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Document 61989CC0312

Conclusions jointes de l'avocat général Van Gerven présentées le 22 novembre 1990.
Union départementale des syndicats CGT de l'Aisne contre SIDEF Conforama, Société Arts et Meubles et Société Jima.
Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Saint-Quentin - France.
Interprétation des articles 30 et 36 du traité CEE - Réglementation nationale interdisant l'occupation de travailleurs dans les commerces de détail le dimanche.
Affaire C-312/89.
Procédure pénale contre André Marchandise, Jean-Marie Chapuis et SA Trafitex.
Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Mons - Belgique.
Interprétation des articles 3, sous f, 5, 30 à 36, 59 à 66 et 85 du traité CEE - Législation nationale interdisant l'occupation de travailleurs dans les commerces de détail le dimanche après 12 h.
Affaire C-332/89.

Recueil de jurisprudence 1991 I-00997

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1990:418

61989C0312

Conclusions jointes de l'Avocat général Van Gerven présentées le 22 novembre 1990. - Union départementale des syndicats CGT de l'Aisne contre SIDEF Conforama, Société Arts et Meubles et Société Jima. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Saint-Quentin - France. - Interprétation des articles 30 et 36 du traité CEE - Réglementation nationale interdisant l'occupation de travailleurs dans les commerces de détail le dimanche. - Affaire C-312/89. - Procédure pénale contre André Marchandise, Jean-Marie Chapuis et SA Trafitex. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Mons - Belgique. - Interprétation des articles 3, sous f, 5, 30 à 36, 59 à 66 et 85 du traité CEE - Législation nationale interdisant l'occupation de travailleurs dans les commerces de détail le dimanche après 12 h. - Affaire C-332/89.

Recueil de jurisprudence 1991 page I-00997


Conclusions de l'avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Le tribunal de grande instance de Saint-Quentin et la cour d' appel de Mons vous ont posé des questions préjudicielles portant sur la compatibilité avec le droit communautaire d' une règle de droit national interdisant d' occuper des travailleurs salariés le dimanche . En raison de la similitude des règles de droit national évoquées dans les deux litiges au principal et eu égard au fait que les deux renvois soulèvent en grande partie les mêmes questions de droit communautaire, nous traiterons les deux affaires dans les mêmes conclusions .

Antécédents

2 . Dans le litige au principal dans l' affaire C-312/89, l' Union départementale des syndicats CGT de l' Aisne demande qu' il soit fait défense à l' entreprise Conforama, qui vend des meubles et de l' équipement ménager, d' ouvrir ses magasins le dimanche, et ce sous astreinte . La demande est fondée sur un certain nombre de dispositions du chapitre I du titre II du code du travail français en vertu desquelles le jour de repos hebdomadaire des travailleurs salariés doit être donné en principe le dimanche ( voir les dispositions combinées de l' article L.221-5 et des articles L.221-2 et L.221-4 ). Cette règle de principe connaît trois sortes d' exceptions . Premièrement, l' interdiction est levée dans un certain nombre de secteurs énumérés limitativement dans le code du travail, tels que les restaurants, les hôpitaux, les entreprises de journaux et d' information, etc . ( voir l' article L.221-9 du code du travail ). Deuxièmement, une exception peut être faite pour les entreprises dont le personnel travaille en équipes; l' application de cette exception dépend en principe de la conclusion d' une convention collective de travail ( voir les articles L.221-5-1 et L.221-10 du code du travail ). Enfin, certaines dérogations peuvent être accordées sur demande pour une durée limitée par des autorités locales ( voir les articles L.221-5, L.221-7 et L.221-19 du code du travail ).

Il n' est apparemment pas contesté que les parties défenderesses au principal ne peuvent pas prétendre à l' application d' une des exceptions précitées . Elles ont cependant fait valoir comme moyen de défense que l' interdiction d' occuper des travailleurs salariés le dimanche instaurée par le code du travail devait être tenue pour incompatible avec les articles 30 et 85 du traité CEE . La juridiction de renvoi, le tribunal de grande instance de Saint-Quentin, a fait droit à la demande de renvoi préjudiciel devant la Cour, en limitant toutefois la question à l' interprétation de l' article 30 du traité CEE . Cette question est ainsi libellée :

"La notion de 'mesure d' effet équivalant' à une restriction quantitative à l' importation telle qu' énoncée à l' article 30 du traité peut-elle s' appliquer à une disposition de portée générale ayant pour effet d' interdire l' emploi de travailleurs salariés le dimanche notamment dans une branche d' activité telle que la vente au public de mobilier, alors :

1 ) que cette branche d' activité fait largement appel à des produits d' importation provenant notamment de pays de la CEE;

2 ) qu' une part importante du chiffre d' affaires des entreprises dépendant de ce secteur d' activité est réalisée le dimanche dans le cas où lesdites entreprises ont pris l' initiative de violer les dispositions de droit interne,

3 ) qu' une fermeture le dimanche est de nature à réduire l' importance du chiffre d' affaires réalisé et, par suite, le volume des importations en provenance des pays de la Communauté;

4 ) qu' enfin l' obligation de donner aux salariés leur repos hebdomadaire le dimanche n' existe pas dans tous les États membres?

Dans l' affirmative, les caractéristiques du secteur d' activité concerné peuvent-elles être considérées comme correspondant aux critères énoncés par l' article 36 du traité?"

3 . Le premier défendeur dans la seconde affaire ( C-332/89 ) est administrateur délégué de la société Trafitex qui exploite un grand magasin dont le deuxième défendeur est gérant . A la requête du ministère public, ils ont été condamnés le 1er juillet 1988 par le tribunal correctionnel de Charleroi à des peines d' amendes et d' emprisonnement subsidiaire pour avoir contrevenu aux dispositions de la loi belge du 16 mars 1971 sur le travail; la juridiction de renvoi, la cour d' appel de Mons, doit statuer sur l' appel interjeté contre cette condamnation .

