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Document 61987CC0359

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 1 décembre 1988.
Pietro Pinna contre Caisse d'allocations familiales de la Savoie.
Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France.
Déclaration préjudicielle d'invalidité - Effets - Allocations familiales.
Affaire 359/87.

Recueil de jurisprudence 1989 -00585

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1988:523

61987C0359

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 1er décembre 1988. - Pietro Pinna contre Caisse d'allocations familiales de la Savoie. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Déclaration préjudicielle d'invalidité - Effets - Allocations familiales. - Affaire 359/87.

Recueil de jurisprudence 1989 page 00585


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A - En fait

L' affaire qui donne lieu aux présentes conclusions fait suite à une demande de décision préjudicielle introduite par la Cour de cassation française . Plus précisément, il s' agit là d' une deuxième procédure préjudicielle dans un litige opposant un travailleur migrant italien, M . Pinna ( ci-après "demandeur "), à la Caisse d' allocations familiales de la Savoie ( ci-après "défenderesse ").

Le demandeur estime avoir droit, pour ses deux enfants Sandro et Rosetta, à des allocations familiales qui lui ont été refusées pour certaines périodes pendant lesquelles ses enfants ont séjourné avec leur mère en Italie . Ce refus était, semble-t-il, fondé sur l' article 73, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 ( 1 ). Cette disposition est libellée comme suit :

"Le travailleur salarié soumis à la législation française a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d' un État membre

autre que la France, aux allocations familiales prévues par la législation de l' État sur le territoire duquel résident ces membres de la famille; il doit remplir les conditions relatives à l' emploi auxquelles la législation française subordonne l' ouverture du droit aux prestations ."

Dans la première demande de décision préjudicielle, la Cour de justice a été interrogée sur la validité de cette disposition . Dans un arrêt du 15 janvier 1986 ( 2 ), la Cour a statué comme suit :

"1 ) L' article 73, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 est invalide en tant qu' il exclut l' octroi de prestations familiales françaises aux travailleurs soumis à la législation française, pour les membres de leur famille qui résident sur le territoire d' un autre État membre .

2 ) L' invalidité constatée de l' article 73, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 ne peut être invoquée à l' appui de revendications relatives à des prestations pour des périodes antérieures à la date du présent arrêt, sauf en ce qui concerne les travailleurs qui ont, avant cette date, introduit un recours en justice ou soulevé une réclamation équivalente ."

Dans la présente procédure, la Cour doit maintenant se prononcer sur le contenu et la portée de cet arrêt ainsi que sur le point de savoir quelles sont les normes désormais applicables .

La juridiction de renvoi a déféré à la Cour les questions suivantes :

"1 ) L' invalidation du paragraphe 2 de l' article 73 du règlement n° 1408/71 conduit-elle à la généralisation du système de versement des prestations familiales défini au paragraphe 1 de ce texte, ou impose-t-elle, au contraire, l' adoption de nouvelles normes selon la procédure prévue à l' article 51 du traité de Rome?

2 ) Dans cette dernière hypothèse, quel serait, durant la période transitoire, le système applicable aux travailleurs migrants soumis à la législation française?"

Selon la juridiction de renvoi, il incomberait, d' une part, au Conseil, statuant à l' unanimité sur proposition de la Commission, d' adopter, dans le domaine de la sécurité sociale, les mesures nécessaires pour l' établissement de la libre circulation des travailleurs, en instituant notamment un système permettant d' assurer aux travailleurs migrants et à leurs ayants droit le paiement des prestations aux personnes résidant sur le territoire des États membres; d' autre part, la Cour de justice aurait jugé que le critère tiré du lieu de résidence n' est pas de nature à assurer l' égalité de traitement prescrite par l' article 48 du traité CEE et ne peut donc être utilisé dans ce contexte ( 3 ).

Étant donné, toutefois, qu' une réglementation ne pourrait être adoptée par le Conseil qu' à l' unanimité sur proposition de la Commission ( 4 ), il subsisterait une incertitude sur les dispositions régissant désormais le service des prestations familiales aux travailleurs migrants soumis à la législation française, et il conviendrait de laisser à notre Cour de justice le soin de préciser ce point .

