Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61991CC0112

    Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 6 octobre 1992.
    Hans Werner contre Finanzamt Aachen-Innenstadt.
    Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Köln - Allemagne.
    Impôts - Résidence du contribuable.
    Affaire C-112/91.

    Recueil de jurisprudence 1993 I-00429

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1992:374

    61991C0112

    Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 6 octobre 1992. - Hans Werner contre Finanzamt Aachen-Innenstadt. - Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Köln - Allemagne. - Impôts - Résidence du contribuable. - Affaire C-112/91.

    Recueil de jurisprudence 1993 page I-00429
    édition spéciale suédoise page I-00007
    édition spéciale finnoise page I-00007


    Conclusions de l'avocat général


    ++++

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    1. L' imposition sur le revenu qui pèse, dans certaines circonstances, plus lourdement sur un non-résident que sur un résident peut-elle constituer une restriction à la liberté d' établissement prohibée par l' article 52 du traité? Telle est en substance l' interrogation du juge a quo.

    2. Les faits qui sont à l' origine du litige au principal sont les suivants: résidant aux Pays-Bas depuis 1961, M. Werner, de nationalité allemande, a travaillé comme salarié d' une association professionnelle de dentistes à Aix-la-Chapelle jusqu' en octobre 1981. Il s' est alors installé à son compte comme dentiste indépendant dans la même ville, tout en continuant à résider aux Pays-Bas. La convention germano-néerlandaise en vue d' éviter les doubles impositions le rend imposable sur les revenus de son activité professionnelle non salariée et sur le patrimoine servant à l' exercice de celle-ci au lieu de son établissement en Allemagne (1). M. Werner a donc déclaré au Finanzamt Aachen-Innenstadt les revenus provenant de son activité indépendante de dentiste. Il n' a pas perçu d' autres revenus, notamment aux Pays-Bas (2).

    3. Par application de la législation nationale, en l' occurrence l' article 1er, paragraphe 4, de la loi sur l' impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz) et l' article 2, paragraphe 1, sous 1), de la loi relative à l' impôt sur le patrimoine (Vermoegensteuergesetz), les personnes qui n' ont aucune résidence en République fédérale d' Allemagne et qui n' y séjournent pas habituellement sont "partiellement assujetties à l' impôt", à la différence des résidents qui sont "intégralement assujettis à l' impôt".

    4. La différence de traitement entre ces deux catégories de contribuables se manifeste sur plusieurs plans.

    5. Les personnes "intégralement assujetties à l' impôt" le sont sur l' universalité de leurs revenus, tandis que les personnes "partiellement assujetties" ne le sont que pour leurs revenus perçus en Allemagne.

    6. Le taux et le barème de l' impôt sont plus élevés pour ces dernières qui, en outre, ne peuvent bénéficier du barème préférentiel pour les couples mariés (ci-après "splitting-tarif"). De plus, la régularisation en fin d' année des retenues mensuelles leur est refusée. Enfin, certaines déductions ou abattements qui sont possibles pour les contribuables "intégralement assujettis" ne le sont pas pour les autres (3).

    7. Autrement dit, alors que la personne "intégralement assujettie" voit sa situation personnelle, subjective, prise en compte (c' est l' État de résidence qui connaît le mieux cette situation), l' imposition du contribuable "partiellement assujetti" est objective, comme en matière d' impôts indirects. Cela explique sans doute la clause d' équité qui permet, à titre exceptionnel, de limiter le montant de l' impôt des personnes partiellement assujetties.

    8. Le requérant au principal a demandé à être placé avec son conjoint sous le régime de l' assujettissement intégral à l' impôt pour pouvoir bénéficier du splitting-tarif. Cette demande a été rejetée, M. Werner n' étant pas résident en Allemagne. Une réclamation n' ayant pas abouti, l' intéressé a saisi le Finanzgericht Koeln.

