EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61989CC0292

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 8 novembre 1990.
The Queen contre Immigration Appeal Tribunal, ex parte Gustaff Desiderius Antonissen.
Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni.
Libre circulation des travailleurs - Droit de séjour - Recherche d'un emploi - Limitation dans le temps.
Affaire C-292/89.

Recueil de jurisprudence 1991 I-00745

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1990:387

61989C0292

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 8 novembre 1990. - The Queen contre Immigration Appeal Tribunal, ex parte Gustaff Desiderius Antonissen. - Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni. - Libre circulation des travailleurs - Droit de séjour - Recherche d'un emploi - Limitation dans le temps. - Affaire C-292/89.

Recueil de jurisprudence 1991 page I-00745
édition spéciale suédoise page I-00055
édition spéciale finnoise page I-00067


Conclusions de l'avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La High Court vous a posé, suivant une décision du 14 juin 1989, deux questions préjudicielles relatives à l' interprétation de dispositions du droit communautaire se rapportant à la libre circulation des travailleurs à propos de la situation dans laquelle un ressortissant d' un État membre souhaite accéder à une activité salariée sur le territoire d' un autre État membre . Le juge a quo vous interroge plus précisément sur les conditions juridiques du séjour de la personne concernée dans l' État où elle recherche un emploi .

2 . Dans le litige au principal, en effet, M . Antonissen, sujet belge, s' est pourvu devant la High Court contre une décision de rejet, par l' Immigration Appeal Tribunal, de son recours visant un arrêté d' expulsion pris le 27 novembre 1987 par le Secretary of State . L' intéressé, qui était entré au Royaume-Uni en octobre 1984, n' y avait encore exercé aucun emploi lorsque, en septembre 1986, il fut arrêté pour détention et vente de cocaïne . Condamné le 30 mars 1987 à une peine d' emprisonnement par la Crown Court de Liverpool, il purgeait encore sa peine lorsque est intervenu l' arrêté d' expulsion . M . Antonissen a été libéré sur parole le 21 décembre 1987 . Il a quitté le territoire du Royaume-Uni depuis le 14 juin 1989 .

3 . Le sort du litige au principal se trouve lié au droit communautaire dans la mesure où les pouvoirs des autorités nationales en matière d' expulsion connaissent des limitations particulières à l' égard des ressortissants d' autres États membres bénéficiant d' un droit de séjour au titre de la libre circulation des travailleurs . Rappelons, en particulier, que, si le droit de séjourner dans un État membre afin d' y exercer un emploi, prévu par l' article 48, paragraphe 3, sous c ), du traité CEE, peut connaître des limitations "justifiées par des raisons d' ordre public, de sécurité publique et de santé publique" ( 1 ), il résulte de l' article 3 de la directive 64/221/CEE du Conseil, du 25 février 1964 ( 2 ), que les mesures d' ordre public ou de sécurité publique, qui peuvent consister en des mesures d' éloignement, "doivent être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l' individu qui en fait l' objet" et que "la seule existence de condamnations pénales ne peut automatiquement motiver ces mesures ". Aussi, abstraction faite de certains aspects de la situation de M . Antonissen pris en considération par le Secretary of State pour ordonner son expulsion, il importe de déterminer dans quelle mesure un ressortissant d' un État membre recherchant un emploi sur le territoire d' un autre État membre peut se prévaloir des dispositions protectrices incluses dans le régime de la libre circulation des travailleurs .

4 . Dans sa première question, le juge a quo vous demande, en substance, si les dispositions de droit communautaire régissant la libre circulation des travailleurs font obstacle à ce que la législation d' un État membre prévoie qu' un ressortissant d' un autre État membre, entré sur le territoire du premier pour y chercher un emploi, peut être contraint, sous réserve d' un recours, de quitter ce territoire s' il n' y a trouvé, au bout de six mois, aucun emploi . En effet, c' est sur le fondement d' une semblable législation qu' a été pris l' arrêté d' expulsion dont il s' agit . La seconde question vise à savoir quelle importance il convient, pour le juge national, d' attribuer à la déclaration du Conseil figurant au procès-verbal de la réunion au cours de laquelle il a adopté la directive 68/360/CEE ( 3 ). Ainsi qu' on le verra, la réponse à apporter sur ce second point prend naturellement place dans la discussion ouverte par la première question .

5 . La seule exégèse des termes de l' article 48 du traité CEE aurait pu conduire à douter que le ressortissant d' un État membre recherchant un emploi sur le territoire d' un autre État membre bénéficie, au titre de la libre circulation des travailleurs, d' un droit d' y séjourner . Le droit de se déplacer librement sur le territoire des États membres, auquel se réfère le paragraphe 3, sous b ), de cette disposition, est ménagé à l' effet de répondre, selon la lettre a ), "à des emplois effectivement offerts", ce qui ne coïncide pas avec la recherche d' emplois . Cependant, le législateur communautaire, en charge de la réalisation progressive de la libre circulation des travailleurs ( 4 ), ne paraît pas s' être tenu à pareille exégèse, qui aurait consacré, à vrai dire, une conception bien étroite, bien peu réaliste, des conditions dans lesquelles une personne accède à un emploi .

6 . Le règlement ( CEE ) n 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968 ( 5 ), a prévu, à son article 1er, premier alinéa, que "tout ressortissant d' un État membre, quel que soit le lieu de sa résidence, a le droit d' accéder à une activité salariée et de l' exercer sur le territoire d' un autre État membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l' emploi des travailleurs nationaux de cet État ". A l' article 5 du même texte, placé, comme l' article 1er, dans son titre I, dont le libellé est "De l' accès à l' emploi", il est disposé que "le ressortissant d' un État membre, qui recherche un emploi sur le territoire d' un autre État membre, y reçoit la même assistance que celle que les bureaux de main-d' oeuvre de cet État accordent à leurs propres ressortissants à la recherche d' un emploi ". On peut déjà noter, à ce stade, que les ressortissants d' un État membre à la recherche d' un emploi dans un autre État membre sont compris dans l' ensemble des personnes ayant le "droit d' accéder à une activité salariée" sur le territoire d' un autre État membre, visées par l' article 1er du règlement n 1612/68 . Ce règlement, selon son deuxième considérant, a pour objet d' arrêter les "dispositions permettant d' atteindre les objectifs fixés par les articles 48 et 49 du traité dans le domaine de la libre circulation ". La recherche, par un ressortissant d' un État membre, d' un emploi sur le territoire d' un autre État membre s' inscrit donc dans le cadre de la libre circulation des travailleurs . Cela étant posé, y a-t-il, pour un tel ressortissant, un droit de séjourner sur le territoire de l' État où l' emploi est recherché?

