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Document 61989TJ0036

Arrêt du Tribunal de première instance (quatrième chambre) du 25 septembre 1991.
Henricus Nijman contre Commission des Communautés européennes.
Fonctionnaires - Responsabilité de la Commission - Faute de service - Non-communication de maladie lors de la visite médicale.
Affaire T-36/89.

Recueil de jurisprudence 1991 II-00699

ECLI identifier: ECLI:EU:T:1991:48

61989A0036

Arrêt du Tribunal de première instance (quatrième chambre) du 25 septembre 1991. - Henricus Nijman contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Responsabilité de la Commission - Faute de service - Non-communication de maladie lors de la visite médicale. - Affaire T-36/89.

Recueil de jurisprudence 1991 page II-00699


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

Fonctionnaires - Responsabilité non contractuelle des institutions - Manquement à l' obligation, pour le service médical, d' informer les fonctionnaires sur leur état de santé - Faute de service

Sommaire


Il incombe aux services médicaux des institutions communautaires, dont les tâches consistent notamment à fournir au personnel des institutions une assistance médicale propre à assurer, dans la mesure compatible avec les données de la science, tant le dépistage précoce de toute maladie que l' identification des facteurs de risques susceptibles d' en entraîner l' apparition, de prévenir les intéressés de l' existence de toute maladie révélée par le dossier médical et de les mettre en garde contre les comportements dangereux pour leur santé, ce qui suppose que toutes les données et indications pertinentes à cet effet leur soient communiquées .

Le fait de ne pas avoir informé en temps utile un fonctionnaire de son état de santé constitue une violation des devoirs incombant aux services médicaux et une faute de service de nature à engager la responsabilité de l' institution défenderesse .

Parties


Dans l' affaire T-36/89,

Henricus Nijman, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Ispra ( Italie ), représenté par Me Giuseppe Marchesini, avocat près la Cour de cassation d' Italie, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Me Ernest Arendt, 4, avenue Marie-Thérèse,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M . Sergio Fabro, puis par MM . Lucio Gussetti et Sean van Raepenbusch, membres du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M . Guido Berardis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet la réparation du dommage prétendument subi par le requérant du fait que le service médical de la Commission ne l' a pas informé en temps utile de la maladie révélée par son dossier médical,

LE TRIBUNAL ( quatrième chambre ),

composé de MM . R . Schintgen, président, D . A . O . Edward et R . García-Valdecasas, juges,

greffier : M . H . Jung

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 23 avril 1991,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


Les faits à l' origine du recours

1 Le requérant, M . Nijman, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, est affecté depuis de nombreuses années au Centre commun de recherche d' Ispra ( ci-après "CCR "). Durant ses années de service, il s' est régulièrement soumis à la visite médicale annuelle prévue par l' article 59, paragraphe 4, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes ( ci-après "statut "), auprès du service médical du CCR .

2 En janvier 1985, le nouveau médecin du CCR - successeur du médecin consulté au cours des années 1973 à 1983, mis à la retraite - a averti le requérant de l' existence d' un emphysème pulmonaire ayant atteint un stade avancé .

3 Après un échange de correspondance avec l' administration et la consultation de son dossier médical par son médecin de confiance, le requérant a, le 9 juin 1987, saisi l' autorité investie du pouvoir de nomination ( ci-après "AIPN ") d' une demande de décision au titre de l' article 90, paragraphe 1, du statut . Il demandait réparation du préjudice qu' il estimait avoir subi du fait d' une aggravation de son état de santé, due à une absence d' information de la part du service médical qui l' aurait empêché de prendre, en temps utile, les mesures préventives opportunes . Il faisait valoir que des radiographies effectuées dans le cadre de la visite annuelle, en 1973 et 1974, avaient déjà révélé l' existence d' un emphysème pulmonaire en voie de développement et qu' un examen spirométrique pratiqué en 1976 avait fait apparaître une atteinte des fonctions respiratoires, dont l' aggravation avait été confirmée lors d' examens analogues pratiqués au cours des années 1978, 1981 et 1983 . Le requérant soulignait que le médecin de l' institution, bien que connaissant les résultats mis en évidence par ces différents examens, ne l' avait pas informé de son état de santé et avait omis, pendant une décennie, de lui conseiller les mesures thérapeutiques qui auraient été appropriées .

