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Document 61994CC0194

Conclusions de l'avocat général Elmer présentées le 24 octobre 1995.
CIA Security International SA contre Signalson SA et Securitel SPRL.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Liège - Belgique.
Interprétation de l'article 30 du traité CE et de la directive 83/189/CEE prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques - Législation nationale en matière de commercialisation de systèmes et centraux d'alarme - Agrément administratif préalable.
Affaire C-194/94.

Recueil de jurisprudence 1996 I-02201

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1995:346

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAEL B. ELMER

présentées le 24 octobre 1995 ( *1 )

1. 

Dans la présente affaire, le tribunal de commerce de Liège, en Belgique, a saisi la Cour de questions préjudicielles concernant l'interprétation de l'article 30 du traité et de la directive 83/189/CEE du Conseil, du 28 mars 1983, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques ( 1 ) (ci-après la « directive »), en liaison avec des dispositions nationales qui imposent l'approbation de systèmes et centraux d'alarme.

Les règles de droit nationales pertinentes

2.

Les règles belges sur l'homologation des systèmes d'alarme sont inscrites dans la loi du 10 avril 1990 sur les entreprises de gardiennage, les entreprises de sécurité et les services internes de gardiennage (ci-après la « loi ») et dans l'arrêté royal du 14 mai 1991 fixant la procédure d'approbation des systèmes et centraux d'alarme, visés dans la loi du 10 avril 1990 (ci-après l'« arrêté de 1991 »).

3.

Aux termes de son article 1er, paragraphe 4, la loi porte sur les systèmes et centraux d'alarme destinés à prévenir ou à constater des délits contre des personnes ou des biens.

Conformément à l'article 4 de la loi, nul ne peut exploiter une entreprise de sécurité sans l'agrément préalable du ministère de l'Intérieur. L'agrément n'est accordé que si l'entreprise satisfait aux dispositions de la loi et aux conditions relatives aux moyens financiers et à l'équipement technique fixées par le roi.

L'article 12 a la teneur suivante:

« Les systèmes et centraux d'alarme visés à l'article 1er, § 4, et leurs composants ne peuvent être commercialisés ou mis de toute autre manière à disposition des usagers qu'après avoir été préalablement approuvés selon une procédure à fixer par le Roi.

Le Roi détermine également les conditions d'installation, d'entretien et d'utilisation des systèmes et centraux d'alarme visés à l'article 1er, § 4, et de leurs composants. »

4.

L'arrêté de 1991 est fondé sur l'article 12 de la loi. Conformément à l'article 2 de cet arrêté, le nouveau matériel ne peut être commercialisé ni mis d'une quelconque autre manière à disposition des usagers en Belgique par le fabricant, l'importateur, le grossiste ou toute autre personne physique ou morale, avant que ce matériel n'ait été approuvé par la « commission matériel ». Le matériel approuvé doit porter une marque visible de celui qui a formulé la demande d'approbation et doit faire mention de l'approbation elle-même.

Conformément à l'article 4, paragraphe 1, de l'arrêté de 1991, le ministre de l'Intérieur dresse la liste des organismes spécialisés dans l'exécution des tests qui précèdent l'approbation éventuelle du matériel. Les demandes d'approbation doivent être adressées directement à l'un de ces organismes, qui sont seuls compétents pour effectuer les tests.

L'article 5 est rédigé comme suit:

« Avant de procéder aux épreuves proprement dites, les laboratoires examinent le matériel.

Cet examen consiste en

1o

l'identification du matériel;

2o

la vérification des circuits électroniques en comparaison avec les documents remis par le fabricant;

3o

la vérification des fonctions minimales requises, telles que décrites à l'annexe 4 du présent arrêté. »

L'article 6 a la teneur suivante:

« Les épreuves effectuées sur le matériel concernent

1o

l'adéquation fonctionnelle;

2o

l'aspect mécanique;

3o

la fiabilité du fonctionnement mécanique et/ou électronique;

4o

l'insensibilité aux fausses alertes;

5o

la protection contre la fraude ou les tentatives de mettre le matériel hors d'usage.

A cette fin, le matériel est soumis aux tests repris aux annexes 3 et 4 du présent arrêté. Une description détaillée de ces tests peut être obtenue sur demande écrite auprès des organismes visés à l'article 4, § 1er. Ces tests sont applicables aux différents types de composants. »

Aux termes de l'article 7, les « tests spécifiques effectués sur les composants ne garantissent nullement la compatibilité des composants entre eux. La responsabilité de cette compatibilité incombe pleinement au concepteur du système d'alarme. »

Il est prévu à l'article 8 de l'arrêté de 1991 que, si l'auteur de la demande d'agrément « établit au moyen des documents nécessaires que son matériel a déjà été soumis à des épreuves au moins équivalentes à celles décrites à l'article 7 dans un laboratoire agréé dans un autre État membre de la CEE selon les normes CEE et qu'il y a été approuvé au maximum trois ans avant la date de la demande actuelle, un organisme visé à l'article 4, § 1er, n'effectue plus sur le matériel que les épreuves qui n'ont pas encore été réalisées dans l'autre État membre de la CEE ».

Les circonstances de l'affaire

5.

La demanderesse au principal C. I. A. Security International SA (ci-après « C. I. A. ») est une entreprise belge ayant repris en 1993 le fonds de commerce de la SPRL C. I. A. Security, en liquidation. Parmi les actifs repris figurait le système anti-effraction « Andromède » ayant reçu un prix au 42e« Salon mondial de l'invention, de la recherche et de l'innovation industrielle — Bruxelles-Eureka '93 ». Après cette opération commerciale, C. I. A. a continué à commercialiser le système Andromède qui, d'après les indications de C. I. A., est assemblé en Belgique à partir de produits fabriqués en Allemagne, en Italie et en Belgique. Il est constant en l'espèce qu'aucune approbation n'a été demandée pour ce système d'alarme en Belgique.

6.

Les défenderesses au principal, Signalson SA (ci-après « Signalson ») et Securitel SPRL (ci-après « Securitel ») sont des concurrentes de C. I. A. Ces entreprises ont notamment déclaré, dans l'exercice de leurs activités commerciales, que le prix visé ci-dessus accordé au système Andromède l'avait été sur la base de données fausses, que ce système ne fonctionnait pas et que l'entreprise n'avait pas été agréée par les autorités belges. Ces déclarations ont eu lieu en janvier 1994.

7.

C'est ce qui a conduit C. I. A. à saisir, le 21 janvier 1994, le tribunal de commerce de Liège en faisant valoir que le comportement de Signalson et de Securitel était contraire à la loyauté des pratiques commerciales et donc aux articles 93 et 95 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce (ci-après la « loi belge sur les pratiques commerciales »). C. I. A. demandait en outre la condamnation de Signalson et de Securitel à une amende ainsi que la publication du jugement. C. I. A. a fait valoir au cours de la procédure que les règles belges relatives à l'approbation des systèmes et centraux d'alarme dans la loi et le règlement de 1991 constituent une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation et sont donc incompatibles avec l'article 30 du traité, et que ces dispositions sont par ailleurs invalides puisqu'elles n'ont pas été notifiées à la Commission conformément aux règles de la directive — ce qui n'est pas contesté.

8.

Signalson et Securitel ont présenté une série de conclusions reconventionnelles dans l'affaire au principal, tendant notamment à faire constater que C. I. A. avait enfreint les bons usages commerciaux en commercialisant un système d'alarme non approuvé et en exerçant une activité sans agrément; elles demandent l'interdiction pour l'avenir de la commercialisation du système Andromède et l'imposition d'une astreinte à C. I. A. Elles ont également conclu à ce que C. I. A. soit condamnée à cesser toute forme de publicité décrivant le système Andromède comme un produit belge, alors que, d'après Signalson et Securitel, il viendrait en réalité d'Allemagne ou de France.

Les règles pertinentes du droit communautaire

9.

Aux termes de l'article 30 du traité, les restrictions quantitatives à l'importation sont interdites, ainsi que toutes les mesures d'effet équivalent.

10.

La directive comporte une procédure d'information, imposant aux États membres de communiquer à la Commission tout projet de règle technique.

Son article 1er, points 1, 5 et 6, comporte la définition des notions de « spécification technique », « règle technique » et « projet de règle technique ». Ces dispositions sont les suivantes:

« Au sens de la présente directive, on entend par:

1)

‘spécification technique ’, la spécification qui figure dans un document définissant les caractéristiques requises d'un produit, telles que les niveaux de qualité ou de propriété d'emploi, la sécurité, les dimensions, y compris les prescriptions applicables au produit en ce qui concerne la terminologie, les symboles, les essais et méthodes d'essais, l'emballage, le marquage et l'étiquetage, ainsi que les méthodes et procédés de production pour les produits agricoles au titre de l'article 38 paragraphe 1 du traité, pour les produits destinés à l'alimentation humaine et animale ainsi que pour les médicaments tels que définis à l'article 1er de la directive 65/65/CEE ..., modifiée en dernier lieu par la directive 87/21/CEE;

...