7 . Les termes clairs du règlement n 1612/68, ci-dessus rappelés, conduisent à considérer qu' un ressortissant d' un État membre recherchant un emploi sur le territoire d' un autre État membre peut invoquer le bénéfice de l' article 48, paragraphe 3, sous b ), du traité, c' est-à-dire "se déplacer ... librement" sur ledit territoire . Mais peut-on assimiler le droit de se déplacer à un droit de séjourner? Au niveau du traité lui-même, le droit de se déplacer sur le territoire en question est consacré à l' article 48, paragraphe 3, sous b ), précité, alors que le droit de séjourner figure à la lettre c ) du même texte, et vise l' hypothèse de l' exercice d' un emploi . Le règlement n 1612/68 ne permet pas, a priori, de ranger les ressortissants communautaires à la recherche d' un emploi parmi les bénéficiaires de ce droit de séjourner . Celles des dispositions du règlement qui se réfèrent à la recherche d' un emploi sont comprises, ainsi que nous l' avons dit, dans un titre I expressément consacré à l' accès à l' emploi, alors que l' exercice de l' emploi est traité dans le titre II . N' oublions pas, toutefois, que la question du déplacement et du séjour des bénéficiaires de la libre circulation des travailleurs a fait l' objet d' une réglementation spécifique par la voie de la directive 68/360, précitée ( 6 ). Cet acte de droit dérivé comporte-t-il des précisions sur le point qui nous occupe?

8 . L' objet de la directive 68/360 est, selon son premier considérant, "d' adopter, en ce qui concerne la suppression des restrictions encore existantes en matière de déplacement et de séjour à l' intérieur de la Communauté, des mesures conformes aux droits et facultés reconnus par ( le règlement n 1612/68 ) aux ressortissants de chaque État membre qui se déplacent en vue d' exercer une activité salariée ...". L' article 1er dispose que "les États membres suppriment, dans les conditions prévues à la présente directive, les restrictions au déplacement et au séjour des ressortissants desdits États ... auxquels s' applique le règlement ( CEE ) n 1612/68 ". Les ressortissants communautaires à la recherche d' un emploi, entrant, ainsi que nous l' avons déjà indiqué, dans le champ d' application du titre I du règlement n 1612/68, ont donc a priori vocation à être concernés par les "conditions prévues à la ... directive ". Cette vocation se concrétise-t-elle?

9 . Suivant l' article 3 de la directive, "les États membres admettent sur leur territoire les personnes visées à l' article 1er, sur simple présentation d' une carte d' identité ou d' un passeport en cours de validité ". Incontestablement, les ressortissants communautaires à la recherche d' un emploi à exercer sur le territoire d' un autre État membre bénéficient du droit d' accès à ce territoire dans les conditions de l' article 3 . Un aspect de leur droit de se déplacer se trouve concrétisé . Mais qu' en est-il du droit de séjourner proprement dit?

10 . L' article 4 de la directive dispose que "les États membres reconnaissent le droit de séjour sur leur territoire aux personnes visées à l' article 1er qui sont en mesure de présenter les documents énumérés au paragraphe 3", ce droit de séjour étant "constaté" par la délivrance d' une "carte de séjour ". Le paragraphe 3 de l' article 4 distingue les documents à présenter, pour la délivrance de la carte de séjour, suivant que la personne est "travailleur" ou "membre de la famille" d' un travailleur . Le "travailleur" doit être en mesure de présenter le "document sous couvert duquel il a pénétré sur ( le ) territoire", ainsi qu' "une déclaration d' engagement de l' employeur ou une attestation de travail ". Par définition, la personne à la recherche d' un emploi n' est pas en mesure de présenter une déclaration d' engagement ou une attestation de travail; il semble donc qu' elle ne puisse bénéficier des dispositions de l' article 4, c' est-à-dire de la reconnaissance d' un droit de séjour dont la validité ne peut être inférieure à cinq ans et qui est automatiquement renouvelable, selon l' article 6 de la directive . Cela signifie-t-il que la directive ne consacre aucun droit de séjour pour le ressortissant communautaire à la recherche d' un emploi?

11 . La directive prévoit, à l' article 6, paragraphe 3, un droit de séjour plus limité pour le cas où le travailleur occupe un emploi pendant une durée supérieure à trois mois et inférieure à un an, l' État membre d' accueil délivrant alors un "titre temporaire de séjour dont la durée de validité peut être limitée à la durée prévue de l' emploi ". Par ailleurs, suivant l' article 8, "les États membres reconnaissent le droit de séjour sur leur territoire, sans qu' il soit délivré de carte de séjour", à certaines catégories de personnes exerçant un emploi de courte durée, ou résidant en partie sur le territoire d' un autre État membre que celui de l' emploi, ou exerçant un travail saisonnier . En revanche, aucune disposition de la directive ne vise, quant au droit de séjour, le cas du ressortissant communautaire à la recherche d' un emploi .

12 . Ainsi, du point de vue de l' examen des textes, on parvient à la constatation que le ressortissant communautaire à la recherche d' un emploi à exercer sur le territoire d' un autre État membre bénéficie, compte tenu des dispositions expresses du règlement n 1612/68, du droit de se déplacer sur ce territoire, prévu par l' article 48 du traité, et que la directive 68/360 a formellement consacré son droit d' accès audit territoire . En revanche, aucune disposition de cette directive, ou d' un autre texte de droit communautaire, n' a formellement prévu, en faveur d' un tel ressortissant, un droit de séjourner . Faut-il conclure que ce droit n' existe pas?

13 . Ce n' est pas à une telle conclusion que s' est rangée votre Cour . Sans statuer directement et précisément sur un droit de séjour des ressortissants communautaires dans l' État membre où ils recherchent un emploi, elle a, de façon incidente, mais dépourvue d' équivoque, évoqué l' existence d' un tel droit . Ainsi, dans son arrêt du 8 avril 1976, Royer ( 7 ), la Cour a indiqué que

"le droit des ressortissants d' un État membre d' entrer sur le territoire d' un autre État membre et d' y séjourner, aux fins voulues par le traité - notamment pour y rechercher ou y exercer une activité professionnelle, salariée ou indépendante ... - constitue un droit directement conféré par le traité ou, selon le cas, les dispositions prises pour la mise en oeuvre de celui-ci" ( 8 ).

