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Document 61994CC0151

Conclusions de l'avocat général Jacobs présentées le 19 septembre 1995.
Commission des Communautés européennes contre Grand-Duché de Luxembourg.
Article 48 du traité CE - Egalité de traitement - Imposition sur le revenu des résidents temporaires - Remboursement du trop-perçu d'impôt.
Affaire C-151/94.

Recueil de jurisprudence 1995 I-03685

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1995:291

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. F. G. JACOBS

présentées le 19 septembre 1995 ( *1 )

1. 

Dans la présente affaire, la Commission demande à la Cour de constater que, en maintenant en vigueur des dispositions en vertu desquelles les retenues d'impôt trop-perçu sur les traitements ou salaires opérées à charge d'un salarié ressortissant d'un État membre ne peuvent pas être sujettes à restitution si l'intéressé a résidé au Luxembourg ou y a exercé une activité salariée pendant une partie de l'année seulement, le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du traité et de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté ( 1 ) (ci-après le « règlement »).

La législation nationale

2.

Les dispositions luxembourgeoises pertinentes relatives à l'impôt sur le revenu peuvent être résumées comme suit. En vertu de l'article 153 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (ci-après la « LIR »), tout contribuable dont le traitement ou salaire dépasse une certaine limite ou qui a des revenus importants non passibles de retenue à la source est soumis à imposition par voie d'assiette. Il est obligé de faire annuellement la déclaration de ses revenus à l'administration compétente ( 2 ) qui établit sur cette base un bulletin d'impôt. Dès la notification du bulletin d'impôt, le contribuable est obligé de verser l'impôt dû ou le solde d'impôt, s'il a déjà fait l'objet d'une retenue à la source [article 154 (1) à (3) de la LIR]. En cas de trop-perçu d'impôt, l'excédent payé est imputé sur d'autres créances d'impôt ou, à défaut, remboursé d'office au contribuable [article 154 (5)].

3.

Une procédure simplifiée est prévue pour les résidents permanents dont le revenu imposable est composé pour l'essentiel de revenus passibles d'une retenue à la source et ne dépasse pas la limite fixée pour l'imposition par voie d'assiette (article 145 de la LIR). Cette catégorie de contribuables n'est pas tenue de faire une déclaration ( 3 ). A la fin de chaque année d'imposition, un décompte annuel est établi par l'administration fiscale, l'employeur ou la caisse de pension pour déterminer si une restitution de retenues à la source est due (article 2 du règlement grand-ducal du 9 mars 1992 portant exécution de l'article 145 de la LIR).

4.

Les personnes qui s'établissent au pays ou qui le quittent au courant de l'année d'imposition ne bénéficient, en règle générale, d'aucune restitution au titre de l'une ou l'autre de ces procédures. L'article 154 (6) de la LIR dispose:

« La retenue d'impôt sur les traitements et salaires n'est pas sujette à restitution lorsque la retenue a été opérée à charge des salariés qui sont contribuables résidents pendant une partie de l'année seulement parce qu'ils s'établissent au pays ou parce qu'ils quittent le pays au courant de l'année. »

De même, l'article 145 de la LIR prévoit:

« Le salarié ou le retraité qui n'est pas admis à l'imposition par voie d'assiette, bénéficie d'une régularisation des retenues sur la base d'un décompte annuel... N'ont droit au décompte que le contribuable qui pendant les douze mois de l'année d'imposition a eu son domicile fiscal ou son séjour habituel au Grand-Duché, ainsi que le contribuable qui, sans remplir cette condition, y a été occupé comme salarié pendant neuf mois de l'année d'imposition au moins et y a exercé son activité d'une façon continue pendant cette période. »

5.