5)

‘règle technique ’, les spécifications techniques, y compris les dispositions administratives qui s'y appliquent, dont l'observation est obligatoire, de jure ou de facto, pour la commercialisation ou l'utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, à l'exception de celles fixées par les autorités locales;

6)

‘projet de règle technique ’, le texte d'une spécification technique, y compris des dispositions administratives, élaboré avec l'intention de l'établir ou de la faire finalement établir comme une règle technique, et se trouvant à un stade de préparation qui permet encore de lui apporter des amendements substantiels. »

11.

Conformément à l'article 5, il est créé un comité permanent composé de représentants désignés par les États membres, qui peuvent se faire assister d'experts ou de conseillers, et présidé par un représentant de la Commission.

12.

L'article 8, paragraphe 1, de la directive a la teneur suivante:

« Les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit; ils adressent également à la Commission une brève notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une telle règle technique est nécessaire à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet. Le cas échéant, les États membres communiquent simultanément le texte des dispositions législatives et réglementaires de base principalement et directement concernées, si la connaissance de ce texte est nécessaire pour apprécier la portée du projet de règle technique.

La Commission porte aussitôt le projet à la connaissance des autres États membres; elle peut aussi le soumettre pour avis au comité visé à l'article 5 et, le cas échéant, au comité compétent dans le domaine en question. »

13.

Après une notification, la Commission et les États membres peuvent adresser des observations sur le projet et l'État membre concerné devra en tenir compte dans la mesure du possible lors de la mise au point ultérieure de la règle technique (article 8, paragraphe 2).

14.

Conformément à l'article 8, paragraphe 4, les informations fournies en vertu du même article sont confidentielles. Toutefois, le comité et les États membres peuvent, en prenant les précautions nécessaires, consulter pour expertise des personnes physiques ou morales pouvant relever du secteur privé ( 2 ).

15.

Conformément à l'article 9, paragraphe 1, les États membres doivent reporter de six mois, à compter de la date de la communication, l'adoption d'un projet de règle technique, si la Commission ou un autre État membre émet, dans les trois mois qui suivent cette date, un avis circonstancié selon lequel la mesure envisagée doit être modifiée afin d'éliminer ou de limiter les entraves à la libre circulation des biens qui pourraient éventuellement en découler. L'État membre concerné fait rapport à la Commission sur la suite qu'il a l'intention de donner à de tels avis circonstanciés. La Commission commente cette réaction. Conformément à l'article 9, paragraphe 2, le délai est prolongé de six à douze mois si, dans les trois mois qui suivent la communication visée à l'article 8, paragraphe 1, la Commission fait part de son intention de proposer ou d'arrêter une directive dans le domaine en cause.

Il résulte a contrario de l'article 9, paragraphe 1, qu'un État membre peut adopter la règle communiquée, si ni la Commission ni un État membre n'a émis d'objections dans le délai de trois mois.

16.

Dans une communication du 1er octobre 1986 concernant le non-respect de certaines dispositions de la directive 83/189/CEE du Conseil, du 28 mars 1983, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques, la Commission s'est exprimée sur les conséquences juridiques du non-respect de l'obligation de notification ( 3 ).

On peut lire dans les deux derniers alinéas de la communication:

« Il est clair que si l'État membre ne respectait pas les obligations qui lui incombent au titre de la procédure d'information précitée, cela entamerait sérieusement le dispositif d'achèvement du marché intérieur avec le risque d'effets négatifs sur les échanges.

La Commission considère donc que, si un État membre adopte une règle technique tombant sous le coup des dispositions de la directive 83/189/CEE sans communiquer le projet à la Commission et sans respecter l'obligation de statu quo, la règle ainsi adoptée ne peut pas être rendue exécutoire à l'égard de tiers en vertu du système législatif de l'État membre considéré. La Commission estime donc que les parties en litige ont le droit d'attendre des tribunaux nationaux qu'ils refusent la mise en application de règles techniques nationales qui n'ont pas été communiquées comme l'exige la législation communautaire. »

17.

Il ressort de la communication de la Commission concernant la publication au Journal officiel des Communautés européennes des titres des projets de réglementations techniques notifiés par les États membres en vertu de la directive 83/189/CEE du Conseil, modifiée par la directive 88/182/CEE ( 4 ) que, afin d'attirer l'attention de l'industrie européenne sur les projets de réglementations techniques nationales, la Commission a décidé de publier une liste des notifications reçues, ce qui, de l'avis de la Commission, « renforcera le mécanisme de prévention de la création de nouvelles entraves instauré par la directive ».

Il en ressort en outre que la publication, mise en œuvre à compter de mars 1989, a une fréquence hebdomadaire et indique, outre le titre du projet, la date d'échéance du délai de statu quo de trois mois. La communication indique un service dans chaque État membre auprès duquel les opérateurs économiques peuvent obtenir des renseignements supplémentaires sur le contenu d'un projet notifié.

Enfin, la Commission mentionne la communication du 1er octobre 1986 précitée en ce qui concerne les conséquences juridiques d'une absence de notification.

18.

Dans les publications concrètes zu Journal officiel des Communautés européennes, la Commission se réfère aux communications visées ci-dessus et cite le dernier alinéa de la communication de 1986 qui, on l'a dit, concerne les conséquences juridiques liées, d'après la Commission, à une absence de notification ( 5 ).

Les questions préjudicielles

19.

Par jugement du 20 juin 1994, le tribunal de commerce de Liège a déféré à la Cour les questions suivantes:

« 1)

La loi du 10 avril 1990 sur les entreprises de gardiennage, sur les entreprises de sécurité et les services internes de gardiennage plus particulièrement ses articles 4 et 12 crée-t-elle des restrictions quantitatives à l'importation ou contient-elle des mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative interdite par l'article 30 du traité CE?

2)

L'arrêté royal du 14 mai 1991 fixant la procédure d'approbation des systèmes et centraux d'alarme visés dans la loi du 10 avril 1990, notamment en ses articles 2 et 8, est-il compatible avec l'article 30 du traité interdisant les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que les mesures d'effet équivalant à une restriction quantitative?

3)

La loi du 10 avril 1990 précitée, notamment ses articles 4 et 12, contient-elle des règles techniques qui devaient être préalablement communiquées à la Commission en application de l'article 8 de la directive 83/189/CEE?

4)

L'arrêté royal du 14 mai 1991, notamment ses articles 2 et 8, contient-il des règles techniques qui devaient être préalablement communiquées à la Commission en application de l'article 8 de la directive 83/189/CEE?

5)

Les dispositions de la directive 83/189/CEE du Conseil, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et, notamment, ses articles 8 et 9, sont-elles inconditionnelles et suffisamment précises pour être invoquées par des particuliers devant un juge national?

6)

Le droit communautaire et la protection due à un particulier en application de celui-ci imposent-ils à une juridiction nationale de refuser l'application d'une règle technique nationale qui n'a pas été communiquée à la Commission par l'État membre qui l'a adoptée, conformément à l'obligation prévue à l'article 8 de la directive 89/189/CEE du Conseil? »

Les première et deuxième questions

20.

Par ses première et deuxième questions, le tribunal de renvoi souhaite, au fond, savoir si l'article 30 du traité doit être interprété en ce sens que l'interdiction de restrictions quantitatives à l'importation et de mesures d'effet équivalent est applicable à des dispositions nationales telles que celles de la loi, plus particulièrement ses articles 4 et 12, et de l'arrêté de 1991, notamment ses articles 2 et 8, exigeant l'agrément préalable des sociétés de gardiennage et l'approbation préalable des systèmes et centraux d'alarme. Ces questions concernant toutes deux les articles 30 et suivants du traité, nous estimons approprié de leur donner une réponse commune.

21.

C. I. A. a fait valoir que la condition d'affectation du commerce entre les États membres était remplie.

22.

Signalson a avancé que la loi et l'arrêté de 1991 ne relevaient pas du champ d'application de l'article 30 du traité, car il s'agit d'une situation visée par l'arrêt de la Cour du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard ( 6 ).

23.

Le gouvernement belge a estimé que la mise en œuvre du nouvel arrêté du 31 mars 1994 avait privé les questions préjudicielles de leur objet.

24.