Plus récemment, l' arrêt du 23 mars 1982, Levin ( 9 ), a relevé que

"... les droits découlant de la libre circulation des travailleurs et, plus spécifiquement, le droit d' entrer et de séjourner sur le territoire d' un État membre, se rattachent ... respectivement à la qualité de travailleur ou de personne exerçant une activité salariée ou souhaitant y accéder" ( 10 ).

14 . Compte tenu de ces arrêts, il nous paraîtrait inexact de soutenir, comme l' a fait le gouvernement allemand, qu' il n' existe aucun droit de séjour au bénéfice d' un ressortissant communautaire à la recherche d' un emploi dans un autre État membre . La Cour a, nous semble-t-il, retenu le principe d' un tel droit, sans préciser, toutefois, sa source formelle . Compte tenu du silence apparent de la directive 68/360, il est plus tentant de rechercher cette source dans les articles 1er et 5 du règlement n 1612/68, en relation avec l' article 48, paragraphe 3, du traité . Encore resterait-il à déterminer si le droit de séjourner en cause, auquel vous vous êtes référés, est inclus dans le droit de se déplacer ou s' il en constitue une sorte d' accessoire nécessaire . Mais un autre constat s' impose également, celui que le droit de séjour du ressortissant communautaire à la recherche d' un emploi dans un autre État membre, consacré dans son principe, n' a pas expressément fait l' objet d' une réglementation détaillée en droit communautaire, et singulièrement dans le droit dérivé . En particulier, ni le traité ni la directive 68/360 n' ont formellement précisé si le droit de séjourner en question faisait l' objet d' une limitation dans le temps . Or, c' est justement sur ce point que vous interroge le juge a quo . Aussi vous appartient-il de pousser l' analyse juridique au-delà de la seule lettre des textes jusqu' ici évoqués et de la concision des termes de vos précédents arrêts .

15 . C' est ici que l' on se trouve conduit à déterminer le rôle que pourrait jouer, dans l' interprétation qui vous est demandée, la déclaration inscrite au procès-verbal du Conseil, lors de la réunion au cours de laquelle ont été adoptés le règlement n 1612/68 et la directive 68/360 .

16 . Celle-ci, reproduite dans la partie "en fait" de l' arrêt Levin, précité ( 11 ), est ainsi libellée :

"Les personnes visées à l' article 1er ( de la directive 68/36O ), ressortissants d' un État membre et qui se rendent dans un autre État membre pour y rechercher un emploi, disposent à cette fin d' un délai minimal de trois mois; si elles n' ont pas trouvé d' emploi à l' expiration de ce délai, il pourrait être mis fin à leur séjour sur le territoire de ce deuxième État . Toutefois, si les personnes susvisées, au cours de la période précitée, devaient être prises en charge par l' assistance publique ( aide sociale ) du deuxième État, elles pourraient être invitées à quitter le territoire de ce deuxième État ."

17 . La déclaration émane du Conseil, et non d' un ou de plusieurs États membres . Elle a été adoptée à l' unanimité des membres du Conseil . Celui-ci a autorisé, le 17 avril 1989, sa production en justice devant la High Court, mais il en avait déjà été fait état devant votre Cour dans le cadre des affaires Levin ( 12 ) et Lebon ( 13 ).

18 . Lors de l' adoption de cette déclaration, les travaux du Conseil étaient régis par un "règlement intérieur provisoire ". Selon son article 18, premier alinéa, le principe était que "les délibérations du Conseil relèvent du secret professionnel", le deuxième alinéa du même texte précisant que le Conseil pouvait "autoriser la production en justice d' une copie ou d' un extrait de ses procès-verbaux" ( 14 ). Ces dispositions ont été reprises à l' identique dans l' article 18 du règlement intérieur arrêté par le Conseil le 24 juillet 1979 ( 15 ). En revanche, les dispositions de l' article 7, paragraphe 1, de ce dernier texte, prévoyant pour chaque session du Conseil l' établissement d' un procès-verbal comprenant, en règle générale, sur chaque point de l' ordre du jour, les décisions prises ainsi que "les déclarations faites par le Conseil et celles dont un membre du Conseil ou la Commission ont demandé l' inscription", sont nouvelles, le règlement intérieur provisoire, précité, n' ayant fait aucune mention des déclarations du Conseil . On constate ainsi que le règlement intérieur applicable lors de l' adoption du règlement et de la directive du 15 octobre 1968 ne conférait aucun statut particulier aux déclarations du Conseil et ne traitait que de la portée du caractère secret s' attachant aux procès-verbaux dans lesquels elles étaient inscrites . Aussi, il paraît difficile d' en tirer des enseignements essentiels quant aux effets juridiques de la déclaration en cause .

19 . Il semble que votre jurisprudence permette de dégager des indications plus précises quant à la portée des déclarations inscrites au procès-verbal du Conseil .

20 . Dans l' arrêt du 18 février 1970, Commission/Italie ( 16 ), vous avez indiqué, à propos d' une déclaration de l' Italie lors de l' élaboration de la décision du Conseil dite d' "accélération" du 26 juillet 1966, que

"la portée et l' effet de ( ladite décision ) doivent être appréciés d' après la teneur de celle-ci et ne sauraient dès lors être restreints par des réserves ou déclarations qui pourraient avoir été faites au cours de l' élaboration de la mesure en cause" ( 17 ).

21 . L' arrêt du 7 février 1979, Vincent Auer ( 18 ), vous a donné l' occasion de préciser votre position, à propos, cette fois-ci, non pas d' une déclaration unilatérale d' un des États membres représentés au Conseil, mais du Conseil dans son entier . Indiquant qu' il résultait de l' économie générale, tant des programmes généraux arrêtés en exécution des articles 54 et 63 du traité que des directives prises en exécution de ces programmes, que le champ d' application personnel des mesures de libération en matière d' établissement et de services est déterminé chaque fois sans distinction selon la nationalité des intéressés, vous avez ajouté que cette conception avait été, en ce qui concerne l' exercice de la profession de vétérinaire,

"pleinement confirmée par une déclaration concernant la définition des bénéficiaires des directives, reprise au procès-verbal de la session du Conseil au cours de laquelle les directives relatives à la reconnaissance mutuelle des diplômes et à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant les activités du vétérinaire ont été adoptées" ( 19 ).