    9. Cette juridiction vous demande en substance:

    1) si l' article 52 du traité CEE se borne à prévoir une obligation de traitement national des ressortissants communautaires ou s' il va jusqu' à interdire toute restriction - même non discriminatoire - à la liberté d' établissement;

    2) dans cette dernière hypothèse, s' il y a pareille restriction lorsqu' un contribuable, établi à titre indépendant dans un État membre où il perçoit la quasi-totalité de ses revenus imposables ou y possède la quasi-totalité de son patrimoine soumis à l' impôt, subit un désavantage fiscal du fait de sa résidence dans un autre État membre;

    3) si pareille condition, imposée en Allemagne à un ressortissant allemand, constitue une infraction aux dispositions de l' article 7 du traité.

    10. Tentons de cerner les questions qui vous sont ici posées.

    11. Il est constant 1) que le requérant au principal, résident aux Pays-Bas, est partiellement assujetti, 2) qu' il a perçu la totalité de ses revenus en Allemagne, 3) que le montant de l' impôt dont il est redevable est nettement supérieur à celui qu' il aurait dû acquitter s' il avait été résident en Allemagne, donc intégralement assujetti (4).

    12. L' intéressé est nettement défavorisé par rapport aux résidents parce qu' il est non-résident et parce qu' il perçoit la totalité de ses revenus en Allemagne. S' il en avait perçu dans son État de résidence, il y aurait été imposé compte tenu de sa situation personnelle et il n' est pas certain qu' il eût été, dans ce cas particulier, désavantagé fiscalement par rapport aux autres contribuables résidant en Allemagne et se trouvant dans une situation financière comparable.

    13. M. Werner est, rappelons-le, ressortissant allemand. Il n' est pas soutenu qu' il ait obtenu son diplôme de chirurgien-dentiste ailleurs qu' en Allemagne et il exerce dans cet État. Le seul élément d' extranéité concerne donc sa résidence aux Pays-Bas.

    14. Le droit d' établissement est envisagé par le chapitre 2 du titre III du traité sous deux aspects: l' accès aux activités non salariées d' une part, leur exercice d' autre part. Le libellé des articles 52, deuxième alinéa, et 57, paragraphe 1, ne laisse subsister aucune ambiguïté à cet égard, pas plus que votre jurisprudence. Ainsi relevez-vous que,

    " en vertu de l' article 52, alinéa 2, du traité CEE, la liberté d' établissement comporte l' accès aux activités non salariées et leur exercice dans les conditions définies par la législation du pays d' établissement pour ses propres ressortissants" (5);

    ou encore que

    " la liberté d' établissement prévue par cet article concerne non seulement l' accès aux activités non salariées, mais aussi leur exercice conçu au sens large" (6).

    15. Il est clair qu' en l' espèce le requérant au principal n' a pas subi de restrictions à l' accès à l' activité de chirurgien-dentiste. Ressortissant allemand, titulaire des diplômes et des qualifications requis par la législation allemande, il a pu librement s' établir en Allemagne sans souffrir d' une quelconque restriction et n' a pas acquis dans un autre État membre des droits protégés par le droit communautaire qu' il tenterait vainement de voir reconnus en Allemagne.

    16. Supposons d' ailleurs, un instant, qu' il se soit établi en Allemagne alors qu' il y avait sa résidence et qu' il n' ait déménagé aux Pays-Bas que par la suite. Aucun élément d' extranéité n' aurait justifié, quant à l' accès à cette profession, l' application de l' article 52 du traité.

    17. Mais c' est précisément dans l' exercice de son activité professionnelle que M. Werner prétend être victime, du fait de son statut de contribuable partiellement assujetti, d' une restriction à la liberté d' établissement.

    18. La "restriction à la liberté d' établissement" dont il est fait mention ici doit être clairement identifiée: le travailleur indépendant est soumis à une imposition moins favorable sur les revenus tirés de son activité professionnelle du fait de sa résidence dans un autre État membre.

    19. Avant de répondre aux questions posées par le juge a quo, une constatation s' impose: le requérant au principal n' a jamais fait usage du droit de libre circulation en vue de s' établir dans un autre État membre que celui dont il est ressortissant. Il s' est établi dans son propre État. Le libellé de la question n 2 posée par le juge a quo ne fait pas référence à ce point qui est, néanmoins, largement abordé dans les motifs de la décision (7). La situation de l' intéressé entre-t-elle dès lors dans le champ d' application du droit communautaire et, plus particulièrement, de l' article 52? N' est-on pas dans une situation purement interne échappant à ce droit?