Les arguments présentés par les intéressés dans le cadre de la procédure devant la Cour sont très divers . Il a été soutenu, notamment, que l' arrêt dans l' affaire 41/84 a créé un vide juridique, lequel ne pourrait être comblé que par la voie d' un acte législatif du Conseil sur la base de l' article 51 du traité CEE ( 5 ). Aux fins d' une élimination provisoire de ce vide juridique, quatre solutions sont proposées : en premier lieu, le gouvernement français considère, en pratique, que le régime juridique antérieur à l' arrêt dans l' affaire 41/84 demeure applicable . Les autorités compétentes ont été invitées à s' en tenir provisoirement à la procédure initiale . Le gouvernement français estime possible de maintenir, pendant la période transitoire, la réglementation française en attendant de nouvelles dispositions communautaires . Une autre solution consisterait à appliquer le règlement n° 3, en faisant, en quelque sorte, revivre le régime juridique existant avant l' entrée en vigueur du règlement n° 1408/71 . Enfin, la Commission estime que les dispositions de l' article 73, paragraphe 1, du règlement n° 1408/73 devraient recevoir application au moins à titre transitoire . Par ailleurs, plusieurs intéressés concluent à la généralisation de l' article 71, paragraphe 1, sans nécessité concrète d' adopter une norme venant combler un vide juridique .

Pour un exposé détaillé des faits et des divers arguments présentés, on se reportera au rapport d' audience .

B - En droit

Le fait qu' une autre demande de décision préjudicielle a déjà été adressée à la Cour de justice dans le même litige au principal ne s' oppose pas à la recevabilité de la présente procédure . Très tôt, la Cour de justice a estimé que les juridictions nationales sont liées par son interprétation, mais qu' il leur appartient de juger si elles sont suffisamment éclairées par la décision préjudicielle rendue, ou s' il est nécessaire de saisir de nouveau la Cour ( 6 ).

Les questions qui ont été posées visent expressément le point de savoir si, après l' invalidation de l' article 73, paragraphe 2, du règlement ( CEE ) n° 1408/71, il y a lieu d' appliquer le système de versement prévu au paragraphe 1 dudit article, ou si le Conseil est tenu d' arrêter de nouvelles dispositions . C' est seulement dans cette dernière hypothèse qu' une question est posée sur le système transitoire . Dans le cadre de la discussion sur les conséquences de l' arrêt, des doutes sont également formulés quant à la compétence de la Cour de justice pour définir les règles applicables, au motif que cette compétence comporterait l' appropriation d' un pouvoir normatif dont la Cour, en tant qu' organe judiciaire, ne saurait disposer . Il incomberait, au contraire, aux organes législatifs de prendre les mesures que comporte l' exécution de l' arrêt de la Cour .

En définitive, le litige se situe ainsi au point de rencontre de plusieurs domaines, qui sont ceux de l' application du droit, de l' interprétation, du développement du droit par le juge et de la création des normes . Dans le cas concret, il ne saurait être question de procéder à une délimitation abstraite du cadre de compétence de la Cour . Néanmoins, il y a lieu d' établir quelle est, en droit positif, la compétence de la Cour pour apporter aux questions préjudicielles une réponse à valeur contraignante . En conséquence, le problème se réduit au point de savoir si et dans quelle mesure la définition du contenu des règles applicables qui est demandée à la Cour relève encore de l' interprétation et, partant, de l' application du droit, ou s' il est besoin d' un acte créateur de droit que la Cour n' a pas le pouvoir d' édicter .

Avant d' entrer dans le détail de l' analyse, il y a lieu de formuler quelques remarques générales sur les obligations résultant d' une décision préjudicielle . Le traité CEE ne comporte aucune disposition expresse à cet égard, à la différence de l' article 176 dudit traité, lequel vise, de par son contenu et son économie, les recours en annulation et en carence . L' alinéa 1 de cet article dispose que l' institution dont émane l' acte annulé, ou dont l' abstention a été déclarée contraire au traité, est tenue de prendre les mesures que comporte l' exécution de l' arrêt de la Cour de justice .

