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Document 61989CC0300

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 13 mars 1991.
Commission des Communautés européennes contre Conseil des Communautés européennes.
Directive sur les déchets de dioxyde de titane - Base juridique.
Affaire C-300/89.

Recueil de jurisprudence 1991 I-02867

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1991:115

61989C0300

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 13 mars 1991. - Commission des Communautés européennes contre Conseil des Communautés européennes. - Directive sur les déchets de dioxyde de titane - Base juridique. - Affaire C-300/89.

Recueil de jurisprudence 1991 page I-02867
édition spéciale suédoise page I-00199
édition spéciale finnoise page I-00211


Conclusions de l'avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . En demandant l' annulation de la directive 89/428/CEE pour défaut de base juridique, la Commission soulève une question qui est en substance nouvelle et d' un intérêt certain : la délimitation du champ d' application respectif des articles 100 A et 130 S du traité ( 1 ).

2 . Relevons d' emblée que le choix entre ces deux dispositions n' a pas une portée purement formelle . Déjà du point de vue du fond, en effet, les articles 100 A et 130 S se rapportent à des compétences différentes des institutions, étant donné que la nouvelle réglementation en matière d' environnement visée aux articles 130 R et suivants prévoit une compétence purement subsidiaire de la Communauté et s' inspire d' une philosophie de protection minimale, alors que l' action menée en application de l' article 100 A se fonde sur une compétence pas du tout subsidiaire et doit viser à atteindre des niveaux de protection élevés .

Mais les différences fondamentales entre les deux dispositions se situent au niveau de la procédure . En effet, d' une part, l' article 100 A prévoit que le Conseil statue selon les modalités de la procédure de coopération, ce qui implique, au moins dans certaines circonstances, non seulement, sur un plan plus général, une participation plus effective de l' Assemblée au processus décisionnel, mais également le vote à la majorité qualifiée; d' autre part, l' article 130 S ne prévoit que la simple consultation du Parlement et, sauf disposition contraire du Conseil ( voir article 130 S, deuxième alinéa ), la prise de décision à l' unanimité .

Dans ces conditions, il est même évident que le choix de la base juridique a une incidence considérable sur le processus de formation de l' acte et qu' il peut donc se répercuter sur le contenu de ce dernier . Il s' ensuit que, selon une jurisprudence constante ( inaugurée par le célèbre arrêt "préférences généralisées" ( 2 ) et confirmée, en dernier lieu, par l' arrêt du 29 mars 1990, Grèce/Conseil, C-62/88, Rec . p . I-1527 ), dans le cas dont il s' agit en l' espèce, la détermination d' une base juridique erronée ne se limite pas à un vice de pure forme, mais représente une violation de formes substantielles de nature à affecter la validité de l' acte .

Cela étant, il convient, en outre, d' observer que la question a une portée pratique importante . L' enjeu de l' affaire ne se limite pas, à l' évidence, à la seule directive attaquée; d' une manière plus générale, il s' agit d' établir selon quelle procédure, et en particulier selon quelle règle de vote, il y a lieu d' arrêter les actes assimilables ( par leurs contenu et effets ) à la directive en question, actes qui, ainsi que nous aurons l' occasion de le préciser ci-après, représentent une catégorie, qui est loin d' être accessoire, de mesures d' harmonisation des réglementations nationales en matière de protection de l' environnement .

Les thèses des parties

3 . Les parties interprètent différemment tant les règles que l' acte en question .

Le Conseil part de l' idée que, du fait de l' introduction des articles 130 R et suivants, la Communauté est devenue compétente pour mener une action spécifique en matière d' environnement . Il s' ensuit que l' article 130 S devrait être considéré comme la base juridique appropriée pour les actes qui poursuivent l' une des finalités visées à l' article 130 R, c' est-à-dire la préservation, la protection et l' amélioration de la qualité de l' environnement, la protection de la santé des personnes et l' utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles .

En revanche, de l' avis du Conseil, l' article 100 A constitue le fondement juridique non pas pour l' adoption de mesures spécifiques en matière d' environnement, mais pour les actes concourant à l' établissement et au fonctionnement du marché intérieur, tel qu' il est défini à l' article 8 A du traité . Une nette démarcation existerait donc entre ces deux dispositions, parce qu' elles sont précisément destinées à poursuivre des objectifs distincts . Aucune confusion ou superposition entre ces normes ne serait donc concevable .

Cela étant, le Conseil reconnaît qu' un acte déterminé peut poursuivre, en même temps, plusieurs finalités visées par des dispositions différentes du traité . En conséquence, pour définir la base juridique spécifiquement pertinente, il est indispensable de déterminer quel est l' "objectif principal" ou le "centre de gravité" de l' acte . En particulier, le Conseil admet que des réglementations en matière de protection de l' environnement, telles que la directive attaquée, qui régissent les conditions de production dans un secteur industriel déterminé, puisqu' elles harmonisent les conditions de concurrence entre les entreprises concernées, tendent également, dans une certaine mesure, à promouvoir l' établissement et le fonctionnement du marché intérieur : ce dernier objectif revêtirait, toutefois, un caractère tout à fait secondaire par rapport au but principal de protection de l' environnement contre la pollution résultant des productions industrielles en question .

Quant à la directive attaquée, une analyse tant de son contenu que de ses effets, ainsi que du contexte normatif dans lequel elle s' insère, confirmerait que le "centre de gravité" de l' acte consiste en l' exigence de supprimer la pollution provoquée par les déchets provenant du processus de fabrication du dioxyde de titane . L' article 130 S constituerait donc la seule base juridique correcte .

La Commission - soutenue par le Parlement - s' accorde avec le Conseil pour considérer que les articles 130 R et suivants ont attribué à la Communauté de larges compétences en matière d' environnement . Elle observe, toutefois, que l' article 130 S ne constitue pas la base juridique appropriée pour l' adoption de mesures relatives, par leur objet, au marché intérieur : ces mesures ne devraient, au contraire, être arrêtées qu' en application de l' article 100 A, seule norme spécifiquement pertinente . Cette dernière constituerait donc un genre de lex specialis par rapport à l' article 130 S, de même que par rapport à toutes les autres dispositions du traité qui ne sont pas en elles-mêmes destinées à l' établissement et au fonctionnement du marché intérieur .

Il en résulte que, en principe, les mesures de protection de l' environnement devraient être adoptées selon la procédure prévue à l' article 100 A, lorsque trois conditions sont remplies : qu' il s' agisse de mesures d' harmonisation; que les dispositions harmonisées, bien qu' elles soient arrêtées en matière de protection de l' environnement, contribuent en raison de leur "objet" à l' établissement et au fonctionnement du marché intérieur ( l' objet étant à déterminer compte tenu du contenu et des effets de la mesure ); enfin, que n' entrent pas en ligne de compte des bases juridiques encore plus spécifiques dans le domaine du marché intérieur ( telles que les articles 56, paragraphe 2, 57, paragraphe 2, ou 69, dispositions qui prévaudraient non seulement en raison du principe de spécialité, mais également en vertu de la réserve, énoncée à l' article 100 A, "sauf si le présent traité en dispose autrement", mais qui, par ailleurs, du point de vue procédural ne se différencient pas de l' article 100 A, du moins en ce qui concerne le vote à la majorité ). Le texte même des articles 100 A et 130 S conforterait cette analyse dans la mesure où il établit que les exigences de protection de l' environnement font partie intégrante de l' action d' harmonisation réalisée sur la base de l' article 100 A .