22 . Dans un arrêt du 15 avril 1986, Commission/Belgique ( 20 ), vous avez dû répondre à une argumentation de l' État membre défendeur qui, s' appuyant sur la circonstance qu' une déclaration inscrite au procès-verbal du Conseil lors de l' adoption de sa directive 77/187/CEE, du 14 février 1977 ( 21 ), prévoyait que les États membres notifieraient à la Commission les catégories de travailleurs exclues du bénéfice des dispositions de l' article 4, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive, en application du deuxième alinéa de ce paragraphe, estimait qu' ayant notifié à la Commission l' exclusion de certaines catégories sans que celle-ci réagisse il avait agi dans des conditions empêchant qu' on lui fasse ultérieurement grief d' avoir en réalité exclu des catégories de travailleurs ne satisfaisant pas aux conditions auxquelles le deuxième alinéa, précité, de la directive subordonnait une telle mesure . Vous avez, à cet égard, indiqué que, suivant votre jurisprudence constante,

"la portée objective des règles du droit communautaire ne peut résulter que de ces règles elles-mêmes, compte tenu de leur contexte",

et qu' elle "ne saurait donc être affectée" par une déclaration telle que celle invoquée par la Belgique ( 22 ).

23 . Au vu des quelques arrêts que nous venons de rappeler, il nous semble difficile de nous rallier à une position suivant laquelle une déclaration du Conseil, inscrite au procès-verbal d' une de ses sessions, n' aurait par principe aucun rôle dans l' interprétation de dispositions de droit communautaire . La référence expresse d' ailleurs faite par votre récent arrêt du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil ( 23 ), aux "actes préparatoires" ( 24 ) et "travaux préparatoires" ( 25 ) témoigne de ce qu' il y a bien place, dans l' interprétation d' un acte de droit dérivé, pour la prise en considération de travaux ayant préparé ou accompagné son adoption . Cela dit, il convient de préciser les conditions et limites de la référence aux déclarations du Conseil inscrites au procès-verbal d' une de ses réunions .

24 . Une première limite nous semble devoir être posée dans le souci du respect de la notion de travaux préparatoires . En effet, nous pensons qu' une déclaration inscrite au procès-verbal du Conseil ne peut constituer une référence d' interprétation que lorsqu' elle a été formulée à l' occasion de l' adoption d' un acte de droit dérivé que le Conseil a le pouvoir d' édicter, et qu' à l' égard de cet acte . Le Conseil, en effet, n' a pas reçu compétence, dans le cadre des traités, pour délivrer des interprétations de ces traités . Il est certes amené, pour les besoins de sa propre activité normative, à interpréter les traités, afin de déterminer le contexte de son action . Mais il ne saurait transformer le moyen en fin pour formuler des interprétations qui seraient censées, ensuite, lier la Cour ou le juge national . Par ailleurs, nous estimons qu' une déclaration "a posteriori" du Conseil, relative à un acte de droit dérivé adopté dans le passé, ne pourrait se réclamer du crédit qui n' appartient qu' aux travaux préparatoires à l' adoption d' un tel acte, et qui suppose leur antériorité à celle-ci ou leur simultanéité avec elle .

25 . Une deuxième limite, clairement signalée par votre jurisprudence, tient à ce qu' une déclaration inscrite au procès-verbal du Conseil ne saurait être invoquée lorsque sa teneur s' avère contraire aux termes clairs de l' acte de droit dérivé qu' elle concerne, ou incompatible avec eux . Cet aspect n' a pas, nous semble-t-il, à être plus longuement développé .

26 . Une troisième limite résulte du respect qui s' impose, dans le droit institutionnel communautaire, à l' égard des formes requises par les traités pour l' élaboration et l' adoption des actes de droit dérivé . Elle se traduit par l' impossibilité, pour le Conseil, de compléter au moyen d' une déclaration inscrite à son procès-verbal les dispositions de l' acte de droit dérivé . Une telle déclaration ne saurait, en effet, constituer un moyen de législation parallèle . Or, c' est bien à cela que l' on parviendrait si l' on admettait que le contenu d' une semblable déclaration puisse ajouter aux dispositions d' un règlement ou d' une directive, ou en combler une lacune, si l' on acceptait que puisse figurer, au procès-verbal du Conseil, la réglementation qu' il s' est abstenu d' introduire dans l' acte normatif lui-même . Ce qui doit faire l' objet d' une réglementation doit se trouver dans l' acte adopté et doit avoir été élaboré suivant les règles de forme requises pour édicter cet acte dans la matière concernée . Sinon, on en revient à laisser le Conseil légiférer dans une matière pour partie en suivant les formes requises pour adopter valablement un règlement ou une directive, incontestablement soumises à un contrôle de légalité, et pour partie en s' en dispensant et en se contentant d' inscrire une déclaration à son procès-verbal . Cela nous paraît d' autant moins envisageable que celui-ci est en principe secret et que seul le Conseil peut autoriser sa production devant un juge national .

27 . Nous en arrivons ainsi à la conclusion qu' une déclaration du Conseil inscrite à son procès-verbal ne peut constituer une référence que pour l' interprétation de dispositions contenues dans l' acte de droit dérivé dont l' élaboration ou l' adoption ont suscité cette déclaration, dans la mesure où il s' agit de préciser le sens de ces dispositions, par hypothèse ambigu ou équivoque . Elle ne peut, en revanche, servir à combler une lacune de ces dispositions . Encore doit-on ajouter, pour tenir compte de votre arrêt Vincent Auer, précité, qu' une telle déclaration ne peut servir de seule référence et qu' elle doit être utilisée conjointement avec d' autres, en ce sens que l' on peut vérifier si elle confirme l' interprétation se dégageant, par ailleurs, de la teneur des dispositions en cause et de leur contexte .

28 . Analysée sous cet angle, la déclaration visée dans la seconde question du juge a quo ne nous paraît pas pouvoir fournir la moindre référence utile pour déterminer la mesure dans laquelle le droit communautaire consacre, au bénéfice du ressortissant communautaire recherchant un emploi sur le territoire d' un autre État membre, un droit d' y séjourner . En effet, sur le principe d' un droit de séjour, ou bien la déclaration signifie que, à travers la fixation d' un délai de trois mois, les États membres ont entendu implicitement reconnaître ce droit, et cela se limite à confirmer ce qui ne fait plus de doute depuis vos arrêts Royer et Levin, précités, ou bien elle exprime que les États membres ont voulu aménager une simple tolérance, et cela paraît incompatible avec votre jurisprudence . Quant aux modalités du séjour telles que conçues dans la déclaration, on doit observer qu' elles ne viennent nullement préciser des dispositions de la directive 68/360, cette dernière n' en comportant aucune quant à un tel séjour . En réalité, la déclaration comporte - ou plutôt tend à comporter - un régime juridique exhaustif du séjour en question, comblant une lacune de la réglementation communautaire, qui, dans les traités ou le droit dérivé, ne prévoit ni délai ni limitation tenant à une prise en charge financière au titre de l' assistance publique . Cette forme de "législation parallèle" par voie de déclaration inscrite au procès-verbal ne peut, fût-ce sous le couvert d' une interprétation, être prise en compte . Aussi, nous estimons qu' il convient de répondre à la seconde question préjudicielle en ce sens que la déclaration en cause ne peut être prise en considération pour déterminer les conditions dans lesquelles un ressortissant communautaire peut séjourner dans un État membre où il recherche un emploi .