La Commission a exposé que l'article 4 de la loi concerne l'établissement d'entreprises et n'affecte pas la libre circulation des marchandises d'une manière suffisante pour justifier l'application de l'article 30. Il ne semble pas non plus qu'en l'espèce il existe, avec la libre circulation des marchandises, un lien de nature à rendre l'exigence d'approbation inscrite à l'article 12 de la loi et à l'article 2 de l'arrêté de 1991 incompatible avec l'article 30. En outre, ces règles poursuivent un objectif légitime et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire et approprié à cet effet. En revanche, l'article 8 de l'arrêté de 1991 est contraire au principe de reconnaissance mutuelle. La référence faite dans cet article à l'article 7 de l'arrêté royal fait naître un doute quant aux essais qui sont couverts par la reconnaissance mutuelle. De surcroît, seuls les essais effectués par des laboratoires agréés selon les normes communautaires sont couverts par la reconnaissance mutuelle. Les essais effectués par des laboratoires agréés selon le système national ne sont pas pris en compte. Il s'y ajoute la condition que le produit ait été approuvé dans un autre Etat membre au maximum trois ans avant la date du dépôt de la demande d'approbation en Belgique.

25.

A notre avis, l'article 4 de la loi concerne l'agrément préalable de sociétés de gardiennage et, donc, les conditions d'établissement d'entreprises en Belgique. Une telle règle doit en principe être appréciée à la lumière des articles 52 et 58 du traité. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions du traité relatives au droit d'établissement ne sont pas applicables aux activités dont tous les éléments pertinents se cantonnent dans un seul État membre ( 7 ). C. I. A. est une société belge, qui exerce ses activités en Belgique, ce qui fait qu'à notre avis on est en présence d'une situation de nature interne qui échappe par là à l'application des articles 52 et 58. C'est probablement pour cette raison que le tribunal de renvoi n'a pas jugé opportun de déférer des questions concernant l'interprétation de ces articles du traité.

26.

Nous remarquons, quant à l'article 30 du traité, qu'aucune des indications fournies dans la présente espèce ne permet d'estimer que l'exigence d'agrément inscrite à l'article 4 de la loi pourrait inciter les entreprises belges à acquérir et utiliser des produits nationaux dans une mesure particulière. Les conséquences indirectes éventuelles de dispositions nationales de ce type sur la libre circulation des marchandises nous paraissent bien trop incertaines et, précisément, indirectes pour qu'on puisse les considérer comme des mesures susceptibles d'affecter le commerce entre les États membres ( 8 ). Il convient donc, à notre avis, d'interpréter l'article 30 en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à un système tel que celui prévu à l'article 4 de la loi.

27.

L'article 12 de la loi et l'arrêté de 1991 concernent l'approbation des systèmes et centraux d'alarme. La Commission a exposé de manière générale en ce qui concerne les deux premières questions et, par là, également en ce qui concerne ces dispositions, que la condition de lien avec la libre circulation des marchandises ne semble pas remplie. Il convient donc d'examiner s'il en est bien ainsi.

28.

Dans son arrêt du 15 décembre 1982, Oosthoek ( 9 ), la Cour a déclaré que l'application de la législation néerlandaise à la vente aux Pays-Bas d'encyclopédies fabriquées aux Pays-Bas n'avait aucun lien avec l'importation ou l'exportation de marchandises et ne relevait en conséquence pas des articles 30 et 34. On peut en outre citer l'arrêt du 14 juillet 1988, Smanor ( 10 ), où l'affaire en instance devant le juge national concernait l'application du droit français à une société française fabriquant et vendant du yaourt surgelé sur le territoire français. La Cour a déclaré qu'il appartenait au juge national d'apprécier la pertinence des questions préjudicielles au regard des faits de l'affaire au principal ( 11 ).

Ainsi, la Cour ne constate pas sans précautions qu'il existe une situation purement interne qui échappe à l'article 30 du traité. Cette prudence nous semble justifiée. Une marchandise est souvent composée de nombreuses pièces. Elle sera normalement constituée de toute une série de pièces ou composantes, qui pourront avoir été importées d'un autre État membre, ce qui rend l'origine d'une marchandise beaucoup plus difficile à déterminer que, par exemple, celle d'un service. Il en résulte en outre que l'application par l'État membre d'une règle nationale à une marchandise assemblée dans l'État membre en cause pourra souvent, au moins indirectement et potentiellement, affecter l'importation des marchandises ( 12 ).

29.

Dans la présente espèce, il s'agit, selon les indications de C. I. A., d'un produit composé de marchandises fabriquées en Allemagne, en Italie et en Belgique. On a en outre pu voir que, dans la procédure au principal, Signalson et Securitel ont conclu à ce que C. I. A. soit contrainte de cesser de commercialiser le système Andromède en tant que produit belge, car, d'après ces deux sociétés, ce produit vient en réalité d'Allemagne ou de France. Ainsi, d'après les renseignements fournis, il n'y a pas lieu d'exclure l'application de l'article 30 du traité au motif que la condition d'affectation du commerce entre les États membres ne serait pas satisfaite.

30.

Conformément à la jurisprudence de la Cour, on entend par mesures d'effet équivalent, prohibées en vertu de l'article 30 du traité, des obstacles à la libre circulation des marchandises qui, en l'absence d'une harmonisation des législations, résultent de l'application à des produits en provenance d'un autre État membre, où ils sont légalement fabriqués et commercialisés, de règles fixant les conditions auxquelles doivent répondre ces produits (par exemple en ce qui concerne le nom, la forme, les dimensions, le poids, la composition, la présentation, l'étiquetage et le conditionnement), et ce, même si ces règles sont appliquées indistinctement à tous les produits, dès lors que cette application ne peut être justifiée par un but d'intérêt général de nature à primer les exigences de la libre circulation des marchandises ( 13 ).

31.

Aux termes de l'article 12 de la loi et de l'article 2 de l'arrêté de 1991, l'approbation préalable des systèmes et centraux d'alarme est une condition pour que ces produits puissent être légalement commercialisés en Belgique. L'objectif d'un tel régime d'autorisation est de poser des conditions concernant la composition des produits, leur présentation, etc. Il s'agit donc d'une mesure relevant de l'article 30 du traité, à moins que l'approbation ne soit fondée sur un but d'intérêt général primant sur les exigences de la libre circulation des marchandises. Conformément à l'article 36 du traité et à la jurisprudence de la Cour, de tels intérêts peuvent être, notamment, la protection des consommateurs et des raisons d'ordre public. En instituant les règles destinées à tenir compte de tels intérêts, les États membres ont le droit, en respectant le principe de proportionnalité, de fixer le niveau de protection souhaité et d'imposer, en se conformant au principe de la reconnaissance mutuelle, l'homologation préalable de produits déjà autorisés dans un autre État membre ( 14 ).

32.

Les systèmes d'alarme sont des produits techniques compliqués dont le fonctionnement effectif dépend dans une large mesure de leur fiabilité, élément qui peut être difficile à constater pour le consommateur qui branche précisément l'alarme lorsqu'il quitte l'endroit surveillé. Il est important d'assurer que le système est réellement activé en cas d'intrusion et ne peut pas être désactivé par des personnes non autorisées; il importe aussi, et peut-être surtout, que le système d'alarme soit garanti contre les fausses alertes. Cette dernière précaution est essentielle, non seulement pour éviter de déranger les voisins ou autres, mais également pour empêcher que les fausses alertes ne surchargent inutilement les centrales d'alarme de la police, etc. En outre, les fausses alertes risquent de décourager les réactions appropriées en cas de déclenchement de l'alarme. Enfin, il peut y avoir lieu de garantir l'utilisateur contre des dommages liés à l'utilisation du système. Dans ces circonstances, on doit estimer que les raisons d'ordre public et de protection du consommateur peuvent justifier des exigences en ce qui concerne les caractéristiques techniques des systèmes et centraux d'alarme.

33.

Il convient ensuite de se demander si un régime prévoyant l'approbation préalable des systèmes et centraux d'alarme est compatible avec le principe de proportionnalité, ou s'il y a des alternatives effectives comportant des atteintes moins importantes. On pourrait imaginer un régime prévoyant l'obligation de satisfaire aux obligations fixées en matière de fabrication et permettant des contrôles par échantillon a posteriori. Bien qu'un tel régime soit une possibilité, la conformité des appareils aux obligations imposées pourrait difficilement être aussi bien garantie que par un contrôle préalable. Un régime d'approbation sera vraisemblablement plus efficace pour empêcher les fausses alertes et autres défauts de fonctionnement, et donc garantir une meilleure protection de l'ordre public et des consommateurs. Le législateur communautaire a introduit des régimes d'homologation dans toute une série de domaines. On peut citer par exemple la directive 93/33/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, relative au dispositif de protection contre un emploi non autorisé des véhicules à moteur à deux ou trois roues ( 15 ). Dans ces circonstances, nous estimons que les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises inscrites aux articles 30 et suivants du traité ne font pas obstacle à un régime d'homologation de systèmes et centraux d'alarme tel que celui prévu à l'article 12 de la loi et à l'article 2 de l'arrêté de 1991.

