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Document 61989CC0063

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 23 janvier 1991.
Assurances du crédit SA et Compagnie belge d'assurance crédit SA contre Conseil des Communautés européennes et Commission des Communautés européennes.
Recours en indemnité - Directive - Article 57, paragraphe 2, du traité CEE - Opérations d'assurance-crédit à l'exportation.
Affaire C-63/89.

Recueil de jurisprudence 1991 I-01799

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1991:25

61989C0063

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 23 janvier 1991. - Assurances du crédit SA et Compagnie belge d'assurance crédit SA contre Conseil des Communautés européennes et Commission des Communautés européennes. - Recours en indemnité - Directive - Article 57, paragraphe 2, du traité CEE - Opérations d'assurance-crédit à l'exportation. - Affaire C-63/89.

Recueil de jurisprudence 1991 page I-01799


Conclusions de l'avocat général


Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Les requérantes, sociétés d' assurance actives dans le secteur de l' assurance crédit à l' exportation, sollicitent la réparation du préjudice que leur causerait l' entrée en vigueur de la directive 87/343/CEE du Conseil, du 22 juin 1987 ( JO L 185, p . 72 ).

En bref, les requérantes estiment que la directive précitée a un caractère discriminatoire, et donc illicite, dans la mesure où, dans le cadre de l' harmonisation des garanties financières exigées des sociétés d' assurance aux fins de la protection des tiers, elle a limité l' application de ces garanties - et donc les charges y afférentes - aux seules sociétés du secteur privé, en excluant les sociétés et organismes d' assurance crédit à l' exportation faisant partie du secteur public . La directive serait donc une source de charges discriminatoires ( pour le secteur privé ), constituées par les coûts de constitution et de gestion des instruments financiers requis . C' est précisément la réparation du préjudice économique résultant de cette situation qui fait l' objet de la présente action en indemnité .

A l' évidence, le recours nous amène à aborder une matière délicate et de considérable importance normative et économique . Mais, au-delà des raisons d' intérêt général, il convient de signaler d' emblée que l' action soulève deux importantes questions de principe : la première, ayant trait à la recevabilité, concerne le rapport entre l' exercice de l' action en responsabilité extracontractuelle au titre de l' article 215 du traité et l' exercice des voies de recours internes de protection juridique . La seconde, qui a trait au fond, concerne les limites à l' intérieur desquelles s' impose le respect du principe d' égalité de traitement au cas où l' institution limite l' harmonisation des conditions d' exercice d' une activité économique à une catégorie d' entreprises, en excluant du champ d' application des normes harmonisées une autre catégorie d' entreprises ( au moins en partie ) concurrentes .

C' est à l' examen de ces deux points que nous consacrerons la plus grande partie des observations qui vont suivre . Toutefois, avant de procéder à l' analyse de ceux-ci ainsi que des autres aspects importants, il est indispensable de décrire sommairement le contenu et surtout la genèse du régime litigieux . Il convient, en effet, de souligner que l' historique de la directive, et en particulier les prises de position adoptées par les institutions au cours de l' élaboration normative, revêtent, en l' espèce, une grande importance, notamment aux fins de la constatation du caractère discriminatoire de la législation en question .

Le cadre normatif et la genèse de la directive 87/343

2 . En 1973, avec la directive 73/239/CEE du Conseil, du 24 juillet 1973 ( JO L 228, p . 3 ), la Communauté a procédé à une première coordination des dispositions relatives à l' assurance autre que l' assurance sur la vie . La directive, qui se fonde en particulier sur l' article 57, paragraphe 2, du traité, a, en vue de permettre une plus grande liberté d' établissement et de prestation de services dans ce secteur, prévu l' élimination de certaines disparités existant entre les législations nationales en matière de contrôle et l' harmonisation des dispositions relatives aux garanties financières exigées des entreprises d' assurance pour la protection des assurés et des tiers . En particulier, les articles 15, 16 et 17 de la directive obligent les États membres à imposer aux entreprises établies sur leur territoire la constitution, respectivement, de "réserves techniques", d' une "marge de solvabilité" et d' un "fonds de garantie ". Ces éléments complexes constituent ce qu' on appelle des "règles prudentielles" destinées à garantir la solvabilité des entreprises dans l' ensemble de la Communauté .

Il y a lieu de souligner que, ainsi que le précise la Commission dans son mémoire, la proposition présentée au Conseil disposait que, dans le secteur de l' assurance du crédit à l' exportation, ces règles prudentielles s' appliqueraient à toutes les entreprises intéressées, sans qu' il y ait lieu de distinguer selon l' appartenance desdites entreprises au secteur privé ou au secteur public .

Le Conseil n' a pas accueilli cette solution . Ainsi qu' il résulte du quatrième considérant, il a estimé qu' il convenait d' "exclure du champ d' application de la directive certaines mutuelles qui, en vertu de leur régime juridique, remplissent des conditions de sécurité et offrent des garanties financières spécifiques ". C' est ainsi qu' il a été décidé de soustraire au champ d' application de la directive (( voir article 2, paragraphe 2, sous d ) )) les "opérations d' assurance crédit à l' exportation pour compte ou avec la garantie de l' État"; cette exclusion était, toutefois, conçue comme strictement provisoire, en ce qu' elle était expressément subordonnée à une "coordination ultérieure ( à intervenir ) dans un délai de quatre ans ".

3 . La coordination ultérieure s' est, en fait, avérée beaucoup plus difficile que prévu . En présentant, le 13 septembre 1979, une proposition de modification de la directive de 1973, la Commission a réitéré l' exclusion des opérations pour compte ou avec la garantie de l' État, en éliminant de surcroît toute référence à une coordination ultérieure sur ce point .

Cette orientation s' est toutefois heurtée à une opposition résolue tant du Comité économique et social que du Parlement européen . Le premier, dans son avis du 27 février 1980, faisait part de son regret "que, en raison du caractère essentiellement politique des problèmes touchant l' assurance crédit à l' exportation, la Commission ait renoncé à réaliser une coordination en la matière ". Le second, par résolution du 17 octobre 1980, a émis les appréciations suivantes ( que nous rapportons in extenso en raison de l' importance qu' elles revêtent aux fins de l' examen de la présente affaire ):

"En ce qui concerne l' assurance crédit :

constate que la Commission propose d' exclure définitivement du champ d' application de la première directive les opérations d' assurance crédit à l' exportation effectuées pour le compte ou avec la garantie de l' État;

observe que cette exclusion, telle qu' elle est proposée par la Commission, perpétue une différence de traitement entre le secteur public et le secteur privé;

relève qu' une telle différence de traitement est incompatible avec un fonctionnement satisfaisant du marché commun en ce qui concerne :

- tant les exportations à destination d' un autre État membre, la garantie de l' État constituant une aide inacceptable dans le commerce intracommunautaire,

- que les exportations à destination de pays tiers, la garantie accordée par l' État n' étant pas encore régie par des principes définis dans le cadre de la politique commerciale commune;

estime - compte tenu des déclarations ( 1 ) faites devant la commission juridique par le commissaire responsable - que l' exclusion du champ d' application de la directive des opérations d' assurance crédit doit être limitée, et ce jusqu' à une coordination ultérieure, aux opérations commerciales avec les pays tiers;

considère que seule la modification en ce sens du texte à l' examen permettrait de faire progresser plus largement la liberté d' établissement dans le secteur considéré, tout en laissant entière la nécessité :

- de définir une position communautaire sur la question des aides aux exportations à destination des pays tiers, aides dont la garantie de l' État aux opérations d' assurance crédit à l' exportation est un exemple ( 2 ),

- d' assurer l' égalisation totale des conditions de concurrence entre les entreprises privées et publiques" ( 3 ).

Sur cette base, le Parlement proposait de modifier la motivation de la directive par l' introduction d' un considérant libellé comme suit :

"considérant que, en ce qui concerne les opérations d' assurance crédit à l' exportation, il convient d' assurer la pleine concurrence entre les entreprises du secteur public et du secteur privé; que, dans les relations intracommunautaires, les risques couverts par l' assurance crédit à l' exportation ne sont pas d' une nature économique différente de ceux couverts par l' assurance crédit pour les transactions réalisées à l' intérieur du marché d' un État membre; que, dès lors, les opérations d' assurance crédit effectuées avec la garantie de l' État doivent dans ce cas tomber sous l' application de la directive; que, en ce qui concerne les opérations d' assurance crédit à l' exportation dans le cadre de relations entre les États membres et des pays tiers, il conviendra de réaliser ultérieurement une coordination des dispositions nationales afin que soit réalisée une politique commune d' exportation, élément essentiel de la politique commerciale commune ".

En définitive, il a été proposé de modifier l' article 2, paragraphe 2, sous d ), de la directive, en sorte d' exclure du champ d' application de cette dernière et jusqu' à une coordination ultérieure uniquement l' assurance des crédits relatifs aux opérations d' exportation effectuées à destination des pays tiers, étant entendu que, pour le reste, s' appliquerait un régime unique aux opérateurs publics et privés .

4 . Suite à ces prises de position, la Commission a été amenée à revenir sur son orientation et à proposer au Conseil une nouvelle mouture de la directive, incorporant les suggestions de l' Assemblée . Le texte a été accompagné d' un mémorandum dans lequel la Commission, se référant au marché en question, précise de façon significative qu' elle

"fully accepts that everything possible must be done to ensure that competition between the public and private sectors takes place in conditions of neutrality and transparency ".

Elle déclare ensuite ce qui suit :

"After consultation with those concerned, it accepts that the application of the present Directive to public sector bodies acting in this area is practicable and will make a useful contribution to the achievement of these conditions ."

La Commission souligne, en outre, l' importance des objectifs de neutralité et de transparence dans la concurrence, y compris dans l' hypothèse d' exportations vers les pays tiers; elle observe toutefois, en accord avec les observations du Parlement, que le risque assuré en pareille hypothèse se caractérise par un contenu hautement politique, que seuls des organismes opérant avec la couverture de l' État sont en mesure de garantir .

La nouvelle proposition de la Commission a donc prévu l' application du régime des règles prudentielles indistinctement aux secteurs public et privé, à la seule exception de l' assurance crédit à l' exportation vers les pays tiers, pour laquelle, eu égard à la nature éminemment politique du risque couvert, on a estimé opportun de renvoyer l' application du régime commun à une coordination normative ultérieure .

5 . Néanmoins, une nouvelle fois, le Conseil s' est écarté de l' orientation qui lui était proposée . La directive finalement adoptée le 22 juin 1985, 87/343, en modifiant l' article 2, paragraphe 2, sous d ), de la précédente directive 73/239, renvoie à une coordination ultérieure - et cette fois, sine die - l' application des normes communes aux opérations d' assurance crédit à l' exportation pour compte ou avec la garantie de l' État .

Telles sont les dispositions de la directive en ce qui concerne son champ d' application . Pour ce qui concerne, en revanche, le contenu de l' acte, la directive 87/343 confirme les règles prudentielles déjà introduites par la directive 73/239, en y ajoutant toutefois un nouvel instrument, la "réserve de compensation", destiné à renforcer encore davantage le système de garanties financières en faveur des tiers .

Sur la recevabilité

6 . Les institutions défenderesses soulèvent deux questions de recevabilité . La première concerne l' ensemble du recours; la seconde vise plus particulièrement l' une des demandes formulées par les requérantes dans leurs conclusions .