4 Sa demande étant restée sans réponse, le requérant a introduit, le 1er décembre 1987, une réclamation administrative au titre de l' article 90, paragraphe 2, du statut .

5 Le 26 avril 1988, le directeur général du personnel et de l' administration a adressé au requérant une lettre l' informant que "l' AIPN ( estimait ) ne pas disposer de tous les éléments d' information nécessaires pour statuer sur ( sa ) réclamation ". Il proposait la constitution d' une commission médicale ad hoc ayant pour mission de "donner à l' AIPN un avis sur la question de savoir si l' absence d' information sur son état de santé avait été susceptible de causer un préjudice à M . Nijman, notamment en ce qu' il n' aurait pu, le cas échéant, prendre des mesures préventives afin de ne pas aggraver son état de santé ". Le requérant ne s' est pas opposé à cette initiative, tout en précisant qu' il déposerait une requête à titre conservatoire devant la Cour de justice afin d' éviter toute exception d' irrecevabilité .

6 La commission médicale, composée de trois médecins, le premier désigné par l' institution, le deuxième par le requérant et le troisième d' un commun accord par ces deux médecins, a été saisie de la question dans les termes formulés dans la lettre précitée du 26 avril 1988 . La commission, après avoir délibéré le 28 octobre 1988, a émis un avis négatif sur la question posée et a proposé de rejeter la réclamation, sans motiver son avis . Le médecin proposé par le requérant, le professeur Ghiringhelli, directeur du service autonome de physiopathologie respiratoire de l' Ospedale Fatebenefratelli de Milan, ayant manifesté son désaccord, cet avis a été adopté à la majorité .

7 Par note du 16 novembre 1988, la Commission a rejeté explicitement la réclamation .

8 Par lettre du 21 novembre 1988, le professeur Ghiringhelli a confirmé au requérant qu' il avait manifesté son désaccord lors de la signature de l' avis négatif rendu par la commission médicale et que la question dont ladite commission avait été saisie - telle qu' elle avait été formulée et devait être comprise - ne pouvait appeler de la part d' un médecin qu' une réponse catégoriquement affirmative .

La procédure

9 C' est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe de la Cour le 24 juin 1988, M . Nijman a introduit le présent recours, qui a été enregistré sous le numéro 172/88 .

10 En vertu de l' article 14 de la décision du Conseil du 24 octobre 1988, instituant un tribunal de première instance des Communautés européennes, la Cour, par ordonnance du 15 novembre 1989, a renvoyé l' affaire devant le Tribunal, où elle a été enregistrée sous le numéro T-36/89 .

11 Ayant noté l' accord de principe exprimé en cours d' instance par les parties sur le recours à une expertise judiciaire, le Tribunal les a invitées, par lettre du 2 février 1990, à faire connaître leurs propositions éventuelles quant à la formulation des questions qui pourraient être soumises à un expert et à la personne qui pourrait assumer la charge de l' expertise . Les parties se sont mises d' accord sur le nom d' une des personnalités proposées par la Commission, le professeur Scotti, du laboratoire de physiothérapie respiratoire de la clinique du travail de l' université du Milan, et pour lui soumettre la même question que celle qui avait été posée en son temps à la commission médicale ad hoc .

12 Par ordonnance du 28 mars 1990, le Tribunal a ordonné une expertise sur la question de savoir "si le fait de ne pas avoir informé le requérant de son état de santé était susceptible de lui avoir causé un préjudice, et, en particulier, sur la circonstance que ce dernier n' avait pu, en l' espèce, prendre des mesures préventives pour ne pas aggraver son état de santé ". En même temps, le Tribunal a désigné comme expert le professeur Scotti .