La Commission souligne, en outre, que la thèse défendue par le Conseil restreint de manière injustifiée la portée de l' article 100 A par rapport à l' article 130 S : le Conseil considérerait, en effet, que l' article 130 S peut constituer le fondement de mesures destinées à égaliser les conditions de concurrence entre les entreprises, en excluant cependant que l' article 100 A puisse être utilisé pour fonder des mesures d' harmonisation visant à la protection de l' environnement .

La Commission, enfin, procède aussi à l' analyse de la directive litigieuse, en parvenant cependant à une conclusion opposée à celle du Conseil . En effet, de l' avis de la Commission, l' acte aurait principalement pour "objet" ( ou "centre de gravité ") l' amélioration des conditions de concurrence dans l' industrie du dioxyde de titane . En conséquence, il aurait dû être arrêté sur la base du seul article 100 A ( 3 ).

La qualification de la réglementation litigieuse

4 . Les parties se trouvent donc en net désaccord tant sur l' interprétation des dispositions que sur la qualification de l' acte litigieux . Examinons d' abord ce dernier aspect . A cet égard, il faut préciser tout de suite que la lecture divergente ( au niveau des résultats ) que les parties ont donnée à la directive en cause n' est due qu' en apparence à une différence d' approche dans l' analyse . Il est, certes, exact que la Commission a privilégié la détermination de l' "objet" principal de l' acte alors que le Conseil a considéré que l' élément déterminant pour la qualification de l' acte devait être identifié dans l' "objectif" prépondérant de cet acte . Toutefois, cette divergence ne revêt, éventuellement, qu' une importance purement terminologique . En effet, d' une part, la Commission ne manque pas de tenir compte également des finalités de la réglementation en cause, et, d' autre part, le Conseil, précisément pour éviter le risque ( et l' accusation ) que son analyse se fonde sur un critère de nature subjective ( la conviction de l' institution en ce qui concerne les finalités de l' acte ), tient à préciser que l' "objectif" de l' acte en cause ne peut être compris qu' en fonction de son contenu et de ses effets, aspects qui sont aussi examinés par la Commission dans le cadre de son analyse de l' objet de la directive . Au demeurant, même sur le plan terminologique, les différences entre les deux institutions semblent s' estomper, au point de s' effacer, dans la mesure où toutes les deux considèrent qu' il est indispensable et décisif d' identifier ce qu' elles définissent comme le "centre de gravité" de la réglementation litigieuse .

On ne décèle donc pas de véritables divergences quant aux critères d' analyse utilisés . Comment se peut-il, alors, que les parties, bien qu' elles affirment s' être fondées exclusivement sur "des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel" ( conformément au principe bien connu qui a été énoncé par la Cour en matière de controverses sur la base juridique dès l' arrêt "préférences généralisées" précité ), soient ensuite arrivées à des résultats diamétralement opposés?

5 . Pour répondre à cette question, il est indispensable de rappeler que le Conseil et la Commission s' accordent pour dire que la directive concerne un double aspect, en ce sens qu' elle porte tant sur l' harmonisation des conditions de production, et donc de concurrence, dans l' industrie du dioxyde de titane que sur le développement d' une action antipollution . La véritable divergence entre les parties ne consiste que dans l' évaluation de l' importance relative des deux aspects et, partant, dans la détermination de l' aspect prépondérant ou principal de l' acte .

Cela étant dit, venons-en à l' examen de la réglementation en question . A cet égard, il convient de préciser que la directive de qua s' insère, en le complétant, dans le régime établi par la précédente directive 78/176/CEE du Conseil . Cette dernière avait déjà donné lieu à une controverse sur la base juridique, la Commission ayant proposé l' adoption sur la base du seul article 100, tandis que le Conseil - conformément à une pratique sur laquelle nous aurons l' occasion de revenir - a décidé d' y ajouter l' article 235, comme seconde base juridique .

Le recours à la double base juridique est ainsi justifié aux troisième et quatrième considérants de la directive 78/176 :

"considérant qu' une disparité entre les dispositions déjà applicables ou en cours de préparation dans les différents États membres en ce qui concerne les déchets provenant de l' industrie du dioxyde de titane peut créer des conditions de concurrence inégales et avoir, de ce fait, une incidence directe sur le fonctionnement du marché commun; qu' il convient donc de procéder dans ce domaine au rapprochement des législations prévu à l' article 100 du traité;

considérant qu' il apparaît nécessaire d' assortir ce rapprochement des législations d' une action de la Communauté visant à réaliser, par une réglementation plus ample, l' un des objectifs de la Communauté dans le domaine de la protection du milieu et de l' amélioration de la qualité de la vie; qu' il convient donc de prévoir, à ce titre, certaines dispositions spécifiques; que, les pouvoirs d' action requis à cet effet n' ayant pas été prévus par le traité, il convient de recourir à l' article 235 du traité ".

On observera que les considérants précités ne font que reprendre une formule stéréotypée que l' on retrouve normalement dans les actes qui, dans le cadre d' une action ( plus ou moins spécifique ) de protection de l' environnement, harmonisent les réglementations nationales relatives aux conditions de production des entreprises . Citons, par exemple, la directive 75/439/CEE du Conseil concernant l' élimination des huiles usagées ( voir deuxième et troisième considérants ), la directive 75/440/CEE du Conseil concernant la qualité requise des eaux superficielles destinées à la production d' eau alimentaire ( voir troisième et quatrième considérants ), la directive 82/501/CEE du Conseil concernant les risques d' accident majeurs de certaines activités industrielles ( voir premier et deuxième considérants ) et, surtout, la directive 75/442/CEE du Conseil qui établit des normes d' harmonisation générale en matière d' élimination des déchets ( voir premier et deuxième considérants ) et qui représente, donc, un précédent assurément pertinent par rapport au cas d' espèce .

Dans tous ces actes, la nécessité de l' article 100 ( ajouté à l' article 235 ) est justifiée par la considération que la disparité des réglementations nationales à harmoniser crée des distorsions de concurrence et a, de ce fait, une incidence directe sur le fonctionnement du marché ( 4 ). Inversement, dans les cas où cet aspect de la protection du marché et de l' élimination des distorsions de concurrence n' a pas paru important, le Conseil s' est fondé sur le seul article 235, en abandonnant, à juste titre, toute référence à l' article 100 . Citons, par exemple, la décision 75/441/CEE du Conseil instituant une procédure commune d' échange d' informations en ce qui concerne les données relatives à la pollution atmosphérique causée par certains composés de soufre et aux particules en suspension et la directive 79/409/CEE du Conseil concernant la conservation des oiseaux sauvages .

