EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61988CC0161

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 16 mai 1989.
Friedrich Binder GmbH & Co. KG contre Hauptzollamt Bad Reichenhall.
Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht München - Allemagne.
Validité d'une décision en matière de recouvrement "a posteriori" des droits à l'importation.
Affaire 161/88.

Recueil de jurisprudence 1989 -02415

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1989:200

61988C0161

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 16 mai 1989. - Friedrich Binder GmbH & Co. KG contre Hauptzollamt Bad Reichenhall. - Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht München - Allemagne. - Validité d'une décision en matière de recouvrement "a posteriori" des droits à l'importation. - Affaire 161/88.

Recueil de jurisprudence 1989 page 02415


Conclusions de l'avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Le Finanzgericht de Munich vous a posé une question préjudicielle qui vise en substance à déterminer l' incidence d' une erreur de l' administration nationale quant à l' application du droit communautaire vis-à-vis des opérateurs économiques de bonne foi .

2 . Les faits sont les suivants . Du 3O janvier au 5 mars 1983, Friedrich Binder GmbH & Co ( ci-après Binder ), société allemande, a importé de Yougoslavie douze lots de griottes congelées . L' administration des douanes allemandes, le Hauptzollamt de Bad Reichenhall, a fixé les droits de douane au taux préférentiel de 1O,4 % qui figurait dans le tarif d' usage allemand et était applicable à compter du 1er janvier 1983 .

3 . Or ce taux était celui d' une proposition de règlement présentée par la Commission au Conseil le 16 juillet 1982 . Le taux applicable en l' espèce était celui de 13 % institué par le règlement du Conseil n° 1272/8O, du 22 mai 198O, concernant la conclusion de l' accord intérimaire entre la Communauté économique européenne et la république socialiste fédérative de Yougoslavie relatif aux échanges commerciaux et à la coopération commerciale ( 1 ). La proposition de règlement présentée par la Commission n' a jamais été adoptée . Le ministre allemand des Finances, par un arrêté du 9 mars 1983, a rectifié le droit de douane applicable à partir du 1er janvier 1983 en le fixant de nouveau à 13 %. Par trois avis d' imposition définitifs émis les 28 mars, 29 mars et 13 juin 1983, l' administration allemande a exigé le versement a posteriori des droits de douane correspondant à ce qui n' avait pas été acquitté .

4 . Sur réclamation de Binder, la république fédérale d' Allemagne a demandé à la Commission, par lettre notifiée le 5 juillet 1985, une décision sur l' opportunité de renoncer au recouvrement a posteriori des droits à l' importation, conformément à l' article 6 du règlement de la Commission n° 1573/8O du 2O juin 198O ( 2 ). En effet, aux termes de l' article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79 du Conseil du 24 juillet 1979 ( 3 ), "les autorités compétentes peuvent ne pas procéder au recouvrement a posteriori du montant des droits à l' importation ou des droits à l' exportation qui n' ont pas été perçus par suite d' une erreur des autorités compétentes elles-mêmes qui ne pouvait raisonnablement être décelée par le redevable", à condition que celui-ci soit de bonne foi et que la déclaration en douane soit régulière .

5 . Par décision n° 8/85 du 5 novembre 1985 ( ci-après la décision ), la Commission a déclaré qu' il y avait lieu de procéder au recouvrement a posteriori .

6 . Le Finanzgericht de Munich, saisi d' un recours de Binder à l' encontre du rejet de sa réclamation par l' administration des douanes, vous a demandé d' apprécier la validité de cette décision .

7 . Les parties au principal n' ont pas présenté d' observations devant votre Cour . Néanmoins, l' ordonnance de renvoi préjudiciel permet d' établir que la mise en cause de la validité de la décision de la Commission est fondée d' une part sur la violation du principe de la confiance légitime, d' autre part sur l' inobservation de l' article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79 . Examinons successivement ces deux points .

8 . En ce qui concerne le principe de la confiance légitime, nous avons déjà eu l' occasion, dans l' affaire Padovani ( 4 ), d' exprimer notre sentiment quant à l' application de ce principe en cas d' erreur de l' administration nationale . Nous avions alors rappelé que, dans un arrêt Maïzena ( 5 ), vous aviez déclaré qu'

"une pratique d' un État membre non conforme à la réglementation communautaire ne peut jamais donner lieu à des situations juridiques protégées par le droit communautaire" ( 6 ).

