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Document 61988CC0293

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 7 février 1990.
E. M. Winter-Lutzins contre Bestuur van de Sociale Verzekeringsbank.
Demande de décision préjudicielle: Raad van Beroep Amsterdam - Pays-Bas.
Sécurité sociale des travailleurs migrants - Modalités particulières d'application de la législation néerlandaise relative à l'assurance vieillesse généralisée - Périodes d'assurance à prendre en considération au sens de l'annexe VI, titre J, point 2, sous (a), du règlement (CEE) no 1408/71.
Affaire C-293/88.

Recueil de jurisprudence 1990 I-01623

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1990:52

61988C0293

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 7 février 1990. - E. M. Winter-Lutzins contre Bestuur van de Sociale Verzekeringsbank. - Demande de décision préjudicielle: Raad van Beroep Amsterdam - Pays-Bas. - Sécurité sociale des travailleurs migrants - Modalités particulières d'application de la législation néerlandaise relative à l'assurance vieillesse généralisée - Périodes d'assurance à prendre en considération au sens de l'annexe VI, titre J, point 2, sous (a), du règlement (CEE) no 1408/71. - Affaire C-293/88.

Recueil de jurisprudence 1990 page I-01623


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Le Raad Van Beroep d' Amsterdam pose à la Cour une question préjudicielle relative à l' interprétation de dispositions du règlement ( CEE ) n° 1408/71 du Conseil ( 1 ), en matière de sécurité sociale, dans le cadre d' un litige concernant l' application de la loi néerlandaise AOW sur l' assurance vieillesse ( ci-après "loi AOW ") à une ressortissante allemande .

2 . Celle-ci, Mme Winter-Lutzins, née le 15 février 1922, a quitté la République fédérale d' Allemagne pour les Pays-Bas en décembre 1965, en compagnie de son mari, né le 16 septembre 1917 . Elle a occupé aux Pays-Bas des emplois à temps partiel de 1973 à 1980, époque où elle a bénéficié d' une allocation pour incapacité de travail . Son mari a atteint l' âge de la retraite en 1982 . En 1983, les époux Winter-Lutzins sont retournés en République fédérale d' Allemagne . De 1983 au 15 février 1987, date de son soixante-cinquième anniversaire, Mme Winter-Lutzins a continué à être assurée au titre de la loi AOW, bien que ne résidant plus aux Pays-Bas, dans la mesure où elle bénéficiait, de la part d' une institution sociale néerlandaise, d' une allocation d' incapacité de travail .

3 . Au moment où elle a atteint son soixante-cinquième anniversaire, Mme Winter-Lutzins a bénéficié d' une pension de vieillesse au titre de la loi AOW . Mais le montant de cette pension a été calculé sur la base des années d' assurance, c' est-à-dire celles écoulées entre décembre 1965, début de la résidence de l' intéressée aux Pays-Bas, et février 1987, date jusqu' à laquelle celle-ci a perçu une allocation d' incapacité de travail . Mme Winter-Lutzins a mis alors en cause devant le juge national le refus opposé par la Sociale Verzekeringsbank ( ci-après "SVB "), institution sociale des Pays-Bas servant les prestations au titre de l' AOW, de lui accorder le bénéfice des "avantages transitoires ". Ceux-ci ont été prévus par l' AOW pour permettre de considérer comme des périodes d' assurance au titre de l' assurance vieillesse des périodes antérieures au 1er janvier 1957, date d' entrée en vigueur de l' AOW . A défaut de tels avantages, personne n' aurait pu prétendre avant 2007 à une pension AOW au taux plein de 100 %, la pension étant, en effet, égale à 2 % d' un salaire minimal par année d' assurance .

4 . Il est nécessaire de donner quelques précisions sur le régime juridique des avantages transitoires de l' AOW . Ce régime est précisément "avantageux" en ce sens qu' il permet de considérer comme des périodes d' assurance au titre de l' AOW celles qui se sont déroulées entre le quinzième anniversaire d' une personne et le 1er janvier 1957, dès lors que la personne en cause satisfait à trois conditions cumulatives .

5 . La première condition, dite "de six ans", consiste à exiger de l' intéressé qu' il ait résidé aux Pays-Bas pendant six années au moins après avoir atteint l' âge de cinquante-neuf ans . Cette exigence, posée par l' article 59, paragraphe 1, de l' AOW, est cependant tempérée par l' article 2 d' un arrêté royal du 3 décembre 1985, qui prévoit qu' une personne ayant quitté les Pays-Bas, mais demeurant assurée au titre de l' AOW, est considérée comme y résidant du point de vue de la condition des six ans .

