_ 7051 du 14 novembre 1991 DEPSE/SDSA C 91)»

Avant de passer à l'examen des questions posées, j'exposerai brièvement les dispositions communautaires applicables dans la présente affaire.

La réglementation applicable

7 En vue de réduire le déséquilibre entre l'offre et la demande de lait et de produits laitiers, ainsi que les excédents structurels en résultant, le règlement (CEE) n_ 856/84 (5) a modifié l'organisation commune des marchés dans ce secteur en instituant un régime de prélèvement supplémentaire, applicable à partir du 2 avril 1984. L'économie de ce mécanisme de contrôle de la production laitière était la suivante:

- Il était fixé, pour toute la Communauté, une quantité globale qui constituait le seuil de garantie pour la production laitière.

- Cette quantité était répartie entre les États membres en fonction des quantités de lait livrées sur leur territoire pendant l'année civile 1981, augmentées de 1 %, à l'exception de la quantité destinée à la réserve communautaire, constituée pour faire face aux nécessités spécifiques de certains États membres et de certains producteurs.

- A son tour, chaque État membre répartissait sa quantité garantie entre ses producteurs, en leur attribuant une quantité de référence individuelle, communément appelée «quota laitier».

- Le dépassement de la quantité de référence entraînait l'obligation pour les producteurs de payer un prélèvement supplémentaire, destiné à financer le coût occasionné par la commercialisation de ces excédents. Le paiement du prélèvement incombait au producteur (formule A) ou à l'acheteur du lait, celui-ci ayant le droit de le répercuter sur le producteur (formule B), selon le choix exercé par chaque État membre. La République française a opté pour la formule B.

8 Les règles générales pour la mise en oeuvre de ce régime de prélèvement supplémentaire ont été arrêtées par le Conseil dans le règlement n_ 857/84. Celui-ci a donné aux États membres la faculté de choisir les années 1981, 1982 ou 1983 comme période de référence pour le calcul des quotas individuels des producteurs et a prévu, en outre, la possibilité pour les États membres de créer des réserves nationales de quantités de référence pour faire face aux situations particulières de certains de leurs producteurs.

9 Par ailleurs, l'article 7 du règlement n_ 857/84 a réglementé la délicate question du transfert des quantités de référence, en établissant comme principe de base en la matière le lien de la quantité de référence à l'exploitation. Ce principe a trouvé son expression dans la rédaction initiale de l'article 7, paragraphe 1, libellé comme suit:

«En cas de vente, location ou transmission par héritage d'une exploitation, la quantité de référence correspondante est transférée totalement ou partiellement à l'acquéreur, au locataire ou à l'héritier selon des modalités à déterminer.»

Le paragraphe 2, deuxième alinéa, de cette disposition permettait aux États membres de prévoir qu'une partie des quantités transférées fût ajoutée à la réserve nationale de quantités de référence.

10 L'article 5 du règlement (CEE) n_ 1371/84 (6) prévoyait, pour l'application de l'article 7 du règlement n_ 857/84, que l'acquéreur recevrait l'intégralité des quantités de référence en cas de transmission de la totalité de l'exploitation et que, en cas de transmission partielle de celle-ci, la répartition des quotas se ferait en fonction des surfaces utilisées pour la production laitière ou d'autres critères objectifs établis par les États membres. En outre, les autres opérations susceptibles d'entraîner le transfert de quotas, comportant des effets juridiques comparables pour les producteurs, étaient assimilées à la vente, à la location ou à la transmission par héritage.

11 Ce système de transmissibilité des quantités de référence a connu des évolutions ultérieures, au même titre que le régime de prélèvement supplémentaire dans son ensemble, pour répondre au besoin d'adaptation aux changements intervenus dans le secteur du lait et des produits laitiers. Cette évolution a été caractérisée par le maintien du principe de base du lien du quota à l'exploitation lors de sa transmission, ainsi que par l'introduction progressive d'exceptions à ce principe, visant à favoriser une certaine restructuration de la production laitière.

12 La première modification du régime de transfert des quantités de référence a été opérée par le règlement (CEE) n_ 590/85 (7), qui maintient le principe du lien du quota à l'exploitation, mais qui introduit deux exceptions, visant à remédier à des situations économiques et sociales difficiles. Ce règlement autorise en effet les États membres à attribuer les quantités de référence correspondant à une exploitation aux preneurs sortants dont le bail arrive à expiration et qui entendent continuer leur production laitière sur une autre exploitation, ainsi qu'aux producteurs sortants en cas de transfert de terres aux autorités publiques et/ou pour cause d'utilité publique.

13 Le règlement (CEE) n_ 2998/87 (8) a introduit un nouvel assouplissement du principe du lien du quota à l'exploitation, au moyen de l'autorisation des cessions temporaires de quantités de référence individuelles non utilisées au cours d'une campagne. Les États membres pouvaient limiter ces cessions temporaires à certaines catégories de producteurs et en fonction des structures de production laitière dans les régions ou zones de collecte concernées.