Lorsque ces personnes estiment avoir acquitté un excédent d'impôt, elles doivent solliciter auprès de l'administration des contributions une restitution en équité du trop-perçu en application de l'article 131 (1) de la loi générale des impôts (« Abgabenordnung »). L'article 131 (1) dispose:

« Le ministre des Finances peut accorder, dans des cas particuliers (y compris en présence de plusieurs cas particuliers, comme lors d'intempéries ou d'autres circonstances exceptionnelles), la remise totale ou partielle d'impôts de l'État dont le recouvrement serait inéquitable compte tenu du cas d'espèce ou ordonner, dans de pareils cas, le remboursement ou l'imputation d'impôts de l'État déjà acquittés. »

6.

Les demandes présentées en application de cette disposition sont vidées par le directeur des contributions. Bien que, comme nous le verrons ci-après, les décisions prises à ce titre par le directeur puissent faire l'objet d'un recours devant le Conseil d'État du Luxembourg (ci-après le « Conseil d'État »), il appert que les règles sur la base desquelles sont calculés l'impôt dont le contribuable est redevable et, partant, une éventuelle restitution, ne sont pas fondées directement sur un texte législatif, mais procèdent en réalité d'une pratique administrative développée par le directeur des contributions. Ces règles semblent analogues à la méthode utilisée par le Luxembourg pour garantir la progressivité de son système d'imposition lorsqu'un contribuable résident bénéficie de revenus étrangers exonérés de l'impôt luxembourgeois en vertu d'une convention en matière de double imposition (voir article 134 de la LIR).

L'arrêt Biehl

7.

Dans l'affaire Biehl ( 4 ), le Conseil d'État a adressé à la Cour une question préjudicielle destinée à lui permettre d'apprécier la compatibilité avec le droit communautaire de l'article 154 (6) de la LIR. La Cour a jugé que l'article 48, paragraphe 2, du traité fait obstacle à ce qu'un État membre arrête des règles qui empêchent la restitution de retenues d'impôt sur les traitements et salaires opérées à charge d'un salarié ressortissant d'un État membre, qui est contribuable résident pendant une partie de l'année seulement parce qu'il s'établit au pays ou parce qu'il quitte le pays au courant de l'année fiscale.

8.

La Cour a relevé que:

« Il convient de rappeler, d'abord, qu'aux termes de l'article 48, paragraphe 2, du traité la libre circulation des travailleurs implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, notamment, en ce qui concerne la rémunération.

Le principe d'égalité de traitement en matière de rémunération serait privé d'effet s'il pouvait y être porté atteinte par des dispositions nationales discriminatoires en matière d'impôt sur le revenu. C'est pourquoi le Conseil a prescrit à l'article 7 de son règlement (CEE) n° 1612/68, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté ... que les travailleurs ressortissants d'un État membre doivent bénéficier, sur le territoire d'un autre État membre, des mêmes avantages fiscaux que les travailleurs nationaux » ( 5 ).

9.

La Cour a observé que, bien qu'il s'applique indépendamment de la nationalité du contribuable concerné, le critère de résidence permanente utilisé par les dispositions luxembourgeoises pour déterminer si un contribuable a droit à un éventuel remboursement risque de jouer, en particulier, au détriment des contribuables ressortissants d'autres États membres.

10.

La Cour a rejeté l'argument du gouvernement luxembourgeois selon lequel le refus d'accorder des remboursements était nécessaire pour garantir la progressivité du système d'imposition luxembourgeois. Elle a également écarté l'argument selon lequel la procédure gracieuse portait remède à la discrimination en permettant au contribuable d'obtenir un remboursement pour des motifs d'équité. La Cour a souligné à cet égard que le Luxembourg n'avait fait état d'aucune disposition qui imposerait à l'administration des contributions l'obligation de remédier en toute hypothèse aux conséquences discriminatoires qui résulteraient de l'article 154 (6).

La procédure

11.

Le 27 novembre 1989, c'est-àdire avant que la Cour ne statue dans l'affaire Biehl, la Commission a adressé au grand-duché de Luxembourg une lettre de mise en demeure au titre de l'article 169 du traité dans laquelle elle faisait valoir que les articles 145 et 154 (6) de la LIR étaient contraires à l'article 48, paragraphe 2, du traité et à l'article 7, paragraphe 2, du règlement.

12.

