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Document 61989CJ0309

Arrêt de la Cour du 18 mai 1994.
Codorníu SA contre Conseil de l'Union européenne.
Recours en annulation - Règlement - Personne physique ou morale - Conditions de recevabilité du recours - Désignation des vins mousseux - Conditions d'utilisation de la mention "crémant".
Affaire C-309/89.

Recueil de jurisprudence 1994 I-01853

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1994:197

61989J0309

Arrêt de la Cour du 18 mai 1994. - Codorníu SA contre Conseil de l'Union européenne. - Recours en annulation - Règlement - Personne physique ou morale - Conditions de recevabilité du recours - Désignation des vins mousseux - Conditions d'utilisation de la mention "crémant". - Affaire C-309/89.

Recueil de jurisprudence 1994 page I-01853
édition spéciale suédoise page I-00141
édition spéciale finnoise page I-00177


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


++++

1. Recours en annulation - Personnes physiques ou morales - Actes les concernant directement et individuellement - Règlement réservant l' utilisation de la mention "crémant" à des vins mousseux produits dans deux États membres déterminés - Propriétaire d' une marque comportant cette mention l' utilisant traditionnellement pour des vins mousseux produits dans un autre État membre

(Traité CEE, art. 173, alinéa 2)

2. Agriculture - Organisation commune des marchés - Discrimination entre producteurs ou consommateurs - Désignation et présentation des vins - Utilisation de la mention "crémant" réservée à des vins mousseux de qualité produits dans une région déterminée élaborés selon une méthode spécifique dans deux États membres - Utilisation interdite, en dépit d' un usage traditionnel, pour des vins élaborés selon la même méthode dans un autre État membre - Illégalité

[Traité CEE, art. 7, alinéa 1, et 40, § 3, alinéa 2; règlements du Conseil n 3309/85, art. 6, § 5 bis, sous b), et n 2045/89, art. 1er, point 2, sous c)]

Sommaire


1. S' il est vrai qu' au regard des critères de l' article 173, deuxième alinéa, du traité, une disposition réglementaire réservant l' utilisation de la mention "crémant" à des vins mousseux de qualité produits dans une région déterminée élaborés dans des conditions spécifiques dans deux États membres a, par sa nature et sa portée, un caractère normatif, en ce qu' elle s' applique à la généralité des opérateurs économiques intéressés, il n' est pas exclu pour autant qu' elle puisse concerner individuellement certains d' entre eux. C' est ainsi qu' une entreprise, établie dans un troisième État membre, élaborant et commercialisant des vins mousseux de qualité produits dans une région déterminée, qui, bien avant son adoption, a enregistré dans cet État membre une marque graphique comportant cette même mention et l' a utilisée tant avant qu' après cet enregistrement, se trouve dans une situation qui la caractérise, au regard de ladite disposition, par rapport à tout autre opérateur économique, en ce que cette disposition aboutit à l' empêcher d' utiliser sa marque graphique.

2. Le principe de non-discrimination entre producteurs ou consommateurs de la Communauté, consacré à l' article 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, du traité, qui comprend l' interdiction de discrimination exercée en raison de la nationalité, visée à l' article 7, premier alinéa, du traité, veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu' un tel traitement soit objectivement justifié. Il s' ensuit que les conditions de production ou de consommation d' un produit relevant d' une organisation commune de marché ne sauraient être différenciées qu' en fonction de critères de nature objective qui assurent une répartition proportionnée des avantages et désavantages pour les intéressés, sans distinguer entre les territoires des États membres.

L' article 1er, point 2, sous c), du règlement n 2045/89, insérant un paragraphe 5 bis, sous b), à l' article 6 du règlement n 3309/85 établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins mousseux et des vins mousseux gazéifiés, qui réserve l' utilisation de la mention "crémant" à des vins élaborés dans deux États membres et s' oppose ainsi à l' utilisation de ladite mention pour désigner des vins mousseux élaborés dans les mêmes conditions dans un troisième État membre et vendus sous une marque graphique enregistrée dans cet État comportant cette même mention, traite de manière différente des situations comparables. Or, le fait de réserver ladite mention aux vins élaborés dans deux États membres ne peut être valablement justifié ni sur la base d' une utilisation traditionnelle, puisqu' il méconnaît une utilisation elle-même traditionnelle de cette mention dans le troisième État pour des vins de même type, ni par l' indication de provenance qui serait associée à la mention en cause, puisque celle-ci est attribuée essentiellement sur le fondement de la méthode d' élaboration du produit et non pas de la provenance de celui-ci. Il s' ensuit que ce traitement différencié n' est pas objectivement justifié et que ladite disposition doit en conséquence être annulée.