14 Le règlement (CEE) n_ 1546/88 (9) a institué certaines nouvelles modalités d'application du régime de prélèvement supplémentaire et abrogé le règlement n_ 1371/84. L'article 8 du règlement n_ 1546/88 maintient l'autorisation des cessions temporaires de quotas et l'article 7 réglemente leur transmission, en maintenant et précisant le régime antérieur. Cette disposition est libellée comme suit:

«Pour l'application de l'article 7 du règlement (CEE) n_ 857/84 ... les quantités de référence des producteurs et des acheteurs ... sont transférées dans les conditions suivantes:

1) en cas de vente, location ou transmission par héritage de la totalité d'une exploitation, la quantité de référence correspondante est transférée au producteur qui reprend l'exploitation;

2) en cas de vente, location ou transmission par héritage d'une ou plusieurs parties d'une exploitation, la quantité de référence correspondante est répartie entre les producteurs qui reprennent l'exploitation en fonction des surfaces utilisées pour la production laitière ou d'autres critères objectifs établis par les États membres...;

3) les dispositions des points 1 et 2 et du quatrième alinéa sont applicables, selon les différentes réglementations nationales, par analogie aux autres cas de transfert qui comportent des effets juridiques comparables pour les producteurs;

4) lorsqu'il est fait application des dispositions de l'article 7 paragraphe 1 deuxième alinéa et paragraphe 4 du règlement (CEE) n_ 857/84, relatives respectivement au transfert de terres aux autorités publiques et/ou pour cause d'utilité publique d'une part, et au cas de baux ruraux arrivant à expiration sans possibilité de reconduction, dans des conditions analogues d'autre part, tout ou partie de la quantité de référence correspondant à l'exploitation ou à la partie de l'exploitation qui fait l'objet, selon le cas, du transfert ou du bail non reconduit, est mise à la disposition du producteur concerné s'il entend continuer la production laitière à condition que la somme de la quantité de référence ainsi mise à sa disposition et de la quantité correspondant à l'exploitation qu'il reprend, ou sur laquelle il poursuit sa production, ne soit pas supérieure à la quantité de référence dont il disposait avant le transfert ou l'expiration du bail.

...»

15 La possibilité des cessions temporaires de quotas a été maintenue par les règlements (CEE) n_s 3879/89 et 1630/91 (10). En outre, le principe du lien du quota à l'exploitation a fait l'objet d'une nouvelle exception à la suite de l'unification allemande, puisque le règlement (CEE) n_ 3577/90 (11) a donné à la République fédérale d'Allemagne la faculté d'autoriser un transfert unique de quantités de référence sans nécessité de transférer les exploitations correspondantes, cette faculté n'étant cependant ouverte que pendant une période réduite et dans les limites d'un programme-cadre.

16 Le régime de prélèvement supplémentaire a fait l'objet d'une simplification et d'une clarification par l'adoption du règlement (CEE) n_ 3950/92 (12), qui a codifié, dans une certaine mesure, les dispositions antérieures et prorogé l'application du régime pour une période de sept ans à partir du 1er avril 1993. Le règlement n_ 3950/92 abroge le règlement n_ 857/84 et instaure donc de nouvelles dispositions relatives au système de transmission des quantités de référence. Comme l'affirme l'exposé des motifs du règlement n_ 3950/92, la mobilité des quotas reste régie par le principe du lien de la quantité de référence à l'exploitation; toutefois, «afin de poursuivre la restructuration de la production laitière et d'améliorer l'environnement, il convient d'élargir certaines dérogations au principe du lien de la quantité de référence à l'exploitation et d'autoriser les États membres à maintenir la possibilité de mettre en oeuvre des programmes nationaux de restructuration et à organiser une certaine mobilité des quantités de référence à l'intérieur d'un cadre géographique déterminé et sur la base de critères objectifs».

17 Ces orientations trouvent leur expression dans les articles 6, 7 et 8 du règlement n_ 3950/92. L'article 6 donne aux États membres la faculté d'autoriser les cessions temporaires de quotas et de fixer les conditions de leur réalisation. L'article 7, paragraphe 1, formule le principe du lien du quota à l'exploitation dans les termes suivants:

«La quantité de référence disponible sur une exploitation est transférée avec l'exploitation en cas de vente, location ou transmission par héritage aux producteurs qui la reprennent, selon des modalités à déterminer par les États membres en tenant compte des surfaces utilisées pour la production laitière ou d'autres critères objectifs et, le cas échéant, d'un accord entre les parties. La partie de la quantité de référence qui, le cas échéant, n'est pas transférée avec l'exploitation est ajoutée à la réserve nationale.

Les mêmes dispositions s'appliquent aux autres cas de transferts qui comportent des effets juridiques comparables pour les producteurs.

...»

18 Le même paragraphe 1 de l'article 7 assortit cette règle générale de l'exception prévue en cas de transfert de terres aux autorités publiques et/ou pour cause d'utilité publique et le paragraphe 2 vise l'exception applicable en cas d'expiration de baux ruraux. Outre ces cas de dérogation à l'application du principe du lien du quota à l'exploitation déjà admis dans la réglementation antérieure, l'article 8 du règlement n_ 3950/92 prévoit, afin de mener à bien la restructuration de la production laitière et l'amélioration de l'environnement, trois exceptions supplémentaires au principe de base qui régit la transmission des quotas. Les États membres qui décident de les appliquer pourront:

«...

- prévoir, dans le cas d'un transfert de terres destiné à améliorer l'environnement, la mise à disposition du producteur partant, s'il entend continuer la production laitière, de la quantité de référence disponible sur l'exploitation concernée,

- déterminer, sur la base de critères objectifs, les régions et les zones de collecte à l'intérieur desquelles sont autorisés, dans le but d'améliorer la structure de la production laitière, les transferts de quantités de référence entre producteurs de certaines catégories sans transfert de terres correspondant,

- autoriser, sur demande du producteur à l'autorité compétente ou à l'organisme qu'elle a désigné, dans le but d'améliorer la structure de la production laitière au niveau de l'exploitation ou de permettre l'extensification de la production, le transfert de quantités de référence sans transfert de terres correspondant ou vice versa».