Cette lettre est restée sans réponse.

13.

Dans un avis motivé émis le 4 février 1992, la Commission a réitéré l'argumentation développée dans sa lettre du 27 novembre 1989 tout en renvoyant à l'arrêt Biehl. Le gouvernement luxembourgeois a répondu à l'avis motivé le 12 mai 1992.

14.

N'étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a introduit le présent recours le 3 juin 1994. La Commission soutient que les articles 145 et 154 (6) de la LIR sont illicites parce qu'ils privent les travailleurs qui quittent le pays ou s'y établissent au courant de l'année d'imposition du droit à la restitution du trop-perçu d'impôt dont bénéficient les résidents permanents. Ils imposent par conséquent une restriction discriminatoire à la libre circulation des travailleurs migrants. La Commission relève que le Luxembourg n'a pas modifié l'article 154 (6) de la LIR pour se conformer à l'arrêt Biehl et que le Conseil d'État, appliquant la jurisprudence Biehl, a jugé que l'article 154 (6) était contraire au droit communautaire. De l'avis de la Commission, le fait qu'un travailleur migrant puisse présenter une demande de restitution en équité n'offre pas, en l'absence d'une modification expresse des dispositions pertinentes, une garantie appropriée en ce qui concerne la protection des droits conférés par le traité.

15.

Le gouvernement luxembourgeois objecte que les articles 145 et 154 (6) doivent être lus en combinaison avec la procédure prévue à l'article 131 (1) de la loi générale des impôts. Il suggère que la Cour n'a pas suffisamment pris en compte cette disposition dans l'affaire Biehl, où le gouvernement luxembourgeois ne s'en était prévalu qu'à l'audience. Les décisions prises en vertu de cette disposition n'ont rien de discrétionnaire et peuvent être portées devant le Conseil d'État. Le gouvernement luxembourgeois ajoute que les personnes qui demandent des restitutions sur la base du décompte annuel reçoivent des formules leur indiquant qu'elles peuvent demander une restitution en équité.

Les questions soulevées

16.

Il nous semble que deux questions principales se posent en l'espèce:

1)

Le droit luxembourgeois confère-t-il aux travailleurs qui s'établissent au Luxembourg ou qui cessent d'y être résidents le droit à la restitution du trop-perçu d'impôt, et ce droit est-il fondé sur des dispositions juridiques suffisamment claires?

2)

La méthode utilisée en pratique par l'administration luxembourgeoise pour calculer les restitutions d'impôt opère-t-elle une discrimination à l'encontre des personnes qui s'établissent au Luxembourg ou qui cessent d'y être résidentes au courant de l'année d'imposition et le recours pour cette catégorie de personnes à une procédure de restitution qui diffère de celle appliquée aux résidents permanents est-il justifié?

Nous aborderons ces points tour à tour.

Absence de dispositions claires et contraignantes

17.

A notre avis, le recours de la Commission doit être accueilli dans la mesure où le Luxembourg n'a pas modifié sa législation de manière à conférer sans ambiguïté aux personnes qui s'établissent au pays ou qui le quittent au cours de l'année d'imposition le droit au remboursement du trop-perçu d'impôt. La Cour a confirmé dans l'arrêt Schumacker ( 6 ) la jurisprudence Biehl selon laquelle les exigences de l'article 48 ne sont pas satisfaites par une procédure permettant aux travailleurs migrants de demander un remboursement en équité. Cela est en outre conforme à la règle générale selon laquelle les droits que les justiciables tirent du droit communautaire doivent être clairement énoncés dans des dispositions juridiques contraignantes, que ces droits découlent de directives ( 7 ) ou, comme en l'espèce, de dispositions directement applicables du traité ( 8 ). En conséquence, lorsque la législation d'un État membre est incompatible avec le droit communautaire, cet État est tenu d'y apporter des modifications claires afin de remédier à l'incompatibilité.

18.