13 L' expert a déposé son rapport le 30 octobre 1990 . Dans celui-ci, après avoir établi, sur la base du dossier médical qui lui a été soumis, la succession chronologique des manifestations pathologiques dont M . Nijman a souffert entre 1961 et 1990, il constate que :

"De 1961 à 1972, le dossier médical fait état de nombreux épisodes de crises de rhinosinusite chronique; il indique en outre des épisodes répétés de bronchite aiguë, souvent accompagnés de fièvre;

... M . Nijman semble avoir été un gros fumeur ( 20 à 25 cigarettes par jour ) ... En 1971, un examen radiophotographique effectué au titre des examens périodiques a mis en évidence ... la présence de traces de bronchite à la base des poumons et les examens radiographiques ultérieurs, annuellement effectués jusqu' à 1977, confirment ce résultat en le déclarant inchangé ."

Sur la base de ces constatations, l' expert considère que :

"Il y a donc lieu de penser qu' en 1971, un processus de bronchite chronique s' était déjà installé ."

Poursuivant l' examen du dossier médical du requérant, l' expert relève que :

"Les examens spirométriques effectués dans le cadre des visites périodiques de médecine préventive à partir de 1976 avaient déjà révélé, cette année-là, une atteinte de la fonction ventilatoire de type obstructif qui était encore modérée mais qui, lors du contrôle suivant effectué en 1978, a présenté une aggravation sensible confirmée en 1981 ."

Pour l' expert, ces éléments démontrent

"l' existence d' une broncho-pneumopathie chronique obstructive ".

Toujours sur la base du dossier médical, l' expert relève encore que :

"Un rapport d' examen radiographique du 16 janvier 1980 mentionne ... un signe indubitable d' installation d' un emphysème pulmonaire, complication du syndrome de bronchite obstructive ."

En dépit de cela, l' expert observe que :

"Le premier diagnostic d' 'emphysème pulmonaire' clairement exprimé n' apparaît que dans le rapport de la visite périodique du 27 avril 1983 et il est repris dans les rapports ultérieurs avec l' indication 'déficit spirométrique' ."

En dernier lieu, l' expert précise que :

"Les examens fonctionnels effectués en 1983 et en 1985 ont montré une poursuite de l' aggravation de la ventilation pulmonaire avec une réduction d' environ 50 % de la perviété des bronches ."

14 Quant aux devoirs du service médical, l' expert soutient que :

"Le médecin assurant les visites aurait eu le devoir d' informer le patient ... du processus de bronchite chronique qui ... à cette époque, était précisément en phase d' évolution vers la complication emphysémateuse et aussi de l' informer des risques d' aggravation de ce tableau d' une pathologie résultant de mauvaises habitudes de vie ainsi que des mesures prophylactiques appropriées ... A lui seul, l' arrêt du tabac ... aurait pu induire, sinon une amélioration, tout au moins un arrêt de l' évolution du processus de broncho-pneumopathie obstructive ."

15 En conclusion, l' expert affirme que :

"1 ) Le service de médecine du travail, compte tenu de la mission de prévention qui était la sienne, aurait dû informer M . Nijman des conditions de santé que les examens radiologiques et fonctionnels pratiqués faisaient apparaître en ce qui concerne l' appareil respiratoire;

2 ) Il a résulté de l' absence de ces informations que M . Nijman n' a pas pu prendre en temps utile les mesures ( arrêt du tabac, prévention et thérapie précoce des épisodes de bronchite aiguë ) qui auraient au moins pu permettre de retarder l' évolution de la pathologie qui ressort des documents ."

16 La Commission a déposé ses observations sur le rapport d' expertise le 5 décembre 1990 . Dans ces observations, elle a fait valoir de nouveaux arguments ayant trait au fond du litige .

17 Pour sa part, le requérant a fait savoir, le 10 décembre 1990, qu' il n' avait pas d' observations à formuler au sujet du rapport d' expertise .

18 A la suite des observations de la Commission, le Tribunal a invité le requérant, au regard de l' article 42 du règlement de procédure de la Cour, applicable mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal, à répondre au mémoire d' observations de la partie défenderesse concernant l' expertise du professeur Scotti .