19 Le transfert de quantités de référence doit toujours être effectué entre producteurs et se rapporter à une exploitation laitière. Aussi bien l'article 12 du règlement n_ 857/84 et l'article 9 du règlement n_ 3950/92 (13) définissent-ils en termes identiques ces deux notions. Ainsi, on entend par producteur «l'exploitant agricole, personne physique ou morale ou groupement de personnes physiques ou morales dont l'exploitation est située sur le territoire géographique d'un État membre:

- qui vend du lait ou d'autres produits laitiers directement au consommateur;

et/ou

- qui livre à l'acheteur».

L'exploitation est définie comme «l'ensemble des unités de production gérées par le producteur et situées sur le territoire géographique d'un État membre».

20 En ce qui concerne le régime de transmission des quantités de référence, l'article 7 du règlement n_ 857/84 et les dispositions l'ayant complété, ainsi que - davantage encore - les articles 6, 7 et 8 du règlement n_ 3950/92, ont conféré une marge de manoeuvre relativement importante aux États membres pour appliquer, dans une mesure plus ou moins large, les exceptions au principe du lien du quota à l'exploitation. Les mesures nationales adoptées par la République française pour l'application du régime de prélèvement supplémentaire ont été le décret n_ 84-661 du 17 juillet 1984 (14), abrogé par le décret n_ 91-157 du 11 février 1991 (15), et, plus spécialement, pour ce qui intéresse la présente affaire, le décret n_ 87-608 du 31 juillet 1987 relatif aux transferts de quantités de référence laitières (16).

21 Les aspects les plus significatifs de la réglementation française en ce qui concerne la transmission des quotas laitiers sont les suivants:

- L'application du régime de prélèvement supplémentaire est assurée par l'Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (Onilait).

- Les transmissions de quotas exigent une autorisation administrative du préfet du département du lieu de l'exploitation.

- Lorsque, par suite de vente, location, donation ou transmission par héritage, il se produit une réunion d'exploitations laitières entraînant un regroupement de quantités de référence, on procède à la déduction d'un certain pourcentage des quotas de l'exploitation transférée pour alimenter la réserve nationale de quantités de référence, à condition que le quota global dépasse le seuil de 200 000 litres. La partie retenue pour la réserve nationale est de 50 % de la quantité de référence transférée lorsque le quota du cessionnaire antérieur au regroupement dépassait 200 000 litres et de 50 % de la quantité excédant le seuil de 200 000 litres si la quantité de référence du cessionnaire avant le transfert était inférieure à ce seuil.

- En cas de démembrement d'une exploitation laitière en une ou plusieurs parties, par suite de vente, location, donation ou transmission par héritage, il est fait application des mêmes critères que dans le cas de réunion d'exploitations en ce qui concerne le transfert des quantités de référence et les pourcentages déduits pour alimenter la réserve nationale. Toutefois, lorsque la partie transférée de l'exploitation est inférieure à 20 ha, la partie correspondante des quantités de référence est automatiquement ajoutée à la réserve nationale.

- Lorsque le repreneur d'une exploitation ne poursuit pas l'activité de production laitière, les quantités de référence attribuées à l'exploitation sont absorbées par la réserve nationale.

- Les cessions temporaires ou «leasing» de quotas ne sont pas autorisées.

22 Comme on peut le constater, la République française, dans le cadre de la marge de manoeuvre que lui conférait la réglementation communautaire, a restreint au maximum la mobilité «privée» des quotas et a favorisé un système de redistribution des quotas contrôlé par l'administration au moyen de la réserve nationale de quantités de référence.

23 Étant donné que les faits à l'origine du litige au principal dans le cadre duquel ont été posées les questions préjudicielles déférées à la Cour se sont déroulés au cours des campagnes 1992/1993 et 1993/1994, les règles communautaires sur le transfert de quotas qui doivent être prises en considération sont aussi bien l'article 7 du règlement n_ 857/84 et les dispositions qui l'ont modifié que le nouveau régime institué par les articles 6, 7 et 8 du règlement n_ 3950/92; ces deux réglementations sont, au demeurant, relativement semblables.

La première question préjudicielle

24 Par sa première question préjudicielle, le tribunal de grande instance de Morlaix demande à la Cour de déterminer si la constitution de sociétés en participation par les producteurs de lait constitue une location déguisée de quotas, incompatible avec la réglementation communautaire, ou si, au contraire, elle doit être considérée comme une adaptation structurelle de la production laitière au sens de l'article 1er du règlement n_ 856/84.

25 La société en participation se présente en droit français, selon les indications du juge national, comme une forme de groupement dépourvue, par nature, de personnalité morale, non opposable aux tiers et de caractère occulte. En effet, depuis la loi n_ 78-9 du 4 janvier 1978, la société en participation est régie par les articles 1871 à 1872-2 du code civil français, qui la conçoivent comme un contrat de société ayant d'importantes particularités (17).

La principale caractéristique de la société en participation réside dans le fait qu'elle est dépourvue de personnalité morale, par suite de sa non-inscription au registre du commerce, conformément au premier alinéa de l'article 1871, et cela indépendamment de son éventuel caractère occulte, dont l'existence n'est pas indispensable, même si on le retrouve dans la majorité des cas. Les conséquences découlant de l'absence de personnalité morale dans ce type de sociétés sont, entre autres, les suivantes: elles sont dépourvues de raison sociale et de siège social, elles n'ont pas qualité pour ester en justice, elles n'ont pas de patrimoine social et d'obligations sociales. Puisqu'il n'existe pas de patrimoine propre à la société en participation, les associés restent propriétaires des apports qu'ils lui font, sauf stipulation d'indivision ou de gestion par un des associés, normalement le gérant, des biens apportés à la société dans les relations avec les tiers.