Pour revenir, après cette brève digression, à la directive 78/176, observons tout d' abord qu' elle est pleinement cohérente avec la pratique habituelle des institutions . Notons aussi que la motivation de la directive 78/176 ( et des actes qui sont, en substance, analogues à cette dernière ) confirme tout à fait que dans ces cas l' action communautaire comprend aussi, outre la composante environnement, une composante marché et que cette dernière joue un rôle d' égale importance dans l' acte, imposant incontestablement le recours à l' article 100; cela, bien que l' article 1er de la directive en question énonce que cette dernière a pour "objet la prévention et la diminution progressive, en vue de sa suppression, de la pollution provoquée par les déchets provenant de l' industrie du dioxyde de titane ".

Le contenu de la directive montre, d' ailleurs, que les deux composantes essentielles s' imbriquent et se fondent l' une dans l' autre . La directive 78/176 non seulement réaffirme, aux articles 2 et 3, les principes fondamentaux de l' action communautaire en matière de traitement des déchets, c' est-à-dire les principes de l' élimination sans risque pour la santé et l' environnement ainsi que de la prévention et du recyclage, principes qui ont été déjà énoncés aux articles 3 et 4 de la directive générale 75/442 relative aux déchets, précitée, mais interdit, sauf autorisation, le déversement, l' immersion, le stockage et l' injection des déchets provenant de l' industrie du dioxyde de titane ( voir article 4 ); la directive harmonise les conditions de l' autorisation ( articles 5 et 6 ) et fixe le régime des opérations de contrôle ( article 7 ) et des mesures à prendre pour remédier à certains cas d' urgence ( article 8 ). En d' autres termes, la directive harmonise, certes, des prescriptions nationales visant à la protection de l' environnement, mais elle établit en même temps, et avec les mêmes dispositions, des règles uniformes pour toutes les entreprises communautaires productrices de dioxyde de titane, en contribuant ainsi à éviter des disparités dans les coûts et dans les conditions de concurrence; c' est pour cette raison - répétons-le - que le Conseil a indiqué également l' article 100 comme base juridique .

Mais la disposition de la directive 78/176 qui revêt le plus d' importance aux fins de la présente analyse est celle visée à l' article 9, prévoyant que les États membres établissent des programmes nationaux de réduction progressive de la pollution, en vue de sa suppression, provoquée par les déchets provenant des fabriques de dioxyde de titane . L' article 9, paragraphe 3, précise, toutefois, que ces programmes constituent simplement la base d' une harmonisation ultérieure, à réaliser au niveau communautaire dans des délais précis; cette harmonisation - notons-le - est destinée tant à la réduction de la pollution et, donc, à sa suppression définitive, qu' à "améliorer les conditions de concurrence dans le secteur de la production du dioxyde de titane ".

6 . Or, cette harmonisation constitue précisément l' objet de la directive litigieuse . Il convient de préciser que la directive 89/428 a été initialement proposée par la Commission sur le fondement de la double base juridique ( articles 100 et 235 ), qui avait été déjà choisie par le Conseil pour la précédente directive 78/176 . Suite à l' entrée en vigueur de l' Acte unique européen, la Commission a modifié sa proposition, en introduisant comme unique base juridique de l' acte l' article 100 A, auquel le Conseil a ensuite substitué l' article 130 S . Précisons également que ces modifications de la base juridique ne sont pas dues à des changements apportés au dispositif ou à la motivation de la directive en question .

Pour procéder, à présent, à la qualification juridique de l' acte litigieux, il convient, conformément à l' arrêt du 29 mars 1990, Grèce/Conseil ( C-62/88, Rec . p . I-1527 ), d' en examiner les finalités et le contenu . Quant aux finalités, ce sont les mêmes - il ne pouvait en être autrement - que celles qui ont été déjà énoncées à l' article 9, paragraphe 3, de la précédente directive 78/176, c' est-à-dire, d' une part, la protection de l' environnement et, d' autre part, la suppression des distorsions de concurrence dans le marché commun . Cela résulte clairement du deuxième considérant de la directive 89/428 qui reprend, d' ailleurs, les termes précités de l' article 9, paragraphe 3, de la directive 78/176; confirmation en est donnée, à l' évidence, par l' article 1er de la directive attaquée, qui est ainsi libellé :

"La présente directive fixe, conformément à l' article 9, paragraphe 3, de la directive 78/176/CEE, les modalités d' harmonisation des programmes de réduction, en vue de sa suppression, de la pollution provoquée par les déchets provenant des établissements industriels anciens et vise à améliorer les conditions de concurrence dans le secteur de la production du dioxyde de titane ."

Le texte de l' article 1er est donc absolument clair : la directive 89/428 poursuit une double finalité, de protection de l' environnement et de protection du fonctionnement du marché intérieur, et aucun élément ne permet de considérer que l' une des deux finalités l' emporte par rapport à l' autre, à moins de vouloir supprimer arbitrairement l' une ou l' autre partie de l' article 1er .

Quant au contenu, la directive attaquée interdit ou réduit sur la base de paramètres précis le rejet de déchets provenant des entreprises productrices de dioxyde de titane, en fixant également les différents délais pour la mise en oeuvre définitive des différentes dispositions . Il en résulte, en définitive, un régime harmonisé qui, en imposant des obligations précises aux États et surtout aux entreprises ( en particulier les "établissements industriels anciens ") en ce qui concerne le traitement des déchets provenant du processus de production, d' une part, limite les niveaux de pollution et, d' autre part, établit des conditions plus uniformes de production, de coûts et, partant, de concurrence .

L' analyse du contenu de l' acte confirme donc, là encore, l' existence d' une double composante, relative, d' un côté, à la sauvegarde de l' environnement et, de l' autre, à la protection du marché . En outre, ainsi qu' il a été déjà précisé en ce qui concerne la directive 78/176, ces deux composantes se situent au même niveau : toutes les deux paraissent essentielles et inséparables, étant donné que les règles antipollution régissent en même temps le marché pour en garantir un fonctionnement plus équilibré .

7 . La validité de cette conclusion n' est pas infirmée par certains éléments que la Commission et le Parlement ont fait valoir pour démontrer que, dans le processus d' élaboration de la directive attaquée, l' exigence d' harmoniser les conditions de concurrence aurait joué un rôle principal . En fait, la Commission et le Parlement ont souligné que les dispositions de lutte contre la pollution provoquée par les déchets provenant de la production du dioxyde de titane étaient déjà comprises dans les programmes nationaux adoptés en application de l' article 9 de la directive 78/176 . L' harmonisation ultérieure mise en oeuvre par la directive 89/428 aurait donc répondu, en priorité, à l' exigence d' éviter des distorsions de concurrence dues à l' incidence économique différente de prescriptions nationales dans une certaine mesure divergentes . A cet égard, la Commission a produit les résultats d' études accomplies en 1984 et en 1989, démontrant que les différents systèmes de lutte contre la pollution sont de nature à avoir une incidence directe sur les prix dans les différents États membres, représentant des différences de 10 à 20 % du prix en 1984, et que les différences de prix ont augmenté au cours des années 1984 à 1989 .