19 Le requérant a déposé ses observations le 7 février 1991 .

20 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal ( quatrième chambre ) a décidé d' ouvrir la procédure orale .

21 La procédure orale s' est déroulée le 23 avril 1991 . Les représentants des parties ont été entendus en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal .

22 A l' audience, le requérant a déposé un document dans lequel il évalue à 8 734 792 BFR le montant du préjudice qu' il estime avoir subi . La défenderesse a déposé un document, tiré du dossier médical du requérant, reproduisant un questionnaire rempli lors de différents examens médicaux effectués de 1981 à 1984 et ayant trait notamment à sa consommation de tabac .

23 Le requérant a conclu à ce qu' il plaise au Tribunal :

- annuler le refus, opposé par la défenderesse, de réparer le dommage résultant du fait que le service médical de la Commission ne l' a pas informé de son état de santé;

- déclarer que la Commission est tenue de réparer ce dommage, en vertu de l' article 188 du traité CEEA et de l' obligation d' assistance qui lui incombe à l' égard de ses fonctionnaires, à concurrence de la somme de 8 734 792 BFR;

- condamner la défenderesse aux dépens .

24 La Commission a conclu à ce qu' il plaise au Tribunal de rejeter le recours et s' en est remise à la sagesse du Tribunal en ce qui regarde les dépens .

25 La défenderesse a aussi été invitée par le Tribunal, au cours de la procédure orale, à déposer les pièces figurant au dossier médical du requérant susceptibles d' établir si le requérant a été soumis à des examens radiologiques effectués par d' autres médecins . Par lettre du 6 mai 1991, la Commission a répondu qu' au cours de la période 1960-1985, le service médical du CCR n' a enregistré que trois certificats - établis respectivement les 15 janvier 1963, 18 décembre 1964 et 6 juin 1969 - indiquant un diagnostic lié aux problèmes de santé sur lesquels porte le présent litige et attestant, chacun, une incapacité de travail d' une durée de dix jours .

Sur la recevabilité

Sur la recevabilité de l' offre de preuve formulée par la Commission dans ses observations sur le rapport d' expertise

26 Dans ses observations sur le rapport d' expertise, la Commission a fait valoir qu' elle a recueilli le témoignage du médecin du CCR qui a suivi M . Nijman à l' époque des faits en cause . Celui-ci aurait déclaré qu' au cours des examens médicaux - qui auraient été pratiqués chaque année d' une façon qui ne saurait être qualifiée de hâtive - le requérant aurait été informé de son état de santé et qu' il lui aurait été conseillé de cesser de fumer .

27 Dans ses observations en réponse, le requérant s' est prévalu de l' irrecevabilité du moyen de preuve que la défenderesse, selon lui, tente subrepticement d' introduire à ce stade de la procédure . Il soutient que, si la Commission avait recueilli le témoignage en sa faveur du médecin de l' institution, elle aurait dû l' introduire en temps utile . Au surplus, selon le requérant, un témoignage indirect ne saurait être admis au regard de l' article 42 du règlement de procédure de la Cour, lequel interdit la production en cours d' instance de moyens nouveaux qui ne se fondent pas sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure écrite . Enfin, le requérant affirme qu' il est absolument faux de prétendre qu' au cours des examens médicaux pratiqués chaque année par le médecin du CCR, il a été mis au courant de son état de santé .

28 Il y a lieu de relever que, selon les articles 38, paragraphe 1, sous e ), et 40, paragraphe 1, sous d ), du règlement de procédure de la Cour, les parties peuvent faire leurs offres de preuve, respectivement, dans la requête et dans le mémoire en défense . Selon l' article 42, paragraphe 1, elles peuvent encore faire des offres de preuve dans la réplique et dans la duplique bien que, dans ces derniers cas, elles doivent motiver le retard apporté à la présentation de leurs offres de preuve . En l' espèce, l' institution défenderesse n' a fait état du témoignage de son médecin-conseil qu' à un stade plus avancé encore de la procédure et, en outre, n' a justifié d' aucune manière le retard de cette présentation . Au surplus, pendant toute la phase précontentieuse et contentieuse, la Commission n' avait jusqu' alors aucunement contesté que le requérant n' avait pas été informé avant 1985 de son état de santé par le service médical du CCR .