26 L'utilisation d'une construction contractuelle comme celle des sociétés en participation dans le secteur laitier présente des difficultés, compte tenu de l'existence d'un important degré d'interventionnisme étatique. Le recours à la société en participation est intéressant pour les producteurs, puisqu'il n'entraîne pas de transmission de l'exploitation à la société et que, par conséquent, il n'implique pas de transfert des quantités de référence liées à cette exploitation, transfert qui serait soumis à l'obligation de réversion d'un certain pourcentage de ces quantités à la réserve nationale. La première des questions préjudicielles posées par le juge national exige un examen de la compatibilité du recours aux sociétés en participation avec la réglementation communautaire en matière de transfert de quotas laitiers.

27 Comme je l'ai indiqué précédemment, la transmission de quantités de référence est régie par le principe du lien du quota à l'exploitation, consacré à l'article 7 du règlement n_ 857/84 et dans les dispositions l'ayant modifié et complété et maintenu à l'article 7 du règlement n_ 3950/92. Ces dispositions subordonnent le transfert des quotas à la transmission de l'exploitation laitière par vente, location ou héritage. Cette énumération n'est pas exhaustive et le transfert de quotas est admis en cas d'utilisation par les producteurs de mécanismes juridiques de transmission de la propriété de l'exploitation qui comportent des effets juridiques comparables à ceux qui viennent d'être énoncés, comme c'est le cas de la donation, prévue par le décret n_ 87-608.

28 La transmission de quantités de référence par l'un de ces procédés, expressément admis, exige, en vertu de la réglementation française, une autorisation administrative du préfet du département du lieu de l'exploitation. En outre, les transferts de quotas donnent normalement lieu à la déduction d'un certain pourcentage de quantités de référence destiné à augmenter la réserve nationale utilisée par la République française pour redistribuer des quotas entre les producteurs en vue de restructurer et d'améliorer la production laitière. Par ailleurs, les quantités de référence attribuées à une exploitation dont le propriétaire abandonne l'activité de production laitière retournent automatiquement à la réserve nationale.

29 L'énumération des modes de transmission de la propriété des exploitations, contenue dans les dispositions communautaires et françaises, n'est pas exhaustive et ces dispositions n'imposent, comme l'a signalé le gouvernement français, aucune obligation quant à la forme juridique des exploitations agricoles. Dès lors, ni la réglementation communautaire ni la réglementation française sur les quotas laitiers n'empêchent, en principe, la constitution de sociétés en participation pour la gestion d'exploitations laitières, puisqu'il s'agit d'une construction juridique admise par le droit français, où elle est régie par les articles 1871 à 1872-2 du code civil. Néanmoins, l'utilisation de la société en participation doit respecter les exigences imposées par les règles communautaires et françaises en matière de transmission de quantités de référence et ne peut avoir pour but de contourner la règle de base du lien du quota à l'exploitation, à moins qu'elle n'entre dans le cadre de l'une des exceptions admises à cet égard.

30 Dans cette optique, je ferai tout d'abord observer que la constitution d'une société en participation n'entraîne pas de transmission des exploitations laitières des associés en faveur de la société, puisque celle-ci est dépourvue de personnalité morale et ne possède donc pas de patrimoine social. Par conséquent, j'estime que les quotas des associés ne peuvent, en principe, être transférés à la société en participation, car ce serait contraire au principe du lien du quota à l'exploitation, consacré par la réglementation communautaire comme critère déterminant en matière de transfert de quotas laitiers. En effet, une société de ce type constitue un «montage» destiné à contourner le principe susmentionné dès lors que l'un des associés produit les quantités de référence des autres, ce qui entraîne un «leasing» déguisé de quotas. Comme le signale le gouvernement français, la constitution de ce type de société permet au producteur qui cède de façon déguisée son quota de maintenir nominalement celui-ci et d'obtenir un avantage économique, tandis que l'associé gérant de la société peut regrouper de facto les quantités de référence sans acquérir les terres correspondantes et sans subir la déduction d'un certain pourcentage des quotas en faveur de la réserve nationale.

31 L'importance du principe du lien du quota à l'exploitation a été confirmée par la Cour, qui, dans l'arrêt Herbrink (18), a affirmé, en reformulant sa jurisprudence antérieure (19), que «tout le régime des quantités de référence est caractérisé par le principe posé par l'article 7, paragraphe 1, du règlement n_ 857/84 du Conseil et par l'article 5 du règlement (CEE) n_ 1371/84 de la Commission ... remplacé entre-temps par l'article 7 du règlement n_ 1546/88 de la Commission, selon lequel la quantité de référence est transférée avec les terres ayant donné lieu à son attribution».

Comme l'a signalé la Commission dans ses observations, le lien du quota à la terre exprime la volonté du législateur communautaire d'exclure la négociabilité entre particuliers des quantités de référence, afin d'empêcher que l'on assiste, au bénéfice de certains producteurs, à une concentration de quotas favorisant les exploitations intensives. A mon avis, cette option du législateur visait à éviter une concentration de la production et à favoriser l'occupation des terres en vue de leur exploitation laitière. Eu égard à l'institution, dans le secteur laitier, d'un contingentement total de la production au moyen du système de quotas, la seule façon d'atteindre ces deux objectifs était l'interdiction de la mobilité «privée» des quotas et l'organisation d'un mécanisme de transfert ou de mobilité de caractère «public», lequel se traduit, en France, par le contrôle de tous les transferts de quotas par l'Onilait et par la redistribution des quotas entre producteurs à travers la réserve nationale.