La première exception d' irrecevabilité

La première exception d' irrecevabilité se fonde sur la considération selon laquelle le recours aurait en réalité pour objet de priver de tout effet la directive 87/343 plutôt que d' obtenir la réparation d' un préjudice subi . Il s' agirait donc d' un recours en annulation "déguisé", lequel, s' il était déclaré recevable, aurait pour effet de contourner les règles de procédure communautaires .

Il y a lieu de préciser qu' en excipant de l' irrecevabilité du recours le Conseil et la Commission se sont exclusivement fondés sur la considération que l' action en responsabilité extracontractuelle ne peut constituer une alternative à un recours fondé sur l' article 173 . Il est clair toutefois qu' ainsi énoncée l' exception apparaît dépourvue de fondement, ne serait-ce que parce que l' acte communautaire présentement en cause est, ainsi que nous l' avons observé, une directive, donc un acte dont on ne peut même pas envisager qu' il puisse être attaqué par les requérantes au titre de l' article 173, deuxième alinéa .

Il nous paraît toutefois évident que l' examen de la question de recevabilité ne peut se limiter simplement à une analyse du rapport entre l' action aquilienne fondée sur l' article 215 et l' action en annulation . Si on l' examine de façon plus attentive, le problème soulevé par les institutions défenderesses revêt, en effet, une portée plus vaste, en ce qu' il touche, de manière générale, aux limites de l' autonomie de l' action en réparation dans l' hypothèse où le dommage allégué trouve son origine non dans un fait ou comportement matériel imputable à la Communauté, mais dans un acte juridique - prétendument illégal - adopté par cette dernière .

Or, il importe de remarquer que dans le cas d' espèce l' acte faisant directement grief aux requérantes n' est pas représenté par la directive, mais plutôt par les mesures nationales d' exécution, à savoir des actes de droit interne, de portée individuelle, adoptés en vertu des dispositions d' exécution de cette même directive .

Partant, ce qu' il convient d' examiner, ce n' est pas si les requérantes, au lieu de l' action en réparation, auraient dû intenter un recours en annulation au titre de l' article 173, mais plutôt si elles n' auraient pas dû, au contraire, attaquer devant les juridictions nationales les mesures internes dérivées de la directive et, dans le cadre de cette action, soulever la question de l' invalidité de l' acte communautaire - la directive - qui constituait la base légale desdites mesures .

Ainsi que nous l' avons observé, il nous semble que la question de recevabilité soulevée par les défenderesses touche à cet aspect et en impose l' examen . Précisons en tout cas que, ainsi que l' a confirmé le dernier arrêt Roquette ( arrêt du 20 mai 1989, Roquette Frères/Commission, point 14, 20/88, Rec . p . 1553 ), l' irrecevabilité d' un recours en responsabilité non contractuelle en raison de son caractère subsidiaire par rapport aux voies de recours internes peut être soulevée d' office et doit donc être analysée quelle que soit la portée reconnue à l' exception opposée par les défenderesses .

Action en responsabilité extracontractuelle et voies de recours internes

7 . De manière générale, le problème lié au rapport entre ces deux catégories d' actions se pose essentiellement lorsqu' une autorité nationale, en vertu d' un acte communautaire, adopte à son tour une mesure se traduisant par des effets économiques défavorables pour un sujet de droit .

Or, selon la Cour, "dans le cas où un particulier s' estime lésé par l' application d' un acte normatif communautaire qu' il considère comme illégal, il dispose de la possibilité, lorsque la mise en oeuvre de l' acte est confiée aux autorités nationales, de contester, à l' occasion de cette mise en oeuvre, la validité de l' acte devant une juridiction nationale dans le cadre d' un litige l' opposant à l' autorité interne", étant entendu naturellement que "cette juridiction peut, ou même doit, dans les conditions de l' article 177, saisir la Cour d' une question portant sur la validité de l' acte communautaire en cause" ( arrêt du 12 avril 1984, Unifrex, point 11, 281/82, Rec . p . 1969 ); et que, par conséquent, "l' existence de ce recours est déjà de nature à assurer d' une manière efficiente la protection des particuliers intéressés" ( arrêt du 5 décembre 1979, Amylum, point 14, 116/77 et 124/77, Rec . p . 3497 ).

Dans cette même perspective, et en termes encore plus généraux, la Cour a jugé que "l' action en indemnité doit être appréciée au regard de l' ensemble du système de protection juridictionnelle des particuliers instauré par le traité et que sa recevabilité peut se trouver subordonnée, dans certains cas, à l' épuisement de voies de recours internes qui sont ouvertes pour obtenir l' annulation de la décision de l' autorité nationale ". Il importe toutefois "que ces voies de recours nationales assurent d' une manière efficace la protection des particuliers intéressés en étant susceptibles d' aboutir à la réparation du préjudice allégué" ( voir arrêt du 26 février 1986, Krohn, point 27, 175/84, Rec . p . 753, et, en dernier lieu, arrêt du 30 mai 1989, Roquette, 20/88, Rec . p . 1553 ).

De ces propositions, on peut, nous semble-t-il, déduire - en accord, du reste, avec la doctrine ( 4 ) - que, lorsqu' une action est susceptible d' être intentée sur le plan national, un tel recours revêt un caractère prioritaire par rapport à l' action fondée sur l' article 215, étant entendu toutefois que l' action en indemnité peut être intentée de manière autonome, c' est-à-dire indépendamment de l' épuisement préalable des voies de recours internes, lorsque lesdits moyens ne sont pas de nature à assurer une protection juridictionnelle effective des situations juridiques prétendument lésées .

Néanmoins, en raison également de l' importance de la question, nous estimons que la portée de la jurisprudence en cause ne peut se déduire uniquement des affirmations de caractère général précitées, mais doit, au contraire, être analysée en tenant compte également de la diversité des situations ayant présidé à cette jurisprudence . Il nous semble en effet que ce n' est qu' en procédant de la sorte que l' on peut parvenir à définir les conditions dans lesquelles il y a lieu de considérer qu' une action en indemnité est recevable, indépendamment de l' épuisement des voies de recours internes .

L' analyse de la jurisprudence ( 5 ) montre qu' une action fondée sur l' article 215 est en principe recevable ( en sens contraire, mais isolé, l' arrêt du 17 mars 1976, Lesieur, 67/75 à 85/75, Rec . p . 391 ), indépendamment de l' exercice des voies de recours juridictionnelles internes, dès lors que l' acte de l' autorité nationale adopté sur la base de dispositions communautaires ( de droit dérivé ) a pour effet de refuser ou de retirer à une personne donnée l' octroi d' une prestation, concession ou autres avantages . Cette jurisprudence procède essentiellement de l' idée que, dans l' hypothèse que nous venons d' envisager, l' action intentée sur le plan national, même couronnée de succès, n' assurerait pas une protection effective des droits invoqués en justice . De fait, même en cas de déclaration de non-validité par la Cour, saisie par le juge national en application de l' article 177, et, ultérieurement, d' annulation par le juge national, statuant sur la base de cette décision, de la mesure nationale litigieuse, un tel résultat ne présenterait aucune utilité concrète pour le requérant . La simple annulation de la mesure ( négative ) n' équivaut pas à une reconnaissance du droit revendiqué . Il est encore nécessaire, en effet, que la législation communautaire - en tant que base légale de l' action de l' administration nationale - soit modifiée . Il incomberait donc au législateur communautaire de tirer les conséquences de la déclaration d' invalidité prononcée par la Cour et d' introduire la norme positive sans laquelle l' autorité nationale ne pourrait adopter les mesures réclamées par l' intéressé .

En présence de telles circonstances et donc essentiellement en raison du caractère non satisfaisant de la décision rendue au niveau national, la Cour a admis la recevabilité d' une action fondée sur l' article 215, en tant qu' alternative à la voie de recours interne, et cela malgré le fait que la réparation sollicitée coïncidait avec la prestation réclamée par le requérant dans le chef de l' autorité nationale .

La ratio de cette jurisprudence, qu' illustrent bien les conclusions de l' avocat général M . Capotorti dans l' affaire Granaria ( 6 ), a été confirmée par la Cour dans l' arrêt Unifrex ( point 12 ) et, en dernier lieu, par l' arrêt du 29 septembre 1987, De Boer Buizen, point 10 ( 81/86, Rec . p . 3677 ), dans lequel il est dit que "l' annulation, par une juridiction nationale, d' un refus d' octroyer une telle licence à une entreprise distributrice ne peut donc avoir pour résultat que celle-ci a le droit d' obtenir la licence ou la réparation du préjudice qu' elle pourrait avoir subi . Il en est de même d' une constatation d' invalidité des dispositions réglementaires en cause ( dispositions fondant le refus d' octroyer la licence ), à laquelle la juridiction nationale pourrait parvenir après avoir saisi la Cour d' une question portant sur ce point en vertu de l' article 177 du traité ".

La Cour paraît, en revanche, s' orienter vers une solution très différente au regard de la recevabilité de l' action en indemnité dès lors que les voies de recours nationales garantissent une protection effective, au point que la doctrine tend à reconnaître l' existence d' un véritable principe de subsidiarité de l' action fondée sur l' article 215 par rapport aux voies de recours internes .

On doit cependant préciser que cette jurisprudence s' est essentiellement formée en liaison avec un cas d' espèce bien déterminé . Nous nous référons, à cet égard, à l' hypothèse dans laquelle un sujet ayant acquitté à l' autorité nationale une taxe ( ou une quelconque autre charge ) en application de règles communautaires et estimant contraires au droit lesdites règles introduit une action en réparation de dommages ayant pour objet une somme coïncidant avec les montants payés et qu' il estime ne pas être dus . En présence de telles circonstances, dès son arrêt du 2 octobre 1972, Haegemann ( 96/71, Rec . p . 1005 ), la Cour a jugé que les litiges relatifs à l' imposition aux particuliers de taxes et de prélèvements visés par un règlement communautaire "doivent être résolus, en application du droit communautaire, par les autorités nationales et dans les formes prévues par le droit des États membres; partant, les contestations soulevées dans une telle procédure quant à l' interprétation et à la validité de dispositions réglementaires établissant les ressources propres de la Communauté doivent être portées devant les juridictions nationales, qui disposent de la procédure de l' article 177 du traité ". La demande en réparation coïncidant dans son montant avec les sommes indûment perçues a été, dès lors, déclarée irrecevable .

De manière analogue, dans l' arrêt du 27 janvier 1976, IBC ( 46/75, Rec . p . 65 ), la requérante demandait réparation du préjudice qui lui aurait été causé en raison de l' application par les autorités douanières italiennes de certaines dispositions d' un règlement ayant trait aux montants compensatoires monétaires : du fait de cette norme, dont elle contestait la légalité, la requérante avait dû verser des montants qu' elle estimait supérieurs à ceux qui étaient dus; l' action en dommages-intérêts tendait précisément au remboursement de ces sommes à titre d' indemnité .

Pour déclarer irrecevable le recours, la Cour a jugé que :

"Le litige vise en réalité les décisions des autorités italiennes prises en exécution d' une réglementation communautaire considérée par la requérante comme illégale; il concerne donc la légalité de la perception des sommes litigieuses par les autorités nationales chargées de l' application et de l' exécution de la réglementation relative aux montants compensatoires monétaires et tend au remboursement par la Communauté, à la place des autorités nationales, des sommes qui auraient été indûment perçues .