    20. Vous avez déjà admis à plusieurs reprises que l' article 52 pouvait être invoqué par un travailleur indépendant ressortissant de l' État membre d' accueil dès lors qu' un élément d' extranéité suffisant justifiait l' application du droit communautaire, tels un diplôme ou une qualification professionnelle acquis dans un autre État membre (8).

    21. Ainsi dans l' affaire Knoors (9), un ressortissant néerlandais domicilié en Belgique y travaillait comme installateur-plombier en qualité de chef d' entreprise indépendant. Demandant à exercer cette profession aux Pays-Bas, il s' était vu opposer un refus par les autorités néerlandaises au motif qu' il n' avait pas les qualifications requises par la législation de ce pays. Vous étiez interrogés sur le point de savoir si la directive 64/427/CEE du Conseil, du 7 juillet 1964, concernant la réalisation de la liberté d' établissement et de la libre prestation des services pour les activités non salariées de transformation relevant des classes 23-40 CITI (industrie et artisanat) (10) s' appliquait aux personnes possédant la nationalité de l' État membre d' accueil. Vous avez jugé que

    " ... ces libertés, fondamentales dans le système de la Communauté ((libre circulation des personnes, liberté d' établissement et libre prestation des services, garanties par les articles 3, lettre c), 48, 52 et 59 du traité)) ne seraient pas pleinement réalisées si les États membres pouvaient refuser le bénéfice des dispositions du droit communautaire à ceux de leurs ressortissants qui ont fait usage des facilités existant en matière de circulation et d' établissement et qui ont acquis, à la faveur de celles-ci, les qualifications professionnelles visées par la directive dans un pays membre autre que celui dont ils possèdent la nationalité;

    ... s' il est vrai que les dispositions du traité en matière d' établissement et de prestations de services ne sauraient être appliquées à des situations purement internes à un État membre, il n' en reste pas moins que la référence, par l' article 52, aux 'ressortissants d' un État membre' désireux de s' établir 'dans le territoire d' un autre État membre' , ne saurait être interprétée de manière à exclure du bénéfice du droit communautaire les propres ressortissants d' un État membre déterminé, lorsque ceux-ci, par le fait d' avoir résidé régulièrement sur le territoire d' un autre État membre et d' y avoir acquis une qualification professionnelle reconnue par les dispositions du droit communautaire, se trouvent, à l' égard de leur État d' origine, dans une situation assimilable à celle de tous autres sujets bénéficiant des droits et libertés garantis par le traité" (11).

    22. Vous en avez déduit que les dispositions de la directive pouvaient être invoquées par les ressortissants de tous les États membres se trouvant dans les conditions d' application de ce texte, et cela même à l' égard de l' État dont ils sont les nationaux.

    23. Ainsi, dans l' affaire Broekmeulen (12), le requérant au principal - ressortissant néerlandais titulaire du diplôme de médecin belge et sollicitant le droit de s' installer aux Pays-Bas - se trouvait dans la même situation qu' un ressortissant belge titulaire du même diplôme et sollicitant le même droit, et vous avez admis qu' il pouvait se prévaloir des dispositions de la directive du Conseil du 16 juin 1975 visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres de médecin et comportant des mesures destinées à faciliter l' exercice effectif du droit d' établissement et de libre prestation de services (13).

    24. Or, précisément, le ressortissant d' un État membre qui y exerce une activité professionnelle indépendante muni d' une qualification professionnelle qu' il y a acquise, n' est pas dans une situation assimilable à celle d' un ressortissant communautaire, quelle que soit sa nationalité, qui fera valoir une qualification professionnelle acquise dans un autre État membre. Comme le relève à juste titre le gouvernement du Royaume-Uni, la situation du requérant au principal n' est pas comparable à celle d' un ressortissant néerlandais vivant aux Pays-Bas qui souhaite entreprendre une activité indépendante en Allemagne et qui s' appuierait sur des qualifications néerlandaises (14).