Parties


Dans l' affaire C-309/89,

Codorniu SA, société de droit espagnol, établie à San Sadurni de Noya (Espagne), représentée par Mes Enric Picañol, Antonio Creus, Concepción Fernández et Mercedes Janssen, avocats au barreau de Barcelone, ayant élu domicile à Luxembourg en l' étude de Mes Arendt et Medernach, 8 - 10 rue Mathias Hardt,

partie requérante,

contre

Conseil de l' Union européenne, représenté par MM. Yves Cretien, conseiller juridique, et German-Luis Ramos Ruano, membre du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Bruno Eynard, directeur de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d' investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

Commission des Communautés européennes, représentée par M. José Luis Iglesias Buhigues, conseiller juridique, en qualité d' agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Georgios Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie intervenante,

ayant pour objet l' annulation de l' article 1er, point 2, sous c), du règlement (CEE) n 2045/89 du Conseil, du 19 juin 1989, modifiant le règlement (CEE) n 3309/85 établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins mousseux et des vins mousseux gazéifiés (JO L 202, p. 12), en tant qu' il insère un paragraphe 5 bis, sous b), à l' article 6 de ce règlement (CEE) n 3309/85 du Conseil, du 18 novembre 1985 (JO L 320, p. 9),

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida et M. Diez de Velasco, présidents de chambre, C. N. Kakouris, F. Grévisse, M. Zuleeg, P. J. G. Kapteyn et J. L. Murray (rapporteur), juges,

avocat général: M. C. O. Lenz,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l' audience du 22 septembre 1992,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 27 octobre 1992,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 9 octobre 1989, Codorniu SA (ci-après "Codorniu") a, en vertu de l' article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, demandé l' annulation de l' article 1er, point 2, sous c), du règlement (CEE) n 2045/89 du Conseil, du 19 juin 1989, modifiant le règlement (CEE) n 3309/85 établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins mousseux et des vins mousseux gazéifiés (JO L 202, p. 12), en tant qu' il insère un paragraphe 5 bis, sous b), à l' article 6 de ce règlement (CEE) n 3309/85 du Conseil, du 18 novembre 1985 (JO L 320, p. 9).

2 Le Conseil a adopté le règlement n 3309/85, précité, sur la base de l' article 54, paragraphe 1, du règlement (CEE) n 337/79 du Conseil, du 5 février 1979, portant organisation commune du marché viti-vinicole (JO L 54, p. 1), qui prévoit l' adoption de règles relatives à la désignation et la présentation des produits du secteur viti-vinicole.

3 Le règlement n 3309/85 a établi une distinction entre les indications obligatoires nécessaires pour l' identification d' un vin mousseux et les indications facultatives tendant à préciser les caractéristiques intrinsèques d' un produit ou à l' individualiser suffisamment par rapport aux autres produits de la même catégorie se trouvant sur le marché. Bien que le choix des indications ait été laissé en principe aux intéressés, des règles particulières pour l' utilisation de certaines indications facultatives prestigieuses, susceptibles de valoriser le produit, ont été édictées en vue de maintenir une concurrence loyale sur le marché des vins mousseux.

4 En vertu de l' article 6, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement n 3309/85, tel que modifié par l' article 1er, point 2, sous b), du règlement n 2045/89, précité, les mentions "fermentation en bouteille selon la méthode traditionnelle", "méthode traditionnelle", "méthode classique" ou "méthode traditionnelle classique", ainsi que les mentions résultant d' une traduction de ces termes, ne peuvent être utilisées que pour la désignation, notamment, de vins mousseux de qualité produits dans une région déterminée (ci-après "v.m.q.p.r.d.") et remplissant les conditions prévues au paragraphe 4, deuxième alinéa. En vertu de ce deuxième alinéa, un vin ne peut être désigné par l' une des mentions susvisées que s' il a été rendu mousseux par deuxième fermentation alcoolique en bouteille, s' est trouvé sans interruption sur lies pendant au moins neuf mois dans la même entreprise à partir de la constitution de la cuvée, et a été séparé des lies par dégorgement.