6 . La deuxième condition est celle selon laquelle l' intéressé doit être citoyen néerlandais ou assimilé à un citoyen néerlandais . Elle n' est pas opposable aux ressortissants communautaires .

7 . Suivant la troisième condition, posée à l' article 56 de l' AOW, l' intéressé doit résider aux Pays-Bas . Cette condition, dite "de résidence actuelle", également tempérée par une disposition d' un arrêté royal, n' est pas applicable aux personnes ayant été assurées au titre de l' AOW sans interruption entre le 1er janvier 1957 et leur soixante-cinquième anniversaire .

8 . La situation de Mme Winter-Lutzins n' a posé aucun problème au regard des deux premières conditions . En effet, elle a bénéficié pour la première de la règle de tempérament, dans la mesure où, après son départ des Pays-Bas, elle a continué à être assurée au titre de l' AOW jusqu' à l' âge de soixante-cinq ans en raison de la pension d' incapacité de travail qui lui était servie . Par ailleurs, sa nationalité allemande lui a permis, en tant que ressortissante de la CEE, de satisfaire à la deuxième condition .

9 . En revanche, Mme Winter-Lutzins n' a pu ni répondre à la condition de "résidence actuelle", puisque à la date de son soixante-cinquième anniversaire, où devaient s' apprécier ses droits aux avantages transitoires, elle ne résidait plus aux Pays-Bas, ni se prévaloir du tempérament qui l' assortissait, puisque entre le 1er janvier 1957 et la fin du mois de décembre 1965 elle résidait encore en République fédérale d' Allemagne et n' était pas assurée au titre de l' AOW .

10 . Mme Winter-Lutzins a invoqué devant le juge national l' incompatibilité de la législation néerlandaise, en ce qu' elle fait dépendre le droit aux "avantages transitoires" d' une condition liée à la résidence aux Pays-Bas, avec l' article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 . Suivant cette disposition, "à moins que le présent règlement n' en dispose autrement, les prestations en espèces ... de vieillesse ... acquises au titre de la législation d' un ou de plusieurs États membres ne peuvent subir aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression, ni confiscation du fait que le bénéficiaire réside sur le territoire d' un État membre autre que celui où se trouve l' institution débitrice ". C' est à propos de la compatibilité de la législation néerlandaise avec l' article 10, paragraphe 1, du règlement que le juge national a interrogé la Cour .

11 . L' enjeu d' une éventuelle incompatibilité de la condition de résidence actuelle avec le règlement n° 1408/71 est clairement illustré par la situation de Mme Winter-Lutzins . En effet, dès lors qu' elle ne satisfait pas à cette condition, ni à la règle qui la tempère, l' intéressée ne peut bénéficier de l' assimilation de la période écoulée entre son quinzième anniversaire, survenu le 15 février 1937, et le 1er janvier 1957, à une période d' assurance au titre des "avantages transitoires ". Cela se traduit, en arrondissant les chiffres, par le fait que Mme Winter-Lutzins n' a droit, au titre de l' AOW, qu' à des prestations calculées en fonction de la période écoulée entre la fin décembre 1965 et son soixante-cinquième anniversaire, c' est-à-dire suivant un taux d' environ 44 % du salaire de référence, alors que, si la condition de résidence n' avait pu lui être opposée, le taux se serait élevé à 84 % environ .