Les dispositions de cette réglementation établissent les critères de calcul des sommes dues à titre de péréquation entre la charge à l' importation et les montants compensatoires et ne laissent aucun doute que l' évaluation concrète et la perception des sommes dues relèvent des autorités nationales .

Il appartient donc aux juridictions nationales compétentes de statuer sur la légalité de tels actes d' exécution, en application du droit communautaire, dans les formes prévues par le droit national et après utilisation éventuelle de l' article 177 du traité en ce qui concerne notamment la validité de la réglementation communautaire exécutée ."

Par rapport à cette jurisprudence, l' arrêt du 12 décembre 1979, Wagner ( 12/79, Rec . p . 3657 ), marque une évolution . Nous rappellerons tout d' abord brièvement les faits . L' entreprise Wagner s' était vu refuser par le BALM l' annulation d' un certificat d' exportation de sucre . Pour éviter la filière et les risques d' une procédure juridictionnelle interne impliquant un renvoi à la Cour de justice, elle avait décidé de ne pas attaquer la décision . En outre, compte tenu de ce que le certificat venait à échéance ( ce qui aurait entraîné la perte de la caution ), l' entreprise a décidé de procéder, en tout état de cause, à l' exportation . Cette opération a toutefois été réalisée à des conditions financières moins favorables que celles qui auraient été appliquées si le certificat - ainsi qu' il était demandé - avait été annulé . Le défaut d' annulation empêchait, en effet, de prendre en compte une précédente modification des taux de change dans le secteur agricole . Ce manque à gagner constituait l' objet de la demande en dommages-intérêts, demande fondée encore une fois sur la considération que la décision de refus du BALM se fondait sur des dispositions communautaires illégales .

Dans son arrêt, qui déclare irrecevable le recours, la Cour s' exprime comme suit :

"L' action en indemnité prévue aux articles 178 et 215 du traité a été instituée comme une voie autonome ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d' exercice conçues en vue de son objet spécifique . Elle n' a pas pour objectif de permettre à la Cour d' examiner la validité des décisions prises par les organes nationaux chargés de la mise en oeuvre de certaines mesures dans le cadre de la politique agricole commune ou d' apprécier les conséquences pécuniaires résultant de l' invalidité éventuelle de telles décisions .

La requérante a situé son recours dans le cadre de l' action en responsabilité non contractuelle contre la Communauté en alléguant que le refus litigieux de la part du BALM serait entièrement dû au comportement de la Commission . Selon elle, le préjudice subi résulte de ce comportement, les autorités nationales n' ayant eu d' autre choix que d' appliquer les dispositions communautaires et de suivre, à cet égard, les indications qui leur auraient été fournies par la Commission .

Il résulte de l' arrêt de la Cour du 31 mars 1977 dans l' affaire 88/76, précité, que le règlement ( CEE ) n 1579/76 n' a pas légalement pu être appliqué à une demande d' annulation déposée le 1er juillet 1976 . Toutefois, il appartenait aux juridictions nationales de statuer sur la légalité de la décision de refus du BALM, en application du droit communautaire, dans les formes prévues par le droit national et après l' utilisation de l' article 177 du traité .

Le recours de la requérante tend, en réalité, à la réparation du dommage résultant du fait que la requérante n' est pas parvenue à priver la décision de refus prise par le BALM de ses effets . Quelles que soient les raisons qui ont amené la requérante à ne pas intenter un recours contre cette décision devant les juridictions nationales compétentes, la Cour ne saurait recevoir une action en responsabilité comme celle de l' espèce contre la Communauté sans méconnaître le système de l' ensemble des voies de recours juridictionnelles, conçu, entre autres, pour protéger les entreprises intéressées contre une fausse application des mesures prises dans le cadre de la politique agricole commune .

Il s' ensuit que la Cour doit rejeter, pour manque de pertinence, l' argument de la requérante selon lequel l' introduction d' un recours contre la décision de refus aurait eu pour conséquence la non-utilisation du certificat d' exportation et la perte du cautionnement, dans l' attente de l' issue ultérieure du recours, conséquence qui constituerait un risque financier d' une telle envergure qu' une entreprise de taille moyenne comme celle de la requérante ne pourrait raisonnablement le supporter . En effet, si la requérante a choisi d' éviter un tel risque, elle s' est également privée de la possibilité qui lui était ouverte de faire corriger l' illégalité dont elle se plaint ."

8 . Naturellement, la jurisprudence précitée peut être différemment interprétée selon la ratio decidendi que l' on croit pouvoir lui prêter .

Au cas, en effet, où l' on estimerait que la Cour a été essentiellement animée du souci d' éviter une confusion entre l' action communautaire en indemnité et les procédures de répétition de l' indû, qui doivent être mises en oeuvre au niveau national, on devrait logiquement en conclure que l' action en indemnité n' est irrecevable que lorsque le préjudice allégué coïncide exactement avec le montant versé en application de la mesure nationale d' exécution que l' on estime illégale . Toutefois, en pareille hypothèse, l' action en dommages-intérêts serait irrecevable ne serait-ce que parce que cela reviendrait à imposer à la Communauté l' obligation de rembourser la diminution patrimoniale subie par le sujet, alors qu' il appartient évidemment à l' autorité nationale de restituer les sommes perçues sans titre .

Il nous semble toutefois que cette jurisprudence est susceptible également d' une lecture plus ample . Nous considérons en effet qu' elle permet de conclure en ce sens que l' action fondée sur l' article 215 est, en règle générale, irrecevable dès lors qu' elle tend à atteindre le même résultat que celui qui aurait pu être utilement poursuivi au moyen d' un recours formé au niveau national . En pratique, cela veut dire que l' action en dommages-intérêts ne peut être utilisée dans le but d' éliminer ou de toute manière neutraliser les effets d' un acte faisant grief, dès lors qu' un tel objectif peut être réalisé en attaquant cet acte devant le juge interne ( en soulevant, à ce stade, la question de la validité des dispositions communautaires de base ), sous la seule réserve - précisée ci-dessus - que la voie de recours juridictionnelle interne soit propre à assurer une protection effective .

Les affirmations de caractère général de la Cour quant à la nécessité de respecter la fonction spécifique attachée aux différentes voies de recours envisagées par le traité dans l' ensemble du système de la protection juridictionnelle - en particulier, l' arrêt Wagner, précité - nous semblent confirmer une telle solution .

Dans l' affaire Wagner, en effet, l' entreprise n' avait pas demandé, à titre de réparation, la restitution de l' indu, mais avait demandé réparation pour le manque à gagner engendré par le refus d' annulation du certificat . Dans cette affaire, la Cour a évidemment tenu compte du fait que la requérante aurait pu obtenir un résultat analogue en attaquant au niveau national la décision de refus . Elle a donc voulu éviter que l' action fondée sur l' article 215 puisse être utilisée comme une solution alternative par rapport aux voies de recours internes, même si dans certaines hypothèses - comme précisément dans l' affaire Wagner - lesdits remèdes comportaient de plus grands risques pour l' intéressé . En d' autres termes, la Cour paraît s' être inspirée du critère, parfaitement défini par l' avocat général M . Capotorti dans l' affaire Granaria, précitée, selon lequel le recours en indemnisation serait irrecevable "dès lors qu' il pouvait être fait droit à la demande à l' échelon national ".

Cette interprétation nous semble, d' autre part, cohérente avec l' équilibre du système de protection juridictionnelle communautaire . A cet égard, il convient de rappeler que l' hypothèse présentement en cause est celle de la responsabilité extracontractuelle dérivée non d' un fait ou d' un comportement matériel, mais d' un acte juridique taxé d' illégalité . En pareille hypothèse donc, le contrôle de la légalité de l' acte constitue le préliminaire fondamental de la constatation de la responsabilité et de l' obligation d' indemnisation qui en résulte . Or, dans la mesure où l' ordre juridique prévoit des procédures spécifiques aux fins de l' exercice de ce contrôle, il serait tout à fait injustifié d' en faire abstraction et d' utiliser, à titre alternatif, l' action en dommages-intérêts, action qui n' est pas prévue ni conçue pour la vérification de la légalité des actes .

En réalité, ainsi que la Cour l' a souligné, le recours fondé sur l' article 215 vise uniquement à l' indemnisation et, en particulier, il n' a pas pour but de permettre le contrôle de la validité des décisions adoptées par les organes nationaux sur la base d' actes communautaires illégaux . S' agissant d' actes des institutions adoptés dans le cadre de l' exercice d' un pouvoir discrétionnaire, l' indemnisation n' est possible que si les conditions limitatives fixées par la jurisprudence HNL sont réunies ( arrêt du 25 mai 1978, 83/76 et 94/76, 5/77, 15/77 et 40/77, Rec . p . 1209 ). Il en résulte que le contrôle exercé dans le cadre de l' article 215 ne sera pas, en raison même de sa finalité, un contrôle exhaustif de la légalité, mais se bornera à la vérification de l' existence d' une violation suffisamment caractérisée d' une norme supérieure destinée à protéger les particuliers : l' examen de l' acte sera donc limité à la constatation de ces aspects et ce n' est que dans l' hypothèse où ces conditions de fond sont réunies qu' il pourra être fait droit à cette action .

En outre, même en cas de succès du recours fondé sur l' article 215, la constatation de l' illégalité reste purement incidente et ne produit pas dans l' absolu les effets propres à une déclaration d' invalidité au titre de l' article 177 . Il suffit de considérer à cet égard que cette dernière emporte - à tout le moins - la non-application de l' acte communautaire déclaré non valide dans le cadre du renvoi préjudiciel, ce qui implique l' annulation de la mesure nationale d' exécution attaquée devant le juge a quo . En outre, la Cour, en statuant sur la base de l' article 177, ne s' est pas limitée à déclarer la non-validité, mais a reconnu ( voir dispositif des arrêts du 19 octobre 1977, Ruckdeschel, 117/76 et 16/77, Rec . p . 1753, et du 29 juin 1988, Van Landschoot, 300/86, Rec . p . 3443 ) l' obligation pour les autorités communautaires d' adopter les dispositions ( de révocation ou de modification ) nécessaires pour remédier aux incompatibilités constatées; sans parler de l' hypothèse dans laquelle la Cour, ayant constaté la non-validité d' un règlement - pour violation du principe d' égalité - pour autant que celui-ci ne prévoyait pas l' exemption du prélèvement de coresponsabilité pour certaines catégories d' opérateurs, a jugé que, en attendant l' adoption, par le législateur communautaire, des mesures nécessaires pour rétablir l' égalité de traitement, les autorités nationales devaient non seulement continuer à appliquer l' exonération prévue par la disposition déclarée invalide, mais, en outre, en étendre le bénéfice aux opérateurs frappés par la discrimination constatée ( voir arrêt Van Landschoot, précité ).

Par conséquent, tant la portée que les effets du contrôle de la légalité des actes diffèrent substantiellement selon que ce contrôle s' exerce dans le cadre prévu à cette fin, à savoir le renvoi en application de l' article 177, ou dans le cadre - bien plus restreint - envisagé à l' article 215 . Il nous semble donc aller de pair, tant avec l' intérêt général qu' avec l' intérêt particulier du justiciable, que la légalité des actes communautaires qui sous-tendent les mesures nationales dommageables soit appréciée sans limitation quant à la portée du contrôle et à l' étendue des effets . Le cadre approprié aux fins d' une telle appréciation "dans le système de protection juridictionnelle institué par le traité" ne peut qu' être le renvoi opéré par la juridiction interne devant laquelle la mesure nationale d' exécution a été attaquée .