5 Le règlement n 2045/89 complète le règlement n 3309/85, essentiellement en ce qui concerne les v.m.q.p.r.d. visés par le règlement (CEE) n 823/87 du Conseil, du 16 mars 1987, établissant des dispositions particulières relatives aux vins de qualité produits dans des régions déterminées (JO L 84, p. 59).

6 Le premier considérant du règlement n 2045/89 expose qu' il y avait lieu d' élargir, en ce qui concerne les mentions sur l' étiquette, le choix des élaborateurs de vins mousseux de qualité obtenus par fermentation en bouteille selon la méthode traditionnelle, afin de faciliter la vente de certains de ces vins.

7 Selon le troisième considérant du règlement n 2045/89, il y avait lieu de réserver la mention "crémant" à certains v.m.q.p.r.d. élaborés en France et au Luxembourg, afin de protéger cette indication traditionnelle utilisée dans ces deux États membres pour désigner les produits de provenance bien déterminée.

8 Par conséquent, l' article 1er, point 2, sous c), du règlement n 2045/89 (ci-après la "disposition litigieuse") a inséré, dans l' article 6 du règlement n 3309/85, un nouveau paragraphe 5 bis ainsi rédigé:

"Sont réservées, en ce qui concerne les v.m.q.p.r.d. qui remplissent les conditions prévues au paragraphe 4, deuxième alinéa:

...

b) la mention 'crémant' , aux v.m.q.p.r.d. élaborés en France ou au Luxembourg:

- auxquels l' Etat membre dans lequel l' élaboration a eu lieu a attribué cette mention en l' associant au nom de la région déterminée et

- qui ont été obtenus en respectant les règles particulières établies par l' Etat membre précité pour leur élaboration.

Toutefois, pendant cinq campagnes viticoles, la mention 'crémant' en langue française ou en traduction peut être utilisée pour la désignation d' un vin mousseux qui a été traditionnellement désigné ainsi à la date du 1er septembre 1989."

9 En vertu de son article 2, le règlement n 2045/89 est entré en vigueur le 1er septembre 1989.

10 Codorniu est une société espagnole qui élabore et commercialise des v.m.q.p.r.d. Elle est titulaire de la marque graphique espagnole "Gran Cremant de Codorniu" qu' elle a utilisée pour désigner l' un de ses v.m.q.p.r.d. depuis 1924. Codorniu est le principal producteur communautaire de v.m.q.p.r.d. dans la désignation desquels figure la mention "crémant". D' autres producteurs établis en Espagne utilisent également la mention "Gran Cremant" pour désigner leurs v.m.q.p.r.d.

11 Estimant que la disposition litigieuse était illégale, Codorniu a introduit le présent recours.

12 Le Conseil lui a opposé une exception d' irrecevabilité au titre de l' article 91, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure de la Cour. Par ordonnance du 5 décembre 1990, la Cour a joint cette demande au fond, conformément à l' article 91, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure.

13 Par ordonnance du 31 janvier 1990, la Cour a admis l' intervention de la Commission des Communautés européennes au soutien des conclusions de la partie défenderesse, conformément à l' article 93, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure.

Sur la recevabilité

14 A l' appui de son exception d' irrecevabilité, le Conseil affirme qu' il n' a pas adopté la disposition litigieuse en fonction de circonstances propres à un certain nombre de producteurs, mais en fonction d' un choix de politique viti-vinicole appliqué à un produit déterminé. La disposition litigieuse réserve l' utilisation de la mention "crémant" à des v.m.q.p.r.d. élaborés dans des conditions spécifiques dans certains États membres. Elle constitue donc une mesure applicable à une situation déterminée objectivement et comportant des effets juridiques à l' égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite.

15 Selon le Conseil, Codorniu n' est concernée par la disposition litigieuse qu' en sa qualité de producteur de v.m.q.p.r.d. utilisant la mention "crémant", comme tout autre producteur se trouvant dans une situation identique. Même si, au moment de l' adoption de cette disposition, le nombre ou l' identité des producteurs de vins mousseux utilisant la mention "crémant" pouvait théoriquement être déterminé, l' acte en cause conserve une nature réglementaire dans la mesure où son application s' effectue en fonction d' une situation objective de droit ou de fait définie par l' acte, en relation avec la finalité de ce dernier.