9 . Mais, ainsi que nous l' avions alors précisé, il nous paraissait que la portée de cet arrêt devait être déterminée au regard de la jurisprudence par laquelle vous avez consacré l' existence, dans l' ordre juridique communautaire, des principes de confiance légitime et de sécurité juridique ( 7 ). Ces principes tendent, par définition, à protéger, au nom d' un équilibre entre l' équité et la légalité, des situations illégales d' un strict point de vue juridique . Ce serait priver de tels principes d' une grande partie de leurs effets que de refuser de leur donner application en présence d' une erreur de l' administration .

10 . La Commission fait valoir que consacrer l' existence de la confiance légitime à propos du tarif d' usage allemand qui n' a qu' une valeur déclaratoire conduirait à remettre en cause la primauté du droit communautaire puisque seuls les règlements publiés au Journal officiel des Communautés européennes ont valeur juridique .

11 . Qu' il nous soit permis sur ce point de nous référer à l' opinion exprimée par Monsieur l' Avocat général Reischl dans ses conclusions à propos de l' affaire Amylum ( 8 ), selon laquelle une proposition publiée

"constitue selon la jurisprudence tant communautaire que nationale un instrument de référence pertinent au regard de la question de la protection de la confiance légitime" ( 9 ).

Or une proposition publiée n' a pas de valeur obligatoire et si elle peut, semble-t-il, produire quelques effets, tels ceux signalés par Monsieur Reischl, elle n' a pas néanmoins de valeur juridique au sens strict du terme . Le tarif d' usage allemand, nous l' avons dit, n' a qu' une valeur déclaratoire . En conséquence, contrairement à ce qu' indique la Commission, le simple fait de prendre en considération les mentions portées sur ce tarif pour apprécier l' existence ou non d' une confiance légitime dans le chef d' un opérateur économique n' a pas pour effet de conférer à ce tarif, pas plus qu' à une proposition publiée, une valeur juridique ni, en conséquence, de porter atteinte au principe de la primauté du droit communautaire .

12 . La Commission fait également valoir qu' admettre les prétentions de Binder aurait pour conséquence d' entraver l' unité et l' application uniforme du droit communautaire dont votre Cour a rappelé la nécessité dans ses arrêts Racke ( 10 ) et Decker ( 11 ), en suscitant une discrimination vis-à-vis des opérateurs économiques des autres États membres qui se sont vu appliquer le taux en vigueur .

13 . Indépendamment du fait qu' il ne paraît pas y avoir de discrimination économique dans la mesure où Binder, qui avait tenu compte du tarif erroné, ne peut plus répercuter sur ses clients les droits à l' importation faisant l' objet du recouvrement a posteriori, l' argument de la Commission fait fi de ce que nous nous trouvons en présence d' une situation tout à fait particulière - nous oserions même dire pathologique - qui résulte d' une erreur, que la Commission elle-même reconnaît comme rarissime, de la part d' une administration nationale .

14 . En fait, ce que la Commission paraît implicitement demander à votre Cour, c' est de juger que le principe de la confiance légitime ne peut être invoqué qu' à l' égard d' un texte émanant des institutions communautaires et non à l' égard d' un texte publié par une administration nationale, même s' il a pour objet une réglementation communautaire . En d' autres termes, la Commission semble estimer possible de prendre en considération ses propres erreurs mais non d' adopter la même attitude à l' égard des erreurs commises par l' administration nationale .

15 . Certes, dans un arrêt Salerno, vous avez déclaré qu'

"une résolution du Parlement ne revêt pas un caractère contraignant et ne peut pas faire naître une confiance légitime à ce que les institutions s' alignent sur celle-ci" ( 12 ).

Mais dans un arrêt Fingruth ( 13 ), du 5 octobre 1988, vous avez reconnu qu' une pratique commune d' une institution communautaire et d' une administration nationale pouvait créer une confiance légitime dans le chef d' un fonctionnaire communautaire . Dès lors que la confiance légitime peut être invoquée à l' égard d' une pratique administrative suivie à la fois par l' administration nationale et par une institution communautaire, nous voyons mal pourquoi elle ne pourrait pas l' être à l' égard d' un texte national, même de valeur simplement déclaratoire, dont l' objet est de porter à la connaissance du public les dispositions du droit communautaire .

16 . Il est bien entendu que nous ne suggérons pas à votre Cour de dire que les erreurs qui seraient commises dans l' application par les administrations nationales du tarif douanier commun ne pourront jamais donner lieu à recouvrement a posteriori en vertu du principe de la confiance légitime . Nous proposons simplement de dire qu' un tel principe est applicable dans une telle hypothèse . Il conviendra ensuite d' examiner si, compte tenu des circonstances de fait, Binder est ou non en droit d' invoquer avec succès le principe de la confiance légitime à l' encontre de la décision de la Commission .