L' article 11 de la loi sur le travail dispose qu' il est interdit d' occuper des travailleurs le dimanche . Cette disposition connaît, elle aussi, de nombreuses exceptions . L' article 3, paragraphe 1, de la loi rend l' interdiction inapplicable à un certain nombre de catégories de travailleurs ( notamment les personnes occupées par l' État, les personnes occupées dans une entreprise familiale et le personnel navigant des entreprises de pêche ). D' autres exceptions figurent aux articles 12 et suivants de la loi et concernent notamment la surveillance ainsi que les travaux de nettoyage et d' entretien des locaux affectés à l' entreprise, le travail en équipe, etc . L' article 13 de la loi prévoit que le roi peut établir une liste d' entreprises dans lesquelles, et de travaux pour l' exécution desquels, des travailleurs peuvent être occupés le dimanche . Les magasins de détail auxquels il n' est pas permis, en vertu de cette

liste, d' occuper leur personnel un dimanche sont autorisés par l' article 14, paragraphe 1, de la loi à occuper leurs travailleurs le dimanche de 8 heures du matin à midi .

Il est plus précisément reproché aux défendeurs au principal d' occuper des travailleurs le dimanche après 12 heures en contravention avec la disposition susvisée . Ils soutiennent devant la cour d' appel que cette interdiction est incompatible à la fois avec les dispositions du traité CEE relatives à la libre circulation des marchandises et des services et avec l' article 85 du traité . Considérant que leurs arguments n' apparaissaient pas à première vue dénués de pertinence, la juridiction de renvoi vous a déféré une question préjudicielle visant à savoir :

"si les dispositions des articles 1er, 11, 14, paragraphe 1, 53, 54, 57, 58 et 59 de la loi du 16 mars 1971, modifiée notamment par la loi du 20 juillet 1978 et par l' arrêté royal n 15 du 23 octobre 1978, contiennent violation des articles 3, sous f ), 5, 30 à 36, 59 à 66 et 85 du traité de Rome du 25 mars 1957 ".

Cette question doit être comprise en ce sens que la juridiction de renvoi demande à la Cour une interprétation des dispositions du traité précitées lui permettant d' apprécier la compatibilité avec le droit communautaire des dispositions nationales citées ( 1 ).

L' interprétation de l' article 30 du traité

4 . Pour la réponse aux questions préjudicielles relatives à l' article 30 du traité qui vous sont soumises aujourd' hui, l' arrêt rendu le 23 novembre 1989 par la sixième chambre de la Cour dans l' affaire C-145/88, Torfaen Borough Council/B & Q plc ( ci-après "arrêt B & Q "), est d' une grande importance ( 2 ). La Cwmbran Magistrates' Court avait demandé à la Cour si une réglementation nationale interdisant en principe la vente de certaines marchandises le dimanche pouvait être tenue pour incompatible avec l' article 30 du traité CEE . Dans l' affaire en question, la Cour a dit pour droit que :

"L' article 30 du traité CEE doit être interprété en ce sens que l' interdiction qu' il prévoit ne s' applique pas à une réglementation nationale interdisant à des commerces de détail d' ouvrir le dimanche, lorsque les effets restrictifs sur les échanges communautaires qui peuvent éventuellement en résulter ne dépassent pas le cadre des effets propres à une réglementation de ce genre ."

5 . Avant d' examiner cet arrêt plus en détail, nous voudrions attirer l' attention sur la similitude des réglementations nationales faisant l' objet du renvoi dans l' affaire C-145/88 et dans les affaires actuellement soumises à la Cour .

Tandis que, dans l' affaire C-145/88, il s' agissait d' une interdiction de principe de se livrer à des opérations commerciales le dimanche, les affaires actuelles concernent une interdiction d' occuper des travailleurs salariés le dimanche . A notre avis, cette différence n' a guère d' importance : s' agissant de l' application de l' article 30 du traité, l' effet sur le commerce intracommunautaire qui résulte des deux types de réglementations est très semblable . Dans l' affaire C-145/88, le juge a quo avait en effet constaté que l' interdiction de se livrer à des opérations commerciales le dimanche avait entraîné une réduction des ventes totales de l' entreprise, qu' environ 10 % des marchandises offertes par l' entreprise concernée provenaient d' autres États membres et qu' une réduction correspondante des importations à partir d' autres États membres devait donc s' ensuivre . Dans les affaires qui vous sont soumises aujourd' hui, les juridictions nationales sont, semble-t-il, confrontées à un schéma factuel analogue . Dans la question préjudicielle qui vous est posée dans l' affaire C-312/89, trois constatations du juge a quo sont mentionnées expressément : les parties défenderesses travaillent dans une branche d' activité faisant largement appel à des produits importés en grande partie d' autres pays de la CEE, une part importante du chiffre d' affaires des entreprises dépendant de ce secteur d' activité est réalisée le dimanche et une fermeture le dimanche est de nature à réduire l' importance du chiffre d' affaires et, par suite, le volume des importations en provenance d' autres États membres .

La décision de renvoi dans l' affaire C-332/89 ne contient pas de constatations analogues, mais il ressort du dossier qu' une expertise ordonnée par le tribunal correctionnel de Charleroi montre qu' entre septembre 1986 et décembre 1987 environ 22 % du chiffre d' affaires de l' entreprise ont été réalisés le dimanche et que, dans l' hypothèse où le jour de fermeture hebdomadaire serait fixé le dimanche plutôt que le mardi, il s' ensuivrait une perte de chiffre d' affaires d' environ 13 % ( 3 ). Nous présupposons en outre, suivant la constatation de la juridiction nationale, que la perte de chiffre d' affaires portait également sur des produits importés d' autres États membres . Sinon, nous aurions affaire à une situation qui, en l' absence de tout élément transfrontalier, relève totalement de la sphère interne d' un État membre et à laquelle l' article 30 n' est pas applicable ( 4 ).

Comme nous le verrons plus loin, il existe également, dans les causes de justification susceptibles de légitimer les réglementations nationales respectives, une similitude importante entre la réglementation qui fait l' objet de l' arrêt rendu dans l' affaire C-145/88 et les mesures en cause en l' espèce . La pertinence de l' arrêt rendu dans l' affaire citée en premier lieu n' en est que plus grande .