    25. Dans ses conclusions sur l' affaire Middleburgh, l' avocat général M. Mischo relevait que

    " Dans les affaires Knoors, Broekmeulen et Bouchoucha, en tout cas, vous avez subordonné l' assimilation d' un ressortissant national à tout autre sujet bénéficiant des droits et libertés garantis par le traité non seulement à la condition que celui-ci ait résidé sur le territoire d' un autre État membre, mais également qu' il y ait acquis des droits reconnus par des dispositions du droit communautaire: pour les personnes en cause il s' agissait de faire valoir dans leur pays d' origine les droits ainsi acquis dans un autre État membre à la faveur de l' exercice de leur droit à la libre circulation" (15).

    26. Au-delà de l' acquisition d' une qualification professionnelle, les droits acquis dans un autre État membre peuvent donc résulter, par exemple, de l' exercice d' une activité professionnelle, que ce soit comme salarié ou comme travailleur indépendant.

    27. Ainsi, vous admettez qu' un ressortissant communautaire puisse faire valoir l' article 52 contre son État d' origine lorsque, après avoir exercé une activité salariée sur le territoire d' un autre État membre, il revient s' établir pour exercer une activité non salariée sur le territoire du premier État.

    28. Dans l' affaire Singh (16), il s' agissait de savoir si le droit communautaire confère un droit de séjour au ressortissant d' un pays tiers qui est le conjoint d' une ressortissante de la Communauté lorsque cette dernière retourne dans son propre pays pour y exercer une profession indépendante après avoir travaillé en qualité de salariée dans un autre État membre. Vous avez considéré que l' intéressée tire des dispositions de l' article 52 du traité le droit d' être accompagnée sur le territoire de son État d' origine par son conjoint, ressortissant d' un pays tiers, "dans les mêmes conditions" que celles prévues par la réglementation communautaire (17). Après avoir circulé dans la Communauté, le ressortissant d' un État membre doit, lorsqu' il y retourne, bénéficier de facilités d' entrée et de séjour au moins équivalentes à celles dont il peut disposer, en vertu du traité, sur le territoire d' un autre État membre (18).

    29. Le seul élément d' extranéité concernant donc ici, comme nous l' avons dit, la résidence, le requérant au principal a-t-il, à ce titre, acquis des droits reconnus par le droit communautaire?

    30. Jusqu' aux directives du Conseil du 28 juin 1990 relatives au droit de séjour (19) qui tendent à la généralisation de ce droit, la libre circulation des personnes au sein de la Communauté est déterminée - et délimitée - par le caractère économique du traité. Il en résulte que la liberté de se déplacer reconnue aux ressortissants communautaires suppose un déplacement en vue d' une activité économique.

    31. Vous l' avez rappelé récemment dans l' arrêt Singh:

    " ... l' ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l' exercice d' activités professionnelles de toute nature sur l' ensemble du territoire de la Communauté et s' opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu' ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d' un autre État membre.

    A cette fin, les ressortissants des États membres disposent, en particulier, du droit qu' ils tirent directement des articles 48 et 52 du traité, d' entrer et de séjourner sur le territoire des autres États membres en vue d' y exercer une activité économique au sens de ces dispositions..." (20).

    32. Mais qu' en est-il du ressortissant communautaire qui n' a jamais fait usage de la liberté de circulation inscrite aux articles 48 et 52 du traité en vue de travailler ou en vue de s' établir dans un autre État membre que celui dont il est ressortissant? En ce cas, l' intéressé n' a pas exercé d' activité professionnelle, que ce soit comme salarié ou à titre indépendant, dans l' État membre où il réside.

    33. S' il ne peut se prévaloir de droits tirés des articles 48 ou 52 du traité acquis dans un autre État membre, le professionnel indépendant qui s' est établi dans son État d' origine et qui réside dans un second État membre peut-il invoquer des droits acquis dans ce dernier État au titre de l' article 59 du traité?