Cette disposition peut être appliquée par analogie, dans la mesure où une situation juridique comparable a résulté de l' invalidation d' un acte communautaire et où l' adoption de mesures est nécessaire . La Cour de justice a d' ailleurs déjà tiré elle-même, dans le passé, cette conséquence pour la procédure préjudicielle . Elle a jugé à plusieurs reprises - à chaque fois pratiquement dans les mêmes termes - que le traité ne prévoyait certes pas expressément les conséquences d' une déclaration d' invalidité dans le cadre d' une procédure préjudicielle, mais que les articles 174 et 176 contenaient des dispositions claires sur les effets de l' annulation d' un règlement dans le cadre d' un recours direct . Conformément à cela, la Cour de justice s' est fondée, dans plusieurs procédures préjudicielles, sur les obligations d' agir résultant, pour les institutions communautaires, d' un arrêt de la Cour ( 7 ).

L' établissement de ce parallèle est d' autant plus justifié qu' une décision préjudicielle peut comporter les effets d' un arrêt d' annulation . Bien que le destinataire d' une décision préjudicielle soit la juridiction de renvoi, l' invalidité d' un acte juridique, une fois établie, s' impose également aux autres tribunaux . Elle constitue - selon la jurisprudence de la Cour - une "raison suffisante" de "considérer comme non valide" l' acte litigieux d' une institution communautaire ( 8 ).

La nécessité d' une telle concordance d' approche résulte du principe de l' unité de jurisprudence . Cela est d' autant plus net à la lumière de la jurisprudence la plus récente de la Cour sur sa compétence exclusive pour l' invalidation des actes communautaires ( 9 ). Si, pour l' appréciation de la légalité des actes des institutions, les voies de recours par la procédure directe et par la procédure préjudicielle ont des fonctions complémentaires, la situation ne saurait être foncièrement différente en ce qui concerne les conséquences de ce contrôle juridique .

Le fait que l' article 176 du traité CEE soit potentiellement applicable à la suite d' une décision préjudicielle n' apporte toutefois aucune indication sur le point de savoir si, dans le cas concret, l' application de cette disposition est nécessaire . Cette application est encore moins obligatoire, nonobstant les circonstances de l' affaire . Une obligation d' agir pour les institutions ne peut avoir de sens que là où le pouvoir de la Cour de définir le droit applicable se termine, lorsqu' il en résulte une lacune devant être comblée .

En ce qui concerne, maintenant, la compétence de la Cour pour définir ou établir le régime juridique valide, celle-ci est très large - comme cela résulte d' ailleurs de la jurisprudence de la Cour . Dans l' affaire 300/86 ( 10 ), la Cour de justice a, par exemple, expressément fixé le régime provisoire consistant dans le maintien de la situation juridique déclarée invalide et dans son extension à des catégories faisant l' objet d' une différence de traitement .

Il y a lieu maintenant de rechercher si l' arrêt dans l' affaire 41/84 a effectivement introduit un vide juridique devant être comblé par la création de nouvelles règles de droit, ou si les normes applicables ne peuvent pas être déduites sur la base d' une appréciation judicieuse de cet arrêt lui-même .

Dans la première partie du dispositif de l' arrêt dans l' affaire 41/84, la Cour de justice a dit pour droit : "l' article 73, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 est invalide en tant qu' il exclut l' octroi de prestations familiales françaises aux travailleurs soumis à la législation française, pour les membres de leur famille qui résident sur le territoire d' un autre État membre ". Cette formulation comporte une délimitation matérielle de la disposition invalide . C' est également la seule conclusion qu' on puisse tirer de l' examen des motifs ( 11 ). Il y a lieu de noter, à cet égard, que la Cour de justice n' a précisément pas choisi une formule simple et plus courte telle que : "l' article 73, paragraphe 2, du règlement 1408/71 est invalide ". Le fait que la Cour de justice est néanmoins partie du principe que l' invalidité s' étendait à l' ensemble du paragraphe 2 résulte de la deuxième partie du dispositif, par laquelle elle a défini quels seraient les effets de l' arrêt pour le passé . Cette partie est rédigée comme suit : "L' invalidité constatée de l' article 73, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 ne peut être invoquée à l' appui de revendications ..."