6 . Dans l' arrêt B & Q rendu dans l' affaire C-145/88, la Cour a relevé que la réglementation litigieuse en l' occurrence était indistinctement applicable aux produits importés et nationaux ( point 11 des motifs ). Il convient d' observer que la réglementation concernée était indistinctement applicable non seulement sur le plan formel, mais également sur le plan du contenu : il ressortait de l' ordonnance de renvoi que la production ou la commercialisation de marchandises importées n' en étaient pas rendues plus difficiles que celles des produits nationaux . Rappelant l' arrêt Cinéthèque ( 5 ), la Cour a affirmé que la compatibilité avec le droit communautaire d' une telle réglementation, neutre à l' égard des produits importés et nationaux, était subordonnée à un double examen : il s' agit, d' une part, de vérifier si la réglementation poursuit un objectif justifié au regard du droit communautaire et, d' autre part, de rechercher si les entraves qu' elle cause aux échanges communautaires ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l' objectif visé ( voir le point 12 de l' arrêt ) ( 6 ). Par là, la Cour a admis implicitement, mais de façon certaine, que la mesure concernée relevait à première vue de la formule Dassonville, c' est-à-dire qu' elle était à considérer comme une "réglementation commerciale ... susceptible d' entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire" ( 7 ).

Nous ajouterons deux réflexions . Dans nos conclusions dans l' affaire C-145/88, nous avons proposé de limiter quelque peu la portée de la formule Dassonville en appliquant, à propos de réglementations commerciales non discriminatoires à l' égard de produits importés et nationaux, le critère de cloisonnement du marché qui est utilisé dans les affaires de concurrence ( 8 ). Dans l' arrêt B & Q, la Cour ne s' est pas ralliée à cette suggestion et a préféré implicitement prendre pour règle le critère Dassonville dans sa généralité . Si la Cour voulait à présent suivre une autre voie, nous souhaiterions alors renvoyer à ces conclusions antérieures . Actuellement, nous partons du principe que la Cour a opté définitivement pour la règle Dassonville et nous la prenons dès lors pour point de départ dans les présentes conclusions . Cela ne signifie pas que l' effet de cloisonnement du marché que peut entraîner une réglementation nationale ne peut ni ne doit être pris en considération lorsqu' il s' agit, tout en recherchant si des entraves données ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire, de comparer l' effet et le but de la réglementation examinée ( voir le point 12 ci-après ).

Une deuxième réflexion porte sur la conséquence du critère Dassonville pour le juge a quo . Bien qu' il incombe en principe à ce dernier de décider si la réglementation nationale concernée est de fait susceptible d' entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire, la règle Dassonville retenue par la Cour, également dans l' arrêt B & Q, est tellement large qu' elle recouvre toute réglementation qui contient, quant à son but et à ses effets, un quelconque élément transfrontalier . La jurisprudence de la Cour montre que même des réglementations qui peuvent causer des entraves aux importations du fait d' un seul commerçant ( 9 ) relèvent en principe du critère Dassonville ( 10 ), du moins que la Cour en estime l' éventualité suffisante pour rechercher d' éventuels motifs de justification au titre des articles 30 ou 36 ( 11 ). Ce n' est que lorsque la réglementation n' affecte pas la commercialisation du produit considéré au stade pertinent pour le commerce intracommunautaire ( 12 ), ou lorsqu' elle ne concerne pas d' autres formes de commercialisation du même produit ( 13 ), ou que la commercialisation de ce produit reste possible par des circuits alternatifs ( 14 ), qu' elle ne relève pas de l' article 30 ( 15 ).

7 . Puisque, dans l' arrêt B & Q, la Cour a admis que l' interdiction de l' article 30 était en principe applicable à une obligation de fermeture des commerces de détail le dimanche, une même conclusion s' impose, compte tenu de la similitude constatée ci-avant ( point 5 ), à l' égard des interdictions d' occuper des travailleurs le dimanche en cause aujourd' hui, du moins lorsque, dans les deux cas, le juge national a constaté que la réglementation était susceptible d' entraver potentiellement les importations, au sens du critère Dassonville .

Toutefois, nous ne pouvons pas en rester là parce que nous négligerions ainsi un point important auquel la Commission a consacré une grande attention dans ses observations . Dans l' arrêt B & Q, la Cour déclare en somme que la question de savoir si les effets d' une réglementation nationale déterminée restent effectivement dans le cadre ( tel que l' arrêt l' exige : voir point 6 ci-avant ) d' une réglementation commerciale par hypothèse justifiée relève de l' appréciation des faits qui appartient à la juridiction nationale ( point 16 des motifs de l' arrêt ).

La Commission allègue que l' appréciation de la nécessité et de la proportionnalité d' une réglementation donnée ne peut pas être laissée aux juridictions nationales et invoque, à cet égard, des arguments à notre avis convaincants . Certes, il n' appartient pas à la Cour de se prononcer dans le cadre de la procédure de l' article 177 du traité sur la validité d' une réglementation nationale; la Cour a néanmoins toujours insisté sur le fait qu' aux fins de sa collaboration avec les instances judiciaires nationales instaurée par cette disposition elle était compétente pour dégager les éléments du droit communautaire dont l' interprétation est nécessaire pour permettre à la juridiction nationale de trancher, en conformité avec les règles communautaires, le litige dont elle est saisie ( 16 ). Seule cette méthode permet de sauvegarder l' objectif principal de la procédure préjudicielle qui est d' assurer l' application uniforme dans la Communauté des dispositions de droit communautaire en vue d' éviter que leurs effets ne varient selon l' interprétation qui leur est donnée dans les différents États membres ( 17 ).

Plus concrètement, dans le cadre de la recherche effectuée par la juridiction nationale pour apprécier l' admissibilité d' une réglementation nationale, cela signifie que des critères suffisamment précis sont fournis à la juridiction de renvoi pour lui permettre de vérifier la conformité de la réglementation nationale avec le droit communautaire ( 18 ). Dans sa jurisprudence relative à la libre circulation des marchandises, la Cour a toujours observé scrupuleusement ce principe ( 19 ), et nous osons lui recommander résolument de continuer dans cette voie .