L' effet de distorsion qu' une telle situation comporte pour la concurrence et, partant, la nécessité d' y remédier se reflètent, en outre, ponctuellement dans les avis exprimés, dans le cadre du processus d' élaboration de la directive en question, par le Comité économique et social et par le Parlement européen . Ce dernier, en particulier, dans une résolution du 10 avril 1984 déplorant les retards des États membres et de la Commission dans l' adoption des mesures d' harmonisation prévues dans la directive 78/176 souligne qu' "il est indispensable d' harmoniser le plus rapidement possible, sur le plan communautaire, les programmes nationaux de réduction de la pollution, en vue, notamment, d' éviter les distorsions de concurrence entre producteurs de dioxyde de titane dans la Communauté", en précisant, en outre, qu' "une prorogation du délai de 1987 à 1993 provoquerait des distorsions de la concurrence, dont bénéficieraient les entreprises qui, jusqu' à présent, n' ont pris aucune mesure ou très peu de mesures pour se conformer à la directive de base 78/176" ( 5 ).

Enfin, la Commission a cité différentes déclarations des délégations nationales au sein du Conseil, formulées au cours du processus d' élaboration de la directive 89/428, dont il résulte que les États membres ont été particulièrement sensibles, précisément, à la nécessité d' améliorer les conditions de concurrence dans l' industrie du dioxyde de titane ( 6 ).

8 . Toutefois, bien que ces considérations soient pertinentes - et que leur matérialité ne soit nullement contestée par le Conseil -, nous ne pensons pas qu' elles puissent être déterminantes aux fins de l' interprétation de l' acte en question . Il n' est pas fortuit qu' elles concernent principalement les travaux préparatoires . Elles permettent donc d' établir les raisons spécifiques qui, à un moment donné, ont poussé le législateur à intervenir ( occasio legis ), mais ne jouent pas, selon les règles générales d' interprétation, un rôle décisif pour déterminer la volonté réelle qui est à la base de l' acte . Cette dernière se trouve consacrée et exprimée dans le texte normatif, et elle résulte essentiellement du sens propre des termes, de la fonction de l' acte en question et du régime dans lequel il s' insère . Or, la seule analyse de ces aspects révèle déjà que l' harmonisation des conditions de concurrence constitue un élément fondamental de la directive; cette constatation se trouve tout simplement confirmée par les observations relatives à la phase de formation de l' acte . Toutefois, il est également incontestable que la directive attaquée contient de nouvelles dispositions antipollution et que, partant, ce second élément doit aussi être pris en considération aux fins d' identifier la base juridique correcte .

En définitive, il nous semble que, si l' on ne veut pas procéder à une interprétation de l' acte exclusivement fondée sur des éléments subjectifs et, de ce fait, arbitraires, force est d' admettre qu' il n' est pas possible d' identifier dans la directive attaquée une composante principale ou prépondérante et une autre composante simplement accessoire ou secondaire, mais plutôt deux composantes qui sont, toutes les deux, essentielles et inséparables .

La teneur claire de la directive ne permet pas d' autres interprétations . Ajoutons, cependant, que cette observation ne vaut pas seulement pour la directive de qua . Il est inévitable que, d' une manière générale, s' agissant de l' harmonisation de réglementations nationales en matière de protection de l' environnement qui régissent les caractéristiques des produits ou les conditions de production de ces derniers, l' intervention de la Communauté prenne une double dimension, à la fois environnementale et économique, et qu' il soit, en outre, extrêmement difficile de discerner, cas par cas, si l' acte arrêté par le Conseil trouve son "centre de gravité" dans l' une ou l' autre exigence . Or, cette difficulté, sinon impossibilité, de déterminer la composante prépondérante fait que l' analyse est finalement influencée, de manière déterminante, par des considérations de nature subjective, et en définitive politique, c' est-à-dire des considérations liées aux différentes procédures et règles de vote qui se rattachent aux bases juridiques en question .

Cela engendre une situation d' incertitude inconciliable avec le principe, qui a été itérativement affirmé par la Cour, selon lequel le choix de la base juridique d' un acte doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel . Cet impératif essentiel de certitude incite, par conséquent, à rechercher une solution plus ample et sûre au problème dont il s' agit en l' espèce . Il faut donc trouver une solution qui ne se limite pas à la tentative d' identification d' un hypothétique "centre de gravité" de l' acte; une solution qui appréhende le problème de la détermination de la base juridique non seulement sur le plan de l' interprétation de l' acte, mais également sur celui de l' interprétation des règles considérées comme pertinentes, c' est-à-dire l' article 100 A et l' article 130 S .

Au demeurant, c' est précisément la différence entre l' interprétation de la Commission et celle du Conseil en ce qui concerne la portée de ces deux règles qui explique que les institutions soient parvenues à des conclusions opposées sur la base juridique de la directive en question .

L' interprétation des règles

9 . Les difficultés afférentes à la délimitation de ces dispositions ont été soulignées par différents auteurs avant même l' introduction du présent recours ( 7 ). Il convient, toutefois, de s' entendre sur la portée effective de ces difficultés . En réalité, aucun doute n' existe quant à l' applicabilité du seul article 130 S ( et, avant l' entrée en vigueur de l' Acte unique européen, du seul article 235 ) en tant que base juridique des mesures de protection de l' environnement qui n' impliquent pas l' harmonisation de règles ayant une incidence sur le marché intérieur; il s' agit d' une catégorie importante de mesures qui vont des actes ayant le caractère de programme aux actions concrètes à réaliser au niveau communautaire et visant, plus ou moins directement, à la défense de la flore, de la faune et de l' environnement en général ( en ce qui concerne les actes arrêtés après l' Acte unique européen, voir les exemples cités ci-après au point 14 ).

Il est de même incontesté, dans la doctrine et dans la pratique des institutions, que les mesures communautaires de protection de l' environnement comportant l' harmonisation de prescriptions nationales relatives aux produits sont normalement fondées sur le seul article 100 A, de même que, avant l' entrée en vigueur de l' Acte unique européen, ces mesures étaient normalement fondées sur le seul article 100 ( l' exemple que l' on cite habituellement à cet égard est celui de la directive 70/220/CEE du Conseil, qui harmonise les dispositions nationales contre la pollution de l' air provoquée par les gaz d' échappement des véhicules à moteur ).

Par contre, le problème de la délimitation du champ d' application respectif des articles 100 A et 130 S se pose essentiellement par rapport aux régimes d' harmonisation de réglementations nationales en matière d' environnement afférentes non pas aux produits, mais aux établissements industriels qui les fabriquent; régimes qui, avant les modifications introduites par l' Acte unique européen, étaient en règle générale arrêtés - ainsi qu' il a été exposé - en ayant recours conjointement aux articles 100 et 235 . Les réglementations harmonisées relatives - comme la directive en question - au traitement et à l' élimination des déchets industriels relèvent, évidemment, de cette troisième catégorie d' actes .