12 . La formulation même de la question qui vous est posée attire l' attention sur un point particulier . Il vous est demandé si une condition telle que celle de résidence actuelle dans l' AOW est incompatible avec l' article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, "compte tenu " d' une autre disposition de ce dernier texte, celle résultant de la combinaison des lettres a ) et f ) figurant à la rubrique "Pays-Bas", point 2, de son annexe VI . Cette disposition prévoit que le bénéficiaire de l' AOW qui ne remplit pas les conditions lui permettant d' obtenir l' assimilation de périodes de sa vie antérieures au 1er janvier 1957 à des périodes d' assurance a quand même droit, pourvu qu' il ait résidé durant six ans sur le territoire d' un ou de plusieurs États membres après l' âge de cinquante-neuf ans, à ce que soient ainsi assimilées celles des périodes, antérieures au 1er janvier 1957, durant lesquelles il a résidé aux Pays-Bas après l' âge de quinze ans ou durant lesquelles, tout en résidant sur le territoire d' un autre État membre, il a exercé une activité salariée aux Pays-Bas pour un employeur établi dans ce pays . On peut dire qu' il s' agit d' un dispositif de "repêchage" dans la mesure où des bénéficiaires de l' AOW qui ne satisfont pas aux conditions, notamment à celle de résidence actuelle, ouvrant droit aux avantages transitoires, pourront, cependant, obtenir l' assimilation de certaines périodes antérieures au 1er janvier 1957 . Mais le "repêchage" n' est que partiel, puisque l' assimilation qu' il permet ne peut concerner que des périodes où, selon la formule que vous avez utilisée dans votre arrêt Spruyt, du 25 février 1986, un "lien de rattachement" ( 2 ), au travers de la résidence ou de l' emploi, a existé entre l' intéressé et le régime néerlandais .

13 . Observons, ici, que la disposition considérée de l' annexe VI du règlement n° 1408/71 ne pouvait permettre à Mme Winter-Lutzins d' obtenir, au titre de la réglementation communautaire, ce qui lui était refusé du fait qu' elle ne remplissait pas les conditions posées par l' AOW . En effet, elle avait bien résidé au moins six ans sur le territoire d' un ou de plusieurs États membres après son cinquante-neuvième anniversaire, mais elle n' avait rien à faire assimiler puisque avant le 1er janvier 1957 elle n' avait eu aucun "lien de rattachement" avec les Pays-Bas . Cela nous amène à remarquer que les conditions dont, dans l' AOW, dépend le droit aux avantages transitoires conduisent, suivant qu' on les remplit ou non, à l' application de deux régimes juridiques sensiblement différents quant aux avantages qu' ils procurent . Si les conditions, et notamment celle de résidence actuelle, sont remplies ou considérées comme telles compte tenu des règles de tempérament, le bénéficiaire de l' AOW aura droit à l' assimilation de l' ensemble de la période écoulée entre son quinzième anniversaire et le 1er janvier 1957 indépendamment de l' existence, durant celle-ci, d' un lien de rattachement avec les Pays-Bas . Si les conditions de l' AOW ne sont pas remplies ou considérées comme telles, le bénéficiaire des prestations n' aura éventuellement droit qu' à l' assimilation des périodes, comprises entre son quinzième anniversaire et le 1er janvier 1959, au cours desquelles a effectivement existé un lien de rattachement avec les Pays-Bas .

14 . Il est possible d' illustrer d' une autre façon la différence de traitement liée à la circonstance qu' une personne remplit ou ne remplit pas les conditions donnant droit, selon l' AOW, aux avantages transitoires . Imaginons qu' une autre ressortissante allemande soit venue aux Pays-Bas dans des conditions identiques à celles de Mme Winter-Lutzins, qu' elle y ait exercé les mêmes activités aux mêmes époques, mais que, à la différence de celle-ci, elle soit demeurée aux Pays-Bas jusqu' à son soixante-cinquième anniversaire . Alors que, comme Mme Winter-Lutzins, elle n' aurait eu aucun lien de rattachement avec les Pays-Bas avant le 1er janvier 1957, elle n' en bénéficierait pas moins de l' assimilation de la période écoulée entre l' âge de quinze ans et cette date . Si l' on nous autorise la formule, des années dépourvues de tout lien de rattachement avec le régime néerlandais sont de l' or ou du plomb selon qu' à l' âge de soixante-cinq ans, moment d' ouverture des droits aux prestations de l' AOW, l' on remplit ou non la condition de "résidence actuelle" aux Pays-Bas .

15 . L' analyse de la situation de Mme Winter-Lutzins au regard des dispositions de l' AOW relatives aux "avantages transitoires" ainsi que de celles précitées de l' annexe VI du règlement n° 1408/71 met en lumière les conséquences importantes du jeu de la clause de "résidence actuelle ". On pourrait même dire que les différences de traitement susceptibles de résulter de l' effet d' une telle clause présentent les apparences de la discrimination . Cela signifie-t-il qu' on doive considérer cette condition de résidence comme incompatible avec l' article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71? Nous ne le pensons pas . Rejoignant en cela les observations présentées par la SVB, le gouvernement néerlandais et la Commission, nous estimons que l' examen des textes, éclairé par votre arrêt Spruyt, permet de conclure à l' absence d' incompatibilité d' une clause telle que celle de résidence actuelle avec le règlement n° 1408/71 . Il apparaît, en effet, que les dispositions précitées de l' annexe VI, tout en étant révélatrices de certaines différences de traitement, témoignent de façon non équivoque de la volonté du législateur communautaire d' admettre assez largement le jeu des conditions de résidence dans le cadre des avantages transitoires de l' AOW . Développons ce point de vue .