Par exemple, dans l'arrêt Commission/Italie (168/85, précité), la Cour a déclaré:

« ... la faculté des justiciables d'invoquer des dispositions directement applicables du traité devant les juridictions nationales ne constitue qu'une garantie minimale et ne suffit pas à assurer à elle seule l'application pleine et complète du traité. Il résulte en effet... que le maintien inchangé, dans la législation d'un État membre, d'un texte incompatible avec une disposition du traité, même directement applicable dans l'ordre juridique des États membres, donne lieu à une situation de fait ambiguë en maintenant les sujets de droit concernés dans un état d'incertitude quant aux possibilités qui leur sont réservées de faire appel au droit communautaire et qu'un tel maintien constitue dès lors, dans le chef dudit État, un manquement aux obligations qui lui incombent en vertu du traité » ( 9 ).

19.

Quant à l'argument avancé dans cette affaire par le gouvernement italien, selon lequel, compte tenu de l'applicabilité directe des dispositions pertinentes du traité, les droits des ressortissants des autres États membres seraient suffisamment garantis par les circulaires ou instructions administratives, la Cour a ajouté ( 10 ):

« L'incompatibilité de la législation nationale avec les dispositions du traité, même directement applicables, ne peut être définitivement éliminée qu'au moyen de dispositions internes à caractère contraignant ayant la même valeur juridique que celles qui doivent être modifiées. Comme la Cour l'a déclaré dans une jurisprudence constante relative à la mise en œuvre des directives par les États membres, de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l'administration et dépourvues d'une publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable des obligations du traité. »

20.

Alors que la législation luxembourgeoise confère spécifiquement aux résidents permanents le droit au remboursement du trop-perçu d'impôt, elle donne l'impression d'exclure les résidents temporaires du bénéfice de ce droit. Cette impression n'est pas dissipée par l'article 131 (1) de la loi générale des impôts, qui confère simplement aux contribuables le droit général de présenter des demandes de restitution d'impôt en équité. La pratique de l'administration fiscale consistant à émettre des formules indiquant la marche à suivre pour demander des restitutions, bien qu'elle soit louable, ne saurait cependant être considérée comme suppléant à des dispositions juridiques claires.

21.

Certes, ainsi que le gouvernement luxembourgeois le fait observer, les décisions prises à ce titre par le directeur des contributions sont susceptibles d'un recours devant le comité du contentieux du Conseil d'État. Par arrêt du 10 juillet 1981 ( 11 ), cette juridiction a déclaré:

« ... le Comité du contentieux s'est vu attribuer compétence pour statuer sur les recours dirigés contre les décisions du directeur des Contributions en matière de remise ou en modération d'impôts; qu'il lui incombe dès lors d'apprécier, en tant que juge d'appel, les circonstances dans lesquelles le paragraphe 131 alinéa 1er de la loi générale des impôts ‘Abgabenordnung’ doit s'appliquer. »

22.

Toutefois, comme on devait s'y attendre dans le cas d'une procédure de restitution en équité, le Conseil d'État a également constaté que:

« le directeur des Contributions dispose en matière gracieuse d'un large pouvoir d'appréciation des faits pour arrêter sa décision (Ermessensentscheidung) » ( 12 ).

23.

Le gouvernement luxembourgeois n'a pas été en mesure d'indiquer une disposition qui prévoie la méthode que le directeur des contributions doit utiliser pour calculer les restitutions en ce qui concerne les personnes qui s'établissent au pays ou qui le quittent au cours de l'année d'imposition. Un contribuable est incapable, en examinant la législation luxembourgeoise, de déterminer s'il a payé un excédent d'impôt et s'il y a lieu de solliciter une restitution du trop-perçu. Rien ne garantit en outre que la pratique suivie en la matière par le directeur des contributions ne soit pas modifiable au gré de ce dernier.

24.

Ces considérations suffisent à étayer la constatation que le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité. Pour être complet, nous aborderons cependant le point de savoir si la pratique administrative suivie par l'administration luxembourgeoise comporte une discrimination non justifiée contraire à l'article 48 du traité et à l'article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1612/68.

L'existence d'une discrimination

25.