L' interprétation que nous soutenons en l' espèce se trouve naturellement confortée - et non infirmée - par le fait que la Cour a, par exception, jugé recevable l' action en dommages-intérêts, lorsque les voies de recours internes apparaissent inappropriées aux fins de garantir de manière effective la protection juridictionnelle ( encore que l' on doive estimer, à la lumière d' espèces jurisprudentielles récentes, tel l' arrêt Van Landschoot, précité, qu' un recours formé devant une juridiction nationale représente, dans la quasi-totalité des cas, le moyen le plus approprié pour assurer la protection effective des droits du justiciable ). En pareille hypothèse en effet, l' action ne tend pas à atteindre un résultat analogue à celui des voies de recours internes, mais un résultat qu' il est impossible d' atteindre sur le plan interne .

En outre, il est évident que, au cas où l' élimination de la mesure nationale attaquée ne suffit pas à annuler toutes les conséquences préjudiciables qui se sont produites, il sera toujours possible d' intenter une action en responsabilité aux fins de la réparation desdites conséquences . Ainsi, par exemple, si la suspension d' une licence d' importation décidée par l' autorité nationale en conformité avec un règlement communautaire a été annulée par le juge interne à la suite de la déclaration de non-validité du règlement de base, il sera encore possible de demander, sur le fondement de l' article 215, l' indemnisation, par exemple, des coûts supportés medio tempore pour le stockage ou la conservation de la marchandise, ou pour le dépérissement de celle-ci . Toutefois - il convient de le souligner -, l' action ne sera introduite qu' après qu' il aura été statué, dans le cadre approprié, sur le sort des mesures faisant grief, et visera donc des préjudices déjà consommés et liquidables .

Reste un dernier point : certains ont observé que l' épuisement des voies de recours internes imposerait aux requérantes un laborieux "périple judiciaire" ( 7 ), lequel n' en sera que plus long en cas de non-renvoi par le juge du premier degré .

Nous avons déjà répondu en partie à cette objection, en observant qu' il est également de l' intérêt particulier du requérant d' attaquer directement, à l' échelon national, la décision faisant grief ( la possibilité restant ouverte de demander réparation, au titre de l' article 215, pour le préjudice ultérieur ).

Quant à la durée - supposée plus longue - ou à la complexité - supposée plus grande - de la procédure interne, il nous semble qu' il s' agit de toute façon d' un risque plus apparent que réel . Le système de contrôle extensif axé sur l' article 177 a été conçu, malgré son articulation sur différents niveaux, comme un système complet et unitaire, caractéristiques qui ont été dégagées, et qui se sont développées, au fur et à mesure de l' évolution . Il n' y a aucune raison de penser qu' une telle architecture ne serait pas à même d' assurer une protection complète des intéressés, au point de vouloir faire de l' action en indemnité une solution "alternative" ( au choix des intéressés ) par rapport à la voie de recours spécialement prévue pour le contrôle de légalité des actes . Cela d' autant plus que la jurisprudence Foto-Frost ( arrêt du 22 octobre 1987, 314/85, Rec . p . 4199 ) a consacré le caractère obligatoire du renvoi au cas où le juge national estime illégal l' acte communautaire qui sous-tend la mesure nationale déférée à la censure de ce juge; considération prise également de ce que cette même jurisprudence paraît ouvrir au juge national la faculté de suspendre ( à titre conservatoire ) les effets de l' acte communautaire faisant l' objet du contrôle de validité, ce qui réduit à sa juste dimension le risque que la prolongation du procès puisse porter préjudice au droit revendiqué par le requérant .

9 . Voilà pour le principe . Venons-en à présent au cas d' espèce pour constater tout d' abord que le recours en indemnité se fonde sur l' illégalité, pour violation du principe d' égalité, des normes de la directive 87/343 relatives à la réserve de compensation .

Il importe, tout d' abord, de vérifier si les requérantes disposaient des voies de recours juridictionnelles internes dans le cadre desquelles elles pouvaient soulever la question de la validité de l' acte communautaire de quo .

Au moins en ce qui concerne le Royaume-Uni, qui est, répétons-le, l' un des pays dans lesquels Les Assurances du crédit opèrent et qui est, par conséquent, l' un des trois marchés où se serait produit le préjudice, objet de la présente action, les requérantes avaient la possibilité d' introduire une action en "judicial review" devant les tribunaux nationaux, tendant à faire constater, à titre préventif, l' illégalité des dispositions réglementaires d' exécution de la directive, en tant qu' elles seraient fondées sur un acte communautaire contraire au principe d' égalité, tout en demandant parallèlement un renvoi préjudiciel devant la Cour, en ce qui concerne la validité de cette même directive . Un exemple tout à fait récent de ce modus procedendi nous est donné par l' arrêt du 13 novembre 1990, Fedesa ( C-331/88, Rec . p . I-4023 ), qui tire son origine d' un litige surgi devant une juridiction britannique, dans lequel les requérants avaient mis en cause la validité de la directive "hormones" et des normes nationales qui la mettaient en oeuvre .

Mais même dans l' hypothèse où il n' y aurait pas la possibilité d' attaquer directement les dispositions nationales de mise en oeuvre de la directive ( par exemple, en raison de la nature législative de ces dispositions et à défaut d' un quelconque acte réglementaire attaquable ), la situation du point de vue des possibilités de protection juridictionnelle interne se présenterait de façon à peine plus complexe . A cet égard, il convient d' observer que la directive 73/239, qui sert de cadre normatif à la directive litigieuse, prévoit en ses articles 20 et suivants une série de mesures susceptibles d' être adoptées par les autorités nationales de contrôle dans l' hypothèse où les entreprises d' assurance ne se conforment pas aux règles prudentielles et autres obligations connexes . En particulier, la directive envisage comme mesure "extrême" la révocation de l' autorisation ( article 22 ), tout en fixant que tout État membre peut prévoir une voie de recours juridictionnelle ( article 22, paragraphe 3 ). La directive prévoit, en outre, des mesures moins graves, comme les restrictions à la libre disposition des actifs ( article 20, paragraphe 1 ) et, en général, "toute mesure propre à sauvegarder les intérêts des assurés" ( article 20, paragraphe 4 ). Or, il ne nous paraît pas douteux que les requérantes, en s' abstenant de constituer en tout ou partie la réserve visée à la directive 87/343 ou en tout cas de prendre, en liaison avec la constitution de cette réserve, les mesures nécessaires de nature administrative ou comptable, auraient pu provoquer l' adoption, par l' autorité de contrôle, de l' une des mesures susvisées, pour ensuite contester en justice la validité d' une telle mesure, en tant que fondée sur des dispositions communautaires illégales . Elles auraient pu, en outre, demander, à ce stade, la suspension de la mise à exécution de la mesure prise à leur égard, dans l' attente de la décision définitive . Il nous semble donc que même dans cette hypothèse les requérantes disposaient d' une voie de recours pour entamer une procédure juridictionnelle interne .

A cet égard, on doit écarter l' objection selon laquelle les requérantes auraient été contraintes en pareil cas de transgresser les dispositions de la directive, en prenant ainsi le risque de conséquences plus ou moins graves . Il s' agit là, en effet, d' une situation qui se produit régulièrement lorsqu' on entend contester la légalité de dispositions, communautaires ou nationales, imposant des charges, obligations et autres restrictions et qui ne sont pas directement attaquables par le sujet lésé . Au reste, il est très fréquent que des demandes de décision à titre préjudiciel sur lesquelles la Cour est appelée à statuer trouvent leur origine dans des procédures déclenchées par les autorités nationales à charge des sujets de droit qui ont transgressé des régimes donnés; dès lors en effet que ces régimes ne sont pas directement attaquables au moyen, par exemple, d' une action en "judicial review", la voie normale, pour obtenir qu' un juge statue sur la compatibilité des dispositions nationales par rapport au droit communautaire ou - comme en l' espèce - sur la validité des normes communautaires servant de base légale au régime national, est précisément celle qui consiste à ne pas satisfaire à l' une des obligations imposées et de susciter un renvoi à titre préjudiciel dans le cadre de la procédure qui en résulte .

Il est vrai qu' un tel processus peut comporter des risques ( toutefois limités, dans les cas les plus graves, par la possibilité d' une suspension des éventuelles mesures d' exécution ), mais il est également vrai que ces risques - comme le confirme la jurisprudence Wagner, précitée - constituent un élément inhérent à toute action en justice et qu' il appartient en définitive à l' intéressé de se déterminer en fonction des avantages et des risques propres à une procédure judiciaire déterminée . Abstraction faite, d' autre part, de ce que, dans le cas d' espèce, même ces risques ( limités ) semblaient pouvoir être évités, pour peu qu' on entamât une action en "judicial review" devant un tribunal britannique .

Cela dit, nous devons ajouter qu' en intentant la présente action en dommages-intérêts les requérantes tendent à réaliser un résultat tout à fait analogue à celui qu' elles auraient pu atteindre au moyen de l' une des procédures internes susmentionnées . En l' espèce en effet, le recours fondé sur l' article 215 ne vise à rien d' autre qu' à obtenir de la Communauté, à titre de réparation, la compensation de la charge financière afférente à la constitution et à la gestion de la réserve prévue à la directive 87/343 . En d' autres termes, le recours tend essentiellement à neutraliser, sinon à éliminer, les effets économiques de l' acte censé discriminatoire pour les requérantes . Or, c' est précisément cet objectif qui aurait pu et dû être atteint en suscitant un renvoi préjudiciel destiné à vérifier l' existence d' effets discriminatoires de l' acte et donc de son invalidité .

D' autre part, le fait qu' en l' espèce les requérantes sollicitent moins la réparation du préjudice qu' une neutralisation, en substance, des effets de l' acte paraît démontré par la circonstance que, au cas où la Cour ferait droit au recours, les requérantes se verraient reconnaître en pratique une sorte de droit permanent à la compensation de la charge financière afférente à la réserve . Le préjudice s' identifie, en effet, au coût de la constitution et de la gestion de la réserve, de sorte qu' un arrêt faisant droit au recours impliquerait en réalité une sorte d' exemption des requérantes de la réserve et non la réparation d' un préjudice précis .

Il y a lieu enfin de remarquer qu' en l' espèce les voies de recours juridictionnelles auraient non seulement permis d' atteindre le même objectif que la présente action en dommages-intérêts, mais auraient en plus assuré une protection juridictionnelle effective et plus étendue . De fait, comme nous avons déjà eu l' occasion de l' indiquer, la Cour s' est prononcée à plusieurs reprises, dans le cadre de l' article 177, sur le caractère discriminatoire de réglementations qui imposaient des charges ( ou, à l' inverse, réservaient des avantages ) à des catégories déterminées d' opérateurs . Un arrêt déclaratif de non-validité emporte la déchéance des dispositions nationales d' application ainsi que l' obligation des institutions communautaires de remédier aux illégalités constatées ( abstraction faite de ce que la Cour pourrait aller jusqu' à préciser les mesures que ces mêmes autorités nationales sont tenues d' adopter à la suite de l' arrêt et dans l' attente de la modification du régime communautaire en cause ). Il n' est pas douteux, dès lors, qu' un renvoi à titre préjudiciel centré sur la question de validité de la directive aurait offert aux requérantes une protection plus approfondie du droit ( de ne pas être assujetti à des charges discriminatoires ) qu' elles entendent voir reconnues, sous une forme différente, par le biais de l' exercice, à titre alternatif, de l' action fondée sur l' article 215 .