29 En conséquence, l' offre de preuve faite par la Commission dans ses observations sur le rapport d' expertise doit être considérée comme tardive et, partant, rejetée comme irrecevable .

Sur la recevabilité de l' exception d' invalidité partielle du rapport d' expertise soulevée par la Commission

30 Lors de l' audience, la défenderesse a soulevé une exception d' invalidité partielle à l' égard du rapport d' expertise, en ce que la première conclusion de celui-ci s' écarterait de la question qui lui a été expressément posée par le Tribunal . Elle soutient que l' expert s' est arrogé le droit de tirer des conclusions que seul le Tribunal peut tirer .

31 A cet égard, il convient d' abord de souligner que la Commission n' ayant pas soulevé cette exception dans ses observations écrites sur le rapport d' expertise, celle-ci doit être considérée comme tardive . Au surplus, le Tribunal estime, d' une part, que toutes les considérations développées dans le rapport constituent une motivation nécessaire et suffisante des conclusions auxquelles l' expert est parvenu et, d' autre part, que lesdites conclusions entrent dans le champ de la question qui a été posée à l' expert .

32 Il découle de ce qui précède que cette exception doit être rejetée .

Sur le fond

33 Le requérant fait valoir en substance que le silence observé par le service médical pendant plus de dix ans quant à la maladie dont il était atteint lui a causé un préjudice en ce qu' il n' a pu prendre en temps utile des mesures de prudence spécifiques dans son travail et sa vie quotidienne . Il reconnaît qu' il souffrait "( d' )une toux très légère mais habituelle, ( d' )une voix voilée par un léger enrouement et ( d' ) un modeste manque de souffle pendant la pratique de la natation", manifestations qui apparaissaient dans le cadre de ses activités habituelles . Il soutient que le comportement du service médical constitue une faute de service, dont la Commission doit répondre en application des principes généraux en matière de responsabilité non contractuelle auxquels fait référence l' article 188 du traité CEEA, ainsi que du principe de prévoyance et d' assistance qu' elle doit spécialement respecter à l' égard de ses fonctionnaires .

34 La Commission fait valoir, pour sa part, qu' il n' existe aucun lien de causalité entre la prétendue faute de service - l' absence d' information - et l' éventuel préjudice causé à la santé du requérant . Elle fait observer qu' en dépit de la progression naturelle de la maladie dont les premiers signes sont apparus il y a environ 20 ans, M . Nijman travaille encore à l' âge de 63 ans et que ses absences du travail sont extrêmement réduites ( 46 jours au cours de la période 1985-1990 ). Elle conclut que les faits susmentionnés, la lenteur de la progression de la maladie et la faible invalidité temporaire démontrent qu' on assiste, dans le cas de M . Nijman, à une évolution naturelle de la maladie dont il souffre .

35 Il convient tout d' abord de relever qu' il résulte d' une jurisprudence constante de la Cour que "un litige entre un fonctionnaire et l' institution dont il dépend ou dépendait, et visant à la réparation d' un dommage, se meut, lorsqu' il trouve son origine dans le lien d' emploi qui unit l' intéressé à l' institution, dans le cadre de l' article 179 du traité CEE et des articles 90 et 91 du statut et se trouve en dehors du champ d' application des articles 178 et 215 du traité CEE" ( arrêts de la Cour du 22 octobre 1975, Meyer-Burckhardt/Commission, 9/75, Rec . p . 1171, 1181; du 17 février 1977, Reinarz/Commission et Conseil, 48/76, Rec . p . 291, 298; ordonnance du 10 juin 1987, Pomar/Commission, 317/85, Rec . p . 2467, 2470; arrêt du 7 octobre 1987, Schina/Commission, 401/85, Rec . p . 3911, 3929 ). Cette jurisprudence doit être considérée comme étant également applicable dans le cadre de l' article 152 du traité CEEA .