Dans les affaires dont la Cour est saisie aujourd' hui, il est certes moins nécessaire de définir des critères précis parce que, après l' arrêt B & Q, la question peut être résolue aisément . Toutefois, même dans des cas simples, il reste nécessaire de placer la solution dans un cadre général . En ne le faisant pas, on crée le risque d' une casuistique incohérente dans laquelle la juridiction nationale ne peut guère trouver d' appui .

8 . Dans notre recherche de critères généraux, nous examinerons d' abord, conformément au raisonnement suivi dans l' arrêt B & Q, quand on peut dire d' une législation nationale qui, telle que celle qui vous est soumise aujourd' hui, est tout à fait neutre à l' égard des produits importés comme des produits nationaux poursuit un but justifié au regard du droit communautaire, pour approfondir ensuite la question de savoir si les entraves éventuelles que les réglementations causent aux échanges ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l' objectif visé .

Cela suppose une triple recherche, à savoir l' examen du caractère justifié ou non du but poursuivi par la réglementation ( points 9 à 11 ci-après ), de la nature des entraves qu' elle cause ( point 12 ) et enfin de la nécessité de ces entraves ( points 13 et 14 ).

9 . Examinons d' abord si la réglementation en cause poursuit un but justifié au regard du droit communautaire . Dans les observations présentées à la Cour, il n' est tenté, à aucun endroit, de rattacher la réglementation à l' un des motifs de justification énumérés à l' article 36 . L' arrêt B & Q ne le fait pas non plus . Avec raison, estimons-nous, étant donné que le seul motif qui peut raisonnablement être retenu tient à la protection de la santé publique . Or, si l' interdiction d' occuper des travailleurs le dimanche favorise certes le repos des travailleurs et donc la "santé ... des personnes", elle vise néanmoins, comme nous l' indiquons plus loin, de la même façon qu' une interdiction d' ouvrir le dimanche faite à des commerçants indépendants, un autre objectif ( 20 ).

Il en va autrement des "exigences impératives" admises par la doctrine "Cassis de Dijon" ( 21 ). La protection du milieu de travail ( énoncée expressément à l' article 100 A du traité ) et le bien-être des travailleurs qui y est lié peuvent sans aucun doute être regardés comme une exigence impérative . Toutefois, aucune de ces exigences n' est par elle-même suffisante parce que, comme les parties défenderesses l' affirment dans l' affaire C-312/89, elles ne justifient pas suffisamment l' imposition d' un jour déterminé, à savoir le dimanche, pour ce repos hebdomadaire des travailleurs . Une réglementation interdisant d' occuper des travailleurs salariés le dimanche ne saurait être justifiée que si l' on tient pour compatible avec le droit communautaire le fait qu' un État membre opte pour une interdiction d' occuper des travailleurs ou d' ouvrir un commerce le dimanche afin de permettre autant que possible aux particuliers de bénéficier d' un même jour de repos, laissant ainsi le champ libre à toutes sortes d' activités communes non professionnelles ( telles que familiales, religieuses, culturelles, sportives ). Cela signifie alors toutefois que la liste des exigences impératives est étendue à un nouveau motif de justification .

10 . Sur ce point, l' arrêt B & Q témoigne d' une évolution remarquable . Il renvoie en effet d' abord à l' arrêt Oebel de 1981 ( 22 ), dans lequel la Cour a affirmé - bien que ce ne fût pas directement dans le cadre de l' appréciation d' un éventuel motif de justification - qu' une interdiction de fabrication avant quatre heures du matin dans le secteur de la boulangerie et de la pâtisserie en Allemagne

"... considérée comme telle, constitue un choix de politique économique et sociale légitime, conforme aux objectifs d' intérêt général poursuivis par le traité . En effet, cette interdiction vise à améliorer les conditions de travail dans un secteur notoirement sensible qui est caractérisé, du point de vue du processus de production, par des particularités tenant tant à la qualité des produits qu' aux habitudes des consommateurs" ( point 12 des motifs de l' arrêt ).

Poursuivant ce raisonnement dans l' arrêt B & Q, cette fois effectivement dans le cadre de l' examen d' un motif de justification, la Cour déclare que :

"La même considération doit s' appliquer en ce qui concerne les réglementations nationales régissant les horaires de vente au détail . De telles réglementations constituent en effet l' expression de certains choix politiques et économiques en ce qu' elles visent à assurer une répartition des heures de travail et de repos adaptée aux particularités socioculturelles nationales ou régionales dont l' appréciation appartient, dans l' état actuel du droit communautaire, aux États membres ..." ( point 14 des motifs de l' arrêt ) ( 23 ).

Dans cet arrêt et dans d' autres ( 24 ), on peut discerner une certaine disposition de la Cour à reconnaître, outre les causes de justification "classiques" fondées sur la doctrine "Cassis de Dijon" ( telles que la défense des consommateurs, la garantie de loyauté des transactions commerciales et, en liaison avec les deux précédentes, l' objectif de transparence du marché, l' efficacité des contrôles fiscaux, la protection de l' environnement et du milieu de travail )

- dont certaines ont été reprises entre-temps à l' article 100 A du traité CEE -, d' autres "exigences impératives" encore et à les réunir, avec ou sans les précédentes, sous un seul dénominateur . Ce dénominateur pourrait être, par exemple : toutes les réglementations nationales dont la mise en oeuvre implique des choix de politique culturelle et/ou socio-économique se situant dans la ligne des buts d' intérêt général poursuivis par le traité ( tels que ceux cités à l' article 100 A ) et/ou adaptés aux particularités socioculturelles ou autres, nationales ou régionales, dont l' appréciation appartient, dans l' état actuel du droit communautaire, aux États membres .