Sur le plan pratique, c' est donc dans le domaine de l' harmonisation des dispositions en matière d' environnement concernant l' industrie que se manifeste la nécessité de déterminer des critères clairs pour régler le rapport entre l' article 100 A et l' article 130 S .

10 . Pour examiner ce problème, il est indispensable d' aborder une question préalable . Ainsi que nous l' avons déjà exposé, avant l' entrée en vigueur de l' Acte unique européen, les actes tels que la directive attaquée étaient normalement fondés sur les articles 100 et 235 . Or, s' il est constant que, après l' entrée en vigueur de l' Acte unique, l' article 130 S a remplacé ( pour ce qui nous concerne ) l' article 235, peut-on également considérer que, s' agissant de ces actes, l' article 100 A a remplacé l' article 100?

A cet égard, rappelons, d' abord, que le recours à l' article 100 a été justifié par l' incidence directe que les actes en question avaient sur la concurrence et sur le marché ( voir les considérants de la directive 78/176 et des directives analogues précitées au point 5 ). Cette position est confirmée dans les arrêts du 18 mars 1980, Commission/Italie ( 91/79 et 92/79, Rec . p . 1099 et 1115 ), dans lesquels la Cour a précisé que :

"Les dispositions que nécessitent les considérations de santé et d' environnement peuvent être de nature à grever les entreprises auxquelles elles s' appliquent, et, faute de rapprochement des dispositions nationales en la matière, la concurrence pourrait être sensiblement faussée ."

Aux fins d' établir si les actes tels que la directive en cause relèvent, à présent, du domaine de la nouvelle règle sur le rapprochement des législations nationales, à savoir l' article 100 A, il convient, en premier lieu, d' observer que le champ d' application de cette disposition n' est pas déterminé ratione materiae, mais sur la base d' un critère fonctionnel, s' étendant de manière horizontale à l' ensemble des mesures destinées à la réalisation du "marché intérieur ". L' article 100 A concerne, en effet, les "mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l' établissement et le fonctionnement du marché intérieur"; d' une manière plus générale, la disposition en question confirme qu' elle est destinée à la "réalisation des objectifs énoncés à l' article 8 A ".

L' article 8 A définit précisément le "marché intérieur" comme un "espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions du présent traité ".

Partant, il est clair que la délimitation de la notion de "marché intérieur" constitue un passage essentiel pour déterminer la portée de l' article 100 A, de même que la définition de la notion de "marché commun" est, d' ailleurs, fondamentale pour établir les limites d' application de l' article 100 .

Or, il nous semble pleinement cohérent avec la logique dont s' inspire l' Acte unique européen de considérer qu' il y a lieu d' assimiler l' "espace sans frontières intérieures" visé à l' article 8 A à un espace réellement intégré, c' est-à-dire dans lequel existent des conditions aussi proches que possible de celles d' un marché unique intérieur : un espace, par conséquent, où ont été harmonisées non seulement les réglementations relatives aux produits, mais également celles régissant, d' une manière plus générale, les conditions de concurrence entre les entreprises . En effet, nous ne voyons pas comment on pourrait réaliser un marché réellement unique et intégré sans éliminer les divergences entre les réglementations nationales qui, en influençant différemment les coûts de production, empêchent la concurrence de jouer dans des conditions réellement égales à l' intérieur de la Communauté .

Une telle interprétation revient, en substance, à calquer la notion de "marché intérieur" sur celle de "marché commun", telle qu' elle a été définie par la Cour, tant dans les deux arrêts 91/79 et 92/79, précités, par rapport à l' harmonisation en matière d' environnement, que, d' un point de vue plus général, dans l' arrêt Schul ( 8 ), qui énonce que :

"La notion de marché commun, telle que la Cour l' a dégagée dans une jurisprudence constante, vise à l' élimination de toutes les entraves aux échanges intracommunautaires en vue de la fusion des marchés nationaux dans un marché unique réalisant des conditions aussi proches que possible de celles d' un véritable marché intérieur ."

Il devrait en résulter que, de même qu' avant l' entrée en vigueur de l' Acte unique européen le Conseil et la Commission ont toujours estimé que l' harmonisation de dispositions en matière d' environnement susceptibles de se répercuter sur les coûts de production et sur la concurrence avait "une incidence directe sur l' établissement et le fonctionnement du marché commun", au sens de l' article 100, justifiant, de ce fait, l' utilisation de cette disposition en tant que base juridique, il y a lieu, après l' entrée en vigueur de l' Acte unique européen, de considérer que cette harmonisation est, pour les mêmes raisons ( incidence sur les coûts des entreprises et sur la concurrence ), fonctionnellement liée à l' établissement et au fonctionnement du "marché intérieur", au sens de l' article 100 A, d' où la nécessité de tenir cette disposition pour pertinente au lieu de l' article 100 . En d' autres termes, cela signifie qu' aucune différence, sous cet angle bien entendu, ne peut exister entre la notion de "marché commun" et celle de "marché intérieur ": les deux notions diffèrent en largeur, en ce sens que le "marché commun" s' étend à des secteurs qui ne font pas partie du "marché intérieur", mais pas en profondeur, en ce sens que les deux notions se réfèrent à un même niveau d' intégration .

En revanche, le fait de considérer que l' harmonisation des conditions de concurrence échappe à l' article 100 A alors qu' il est incontestable que cette harmonisation relevait précédemment de l' article 100 équivaudrait à considérer que la notion de "marché intérieur" visée à l' article 100 A envisage un stade d' intégration moins avancé que celui de la notion de "marché commun", au sens de l' article 100 . Or, en l' absence de toute confirmation dans le texte de l' Acte unique européen, cela nous paraît réellement inadmissible, d' autant plus qu' une telle lecture aboutit à une interprétation restrictive de la portée de l' article 100 A que, notamment pour les raisons de principe examinées ci-après, nous ne sommes nullement enclin à partager .

En définitive, nous estimons que l' harmonisation des réglementations nationales en matière d' environnement relatives aux établissements industriels, à l' instar de celles relatives aux produits, contribue à la "réalisation des objectifs énoncés à l' article 8 A" et relève, de ce fait, de l' article 100 A ( 9 ).

11 . Une fois que l' on a établi que tant l' article 100 A que l' article 130 S sont, en principe, pertinents s' agissant de l' adoption d' actes tels que la directive attaquée, il convient, en outre, de déterminer les critères sur la base desquels il y a lieu de régler les relations entre ces deux dispositions .

A cet égard, la première hypothèse à envisager est celle de l' application conjointe des deux dispositions . On pourrait invoquer, en faveur d' une telle solution - qui n' a, cependant, pas été évoquée dans le cadre de la présente procédure - les éléments suivants . En premier lieu, le recours à la double base juridique serait cohérent avec la pratique antérieure à l' Acte unique européen, qui est précisément caractérisée par le recours conjoint aux articles 100 et 235 pour l' adoption de tels actes . On pourrait, en effet, se demander si, après l' entrée en vigueur de l' Acte unique européen, les articles 100 et 235 ne doivent pas purement et simplement être remplacés par les nouvelles dispositions pertinentes, à savoir, respectivement, les articles 100 A et 130 S .