29 . A défaut de pouvoir se référer à cette déclaration, on doit observer que, même après avoir fait appel aux ressources de l' interprétation, aucune disposition de droit communautaire ne peut être considérée comme réglant les modalités du droit de séjour reconnu, dans son principe, par votre jurisprudence . Faut-il alors en conclure que cette situation laisse aux États membres toute possibilité pour régler, chacun en ce qui le concerne, les modalités en question sur son territoire? Une réponse négative paraît se dégager, sans aucune équivoque, de votre jurisprudence . Dans la matière de la libre circulation des travailleurs, vous avez, en effet, indiqué, dès votre arrêt du 19 mars 1964, Unger ( 26 ), que les termes "travailleurs" et "activité salariée" ne peuvent être définis par voie de renvoi aux législations des États membres, mais ont une portée communautaire, et rappelé cette position dans votre arrêt Levin, précité, en précisant :

"Sinon, les règles communautaires relatives à la libre circulation des travailleurs seraient mises en échec, car le contenu de ces termes pourrait être fixé et modifié unilatéralement, sans contrôle des institutions de la Communauté, par les législations nationales, qui auraient ainsi la possibilité d' écarter à leur gré certaines catégories de personnes du bénéfice du traité" ( 27 ).

Or, dans la présente affaire, admettre que les législations nationales aient toute latitude pour déterminer les modalités du séjour reviendrait, en définitive, à leur laisser le soin de définir le contenu même du statut du ressortissant communautaire à la recherche d' un emploi sur le territoire d' un autre État membre, ce contenu pouvant, bien entendu, varier considérablement d' un pays à l' autre . Dès lors que la durée au-delà de laquelle on ne pourrait plus se prévaloir de la qualité de ressortissant communautaire à la recherche d' un emploi, au sens du régime de la libre circulation des travailleurs, serait propre à chaque État membre, on en arriverait à ce que des personnes dans des situations identiques puissent faire l' objet de traitements différents quant à la jouissance des droits conférés au titre de cette libre circulation, c' est-à-dire à une variation, d' un État membre à l' autre, du champ d' application ratione personae des règles communautaires en la matière, ce que proscrit votre jurisprudence . La circonstance que, selon ce qui vous a été indiqué au cours de la procédure orale, un certain nombre d' États membres appliquent un même délai minimal de trois mois, respectant ainsi l' accord politique que représente la déclaration adoptée par le Conseil, ne modifie pas, à cet égard, l' analyse juridique résultant de votre jurisprudence . D' ailleurs, l' application par le Royaume-Uni d' un délai minimal de six mois nous semble parfaitement illustrer les risques que nous avons évoqués quant à un contenu du droit de séjour qui ne serait pas uniforme, bien que s' inscrivant dans le cadre d' une liberté fondamentale au sens du traité, celle de la circulation des travailleurs . Le renvoi aux droits nationaux n' est donc absolument pas concevable dans la matière qui nous occupe .

30 . Peut-on, pour autant, en l' absence de réglementation communautaire et dans l' impossibilité d' en renvoyer la détermination aux droits nationaux, considérer que le droit de séjour du ressortissant communautaire à la recherche d' un emploi sur le territoire d' un autre État membre serait absolument illimité? Cela ne nous paraît pas pouvoir être envisagé, car une telle solution serait génératrice d' incohérences dans le régime juridique d' ensemble de la libre circulation des travailleurs . Comme l' a justement souligné le gouvernement du Royaume-Uni, les dispositions communautaires ne peuvent avoir eu pour objectif, ni avoir comme résultat, de conférer davantage de droits à une personne n' ayant jamais occupé d' emploi qu' à une personne exerçant une activité temporaire ou saisonnière dans l' État visé . Or, l' article 6, paragraphe 3, de la directive 68/360, précité, a prévu que le droit de séjour d' un travailleur occupant un emploi dans un autre État membre pendant une durée supérieure à trois mois et inférieure à un an pouvait voir son droit de séjour limité à la durée prévue de l' emploi . Il résulte également de l' article 8 du même texte des limitations quant au droit de séjour pour certaines catégories de travailleurs en raison du caractère temporaire ou saisonnier de l' emploi . Il paraît, dans ces conditions, difficile de consacrer un droit de séjour sans limite d' aucune sorte en faveur d' une personne qui n' a pas du tout d' emploi .

31 . Nous parvenons ainsi au constat qu' une certaine limitation du droit de séjour du ressortissant communautaire à la recherche d' un emploi est nécessaire . Mais comment peut-on dégager une telle limitation? Serait-il concevable que la Cour détermine elle-même la limite de temps maximale au-delà de laquelle un ressortissant communautaire n' ayant pas encore trouvé d' emploi sur le territoire d' un autre État membre ne pourrait plus se prévaloir d' un droit à y séjourner? Mettant aussitôt de côté l' hypothèse de la fixation d' un délai ex nihilo, qui ressortit à la compétence du législateur, on pourrait se demander si la démarche que vous avez adoptée dans l' arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz ( 28 ), ne fournirait pas une solution . Interrogés sur les effets du retard de la Commission à prendre position à l' égard des projets d' aides qui lui sont notifiés ou à engager la procédure de constatation de leur incompatibilité avec le marché commun, ou de l' omission d' une telle intervention, dans le cadre du contrôle préventif des aides d' État, vous avez été amenés à rappeler que, selon les termes de l' article 93 du traité, la Commission devait être informée des projets d' aides "en temps utile pour présenter ses observations" et que, si elle estimait qu' un projet n' était pas compatible avec le marché commun, elle devait ouvrir "sans délai" une procédure contradictoire, l' État membre intéressé ne pouvant mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale . Vous avez ensuite observé que, si les textes entendaient ménager à la Commission un délai utile pour prendre position sur un projet d' aide, il n' y avait pas eu de détermination, par un règlement, de ce délai . Vous avez alors déclaré que les États membres ne pouvaient cependant mettre unilatéralement fin à la phase préliminaire nécessaire à la Commission pour remplir sa mission, mais que la Commission ne saurait être considérée comme agissant avec la diligence voulue si elle omettait de prendre position dans un délai raisonnable, avant de conclure qu' il était indiqué "de s' inspirer des articles 173 et 175 du traité, qui, s' appliquant à des situations comparables, prévoient un délai de deux mois" ( 29 ), et que, passé ce délai, l' État membre concerné pouvait mettre le projet à exécution après en avoir donné préavis à la Commission .