En définitive, nous considérons que la présente action vise en réalité à contester l' efficacité de la directive litigieuse et qu' elle tend donc précisément au résultat qui aurait dû être poursuivi par la mise en oeuvre des voies de recours internes . Nous proposons, dès lors, de rejeter le recours comme irrecevable .

La seconde exception d' irrecevabilité

10 . Dans leurs conclusions formulées dans l' acte introductif d' instance, les requérantes demandent à la Cour, entre autres, d' enjoindre aux institutions d' adopter des mesures propres à mettre fin aux illégalités contestées . Les institutions défenderesses excipent de l' irrecevabilité de cette demande en soutenant l' incompétence de la Cour pour prononcer de telles injonctions .

Nous estimons que l' on doit faire droit à cette exception .

Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Cour n' est pas investie d' une telle compétence au titre de l' article 178 . En effet, cette norme - si elle habilite la Cour à statuer sur la demande en dommages-intérêts - ne lui permet pas de rendre des arrêts qui imposent l' adoption d' actes positifs ayant un objet déterminé . Selon un principe entré dans tous les ordres juridiques, qui établit une nette séparation des pouvoirs entre la fonction juridictionnelle et l' activité d' élaboration du droit, le juge ne saurait s' ingérer dans les choix normatifs qui relèvent de la compétence discrétionnaire des institutions investies d' un tel pouvoir . Au reste, une jurisprudence constante, forgée dans le cadre du contentieux de la fonction publique européenne, mais inspirée à l' évidence des considérations de principe que nous venons d' énoncer, confirme qu' il n' appartient pas à la Cour d' adresser des injonctions à l' administration et que d' éventuelles obligations de l' administration peuvent uniquement dériver de l' annulation de certains de ses actes ( voir arrêts du 26 janvier 1989, Koutchoumoff, 224/87, Rec . p . 99; du 21 novembre 1989, Becker, C-41/88 et C-78/88, Rec . p . 3807; et du 14 février 1990, Schneemann, C-37/88, Rec . p . I-369 ).

Il y a lieu d' observer, d' autre part, que dans leur mémoire en réplique les requérantes ont au moins en partie modifié la portée de la demande formulée dans la requête introductive d' instance . Il semblerait en effet qu' elles demandent essentiellement à la Cour de préciser, à la suite de la constatation du caractère discriminatoire du régime litigieux, que l' obligation incombe aux institutions d' arrêter les mesures nécessaires au rétablissement de l' égalité de traitement .

Or, ainsi que nous l' avons précisé ci-dessus, une obligation de ce genre découle d' une déclaration d' invalidité d' un acte, mais non d' un arrêt faisant droit à une action en dommages-intérêts, car, dans un tel arrêt, la constatation de l' illégalité de l' acte a un caractère purement incident . Tout au plus, la demande formulée à cet égard par les requérantes confirme-t-elle à nouveau qu' elles se sont fourvoyées dans un cadre procédural inapproprié, en ce sens que l' objectif qu' elles recherchent aurait pu et dû être poursuivi au moyen d' une action intentée à l' échelon national, dans le cadre duquel il convenait de soulever la question de la non-validité du régime qu' elles estiment illégal .

On ne saurait davantage accepter l' autre argument avancé par les requérantes dans le mémoire en réplique, selon lequel la Cour pourrait, en tout état de cause, prononcer des injonctions en l' espèce, en vertu de l' article 186 du traité . En effet, non seulement toute référence à cette règle fait défaut dans les conclusions de la requête, mais, encore et surtout, il résulte à l' évidence de l' acte introductif d' instance que les requérantes n' ont pas demandé l' adoption de mesures provisoires pour cause d' urgence, mais qu' elles ont sollicité au contraire des mesures définitives consistant en une modification, dans le sens souhaité par elles, du régime communautaire de l' assurance crédit à l' exportation .

De même, il y a lieu de rejeter la considération - également formulée pour la première fois dans le mémoire en réplique - selon laquelle la Cour pourrait prononcer des injonctions sur la base de l' article 176, deuxième alinéa, du traité . L' interprétation de cette norme dans le sens prôné par les requérantes nous paraît en déformer complètement la portée . En réalité, l' article 176, deuxième alinéa, se borne à sauvegarder la faculté de celui qui a subi un préjudice du fait d' un acte ( déjà ) annulé en vertu de l' article 173, de saisir la Cour pour obtenir la réparation du préjudice ultérieurement subi; cela ne revient toutefois pas à modifier la compétence de la Cour dans le cadre du recours en réparation du dommage, compétence qui se limite - ainsi qu' il a été rappelé à plusieurs reprises - à la condamnation au paiement d' une somme à titre d' indemnité et ne comprend pas le pouvoir d' enjoindre aux institutions d' adopter des mesures d' une teneur déterminée .

Sur le fond

11 . Sur le fond, les institutions défenderesses soulèvent, en premier lieu, une objection de caractère préliminaire . Elles soutiennent qu' en l' espèce la Communauté n' avait adopté aucun régime discriminatoire . Simplement, lors de l' adoption de la première directive, on se serait rendu compte qu' il n' était pas encore possible d' harmoniser les réglementations nationales concernant l' assurance crédit à l' exportation, effectuée pour le compte ou avec la garantie de l' État . On se serait donc contenté d' une harmonisation partielle, en réglementant le secteur privé ( en particulier, en réglant les différentes garanties financières destinées à protéger les tiers ) et en laissant en revanche aux États membres le soin de réglementer l' activité des assurances publiques dans ce secteur .

Le Conseil et la Commission reconnaissent, d' autre part, que limiter au seul secteur privé l' application des règles prudentielles communes signifiait en fait que les opérateurs publics auraient continué à n' être assujettis à aucune garantie financière . Les institutions observent toutefois qu' elles ont simplement accepté un tel état de fait, sans le créer, et que la circonstance que les États membres aient décidé de ne soumettre les assurances publiques à aucune charge comparable aux réserves prévues par les directives procède d' un choix dont la responsabilité sur le plan juridique doit être imputée aux États membres eux-mêmes et non à la Communauté . En dernière analyse, en effet, rien n' empêcherait les États d' édicter pour les assurances publiques des règles prudentielles analogues à celles prévues par la directive pour les assurances privées .

Il nous semble que l' objection formulée par les défenderesses doit être rejetée, en tant qu' elle risque d' avoir pour conséquence - inacceptable - que dans l' hypothèse où seul un secteur serait harmonisé, à l' intérieur d' un domaine déterminé, le législateur européen serait dispensé de la nécessité de respecter le principe de l' égalité de traitement .

A cet égard, il y a lieu de rappeler que ce principe revêt un caractère fondamental non seulement parce qu' il constitue la pierre angulaire des systèmes juridiques contemporains, mais également pour une raison plus spécifique . La législation communautaire est, en effet, une législation concernant essentiellement des phénomènes et des activités économiques . En la matière, fixer des règles différentes pour des situations analogues ne se traduit pas seulement par une inégalité devant la loi, mais entraîne de surcroît inévitablement des distorsions de concurrence absolument inconciliables avec la philosophie qui sous-tend le marché commun .

Si nous envisageons à présent le problème qui nous occupe, on observera que le législateur communautaire doit, en particulier, prendre soin de l' égalité de traitement en définissant le champ d' application ratione personarum des régimes instaurés par lui, dès lors surtout que ces régimes ont pour objet - ou impliquent d' une manière ou d' une autre - l' introduction de charges ( ou avantages ) dans le chef d' opérateurs économiques déterminés . Le risque qu' un régime différencié ratione personarum détermine des distorsions de concurrence injustifiées apparaît en pareil cas évident, tant du point de vue de l' équilibre général du marché que du point de vue particulier des sujets directement lésés .

Il s' agit là de considérations d' ordre général . Les défenderesses objectent toutefois que la situation doit s' apprécier différemment dès lors que l' acte communautaire en cause n' est pas un règlement, mais une directive portant harmonisation partielle . En bref, l' argumentation des défenderesses est la suivante .

Au cas où il s' agirait d' un règlement ayant pour objet de définir des charges ( ou des avantages ) dans le chef d' opérateurs économiques déterminés, à l' exclusion d' autres catégories ( par exemple, du fait qu' on prévoit une exemption du prélèvement de coresponsabilité pour certaines catégories de producteurs de céréales, à l' exclusion d' autres ), une telle différence de traitement serait d' emblée imputable au législateur communautaire, qui serait par conséquent tenu d' en répondre . En pareil cas, en effet, c' est la norme communautaire qui fixe le régime applicable aux différentes catégories, assujetties ou non à la charge ( ou bénéficiant ou non de l' avantage ).

Très différemment - de l' avis des défenderesses - se présente la situation en cas d' adoption d' une directive d' harmonisation partielle comme celle présentement en cause . En pareille hypothèse, le législateur communautaire se limite à fixer les normes communes applicables aux opérateurs qui relèvent du champ d' application personnel de la directive d' harmonisation . Aucune norme communautaire ne s' applique, par contre, aux sujets extérieurs au champ d' application de la directive : ceux-ci restent seulement assujettis à l' application des lois nationales . Celles-ci pourront d' ailleurs être de contenu analogue à celui des normes harmonisées ou, au contraire, s' en écarter . En cas de divergence de contenu, il pourra même en résulter une disparité de traitement, étant donné qu' un double régime est, en fait, appliqué à des opérateurs en définitive concurrents . Or, cette disparité de traitement - toujours de l' avis des défenderesses - dépendra exclusivement des choix normatifs opérés par les États membres, et c' est à ces derniers donc qu' il y a lieu d' imputer l' éventuelle existence d' une violation du principe d' égalité .

Tout en rendant hommage à la qualité dialectique du raisonnement, nous estimons toutefois que celui-ci repose essentiellement sur une fiction . Il ne tient pas compte, en effet, de la circonstance qu' en l' espèce les requérantes discernent l' élément de discrimination dans le caractère arbitraire de l' harmonisation partielle et non dans le contenu des normes nationales ( légitimement ) appliquées dans les secteurs non ( encore ) harmonisés . Expliquons-nous . Ce que les défenderesses passent sous silence, c' est que, à partir du moment où le législateur communautaire, appelé à harmoniser les conditions d' exercice d' une activité ( comme l' assurance crédit à l' exportation ), limite le champ d' application des normes harmonisées à une seule catégorie d' opérateurs ( les assurances privées ), il autorise par là même les autorités nationales à arrêter des normes de contenu divergent en ce qui concerne les autres catégories ( les assurances publiques ) exclues de l' harmonisation .

C' est donc uniquement du choix opéré par le législateur communautaire quant à la délimitation du champ d' application personnel de la directive que dépendra l' instauration d' un double régime consistant dans l' application de normes communautaires, d' une part, et nationales, d' autre part . Ajoutons - pour être encore plus clair - que, si ce double régime se traduit ensuite par l' assujettissement du secteur privé, en vertu de la directive, à une charge comme la réserve de compensation, alors que le secteur public, régi par les normes nationales, n' est soumis à aucune contrainte financière, une telle disparité de traitement ne peut qu' être attribuée et imputée au législateur communautaire, dans la mesure où celui-ci a permis l' application, par le législateur national, de normes divergentes par rapport aux normes communes .