17 . Examinons maintenant l' article 5 du règlement n° 1697/79 . Cet article, rappelons-le, fait référence à la notion d' "erreur qui ne pouvait raisonnablement être décelée par le redevable ".

18 . A cet égard, la Commission se fonde, pour conclure au rejet des prétentions de Binder, sur un arrêt Van Gend en Loos ( 14 ), qui concerne les dispositions, aux dires de la Commission, "comparables" de l' article 13 du règlement n° 1430/79 du Conseil, du 2 juillet 1979, relatif au remboursement ou à la remise des droits à l' importation ou à l' exportation ( 15 ). L' alinéa premier de cet article dispose, en effet, qu' "il peut être procédé au remboursement ou à la remise des droits à l' importation dans des situations qui résultent de circonstances particulières n' impliquant aucune négligence ou manoeuvre de la part de l' intéressé ". Votre Cour, dans cette affaire, a déclaré qu'

"à supposer même que l' article 13 du règlement n° 1430/79 puisse être interprété comme coïncidant avec la notion de force majeure, la reconnaissance d' un cas de force majeure suppose néanmoins que la cause extérieure invoquée par des sujets de droit ait des conséquences irrésistibles et inévitables au point de rendre objectivement impossible pour les personnes concernées le respect de leurs obligations . En l' espèce, s' agissant d' opérateurs professionnels avertis comme les requérantes, le fait de recevoir des certificats d' origine invalides ne peut être considéré comme une circonstance imprévisible et inévitable malgré toutes les diligences déployées . Un commissionnaire en douane, par la nature même de ses fonctions, engage sa responsabilité tant pour le paiement des droits à l' importation que pour la régularité des documents qu' il présente aux autorités douanières" ( 16 ).

19 . Il ne nous paraît pas certain cependant qu' il y ait, comme le suggère la Commission, une identité de notion entre les dispositions des articles 13 du règlement n° 143O/79 et 5 du règlement n° 1697/79 . En effet, le premier règlement concerne tous les cas où, pour une raison ou une autre, les droits de douane qui ont été perçus ou qui sont "exigibles" doivent être remboursés ou doivent faire l' objet d' une remise . Et il énumère les raisons qui justifient ces remboursements et remises : notamment, détermination de la dette douanière à un montant supérieur au montant légalement dû, marchandises refusées par l' importateur du fait de leur défectuosité ou leur non-conformité, erreur de l' expéditeur, marchandises dont l' utilisation est irréalisable pour certains motifs, enfin - et c' est l' objet de l' article 13 -, "situations qui résultent de circonstances particulières n' impliquant aucune négligence ou manoeuvre de la part de l' intéressé ". Il s' agit en fait d' ajouter une nouvelle hypothèse de remboursement ou de remise de la dette douanière et cet article, tout à fait raisonnablement, exclut le remboursement ou la remise en cas de manoeuvre de la part de l' intéressé, c' est-à-dire en présence d' un comportement de mauvaise foi, ou en cas de négligence, c' est-à-dire en cas de simple faute ou d' imprudence . Il semble bien que votre arrêt Van Gend en Loos, qui ne se prononce pas expressément sur l' identité de ces dispositions avec la notion de force majeure, ait simplement fait application de cette réserve de la négligence en relevant qu' un commissionnaire en douane, qui, par la nature même de ses fonctions, engage sa responsabilité en ce qui concerne la régularité des documents qu' il présente aux autorités douanières, aurait dû vérifier la validité des certificats d' origine qui lui avaient été fournis .

20 . Toute différente est l' économie du règlement n° 1697/79 . Il s' agit, à l' inverse, non de rembourser ou de remettre les droits douaniers, mais de les recouvrer "a posteriori ". Le texte ne précise pas les causes qui ont pu conduire au défaut de perception . L' article premier vise simplement de façon générale "des droits à l' importation ou des droits à l' exportation qui, pour quelque raison que ce soit, n' ont pas été exigés du redevable ". Et l' article 5 de prévoir trois limites au recouvrement :

- impossibilité totale de toute action à cette fin lorsque le montant perçu, inférieur au montant légalement dû, a été calculé sur la base de renseignements donnés par les autorités compétentes elles-mêmes et liant ces dernières;

- même impossibilité lorsque ce même montant a été calculé sur la base de dispositions de caractère général ultérieurement invalidées par une décision judiciaire; cette disposition, comme la précédente, résulte du paragraphe premier de l' article;

- possibilité pour les autorités compétentes de ne pas procéder au recouvrement en présence d' une erreur qui ne pouvait raisonnablement être décelée par le redevable : c' est l' objet de l' article 5, paragraphe 2, en cause dans la présente affaire .