16 . Observons, tout d' abord, le mécanisme même mis en oeuvre par le texte de l' annexe VI, rubrique "Pays-Bas", point 2, sous a ) et f ). Il vise à prévoir un régime juridique permettant l' assimilation à des années d' assurance de certaines périodes antérieures au 1er janvier 1957 au profit de personnes qui ne remplissent pas les conditions ouvrant droit à l' assimilation réglementée par l' AOW . Ainsi, par rapport à ces conditions, et notamment celle de "résidence actuelle", il apparaît que les dispositions en cause de l' annexe VI ont une double signification .

17 . La première, de caractère explicite, est celle d' une atténuation des effets de ces conditions de résidence . Bien que ne remplissant pas les conditions ouvrant droit à l' assimilation telle que conçue dans l' AOW, une personne pourra ne pas perdre tout droit à une assimilation de périodes antérieures à 1957 . Nous sommes bien en présence d' une atténuation, d' un tempérament des clauses de résidence de l' AOW . En effet, en l' absence du régime juridique de "repêchage" de l' annexe VI, une personne ne remplissant pas les conditions prévues par l' AOW aurait perdu tout droit à l' assimilation .

18 . La seconde signification des dispositions en cause de l' annexe VI est implicite, en ce sens que les conditions prévues par l' AOW, en particulier celle de résidence actuelle, produisent normalement leurs effets dans toute la mesure où le règlement communautaire ne les a pas tempérées, atténuées . En clair, cela veut dire que l' annexe VI, en empêchant que les conditions prévues par l' AOW aient un effet tel qu' une personne qui ne les remplirait pas ne pourrait bénéficier d' aucune assimilation pour des périodes antérieures à 1957, où elle était rattachée, par sa résidence ou son emploi, aux Pays-Bas, laisse jouer librement, par a contrario, les autres effets de ces conditions . C' est en cela que l' annexe VI limite la portée de l' article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 qui prohibe les clauses de résidence .

19 . Cette analyse textuelle est celle que vous avez consacrée dans votre arrêt Spruyt . Cette décision vous a d' abord vus rappeler que le but des articles 48 et 51 du traité CEE

"ne serait pas atteint si, par suite de l' exercice de leur droit de libre circulation, les travailleurs devaient perdre des avantages de sécurité sociale que leur assure la législation d' un État membre" ( 3 ).

A partir de cette préoccupation, vous avez indiqué que

"l' article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, concernant la levée des clauses de résidence, a pour objet de garantir à l' intéressé le droit de bénéficier de prestations de sécurité sociale, même après avoir pris résidence dans un autre État membre, et de favoriser la libre circulation des travailleurs en protégeant les intéressés contre les préjudices qui pourraient résulter du transfert de leur résidence d' un État membre à l' autre" ( 4 ),

et ajouté que cet objet exigeait que

"la protection s' étende à un avantage qui, tout en étant prévu dans le cadre d' un régime particulier, tel que le régime transitoire de l' AOW, se concrétise par une augmentation du niveau de la pension qui, autrement, reviendrait au bénéficiaire" 5 .

Vous avez ainsi rappelé que, comme l' indiquait déjà votre arrêt Smieja ( 5 ), du 7 novembre 1973, la protection visée à travers la "levée" des clauses de résidence, formulée à l' article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71, devait, en principe, s' appliquer au régime des "avantages transitoires" de l' AOW . Mais vous avez aussitôt apporté, au point 21 de l' arrêt, d' importantes précisions quant aux modalités d' application du principe en question à un semblable régime transitoire :

"Les modalités particulières de la mise en oeuvre de ce principe pour l' application de la législation néerlandaise sur l' assurance vieillesse généralisée sont réglées par l' annexe VI, titre I, point 2, du règlement n° 1408/71 . En effet, la règle de l' article 10, écartant l' application de clauses de résidence, ne peut pas être appliquée sans restriction à un système d' assurance vieillesse généralisée où le seul fait de résider aux Pays-Bas suffit pour être assuré" ( 6 ).