Si on admet que l' article 73, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 constitue une exception à la règle générale de l' article 73, paragraphe 1, dudit règlement, une approche fondée sur la théorie des normes conduit à penser que c' est désormais ladite règle qui est applicable . Toutefois, cette conclusion se heurte à deux objections . D' une part, les paragraphes 1 et 2 de l' article 73 du règlement semblent se rapporter à des domaines d' application différents, dans la mesure où le paragraphe 1 parle de "prestations familiales", alors que le paragraphe 2 vise les "allocations familiales ". D' autre part, l' exception prévue au paragraphe 1 par la formule un "État membre autre que la France" semble devoir conserver sa validité .

a ) Nous examinerons d' abord la première de ces objections . Tant la notion de "prestations familiales" que le terme "allocations familiales" ont fait l' objet d' une définition légale à l' article 1er du règlement n° 1408/71 . L' article 1er, sous u ), i ) et ii ), est rédigé comme suit : "i ) le terme 'prestations familiales' désigne toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille dans le cadre d' une législation prévue à l' article 4, paragraphe 1, sous h ), à l' exclusion des allocations spéciales de naissance mentionnées à l' annexe II"; "ii ) le terme 'allocations familiales' désigne des prestations périodiques en espèces accordées exclusivement en fonction du nombre et, le cas échéant, de l' âge des membres de la famille ;".

L' article 4, paragraphe 1, sous h ) mentionné, qui se compose d' un seul groupe de mots, à savoir les "prestations familiales", ne contient aucune restriction, puisqu' il se borne à désigner les "prestations familiales" comme le type de prestations visé par le règlement . De même l' annexe I, du point de vue des "allocations familiales" en tant que prestations périodiques en espèces, n' entraîne aucune restriction du domaine d' application . Par conséquent, l' article 1er, sous u ), i ), peut se lire comme suit : "le terme 'prestations familiales' désigne toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille ...".

Ainsi, il devient clair que les allocations familiales constituent seulement une catégorie des prestations familiales . Les prestations familiales et les allocations familiales ne sont donc pas deux choses différentes, mais présentent entre elles une relation de concept général à concept spécial . Or, il en résulte que le rapport entre l' article 73, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 et le paragraphe 2 dudit article est lui-même, du point de vue matériel, un rapport de règle générale à disposition spéciale .

L' article 73, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71, dans sa version initiale, contenait deux exceptions de nature différente à la règle de l' article 73, paragraphe 1, dudit règlement; il s' agissait, d' une part, eu égard à la matière, de la restriction aux seules allocations familiales et, d' autre part, eu égard au territoire d' application, de la restriction au travailleur "soumis à la législation française, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d' un État membre autre que la France ". Par conséquent, les paragraphes 1 et 2 de l' article 73 du règlement n° 1408/71 présentent une relation de règle à exception . Si ces deux exceptions disparaissent, comme la Cour de justice l' a décidé, il ne peut plus y avoir de doute quant à la généralisation du paragraphe 1 .

b ) Nous passons maintenant - comme nous l' avons annoncé - à l' examen de l' argument de texte tiré du libellé de l' article 73, paragraphe 1, du règlement :

Il est exact que la Cour de justice n' a pas expressément invalidé la formule un "État membre autre que la France ". A première vue, on peut donc en déduire qu' elle reste applicable . Toutefois, comme on va le montrer, cette interprétation n' est conforme ni au contenu de l' arrêt visé, ni à l' économie de la partie encore valide de l' article 73 du règlement n° 1408/71 .

Pour rejeter l' hypothèse du maintien en vigueur de l' article 73, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 dans l' intégralité de son libellé, on peut d' abord invoquer l' argument de forme selon lequel aucune question n' a été posée à la Cour de justice quant à la validité de ce paragraphe . Toutefois, les considérations suivantes s' attacheraient plutôt au contenu matériel de l' arrêt : comme on l' a montré plus haut, la Cour de justice, dans l' arrêt dans l' affaire 41/84, a déclaré invalide la portée matérielle de l' article 73, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 . Si on se reporte aux motifs de cet arrêt, le caractère dualiste du système constituait précisément un critère d' invalidité venant s' ajouter à la violation du principe de l' égalité de traitement . Le dualisme en question résidait dans le fait que le critère de rattachement choisi pour l' article 73, paragraphe 1, était celui du pays d' emploi, alors que, pour les exceptions du paragraphe 2 et pour elles seules, le critère retenu était celui du pays de résidence . Si on laissait subsister l' exception prévue au paragraphe 1 de l' article 73, il en résulterait, comme par le passé, un système dualiste, mais dont la forme concrète ne découlerait plus du texte du règlement . Dans la mesure où la formule litigieuse du paragraphe 1 de l' article 73 constitue seulement un renvoi aux exceptions du paragraphe 2, invalidé, elle est également visée par l' arrêt dans l' affaire 41/84 .