    34. Cette question mérite un examen détaillé dans la mesure où votre Cour a adopté, en matière de libre prestation de services, une définition extensive du concept de restriction à cette liberté, ce que la Commission n' a d' ailleurs pas manqué de relever (21).

    35. La résidence du requérant au principal aux Pays-Bas n' est pas liée à une activité de prestataire de services: il n' apparaît pas, par exemple, qu' il ait choisi cette résidence pour faire de la prospection de clientèle aux Pays-Bas.

    36. Certes, vous avez admis que les touristes, les bénéficiaires de soins médicaux et ceux qui effectuent des voyages d' études ou d' affaires qui se rendent dans un autre État membre peuvent se prévaloir de l' article 59 en tant que destinataires de services. Ils doivent donc pouvoir bénéficier de ceux-ci sans être touchés par des restrictions telles que celles résultant d' une réglementation limitant les exportations de devises étrangères (22).

    37. Dans l' arrêt du 2 février 1989, Cowan (23), réaffirmant le principe posé par l' arrêt Luisi et Carbone, vous indiquiez que

    "la liberté de prestation de services inclut la liberté des destinataires de services de se rendre dans un autre État membre pour y bénéficier d' un service, sans être gênés par des restrictions, et ... notamment les touristes doivent être considérés comme des destinataires de services" (24).

    38. Nous ne pensons pas qu' à la situation d' un touriste qui se rend dans un État membre puisse être assimilée celle du ressortissant communautaire qui y réside. Si le premier relève du champ d' application de l' article 59 en tant que destinataire de prestations de services, le second y est étranger (25).

    39. En effet, selon les termes mêmes de cet article, "les restrictions à la libre prestation de services à l' intérieur de la Communauté sont ... supprimées ... à l' égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation" (26).

    40. Dès lors que le destinataire des prestations a sa résidence principale dans l' État du prestataire, celles-ci n' ont plus de caractère transfrontalier.

    41. Les directives communautaires réglementant le droit de déplacement et de séjour qui visent expressément le destinataire de services en tant que détenteur de droits, le font bénéficier d' un droit de séjour correspondant à la durée de la prestation (27). Que l' on en soit prestataire ou destinataire, la prestation de services est, par nature, une activité, limitée dans le temps, qui ne peut faire naître qu' un droit de séjour ou une protection d' une durée équivalente. Elle s' accorde donc mal avec le statut de résident principal et la durée indéterminée de séjour qui en est le corollaire.

    42. C' est ce que vous avez expressément jugé dans l' affaire Steymann (28). Ressortissant allemand installé aux Pays-Bas, l' intéressé avait, dans cet État, d' abord travaillé comme salarié, puis adhéré à une communauté religieuse. Sa demande de permis de séjour ayant été refusée au motif qu' il ne travaillait pas, M. Steymann avait formé un recours en soutenant qu' il pouvait bénéficier de l' article 59 puisqu' en tant que membre de cette communauté il était destinataire et prestataire de services de la part et au profit de celle-ci. Vous avez jugé que

    " Les deuxième et troisième questions soulèvent le point de savoir, en substance, si les articles 59 et 60 du traité visent la situation d' un ressortissant d' un État membre qui se rend sur le territoire d' un autre État membre et y établit sa résidence principale, en vue d' y fournir ou de bénéficier de prestations de services pendant une durée indéterminée.

    A cet égard, le gouvernement néerlandais et la Commission ont observé, à juste titre, que les articles 59 et 60 du traité ne sont pas d' application dans un tel cas. En effet, il ressort du libellé même de l' article 60 qu' une activité exercée à titre permanent ou, en tout cas, sans limitation prévisible de durée ne saurait relever des dispositions communautaires relatives aux prestations de services. En revanche, de telles activités peuvent tomber dans le champ d' application, suivant les cas, des articles 48 à 51 et 52 à 58 du traité.

    Il y a donc lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que les articles 59 et 60 du traité ne visent pas la situation d' un ressortissant d' un État membre qui se rend sur le territoire d' un autre État membre et y établit sa résidence principale, en vue d' y fournir ou de bénéficier de prestations de services pendant une durée indéterminée" (29).