16 En revanche, Codorniu fait valoir que la disposition litigieuse est, en réalité, une décision prise sous l' apparence d' un règlement. Elle n' a pas de portée générale mais affecte un cercle de producteurs bien déterminé et qui ne peut être modifié. Ces producteurs sont ceux qui, au 1er septembre 1989, désignaient traditionnellement leurs vins mousseux par la mention "crémant". Pour ce groupe, la disposition litigieuse est dépourvue de portée générale. En outre, la disposition litigieuse aura directement pour conséquence d' empêcher Codorniu d' utiliser la mention "Gran Cremant", ce qui entraînera la perte de 38 % de son chiffre d' affaires. Ce préjudice a pour effet de l' individualiser par rapport à tout autre opérateur économique au sens de l' article 173, deuxième alinéa, du traité. Codorniu affirme que la Cour a déjà admis la recevabilité d' un recours en annulation introduit par une personne physique ou morale contre un règlement en de telles circonstances (voir arrêt du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C-358/89, Rec. p. I-2501).

17 Il convient de rappeler que l' article 173, deuxième alinéa, du traité subordonne l' introduction d' un recours en annulation d' un règlement par une personne physique ou morale à la condition que les dispositions du règlement visées par le recours constituent, en réalité, une décision la concernant directement et individuellement.

18 Ainsi que l' a déjà jugé la Cour, la portée générale et, partant, la nature normative d' un acte n' est pas mise en cause par la possibilité de déterminer avec plus ou moins de précision le nombre ou même l' identité des sujets de droit auxquels il s' applique à un moment donné, tant qu' il est constant que cette application s' effectue en vertu d' une situation objective de droit ou de fait définie par l' acte en relation avec la finalité de ce dernier (voir, en dernier lieu, arrêt du 29 juin 1993, Gibraltar/Conseil, C-298/89, Rec. p. I-3605, point 17).

19 S' il est vrai qu' au regard des critères de l' article 173, deuxième alinéa, du traité, la disposition litigieuse a, par sa nature et sa portée, un caractère normatif en ce qu' elle s' applique à la généralité des opérateurs économiques intéressés, il n' est pas exclu pour autant qu' elle puisse concerner individuellement certains d' entre eux.

20 Une personne physique ou morale ne saurait prétendre être concernée individuellement que si la disposition litigieuse l' atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou d' une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne (voir arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197).

21 Or, il convient de constater que Codorniu a enregistré la marque graphique "Gran Cremant de Codorniu" en Espagne en 1924 et qu' elle a utilisé traditionnellement cette marque tant avant qu' après cet enregistrement. En réservant le droit d' utiliser la mention "crémant" aux seuls producteurs français et luxembourgeois, la disposition litigieuse aboutit à empêcher Codorniu d' utiliser sa marque graphique.

22 Il s' ensuit que Codorniu a établi l' existence d' une situation qui la caractérise, au regard de la disposition litigieuse, par rapport à tout autre opérateur économique.

23 Il en résulte que l' exception d' irrecevabilité soulevée par le Conseil doit être rejetée.

Sur le fond

24 A l' appui de sa requête, Codorniu invoque plusieurs moyens d' annulation tirés respectivement de la violation du traité, notamment les articles 7, premier alinéa, et 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, d' une part, et, d' autre part, les articles 3, sous f), et 42, premier alinéa, ainsi que d' une violation des principes de proportionnalité et d' égalité, d' un détournement de pouvoir et d' une violation des formes substantielles.

25 Quant au premier moyen, Codorniu fait valoir que tout traitement différencié entre produits similaires doit être fondé sur des critères objectifs. Or, les v.m.q.p.r.d. qui remplissent les conditions de l' article 6, paragraphe 4, du règlement n 3309/85 seraient des produits similaires. Il s' ensuivrait qu' un droit exclusif d' utilisation de la mention "crémant", simple indication facultative relative à la méthode d' élaboration d' un v.m.q.p.r.d., ne pourrait pas être réservé à la France et au Luxembourg sur la base de critères objectifs. La disposition litigieuse constituerait donc une discrimination contraire aux articles 7, premier alinéa, et 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, du traité.