34.

Le tribunal de renvoi a demandé en outre si une règle nationale telle que celle inscrite à l'article 8 de l'arrêté de 1991 est compatible avec l'article 30 du traité.

35.

Conformément au principe de la reconnaissance mutuelle, les États membres sont tenus d'autoriser les marchandises importées si elles répondent, dans un autre État membre, aux conditions qui, même si elles ne sont pas identiques, assurent un niveau correspondant (équivalent) de protection. Les États membres sont en outre tenus de contribuer à un allégement des contrôles en prenant en considération les tests équivalents effectués dans un autre État membre ( 16 ).

36.

De manière plus générale, nous soulignerons que l'exigence d'équivalence entraîne des obligations importantes au plan du droit communautaire, aussi bien en ce qui concerne la qualité des tests qu'en ce qui concerne les laboratoires qui effectuent les tests. A première vue, il peut paraître difficile de voir la justification d'un rejet de tests fondé uniquement sur la date à laquelle ils ont été effectués, s'il n'y a pas dans l'intervalle des modifications qui peuvent influencer l'appréciation de l'équivalence. En outre, l'objectif d'un système national comportant l'agrément de laboratoires est de vérifier et de contrôler la qualité des laboratoires et leur aptitude à effectuer correctement les tests dans certains domaines précis. Le principe de la reconnaissance mutuelle exclut forcément qu'un test effectué par un laboratoire ainsi agréé soit rejeté sans appréciation concrète de son équivalence au préalable. Il n'est pas permis de rejeter un test au seul motif qu'il a été effectué par un laboratoire qui n'est pas agréé selon d'éventuelles normes communautaires. Enfin, la référence, dans l'article 8 de l'arrêté de 1991, à l'article 7 du même texte qui ne concerne pas les tests exigés crée une incertitude quant aux tests qui sont couverts par cette disposition. C'est pourquoi il est compréhensible que la Commission ait émis des doutes sur la compatibilité de l'article 8 de l'arrêté de 1991 avec l'article 30 du traité.

37.

Toutefois, la possibilité de se prévaloir du principe de la reconnaissance mutuelle de tests équivalents doit dépendre, dans un cas concret, de l'existence réelle de tests effectués dans un autre État membre sur le produit concerné. En l'espèce, rien n'indique que le système Andromède a fait l'objet de tels tests. Il est donc difficile de voir de quelle manière cette partie des questions préjudicielles a un lien avec la question qui doit être tranchée dans l'affaire au principal, à savoir si C. I. A. avait le droit de se dispenser de demander l'approbation du système Andromède. Une réponse aurait donc un caractère très général et hypothétique, et la Cour devrait donc, à notre avis, omettre de répondre à cette partie de la question.

38.

En conclusion, nous estimons qu'il convient de répondre aux deux premières questions que les articles 30 à 36 du traité doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne font pas obstacle à un régime d'homologation de systèmes et centraux d'alarme tel que celui prévu aux articles 4 et 12 de la loi ou à l'article 2 de l'arrêté de 1991.

Les troisième et quatrième questions

39.

La troisième et la quatrième question invitent la Cour à dire si l'article 8 de la directive 83/189 doit être interprété en ce sens que l'obligation de notification vise des règles nationales telles que celles inscrites dans la loi, notamment ses articles 4 et 12, et dans l'arrêté de 1991, notamment ses articles 2 et 8. A notre avis, ces deux questions peuvent également recevoir une réponse unique.

40.

C. I. A. a fait valoir qu'un système d'alarme ne peut pas être commercialisé en Belgique sans répondre aux conditions fixées dans la loi et dans l'arrêté de 1991. Il s'agit donc de spécifications techniques au sens de la directive. A cet égard, peu importe que l'exigence d'approbation soit prévue dans une loi-cadre.

41.

Signalson, le gouvernement belge et le Royaume-Uni ont fait valoir, entre autres, que la loi a le caractère d'une loi-cadre et que les articles 4 et 12 ne comportent pas de règle technique correspondant à la définition de la directive, dans la mesure où ces dispositions n'imposent pas d'exigences quant à la forme du produit, sa composition, etc.

42.

La Commission a exposé que l'article 4 de la loi ne comporte pas de règles techniques, car il régit uniquement la question de l'établissement des entreprises. En revanche, la Commission pense, comme C. I. A., que l'article 12 de la loi et l'arrêté de 1991, mettant en place une procédure d'homologation obligatoire pour les systèmes et centraux d'alarme ont le caractère de règles techniques qui devaient être notifiées.

43.

Conformément à l'article 4 de la loi, nul ne peut exploiter une entreprise de sécurité sans l'agrément préalable du ministre de l'Intérieur. Cette disposition fixe des règles pour l'établissement d'entreprises, alors que la directive concerne les règles techniques applicables à des produits. Les dispositions nationales concernant l'établissement d'entreprises ne peuvent être considérées comme couvertes par la directive que dans la mesure où elles fixent des obligations concernant des produits. L'article 4 de la loi ne paraît pas contenir une telle obligation. C'est pourquoi, à notre avis, cette disposition n'entre pas dans le champ d'application de la directive.

44.

L'obligation de notification inscrite à l'article 8, paragraphe 1, de la directive s'applique à tout projet de règle technique. Conformément à l'article 1er, point 5, cette notion recouvre les spécifications techniques, y compris les dispositions administratives qui s'y appliquent, dont l'observation est obligatoire, de jure ou de facto, pour la commercialisation ou l'utilisation du produit dans un État membre. Conformément au point 1 de ce même article, les spécifications techniques sont des spécifications concernant la qualité du produit, ses propriétés d'emploi, la sécurité, les essais et méthodes d'essais ainsi que le marquage. La Commission doit en outre être informée du texte des dispositions législatives et réglementaires de base principalement et directement concernées. La directive garantit ainsi que la Commission et les autres États membres puissent apprécier les règles techniques dans le contexte dont elles relèvent, et ainsi apprécier la portée réelle du projet.

45.

La loi et l'arrêté de 1991 ont institué une procédure d'homologation pour les systèmes et centraux d'alarme. Comme on l'a dit, l'article 12 de la loi fixe lui-même l'exigence d'une approbation préalable des systèmes et centraux d'alarme. Lors de l'audience, le gouvernement belge a indiqué que, même en l'absence de l'arrêté de 1991, l'article 12 de la loi ne serait pas dépourvu d'effet juridique.

Ainsi, cette disposition n'a pas seulement le caractère d'une simple disposition d'habilitation ( 17 ), c'est au contraire une disposition de fond importante. A notre avis, il est difficile d'interpréter l'article 8 de la directive en ce sens qu'une telle exigence générale d'approbation préalable devrait échapper à l'obligation de notification, dans la mesure où cette exigence peut exister en elle-même. Quel que soit son caractère général, une telle exigence porte sur les caractéristiques d'un produit. En outre, sa mise en oeuvre peut créer une grande incertitude auprès des opérateurs économiques et, par là, engendrer des entraves non négligeables au commerce. Une disposition telle que celle qui est inscrite à l'article 12 de la loi doit donc, à notre avis, être considérée comme une règle technique soumise à l'obligation de notification.

46.

L'arrêté de 1991 implique qu'un appareil subisse toute une série d'essais visant à déterminer s'il répond aux exigences techniques qui lui sont imposées. Ces exigences concernent notamment les propriétés mécaniques, la fiabilité, les essais et la protection contre les abus. De telles exigences, qui fixent les caractéristiques du groupe de produits constitué par les systèmes et centraux d'alarme, ont selon nous le caractère de spécifications techniques, au sens de la directive qui concerne précisément les exigences de qualité, de propriétés d'emploi et de sécurité. En outre, conformément aux règles applicables, un appareil ne peut être légalement commercialisé en Belgique qu'à la condition de satisfaire à ces exigences. Un dispositif de règles tel que celui inscrit à l'arrêté de 1991 constitue donc une règle technique telle que définie à l'article 1er, point 5, de la directive.

47.

Dans ces circonstances, nous estimons qu'il convient de répondre aux troisième et quatrième questions en ce sens que l'article 8 de la directive doit être interprété en ce sens que des dispositions et spécifications concernant l'homologation préalable de systèmes et centraux d'alarme, telles que celles inscrites à l'article 12 de la loi et à l'arrêté royal de 1991, sont soumises à l'obligation de notification prévue audit article 8.

Les cinquième et sixième questions

48.

Par ces questions, le tribunal de renvoi souhaite savoir si les dispositions de la directive, particulièrement ses articles 8 et 9, sont inconditionnelles et suffisamment précises pour que les particuliers puissent s'en prévaloir devant un juge national, et s'il incombe au juge national de refuser d'appliquer une règle technique nationale qui n'a pas été notifiée conformément à l'article 8 de la directive.