Il s' agit en réalité - si l' on prend pour point de départ la formule large de l' arrêt Dassonville - de réunir le mieux possible sous une expression générale, mais néanmoins limitative, les innombrables motifs de justification potentiels . La tentative effectuée ci-avant montre qu' une telle formulation, en raison des notions vagues qu' elle contient, ne saurait fournir de fil conducteur solide . Elle a cependant une certaine valeur indicative . Il est clair, par exemple, que la fixation d' un jour de repos général le dimanche relève de la définition, tel étant d' ailleurs le souhait exprimé par la Cour dans l' arrêt B & Q : l' imposition d' un jour de repos hebdomadaire minimal est indubitablement un choix politique qui s' inscrit dans la ligne de la protection du milieu de travail et de la santé des personnes, soit d' objectifs reconnus dans le traité; le fait de fixer ce jour le dimanche constitue un choix adapté aux particularités socioculturelles de l' État membre .

11 . La difficulté de trouver un fil conducteur solide relatif aux motifs de justification rend d' autant plus important le maintien d' une répartition correcte des tâches entre les juridictions nationales et la Cour . Il appartient assurément en premier lieu à la juridiction nationale de vérifier la conformité avec le droit communautaire d' une réglementation nationale spécifique et de rechercher si elle peut être fondée par un motif de justification, tout en tenant compte, cependant, de la jurisprudence de la Cour . Cela signifie selon nous que, dès qu' un motif de justification invoqué à l' égard d' une réglementation nationale devant la juridiction nationale ne se rattache pas à l' un des motifs déjà expressément cités par la Cour, il convient que le juge saisisse la Cour d' une question préjudicielle . Il appartient alors à la Cour de décider si un nouveau motif de justification invoqué peut être admis .

Si la réponse est affirmative, la juridiction nationale est alors compétente pour examiner si la réglementation nationale telle qu' elle est conçue et appliquée en fait poursuit bel et bien l' objectif visé à l' égard duquel la Cour a admis qu' il s' inscrivait dans la ligne du traité, ou si elle est utilisée dans un autre but . C' est ainsi qu' il lui appartient également d' apprécier s' il convient de donner quelque effet à des griefs, tels que ceux avancés par les parties défenderesses dans les litiges au principal, relatifs à l' inconsistance et à l' application sporadique ou disparate des réglementations examinées . Dans la mesure où une telle application n' infirme pas la justification de la réglementation selon le droit communautaire, il n' appartient pas à la Cour de se prononcer à ce sujet .

12 . Lorsque la réglementation nationale examinée peut se prévaloir d' un motif de justification, il convient d' examiner ensuite la nature et la portée des entraves qu' elle cause . La jurisprudence montre qu' à cet égard également la Cour formule, à l' occasion de questions d' interprétation, des directives dont la juridiction nationale doit tenir compte .

Sur ce plan, il importe avant tout de constater que la réglementation nationale est indistinctement applicable aux produits importés et nationaux et qu' elle n' a pas non plus pour effet de rendre la commercialisation des produits importés plus difficile que celle des produits nationaux . Lorsque la réglementation nationale n' est discriminatoire ni dans la forme ni sur le plan du contenu, il convient ensuite de vérifier si elle a "pour objet de régir les courants d' échanges entre les États" ( 25 ). Une réglementation qui contient une limitation des heures d' ouverture des magasins ou de l' occupation des travailleurs le dimanche et, en d' autres termes, qui concerne une modalité d' exercice d' une activité commerciale qui n' est pas axée sur un produit déterminé ne saurait être ainsi qualifiée .

Toutefois, même alors, il faudra encore vérifier si la réglementation n' est pas susceptible d' exercer un effet "non désiré" sur le commerce intracommunautaire dans le sens large donné à cette notion dans la règle Dassonville . Ce serait assurément le cas si la réglementation entravait d' une manière ou d' une autre l' interpénétration des marchés nationaux à l' intérieur du marché commun, par exemple si elle avait pour effet de renforcer le cloisonnement d' un marché à l' intérieur d' un État membre, rendant ainsi l' accès au marché national plus difficile ( plus onéreux ) ou moins attrayant ( non rentable ) pour les producteurs ou vendeurs de marchandises en provenance d' autres États membres ( 26 ). On ne peut pas non plus normalement dire cela d' une réglementation interdisant d' occuper des travailleurs le dimanche .

13 . Suivant que l' examen des effets de la réglementation révélera des entraves plus ou moins sérieuses aux échanges intracommunautaires, on pourra admettre plus ou moins facilement que la réglementation, aux termes de l' arrêt B & Q ( point 12 des motifs ), "( ne va ) pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l' objectif visé et que cet objectif ( est ) justifié au regard du droit communautaire ". Ainsi, une réglementation qui produit un cloisonnement manifeste des marchés, même si elle n' a pas pour objet de régir les courants d' échanges entre les États, ira très rapidement au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour assurer l' objectif visé par la réglementation ( 27 ).

Des réglementations telles que celles examinées en l' espèce qui n' ont pas pour objet de régir les courants d' échanges entre les États et qui ne créent pas non plus de cloisonnement du marché pourront en revanche être facilement considérées comme restant dans les limites de ce qui est nécessaire .

14 . Nous en arrivons ainsi aux exigences classiques de nécessité et de proportionnalité appliquées par la Cour . Bien que, dans la jurisprudence de la Cour, les deux exigences soient fréquemment étudiées en même temps, dans une analyse qui s' articule étroitement autour de la situation juridique et factuelle concrète ( 28 ), les deux notions ne coïncident pas ( 29 ). L' exigence de nécessité implique deux choses : premièrement, que la réglementation nationale concernée soit réellement pertinente au regard de l' objectif visé, en d' autres termes, qu' il existe au moins potentiellement un lien causal entre la mesure prise et le but poursuivi; deuxièmement, qu' il n' existe pas, à la réglementation concernée, une alternative aussi efficace, mais causant moins d' entraves aux échanges intracommunautaires ( le critère de l' alternative la moins restrictive ). Par critère de proportionnalité, on entend en revanche qu' une mesure, même si elle est pertinente et constitue l' alternative la moins restrictive, est néanmoins incompatible avec l' article 30 ( et doit donc être abandonnée ou remplacée par une réglementation moins efficace ) lorsque les entraves qu' elle cause au commerce intracommunautaire sont disproportionnées par rapport au but poursuivi .