Dans la pratique, l'application de ce système de contrôle administratif de la production et du transfert des quantités de référence a engendré d'importants problèmes, puisque les producteurs souhaitent à tout prix obtenir davantage de quantités de référence pour les lier à leur production, sans acquérir en même temps les terres correspondantes. De ce fait, il s'est installé une sorte de «marché noir» de quotas, au moyen du recours à différents mécanismes juridiques, notamment certaines formes de sociétés, par lesquels les producteurs cherchent à bénéficier de davantage de quantités de référence sans agrandir la superficie de leurs exploitations (20). Ce type de pratiques vise à contourner l'application du principe du lien du quota à la terre; parmi les moyens de lutte contre ces procédés, il faut citer la circulaire n_ 7051 du ministère de l'Agriculture français, du 14 novembre 1991, mentionnée par le juge national dans la présente affaire.

32 Étant donné que la constitution de sociétés en participation destinées à déguiser des cessions de quotas laitiers est contraire au principe du lien du quota à l'exploitation, il faut se demander si cette forme de société entre dans le cadre de l'une des exceptions à ce principe qui ont été progressivement admises par la réglementation communautaire. Ces exceptions sont fondées sur la nécessité de faire face à des situations économiques et sociales difficiles et sur les exigences d'adaptation structurelle de la production laitière. L'article 1er du règlement n_ 856/84 vise, comme objectifs généraux du régime de prélèvement supplémentaire, la maîtrise de la croissance de la production laitière et la nécessité de son évolution et de son adaptation structurelle, mais les exceptions inspirées de ce second objectif figurent principalement dans la version modifiée de l'article 7 du règlement n_ 857/84, complété par l'article 7 du règlement n_ 1546/88, ainsi que dans l'article 7 du règlement n_ 3950/92.

33 A mon avis, les sociétés en participation, constituées afin qu'un associé exploite les quantités de référence d'un ou de plusieurs autres associés, constituent un cas de cession déguisée de quotas, qui ne trouve de justification dans aucune des exceptions admises par la réglementation communautaire, permettant le transfert de quantités de référence sans transmission de l'exploitation.

34 En effet, l'article 7 du règlement n_ 857/84 et les dispositions le complétant prévoyaient quatre exceptions, à savoir: les cessions temporaires de quotas, le cas des locataires sortants qui continuent la production laitière, celui des producteurs sortants en cas de transfert de terres aux autorités publiques et/ou pour cause d'utilité publique et, enfin, les transferts de quotas sur le territoire de l'ancienne République démocratique allemande. La constitution d'une société en participation entraînant une cession de quotas ne peut entrer que dans le cadre de l'hypothèse des cessions temporaires de quantités de référence. Or, la réglementation communautaire offrait aux États membres la possibilité d'admettre ou non ces opérations de «leasing» de quotas laitiers et la République française ne les a pas autorisées dans sa législation interne. Au demeurant, les règles communautaires admettaient les cessions de quotas à des conditions très restrictives: le caractère partiel de la cession, la limitation de la cession à une période de douze mois et la capacité du cédant à assurer la production de la totalité de ses quotas l'année suivante.

35 L'article 8 du règlement n_ 3950/92 maintient les exceptions antérieures au principe du lien du quota à l'exploitation et donne aux États membres trois autres possibilités d'y déroger: le cas des producteurs partants dont les terres sont transférées en vue de l'amélioration de l'environnement, la détermination de régions et de zones à l'intérieur desquelles le principe ne s'applique pas à certaines catégories de producteurs et, enfin, les dérogations au principe moyennant une autorisation administrative demandée par le producteur. En principe, une société en participation, destinée à déguiser une cession de quantités de référence, ne trouve pas non plus de justification dans l'une de ces exceptions.

36 Enfin, je voudrais faire observer que l'incompatibilité des sociétés en participation, destinées à déguiser des cessions de quotas, avec la réglementation communautaire relative au transfert de quantités de référence est en parfaite harmonie avec la jurisprudence de la Cour en la matière, qui lie le bénéfice de la quantité de référence à la production directe et effective de lait et empêche la commercialisation du quota.

Dans les arrêts Von Deetzen II et Bostock (21), la Cour a affirmé clairement que «le droit de propriété ainsi garanti dans l'ordre juridique communautaire ne comporte pas le droit à la commercialisation d'un avantage, tel que les quantités de référence allouées dans le cadre d'une organisation commune de marché, qui ne provient ni des biens propres ni de l'activité professionnelle de l'intéressé». C'est la raison pour laquelle la Cour a estimé, dans l'arrêt Von Deetzen II, que la réversion à la réserve communautaire, en cas de transfert, des quantités de référence spécifiques attribuées aux producteurs SLOM par le règlement n_ 764/89 était justifiée par la nécessité d'empêcher ceux-ci de demander l'attribution de ces quotas spécifiques dans le but, non pas de reprendre la commercialisation de lait de façon durable, mais de retirer de cette attribution un avantage purement financier, en se prévalant de la valeur marchande que les quantités de référence avaient entre-temps acquise.

37 Les réflexions qui précèdent me conduisent à conclure qu'il convient de répondre à cette première question préjudicielle de la façon suivante: la constitution de sociétés en participation ne relève pas d'une adaptation structurelle nécessaire au sens de l'article 1er du règlement n_ 856/84 et la création de ce type de sociétés, dans la mesure où elle déguise une cession de quantités de référence, est incompatible avec l'article 7 du règlement n_ 857/84 dans sa version modifiée et avec l'article 7 du règlement n_ 1546/88 qui le complète, ainsi qu'avec l'article 7 du règlement n_ 3950/92.

La deuxième question préjudicielle

38 Par cette question, le juge national demande à la Cour de préciser si l'article 12, sous c), du règlement n_ 857/84 et l'article 3 bis du règlement n_ 764/89 exigent une reprise personnelle effective de la production.