36 Il y a aussi lieu de rappeler que la responsabilité de la Communauté suppose la réunion d' un ensemble de conditions en ce qui concerne la faute de service commise par l' institution, la réalité d' un préjudice certain et évaluable ainsi que l' existence d' un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué ( arrêt du Tribunal du 13 décembre 1990, Moritz/Commission, point 19, T-20/89, Rec . p . II-787 ). Il convient donc, en premier lieu, d' examiner si le comportement de l' institution a été de nature à engager sa responsabilité .

37 En ce qui concerne le comportement de l' institution, le Tribunal estime que le rapport d' expertise et les déclarations du requérant, non contestées par la partie défenderesse tout au long de la procédure écrite, établissent à suffisance de droit que le service médical du CCR n' a pas informé M . Nijman du processus de bronchite chronique dont il était atteint à l' époque où ce processus était précisément, selon les termes de l' expert, "en phase d' évolution vers la complication emphysémateuse" et que ledit service médical n' a pas donné au requérant les indications et conseils thérapeutiques appropriés à sa condition . Cette absence d' information constitue une violation des devoirs incombant aux services médicaux des institutions communautaires au regard des objectifs en vue desquels ils ont été mis en place . Ces objectifs consistent, entre autres, à procurer au personnel des institutions une assistance médicale adéquate pour assurer, dans la mesure compatible avec les données de la science, tant le dépistage précoce de toute maladie que l' identification de facteurs de risques susceptibles d' entraîner l' apparition d' une maladie . Selon les termes de l' article 59, paragraphe 4, du statut, le fonctionnaire est tenu de se soumettre chaque année à une "visite médicale préventive ". Le service médical, pour sa part, est tenu de "prévenir" le fonctionnaire de l' existence de toute maladie révélée par son dossier et de le mettre en garde contre les comportements dangereux pour sa santé, ce qui suppose que toutes les données et indications pertinentes à cet effet lui soient communiquées . En l' espèce, il y a donc lieu de conclure que le comportement du service médical du CCR vis-à-vis du requérant, caractérisé par le fait qu' il n' a pas informé ce dernier en temps utile de son état de santé, constitue une faute de service de nature à engager la responsabilité de l' institution défenderesse .

38 En ce qui concerne le dommage subi par le requérant, il y a lieu de rappeler que l' expert a mis en exergue le fait que "une atteinte de la fonction ventilatoire de type obstructif", révélée en 1976, a présenté au cours des années suivantes "une aggravation sensible ... démontrant l' existence d' une broncho-pneumopathie chronique obstructive", qu' un rapport établi en 1980 a mentionné "un emphysème pulmonaire, complication du syndrome de bronchite obstructive" et que les derniers examens "ont montré une poursuite de l' aggravation de la ventilation pulmonaire avec une réduction d' environ 50 % de la perviété des bronches ". Le Tribunal estime donc que le requérant a subi un préjudice certain, consistant dans une aggravation de sa maladie .

39 La dernière condition requise pour que la responsabilité de l' institution soit engagée est l' existence d' un lien de causalité entre la faute de service constatée et le dommage subi . A cet égard, le Tribunal estime que les conclusions de l' expert ne laissent aucun doute quant à l' existence d' un tel lien . L' expert a en effet conclu que :

"Il a résulté de l' absence de ces informations que M . Nijman n' a pas pu prendre, en temps utile, les mesures ( arrêt du tabac, prévention et thérapie précoce des épisodes de bronchite aiguë ) qui auraient au moins pu permettre de retarder l' évolution de la pathologie qui ressort des documents ."

Cependant, il faut relever, comme il résulte du rapport d' expertise, que l' adoption par M . Nijman des mesures citées n' aurait pas abouti à la disparition totale de la maladie mais à un ralentissement de l' évolution de la pathologie; pour cette raison, l' absence d' information et l' absence d' adoption de mesures préventives n' ont causé qu' une aggravation de la maladie .