La règle appliquée dans l' arrêt B & Q selon laquelle les entraves éventuelles aux échanges intracommunautaires ne peuvent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l' objectif visé exprime, nous semble-t-il, les deux aspects du critère de nécessité cités ci-avant : la réglementation nationale restrictive est pertinente au regard de l' objectif visé, étant donné qu' elle est nécessaire pour assurer cet objectif et qu' elle y est donc destinée; elle ne peut pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l' objectif visé, ce qui implique qu' il n' existe pas d' alternative moins restrictive . Le critère de proportionnalité n' est toutefois pas inclus dans cette notion, étant donné qu' en vertu de ce critère une réglementation néanmoins essentielle pour la réalisation de l' objectif, qui ne va donc pas au-delà de ce qui est nécessaire, doit cependant être abandonnée par l' État membre .

Cela signifie-t-il que, dans l' arrêt B & Q, la Cour aurait renoncé au test de proportionnalité et abandonné ainsi la jurisprudence antérieure? Nous ne le pensons pas : la Cour n' avait pas besoin du critère de proportionnalité dans l' affaire C-145/88 - pas plus que dans les affaires actuelles - étant donné qu' il était immédiatement évident, et c' est également le cas à présent, que les entraves causées par les réglementations nationales concernées n' étaient certainement pas de nature à devoir amener les États membres à renoncer à une mesure nécessaire pour atteindre un objectif justifié . En revanche, si les entraves avaient été de nature à mettre en péril la réalisation du marché commun, on pourrait alors sérieusement se demander si elles sont encore proportionnées à l' objectif, légitime en soi, que poursuit la mesure . Nous sommes donc d' avis que l' on ne peut pas attacher de signification fondamentale à l' absence de référence, dans l' arrêt B & Q, au critère de proportionnalité et que cette absence de référence était due uniquement aux circonstances concrètes de l' espèce, dans laquelle il apparaissait que les entraves "éventuelles" causées aux échanges n' étaient pas par trop importantes .

Afin d' être complets, nous souhaitons faire observer que c' est la Cour qui procède elle-même à cette évaluation de l' objectif et des entraves, sur la base tant du critère de nécessité que du critère de proportionnalité, lorsqu' elle est amenée à interpréter l' article 30 ou l' article 36 à la lumière d' une réglementation nationale concrète décrite dans une question préjudicielle ( 30 ). Dans le doute, la juridiction nationale peut par conséquent saisir la Cour d' une question préjudicielle .

15 . En appliquant les considérations précédentes relatives à l' interprétation de l' article 30 du traité aux réglementations nationales actuellement en cause, nous en arrivons à la conclusion qu' une réglementation contenant une interdiction ( limitée ) d' occuper des travailleurs salariés le dimanche du type de celle qui vous est soumise est susceptible, suivant la constatation de la juridiction de renvoi, d' entraver le commerce entre les États membres au sens large donné à cette notion dans l' arrêt Dassonville; que l' objectif poursuivi par ces réglementations - à savoir l' octroi d' un seul et même jour de repos aux travailleurs, soit un dimanche - peut être considéré comme un objectif justifié au regard du droit communautaire; que les réglementations en cause, neutres à l' égard des importations, n' ont pas pour objet de régir les courants d' échanges entre les États membres et qu' il n' est pas davantage apparu, à la lumière également des constatations des juridictions de renvoi, que les entraves qu' elles causent au commerce intracommunautaire seraient de nature à mettre en péril la réalisation du marché commun; que, dans ces circonstances, rien ne permet de penser que les entraves causées aux échanges vont au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l' objectif visé ou qu' elles sont disproportionnées par rapport au but poursuivi .

En conséquence, nous estimons que les réglementations nationales en cause sont compatibles avec l' article 30 .

L' interprétation de l' article 34 du traité

16 . Dans la décision de renvoi rendue dans l' affaire C-332/89, la Cour a été invitée également à statuer sur l' interprétation de l' article 34 à propos d' une interdiction d' occuper des travailleurs salariés le dimanche . La question tend donc à savoir si une telle interdiction peut être regardée comme une restriction quantitative aux exportations incompatible avec le traité .

Pour répondre à cette question, il suffit de rappeler la jurisprudence constante de la Cour relative à l' article 34 du traité . Dans l' arrêt Groenveld de 1979, la Cour s' exprimait ainsi :

"Cette disposition ( l' article 34 ) vise les mesures nationales qui ont pour objet ou pour effet de restreindre spécifiquement les courants d' exportation et d' établir ainsi une différence de traitement entre le commerce intérieur d' un État membre et son commerce d' exportation, de manière à assurer un avantage particulier à la production nationale ou au marché intérieur de l' État intéressé, au détriment de la production ou du commerce d' autres États membres . Tel n' est pas le cas d' une prohibition ( qui interdit aux fabricants de charcuterie de détenir en stock et de transformer la viande chevaline ), qui s' applique objectivement à la production de marchandises d' un certain type sans faire une distinction selon que celles-ci sont destinées au marché national ou à l' exportation" ( point 7 des motifs de l' arrêt ).

Cet arrêt a ultérieurement été confirmé à diverses reprises par la Cour ( 31 ) et exclut que des réglementations commerciales indistinctement applicables ( en d' autres termes, des réglementations qui n' ont ni pour objet ni pour effet de restreindre spécifiquement les exportations ) soient tenues pour incompatibles avec l' article 34 . Cette solution doit s' appliquer également à une réglementation indistinctement applicable telle que celle qui vous est soumise aujourd' hui : comme nous l' avons vu, elle n' a pas pour objet de régir les courants d' échanges entre les États membres et rien n' indique non plus qu' elle rend la production ou la commercialisation de marchandises destinées à l' exportation plus difficile que celle de marchandises destinées au marché national .

L' interprétation des articles 59 et suivants du traité

17 . Les articles 59 et suivants du traité concernent la libre circulation des services et, dans l' arrêt de renvoi rendu dans l' affaire C-332/89, il vous est demandé si ces dispositions s' opposent à une interdiction d' occuper des travailleurs un dimanche .