    43. De la même façon, le ressortissant communautaire placé dans la situation du requérant au principal ne peut faire valoir des droits acquis en tant que destinataire ou prestataire de services dans l' État où il a établi sa résidence principale qui lui permettraient d' entrer de ce chef dans le champ d' application du traité.

    44. Dès lors qu' il n' a pas fait usage des libertés inscrites aux articles 48, 52 et 59 du traité, il ne peut faire valoir dans son pays d' origine, où il est établi, des droits reconnus par le droit communautaire.

    45. On le voit, le requérant au principal a exercé sa liberté de circulation uniquement en vue de résider aux Pays-Bas indépendamment de toute activité économique. On comprend, dès lors, que l' article 8 de la directive du Conseil du 15 octobre 1968 (30) qui régit le droit de séjour des travailleurs frontaliers ne règle pas la situation de ceux qui sont occupés dans leur propre pays, tout en résidant dans un autre État membre (31).

    46. Il en résulte que, faute d' un élément d' extranéité pertinent tiré de l' application des articles 48, 52 ou 59, la situation d' un professionnel indépendant installé dans l' État dont il est ressortissant, titulaire des qualifications requises délivrées par cet État et qui n' a jamais exercé d' activité professionnelle ailleurs que dans celui-ci ne rentre pas dans le champ d' application de l' article 52 lorsqu' il réside à titre principal dans un autre État membre.

    47. Au moment de conclure, une ultime remarque nous paraît s' imposer.

    48. A supposer même que nous soyons dans le champ d' application du droit communautaire, un contribuable non résident ne pourrait invoquer l' application de l' article 52 qu' à la condition de démontrer l' existence d' une restriction à la liberté d' établissement. Il apparaît peu probable que cette preuve puisse être rapportée dans une situation telle que celle du cas d' espèce.

    49. La réglementation fiscale allemande ne dissuade pas de s' établir en Allemagne. Elle peut dissuader, lorsque l' on est établi dans cet État, d' aller résider dans un autre État membre: nous ne voyons pas, là, de restriction à la liberté d' établissement.

    50. La dernière question porte sur l' article 7 du traité.

    51. Nous savons que cette disposition prohibe dans le champ d' application du traité les discriminations fondées sur la nationalité, ostensibles ou déguisées (32).

    52. Par application du principe "specialia generalibus derogant", cet article n' a "vocation à s' appliquer de façon autonome que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination" (33)1.

    53. Il n' est pas soutenu en l' occurrence que, si la réglementation fiscale allemande devait constituer une discrimination déguisée, elle affecterait d' autres droits que la liberté d' établissement régie par l' article 52.

    54. Il s' ensuit que les dispositions de l' article 7 ne sauraient davantage trouver ici application.

    55. En conséquence, nous concluons à ce que vous disiez pour droit:

    "Ni l' article 52 ni l' article 7 du traité CEE ne s' appliquent à une situation purement interne à un État membre, telle que celle d' un ressortissant de cet État qui, y étant établi après y avoir acquis les qualifications professionnelles requises, n' a jamais fait usage de la liberté de circulation en vue de s' établir dans un autre État membre."

    (*) Langue originale: le français.

    (1) Articles 9, paragraphe 1, et 19, paragraphe 1, sous d), de la convention du 16 juin 1959 entre la République fédérale d' Allemagne et le royaume des Pays-Bas en vue d' éviter la double imposition dans le domaine des impôts sur le revenu et sur le patrimoine, ainsi que dans celui de divers autres impôts, et à régler d' autres questions d' ordre fiscal (Bundesgesetzblatt, 1960, partie II, n 30, p. 1781).

    (2) Voir décision du juge a quo, p. 5 de la traduction française.

    (3) Voir les exemples donnés en annexe des observations de la Commission et p. 2 de la réponse du Finanzamt Aachen-Innenstadt à la question de la Cour.

    (4) Voir réponse du Finanzamt à la question de la Cour, p. 3.

    (5) Arrêt du 12 février 1987, Commission/Belgique (221/85, Rec. p. 719, point 9).