40 Quant au calcul de l' indemnité, le requérant considère que, bien qu' il s' agisse d' une indemnisation relevant des règles du droit commun et non d' une prestation d' assurance, il serait raisonnable de chercher une référence concrète dans la réglementation relative à la couverture des risques d' accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes ( ci-après "réglementation de couverture "). Il observe que l' article 14 de ladite réglementation prévoit qu' une indemnité est accordée au fonctionnaire pour toute lésion ou défiguration permanente qui, tout en n' affectant pas sa capacité de travail, constitue une atteinte à l' intégrité physique de la personne et crée un préjudice réel à ses relations sociales . Il ajoute que, selon ce même article, l' indemnité est déterminée par analogie avec les taux prévus aux barèmes d' invalidité visés à l' article 12 . En l' espèce, le préjudice qu' il a subi se manifeste, selon lui, surtout sur le plan individuel ( durée et qualité de la vie, mouvements et activité limités, régime rigoureux d' autosurveillance, assujettissement périodique à des thérapies et médicaments, risque de décès en cas de maladies ou d' incidents aisément supportés par d' autres sujets, etc .). Sur la base de ce qui précède, le requérant soutient qu' une lésion permanente et irréversible de l' appareil respiratoire, telle que l' emphysème, comporte objectivement une invalidité permanente partielle d' au moins 50 % et il conclut à ce que lui soit versée une indemnité de 8 734 792 BFR, calculée par référence à son traitement de base des douze derniers mois .

41 La Commission, pour sa part, considère que la méthode utilisée par le requérant pour calculer l' indemnité est erronée, car la réglementation de couverture n' est pas applicable dans l' espèce . Au surplus, elle considère que, même en admettant sa responsabilité - ce qui n' est pas le cas - il ne s' agirait pas d' une responsabilité intégrale, mais d' une fraction minime de responsabilité . Celle-ci devrait être partagée - toujours selon la Commission - entre le service médical du CCR et les différents médecins traitants que M . Nijman a pu consulter pendant 30 ans .

42 Le Tribunal estime que la référence à la réglementation de couverture est sans pertinence dans le cas d' espèce, parce que le préjudice subi par le requérant, bien que de caractère physique, ne trouve son origine ni dans un accident, ni dans une maladie professionnelle .

43 Par ailleurs, le Tribunal estime que la Commission n' est pas entièrement responsable du dommage subi par M . Nijman, compte tenu du fait que celui-ci souffrait, à cette époque, comme il l' a déclaré dans sa requête, "( d' )une toux légère mais habituelle, ( d' )une voix voilée par un léger enrouement et ( d' )un modeste manque de souffle pendant la pratique de la natation", manifestations qui apparaissaient dans le cadre de ses activités habituelles . Le Tribunal considère que, dans ces circonstances, le requérant, n' ayant pas reçu d' explication satisfaisante de la part du médecin-conseil du CCR, quant à l' origine de ces troubles, aurait dû faire preuve de davantage de diligence pour chercher à connaître l' origine de ses problèmes de santé en recourant notamment à l' avis de spécialistes . Cette négligence ayant contribué à la réalisation du dommage subi par le requérant, la Commission ne saurait être tenue de le réparer intégralement .

44 Compte tenu du concours de fautes établi en l' espèce, à savoir, d' une part, la faute de service commise par la Commission et, d' autre part, la négligence dont le requérant a fait preuve, le Tribunal estime "ex aequo et bono" que l' allocation d' un montant de un million de BFR constitue une indemnisation adéquate du requérant .

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

45 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable mutatis mutandis à la procédure devant le Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s' il est conclu en ce sens . La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens .

Dispositif


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL ( quatrième chambre )

déclare et arrête :

1 ) La décision de la Commission refusant au requérant la réparation du dommage qu' il a subi est annulée .

2 ) La Commission est condamnée à verser au requérant une indemnité de un million de BFR .

3 ) La Commission est condamnée aux dépens .

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