Cette solution est, d' autre part, étayée par la jurisprudence de la Cour selon laquelle,

"dans la mesure où la compétence d' une institution repose sur deux dispositions du traité, celle-ci est tenue d' adopter les actes correspondants sur le fondement des deux dispositions en cause" ( arrêt du 27 septembre 1988, Commission/Conseil, point 11, 165/87, Rec . p . 5545 ).

A cet égard, il convient, toutefois, de préciser que cette jurisprudence concernait les relations entre deux dispositions, les articles 28 et 113, qui pouvaient être appliqués de manière conjointe, simplement en adoptant la règle de vote plus stricte de l' unanimité, prévue à l' article 28 ( avant l' entrée en vigueur de l' Acte unique européen ), par rapport à celle, plus souple, de la majorité qualifiée, visée à l' article 113 .

Tel n' est pas le cas des articles 100 A et 130 S . L' application de ces deux dispositions comporte des conséquences très différentes tant sur le plan de la procédure que sur celui du fond . Sur ce dernier point, la compétence de la Communauté dans le domaine de la politique de l' environnement est soumise à des restrictions qui n' existent pas, en revanche, en ce qui concerne l' action d' harmonisation au titre de l' article 100 A . La compétence visée aux articles 130 R et suivants est, en effet, purement subsidiaire dans la mesure où, conformément à l' article 130 R, paragraphe 4, elle est exercée seulement si les objectifs de protection de l' environnement en question ne peuvent pas être mieux réalisés au niveau national; au contraire, l' action d' harmonisation au titre de l' article 100 A fait, évidemment, abstraction d' une telle limitation et peut être menée chaque fois que cela semble nécessaire pour la réalisation du "marché intérieur ". En outre, la compétence en matière d' environnement a un caractère minimal dans la mesure où, conformément aux dispositions de l' article 130 T, les États membres ont le droit de déroger aux règles communes s' ils veulent prendre des mesures qui assurent une protection renforcée; or, c' est précisément cette faculté de s' écarter des règles communes qui est, en principe, exclue dans les cas où des régimes d' harmonisation ont été adoptés .

Il nous semble donc que, sous cet angle, les articles 100 A et 130 S s' inspirent de philosophies différentes, sinon carrément opposées, et qu' il paraît, dès lors, difficile d' envisager l' utilisation conjointe des deux dispositions pour l' adoption d' un même acte .

Mais surtout, au niveau de la procédure, notons que la procédure de coopération, qui constitue un élément essentiel de l' article 100 A, ne semble pas conciliable avec une base juridique qui impose le vote à l' unanimité . En effet, dans les cas où le Conseil serait tenu de s' exprimer à l' unanimité, les mécanismes qui permettent à cette procédure complexe d' associer plus étroitement l' Assemblée au processus décisionnel seraient, en grande partie, vidés de leur substance . En particulier, la procédure de coopération suppose que le Conseil puisse accueillir à la majorité qualifiée les amendements formulés par le Parlement et repris par la Commission dans sa proposition réexaminée, alors qu' il doit obtenir l' unanimité lorsqu' il entend s' écarter de la proposition modifiée de la Commission ( qui peut inclure les amendements proposés par l' Assemblée ) ou lorsqu' il entend statuer sur une position commune que le Parlement a globalement rejetée . Il nous semble clair que le dialogue interinstitutionnel, que ces mécanismes - peut-être un peu compliqués - entendent établir, serait compromis si, du fait de l' application cumulative d' une autre base juridique, le Conseil était de toute façon tenu, à tout stade de la procédure, de voter à l' unanimité .

Des doutes sérieux existent, donc, sur le fait que l' article 100 A puisse être appliqué de manière conjointe à une autre base juridique prévoyant, comme en l' espèce l' article 130 S, le vote à l' unanimité, dans la mesure où le cumul compromettrait gravement le fonctionnement même de la procédure de coopération . D' autre part, à l' audience, tant la Commission que le Conseil nous ont semblé partager ce point de vue .

Mais la question déterminante nous semble résider ailleurs . C' est peut-être précisément en raison de la difficulté de concilier deux dispositions qui comportent des conséquences juridiques aussi différentes que les États membres ont réglé de manière explicite les relations entre la nouvelle disposition sur le rapprochement des législations et les nouvelles règles en matière d' environnement, en établissant justement que les exigences de protection de l' environnement font partie intégrante de l' action d' harmonisation visant à la réalisation du marché intérieur .

En effet, notons d' abord que l' article 130 R, paragraphe 2, établit que "les exigences en matière de protection de l' environnement sont une composante des autres politiques de la Communauté", ce qui, d' une part, signifie, certes, que dans l' accomplissement des tâches qui leur sont confiées les institutions communautaires ne peuvent pas faire abstraction des considérations tenant à la protection de l' environnement, mais implique, d' autre part, que des mesures qui reflètent de telles préoccupations peuvent aussi être adoptées dans le cadre de l' exercice de compétences autres que celles prévues aux articles 130 R et suivants et, notamment, dans le cadre de l' exercice des compétences relatives à la réalisation du marché intérieur .

Le "principe de l' intégration" de l' action en matière d' environnement dans le cadre des autres politiques ou actions communautaires trouve, en effet, une confirmation précise dans l' article 100 A, paragraphe 3, énonçant que la Commission, dans ses propositions "en matière ... de protection de l' environnement ..., prend pour base un niveau de protection élevé"; il ressort de cette disposition que l' article 100 A a été considéré comme une base appropriée pour les actes d' harmonisation en matière d' environnement, sous réserve, bien entendu, que les conditions requises pour l' application de cette disposition soient remplies et, par conséquent, à condition que la réglementation harmonisée concoure fonctionnellement à la réalisation du marché intérieur .

En résumé, si l' interprétation de ces éléments de texte est correcte, il s' ensuit que dans les cas où l' article 100 A peut être jugé pertinent - comme en ce qui concerne précisément la directive attaquée - le recours à l' article 130 S peut être considéré comme superflu .

12 . Naturellement, il résulte de cette analyse des relations entre l' article 100 A et l' article 130 S que l' application de ce dernier se voit limitée aux seules mesures qui ne trouvent pas déjà un fondement dans une autre disposition du traité . Or, c' est précisément ce résultat qui nous semble être pleinement confirmé par la jurisprudence de la Cour relative à l' article 130 S . En effet, la Cour, aux points 19 et 20 de l' arrêt C-62/88, précité, a affirmé que :

"19 . En effet, les articles 130 R et 130 S visent à conférer à la Communauté compétence pour entreprendre une action spécifique en matière d' environnement . Ces articles laissent cependant entières les compétences que la Communauté détient en vertu d' autres dispositions du traité, même si les mesures à prendre au titre de ces dernières poursuivent en même temps l' un des objectifs de protection de l' environnement .