32 . Dans la présente affaire, toutefois, l' application d' un raisonnement analogue se heurterait à une difficulté majeure résultant de l' absence d' une situation clairement comparable dont il serait possible de s' inspirer, à l' instar du délai des articles 173 et 175, pour le délai raisonnable imposé à la Commission au titre de l' article 93 . Le droit de séjour d' un ressortissant d' un État membre à la recherche d' un emploi dans un autre État membre ne se prête pas facilement à des comparaisons utiles dans le droit communautaire . La référence, suggérée par le Royaume-Uni, au délai de trois mois prévu par l' article 69 du règlement ( CEE ) n 1408/71 ( 30 ) en constitue une bonne illustration . En effet, on ne distingue pas vraiment de similarité ni même d' analogie entre la règle posée par cette disposition, qui impose le maintien pendant trois mois des prestations en matière de chômage dues en vertu de la législation d' un État membre à une personne qui s' est rendue dans un autre État membre pour y chercher un emploi, et la limite qui devrait s' appliquer au droit de séjour d' une personne à la recherche d' un emploi sur le territoire d' un autre État membre . Nous ne décelons pas de lien nécessaire, sur le plan juridique, entre le droit aux prestations de chômage dans l' État membre d' origine et le droit de séjour dans celui d' accueil . Soulignons, au demeurant, que le droit de séjour en question peut parfaitement bénéficier à des personnes n' ayant aucun droit à des prestations de chômage dans leur État d' origine, par exemple parce qu' elles sont à la recherche d' un premier emploi . Par ailleurs, le délai de trois mois visé à l' article 8, paragraphe 1, sous a ), de la directive 68/360, également évoqué par le Royaume-Uni, ne paraît pas constituer une référence plus convaincante . Le fait de savoir que les États membres reconnaissent un droit de séjour sans délivrer de carte de séjour aux travailleurs exerçant une activité salariée d' une durée prévue ne dépassant pas trois mois ne nous paraît pas fournir de support logique à une solution qui voudrait qu' une personne recherchant depuis trois mois et un jour un emploi sur le territoire d' un autre État membre n' y bénéficie plus d' un droit de séjour .

33 . Ajoutons qu' il nous paraîtrait difficile de retenir la référence au délai de trois mois figurant dans la déclaration inscrite au procès-verbal du Conseil . En effet, au-delà de l' incohérence qui consisterait à donner, in fine, à cette déclaration une portée juridique dont nous avons dit précédemment qu' elle nous semble privée, il faut bien voir que, même sur le plan d' une simple donnée factuelle, le délai en question pourrait donner lieu à des contestations . Est-il bien pertinent de se référer à un délai envisagé par six États membres en 1968, alors que, dans l' Europe élargie de la fin des années 80, le marché du travail présente des différences considérables avec celui de la fin des années 60 . La durée moyenne de recherche d' un emploi a, vraisemblablement, beaucoup augmenté entre 1968 et maintenant . S' en tenir au délai de trois mois tel qu' envisagé par les États membres en 1968 aboutirait à tenir cette réalité pour négligeable . Nous ne pouvons, pour notre part, nous y résoudre .

34 . On constate donc que des références incontestables qui permettraient de consacrer une notion de délai raisonnable sans abandonner totalement aux États membres le soin de la préciser font ici défaut . Certes, votre jurisprudence vous a vus aussi invoquer des délais raisonnables qui n' étaient pas assortis de précisions tirées de comparaisons avec des délais régulièrement et expressément fixés . Ainsi, dans l' arrêt du 7 juillet 1976, Watson et Belmann, vous avez indiqué qu' en ce qui concerne le délai mis à la déclaration d' arrivée des ressortissants d' un État membre sur le territoire d' un autre État membre

"il ne serait porté atteinte aux dispositions du traité que dans le cas où le délai ne serait pas fixé dans des limites raisonnables" ( 31 ).

Mais s' agissant, comme c' est le cas dans la présente espèce, du point de savoir si une personne bénéficie ou non du droit de séjour prévu en son principe par le droit communautaire, et non, comme dans l' arrêt précité, de savoir dans quelle mesure des modalités d' exercice ne remettant pas directement en cause un droit de séjour conféré par le traité peuvent être mises en oeuvre au titre d' une législation nationale, il nous semble que les inconvénients juridiques d' un renvoi à des limites dont le caractère raisonnable relève plus d' un voeu que d' une définition sont excessifs . Il s' agirait, en vérité, de laisser, de façon à peine déguisée, au législateur national le soin de déterminer l' étendue du droit de séjour de la personne à la recherche d' un emploi et de tourner ainsi le dos aux positions que vous avez prises quant à la nécessité d' une définition communautaire du champ d' application des règles relatives à la libre circulation des travailleurs .

35 . Il est vrai que, en se réservant le contrôle du caractère non déraisonnable des délais imposés par les législations nationales, la Cour pourrait sembler ne pas laisser purement et simplement la détermination de l' étendue du droit de séjour en cause aux États membres . Il y aurait, de la sorte, un encadrement communautaire minimal de la fixation des délais nationaux . Une telle solution ne représenterait cependant qu' une atténuation mince, et a posteriori, d' un renvoi aux droits nationaux contestable dans son principe . La Cour doit, autant qu' elle le peut, permettre, par ses interprétations, aux autorités et juges nationaux de situer avec certitude et assurance les garanties du droit communautaire . Des interprétations qui exposeraient à de longs tâtonnements doivent, dans toute la mesure du possible, être évitées, car il est évident qu' elles se traduiraient par des altérations durables de l' uniformité qui doit présider à l' application du droit communautaire .