La réponse à cette question doit, à notre avis, être tirée du premier alinéa de l' article 60 du traité . Cette disposition est ainsi libellée :

"Au sens du présent traité, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes" ( souligné par nous ).

Étant donné que, dans l' affaire qui nous occupe, il y a lieu d' admettre, en vertu de l' arrêt rendu dans l' affaire C-145/88, que la réglementation en cause est une réglementation commerciale qui relève de l' article 30, il ne convient pas d' y appliquer les dispositions relatives à la libre circulation des services .

L' interprétation des articles 3, sous f ), 5 et 85 du traité

18 . Enfin, il nous reste encore à examiner la question de l' application éventuelle des règles de concurrence du traité à des réglementations telles que celles actuellement en cause . Dans les deux affaires, les parties défenderesses ont soulevé cette question dans le litige au principal . Seul le juge a quo dans l' affaire C-332/89 a déféré cette question à la Cour, enchaînant apparemment par là sur l' argument avancé par les parties défenderesses au principal, selon lequel les réglementations incriminées "faussent la concurrence" et, en prenant ou en maintenant en vigueur de telles mesures, un État membre enfreindrait les règles de concurrence édictées par le traité . Ce n' est toutefois pas d' une perturbation de la concurrence de ce genre qu' il s' agit dans les articles 3, sous f ), et 85 : ces dispositions concernent effectivement le maintien de la concurrence à l' intérieur du marché commun, mais elles visent une interdiction portant sur les accords et pratiques concertées entre entreprises susceptibles de fausser le jeu de la concurrence . Il n' est apparemment pas question de tels accords ou pratiques concertées dans la situation soumise à la juridiction de renvoi .

Certes, la Cour a jugé qu' il découlait des dispositions combinées des articles 3, sous f ), 5 et 85 du traité CEE que les principes inscrits à l' article 85 devaient être respectés également par les États membres . Plus précisément, la Cour a dit pour droit que les États membres avaient l' obligation de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures susceptibles d' éliminer l' effet utile de l' article 85 du traité CEE . Tel serait notamment le cas si un État membre favorisait la conclusion d' ententes contraires à l' article 85 ou en renforçait les effets ( 32 ). Il n' existe cependant pas le moindre élément du dossier qui permette d' affirmer que ce serait le cas des réglementations dont sont saisies les juridictions nationales .

Conclusion

19 . En conclusion des développements qui précèdent, nous suggérons à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles :

"Dans l' affaire C-312/89 :

les articles 30 et 36 du traité CEE doivent être interprétés en ce sens que l' interdiction qu' ils prévoient ne s' applique pas à une réglementation nationale interdisant d' occuper des travailleurs salariés le dimanche lorsque cette réglementation, qui n' a pas pour objet de régir les courants d' échanges entre les États membres, ne rend pas la commercialisation des marchandises importées plus difficile que celle des produits nationaux et ne rend pas non plus le marché moins accessible aux produits importés . Dans un tel cas, les effets restrictifs sur les échanges intracommunautaires qui peuvent éventuellement résulter de la réglementation en question ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l' objectif visé et ne sont pas non plus hors de proportion avec cet objectif .

Dans l' affaire C-332/89 :

les articles 30 à 36 du traité CEE doivent être interprétés en ce sens que l' interdiction qu' ils prévoient ne s' applique pas à une réglementation nationale interdisant d' occuper des travailleurs salariés le dimanche lorsque cette réglementation, qui n' a pas pour objet de régir les courants d' échanges entre les États membres, ne rend pas la commercialisation des marchandises importées plus difficile que celle des produits nationaux et ne rend pas non plus le marché moins accessible aux produits importés . Dans un tel cas, les effets restrictifs sur les échanges intracommunautaires qui peuvent éventuellement résulter de la réglementation en question ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l' objectif visé et ne sont pas non plus hors de proportion avec cet objectif . Ni les articles 59 à 66 ni les dispositions combinées des articles 3, sous f ), 5 et 85 ne sont applicables à une réglementation de ce genre ."

(*) Langue originale : le néerlandais .

( 1 ) Voir arrêt du 20 avril 1988, Bekaert, point 5 ( 204/87, Rec . p . 2029 ), et arrêt du 7 mars 1990, Krantz/Ontvanger der Directe Belastingen, points 7 et 8 ( C-69/88, Rec . p . I-583 ).

( 2 ) Rec . p . 3851 .

( 3 ) Voir l' annexe 2 aux observations des parties défenderesses au principal .

( 4 ) Le principe a été énoncé d' une façon générale ( bien que dans le contexte de la liberté d' établissement ) dans l' arrêt du 8 décembre 1987, Gauchard, points 11 et 12 ( 20/87, Rec . p . 4879 ); voir également, pour une application récente de ce principe en matière de libre circulation des services, l' arrêt du 3 octobre 1990, Nino e . a ., points 10 et 11 ( C-54/88, C-91/88 et C-14/89, Rec . p . I-3537 ).

( 5 ) Arrêt du 11 juillet 1985, spécialement le point 22 ( 60/84 et 61/84, Rec . p . 2605 ).

( 6 ) Il nous semble que cette formulation est plus précise que celle, reprise au point 4 ci-avant, utilisée dans le dispositif de l' arrêt et dans laquelle il n' est pas fait référence à "ce qui est nécessaire", mais seulement aux "effets" propres à une réglementation de ce genre . Le critère "nécessité" a un contenu normatif que n' a pas le critère "effets ".

( 7 ) Arrêt du 11 juillet 1974, point 5 ( 8/74, Rec . p . 837 ).

( 8 ) Conclusions présentées à l' audience du 29 juin 1989, points 13 à 15 ( Rec . p . 3865 ).

( 9 ) Ce ne serait pas le cas en l' espèce s' il apparaissait que, pour le produit concerné, le commerçant récupérait intégralement pendant les autres jours de la semaine son chiffre d' affaires réduit à la suite de l' interdiction d' occuper des travailleurs le dimanche .