    (6) Arrêt du 18 juin 1985, Steinhauser/Ville de Biarritz (197/84, Rec. p. 1819, point 16), souligné par nous.

    (7) Dernier paragraphe, p. 13 de la traduction française.

    (8) Arrêts du 7 février 1979, Knoors (115/78, Rec. p. 399); du 7 février 1979, Auer (136/78, Rec. p. 437) (vétérinaires); du 6 octobre 1981, Broekmeulen (246/80, Rec. p. 2311, point 20) (médecins); du 22 septembre 1983, Auer (271/82, Rec. p. 2727) (vétérinaires); du 28 janvier 1986, Commission/France (270/83, Rec. p. 273); du 27 septembre 1989, van de Bijl (130/88, Rec. p. 3039) (peintre en bâtiment); du 3 octobre 1990, Bouchoucha (C-61/89, Rec. p. I-3551) (ostéopathie); en dernier lieu, du 7 juillet 1992, Singh (C-370/90, Rec. p. 4265).

    (9) Voir références, ci-dessus note 8.

    (10) Directive relative aux modalités des mesures transitoires dans le domaine des activités non salariées de transformation relevant des classes 23-40-CITI (industrie et artisanat) (JO 1964, p. 1863).

    (11) Points 20 et 24.

    (12) Voir références, ci-dessus note 8.

    (13) Directive 75/362/CEE (JO L 167, p. 1).

    (14) Voir observations du gouvernement du Royaume-Uni, p. 7 de la traduction française.

    (15) Arrêt du 4 octobre 1991 (C-15/90, Rec. p. I-4655), point 45 des conclusions, souligné par nous; voir également point 5 des conclusions de l' avocat général M. Tesauro dans l' affaire Singh précitée note 8.

    (16) Voir références, ci-dessus note 8.

    (17) Voir point 21.

    (18) Voir point 19.

    (19) Directives prises en application de l' article 8 A du traité: directive 90/364/CEE relative au droit de séjour, directive 90/365/CEE relative au droit de séjour des travailleurs salariés et non salariés ayant cessé leur activité professionnelle et directive 90/366/CEE relative au droit de séjour des étudiants (JO L 180, respectivement p. 26, 28 et 30), inapplicables ratione temporis au présent litige. La dernière a été annulée par l' arrêt de la Cour du 7 juillet 1992, Parlement/Conseil (C-295/90, Rec. p. I-4193).

    (20) Arrêt précité, points 16 et 17, souligné par nous.

    (21) Observations de la Commission, point 5.7.

    (22) Arrêt du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone (286/82 et 26/83, Rec. p. 377).

    (23) Arrêt 186/87, Rec. p. 195.

    (24) Point 15, souligné par nous.

    (25) Sous réserve des cas particuliers, étrangers à notre affaire, où le prestataire et le destinataire du service sont originaires du même État membre et le service est accompli dans un second État membre. Voir arrêts du 26 février 1991, Commission/Italie (C-180/89, Rec. p. I-709), Commission/France (C-154/89, Rec. p. I-659), Commission/Grèce (C-198/89, Rec. p. I-727).

    (26) Souligné par nous.

    (27) Voir le deuxième considérant et l' article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 73/148/CEE du Conseil, du 21 mai 1973, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des ressortissants des États membres à l' intérieur de la Communauté en matière d' établissement et de prestation de services (JO L 172, p. 14).

    (28) Arrêt du 5 octobre 1988 (196/87, Rec. p. 6159).

    (29) Points 15 à 17, souligné par nous.

    (30) Directive 68/360/CEE relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l' intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 13).

    (31) Van Nuffel, P.: "L' Europe des citoyens: vers un droit de séjour généralisé", Revue du marché unique européen, 4-1991, p. 89, note 48.

    (32) Arrêt du 12 février 1974, Sotgiu (152/73, Rec. p. 153).

    (33) Arrêt du 30 mai 1989, Commission/Grèce (305/87, Rec. p. 1461); voir également arrêt du 23 avril 1991, Hoefner et Elser/Macroton (C-41/90, Rec. p. I-1979, point 36).

    Top