49.

C. I. A. et la Commission ont fait valoir que la directive, en particulier en ses articles 8 et 9, impose aux États membres des obligations précises et inconditionnelles et que les règles techniques qui n'ont pas été communiquées ne peuvent pas être rendues exécutoires (voir la communication de la Commission de 1986).

La Commission a en outre indiqué qu'à son avis il était possible de raisonner par analogie avec l'article 93, paragraphe 3, du traité en ce qui concerne les aides d'État. Cette disposition institue une procédure imposant la communication des mesures d'aide envisagées à la Commission, pour permettre à celle-ci de les examiner et de présenter ses observations. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. L'article 8 de la directive, imposant la communication des projets de règles techniques, et son article 9, obligeant les États membres à reporter l'adoption de ces règles jusqu'à l'expiration de certains délais, constituent un système qui correspond à celui de l'article 93.

C. I. A. a indiqué qu'elle n'invoquait pas la directive en tant qu'imposant des obligations aux particuliers. La Commission a répondu à une question sur ce point qu'il s'agissait en l'espèce de la situation juridique d'un opérateur économique à l'égard de l'État, au regard de règles nationales adoptées sans que la procédure de notification fixée dans la directive ait été respectée.

50.

Signalson n'a pas traité cette question dans ses observations.

51.

Les gouvernements allemand et néerlandais ainsi que le Royaume-Uni ont exposé que la directive ne comporte que des règles de procédure applicables aux relations entre la Communauté et les États membres. Les dispositions de la directive ne sont de surcroît pas inconditionnelles et suffisamment précises pour pouvoir avoir un effet direct. Dans le cas d'une infraction éventuelle à l'obligation de communication, la Commission doit engager une procédure au titre de l'article 169 du traité et les particuliers doivent être invités à se prévaloir de l'article 30 du traité devant les tribunaux nationaux. A cet égard, le Royaume-Uni et le gouvernement néerlandais ont mentionné que, dans sa proposition de deuxième modification de la directive ( 18 ), la Commission avait proposé au seizième considérant d'inscrire la mention que la directive imposait aux États membres des obligations claires et inconditionnelles, et que les particuliers pouvaient se prévaloir du respect de ces obligations devant les tribunaux. Or cette partie avait été supprimée au moment de l'adoption définitive de la directive 94/10 ( 19 ). La directive ne comporte rien en ce qui concerne les conséquences d'une absence de notification et elle n'accorde pas de droits aux particuliers. La directive n'affecte pas le droit des États membres d'adopter définitivement la règle technique après l'avoir communiquée. Selon le Royaume-Uni, une analogie avec l'article 93, paragraphe 3, du traité est infondée, car, en cas d'aides d'État, la mise en œuvre définitive par les États membres d'une mesure dépend de l'approbation préalable, expresse ou tacite, de la Commission. Le fait de ne pas avoir respecté l'obligation de notification ne signifie pas nécessairement que, par son contenu, la règle est contraire au traité. L'impossibilité de donner force exécutoire à des règles non notifiées affecterait donc souvent des dispositions compatibles, du point de vue du fond, avec le droit communautaire.

Cela pourrait affaiblir le contrôle de produits dangereux, au détriment des particuliers.

52.

Conformément à la jurisprudence de la Cour, les particuliers peuvent, à l'expiration du délai de mise en œuvre d'une directive, se prévaloir à l'encontre de l'État de dispositions de cette dernière, qui, par leur contenu, sont inconditionnelles et suffisamment précises, à la condition qu'elles accordent aux particuliers des droits à faire valoir à l'égard de l'État ( 20 ). Les dispositions d'une directive qui sont dotées d'effet direct l'emportent sur des dispositions contraires de la législation nationale ( 21 ). En revanche, une directive ne peut pas créer par elle-même des obligations pour un particulier et ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à son encontre ( 22 ). Par là, la Cour a indiqué que la jurisprudence concernant la possibilité d'invoquer des directives à l'encontre de l'État repose sur le caractère contraignant reconnu aux directives au titre de l'article 189 du traité et qui n'existe qu'à l'égard de « tout État membre destinataire » ( 23 ).

53.

L'article 8, paragraphe 1, de la directive comporte, pour les États membres, une obligation de communiquer les règles techniques définies dans la directive. L'article 9, paragraphes 1 et 2, contient une série de dispositions prévoyant un effet suspensif. Ainsi, la Commission et les États membres bénéficient d'un délai d'examen de trois mois pour émettre un avis circonstancié selon lequel la mesure envisagée devrait être modifiée afin d'éliminer ou de limiter les entraves à la Ubre circulation des biens qui pourraient éventuellement en découler. Si un tel avis est présenté, l'adoption définitive de la règle doit être reportée de six mois supplémentaires à partir de la communication. Si la Commission fait part de son intention de proposer ou d'arrêter une directive dans le même domaine, la période de report est de douze mois à partir de la communication. A notre avis, ces obligations sont inconditionnelles et suffisamment précises pour pouvoir être dotées d'effet direct. La question est donc de savoir si les dispositions des articles 8 et 9 confèrent des droits aux particuliers.

54.

Dans certains cas, la Cour a déjà eu l'occasion d'apprécier dans quelle mesure des particuliers pouvaient se prévaloir de règles de procédure du droit communautaire. L'arrêt du 18 février 1986, Bulk Oil ( 24 ), concernait une disposition d'une décision du Conseil imposant aux États membres qui envisageaient de modifier le niveau de libéralisation du commerce avec les pays tiers, d'en informer les autres États membres et la Commission. Si l'un de ces derniers en faisait la demande, l'adoption définitive de la mesure devait être précédée de consultations. Aucune règle de procédure ou délai détaillé n'était fixée à cet égard. La Cour a établi que la disposition en cause ne concernait que les rapports institutionnels d'un État membre avec la Communauté et les autres États membres et ne créait pas, en faveur des particuliers, des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder ( 25 ).

55.

L'arrêt du 13 juillet 1989, Enichem Base e.a. ( 26 ), concernait l'article 3, paragraphe 2, de la directive 75/442/CEE ( 27 ), imposant aux États membres d'informer la Commission de tous les projets de règles concernant les mesures destinées, entre autres, à promouvoir la prévention, le recyclage et la transformation des déchets.

Dans ses conclusions, l'avocat général M. Jacobs a exposé que, pour apprécier les conséquences d'un défaut de communication, il était instructif de comparer la directive 75/442 sur les déchets et celle en cause ici (point 14 des conclusions). Contrairement à la directive 75/442, la directive 83/189 comporte une série de dispositions précises permettant à la Commission et aux États membres de présenter des observations sur le projet communiqué et imposant aux États membres, dans certains cas, de reporter l'adoption d'un projet pendant un certain temps. L'avocat général a souligné que la directive 75/442 ne fixait aucune procédure pour le report de l'entrée en vigueur d'une mesure, ni aucun contrôle communautaire, ce qui ne permettait pas d'estimer que le non-respect de l'obligation d'informer la Commission prévue par cette directive avait pour effet d'entacher les mesures d'illégalité.

La Cour, qui a abouti à la même solution que l'avocat général, a déclaré que les États membres avaient pour seule obligation de communiquer à la Commission en temps utile les projets de réglementation concernés. En revanche, la disposition en cause ne fixait pas des procédures de contrôle communautaire de ces projets et ne subordonnait pas la mise en vigueur des règles envisagées à l'accord ou à la non-opposition de la Commission ( 28 ). En conséquence, ni le libellé ni le but de la disposition examinée ne permettaient d'estimer qu'elle engendrait des droits en faveur des particuliers ( 29 ).

56.

On peut, d'un autre côté, citer la jurisprudence de la Cour concernant l'article 93, paragraphe 3, du traité, qui a la teneur suivante: « La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 92, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. »

La Cour a établi que l'interdiction de mise en exécution figurant à la dernière ligne de cette disposition avait un effet direct et conférait des droits aux particuliers ( 30 ). Dans l'arrêt Lorenz ( 31 ), la Cour a déclaré que l'objectif poursuivi par le paragraphe 3 de l'article 93, qui est de prévenir la mise en vigueur d'aides contraires au traité, implique qu'un État membre doit attendre le résultat de l'examen préliminaire de la Commission en ce qui concerne la compatibilité de la mesure avec le marché commun. Ainsi, la notification a un effet suspensif. La Cour a déclaré en outre que l'effet direct de l'interdiction s'appliquait à toute aide mise en exécution sans être notifiée ( 32 ).

57.