20 . Vous estimez donc que les dispositions de l' article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 s' appliquent à l' égard du régime des avantages transitoires de l' AOW selon les modalités prévues par l' annexe VI, rubrique "Pays-Bas", point 2, du même règlement, modalités dont il est annoncé qu' elles restreignent le principe de levée des clauses de résidence posé par l' article 10, paragraphe 1, précité . C' est affirmer clairement que l' interprétation de cette dernière disposition quant à ses effets sur le régime transitoire de l' AOW ne peut être indépendante de celle de l' annexe VI, qui, en réalité, en est le vecteur obligé . C' est aussi, nous semble-t-il, laisser entendre que le principe de levée des clauses de résidence ne peut normalement pas produire d' autres effets, à l' égard du régime des avantages transitoires de l' AOW, que ceux prévus au travers des modalités définies par l' annexe VI . Ainsi, ce principe va s' exprimer par le fait que le jeu des clauses de résidence ne pourra aboutir à nier le droit à l' assimilation pour des périodes antérieures à 1957 où le bénéficiaire, âgé de plus de quinze ans, était "rattaché" aux Pays-Bas . Mais les autres effets des clauses de résidence, pour ce qui concerne le régime transitoire de l' AOW, semblent permis par l' annexe VI dans l' interprétation que vous en avez donnée, et la portée de l' article 10, paragraphe 1, fait donc, en ce sens, l' objet d' une "restriction", pour reprendre le terme que vous avez utilisé .

21 . Certes, on ne peut considérer de façon absolue l' annexe VI comme une réglementation exhaustive des effets du principe de levée des clauses de résidence dans la matière des avantages transitoires de l' AOW . L' espèce qui a précisément donné lieu à votre arrêt Spruyt illustre la possibilité de l' existence de lacunes de la réglementation, conduisant à dégager, au besoin par analogie, certains effets qui n' avaient pas été expressément prévus . Mais il ne nous paraît pas possible d' estimer que l' on serait, dans l' espèce qui vous est soumise, en présence de semblable lacune . Au contraire, il nous semble qu' en indiquant que la lettre a ) du point 2 de l' annexe VI, applicable, rappelons-le, aux personnes ne remplissant pas les conditions posées par l' AOW, soumet

"la prise en considération de périodes antérieures à l' entrée en vigueur de la loi à la condition supplémentaire qu' il s' agisse de périodes pendant lesquelles le bénéficiaire a résidé aux Pays-Bas ou y a exercé une activité salariée",

et en soulignant que

"de telles périodes présentent en effet un lien de rattachement suffisant au régime néerlandais" 2,

vous avez exclu que le principe posé à l' article 10, paragraphe 1, puisse avoir pour effet de permettre à des personnes ne remplissant pas les conditions posées par l' AOW d' obtenir l' assimilation de périodes au cours desquelles elles n' ont pas eu de lien de rattachement suffisant au régime néerlandais . Il n' y a, d' après votre arrêt, aucune lacune du règlement sur ce point, mais, bien au contraire, application de ce règlement, et plus précisément de son article 10, paragraphe 1, selon les modalités fixées par l' annexe VI .

22 . Ainsi, l' article 10, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 doit être interprété, dans la présente espèce, au travers des restrictions que lui apporte, comme vous l' avez observé, l' annexe VI . La justification de ces restrictions nous semble suffisamment mise en lumière par votre arrêt Spruyt . Sur le terrain des principes, le principe de levée des clauses de résidence doit, par définition, être restreint à l' égard d' un régime d' assurance vieillesse

"où le seul fait de résider ... suffit pour être assuré" ( 7 ).

Dans un tel régime, où la résidence n' est pas une condition, mais la condition, l' application sans restrictions d' un principe de prohibition des clauses de résidence conduirait, en réalité, à anéantir le régime d' assurance vieillesse des Pays-Bas . La règle de droit doit être interprétée avec rigueur, mais pas avec une rigidité confinant à l' absurdité .

23 . Ajoutons que l' interprétation du règlement n° 1408/71 doit toujours être rapportée au principe fondamental à la mise en oeuvre duquel il est consacré, celui de la libre circulation des travailleurs . Rappelons-le, vous avez indiqué, dans l' arrêt Spruyt, que ce principe

"ne serait pas atteint si, par suite de l' exercice de leur droit de libre circulation, les travailleurs devaient perdre des avantages de sécurité sociale que leur assure la législation d' un État membre" 3 .