( 10 ) Voir l' arrêt du 16 mai 1989, Buet, points 7 et 9 ( 382/87, Rec . p . 1235 ), ainsi que l' arrêt B & Q .

( 11 ) C' est manifestement le cas dans l' arrêt B & Q, dans lequel l' existence d' un motif de justification est recherchée eu égard aux effets sur les échanges communautaires qui pourraient éventuellement résulter de la réglementation nationale examinée : voir le dispositif de l' arrêt .

( 12 ) Arrêt du 14 juillet 1981, Oebel, points 19 et 20 ( 155/80, Rec . p . 1993 ). Voir également arrêt du 25 novembre 1989, Forest, point 19 ( 148/85, Rec . p . 3449 ).

( 13 ) Arrêt du 31 mars 1982, Blesgen, point 9 ( 75/81, Rec . p . 1211 ).

( 14 ) Voir arrêt du 11 juillet 1990, Quietlynn, point 11 ( C-23/89, Rec . p . I-3059 ).

( 15 ) Il ressort des deux dernières hypothèses que la Cour admet la possibilité de compenser la perte de chiffre d' affaires du fait d' un commerçant par les ventes supplémentaires réalisées par d' autres commerçants dans un même État membre . La Cour se fonde à cet effet sur de simples possibilités tenant au champ d' application de la réglementation examinée ( voir, par exemple, l' arrêt Oebel, précité note 12, point 19 ), sans se référer à des données chiffrées, ce qui lui serait d' ailleurs difficile en pratique .

( 16 ) Voir, par exemple, les arrêts du 13 mars 1984, Procédure pénale contre Prantl ( 16/83, Rec . p . 1299 ), et du 14 octobre 1980, Burgoa, en particulier le point 13 ( 812/79, Rec . p . 2787 ).

( 17 ) Voir, par exemple, arrêt du 20 septembre 1990, Sevince/Staatssecretaris van Justitie, point 11 ( C-192/89, Rec . p . I-3461 ).

( 18 ) Le fait que l' arrêt B & Q laisse sur ce point plus d' une question ouverte est illustré par l' affaire C-304/90, qui vient d' être enregistrée à la Cour et dans laquelle la "Reading and Sonning Magistrates' Court" pose une série de questions détaillées sur l' interprétation de l' arrêt, et en particulier sur l' application du contrôle de proportionnalité ( voir la deuxième question préjudicielle dans l' affaire en question ).

( 19 ) Voir, par exemple, l' arrêt du 11 juillet 1985, Cinéthèque, précité note 5, points 22 et 23, et l' arrêt du 14 juillet 1988, 3 Glocken e.a./USL Centro Sud e.a ., points 12 à 27 ( 407/85, Rec . p . 233 ). Voir également l' arrêt du 7 mars 1990, GB-Inno-BM ( C-362/88, Rec . p . I-667 ).

( 20 ) Si l' interdiction avait en vue la santé des personnes, l' exigence d' un même jour de repos obligatoire ne saurait alors être justifiée : voir plus loin dans le texte .

( 21 ) Inaugurée par l' arrêt du 20 février 1979, Rewe, point 8 ( 120/78, Rec . p . 649 ).

( 22 ) Arrêt du 14 juillet 1981 ( précité note 12 ).

( 23 ) Voir également la suite de ce passage, au point 12 ci-après .

( 24 ) Voir notamment l' arrêt Cinéthèque du 11 juillet 1985 ( précité note 5 ).

( 25 ) Voir l' arrêt B & Q, point 14 des motifs, dernière ligne . Cette expression apparaît également dans d' autres arrêts : voir, par exemple, l' arrêt Quietlynn, précité note 14, point 11, l' arrêt Krantz, précité note 1, point 11, et l' arrêt Cinéthèque, précité note 5, point 21 ( dans lequel la Cour a affirmé que c' était le cas de tous les régimes indistinctement applicables aux produits nationaux et importés ).

( 26 ) Voir, sur ce point, les développements détaillés de nos conclusions dans l' affaire C-145/88, points 17 à 25, citées à la note 8 .

( 27 ) Elle peut alors éventuellement être qualifiée de "restriction déguisée dans le commerce entre les États membres", au sens de l' article 36, dernière phrase, auquel cas aucun motif de justification au titre de l' article 30 ni au titre de l' article 36 ne saurait être invoqué . Comparez l' arrêt du 3 décembre 1981, Pfizer/Eurim-Pharm ( 1/81, Rec . p . 2913 ), dans lequel la Cour a estimé que l' article 36 s' opposait à ce que l' exercice d' un droit de marque ait pour effet de produire un cloisonnement artificiel des marchés dans le cadre de la Communauté ( voir également les conclusions de l' avocat général M . Capotorti dans cette affaire, en particulier à la page 2935 ).

( 28 ) Voir, par exemple, arrêt du 20 mai 1976, de Peijper, points 21 et 22 ( 104/75, Rec . p . 613 ), et arrêt du 8 février 1983, Commission/Royaume-Uni, point 16 ( 124/81, Rec . p . 203 ). Voir également arrêt Buet, points 11, 12 et 15 ( précité note 10 ).

( 29 ) Voir également nos conclusions dans l' arrêt du 23 mai 1990, Gourmetterie van den Burg, points 8 et suivants ( C-169/89, Rec . p . I-2143 ).

( 30 ) Voir la jurisprudence précitée note 19 .

( 31 ) Voir, par exemple, outre l' arrêt Oebel ( précité note 12 ), l' arrêt du 15 décembre 1982, Oosthoek ( 286/81, Rec . p . 4575 ), l' arrêt du 10 mars 1983, Interhuiles ( 172/83, Rec . p . 555 ), et l' arrêt du 7 février 1984, Jongeneel Kaas ( 237/82, Rec . p . 484 ).

( 32 ) Voir, par exemple, arrêt du 1er octobre 1987, Vereniging van Vlaamse Reisbureaus, en particulier points 9 et 10 ( 311/85, Rec . p . 3801 ).

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