39 La réponse à cette question n'est nécessaire que si les producteurs intéressés, M. Kergus et l'EARL de Kerlast, sont des producteurs SLOM. En effet, le règlement n_ 764/89 a été arrêté par le Conseil à la suite des arrêts Von Deetzen I et Mulder (22), en vue d'octroyer des quantités de référence spécifiques aux producteurs SLOM; en conséquence, il s'agit d'une disposition qui ne concerne que ce type de producteurs. Selon les éléments fournis par le gouvernement français, M. Kergus, cédant des quantités de référence litigieuses, n'est pas un producteur SLOM et il semble que l'EARL de Kerlast ne le soit pas non plus. Dès lors, il n'est pas nécessaire, en principe, de répondre à cette deuxième question préjudicielle pour résoudre le litige au principal.

La troisième question préjudicielle

40 Par cette dernière question, le juge national pose le problème de la compatibilité avec l'article 40, paragraphe 3, du traité CE de la différence de traitement entre les sociétés en participation et les groupements agricoles d'exploitation en commun (ci-après «GAEC») partiels laitiers, pratiquée par un État membre, au regard de l'utilisation de ces deux formes de sociétés dans le cadre des transferts de quotas laitiers. Cette différence de traitement résulte de deux circulaires du ministère de l'Agriculture, visant à l'application de la réglementation communautaire relative au transfert de quantités de référence sur le territoire français.

41 Le juge national mentionne deux circulaires, l'une de 1989 et l'autre de 1991. En réalité, la circulaire de 1989 traite uniquement de la situation des producteurs SLOM et n'a pas d'incidence sur la réponse à la présente question préjudicielle. En revanche, la circulaire n_ 7051 du ministère de l'Agriculture, du 14 novembre 1991, DEPSE/SDSA C 91 (ci-après la «circulaire de 1991»), est pertinente à cet égard, tout comme l'est la circulaire n_ 7008, du 25 mars 1993, DEPSE/SDSA C 93 (ci-après la «circulaire de 1993»), que le juge national ne mentionne pas dans le cadre de sa question.

42 La circulaire de 1991 attire l'attention des autorités nationales compétentes sur certains dispositifs juridiques, qualifiés de «montages», qui se sont développés sur le terrain en vue de contourner la réglementation communautaire liant le transfert de quotas à la transmission des terres correspondantes. Parmi les pratiques frauduleuses de ce type, la circulaire mentionne la constitution de sociétés civiles, notamment de sociétés de fait ou en participation, auxquelles les associés apportent les quotas sans transférer les terres, la conclusion entre deux producteurs de contrats simultanés de location de cheptel et de prestation de services pour la collecte et les locations de quantités de référence, non autorisées en France. La circulaire estime que le transfert de quotas entre producteurs par l'intermédiaire d'une société créée sans apport des terres est illégal, dans la mesure où il est contraire au principe du lien du quota à la terre. La constitution de ce type de sociétés est entachée de nullité, car leur objet est illicite. Enfin, la circulaire de 1991 indique les moyens juridiques à utiliser pour s'opposer à ces pratiques frauduleuses. En ce qui concerne les sociétés en participation, elle indique aux autorités départementales, chargées d'autoriser les transferts de quotas, qu'elles doivent refuser cette autorisation, même dans le cas où les associés apportent les terres, puisque ce type de sociétés n'a pas d'existence juridique, n'est pas opposable aux tiers et que les associés restent titulaires de leurs quotas laitiers respectifs. Pour leur part, les laiteries acheteuses doivent exiger des producteurs l'autorisation administrative de transfert de quotas et, à défaut, refuser le regroupement des quantités de référence, de sorte que les quantités de lait achetées à chaque producteur soient imputées sur son quota individuel.

43 Par ailleurs, la circulaire de 1993 propose aux producteurs une forme de société, le GAEC partiel laitier, qui peut être utilisée par ceux qui souhaitent regrouper de manière durable leur activité laitière, dans un souci de rationalisation de leurs productions et d'amélioration de leurs conditions de travail. Le GAEC partiel laitier permet aux associés de mettre en commun leurs quotas sans nécessité d'apporter les terres correspondantes et constitue, dès lors, une exception au principe du lien du quota à la terre, admise par la circulaire de 1993, qui leur impose toutefois de remplir une série de conditions visant à éviter que cette modalité devienne un moyen de location déguisée ou une cession de quantités de référence.

44 Le GAEC est une société civile constituée par des exploitants agricoles travaillant en commun dans des conditions comparables à celles qui existent dans une exploitation de type familial. Les GAEC sont des sociétés soumises à un important contrôle de la part des pouvoirs publics (nécessité d'une autorisation administrative pour leur constitution), qui se présentent comme des sociétés professionnelles dans lesquelles le travail des associés est essentiel et qui constituent des entités sociales auxquelles l'administration confère certains privilèges (23). Il peut s'agir de GAEC totaux, si les associés mettent en commun la totalité de leurs exploitations et de leur travail, ou partiels, si les associés n'apportent qu'une partie de leurs exploitations et exercent en commun l'une de leurs activités agricoles.

45 Le GAEC partiel laitier est présenté dans la circulaire de 1993 comme une forme associative permettant aux producteurs de mettre en commun les vaches, les matériels, les bâtiments et la nourriture pour les animaux, tout en conservant leurs terres et les quotas laitiers qui leur sont attachés. Cependant, le GAEC regroupe les quantités de référence de ses associés et peut produire du lait à concurrence d'un volume égal à la totalité des quotas individuels de l'ensemble de ceux-ci. Seuls peuvent faire partie d'un GAEC partiel laitier les producteurs de lait en activité disposant de quotas et exerçant personnellement un autre type d'activité agricole. Les associés participent personnellement et effectivement au travail de production laitière du GAEC. Enfin, la circulaire de 1993 précise clairement le statut des quantités de référence dans le cadre du GAEC partiel.