Cela est encore plus évident en l' espèce si l' on tient compte de l' historique, rapportée ci-dessus, du régime litigieux . En effet, depuis l' adoption de la première directive en la matière, les institutions communautaires étaient parfaitement conscientes du fait qu' aucune garantie financière n' était prévue dans les États membres à charge du secteur public . Ainsi qu' elle l' a précisé, la Commission a accepté cet état de choses . Partant, en ne soumettant - même si ce n' est qu' à titre provisoire - aux règles prudentielles communes que le seul secteur privé, le Conseil a permis, ni plus ni moins, que le secteur public reste exempté de toute charge de ce type .

En définitive, nous considérons qu' en l' espèce les institutions défenderesses ne sauraient soutenir, pour leur défense, que la discrimination dénoncée n' est pas imputable à la Communauté .

D' autre part, une telle thèse aurait une conséquence absurde, à savoir que la discrimination elle-même - au cas où elle serait objectivement fondée - ne serait imputable à personne : pas aux États membres, du moment que ceux-ci ont pu légitimement adopter ou maintenir leurs normes, en vertu du fait que la directive n' a harmonisé que partiellement la matière ( sauf à vouloir considérer que même en cas d' harmonisation partielle les États membres sont de toute façon tenus, dans les secteurs laissés à leur compétence, d' édicter des règles de contenu analogue à celui des normes fixées par la directive dans les secteurs harmonisés, ce qui serait évidemment aberrant puisque cela reviendrait à transformer subrepticement l' harmonisation partielle en une harmonisation complète ); mais pas non plus à la Communauté, du moment que cette dernière estime ne pas devoir répondre des disparités de traitement liées à la limitation de la sphère d' application personnelle de la directive . En bref, cela veut dire que, dans l' hypothèse où le Conseil harmonise partiellement les conditions d' exercice d' une activité déterminée, en prévoyant l' application de charges dans le chef d' une certaine catégorie d' opérateurs, tout en excluant de l' harmonisation - et donc des charges dont s' agit - d' autres catégories d' opérateurs concurrents, une telle situation ne pourrait jamais être analysée sous l' angle du respect du principe d' égalité .

La portée de la discrimination alléguée

12 . Une fois réfutée l' objection préliminaire formulée par les défenderesses, et avant d' examiner si le régime controversé a ou non un caractère discriminatoire, il importe tout d' abord de s' entendre sur la portée de la discrimination alléguée .

L' article 2, paragraphe 2, sous d ), de la directive 73/239 dispose que celle-ci ne s' applique pas aux opérations d' assurance crédit à l' exportation pour le compte ou avec la garantie de l' État . L' article 1er de la directive 87/343 est libellé dans les mêmes termes . D' un point de vue strict, ce sont donc les opérations - et non les opérateurs - qui demeurent en dehors de la sphère d' application des normes harmonisées .

La distinction ne nous semble toutefois pas revêtir une grande importance . Tout d' abord, il est évident que les opérations pour le compte ou avec la garantie de l' État ne peuvent être réalisées que par les organismes et offices ressortissant - quoique selon des formules diverses - au secteur public et qui exercent à titre institutionnel l' activité d' assurance crédit à l' exportation . L' exclusion de ces opérations du champ d' application de la directive ne profite donc qu' aux opérateurs publics .

On doit, en outre, ajouter que dans certains États membres - et c' est précisément le cas au Royaume-Uni, ainsi qu' en Grèce, en Italie et en Irlande - l' opérateur public dont s' agit ne peut agir que pour le compte de l' État, toute activité exercée pour son propre compte étant exclue . Dans ces cas donc, l' exclusion des opérations, établie par la directive, coïncide purement et simplement avec l' exclusion des opérateurs, du moment que ces derniers ne peuvent effectuer d' opérations que pour le compte de l' État .

Dans d' autres pays, la situation n' est différente qu' en apparence . En Belgique, l' opérateur public assure l' ensemble des opérations pour son propre compte . Ailleurs, par exemple en France, l' opérateur public exerce une partie de l' activité pour son propre compte . Toutefois, ainsi qu' il résulte des réponses fournies par la Commission à la Cour, en pareil cas, les règles de la directive communautaire ne sont pas non plus d' application . Tout au plus - si cela est prévu - des règles prudentielles prévues par des dispositions nationales peuvent éventuellement s' appliquer . Cela semble dépendre de la circonstance que les offices et organismes intervenant sur le marché de l' assurance crédit à l' exportation, même lorsqu' ils agissent pour leur propre compte, bénéficient néanmoins d' une garantie de l' État, étant donné qu' ils jouissent - selon des modalités et suivant des systèmes, il est vrai, différents - de la couverture financière publique ( par exemple, en France, l' opérateur public - la Coface -, s' agissant d' activités effectuées pour son propre compte, conteste que même les règles nationales soient applicables, en faisant précisément remarquer que l' ensemble de ses engagements sont en tout état de cause garantis par le Trésor ). D' autre part, en admettant que, dans les États ( tels la France ou la Belgique ) dans lesquels l' assureur public opère également, ou seulement, pour son propre compte, la directive doive nécessairement être appliquée à ces opérations, force serait de conclure que ces États se trouvent depuis des années en situation d' infraction, puisqu' il est constant - ainsi qu' il a été observé - que lesdites opérations sont, le cas échéant, soumises à des règles nationales, mais qu' elles n' ont jamais été soumises aux règles de la directive . En définitive, donc, l' article 2, paragraphe 2, sous d ), de la directive, tel que modifié par la directive litigieuse, doit être entendu en ce sens qu' il exclut le secteur public de l' assurance crédit à l' exportation des règles prudentielles communes, prévues pour le secteur privé . Du reste, au point 10 de son mémoire en défense, la Commission précise qu' "elle avait comme base de départ une situation dans laquelle les pouvoirs de contrôle des États membres, y compris les règles prudentielles, s' appliquerait au secteur privé mais pas au secteur public "; plus loin, au point 11, la Commission ajoute qu' à cause des craintes qui s' étaient manifestées au sein du Conseil ce dernier avait décidé de ne pas "soumettre le secteur public aux mêmes règles prudentielles ". C' est dans des termes tout à fait analogues que le Parlement européen s' est exprimé dans sa résolution, précitée, du 17 octobre 1980 .

13 . Telle est donc la portée réelle du régime présentement en cause, et c' est par rapport à cette portée qu' il convient de vérifier l' existence ou non d' une discrimination illicite .

Pour des raisons de clarté, il est opportun d' anticiper le schéma de l' analyse qui suit .

Il s' agit, en premier lieu, de vérifier si, entre les opérateurs soumis à un régime différent, il y a ou non concurrence et, dans l' affirmative, dans quelle mesure .

Une fois constatée l' existence d' une concurrence, on devra établir si la différence de traitement, préjudiciable aux opérateurs privés ( ou aux opérations conduites par eux ) est justifiée par des raisons objectives .

Enfin, dans la mesure où l' on constaterait que le régime litigieux est dépourvu de justifications objectives ( ou en tout cas entaché d' autres vices de légalité ), on devra établir l' existence, ou non, des conditions permettant de faire valoir la responsabilité extracontractuelle de la Communauté et d' accorder aux requérantes la réparation qu' elles demandent .

La concurrence entre le secteur privé et le secteur public dans l' assurance crédit à l' exportation

14 . Dans un rapport d' expertise joint à la requête introductive d' instance, les requérantes affirment que la concurrence entre secteur privé et secteur public n' est exclue qu' en ce qui concerne l' assurance crédit à l' exportation pour les opérations à long terme . Il existerait, en revanche, une vive concurrence pour ce qui a trait aux risques commerciaux à court ou à moyen terme afférents aux exportations intracommunautaires ( ou, en tout cas, à destination des pays de l' OCDE ). A l' opposé, la concurrence serait "marginale" pour ce qui est du risque politique ou, en tout état de cause, pour les exportations à destination des pays en voie de développement . Ces conclusions de caractère général sont étayées par des analyses détaillées relatives aux trois marchés concernés ( Royaume-Uni, France et Belgique ) que nous ne reprendrons pas ici pour ne pas alourdir encore le discours .

De leur côté, les institutions défenderesses ne contestent pas en quoi que ce soit l' existence de segments de marché dans lesquels il existe une concurrence entre secteur privé et secteur public . La Cour a, en effet, posé une question spécifique à cet égard; et, en réponse à cette question, la Commission a confirmé le caractère véridique des allégations des requérantes .

A l' annexe II à cette réponse, la Commission affirme en effet ce qui suit :

"A l' exception d' exemples marginaux ( pool de souscription PARIS qui intervient en France sur le risque politique ), la concurrence entre les organismes qui interviennent avec le soutien de l' État et les assureurs privés s' exerce pour l' essentiel sur le risque commercial court terme concernant les exportations dans les pays de la zone OCDE . Il ne s' est pas jusqu' à présent dégagé de capacités significatives dans les entreprises privées pour assurer sans la garantie de l' État le risque politique ou le risque commercial long terme ".

Dans ce même document, la Commission précise que :

- pour ce qui concerne le Royaume-Uni, l' opérateur public, l' ECGD ( Export Credit Guarantee Department, institution gouvernementale autonome, placée sous l' autorité directe du secrétariat d' État au commerce ) se trouve en situation de concurrence avec différents opérateurs privés, parmi lesquels, les Assurances du crédit de Namur, pour le risque commercial à court terme ( et éventuellement à moyen terme ) ainsi que, de façon marginale, pour le risque politique;

- pour ce qui concerne la France, l' opérateur public, la Coface ( société anonyme contrôlée de manière indirecte par l' État ), est en concurrence avec les entreprises privées, parmi lesquelles les Assurances du crédit de Namur, pour les risques commerciaux à court terme ( en outre, parmi les entreprises privées, le groupe PARIS assure le risque politique sans garantie de l' État );

- pour ce qui concerne la Belgique, l' opérateur public, l' OND, est en concurrence avec les entreprises privées, parmi lesquelles les Assurances du crédit de Namur, pour les risques commerciaux de façon générale et, depuis 1986, pour le risque politique .

A ces constatations ponctuelles s' ajoutent, à titre de confirmation supplémentaire, les observations formulées par le CES et le Parlement européen au cours de l' élaboration de la directive 87/343, ainsi que par la Commission elle-même, dans son mémorandum joint à la proposition de modification de cette même directive, observations rapportées dans la partie descriptive de la genèse de la directive et auxquelles nous renvoyons .

Sur la base de ces éléments, nous considérons comme acquis, au-delà de tout doute possible ( et sans qu' il soit nécessaire de vérifier l' existence ou non de rapports de concurrence potentielle ), que le secteur privé et le secteur public se trouvaient en concurrence pour les opérations inhérentes aux segments de marché susindiqués .

Il est de même acquis que la directive 87/343 a renforcé les contraintes financières pour le secteur privé avec l' introduction de la réserve de compensation; le secteur public a, au contraire, continué à être exclu du régime commun ( avec la conséquence pratique de n' être en substance assujetti à aucune charge effective comparable ).