21 . Le règlement n° 1573/8O de la Commission du 2O juin 198O, pris pour l' application des dispositions de l' article 5, paragraphe 2, précité, détermine dans quelles circonstances l' autorité compétente de l' État membre doit saisir la Commission d' une demande de décision . Votre Cour a déjà eu l' occasion de constater que cette disposition

"doit être interprétée comme signifiant que, dès lors que toutes les conditions sont réunies, le redevable a un droit à ce qu' il ne soit pas procédé au recouvrement" ( 17 ).

22 . Avant d' examiner l' application en l' espèce de l' article 5, paragraphe 2, nous croyons devoir attirer l' attention de votre Cour sur les dispositions du paragraphe 1 du même article . Certes, vous êtes saisis de la validité de la décision de la Commission au seul regard du paragraphe 2, mais il faut néanmoins se poser la question de savoir si, au nombre des éléments que la Commission doit prendre en considération au moment d' adopter sa décision, ne doit pas au préalable figurer la vérification que les conditions légales d' un recouvrement "a posteriori" sont réunies et dès lors la vérification que les dispositions de l' article 5, paragraphe 1, ne sont pas applicables au cas d' espèce ? En effet, si l' erreur a toutes les caractéristiques mentionnées au paragraphe 1 de cet article - c' est-à-dire si elle émane des autorités compétentes et figure dans des renseignements liant ces dernières -, l' impossibilité de recouvrer "a posteriori" est absolue . Et l' on ne comprendrait pas que, dans cette hypothèse, la Commission puisse apprécier s' il y a lieu ou non de recouvrer les droits de douane au vu des conditions requises par le paragraphe 2 . La simple logique exige qu' avant d' examiner s' il y a lieu de procéder ou non à un recouvrement "a posteriori" la Commission vérifie que les conditions légales permettant un tel recouvrement sont réunies . Ne pas reconnaître une telle exigence pourrait conduire à voir la Commission décider de procéder au recouvrement "a posteriori" dans des hypothèses où ce recouvrement serait prohibé par l' article 5, paragraphe 1 .

23 . Votre Cour sera d' ailleurs amenée à apporter à ces difficultés une solution explicite car, dans une affaire 8O/89, tout à fait similaire à celle-ci, le Finanzgericht de Hambourg vous a posé une question préjudicielle qui vise également l' application éventuelle de l' article 5, paragraphe 1 .

24 . Aujourd' hui, ou demain, vous serez donc amenés à préciser ce qu' il faut entendre par les mots "renseignements donnés par les autorités compétentes elles-mêmes et liant ces dernières ".

25 . L' on sait qu' en matière douanière l' assujetti a la possibilité de demander aux services de l' administration leur avis sur certains aspects de la réglementation concernant les marchandises qu' il désire déclarer . Mais la doctrine considérait que l' avis ainsi rendu par les services douaniers n' a aucune valeur juridique et ne constitue qu' un simple renseignement qui ne lie pas l' administration ( 18 ). L' article 5, paragraphe 1, en visant les "renseignements donnés par les autorités compétentes elles-mêmes et liant ces dernières" a-t-il voulu exclure les avis donnés par les services douaniers dont la doctrine considère jusqu' ici qu' ils ne lient pas l' administration, ou a-t-il, au contraire, voulu signifier que de tels avis liaient désormais les autorités douanières et rendaient impossible tout recouvrement "a posteriori"?