Une telle interprétation téléologique des arrêts de la Cour est tout à fait adéquate, et même courante . Dans l' affaire 130/79 ( 12 ), par exemple, où il s' agissait également des conséquences de l' invalidation d' un acte juridique, la Cour de justice a commencé par examiner les motifs de l' invalidité pour constater ensuite que d' autres règlements de contenu identique à celui de la disposition invalidée étaient également invalides . Dans l' arrêt dans l' affaire 33/84 ( 13 ), la Cour de justice a même admis la déclaration implicite de l' invalidité d' un règlement . Dans ce cas également, l' invalidité s' étendait, compte tenu de l' esprit et de la finalité d' un arrêt antérieur, à des règlements dont le contenu présentait un lien avec la disposition invalidée .

Le seul cas dans lequel on pourrait considérer que le dispositif de l' arrêt dans l' affaire 41/84 ne repose pas sur une telle déclaration implicite d' invalidité, mais sur une autre approche, serait celui où, dès le départ, l' article 73, paragraphe 1, ne pourrait être regardé comme la règle de base pour l' exception du paragraphe 2 . La seule interprétation possible serait alors la suivante : l' article 73, paragraphe 1, établit une règle de coordination pour les prestations familiales, règle qui s' applique à l' ensemble des États membres excepté la France . Ce serait exclusivement pour le cas des allocations familiales que le paragraphe 2 prévoirait une règle constitutive propre pour la France .

Toutefois, cette hypothèse n' est pas convaincante, et cela pour plusieurs raisons . En premier lieu, on ne voit aucune raison objective pour que la France échappe totalement à la coordination communautaire en matière de prestations familiales . En outre, il aurait existé, de cette façon, un vide juridique même lorsque le paragraphe 2 était valide . Les prestations familiales autres que les allocations familiales n' auraient pas du tout été prises en compte . On ne saurait soutenir sérieusement que le législateur communautaire a volontairement introduit une telle lacune . A supposer même qu' un vide juridique ait été créé par mégarde, il aurait dû être comblé conformément à l' économie du système, par la voie du développement du droit par le juge .

Le règlement n° 1408/71 étant précisément une disposition de coordination, qui ne crée pas de droits particuliers de manière autonome, mais définit le point de rattachement pour l' ordre juridique applicable, cela n' aurait aucun sens d' exclure du champ de la réglementation une partie des prestations familiales françaises . Une telle exclusion serait déjà contraire per se au principe communautaire de l' égalité de traitement .

La théorie développée lors de l' audience par le représentant du requérant sur l' interprétation de l' arrêt dans l' affaire 41/84 paraît se fonder, en réalité, sur l' hypothèse qui vient d' être rejetée . Bien que, dans son raisonnement, il délimite et mette en relation les différents passages de l' arrêt et du texte du règlement, il ne tient pas compte des termes utilisés par la Cour de justice dans son arrêt . En effet, la Cour de justice, dans son arrêt dans l' affaire 41/84, a manifestement considéré que la règle de rattachement pour les prestations familiales était d' application générale et s' étendait également à la France . Au point 25 des motifs, elle indique déjà que l' article 73, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 est invalide en tant qu' il exclut l' octroi de prestations familiales françaises aux travailleurs soumis à la législation française, pour les membres de leur famille qui résident sur le territoire d' un autre État membre . On retrouve la même formulation dans la première partie du dispositif . Ces termes n' ont de sens que si on considère que l' octroi des prestations familiales françaises aux travailleurs soumis à la législation française constitue la règle, et que seule la disposition prévoyant une exception à cette règle pour les allocations familiales est invalide .