On se trouve donc en présence d' un double régime, susceptible de provoquer une disparité de traitement entre opérateurs concurrents . Il importe donc de vérifier si cette diversité de régime est ou non objectivement justifiée .

Sur la justification de la disparité de traitement

15 . Pour justifier l' exclusion du secteur public du champ d' application de la directive, les institutions défenderesses ont essentiellement avancé deux raisons .

La première, qui est également la seule dont il est fait état dans la motivation de la directive 87/343 ( voir deuxième considérant ), est que le secteur public ne requiert pas de règles protectrices en faveur des assurés, étant donné qu' il agit avec la garantie et, donc, avec la couverture financière de l' État .

La seconde est que l' inclusion du secteur public dans le champ d' application de la directive s' est avérée difficile, tant en raison de la diversité de statut juridique et de structure financière des organismes opérant dans chaque État membre qu' en raison de la nature de l' activité exercée par ces organismes, activité impliquant fréquemment des choix de politique étrangère .

Or, s' agissant du premier argument, une précision s' impose, d' emblée . Il est constant en effet que les États financent l' assurance crédit à l' exportation en liaison avec des risques non couverts normalement par les assureurs privés ( risque politique, par exemple ). Dans ces cas-là, toutefois, les organismes publics ne se trouvent pas en concurrence avec les organismes privés, mais interviennent à titre complémentaire en pourvoyant à un service que le marché n' est pas de lui-même en état de fournir .

Très différente est, toutefois, la situation dans les domaines où s' exerce la concurrence . Dans ces domaines en effet, il apparaît particulièrement douteux que les États puissent licitement offrir une couverture financière aux opérateurs publics . Une telle intervention pourrait, en effet, s' avérer incompatible avec les règles relatives aux aides publiques et aux comportements que l' État doit observer en liaison avec les entreprises publiques ou, en tout état de cause, soumises à son influence .

Il est vrai que jusqu' à présent cette incompatibilité n' a pas fait l' objet d' une décision de la Commission en vertu de l' article 90 et de l' article 93 du traité . Mais il est tout aussi vrai que la preuve du contraire n' a pas non plus été rapportée; que, d' autre part, le Parlement européen, dans sa résolution précitée, après avoir observé que l' exclusion du champ d' application de la directive des opérations effectuées pour le compte ou avec la garantie de l' État "perpétue une différence de traitement entre le secteur public et le secteur privé", a précisé que pour ce qui est des exportations intracommunautaires "la garantie de l' État ( constitue ) une aide inacceptable dans le commerce intracommunautaire"; que, enfin, la Commission, répondant aux questions qui lui ont été posées par la Cour, a confirmé que l' applicabilité des articles 90 et 92 aux relations financières entre les États et les organismes dont s' agit est une question "activement débattue en ce moment" et a confirmé au surplus, tout en exprimant sa perplexité quant aux conditions d' application de l' article 90, paragraphe 1, que les garanties financières publiques "peuvent être pertinentes au titre de l' article 92 ".

Or, il nous semble qu' il y a lieu d' exclure, de manière générale, qu' une disparité de traitement entre opérateurs économiques puisse être justifiée par une différence de situation liée à des circonstances ou à des conditions dont la légalité apparaît douteuse .

Tout bien considéré, la directive tient compte du fait que les organismes publics en cause agissent avec la couverture financière de l' État, mais elle est muette, en revanche, pour ce qui est de la circonstance que les opérateurs privés concurrents ne bénéficient pas d' une couverture analogue; la directive passe donc sous silence le fait que l' intervention financière de l' État revêt à son tour un caractère discriminatoire et induit une distorsion de concurrence dans la mesure où elle est destinée aux seuls organismes publics, discrimination qui devrait à son tour être justifiée, alors que, tout au contraire, elle n' est assortie d' aucune explication objective, en dépit de son caractère apparemment contraire au principe de l' égalité de traitement entre entreprises privées et entreprises publiques sanctionné à l' article 90 du traité .

En d' autres termes, il nous semble qu' en l' espèce on prétend tout bonnement justifier une discrimination entre opérateurs concurrents par une autre discrimination entre les mêmes opérateurs, laquelle n' est toutefois assortie d' aucune justification .

Au-delà de toute considération d' ordre juridique, nous estimons qu' un tel résultat est contraire au simple bon sens, dans la mesure où l' on aboutirait, en fait, à consacrer la légitimité d' une double distorsion au détriment des assureurs privés : ces derniers subiraient un premier préjudice, du fait qu' ils sont contraints de livrer concurrence à des opérateurs jouissant de la couverture financière de l' État, et un second préjudice, du fait que cette même situation serait utilisée par le Conseil pour justifier une règle qui impose au secteur privé, mais non au secteur public, les charges nécessaires pour la constitution des réserves .

16 . C' est peut-être précisément en raison de cette incongruité que les défenderesses ont toujours davantage insisté, en cours d' instance, sur le second motif qui aurait déterminé l' exclusion du secteur public du champ d' application de la directive .

En bref, elles ont soutenu que, compte tenu des caractéristiques propres des organismes opérant pour le compte ou avec la garantie de l' État, il se serait avéré impossible de procéder avec la directive 87/343 à l' adoption d' un régime uniforme .

Cet argument, toutefois, prête également le flanc à diverses objections .

Tout d' abord, les institutions ont affirmé que ce qui faisait obstacle à l' adoption d' un tel régime, c' était la variété de statut et de structure financière des opérateurs compris dans le secteur public dans les différents pays . En particulier, la Commission a précisé que dans six États membres ( la Belgique, le Danemark, l' Italie, le Royaume-Uni, le Luxembourg et le Portugal ) ces opérateurs revêtent la forme d' un établissement de droit public, alors que, dans cinq autres États membres ( l' Espagne, l' Irlande, la France, les Pays-Bas et la Grèce ), on a affaire à des sociétés de droit privé et qu' enfin, dans un autre État membre ( la République fédérale d' Allemagne ), il s' agit d' un consortium mixte de droit privé et de droit public . En outre, la Commission a également indiqué que dans certains cas les organismes en question agissent pour leur propre compte .

Cela précisé, elles n' indiquent néanmoins pas pour quelle raison de telles caractéristiques auraient justifié l' exclusion tout court du secteur public de la directive .

Il est vrai, certes, qu' il existe des situations différentes selon les États membres . Mais cette diversité de situations est précisément ce qu' une directive d' harmonisation tend à éliminer, et ne peut donc être considérée en elle-même comme un obstacle insurmontable . Dès lors qu' il avait décidé de restreindre l' harmonisation à une seule catégorie d' opérateurs, le Conseil aurait donc dû justifier cette limitation - laquelle, comme on l' a dit, induit une distorsion de la concurrence - en invoquant des difficultés spécifiques, autres que celles que l' on rencontre normalement lorsqu' il s' agit d' harmoniser des régimes nationaux différents . Il est inacceptable que le Conseil prétende justifier le défaut d' adoption d' un régime uniforme en se bornant à affirmer que cela aurait impliqué d' intervenir sur des réglementations non uniformes; il aurait fallu au contraire qu' il précise pourquoi une telle intervention s' avérait en pratique impossible .

Mais il y a plus . Il y a lieu, en effet, d' observer que, in tempore non suspecto, la Commission elle-même avait soutenu non seulement la nécessité d' un régime uniforme de manière à assurer la neutralité et la transparence de la concurrence, mais également le caractère praticable de l' extension au secteur public du régime harmonisé ( voir mémorandum précité ). Des conclusions analogues du reste - ainsi qu' il a été rappelé à plusieurs reprises - avaient déjà été formulées par le Parlement européen et par le CES; cela - nous semble-t-il - dément de la façon la plus catégorique qu' il y ait eu des difficultés réelles, même techniques, à la création d' un régime qui serait égal pour l' ensemble des opérateurs intéressés .

En présence de telles circonstances, nous ne croyons donc pas que l' on puisse considérer que des raisons inhérentes à la structure ou au statut des organismes du secteur public permettent l' exclusion desdits organismes de la directive . D' autre part, même si l' on admet l' existence de difficultés de type technique à adopter un régime uniforme, ces difficultés - en tout état de cause non insurmontables - ne pourraient en aucun cas justifier la prolongation sine die d' un régime discriminatoire .

Quant à la remarque selon laquelle les organismes publics tiendraient compte, dans leurs choix, de considérations de politique étrangère, il suffit d' observer que ces évaluations interviennent dans des secteurs du marché où les entreprises privées n' opèrent pas ( risque à long terme et risque politique ) et sur lesquelles, donc, la concurrence fait défaut . Cela, toutefois, ne signifie pas que dans d' autres secteurs, où la concurrence existe et où les considérations politiques n' ont que peu ou point d' importance, l' adoption d' un régime uniforme ne soit pas possible ni nécessaire .

En définitive, nous estimons que la directive 87/343 a un caractère discriminatoire dans la mesure où elle exclut indéfiniment du champ d' application des règles prudentielles communes le secteur public de l' assurance crédit à l' exportation . En outre, dès lors que la discrimination constatée se traduit par un préjudice du secteur privé par rapport au secteur public, nous estimons qu' en l' espèce se matérialise également une violation de l' article 90, paragraphe 1, du traité, norme qui édicte le principe général d' égalité en imposant aux États membres comme aux institutions le respect de l' égalité de traitement entre entreprises privées et publiques .

Autres motifs d' illégalité de la directive litigieuse

17 . Compte tenu de la conclusion à laquelle nous sommes parvenu sous l' angle de la violation du principe d' égalité de traitement, nous pouvons nous limiter à quelques très brèves observations en ce qui concerne les autres griefs allégués par les requérantes sous l' angle de la légalité; cela, d' autant qu' il apparaît à l' évidence du dossier que la critique essentielle qui sous-tend la présente action est celle inhérente au caractère discriminatoire de la directive, alors que les autres critiques ne sont que succinctement développées ou reviennent à se confondre avec les arguments avancés au sujet de la violation du principe d' égalité .

Pour ce qui concerne la violation de l' article 90, paragraphe 1, et de l' article 52 du traité, les requérantes font valoir que la discrimination du secteur privé comporte des effets négatifs sur la liberté d' établissement des sociétés privées d' assurance . Or, sans qu' il soit nécessaire de s' interroger sur la possibilité d' identifier en l' espèce une violation de l' article 52, nous considérons qu' il suffit d' observer que cette critique trouve, en tout état de cause, son préalable nécessaire dans l' existence du caractère discriminatoire de la directive litigieuse et que, partant, la Cour, appelée à se prononcer sur la demande en dommages-intérêts, peut aisément se borner à constater la discrimination alléguée, sans devoir ensuite également s' interroger sur les répercussions de cette discrimination sur le droit d' établissement au regard des activités dont il s' agit .

Les requérantes font, en outre, valoir que la garantie accordée par l' État aux assureurs du secteur public constitue une aide au sens de l' article 92 . Nous avons déjà observé que la compatibilité de la garantie publique avec les règles communautaires relatives aux aides apparaît très douteuse . Toutefois, cette considération donne à penser que la discrimination alléguée, même si elle ne trouve pas de justification objective, ne constitue pas per se un vice de la directive . La compatibilité de l' aide en tant que telle devra de toute façon être vérifiée selon la procédure prévue à cet effet .