46 Après avoir décrit les traitements différents appliqués par les circulaires de 1991 et 1993 aux sociétés en participation et aux GAEC partiels laitiers, il convient de se demander si l'article 40, paragraphe 3, du traité est applicable à cette situation.

47 A cet égard, rappelons que, selon le deuxième alinéa de l'article 40, paragraphe 3, l'organisation commune des marchés agricoles devant être établie dans le cadre de la PAC «doit exclure toute discrimination entre producteurs ou consommateurs de la Communauté». La Cour a estimé, dans une jurisprudence constante, que «l'interdiction de discrimination édictée par cette disposition n'est que l'expression spécifique du principe général d'égalité qui fait partie des principes fondamentaux du droit communautaire ... et qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu'une différenciation ne soit objectivement justifiée...» (24).

48 Cette interdiction de discrimination s'applique aux dispositions communautaires relatives à l'organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers ainsi qu'aux dispositions adoptées par les États membres dans le cadre de cette organisation commune des marchés. Cette solution est fondée sur la jurisprudence de la Cour, qui a déclaré que «les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux dans l'ordre juridique communautaire lient également les États membres lorsqu'ils mettent en oeuvre les réglementations communautaires et que par suite ceux-ci sont tenus, dans toute la mesure du possible, d'appliquer ces réglementations dans des conditions qui ne méconnaissent pas lesdites exigences» (25).

Ce critère général fait l'objet d'une application spécifique, expressément admise, à l'égard de la mise en oeuvre du principe de non-discrimination de l'article 40, paragraphe 3, du traité CE, puisqu'«il résulte de la jurisprudence de la Cour que l'article 40, paragraphe 3, du traité CEE vise toutes les mesures relatives à l'organisation commune des marchés agricoles, indépendamment de l'autorité qui les établit. Par conséquent, il lie également les États membres lorsque ceux-ci mettent en oeuvre cette organisation» (26). Ainsi, l'arrêt Graff a appliqué cette disposition aux règles concernant le mode de calcul de la quantité de référence, adoptées par la République fédérale d'Allemagne en exécution de la réglementation communautaire sur le régime de prélèvement supplémentaire.

49 Dans l'affaire qui nous occupe, la violation possible du principe de non-discrimination évoquée par le juge national réside dans la différence de traitement pratiquée par les circulaires françaises de 1991 et 1993 entre les producteurs groupés dans des GAEC partiels laitiers et ceux réunis au sein de sociétés en participation. En effet, tandis que le transfert de quotas aux GAEC partiels laitiers sans apport des terres correspondantes est autorisé, les sociétés en participation sont considérées comme des instruments juridiques ne pouvant être utilisés pour la réunion d'exploitations laitières, au motif qu'elles constituent une source de fraudes éventuelles au principe du lien du quota à la terre.

50 A mon avis, les circulaires françaises n'enfreignent pas l'article 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, du traité CE, car le traitement différent appliqué aux GAEC partiels laitiers et aux sociétés en participation découle du fait qu'il s'agit de situations non comparables. Comme le signale la Commission, l'admission d'une formule et l'interdiction de l'autre découlent de la différence entre les statuts juridiques de ces deux formules, clairement établie par le droit national. Il ne fait pas de doute que la forme de société du GAEC partiel constitue un instrument juridique mieux adapté à la gestion des exploitations laitières et des quantités de référence qui leur sont attachées que les sociétés en participation, et ce, notamment, pour les raisons suivantes:

- Les GAEC possèdent la personnalité morale, alors que les sociétés en participation en sont dépourvues.

- La constitution des GAEC partiels exige une autorisation administrative et leur fonctionnement subséquent est soumis à des contrôles administratifs fréquents, alors que les sociétés en participation ont normalement un caractère occulte qui les soustrait à la connaissance de l'administration et des tiers.

- Le GAEC partiel exige que tous les producteurs poursuivent l'exercice de l'activité laitière mise en commun et accomplissent leur travail au sein du GAEC. En revanche, les sociétés en participation impliquent, en général, l'exercice de l'activité laitière par l'associé gérant sans la participation des autres associés.

51 En outre, l'article 8 du règlement n_ 3950/92 a introduit de nouvelles exceptions au principe du lien du quota à l'exploitation. L'une d'elles permet aux États membres d'autoriser, sur demande du producteur à l'autorité nationale compétente, le transfert de quantités de référence sans transfert de terres correspondant ou vice versa, dans le but d'améliorer la structure de la production laitière ou de permettre l'extensification de la production. L'autorisation des GAEC partiels laitiers, contenue dans la circulaire de 1993, trouve à mon avis une justification dans cette exception.

52 En conclusion, l'interdiction de discrimination inscrite à l'article 40, paragraphe 3, du traité CE ne fait pas obstacle à ce qu'un État membre autorise la gestion d'exploitations laitières au moyen de GAEC partiels et interdise la constitution de sociétés en participation ayant le même objet.