La règle de base de l' article 73, paragraphe 1, ainsi applicable, correspond d' ailleurs à la nécessité, soulignée par la Cour, d' une règle de coordination efficace . Elle est conforme au principe communautaire de l' égalité de traitement qui sous-tend les articles 7 et 48 du traité CEE . En ce qui concerne le domaine d' application du règlement n° 1408/71, l' interdiction communautaire de toute discrimination fait l' objet d' un rappel spécifique à l' article 3 du règlement, dans les termes suivants : "Les personnes qui résident sur le territoire de l' un des États membres et auxquelles les dispositions du présent règlement sont applicables sont soumises aux obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de celui-ci ..."

Le maintien en vigueur de la totalité du libellé de l' article 73, paragraphe 1, avec les conséquences juridiques déjà mentionnées, serait d' ailleurs contraire à l' article 51, sous b ), du traité CEE, qui assure aux travailleurs migrants et à leurs ayants droit le paiement des prestations ( d' un État membre ) aux personnes résidant sur les territoires des ( autres ) États membres .

L' article 73, paragraphe 1, dans sa version modifiée, serait conforme, en revanche, non seulement aux principes résultant déjà du traité CEE, mais encore aux dispositions générales du règlement n° 1408/71 . Il tiendrait compte, d' une part, du principe de l' égalité de traitement rappelé à l' article 3 et aussi, d' autre part, des règles de l' article 13, selon lesquelles les travailleurs auxquels ledit règlement est applicable ne sont soumis qu' à la législation d' un seul État membre ( 14 ), celui-ci étant normalement l' État d' emploi ( 15 ).

Les quelques exceptions au critère de l' État d' emploi prévues par le règlement lui-même, par exemple pour l' assurance pension ou les travailleurs frontaliers, ne permettent pas de remettre en question la règle considérée comme applicable en l' espèce . Au contraire, tant le libellé non équivoque de l' article 13 que les considérants du règlement vont dans le sens de la solution retenue . Le travailleur admis au bénéfice des prestations familiales est celui qui fait valoir ses droits auprès de l' organisme compétent, et cela dans l' État dans lequel il acquitte par ailleurs des impôts et des cotisations sociales . Les exceptions au critère de l' État d' emploi en faveur du critère de l' État de résidence, en revanche, sont souvent motivées, notamment, par le fait que l' organisme qui doit généralement être saisi est celui auprès duquel les cotisations ont été versées . Une telle dérogation ne serait pas justifiée en l' espèce .

Après avoir défini ci-dessus la généralisation de l' article 73, paragraphe 1, comme étant la solution résultant de l' arrêt dans l' affaire 41/84, il reste à examiner l' objection formulée par le gouvernement français et par la défenderesse, selon laquelle la généralisation du système établi à l' article 73, paragraphe 1, serait contraire à la règle de l' unanimité prévue à l' article 51 du traité CEE .

Cette objection ne saurait être retenue . En vertu de l' article 4 dudit traité, la réalisation des tâches confiées à la Communauté est assurée par les quatre institutions qui y sont énumérées; à cette fin, chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées par le traité . L' article 177, paragraphe 1, confère à la Cour de justice la compétence pour statuer à titre préjudiciel sur l' interprétation du traité .

Par son arrêt du 15 janvier 1986, la Cour de justice n' a pas excédé ces limites :

en déclarant que "ce critère ( c' est-à-dire celui de l' article 73, paragraphe 2 - l' État sur le territoire duquel résident les membres de la famille ) n' est pas de nature à assurer l' égalité de traitement prescrite par l' article 48 du traité ...", elle a interprété le traité;

en constatant ce qui suit : "il s' ensuit que l' article 73, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 est invalide", elle a, en outre, statué sur la validité d' un acte d' une institution .

Enfin, la Cour de justice peut, lorsqu' elle annule un règlement, indiquer quels sont ses effets devant être considérés comme maintenus . Cela vaut également, par analogie, pour la procédure de l' article 177 ( 16 ). La Cour ne fait pas autre chose lorsqu' elle désigne les dispositions de l' article 73, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 comme celles qui continuent à s' appliquer après l' invalidation du paragraphe 2 . L' argument selon lequel la Cour de justice excèderait ainsi les limites de ses compétences doit donc être rejeté comme non fondé .