20 . Cette interprétation est, par ailleurs, confirmée par l' article 130 R, paragraphe 2, deuxième phrase, en vertu duquel 'les exigences en matière de protection de l' environnement sont une composante des autres politiques de la Communauté' . Cette disposition, qui traduit le principe que toutes les mesures communautaires doivent répondre aux exigences de protection de l' environnement, implique qu' une mesure communautaire ne saurait relever de l' action de la Communauté en matière d' environnement en raison du seul fait qu' elle tienne compte de ces exigences ."

Ces observations que la Cour a formulées en ce qui concerne les relations entre l' article 130 S et l' article 113 nous semblent également valables en ce qui concerne les compétences que la Communauté détient en vertu de l' article 100 A; nous serions même tenté de dire qu' elles s' appliquent a fortiori en ce qui concerne l' article 100 A, compte tenu de la circonstance que le paragraphe 3 de cette disposition prévoit, de manière explicite et significative, que les mesures d' harmonisation destinées à la réalisation du marché intérieur comprennent également des mesures "en matière d' environnement ".

En conclusion, nous estimons que :

- les réglementations d' harmonisation telles que la directive attaquée concourent tant à la protection de l' environnement qu' à la réalisation du marché intérieur;

- des réglementations de ce genre peuvent, néanmoins, être arrêtées sur la base de la procédure du seul article 100 A, dans la mesure où le traité prévoit explicitement que les exigences de protection de l' environnement peuvent être également satisfaites dans le cadre de l' exercice d' autres compétences communautaires et, en particulier, dans le cadre des compétences d' harmonisation visées à l' article 100 A .

13 . Voilà pour l' analyse littérale . On observera, cependant, que cette interprétation - qui étend la portée de l' article 100 A tout en réduisant nécessairement celle de l' article 130 S - semble correspondre pleinement aux objectifs essentiels des modifications apportées par l' Acte unique européen .

En premier lieu, il est notoire que, parmi les innovations d' importance majeure qui ont été introduites par ce dernier, figurent l' extension du vote à la majorité par le Conseil et le renforcement de la participation du Parlement au processus décisionnel communautaire, au moyen de la procédure de coopération . Ces innovations ont valeur de principe, puisqu' elles sont respectivement destinées à accélérer le développement de l' intégration communautaire et à augmenter les garanties du caractère démocratique de l' élaboration des actes .

De même, on sait que, précisément, la nouvelle règle relative au rapprochement des réglementations nationales, à savoir l' article 100 A, représente, en raison de son caractère central aux fins de la réalisation du marché intérieur, le cas peut-être le plus important dans lequel le vote à la majorité et la procédure de coopération trouvent application .

Il s' ensuit qu' une interprétation restrictive de l' article 100 A - telle que celle exposée par le Conseil - aurait pour effet de réduire, dans un secteur particulièrement sensible ( l' harmonisation en matière d' environnement ), le champ d' application de ces deux innovations essentielles en matière de procédure .

Or, il est clair qu' un tel résultat est en nette contradiction avec les motivations fondamentales de l' Acte unique européen, à savoir la relance de l' intégration, à travers une application plus large de procédures décisionnelles plus souples, et le développement des garanties démocratiques, au moyen de formes de participation plus effectives de l' Assemblée au processus de formation des actes .

C' est précisément cette raison de principe, à laquelle nous avons déjà fait allusion, qui nous porte à rejeter la thèse d' une interprétation restrictive de l' article 100 A et nous incite, en particulier, à partager le point de vue selon lequel le champ d' application de cette disposition ne se limite pas à la seule harmonisation des règles relatives aux produits, mais s' étend, également, à l' harmonisation des conditions de concurrence entre les entreprises à l' intérieur de la Communauté .

14 . Un élément supplémentaire réussit à nous convaincre définitivement du bien-fondé de cette solution . L' application de l' article 100 A à la directive en question, et en général à l' harmonisation de mesures en matière d' environnement relatives aux établissements industriels, ne compromet absolument pas l' effet utile de l' article 130 S, ni, surtout, l' efficacité de la politique de la Communauté en matière d' environnement .

Dans le domaine qui lui est propre, l' article 130 S est et reste d' application pour tous les actes en matière d' environnement, qui n' impliquent cependant pas l' harmonisation de prescriptions nationales relatives aux processus de production ou aux produits qui en résultent et qui, partant, ne régissent ( en l' harmonisant ) ni la circulation des biens ni les conditions de concurrence à l' intérieur de la Communauté . Il s' agit pour l' essentiel - ainsi qu' il a été exposé - des actes qui, avant l' entrée en vigueur de l' Acte unique européen, étaient fondés exclusivement sur l' article 235 .

La pratique nous en fournit de nombreux exemples . Parmi les actes arrêtés après l' entrée en vigueur de l' Acte unique européen et fondés correctement sur l' article 130 S, citons, parmi tant d' autres, la directive 90/313/CEE du Conseil concernant la liberté d' accès du public à l' information en matière d' environnement, le règlement ( CEE ) n 1210/90 du Conseil relatif à la création de l' Agence européenne pour l' environnement et du Réseau européen d' information et d' observation pour l' environnement, la décision 90/150/CEE du Conseil concernant un projet expérimental pour la collecte et la mise en cohérence de l' information sur l' état de l' environnement et des ressources naturelles dans la Communauté, les directives 89/429/CEE et 89/369/CEE du Conseil concernant la pollution atmosphérique en provenance des installations d' incinération des déchets municipaux, le règlement ( CEE ) n 2242/87 du Conseil portant sur les actions communautaires pour l' environnement .

D' autre part, il convient de souligner que la circonstance que les actes tels que la directive attaquée soient adoptés sur la base de l' article 100 A et non de l' article 130 S paraît conforme non seulement à l' objectif de l' achèvement du marché intérieur, mais également à celui consistant à développer la politique de l' environnement de la Communauté . Cette politique ne peut, en effet, que tirer profit du fait que les actes en question soient arrêtés à la majorité plutôt qu' à l' unanimité et avec une participation plus effective de l' Assemblée .

Enfin, nous estimons que la solution exposée ici ne comporte aucun véritable sacrifice pour les intérêts des États membres . En effet, il n' est pas porté atteinte aux intérêts d' ordre économique, parce que les réglementations en question ne comportent pas de charges pour les États, mais se limitent à avoir une incidence sur les coûts de production des entreprises, en évitant, précisément, que ces coûts varient d' un pays à l' autre .

En outre, et surtout, les intérêts d' ordre environnemental ne sont pas non plus affectés . Naturellement, à cet égard, l' intérêt digne de protection ne peut être perçu que dans l' exigence de garantir une préservation efficace de l' environnement . Or, il est évident que cette exigence est particulièrement comprise par les États membres et plus spécialement par certains d' entre eux . Il ne fait, donc, aucun doute qu' une protection appropriée s' impose en la matière .