Pour ce qui est, en outre, de l' existence d' un abus de pouvoir, qui résiderait dans la circonstance que les garanties complémentaires introduites par la directive 87/343 seraient dues non à de réelles exigences de protection des tiers, mais exclusivement à la pression politique exercée par un État membre, il suffit d' observer qu' il s' agit d' une simple allégation, non étayée par un quelconque élément de preuve, et qu' il y a lieu en conséquence de l' écarter .

Pour ce qui a trait, enfin, au grief selon lequel les institutions communautaires se sont rendues coupables d' une omission illicite en s' abstenant d' adopter un régime uniforme pour les deux secteurs avant l' expiration du délai de quatre ans fixé par la directive 73/239, il suffit d' observer que ce délai a un caractère programmatique et n' engendre de ce fait aucune obligation d' agir pour les institutions . C' est, au reste, ce que les requérantes ont elles-mêmes admis, puisqu' elles ont modifié, dans le mémoire en réplique, leur argumentation sur ce point en soutenant que les institutions ont commis un acte illicite du fait qu' elles n' ont pas adopté, même après l' expiration du délai de quatre ans, une quelconque mesure pour mettre fin à une disparité de traitement injustifiée . Il n' en reste pas moins qu' à partir du moment où les institutions ont effectivement adopté un acte - la directive 87/343 - il a été mis fin à l' inertie des institutions, même si cet acte présente un contenu différent de celui souhaité par les requérantes . A partir de ce moment, il y a lieu de rattacher la disparité de traitement contestée à la seule directive, qui confirme positivement la diversité de régime entre les deux secteurs, et non au comportement par omission consistant dans le défaut d' introduction de règles uniformes . La critique afférente à la carence alléguée des institutions s' identifie donc, par osmose, au moyen relatif au caractère discriminatoire de la directive 87/343, examiné ci-dessus .

La responsabilité de la Communauté

18 . Depuis son arrêt Schoeppenstedt ( arrêt du 2 décembre 1971, point 11, 5/71, Rec . p . 975 ), la Cour a jugé de manière constante que "la responsabilité de la Communauté du fait d' un acte normatif qui implique des choix de politique économique ne saurait être engagée qu' en présence d' une violation suffisamment caractérisée d' une règle supérieure de droit protégeant les particuliers" ( 8 ).

Or, on ne peut, en l' espèce, nourrir aucun doute sur le caractère normatif de la directive 87/343, acte qui complète le régime édicté par la directive 73/239 et qui vient, dès lors, s' insérer dans le régime communautaire relatif aux conditions d' accès au marché et d' exercice de l' assurance directe autre que l' assurance vie .

Cela dit, il y a lieu toutefois d' observer que, dans le cadre de la définition du champ d' application de ce régime, le pouvoir discrétionnaire dont jouit le législateur communautaire trouve sa limite infranchissable dans l' exigence péremptoire de devoir respecter le principe de l' égalité de traitement, principe auquel on doit reconnaître - ainsi qu' il résulte de l' arrêt HNL, précité - le caractère d' une "norme supérieure de droit protégeant les particuliers ".

Or, en l' espèce, il apparaît, d' une part, que le principe d' égalité a été enfreint et, d' autre part et surtout, que cette violation revêt un caractère particulièrement manifeste . En effet, le Conseil, en prolongeant sine die - au moyen de sa directive 87/343 - l' exclusion du secteur public du régime harmonisé, a complètement ignoré les appréciations exprimées émises par les autres institutions, qui avaient souligné de manière concordante à la fois la nécessité de mettre fin à la situation de double régime, en raison de son caractère discriminatoire et des distorsions de concurrence qu' elle entraîne, et la possibilité technique d' atteindre un tel résultat par la simple extension au secteur public des règles prudentielles déjà prévues pour le secteur privé; appréciations qui étaient au reste pleinement en harmonie avec ce que disposait déjà la directive de 1973, qui avait conçu le double régime comme un élément purement transitoire et destiné à être éliminé dans un délai de quatre ans .

Il est vrai que l' on ne saurait attribuer à ce délai un caractère impératif; mais il est vrai également qu' il n' est pas pour autant dénué de signification; il sert à tout le moins à démontrer que dès 1973 le Conseil était conscient des risques de distorsion de la concurrence résultant de l' absence d' un régime uniforme et qu' il avait, dès lors, estimé nécessaire de se donner un délai à brève échéance pour procéder à la nécessaire coordination normative .

Or, on doit remarquer que dix ans après cette échéance le Conseil a exclu d' entamer une quelconque coordination en la matière - même partielle et progressive - et qu' il s' est borné à reconduire purement et simplement, et - de surcroît - pour une durée indéterminée, l' exclusion du secteur public des règles communes .

Nous estimons donc que le Conseil a, de manière arbitraire, prorogé indéfiniment une réglementation à caractère discriminatoire, qui n' a déjà que trop duré, et que, ce faisant, il a "méconnu, de manière manifeste et grave, les limites qui s' imposent à l' exercice de ses pouvoirs" ( arrêt HNL, point 6 ).

En outre, on doit observer qu' il est exclu en l' espèce que le préjudice résultant de la discrimination rejaillisse sur des "catégories très larges d' opérateurs économiques" ( voir arrêt HNL, point 7 ); au contraire, il concerne un groupe restreint et bien déterminé d' entreprises .

Enfin, nous croyons que le fait que le secteur privé soit soumis à un régime pesant de garanties financières, alors que son principal concurrent est exonéré de cette charge, doit de toute façon être considéré comme un préjudice qui excède l' "amplitude des risques économiques inhérents aux activités dans les secteurs ... concernés" ( idem ).

En définitive, nous estimons que, d' un côté, il n' y a pas de raisons d' intérêt général qui puissent en l' espèce justifier le choix du Conseil de prolonger indéfiniment le double régime d' assurance crédit à l' exportation et que, de l' autre, cette disparité de traitement aboutit à peser sur des intérêts particuliers non seulement importants du point de vue économique, mais également considérés dignes de protection en vertu de normes fondamentales du marché commun .

La directive litigieuse comporte donc une "violation grave d' une norme supérieure destinée à protéger les particuliers" et est de nature, dès lors, à engendrer la responsabilité extracontractuelle de la Communauté .

Sur le dommage

19 . Ainsi qu' il résulte de l' expertise jointe à la requête introductive d' instance, les requérantes demandent explicitement la réparation du préjudice résultant de l' entrée en vigueur de la directive 87/343, c' est-à-dire le dommage provoqué par le fait que la réserve de compensation visée à l' article 1er de cette directive doit être constituée uniquement par les entreprises privées et non par les entreprises publiques .

La demande en indemnité se fonde sur la considération que les entreprises privées, précisément à cause de la concurrence avec les opérateurs publics, se trouvent dans l' impossibilité de transférer sur les primes, et donc de répercuter en aval, la charge représentée par la constitution et la gestion de la réserve . Il en résulte que ces entreprises sont contraintes de supporter intégralement cette charge, qui aboutit donc à réduire la rémunération du capital investi .

Il s' agit évidemment d' un raisonnement largement conjectural, basé toutefois sur une hypothèse - l' impossibilité de répercussion en aval - tout à fait crédible, étant donné que la preuve a été rapportée d' une concurrence entre les deux catégories d' opérateurs, raisonnement dont le bien-fondé n' a en outre pas été contesté, au moyen d' un quelconque élément de preuve, par les institutions défenderesses .

Nous estimons donc que les requérantes ont démontré l' existence d' un préjudice économique causé par l' entrée en vigueur de la directive litigieuse . En ce qui concerne le quantum, il nous paraît opportun que la Cour invite les parties à s' accorder sur le montant de la liquidation à l' intérieur d' un certain délai, à l' expiration duquel la Cour sera appelée à statuer .

Conclusion

20 . Eu égard à l' ensemble des considérations qui précèdent, nous suggérons à la Cour :

- de déclarer irrecevable le recours;

toutefois, au cas où la demande en indemnité serait déclarée recevable :

- de déclarer la Communauté responsable des dommages causés par l' entrée en vigueur de la directive 87/343, en renvoyant la détermination du montant de la réparation au commun accord des parties ou, à défaut d' accord, à une décision ultérieure de la Cour .

(*) Langue originale : l' italien .

( 1 ) Voir annexe II du rapport de la commission juridique ( doc . 1-457/80 ).

( 2 ) Voir résolution sur l' harmonisation des régimes d' aide aux exportations, adoptée par le Parlement européen le 15 juin 1977 ( JO C 163 du 11.7.1977, p . 42 ) et rapport Cousté ( doc . 129/77 ).

( 3 ) Voir résolution sur le Septième Rapport de la Commission sur la politique de concurrence, adoptée par le Parlement européen le 13 octobre 1978 ( JO C 261 du 6.11.1978, p . 48 ), et rapport Damseaux ( doc . 334/78 ).

( 4 ) Sur le caractère subsidiaire de l' action en indemnité par rapport aux voies de recours internes ( à tout le moins ) lorsque l' acte communautaire a donné lieu à des mesures nationales d' application, voir Rideau, J ., et Charrier, J . L .: Code des procédures européennes, Paris, 1990, p . 185-1986; Joliet, R .: Le droit institutionnel des Communautés européennes . Le contentieux, Liège, 1986, p . 250 et suiv .; Waelbroek, M ., in Megret : Le droit de la Communauté économique européenne, volume 10, tome I, p . 276-281 .

( 5 ) Voir R . Joliet, op . cit ., p . 255 et suiv .

( 6 ) Arrêt du 28 mars 1979, Granaria ( 90/78, Rec . p . 1081 ). Après avoir cité la jurisprudence de la Cour sur ce point, l' avocat général M . Capotorti a observé de façon significative ce qui suit : "Dans tous ces arrêts, la Cour a admis la recevabilité des requêtes sans opposer la nécessité de l' épuisement préalable des voies de recours internes . Cela s' explique, selon nous, par le fait qu' il s' agissait de cas dans lesquels les requérants, à supposer même qu' ils eussent réussi à faire constater par le juge interne l' illégalité des mesures communautaires qui se trouvaient à l' origine du dommage subi, n' auraient de toute manière pas pu obtenir de l' administration nationale la prestation à laquelle ils estimaient avoir droit, sans intervention préalable du législateur communautaire . En revanche, la Cour a écarté la recevabilité du recours en indemnisation formé au titre de l' article 215 ."

( 7 ) Voir M . Waelbroek, op . cit ., p . 281 .

( 8 ) Voir arrêts des 25 mai 1978, HLN ( 83/76 et 94/76, 5/77, 15/77 et 40/77, Rec . p . 1209 ); 4 octobre 1979, Ireks-Arkady ( 238/78, Rec . p . 2955 ); DGV ( 241/78, 242/78, 245/78 à 250/78, Rec . p . 3017 ); Interquell-Chemie ( 261/78 et 262/78, Rec . p . 3045 ); 5 décembre 1979, Amylum ( 116/77 et 124/77, Rec . p . 3497 ); 17 décembre 1981, Ludwigshafener Walzmuehle ( 197/80 à 200/80, 243/80, 245/80 et 247/80, Rec . p . 3211 ); 6 décembre 1984, Biovilac ( 59/83, Rec . p . 4057 ); 19 septembre 1985, Asteris ( 194/83 à 206/83, Rec . p . 2815 ); 30 mai 1989, Roquette Frères ( 20/88, Rec . p . 1553 ), et 26 juin 1990, Sofrimport ( C-152/88, Rec . p . I-2477 ).

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