Il résulte de cette jurisprudence qu'une règle qui se limite à fixer une obligation de notifier un projet de règle nationale, sans la lier à une procédure formelle ultérieure, ne confère pas, en soi, de droits aux particuliers. En revanche, si l'obligation de notification est liée à une procédure selon laquelle le projet est soumis à un examen au plan communautaire et que les États membres sont tenus de s'abstenir d'adopter le projet notifié avant la fin de cette procédure, on pourra en déduire des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir. A cet égard, il n'est pas possible d'exiger que les dispositions procédurales concernées accordent expressément des droits aux particuliers. Les éléments déterminants sont le contenu et l'objectif de la disposition en cause.

58.

Conformément à son cinquième considérant, la directive doit offrir à la Commission et aux États membres le délai nécessaire pour proposer une modification de la mesure envisagée, dans le but de supprimer ou de réduire les entraves à la libre circulation des marchandises qui peuvent en résulter. Si la Commission ou les autres États membres présentent des observations sur un projet, l'État membre doit en tenir compte dans la mesure du possible lors de la mise au point ultérieure de la règle technique (voir l'article 8, paragraphe 2). La mise en œuvre effective de cette partie de la procédure est assurée par l'obligation, imposée aux États membres, de reporter, de trois mois à partir de la date de la notification, l'adoption de la règle. Des reports supplémentaires de, respectivement, six et douze mois à partir de la même date ont lieu lorsque la Commission ou un État membre émettent un avis circonstancié en ce sens que la mesure devrait être modifiée, ou lorsque la Commission annonce qu'elle envisage de proposer ou d'adopter une directive dans le même domaine. S'il y a eu un avis circonstancié, l'État membre qui a notifié la règle doit, conformément à l'article 9, paragraphe 1, informer la Commission de la manière dont il envisage de donner suite à l'avis. La Commission présente ses observations à cet égard. Ainsi, la directive institue une procédure communautaire permettant, le cas échéant, de suspendre l'adoption de dispositions nationales pendant un délai pouvant aller jusqu'à douze mois. Le législateur communautaire a jugé nécessaire de prévoir cette disposition de suspension alors même que la Commission a le pouvoir, si elle estime qu'une règle technique notifiée est incompatible avec la libre circulation des marchandises, d'introduire une procédure selon l'article 169, fondée sur l'article 30, ou de présenter un projet de directive.

59.

Au contraire des règles sur lesquelles portaient les arrêts Bulk Oil et Enichem Base e.a. précités, la directive met en place une procédure formelle concernant la période suivant la notification, qui a pour but d'empêcher l'entrée en vigueur même d'une mesure d'entrave au commerce. Il convient de rappeler à cet égard que, dans l'arrêt Enichem Base e.a., la Cour a expressément mentionné que l'article 3, paragraphe 2, de la directive 75/442 n'avait prévu aucune procédure pour l'examen des projets au niveau communautaire. A la lumière des déclarations de l'avocat général qui a précisément utilisé la directive en cause ici comme base de comparaison, tout permet de penser que la Cour a ainsi dit à l'avance que la procédure inscrite à l'article 8, paragraphe 1, et à l'article 9 de cette directive doit se voir reconnaître un effet direct.

60.

Les différences entre les règles techniques nationales continuent de constituer une source importante d'obstacles à la libre circulation des marchandises. De tels obstacles peuvent être éliminés par des mesures d'harmonisation, ou limités par la mise en œuvre plus effective du principe de la reconnaissance mutuelle. A notre avis, il faut prendre garde de ne pas sous-estimer l'importance de la directive dans ce contexte. Le fait que la directive impose des négociations préalables formalisées entre les États membres et la Commission constitue une base spécifique pour la mise en œuvre plus effective de la reconnaissance mutuelle. Cela permet en outre que, sur la base des observations qui lui sont présentées, un État membre modifie une règle qui, même si elle peut être compatible avec les articles 30 et suivants du traité, affecte le libre échange des marchandises. Il n'est donc pas nécessaire, ainsi, qu'un obstacle au commerce qui peut être éliminé au moyen de la procédure prévue par la directive puisse l'être également sur la base de l'article 30 du traité.

61.

Le rapport de la Commission, du 14 mars 1993, sur le marché intérieur de la Communauté, comporte le tableau ci-dessous en ce qui concerne le nombre de notifications et d'observations présentées dans le cadre de la procédure de notification de 1990 à 1993 ( 33 ):

Année

Notifications

Observations

Avis circonstanciés

Intention de directive

 

 

EM

COM

EM

COM

9.2

9.2 Bis

1990

386

224

172

104

168

14

5

1991

435

167

176

119

139

47

7

1992

362

184

165

65

121

19

25

1993

385

104

80

64

88

4

5

Il en ressort que le nombre des notifications pendant cette période a été relativement constant, environ 380 par an. Il en ressort également qu'aussi bien la Commission que les États membres présentent souvent des observations ou des avis circonstanciés en ce qui concerne les projets notifiés. Leur nombre a pourtant décru dans cette période. Cela peut, éventuellement, être dû au fait que les États membres sont de plus en plus attentifs aux obligations qui découlent des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises. En 1993, 385 projets ont été notifiés. La Commission a présenté des observations dans 80 cas et des avis circonstanciés dans 88 cas. En ce qui concerne les États membres, les nombres correspondants étaient, respectivement, de 104 et 64. Le tableau ne permet pas de voir dans quelle mesure ces observations et avis circonstanciés concernaient le même projet.

62.

Il est légitime de penser que les organisations sectorielles et les entreprises jouent un rôle important, surtout pour les observations présentées par les États membres. Ce sont bien ceux qui, éventuellement, subiront une règle notifiée qui sont le plus à même d'en apprécier la portée et les conséquences. Les organisations sectorielles et les entreprises sont informées de l'existence du projet par les communications de la Commission au Journal offiael des Communautés européennes avant l'expiration du délai de trois mois. Cela garantit aux particuliers une possibilité réelle de présenter des observations auprès des autorités compétentes de l'État membre où ils sont établis. Si une règle n'est pas notifiée, on les prive indûment de cette possibilité d'influencer la réglementation qu'ils vont rencontrer sur les marchés d'exportation. Si l'on admettait que l'article 8, paragraphe 1, et l'article 9 de la directive n'ont pas d'effet direct, les entreprises seraient privées de toute possibilité d'empêcher une telle atteinte à leurs droits. Il convient de noter que les dispositions relatives à la confidentialité, à l'article 8, paragraphe 4, de la directive, n'empêchent pas les États membres de consulter les personnes physiques ou morales du secteur privé. En outre, cette disposition ne semble pas avoir été respectée très strictement en pratique. Il ressort ainsi de la communication de 1989 de la Commission ( 34 ) que les entreprises peuvent obtenir des renseignements détaillés sur les projets notifiés, auprès d'autorités précisément énumérées.

63.

Des considérations pratiques, tenant à la garantie des droits des particuliers et du respect de la directive par les États membres, plaident à notre avis de manière décisive pour la reconnaissance d'un effet direct à la directive. Bien sûr, les particuliers ont la possibilité, dans le cadre d'une affaire devant les tribunaux nationaux, de faire valoir qu'une règle technique est contraire à l'article 30 du traité. Cette possibilité ne garantit toutefois pas que l'effet d'obstacle au commerce d'une mesure soit écarté avant la mise en œuvre de cette mesure. Un tel résultat n'est pas non plus garanti par la formation, par la Commission, d'une procédure en manquement, fondée sur le défaut de notification. Une fois qu'une règle contraire au traité a été instituée, les entreprises devront en subir les conséquences jusqu'à ce qu'un arrêt ait été prononcé dans une éventuelle procédure. Le dommage, difficile à réparer en ce qui concerne les opérateurs économiques, sera donc déjà souvent intervenu avant le prononcé de l'arrêt. A notre avis, cette seule raison conduira de nombreux particuliers à renoncer à former un recours devant les tribunaux nationaux et ils préféreront s'adapter à la règle concernée. Ainsi, les opérateurs éviteront également de risquer des relations difficiles avec les autorités nationales. Il s'y ajoute que la procédure de communication de la directive peut également contribuer en pratique à l'atténuation ou à l'élimination d'obstacles au commerce compatibles avec le traité.

64.

Il n'est pas permis, dans le cadre d'une interprétation plus précise, d'accorder de l'importance à certaines suppositions émanant d'États membres, quant aux motifs de modifications apportées au projet de directive pendant la procédure d'adoption devant le Conseil. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, les points de vue et déclarations qui ne sont pas expressément reproduits dans le texte adopté n'ont aucune valeur juridique pour l'interprétation, par la Cour, de l'acte concerné ( 35 ). C'est d'autant plus vrai lorsque, comme en l'espèce, on fait référence à un acte juridique adopté après la période pertinente pour l'affaire au principal. D'ailleurs, il est à notre avis bien fondé, du point de vue de la technique législative, de ne pas ajouter, dans une directive, de remarques portant sur une question d'interprétation difficile, qu'il appartient à la Cour de trancher.