Il semble que, en dépit de l'impression donnée par la législation luxembourgeoise, l'administration luxembourgeoise accorde désormais en pratique des restitutions du trop-perçu d'impôt aux personnes qui s'établissent au Grand-Duché ou qui le quittent au cours de l'année d'imposition. Aux fins d'apprécier la pratique suivie il convient d'aborder deux questions:

1)

La méthode de calcul des restitutions est-elle discriminatoire?

2)

L'exigence imposée aux résidents temporaires d'introduire une demande spécifique pour obtenir une restitution comporte-t-elle une discrimination sur le plan procédural, alors qu'une telle exigence n'est pas imposée aux résidents permanents?

26.

Il ressort des copies de décisions figurant en annexe au mémoire en défense que la méthode de calcul appliquée par le directeur des contributions est la suivante:

1)

Les revenus luxembourgeois et étrangers du contribuable sont additionnés.

2)

Le montant théorique de l'impôt luxembourgeois qui serait dû sur le total des revenus du contribuable est déterminé selon le barème approprié.

3)

Ce chiffre est réduit à concurrence de la fraction du total des revenus du contribuable constituée par les revenus réalisés au Luxembourg.

4)

Ce résultat qui correspond au montant de l'impôt luxembourgeois dû est rapporté au montant de l'impôt retenu à la source par l'employeur du contribuable afin de déterminer si une restitution d'impôt est due.

27.

Le Luxembourg n'impose donc pas, à proprement parler, les revenus étrangers réalisés par un travailleur avant que celui-ci ne s'établisse au Grand-Duché ou après qu'il le quitte, mais les prend en compte pour déterminer le taux d'imposition approprié qu'il y a lieu d'appliquer aux revenus luxembourgeois de l'intéressé dans le cadre de son système progressif.

28.

A notre avis, la méthode utilisée pour calculer les restitutions d'impôt n'entraîne aucune restriction discriminatoire à la libre circulation d'un tel travailleur. Dans le cas simple où un travailleur qui s'établit au pays ou qui le quitte au courant de l'année d'imposition ne réalise pas d'autres revenus en dehors du Luxembourg, cette méthode est neutre dans ses effets. L'intéressé aura droit à une restitution égale à celle qu'il aurait obtenue s'il avait été résident au Luxembourg pendant toute l'année d'imposition. Dans les cas où le travailleur perçoit d'autres revenus pendant l'année d'imposition avant qu'il ne s'établisse au pays ou après qu'il le quitte, la méthode garantit que l'impôt luxembourgeois est appliqué au taux d'imposition approprié aux revenus luxembourgeois du travailleur pendant sa période de résidence. En l'absence d'une telle règle, cette catégorie de travailleurs bénéficierait d'un avantage par rapport aux résidents permanents qui, du fait qu'ils restent dans le même pays, seraient imposés à un taux plus élevé.

29.

Reste à examiner s'il existe néanmoins une discrimination sur le plan procédural.

30.

La Commission renvoie à cet égard à l'arrêt Schumacker ( 13 ). M. Schumacker était un ressortissant belge qui résidait en Belgique tout en exerçant une activité salariée en République fédérale d'Allemagne. Comme pour les travailleurs résidents en République fédérale d'Allemagne, ses salaires ont fait l'objet d'une retenue à la source effectuée par son employeur. Toutefois, en qualité de non-résident, sa situation personnelle et familiale n'a pas été prise en compte par son employeur pour le calcul des retenues effectuées, au motif qu'il incombait à l'État de résidence du travailleur — qui avait le droit d'imposer celui-ci sur ses revenus mondiaux — de prendre en considération de tels éléments. En conséquence, il a été imposé plus lourdement en application des dispositions allemandes que s'il avait été résident en Allemagne.

31.

La Cour a déclaré tout d'abord que l'article 48 du traité s'oppose à ce qu'un non-résident soit plus lourdement imposé par son État d'emploi lorsqu'il tire son revenu totalement ou presque exclusivement de son emploi et qu'il ne perçoit pas dans l'État de résidence des revenus suffisants pour que sa situation personnelle et familiale puisse être prise en compte.