26 A cet égard, il convient d' abord d' observer que le principe de non-discrimination entre producteurs ou consommateurs de la Communauté, consacré à l' article 40, paragraphe 3, deuxième alinéa, qui comprend l' interdiction de discrimination exercée en raison de la nationalité, visée à l' article 7, premier alinéa, du traité, veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu' un tel traitement soit objectivement justifié. Il s' ensuit que les conditions de production ou de consommation ne sauraient être différenciées qu' en fonction de critères de nature objective qui assurent une répartition proportionnée des avantages et désavantages pour les intéressés, sans distinguer entre les territoires des États membres (voir notamment arrêt du 13 décembre 1984, Sermide, 106/83, Rec. p. 4209, point 28).

27 La disposition litigieuse prévoit que la mention "crémant", en association avec le nom d' une région déterminée, est attribuée aux seuls v.m.q.p.r.d. produits en France et au Luxembourg qui remplissent les conditions prévues à l' article 6, paragraphe 4, deuxième alinéa, du règlement n 3309/85, et ont été obtenus dans le respect des règles particulières établies par ces deux États membres pour leur élaboration.

28 Il apparaît ainsi que la mention "crémant" ne se réfère pas d' abord à la provenance, mais à la méthode d' élaboration des v.m.q.p.r.d., notamment celle prévue par l' article 6, paragraphe 4, du règlement n 3309/85. Les v.m.q.p.r.d. vendus sous la marque graphique espagnole "Gran Cremant de Codorniu" remplissant les conditions prévues par la disposition litigieuse, il s' ensuit que cette disposition traite de manière différente des situations comparables.

29 Il y a donc lieu de vérifier si un tel traitement a été objectivement justifié.

30 A cet égard, le fait de réserver la mention "crémant" est motivé par référence au souci de protéger une indication traditionnellement utilisée en France et au Luxembourg pour désigner des produits de provenance bien déterminée.

31 Il est constant que les premières mesures nationales prévoyant, en France et au Luxembourg, l' utilisation de la mention "crémant" en tant qu' "indication traditionnelle" ont été prises en 1975. Or, Codorniu a exploité, en tant qu' utilisateur traditionnel, sa marque graphique comportant les mots "Gran Cremant" pour désigner un v.m.q.p.r.d. depuis au moins 1924.

32 Dans ces conditions, le fait de réserver la mention "crémant" aux v.m.q.p.r.d. élaborés en France ou au Luxembourg ne peut être valablement justifié sur la base d' une utilisation traditionnelle, puisqu' il méconnaît une utilisation elle-même traditionnelle de cette marque par Codorniu.

33 La Commission fait toutefois valoir qu' il résulte des termes de la disposition litigieuse, selon laquelle la mention "crémant" doit être suivie de l' indication de la région de production, que la mention "crémant" renvoie non pas tant à la méthode d' élaboration d' un v.m.q.p.r.d., mais plutôt à sa provenance.

34 A cet égard, il convient de constater que la mention "crémant" est, d' après la disposition litigieuse, attribuée essentiellement sur le fondement de la méthode d' élaboration du produit, l' indication de la région de production ne servant qu' à préciser la provenance du v.m.q.p.r.d.. La provenance est ainsi étrangère à l' attribution de la mention "crémant" qui n' est pas liée à un rattachement géographique.

35 Le traitement différencié n' a donc pas été objectivement justifié. La disposition litigieuse doit en conséquence être annulée.

36 Compte tenu de ce qui précède, il n' apparaît pas nécessaire d' examiner les autres moyens soulevés par Codorniu.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

37 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le Conseil de l' Union européenne ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens. Conformément à l' article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, la Commission des Communautés européennes, partie intervenante, supportera ses propres dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

1) L' article 1er, point 2, sous c), du règlement (CEE) n 2045/89 du Conseil, du 19 juin 1989, modifiant le règlement (CEE) n 3309/85 établissant les règles générales pour la désignation et la présentation des vins mousseux et des vins mousseux gazéifiés, est annulé en tant qu' il insère un paragraphe 5 bis, sous b), à l' article 6 de ce règlement (CEE) n 3309/85 du Conseil, du 18 novembre 1985.

2) Le Conseil de l' Union européenne est condamné aux dépens.

3) La Commission des Communautés européennes supportera ses propres dépens.

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