36 . Aussi peut-on légitimement se demander si la seule issue à la fois permise par l' état actuel des dispositions du droit communautaire et justifiée par l' attention qu' il convient certainement de prêter à l' évolution du marché de l' emploi au cours des deux dernières décennies ne résiderait pas dans l' adoption d' une conception réaliste de la limite du droit de séjour . Ne pourrait-on, en effet, concevoir que ce droit soit reconnu au ressortissant communautaire à la recherche d' un emploi sur le territoire d' un autre État membre aussi longtemps qu' il s' y consacre activement avec constance et sérieux? Dans une telle optique, le manque répété de disponibilité à l' égard des offres qui sont faites à l' intéressé et qui correspondent à ses aptitudes personnelles et à sa qualification serait, par exemple, de nature à pouvoir être pris en compte par les autorités nationales pour l' inviter à quitter ce territoire, sans que la circonstance qu' il ait droit, au titre de la législation de l' État membre d' accueil, à une assistance publique puisse justifier une telle mesure, indépendamment des considérations tenant à l' absence de recherche effective d' un emploi .

37 . L' orientation que nous venons d' esquisser serait, dans une certaine mesure, en harmonie avec celle mise en oeuvre dans votre jurisprudence, illustrée par les arrêts Levin, précité, et Kempf ( 32 ), ainsi que par votre décision récente du 31 mai 1989 dans l' affaire Bettray ( 33 ), selon laquelle vous vous attachez, pour la définition du champ d' application des règles relatives à la libre circulation des travailleurs, à souligner que celles-ci ne couvrent que l' exercice d' activités réelles et effectives . Ce faisant, vous invitez bien autorités et juges nationaux à un examen concret de la réalité des activités menées par ceux invoquant le bénéfice de la situation de travailleur . Sur le terrain de la recherche d' un emploi, il conviendrait, en quelque sorte, de lier le droit de séjour à la "recherche réelle et effective d' une activité réelle et effective ". Y aurait-il des obstacles sérieux à consacrer une telle analyse?

38 . Le premier auquel on songe est celui qui serait tiré du risque de voir des personnes se déplacer sur le territoire d' un autre État membre afin, sous l' apparence d' une recherche d' emploi en réalité peu active, d' y bénéficier de prestations sociales prévues par la législation de cet État . Disons-le aussitôt, ce risque nous paraît d' une portée sensiblement réduite . En effet, votre arrêt Lebon du 18 juin 1987 semble avoir clairement circonscrit la portée du principe d' égalité des travailleurs migrants et nationaux quant aux avantages sociaux en précisant que cette égalité de traitement, établie à l' article 7, paragraphe 2, du règlement n 1612/68, ne profitait "qu' aux travailleurs et non pas aux ressortissants des États membres qui se déplacent pour chercher un emploi" ( 34 ). Cela paraît signifier que, bien qu' admises, au titre de la libre circulation des travailleurs, à accéder au territoire d' un autre État membre et à y séjourner, les personnes qui y recherchent un emploi ne peuvent se prévaloir de l' égalité de traitement quant aux avantages sociaux consacrée dans le cadre de cette liberté . Aussi, même si l' on tient compte d' une tendance récente à donner une portée extensive à la notion de champ d' application du traité CEE et, par voie de conséquence, à l' effet du principe de non-discrimination posé à son article 7 ( 35 ), il ne semble pas qu' en l' état du droit communautaire une personne à la recherche d' un emploi sur le territoire d' un autre État membre puisse invoquer, au titre de ce droit, une égalité de traitement quant aux avantages sociaux prévus par la législation de cet État . Dès lors, l' éventualité d' un abus, sur le terrain des avantages sociaux, d' un séjour prolongé sur le territoire d' un État membre ne nous paraît pas pouvoir être déterminante pour la solution à adopter dans la présente affaire .

39 . On doit ajouter que la mise en oeuvre, par les autorités nationales, du contrôle de la recherche sérieuse, effective et constante d' un emploi devrait, en tout état de cause, permettre de déceler les personnes qui ne recherchent pas vraiment un emploi . Celles-ci, relevons-le, ne pourraient alors se prévaloir d' un droit de séjour, même si elles sont arrivées depuis peu de temps sur le territoire de l' État membre d' accueil, ni abuser, par conséquent, d' avantages sociaux résultant du droit national .

40 . Certes, nous ne nous dissimulons pas ce qu' il peut y avoir de désavantageux, du point de vue de la simplicité des mesures à mettre en oeuvre pratiquement, à retenir une solution impliquant un examen concret de la situation du ressortissant communautaire en cause, plutôt qu' une solution formelle, "forfaitaire", reposant sur la simple expiration d' un délai . Cependant, il faut bien considérer que de tels contrôles ne constitueraient pas une innovation complète pour les administrations nationales . En effet, les législations qui prévoient des prestations en cas de chômage subordonnent le plus souvent leur maintien à la recherche effective d' un emploi et mettent en place, à cet égard, des mesures de contrôle . Un tel contrôle est d' ailleurs évoqué à l' article 69, paragraphe 1, sous b ), du règlement n 1408/71 .

41 . Aussi, nous considérons que, même si elle devait appeler, de la part des autorités nationales, une plus grande dépense d' activité que celle entraînée par la lecture d' un calendrier, la solution d' un droit de séjour lié à la recherche sérieuse et effective d' un emploi ne se heurterait pas à des objections majeures . Doit-on la préférer à celle qui renverrait à la fixation, par les États membres, d' un délai raisonnable dont la Cour se réserverait un certain contrôle sur renvoi des juges nationaux? Il nous semble que oui . Nous avons, en effet, la conviction qu' en l' absence d' une réglementation communautaire du séjour dans le cas de recherche d' emploi sur le territoire d' un autre État membre la voie réaliste est celle qui s' éloigne le moins de l' état du droit communautaire, en particulier si l' on songe à votre jurisprudence quant au caractère nécessairement communautaire des notions qui déterminent le champ d' application de la libre circulation des travailleurs . De plus, cette solution présente l' avantage, non négligeable à nos yeux, de ne pas être indifférente à la réalité du marché de l' emploi dans l' État membre d' accueil . Dans ces conditions, nous sommes conduit à vous suggérer d' emprunter cette voie .