32.

La Cour a ensuite examiné si les dispositions allemandes comportaient également une discrimination sur le plan procédural. Elle a jugé que les dispositions excluant les non-résidents de procédures de régularisation annuelle des retenues par l'employeur et de liquidation annuelle de l'impôt par l'administration fiscale étaient contraires à l'article 48 du traité. Ces dispositions avaient pour effet de priver les non-résidents de la possibilité de faire valoir des éléments tels que les frais professionnels, les dépenses exceptionnelles ou les charges extraordinaires, qui pourraient entraîner un remboursement partiel de l'impôt retenu à la source. Il en résultait un désavantage pour les non-résidents par rapport aux résidents. La Cour n'a pas accueilli l'argument du gouvernement allemand tiré de l'existence d'une procédure permettant aux contribuables non-résidents de demander une attestation de l'administration fiscale mentionnant certains abattements que l'employeur doit prendre en compte. Les dispositions en question n'étaient pas contraignantes et il n'avait pas été établi que l'administration fiscale était tenue de remédier en toute hypothèse à la discrimination.

33.

La Cour a ajouté que l'exclusion des non-résidents du bénéfice des procédures annuelles signifiait que ceux qui s'étaient établis en Allemagne ou qui avaient été en chômage pendant une partie de l'année ne pouvaient pas se voir rembourser par leur employeur ou par l'administration fiscale un éventuel trop-perçu d'impôt. Se référant à l'arrêt Biehl, la Cour a souligné que l'existence d'une procédure d'équité permettant un nouveau calcul de l'impôt dû en vertu de la législation allemande ne suffisait pas à satisfaire aux exigences de l'article 48.

34.

Cet arrêt établit clairement qu'une discrimination sur le plan procédural peut être contraire à l'article 48. Il précise également que les procédures prévues doivent être contraignantes pour l'administration et permettre de remédier à tous les cas de discrimination sur le plan matériel. Toutefois, il faut encore rechercher — en partant de l'hypothèse que la pratique suivie en l'espèce par l'administration luxembourgeoise faisait l'objet de dispositions contraignantes conférant un droit spécifique à restitution — si l'application d'une procédure différente pour rembourser un éventuel trop-perçu d'impôt au contribuable qui s'établit au pays ou qui le quitte pendant l'année d'imposition serait discriminatoire ou trouverait une justification dans la situation différente d'un tel contribuable.

35.

Il semble clair tout d'abord que le Luxembourg ne pourrait pas appliquer à un tel contribuable la procédure simplifiée du décompte annuel. Cette procédure, qui comporte un calcul automatique par l'administration fiscale, l'employeur ou la caisse de pension de l'impôt dû par le contribuable, présuppose que ces organismes ou personnes disposent de données complètes relatives à l'emploi ou à la pension du contribuable pour l'année d'imposition, afin que l'impôt dû par le contribuable en vertu du système progressif de l'impôt sur le revenu puisse être calculé et comparé aux retenues opérées par l'employeur ou la caisse de pension. Alors que cela est possible lorsqu'un travailleur migrant réside au Luxembourg pendant toute l'année d'imposition pertinente, cela ne l'est pas si l'intéressé s'établit au pays ou le quitte en cours d'année.

36.

Certes, il semblerait possible, du moins en principe, d'exiger des contribuables qui s'établissent au pays ou qui le quittent qu'ils observent la procédure applicable aux personnes imposées par voie d'assiette, c'est-àdire qu'ils adressent une déclaration de revenus à l'administration fiscale à la fin de l'année d'imposition. Si la déclaration contenait le détail des revenus perçus au cours des périodes tant de résidence que de non-résidence, elle pourrait être utilisée pour déterminer si une restitution d'impôt était due.

37.