On parviendrait au même résultat sur la base de considérations relevant de la théorie ou de la philosophie du droit . Celles-ci seraient nécessairement empreintes d' une coloration personnelle . C' est pourquoi nous n' estimons pas nécessaire de vous les exposer . Le texte du traité, dont le respect s' impose à nous tous, constitue une base suffisante .

Naturellement - et nous ne faisons là que rappeler une évidence -, la généralisation de l' article 73, paragraphe 1, n' enlève rien à la compétence du Conseil et de la Commission pour modifier les dispositions applicables . Il n' existe donc aucune obligation de maintenir la règle de l' article 73, paragraphe 1 . Le Conseil peut parfaitement rechercher une autre solution, et c' est d' ailleurs, semble-t-il, ce qu' il est en train de faire . La seule chose qu' il ne puisse pas faire est la suivante : il ne peut pas appliquer la règle de l' article 73, paragraphe 2, car celle-ci n' est pas de nature à assurer l' égalité de traitement prescrite par le traité .

Il y a lieu d' ajouter encore, pour terminer, une remarque sur les articles 60 et 220 de l' acte d' adhésion de l' Espagne et du Portugal, qui ont été mentionnés dans la discussion, encore que ces dispositions n' aient, selon nous, aucune incidence directe sur les questions posées en l' espèce . Ces deux articles contiennent, respectivement pour l' Espagne et le Portugal, un renvoi à l' article 73 du règlement n° 1408/71 . En particulier, le renvoi à l' article 73, paragraphe 2, entre autres, et le recours à une application par analogie établissent un régime transitoire en vigueur jusqu' à la fin 1988 . A la différence de l' article 73 du règlement, les dispositions des actes d' adhésion ne sont d' ailleurs pas soumises à un contrôle de leur validité par la Cour de justice et n' ont pas à être appréciées, dans le cadre d' un tel contrôle, au regard des principes du traité CEE, puisqu' elles se situent au même rang que celui-ci en tant que droit communautaire primaire ( 17 ).

Dans la mesure où les articles 60 et 220 de l' acte d' adhésion renvoient à l' article 99 du règlement n° 1408/71, un acte juridique des organes législatifs communautaires devrait être nécessaire pour la mise en oeuvre, également pour les États ibériques, d' un système uniforme devant être instauré sur la base de cette disposition . Le régime de l' article 73, paragraphe 1, déclaré d' application générale à l' occasion de l' affaire Pinna, doit sa validité à une procédure d' un rang inférieur à celui de l' acte d' adhésion et ne correspond pas non plus à la méthode d' instauration d' une "solution uniforme" prévue par l' acte d' adhésion lui-même .

Toutefois, les considérations qui précèdent sont théoriques à deux points de vue, dans la mesure où, d' une part, les articles 60 et 220 de l' acte d' adhésion n' ont aucune incidence sur l' application du droit dans l' affaire Pinna et où, d' autre part, il résulte de ces dispositions elles-mêmes que le régime transitoire expire à la fin de l' année 1988 .

Les frais engagés par les gouvernements français, italien, portugais et grec, ainsi que par la Commission ne peuvent faire l' objet d' un remboursement . A l' égard des parties au principal, la procédure devant la Cour de justice revêt le caractère d' un incident . Il appartient donc à la juridiction de renvoi de statuer sur les dépens .

C - Conclusion

Compte tenu de ce qui précède, nous proposons de répondre comme suit aux questions déférées à la Cour :

"A la suite de l' invalidation de l' article 73, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 par l' arrêt dans l' affaire 41/84, le système général prévu à l' article 73, paragraphe 1, dudit règlement est applicable, y compris en France . Ce système s' applique sans restriction, pour autant que les organes législatifs communautaires ne font pas usage de leur pouvoir de modification . En conséquence, l' article 73, paragraphes 1 et 2, doit être lu comme suit :

Le travailleur salarié soumis à la législation d' un État membre a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d' un autre État membre, aux prestations familiales prévues par la législation du premier État, comme s' ils résidaient sur le territoire de celui-ci ."

(*) Langue originale : l' allemand .

( 1 ) Règlement ( CEE ) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté, JO 1971, L 149, p . 2, et, dans la version actualisée résultant du règlement ( CEE ) n° 2001/83, du 2 juin 1983, JO L 230, du 23.8.1983, p . 6 .