26 . Il nous semble que la seconde hypothèse est la seule qui puisse être retenue . En effet, il nous faut constater que l' article 5, paragraphe 1, prévoit deux cas où la possibilité de recouvrer "a posteriori" est exclue : soit lorsque l' erreur provient de "renseignements" donnés par l' autorité compétente elle-même ( c' est l' objet du premier tiret ), soit lorsqu' elle provient de "dispositions de caractère général ultérieurement invalidées par une décision judiciaire" ( cas visé au second tiret ). Si le législateur communautaire avait voulu comprendre dans la notion de "renseignements" des dispositions à caractère général, comme des instructions administratives ou des textes de nature réglementaire, il aurait également fait figurer au premier tiret l' expression de "dispositions de caractère général" qui figure au second tiret . Et l' on doit dès lors comprendre l' article 5, paragraphe 1, qui n' est que l' application du principe de la confiance légitime, comme signifiant que cette dernière peut se fonder soit sur un renseignement particulier donné par les services douaniers à un déclarant en douane ou à tout autre opérateur économique intéressé, soit sur un texte à caractère général dont l' irrégularité a été ultérieurement juridictionnellement déclarée . En revanche, cette confiance légitime ne peut, en l' absence de décision d' invalidité, se fonder sur un texte de portée générale contraire aux dispositions ayant valeur juridique . En décider autrement conduirait à renverser la hiérarchie des normes juridiques . Cette solution est d' ailleurs celle du droit allemand puisqu' un arrêt du Bundesfinanzhof ( 19 ) considère que le contribuable ne peut se prévaloir du crédit qu' il a accordé à des dispositions d' un arrêté du ministre fédéral des Finances contraire à des dispositions de nature législative . Selon cette juridiction, la solution contraire permettrait d' abroger des dispositions législatives par un arrêté administratif à caractère général . La confiance légitime ne saurait donc être protégée que dans le cadre d' un rapport juridique concret entre l' autorité administrative compétente et le contribuable .

27 . Or, s' il faut dès lors interpréter l' article 5, paragraphe 1, premier tiret, comme ne visant que les renseignements particuliers donnés par les services douaniers à un opérateur économique déterminé, ce serait enlever tout effet utile à cette disposition que de considérer que de tels renseignements ne lient pas l' administration des douanes puisque, dans une telle hypothèse, la disposition précitée ne trouverait plus à s' appliquer et serait, en quelque sorte, complètement vidée de sa substance . C' est d' ailleurs l' opinion du professeur Berr qui, lorsqu' il commente l' article 5 du règlement n° 1697/79, renvoie expressément à ce qu' il indiquait quant aux demandes d' avis formulées par les déclarants en douane ( 20 ).

28 . Quoi qu' il en soit, en l' espèce, le tarif d' usage allemand ne saurait être qualifié de renseignements donnés par l' autorité compétente, compte tenu, nous l' avons dit, de son caractère général et du fait qu' il ne vise pas la situation particulière d' un opérateur économique déterminé . Ce n' est donc pas sur le terrain de l' article 5, paragraphe 1, premier tiret, que votre Cour devra apprécier l' influence de ce tarif d' usage et de l' erreur qu' il contenait sur la solution à donner à cette affaire .

29 . Il nous faut donc examiner maintenant si, en application de l' article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79, la Commission était fondée à ordonner le recouvrement a posteriori, c' est-à-dire si, en fait, Binder pouvait raisonnablement déceler l' erreur en cause . Des arguments opposés ont été avancés de part et d' autre .

30 . D' un côté l' ordonnance de renvoi préjudiciel a souligné le fait que le Journal officiel des Communautés européennes dont le coût est élevé pour celui qui veut se le procurer n' est pas toujours disponible dans les bureaux de douane, qu' il est parfois difficile de déterminer le règlement communautaire applicable, que tout le monde se fonde toujours sur le tarif d' usage allemand publié par le ministre fédéral des Finances, que les règlements tarifaires sont habituellement publiés aux mois de janvier ou février avec un effet rétroactif au 1er janvier de l' année en cours, enfin que les propositions présentées par la Commission sont, en général, adoptées par le Conseil .

31 . La Commission, en sens inverse, a répliqué que le tarif d' usage allemand n' a qu' une valeur déclaratoire, ainsi que le commentaire de ce tarif l' indique lui-même ( 21 ), que l' opérateur économique qui ne consulte que ce tarif doit prendre en charge les risques d' une éventuelle contrariété avec les textes publiés au Journal officiel des Communautés européennes .

32 . Nous avons déjà exprimé notre opinion quant à la possibilité, sans aucunement remettre en cause la primauté du droit communautaire, d' appliquer ici le principe de la confiance légitime .

33 . Il ne nous semble cependant pas que les arguments avancés par le juge a quo quant au coût et à la difficulté de se procurer le Journal officiel des Communautés européennes soient pertinents . Ils sont en tout état de cause sans valeur devant les juridictions nationales où, en règle générale, chacun est supposé connaître la loi, dès lors que celle-ci a été régulièrement publiée .