A notre sens, le respect de ce principe n' exige pas que l' on paralyse le jeu de clauses de résidence afin de permettre à une personne de voir assimiler à des années d' assurance au titre du régime néerlandais des périodes au cours desquelles elle n' a eu aucun lien de rattachement à ce régime . Le problème aurait été tout autre en présence de clauses de résidence ayant pour effet d' empêcher l' assimilation de périodes au cours desquelles une personne a eu des liens de rattachement au régime néerlandais . L' annexe VI du règlement n° 1408/71 a précisément évité un tel effet . Elle a ainsi donné au principe de levée des clauses de résidence, dans le domaine des avantages transitoires de l' AOW, une portée permettant que les exigences du droit fondamental à la libre circulation soient satisfaites . Selon nous, les exigences seraient méconnues par le fait qu' une clause de résidence empêcherait la reconnaissance d' une réalité, et non parce qu' elle priverait du bénéfice d' une fiction .

24 . Il n' est pas, à nos yeux, contraire au règlement n° 1408/71 d' exclure l' assimilation de périodes au cours desquelles n' existait aucun lien de rattachement avec le régime néerlandais . Un certain sentiment d' iniquité peut naître du fait que ce qui est permis aux uns, qui satisfont à la clause de résidence actuelle, est interdit aux autres, qui n' y satisfont pas . Comme nous vous l' avons montré précédemment, les fictions sont inégales devant le régime transitoire de l' AOW, en fonction du jeu d' une clause de résidence . La différence de traitement n' aurait pas existé si la loi néerlandaise n' avait admis, dans tous les cas, que l' assimilation des périodes où existait un lien de rattachement . Des contraintes de gestion du régime de l' assurance vieillesse ont, vraisemblablement, conduit le législateur néerlandais à poser, en quelque sorte, la présomption que la personne satisfaisant à la condition de résidence actuelle a, entre son quinzième anniversaire et le 1er janvier 1957, eu un lien de rattachement avec les Pays-Bas . C' est peut-être à partir de cette notion de présomption que l' on peut effacer l' impression d' iniquité . Ainsi pourrait-on dire que le droit de libre circulation des travailleurs exige, à l' égard d' un régime tel que celui des avantages transitoires de l' AOW, l' assimilation des périodes au cours desquelles un lien de rattachement a existé, mais qu' il est loisible au législateur national de faire bénéficier les personnes satisfaisant à une condition de résidence actuelle de la présomption qu' elles ont eu un tel lien de rattachement .

25 . Mais, quelle que soit la présentation, plus ou moins flatteuse, que l' on pourrait faire de la différence de traitement mise en lumière dans la présente espèce, il nous semble, en définitive, suffisant de constater qu' elle a été prise en compte et acceptée par le législateur communautaire, à travers l' annexe VI du règlement n° 1408/71, et qu' elle a été également acceptée par vous, au travers de l' interprétation donnée à l' article 10, paragraphe 1, et à l' annexe VI, dans l' arrêt Spruyt, sur la base de la conciliation nécessaire des exigences du droit de libre circulation des travailleurs avec les fondements de la loi AOW .

26 . Aussi, nous concluons à ce que vous disiez pour droit :

"L' article 10, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n° 1408/71, applicable aux avantages transitoires de la législation néerlandaise sur l' assurance vieillesse généralisée suivant les modalités fixées par l' annexe VI, rubrique "Pays-Bas", point 2, du même règlement, ne s' oppose pas à ce que, au regard de cette législation, les personnes ne remplissant pas une condition de résidence actuelle se voient refuser le bénéfice de l' assimilation, à des périodes d' assurance, de périodes antérieures à l' entrée en vigueur du régime d' assurance vieillesse au cours desquelles elles n' ont eu aucun lien de rattachement avec les Pays-Bas ."

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Du 14 juin 1971, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté ( JO L 149, p . 2 ).

( 2 ) 284/84, point 22, Rec . p . 685 .

( 3 ) 284/84, point 19, précité .

( 4 ) 284/84, point 20, précité .

( 5 ) 51/73, Rec . p . 1213 .

( 6 ) Le "titre I" visé dans ce passage de l' arrêt correspond à la rubrique "Pays-Bas" de l' annexe VI; dans la rédaction actuelle du règlement n° 1408/71, il s' agit du "titre J ".

( 7 ) 284/84, point 21, précité .

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