( 2 ) Arrêt du 15 janvier 1986 dans l' affaire 41/84, Pinna/Caisse d' allocations familiales de la Savoie, Rec . 1986, p . 1 et suiv .

( 3 ) Voir l' arrêt dans l' affaire 41/84, ibidem, point 24 des motifs .

( 4 ) Il résulte du dossier que la Commission n' a présenté une proposition à ce sujet que le 2 février 1988 .

( 5 ) Cet argument est invoqué notamment par la défenderesse et par le gouvernement français .

( 6 ) Voir l' arrêt du 24 juin 1969 dans l' affaire 29/68, Milch -, Fett - und Eierkontor GmbH/Hauptzollamt Saarbroecken, Rec . 1969, p . 165, attendu 3; voir aussi l' arrêt du 13 mai 1981 dans l' affaire 66/80, SpA International Chemical Corporation/Amministrazione delle Finanze dello Stato, Rec.1981, p . 1191, point 14 des motifs .

( 7 ) Arrêt du 19 octobre 1977 dans les affaires jointes 117/76 et 16/77, Albert Ruckdeschel & Co . et Hansa-Langerhaus Stroeh & Co./Hauptzollamt Hamburg-St . Annen; Diamalt AG/Hauptzollamt Itzehoe, Rec . 1977, p . 1753; arrêt du 19 octobre 1977 dans les affaires jointes 124/76 et 20/77, SA Moulins et huileries de Pont-à-Mousson/Office national interprofessionnel des céréales; Société coopérative "Providence agricole de la Champagne"/Office national interprofessionnel des céréales, Rec . 1977, p . 1795;

arrêt du 15 octobre 1980 dans l' affaire 4/79, Société coopérative "Providence agricole de la Champagne"/Office national interprofessionnel des céréales ( ONIC ), Rec . 1980, p . 2823, points 44 et 46 des motifs; arrêt du 15 octobre 1980 dans l' affaire 109/79, Sàrl Maïseries de Beauce/Office national interprofessionnel des céréales ( ONIC ), Rec . 1980, p . 2883, points 44 et 46 des motifs; arrêt du 15 octobre 1980 dans l' affaire 145/79, SA Roquette Frères/Ëtat français ( administration des douanes ), Re . 1980, p . 2917, points 51 et 53 des motifs; arrêt dans l' affaire 66/80, ibidem, point 16 des motifs .

( 8 ) Arrêt dans l' affaire 66/80, ibidem, point 13 des motifs;

arrêt dans l' affaire 112/83, Société des produits de maïs SA/Administration des douanes et droits indirects, Rec . 1985, p . 719, point 16 des motifs .

( 9 ) Voir l' arrêt du 22 octobre 1987 dans l' affaire 314/85, Foto-Frost, Ammersbek/Hauptzollamt Loebeck-Ost, Rec . 1987, p . 4199 .

( 10 ) Voir l' arrêt du 29 juin 1988 dans l' affaire 300/86, Luc Van Landschoot/M . V . Mera, point 3 du dispositif, Rec . 1988, p . 0000 .

( 11 ) Arrêt dans l' affaire 41/84, ibidem, p . 25, points 21 à 25 des motifs .

( 12 ) Voir l' arrêt du 12 juin 1980 dans l' affaire 130/79, Express Dairy Foods Limited/Intervention Board for Agricultural Produce, Rec . 1980, p . 1887 .

( 13 ) Voir l' arrêt du 22 mai 1985 dans l' affaire 33/84, SpA Fragd/Amministrazione delle finanze dello Stato, Rec . 1985, p . 1605, point 13 des motifs .

( 14 ) Voir l' article 13, paragraphe 1, du règlement .

( 15 ) Voir l' article 13, paragraphe 2, sous a ), du règlement .

( 16 ) Arrêt dans l' affaire 4/79, ibidem, points 44 et 46 des motifs; arrêt dans l' affaire 109/79, ibidem, points 44 et 46 des motifs; arrêt dans l' affaire 145/79, ibidem, points 51 et 53 des motifs .

( 17 ) Voir également l' arrêt du 28 avril 1988 dans les affaires 31 et 35/86, SA Laisa e.a./Conseil des Communautés européennes, rec . 1988, p . 2285 .

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