34 . Par ailleurs, l' article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79 est incontestablement une exception au principe "Nemo censetur ignorare legem" et au principe de la primauté du droit communautaire . Dès lors, cette exception doit être interprétée restrictivement .

35 . Il nous paraît à cet égard, et votre Cour l' a esquissé dans son arrêt précité Van Gend en Loos à propos du règlement n° 143O/79, que la nature des fonctions occupées par le redevable est un des critères les plus importants au regard duquel le caractère raisonnablement décelable de l' erreur doit être apprécié . Il appartient au professionnel qui importe habituellement tel type de produit - commissionnaire en douane ou société d' import-export - de connaître les tarifs en vigueur dans le domaine concerné, soit par la lecture régulière des Journaux officiels des Communautés européennes, soit par les informations que dispensent les syndicats et organisations professionnels de sa branche d' activité . Le défaut de telles précautions est un risque qu' il peut certes prendre mais dont il doit alors supporter toutes les conséquences . Il en irait tout autrement, en revanche, de l' entreprise qui, occasionnellement, importe telle marchandise mais dont l' activité commerciale habituelle n' est pas tournée vers l' importation de ce type de marchandise .

36 . Enfin, rien n' empêche un opérateur économique de demander a priori à l' administration des douanes quelle sera la position tarifaire des marchandises qu' il se propose d' importer et d' obtenir ainsi un avis des services douaniers qui, nous l' avons vu, aux termes de l' article 5, paragraphe 1, lie l' administration et dont les éventuelles erreurs le mettront à l' abri de toute action en recouvrement a posteriori .

37 . Il nous paraît, en conséquence, que Binder pouvait raisonnablement déceler l' erreur en cause .

38 . Nous vous proposons donc de répondre ainsi qu' il suit à la question préjudicielle :

L' examen de la question posée par le Finanzgericht de Munich n' a fait apparaître aucun élément permettant de conclure à l' invalidité de la décision n° 8/85 du 5 novembre 1985, adressée à la république fédérale d' Allemagne, par laquelle la Commission a constaté qu' il doit être procédé au recouvrement "a posteriori" des droits à l' importation dans un cas particulier .

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) JOCE n° C 13O/1 du 27 mai 198O

( 2 ) fixant les dispositions d' application de l' article 5 paragraphe 2 du règlement ( CEE ) n° 1697/79 du Conseil concernant le recouvrement "a posteriori" des droits à l' importation ou des droits à l' exportation qui n' ont pas été exigés du redevable pour des marchandises déclarées pour un régime douanier comportant l' obligation de payer de tels droits ( JOCE n° L 161/1 du 26 juin 198O )

( 3 ) concernant le recouvrement "a posteriori" des droits à l' importatation ou des droits à l' exportation qui n' ont pas été exigés du redevable pour des marchandises déclarées pour un régime douanier comportant l' obligation de payer de tels droits ( JOCE n° L 197/1 du 3 août 1979 )

( 4 ) 21O/87, conclusions du 14 juin 1988, non encore publiées

( 5 ) 5/82, arrêt du 15 décembre 1982, Rec . p . 46O1

( 6 ) point 22

( 7 ) 112/77, Toepfer, arrêt du 3 mai 197O, Rec . p . 1O19

( 8 ) 1O8/81, arrêt du 3O septembre 1982, Rec . p . 31O7

( 9 ) p . 3149

( 10 ) 98/78, arrêt du 25 janvier 1979, Rec . p . 69

( 11 ) 99/78, arrêt du 25 janvier 1979, Rec . p . 1O1

( 12 ) 87, 130/77, 22/83, 9 et 10/84, arrêt du 11 juillet 1985, Rec . p . 2523, point 59

( 13 ) 129/87, non encore publié, point 15

( 14 ) 98 et 230/83, arrêt du 13 novembre 1984, Rec . p . 3763

( 15 ) JOCE n° L 175/1 du 12 juillet 1979

( 16 ) 98 et 230/83, précité, point 16

( 17 ) 314/85, Foto-Frost, arrêt du 22 octobre 1987, non encore publié, point 22, souligné par nous

( 18 ) Claude J . Berr et Henri Tremeau "Le droit douanier", Régime des opérations de commerce international en France et dans la CEE, 2ème édition, n° 252, p . 177

( 19 ) arrêt du 18 mars 1986, VII R 55/83 BFHE 146, 294

( 20 ) Claude J . Berr et Henri Tremeau "Le droit douanier" précité, n° 313-1, p . 2O5

( 21 ) Kommentar Zollrecht, paragraphe 21, point 44, p . 17

Top