42 . Avant de mettre le point final à ces conclusions, il est nécessaire d' évoquer certains développements législatifs récents quant à la matière du droit de séjour des ressortissants d' un État membre dans un autre État membre . Le Conseil a, le 28 juin 1990, adopté trois directives relatives respectivement au "droit de séjour" ( 36 ), au "droit de séjour des travailleurs salariés et non salariés ayant cessé leur activité professionnelle" ( 37 ) et au "droit de séjour des étudiants" ( 38 ). La première prévoit que les États membres accordent le droit de séjour aux ressortissants communautaires qui n' en bénéficient pas en vertu d' autres dispositions, pourvu qu' ils soient couverts par une assurance maladie et qu' ils disposent de ressources suffisantes . La validité de la carte de séjour délivrée à ces ressortissants peut être limitée à cinq ans, renouvelable, les États membres pouvant, lorsque c' est nécessaire, demander la revalidation de la carte au terme des deux premières années de séjour . Les deux autres directives subordonnent également le droit qu' elles instituent à une condition de ressources suffisantes pour ne pas devenir une "charge pour l' assistance sociale de l' État membre d' accueil ". La date fixée pour se conformer à ces directives est le 30 juin 1992 . On peut ainsi observer que la première directive aménage un droit de séjour d' une durée appréciable sans qu' il soit nécessaire de justifier d' une activité économique . Par ailleurs, on relève que les trois directives font de l' existence de ressources suffisantes une condition sine qua non du droit de séjour .

43 . Cette dernière position du Conseil à propos de trois catégories déterminées de ressortissants communautaires ne nous paraît pas permettre de préjuger des conditions posées par le droit communautaire à l' égard d' une autre catégorie, celle des personnes à la recherche d' un emploi . Certes, s' agissant de ces derniers, la déclaration adoptée par le Conseil le 15 octobre 1968 se référait au moins implicitement à une condition de ressources suffisantes . Nous avons vu, toutefois, que cette déclaration ne pouvait être prise en considération pour interpréter le droit communautaire quant au droit de séjour litigieux dans la présente affaire . Nous ne distinguons pas de raison d' ordre juridique d' introduire, cette fois à la lumière des directives du 28 juin 1990, une condition de ressources suffisantes s' agissant de ressortissants communautaires dont le Conseil s' est abstenu jusqu' à présent de réglementer les modalités du droit de séjour . Au demeurant, l' énoncé jurisprudentiel d' une condition suivant laquelle la personne à la recherche d' un emploi devrait disposer de ressources suffisantes pour ne pas être à la charge de l' assistance sociale de l' État membre d' accueil n' irait pas sans poser quelques problèmes de conciliation avec l' indication donnée par votre arrêt Kempf, précité, selon laquelle la portée communautaire des notions déterminant l' étendue du champ d' application de la libre circulation des travailleurs serait compromise si la jouissance des droits conférés au titre de cette libre circulation était "exclue dès lors que l' intéressé fait appel à des prestations à charge des fonds publics ouvertes en vertu de la législation nationale du pays d' accueil" ( 39 ). Aussi, les récentes directives du Conseil en matière de droit de séjour ne nous paraissent pas justifier une modification de l' orientation de nos conclusions .

44 . En définitive, nous vous suggérons de dire pour droit :

"1 ) Un ressortissant d' un État membre à la recherche d' un emploi sur le territoire d' un autre État membre bénéficie, au titre de la libre circulation des travailleurs, du droit d' y séjourner tant que cette recherche s' avère effective et sérieuse, les autorités de l' État membre d' accueil ne pouvant lui opposer le simple écoulement d' un délai prévu par la loi nationale pour l' inviter à quitter le territoire sans avoir constaté qu' il ne recherche plus réellement d' emploi .

2 ) La déclaration adoptée par le Conseil le 15 octobre 1968 ne peut fournir d' éléments pouvant être pris en considération par le juge national pour déterminer les modalités du droit de séjour visé au point 1 ci-avant ."

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Article 48, paragraphe 3, du traité CEE .

( 2 ) Pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d' ordre public, de sécurité publique et de santé publique ( JO 56, p . 850 ).

( 3 ) Directive du 15 octobre 1968 relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l' intérieur de la Communauté ( JO L 257, p . 13 ).

( 4 ) Article 49 du traité CEE .

( 5 ) Règlement relatif à la libre circulation des travailleurs à l' intérieur de la Communauté ( JO L 257, p . 2 ).

( 6 ) Voir note 3 .

( 7 ) Affaire 48/75, Rec . p . 497 .

( 8 ) Point 31, souligné par nous .

( 9 ) Affaire 53/81, Rec . p . 1035 .

( 10 ) Point 9, souligné par nous .

( 11 ) Rec . 1982, p . 1043 .

( 12 ) Précitée .

( 13 ) Arrêt du 18 juin 1987 ( 316/85, Rec . p . 2811 ).

( 14 ) Texte reproduit dans Waelbroeck, M ., Louis, J . V ., Vignes, D ., Dewost, J . L ., Amphoux, J ., et Verges, J .: Le droit de la Communauté économique européenne, vol . 9, partie "annexes", p . 20, ULB, 1979 .

( 15 ) JO L 268, p . 1 .

( 16 ) Affaire 38/69, Rec . p . 47 .

( 17 ) Point 12 .

( 18 ) Affaire 136/78, Rec . p . 437 .

( 19 ) Affaire 136/78, précité, point 25 .

( 20 ) Affaire 237/84, Rec . p . 1247 .

( 21 ) Directive concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d' entreprises, d' établissements ou de parties d' établissements ( JO L 61, p . 26 ).

( 22 ) Affaire 237/84, point 17 .

( 23 ) Affaire 131/86, Rec . p . 905 .

( 24 ) Point 26 .

( 25 ) Point 27 .

( 26 ) Affaire 75/63, Rec . p . 347 .

( 27 ) Affaire 53/81, précité, point 11 .

( 28 ) Affaire 120/73, Rec . p . 1471 .

( 29 ) oint 4 .

( 30 ) Règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté ( JO L 149, p . 2 ).

( 31 ) Point 19 ( 118/75, Rec . p . 1185 ), souligné par nous; voir également arrêt du 12 décembre 1989, Lothar Messner, point 12 ( C-265/88, Rec . p . 4209 ).

( 32 ) Arrêt du 3 juin 1986 ( 139/85, Rec . p . 1741 ).

( 33 ) Affaire 344/87, Rec . p . 1621 .

( 34 ) Point 3 ( 316/85, Rec . pp . 2811, 2832 ).

( 35 ) Voir arrêt du 2 février 1989, Cowan ( 186/87, Rec . p . 195 ).

( 36 ) Directive 90/364/CEE ( JO L 180, p . 26 ).

( 37 ) Directive 90/365/CEE ( JO L 180, p . 28 ).

( 38 ) Directive 90/366/CEE ( JO L 180, p . 30 ).

( 39 ) Affaire 139/85, précitée, point 15 .

Top