65.

Le Royaume-Uni et le gouvernement néerlandais ont également mentionné qu'il serait contraire aux intérêts des consommateurs privés qu'une règle non notifiée ne puisse pas être appliquée. Plus précisément, ils estiment qu'une telle conséquence pourrait affaiblir la protection du consommateur, puisqu'une règle qui n'est pas notifiée n'est pas nécessairement contraire, par son contenu, au droit communautaire. A cet égard, nous devons souligner qu'une règle qui est notifiée n'est pas, elle non plus, nécessairement contraire au droit communautaire par son contenu. L'obligation de notification vise précisément tous les projets de règles techniques. L'objectif est d'obliger à ce que ces projets soient mis au grand jour. On ne peut pas totalement exclure que, dans certains cas, le défaut de notification ne soit dû qu'à un oubli. Il ne faut toutefois pas oublier que le défaut de notification pourrait plutôt être regardé comme l'expression du fait que les autorités concernées ne souhaitent pas un examen préalable du projet, parce qu'elles savent que ce projet ne supporterait pas la lumière du jour. La probabilité d'incompatibilité matérielle d'une règle non notifiée avec le droit communautaire n'est ainsi pas moins grande que la probabilité d'incompatibilité avec ce droit d'une règle notifiée: ce serait plutôt le contraire. Si l'on acceptait le point de vue du Royaume-Uni et du gouvernement néerlandais, on aboutirait à une situation privilégiant les États membres qui ne suivent pas les règles. Mais pourquoi récompenserait-on les États membres qui créent ainsi des obstacles déguisés au commerce? Au contraire, la jurisprudence de la Cour doit contribuer à ce que de tels obstacles soient portés au grand jour dans la plus large mesure possible.

66.

S'il y a eu notification, l'article 9, paragraphe 3, de la directive offre, en cas d'urgence, la possibilité de ne pas respecter les dispositions relatives à l'effet suspensif ( 36 ). Un État membre ne pourra donc pas arguer de l'intérêt de l'utilisateur des produits pour justifier la non-notification de la règle. Le fait qu'un produit n'ait pas obtenu l'approbation conformément à une règle qui n'a pas été notifiée ne signifie d'ailleurs aucunement que le produit est dangereux pour les consommateurs. L'État membre dans lequel le produit est fabriqué ou mis en libre pratique aura généralement fixé lui-même des critères de sécurité. S'il s'agit de produits destinés à la consommation directe, il résulte de la directive relative à la sécurité générale des produits que les États membres doivent garantir que seuls des produits sûrs sont mis sur le marché ( 37 ). S'il survient un risque concret en matière de sécurité de produits destinés à la consommation directe, il sera en outre possible d'intervenir sur la base de cette même directive ( 38 ). Dans d'autres domaines, des interventions concrètes pourront avoir lieu dans le cadre de l'article 36 du traité et au titre des intérêts généraux reconnus par la Cour.

67.

Pour résumer, nous sommes d'avis que les règles de notification et les dispositions relatives à la suspension inscrites aux articles 8, paragraphe 1, et 9 de la directive confèrent des droits aux particuliers et sont inconditionnelles et suffisamment précises pour pouvoir être invoquées par des particuliers devant un juge national, ce qui fait que les règles techniques qui ne sont pas notifiées ne pourront pas être opposées aux particuliers. En conséquence, une règle non notifiée ne peut pas servir de base à la condamnation d'un opérateur économique ou à l'interdiction de commercialiser un produit qui n'est pas compatible avec cette règle.

68.

Il convient pourtant de vérifier si l'effet direct de la procédure de notification de la directive peut être invoqué dans un cas tel que celui de la procédure au principal, où il s'agit d'un recours entre deux personnes privées. En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour ( 39 ), une directive ne peut pas, nous l'avons dit, créer en soi des obligations pour les particuliers. C'est pourquoi la disposition d'une directive ne peut ainsi pas être invoquée à l'égard de ces derniers, de la même manière que la Communauté ne peut édicter, sous forme de directive, des règles qui créent des obligations directes pour les particuliers ( 40 ). En revanche, lors de l'application du droit national, les juges nationaux sont tenus d'interpréter, dans la mesure du possible, les règles de droit national à la lumière du texte et de l'objectif d'une directive, et donc de provoquer par là le résultat recherché par la directive ( 41 ). Cette obligation s'applique aussi bien aux dispositions d'une loi adoptée spécifiquement pour se conformer à une directive, qu'aux dispositions d'un autre texte de loi ( 42 ), et cela vaut qu'il s'agisse d'une législation plus ancienne ou plus récente ( 43 ).

69.

Dans l'affaire au principal, Signalson et Securitel ont conclu à ce que C. I. A. soit tenue de cesser de commercialiser le système Andromède, car celui-ci n'est pas homologué conformément aux dispositions de la loi et de l'arrêté de 1991. Elles ont également demandé l'imposition d'une astreinte à C. I. A. Ces conclusions sont fondées sur des dispositions nationales qui n'ont pas été notifiées conformément à la directive, à savoir la loi et l'arrêté de 1991. La mise en exécution de ces dispositions non notifiées, sous la forme d'une interdiction et d'une amende, est demandée, sur la base de la loi belge relative aux pratiques commerciales, à l'égard d'un opérateur économique. A notre avis, une telle application serait forcément incompatible avec l'effet direct de la procédure de notification inscrite aux articles 8, paragraphe 1, et 9, de la directive. Cela serait clair, immédiatement, au titre de la jurisprudence antérieure de la Cour si c'était l'État, en tant que ministère public, médiateur des consommateurs ou autre, qui avait formé un recours contre C. I. A. Selon nous, le fait qu'en l'espèce la question soit posée à partir des conclusions d'un particulier ne peut toutefois aucunement modifier ce résultat. C'est l'État qui fixe les règles relatives aux peines, interdictions et autres et ce sont éventuellement également les tribunaux qui pourront imposer de telles sanctions, quelle que soit la partie ayant engagé la procédure conformément aux règles de procédure nationale.

70.

Dans le cadre de la procedure au principal, C. I. A. a conclu à la condamnation de Signalson et de Securitel à une amende, pour s'être comportées de manière contraire à la loyauté des usages commerciaux en indiquant que le système Andromède n'avait pas été approuvé conformément aux règles de la loi et de l'arrêté de 1991. Cette conclusion est fondée sur le moyen selon lequel C. I. A. n'était pas tenue de demander l'homologation, car les règles belges n'avaient pas été notifiées conformément à la directive. On peut se demander s'il est possible de dire que le fait d'accueillir la conclusion de C. I. A. reviendrait à laisser la directive imposer des obligations à des particuliers (ici Signalson et Securitel).

71.

La procédure de notification de la directive impose une série d'obligations aux États membres. En revanche, d'après son contenu, elle ne vise pas à imposer des devoirs aux particuliers et aucune question ne se pose donc en ce qui concerne l'effet direct éventuel de la directive en ce qui concerne des obligations à des particuliers. Par là, la directive se distingue nettement de la directive 85/577/CEE, sur laquelle portait l'arrêt Faccini Dori ( 44 ).

72.

Le recours de C. I. A. lui-même est fondé sur le droit national. A la lumière des conclusions de C. I. A., il semble que l'objectif de la question préjudicielle est d'apporter les bases nécessaires à l'interprétation, par le tribunal national, de la loi belge sur les pratiques commerciales. Nous renvoyons à ce qui a été dit ci-dessus en ce qui concerne l'obligation des tribunaux nationaux d'interpréter, dans la plus large mesure possible, les règles de droit national, à la lumière du droit communautaire. Une telle interprétation du droit national à la lumière du droit communautaire peut, bien entendu, avoir indirectement de l'importance pour les conclusions visant Signalson et Securitel, mais tel était le cas dans d'autres affaires où la Cour a conseillé l'application de règles d'interprétation (voir par exemple l'arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106/89, Rec. p. I-4135).

73.

Si l'on estimait que C. I. A. ne pouvait invoquer l'incompatibilité des règles belges avec le droit communautaire dans ses conclusions à l'égard de Signalson et Securitel, on aboutirait à notre avis à une situation juridique insatisfaisante et incompréhensible, où, d'un côté, le droit communautaire empêcherait un État membre de poursuivre un ressortissant, qui n'a pas respecté une règle technique non notifiée, tout en empêchant par ailleurs ce ressortissant de se prévaloir de la même circonstance dans une affaire contre un concurrent ayant déclaré que le ressortissant concerné a agi illégalement en ne respectant pas la règle nationale (illicite).