Il convient toutefois d'observer que de nombreux travailleurs migrants ne sont pas, en cas d'année de résidence complète, obligés de faire une déclaration de revenus annuelle, puisque leur charge d'impôt est régularisée dans le cadre de la procédure simplifiée du décompte annuel. La Commission n'a pas établi que, pour cette catégorie de contribuables, l'exigence de présenter une demande de restitution contenant le détail de leurs revenus étrangers constitue une charge plus lourde que celle résultant d'une obligation de remplir une déclaration de revenus annuelle pour l'année au cours de laquelle les intéressés se sont établis au pays ou l'ont quitté. La Commission n'a pas davantage allégué que l'application d'une procédure distincte avait donné lieu à des retards injustifiés dans la restitution du trop-perçu d'impôt.

38.

Pour ce qui est des gros contribuables qui sont de toute façon tenus de faire une déclaration de revenus dans le cadre du système d'imposition par voie d'assiette, nous ne voyons pas pourquoi ils devraient être obligés de présenter une demande distincte de restitution d'impôt. La déclaration de revenus pourrait, le cas échéant, être remaniée de manière à inclure les éléments nécessaires pour le calcul de la restitution.

39.

Nous en concluons qu'il n'a pas été établi que la méthode appliquée par le Luxembourg pour accorder des restitutions de trop-perçu d'impôt aux travailleurs qui quittent le pays ou s'y établissent constitue une restriction discriminatoire à la libre circulation des travailleurs. En outre, il semblerait que l'application d'une procédure distincte de remboursement d'impôt puisse trouver justification dans de nombreux cas. Ainsi qu'il a été exposé, il n'est pas cependant nécessaire que la Cour statue sur ce point.

Sur les dépens

40.

Le grand-duché de Luxembourg ayant succombé en l'essentiel de ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens conformément à l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure. Il convient également de relever que les dispositions et la pratique luxembourgeoises pertinentes en l'espèce ne sont devenues tout à fait claires qu'à la suite des explications fournies à l'audience par l'agent du gouvernement luxembourgeois.

Conclusion

41.

En conséquence, nous estimons que la Cour devrait:

1)

constater que, en maintenant des dispositions en vertu desquelles les retenues d'impôt trop-perçu sur les traitements ou salaires opérées à charge d'un salarié ressortissant d'un État membre ne peuvent pas être sujettes à restitution si l'intéressé a résidé au Luxembourg ou y a exercé une activité salariée pendant une partie de l'année seulement, le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48, paragraphe 2, du traité et de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté;

2)

condamner le grand-duché de Luxembourg aux dépens.


( *1 ) Langue originale: l'anglais.

( 1 ) JO L 257, p. 2.

( 2 ) Jean-Pierre Winandy, Les impôts sur le revenu et sur la fortune au Luxembourg, éditions Promoculture, p. 271.

( 3 ) Winandy, ibidem.

( 4 ) Arrêt du 8 mai 1990 (C-175/88, Rec. p. I-1779).

( 5 ) Points 11 et 12.

( 6 ) Arrêt du 14 février 1995 (C-279/93, Rec. p. I-225).

( 7 ) Voir, par exemple, les arrêts du 6 mai 1980, Commission/ Belgique (102/79, Rec. p. 1473), du 25 mai 1982, Commission/Pays-Bas (respectivement, 96/81 et 97/81, Rec. p. 1791 et p. 1819), et du 1er mars 1983, Commission/Italie (300/81, Rec. p. 449).

( 8 ) Voir, par exemple, les arrêts du 15 octobre 1986, Commission/Italie (168/85, Rec. p. 2945), et du 14 juillet 1988, Commission/Grèce (38/87, Rec. p. 4415).

( 9 ) Point 11. Voir également l'arrêt du 13 juillet 1988, Commission/France (169/87, Rec. p. 4093, spécialement au point 11).

( 10 ) Au point 13.

( 11 ) N° 6852 du Rôle, Michel Schaack et Denise Floener/Administration des contributions.

( 12 ) Arrêt du 11 octobre 1988, n° 7803 du Rôle, Jemp Bertrand/Administration des contributions.

( 13 ) Précité à la note 6.

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