Conclusion

53 Compte tenu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre dans les termes suivants aux questions préjudicielles posées par le tribunal de grande instance de Morlaix:

«1) La constitution de sociétés en participation ne relève pas d'une adaptation structurelle nécessaire au sens de l'article 1er du règlement (CEE) n_ 856/84 du Conseil, du 31 mars 1984, modifiant le règlement (CEE) n_ 804/68 portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers, et la création de ce type de sociétés, dans la mesure où elle déguise une cession de quantités de référence, est incompatible avec l'article 7 du règlement (CEE) n_ 857/84 du Conseil, du 31 mars 1984, portant règles générales pour l'application du prélèvement visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n_ 804/68 dans le secteur du lait et des produits laitiers, dans sa version modifiée, et avec l'article 7 du règlement (CEE) n_ 1546/88 de la Commission, du 3 juin 1988, fixant les modalités d'application du prélèvement supplémentaire visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n_ 804/68, qui le complète, ainsi qu'avec l'article 7 du règlement (CEE) n_ 3950/92 du Conseil, du 28 décembre 1992, établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers.

2) L'article 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, du traité CE ne s'oppose pas à ce qu'un État membre interdise la constitution de sociétés en participation et autorise la création de GAEC partiels pour la gestion d'exploitations laitières.»

(1) - JO L 90, p. 13.

(2) - Cette abréviation signifie: Staking van de Levering van melk en zuivelprodukten en Omschakeling van het Melkveebestand (cessation des livraisons de lait et de produits laitiers et reconversion de troupeaux bovins).

(3) - Règlement du Conseil du 17 mai 1977 instituant un régime de primes de non-commercialisation du lait et des produits laitiers et de reconversion de troupeaux bovins à orientation laitière (JO L 131, p. 1).

(4) - Règlement du Conseil du 20 mars 1989 modifiant le règlement (CEE) n_ 857/84 (JO L 84, p. 2).

(5) - Règlement du Conseil du 31 mars 1984 modifiant le règlement (CEE) n_ 804/68 portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 10).

(6) - Règlement de la Commission du 16 mai 1984 fixant les modalités d'application du prélèvement supplémentaire visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n_ 804/68 (JO L 132, p. 11).

(7) - Règlement du Conseil du 26 février 1985 modifiant le règlement (CEE) n_ 857/84 (JO L 68, p. 1).

(8) - Règlement du Conseil du 5 octobre 1987 modifiant le règlement (CEE) n_ 804/68 (JO L 285, p. 1).

(9) - Règlement de la Commission du 3 juin 1988 fixant les modalités d'application du prélèvement supplémentaire visé à l'article 5 quater du règlement (CEE) n_ 804/68 (JO L 139, p. 12).

(10) - Règlement du Conseil du 11 décembre 1989 modifiant le règlement (CEE) n_ 804/68 (JO L 378, p. 1) et règlement du Conseil du 13 juin 1991 modifiant le règlement (CEE) n_ 804/68 (JO L 150, p. 19).

(11) - Règlement du Conseil du 4 décembre 1990 relatif aux mesures transitoires et aux adaptations nécessaires dans le secteur de l'agriculture à la suite de l'unification allemande (JO L 353, p. 23).

(12) - Règlement du Conseil du 28 décembre 1992 établissant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 405, p. 1).

(13) - A l'article 9 du règlement n_ 3950/92, l'expression «sur le territoire géographique de la Communauté» a été remplacée par l'expression «sur le territoire géographique d'un État membre» en vertu du règlement (CEE) n_ 1560/93 du Conseil, du 14 juin 1993, modifiant le règlement (CEE) n_ 3950/92 (JO L 154, p. 30).

(14) - JORF du 21 juillet 1984, p. 2373.

(15) - JORF du 13 février 1991, p. 2199.

(16) - JORF du 8 août 1987, p. 8727.

(17) - Voir Derruppé, J.: «Sociétés en participation», Juris-classeurs, Traité des sociétés, vol. 3, fascicules 44-10, 44-20, 44 C et 44 D, et Hamel, J., Lagarde, G., et Jauffre, A.: Traité de droit commercial, tome I, vol. 2, Dalloz, Paris, 1980, p. 196 à 205.

(18) - Arrêt du 27 janvier 1994 (C-98/91, Rec. p. I-223, point 13).

(19) - Arrêts du 13 juillet 1989, Wachauf (5/88, Rec. p. 2609, point 15); du 10 janvier 1992, Kühn (C-177/90, Rec. p. I-35), et du 19 mai 1993, Twijnstra (C-81/91, Rec. p. I-2455, point 25).

(20) - Voir, à cet égard, Boon-Falleur, A.: «Le point sur les quotas laitiers», Revue de droit rural, n_ 1984, juin/juillet 1990, p. 297; Lemonier, E.: «Dix ans de quotas laitiers», Revue de droit rural, n_ 226, octobre 1984, p. 393, et Petit, Y.: «Organisations communes de marchés», Répertoire de droit communautaire Dalloz, 1995, p. 14 et 15.

(21) - Arrêts du 22 octobre 1991 (C-44/89, Rec. p. I-5119, point 27) et du 24 mars 1994 (C-2/92, Rec. p. I-955, point 19).

(22) - Arrêts du 28 avril 1988 (170/86, Rec. p. 2355, et 120/86, Rec. p. 2321).

(23) - Voir, sur ce point, Dupeyron, C.: «G.A.E.C. (Groupement agricole d'exploitation en commun)», Juris-classeurs, Traité des sociétés, vol. 8, fascicules 179-7-A et 179-7-B.

(24) - Arrêt du 14 juillet 1994, Graff (C-351/92, Rec. p. I-3361, point 15); voir également l'arrêt du 21 février 1990, Wuidart e.a. (C-267/88 à C-285/88, Rec. p. I-435), et les arrêts Kühn et Herbrink, précités.

(25) - Arrêts Wachauf et Bostock, précités, respectivement points 19 et 16.

(26) - Arrêt Graff, précité, point 18; voir, aussi, l'arrêt du 25 novembre 1986, Klensch e.a. (201/85 et 202/85, Rec. p. 3477, point 8).

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