Il peut être utile d'illustrer les implications d'une telle situation juridique par un exemple tiré d'un arrêt type de la Cour concernant l'effet direct des dispositions des directives, Becker ( 45 ). Une telle situation impliquerait que Mme Ursula Becker, qui exerçait l'activité de négociateur de crédits à titre indépendant, pourrait d'une part, en invoquant l'effet direct de l'article 13 de la sixième directive TVA ( 46 ) à l'encontre de l'État allemand, faire échec à la perception illégale de la TVA par l'État, alors que, d'un autre côté, elle ne pourrait se prévaloir du même droit de ne pas payer la TVA dans un recours contre un concurrent l'ayant accusée d'un comportement contraire aux bons usages commerciaux, consistant à ne pas payer la TVA exigée par la législation allemande.

74.

Bien entendu, la question de savoir s'il y a lieu, à partir de l'interprétation, par le juge national, du droit interne à la lumière du droit communautaire, de faire droit aux conclusions de C. I. A. à l'encontre de Signalson et de Securitel relève totalement de l'appréciation de ce juge national. C'est, par exemple, le droit national qui fixe les conséquences pénales et autres d'éventuelles erreurs de droit concernant le rapport entre les règles belges nationales et la directive.

75.

Pour résumer, nous estimons qu'il convient de répondre aux cinquième et sixième questions en ce sens que les dispositions des articles 8, paragraphe 1, et 9 de la directive créent des droits en faveur des particuliers et sont inconditionnelles et suffisamment précises pour pouvoir être invoquées par les particuliers devant un tribunal national, de telle sorte qu'il appartient à ce dernier de refuser d'appliquer une règle technique nationale qui n'a pas été notifiée conformément à ces dispositions.

Conclusions

76.

C'est pourquoi nous proposons à la Cour de répondre aux questions déférées par le tribunal de commerce de Liège dans les termes suivants:

1)

L'article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu'il ne fait pas obstacle à un régime d'homologation de systèmes et centraux d'alarme tel que celui qui est prévu aux articles 4 et 12 de la loi du 10 avril 1990 sur les entreprises de gardiennage, sur les entreprises de sécurité et sur les services internes de gardiennage, ou à l'article 2 de l'arrêté royal du 14 mai 1991 fixant la procédure d'approbation des systèmes et centraux d'alarme, visés dans la loi du 10 avril 1990.

2)

L'article 8 de la directive 83/189/CEE du Conseil, du 28 mars 1983, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques, doit être interprété en ce sens que les dispositions et spécifications telles que celles qui figurent à l'article 12 de la loi du 10 avril 1990 sur les entreprises de gardiennage, sur les entreprises de sécurité et sur les services internes de gardiennage et à l'arrêté royal du 14 mai 1991 fixant la procédure d'approbation des systèmes et centraux d'alarme, visés dans la loi du 10 avril 1990, sont couvertes par l'obligation de notification prévue audit article 8.

3)

Les dispositions des articles 8, paragraphe 1, et 9 de la directive 83/189 confèrent des droits aux particuliers et sont inconditionnelles et suffisamment précises pour pouvoir être invoquées par les particuliers devant un tribunal national, de telle sorte qu'il appartient à ce dernier de refuser d'appliquer une règle technique nationale qui n'a pas été notifiée conformément à ces dispositions.


( *1 ) Langue originale: le danois.

( 1 ) JO L 109, p. 8, telle que modifiée par la directive 88/182/CEE du Conseil, du 22 mars 1988 (JO L 81, p. 75).

( 2 ) L'article 8, paragraphe 4, a d'ailleurs été modifié par la directive 94/10/CE, du 23 mars 1994 (JO L 100, p. 30), en ce sens que les renseignements communiqués ne sont pas considérés comme confidentiels, sauf si l'État membre qui notine adresse une demande motivée en ce sens. Cette directive n'est toutefois pas applicable à la présente espèce.

( 3 ) JO C 245, p. 4.

( 4 ) JO 1989, C 67, p. 3.

( 5 ) Comme exemples de telles publications correspondant à la communication, on peut citer les JO 1994, C 3, p. 2, et C 8, p. 2.

( 6 ) C-267/91 et C-268/91, Ree. p. I-6097.

( 7 ) Voir, par exemple, les arrêts du 16 février 1995, Aubertin e.a. (C-29/94 à C-35/94, Rec. p. I-301, point 9), et du 28 janvier 1992, López Brea et Hidalgo Palacios (C-330/90 et C-331/90, Rec. p. I-323, point 7).

( 8 ) Voir l'arrêt du 14 juillet 1994, Peralta (C-379/92, Rec. p. I-3453, point 24).

( 9 ) 286/81, Rec. p. 4575, point 9. U ne semble pas que la Cour ait repris cette jurisprudence par la suite.

( 10 ) 298/87, Rec. p. 4489, points 8 et 9.

( 11 ) Contrairement à ce qui s'est passé dans l'affaire Oosthoek, les questions préjudicielles ne portaient pas sur le point de savoir s'il s'agissait d'une situation interne. Dans d'autres arrêts, concernant la libre circulation des personnes, la Cour a cependant traité cette question d'office.

( 12 ) Selon une jurisprudence constante, toute mesure qui peut faire obstacle, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, au commerce entre les Etats membres constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative (voir, par exemple, l'arrêt du 9 février 1995, Leclerc-Siplec, C-412/93, Rec. p. I-179, point 18).

( 13 ) Voir, par exemple, l'arrêt Keck et Mithouard, précité, point 15 (voir note 6).

( 14 ) Voir, par exemple, l'arrêt du 28 janvier 1986, Commission/ France (188/84, Rec. p. 419, points 13 à 17).

( 15 ) JO L 188, p. 32.

( 16 ) Voir, par exemple, l'arrêt du 17 décembre 1981, Frans-Nederlandse Maatschappij voor Biologische Producten (272/80, Rec. p. 3277, points 14 et 15).

( 17 ) Voir la situation dans l'arrêt du 1er juin 1994, Commission/Allemagne (C-317/92, Rec. p. I-2039, point 26).

( 18 ) Proposition du 27 novembre 1992 de directive du Conseil portant deuxième modification de ta directive 83/189/CEE prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO C 340, p. 7).

( 19 ) Voir la note 2.

( 20 ) Voir, par exemple, l'arrêt du 19 janvier 1982, Becker (8/81, Rec. p. 53, points 24 et 25).

( 21 ) Voir, par exemple, l'arrêt du 20 septembre 1988, Moormann (190/87, Rec. p. 4689, point 23).

( 22 ) Voir l'arrêt le plus récent, du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C-91/92, Rec. p. I-3325, point 20).

( 23 ) Voir l'arrêt Faccini Dori, cité à la note 22, point 22.

( 24 ) 174/84, Rec. p. 559.

( 25 ) Point 62 de l'arrêt.

( 26 ) 380/87, Rec. p. 2491.

( 27 ) Directive du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets QO L 194, p. 39).

( 28 ) Point 20 de l'arrêt.

( 29 ) Points 22 et 23 de l'arrêt

( 30 ) Voir, par exemple, les arrêts du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C-44/93, Rec. p. I-3829, points 16 et 17); du 11 décembre 1973, Lorenz (120/73, Rec. p. 1471, point8), et du 15 juillet 1964, Costa (6/64, Rec. p. 1141).

( 31 ) Voir la note 30, point 4 de l'arrêt.

( 32 ) Voir le point 8 de l'arrêt.

( 33 ) COM(94) 55 final, p. 58.

( 34 ) Voir note 4.

( 35 ) Voir les arrêts du 10 décembre 1991, Commission/Grèce (Rec. p. I-5863, point 8); du 26 février 1991, Antonissen (C-292/89, Rec. p. I-745, point 18), et du 30 janvier 1985, Commission/Danemark (Rec. p. 427, point 12).

( 36 ) Lors de l'audience, la Commission a indiqué que cette exception était appliquée à environ 10 % des notifications.

( 37 ) Directive 92/59/CEE du Conseil, du 29 juin 1992 0O L 228, p. 24, article 5).

( 38 ) Conformément à l'article 6, paragraphe 1, sous h), de cette directive, les États membres peuvent même exiger le retrait de produits déjà mis sur le marché.

( 39 ) Voir, en dernier lieu, l'arrêt Faccini Dori, précité (note 22), point 20.

( 40 ) Voir l'arrêt Faccini Dori, cité à la note 22, points 24 et 25.

( 41 ) Voir, par exemple, l'arrêt Faccini Dori, cité à la note 22, point 26, et l'arrêt du 16 décembre 1993, Wagner Miret (C-334/92, Rec. p. I-6911, point 20).

( 42 ) Voir l'arrêt du 8 octobre 1987, Kolpinghuis Nijmegen (80/86, Rec. p. 3969, point 12).

( 43 ) Voir l'arrêt Faccini Dori, visé à la note 22, point 26.

( 44 ) Visé à la note 22.

( 45 ) Voir note 19.

( 46 ) Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le churre d'affaires —Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).

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