Cela étant, force est, cependant, de constater que de telles préoccupations ne sont pas en elles-mêmes de nature à empêcher la Communauté d' adopter des mesures d' harmonisation sur la base de l' article 100 A dans les cas où les conditions d' application de cette disposition sont pleinement satisfaites . Et cela simplement parce que l' article 100 A contient, également, des garanties plus que suffisantes pour préserver les intérêts des États les plus sensibles à la problématique de l' environnement . L' article 100 A, paragraphe 3, impose, en effet, à la Commission de prendre pour base un "niveau de protection élevé" en la matière . Sur ce point, l' article 100 A se révèle peut-être même comme un meilleur garant que les règles spécifiques en matière d' environnement, qui, comme l' article 130 T en témoigne, s' inspirent plutôt d' une philosophie de la protection minimale . Les dispositions de l' article 100 A, paragraphe 3, voulues, comme on sait, principalement par la République fédérale d' Allemagne et le Danemark, tendent précisément à éviter que des mesures d' harmonisation adoptées ( entre autres ) "en matière d' environnement" comportent un niveau de protection trop bas par rapport à certains systèmes nationaux .

A cette garantie spécifique s' ajoutent, en outre, les clauses de sauvegarde énoncées à l' article 100 A, paragraphes 4 et 5 . En particulier, l' article 100 A, paragraphe 4, garantit - fût-ce dans le cadre d' un contrôle exercé, en dernier lieu, par la Cour de justice - à l' État membre qui s' est trouvé en minorité lors de l' adoption d' une mesure d' harmonisation la possibilité d' appliquer des dispositions nationales justifiées par des exigences importantes relatives à la protection de l' environnement .

Conclusion

15 . Eu égard aux considérations qui précèdent, nous estimons que la directive attaquée a été arrêtée sur une base juridique erronée et qu' il y a donc lieu de l' annuler . En conséquence, nous vous proposons de faire droit au recours et de condamner le Conseil aux dépens .

(*) Langue originale : l' italien .

( 1 ) Rappelons que la Cour, si elle a déjà examiné à plusieurs reprises la portée de l' article 100, ne s' est pas encore prononcée sur l' article 100 A, une nouvelle disposition introduite par l' Acte unique européen en ce qui concerne le rapprochement des législations nationales (( la définition du champ d' application de l' article 100 A, par rapport à l' article 31 du traité CEEA, fait, d' ailleurs, l' objet de l' affaire C-70/88, Parlement européen/Conseil ( arrêt du 4 octobre 1991, pas encore publié ), relative au règlement ( Euratom ) n 3954/87 du Conseil, du 22 décembre 1987, fixant les niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive pour les denrées alimentaires et les aliments pour bétail après un accident nucléaire ou dans toute autre situation d' urgence radiologique )). Quant à l' article 130 S, la Cour en a récemment analysé le champ d' application, par rapport à la règle sur la politique commerciale, à savoir l' article 113, dans l' arrêt du 29 mars 1990, Grèce/Conseil ( C-62/88, Rec . p . I-1527 ).

( 2 ) Voir l' arrêt du 26 mars 1987, Commission/Conseil, point 11 ( 45/86, Rec . p . 1493 ).

( 3 ) A l' audience, la Commission a partiellement modifié son interprétation du rapport entre les articles 100 A et 130 S . Elle a, en effet, soutenu que les deux dispositions ont un objet distinct . L' article 100 A concernerait l' harmonisation de réglementations nationales, également en matière d' environnement, visant à la réalisation du marché intérieur . Par contre, l' article 130 S constituerait la base des actes concernant la protection de l' environnement en tant que tel, c' est-à-dire des actes qui font abstraction de l' harmonisation des règles relatives au fonctionnement du marché . Il en résulte que, de l' avis de la Commission, le principe de spécialité ne serait pas un critère approprié pour déterminer la norme correctement applicable dans un cas concret . Ce principe serait, en effet, valable dans les cas où une disposition a un champ d' application qui englobe celui d' une autre règle plus spécifique de contenu ( comme le principe général de non-discrimination, énoncé à l' article 7, qui se trouve précisé dans d' autres dispositions du traité, telles que les articles 40, paragraphe 3, ou 48 ). Mais le champ d' application de l' article 100 A et celui de l' article 130 S ne se chevaucheraient nullement . Concrètement, il s' agirait donc uniquement d' établir si, compte tenu de l' objet de l' acte que l' on entend adopter, l' une ou l' autre disposition s' avère pertinente . Soulignons, toutefois, que, malgré ce changement apporté à l' argumentation, l' approche de la Commission demeure, en substance, inchangée . En effet, que l' on admette la spécialité de l' article 100 A ou que l' on suppose que cette disposition a un champ d' application tout à fait distinct de celui de l' article 130 S, dans les deux cas la question déterminante -- selon la Commission -- consiste à savoir si, en raison de son "objet principal" ou "centre de gravité", la directive en question relève ou non du champ d' application de l' article 100 A .

( 4 ) De manière analogue, pour les mêmes motifs ( impact sur la concurrence et sur le marché ), on a fondé sur l' article 100 ( seul ) les directives d' harmonisation de dispositions nationales qui, dans des domaines autres que celui de l' environnement, concernent de toute façon les conditions de production des entreprises . Voir, par exemple, la directive 85/374/CEE du Conseil relative aux conditions de responsabilité du producteur pour les dommages causés par des produits défectueux, ou la directive 75/117/CEE du Conseil en matière d' égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins .

( 5 ) JO C 127 du 14.5.1984, p . 34 .

( 6 ) Le Conseil ne s' est pas opposé à ce que ces éléments soient versés au dossier de l' affaire, tout en contestant que ceux-ci soient de nature à démontrer que les considérations économiques ont joué un rôle prépondérant par rapport à celles ayant trait à l' environnement .

( 7 ) Voir Langeheine, B .: "Le rapprochement des législations nationales selon l' article 100 A du traité CEE : l' harmonisation communautaire face aux exigences de protection nationales", Revue du marché commun, 1989, p . 347; Ehlermann, C . D .: "The Internal Market Following the Single European Act", Common Market Law Revue, 1987, p . 361; Kromareck, R .: "Commentaire de l' Acte unique européen en matière d' environnement", Revue juridique de l' environnement, 1988, p . 76; Roelants du Vivier, F ., et Hannequart, J . P .: "Une nouvelle stratégie européenne pour l' environnement dans le cadre de l' Acte unique", Revue du marché commun, 1988, p . 205; Saggio, A .: "Le basi giuridiche della politica ambientale nell' ordinamento comunitario dopo l' entrata in vigore dell' Atto unico", Rivista di diritto europeo, 1990, p . 39 .

( 8 ) Voir l' arrêt du 5 mai 1982, point 33 ( 15/81, Rec . p . 1409 ).

( 9 ) Voir, en ce sens, Ehlermann, C . D ., précité, p . 369, selon lequel la notion de marché intérieur "implies the creation of conditions of competition which allow the free circulation of goods ..."; d' une manière analogue, Langeheine, B ., précité, p . 350, où l' on peut lire que "la création du marché intérieur ne s' épuise pas dans la suppression des frontières intérieures, mais englobe de façon nécessairement complémentaire un rapprochement des conditions de concurrence, afin de permettre une exploitation efficace et non discriminatoire des libertés fondamentales garanties par le traité ".

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