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Document 61987CC0302
Opinion of Mr Advocate General Darmon delivered on 26 May 1988. # European Parliament v Council of the European Communities. # Capacity of the European Parliament to bring an action for annulment. # Case 302/87.
Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 26 mai 1988.
Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes.
Qualité du Parlement européen pour agir en annulation.
Affaire 302/87.
Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 26 mai 1988.
Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes.
Qualité du Parlement européen pour agir en annulation.
Affaire 302/87.
Recueil de jurisprudence 1988 -05615
ECLI identifier: ECLI:EU:C:1988:263
Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 26 mai 1988. - Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes. - Qualité du Parlement européen pour agir en annulation. - Affaire 302/87.
Recueil de jurisprudence 1988 page 05615
édition spéciale suédoise page 00739
édition spéciale finnoise page 00589
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1 . Au recours en annulation formé le 2 octobre 1987 par le Parlement européen contre la décision du Conseil du 13 juillet 1987 fixant les modalités de l' exercice des compétences d' exécution conférées à la Commission, communément appelée décision sur la "comitologie" ( 1 ), le Conseil a opposé, le 5 novembre 1987, sur la base de l' article 91 du règlement de procédure, une exception d' irrecevabilité . Il a, en même temps, demandé que la Cour statue en urgence sur cette question . La procédure s' est poursuivie à un rythme soutenu . Le 9 décembre 1987, le Parlement a présenté ses observations sur la demande d' exception . Le 20 janvier 1988, la Cour a décidé d' entendre les parties sur la question de la recevabilité du recours à une audience fixée deux mois plus tard, le 24 mars 1988 . Le moment est venu de présenter nos conclusions .
2 . Pour l' essentiel, le Conseil dénie au Parlement européen la qualité pour agir au titre du recours en annulation . C' est cette question de principe, dont l' enjeu constitutionnel n' échappe à personne, qui doit être tranchée, pour la première fois, par votre Cour . En l' abordant, nous prenons, pour point de départ, l' acquis jurisprudentiel en matière de "statut contentieux" du Parlement européen, tout en étant conscient que cet acquis demeure controversé et qu' il est
appréhendé quelque peu différemment par les parties en présence et par la doctrine, notamment en ce qui concerne ses prolongements potentiels . Il convient d' observer qu' après avoir soutenu des positions divergentes, elles-mêmes modifiées selon les circonstances des litiges précédents, le Conseil et le Parlement ne mettent plus en question cet acquis . En effet, dans le présent recours, le Conseil se borne à contester les conséquences tirées de votre jurisprudence par le Parlement . Le Parlement, quant à lui, par résolution du 9 octobre 1986 ( 2 ), s' est félicité de cet acquis en estimant que celui-ci impliquait la reconnaissance de sa qualité pour agir au titre de l' article 173 du traité et, partant, la recevabilité du présent recours .
3 . En laissant de côté le contentieux de la fonction publique et les affaires tranchées sur la base du traité CECA, quel est cet acquis?
- Les actes du Parlement européen peuvent faire l' objet d' un renvoi préjudiciel ( 3 ).
- Vous avez reconnu, dans vos arrêts "isoglucose" du 29 octobre 1980 ( 4 ) que, sans avoir à justifier d' un quelconque intérêt à la solution d' un litige, le Parlement européen tire de l' article 37, alinéa 1, du statut de la Cour un droit général d' intervention ( 5 ).
- Vous avez admis, dans votre arrêt du 22 mai 1985 "politique commune des transports" ( 6 ), que le Parlement était, lui aussi, visé par l' article 175 du traité CEE en tant que requérant privilégié dans le cadre du recours en carence ( 7 ).
- Le Parlement peut être invité par la Cour, conformément à l' article 21, alinéa 2, du statut, à lui fournir des renseignements tant dans le cadre de recours directs ( 8 ) que dans celui de renvois préjudiciels ( 9 ).
- Enfin, dans votre arrêt du 23 avril 1986 dans l' affaire Parti écologiste "Les Verts"/Parlement européen ( 10 ), vous avez reconnu que cette institution pouvait être attaquée dans le cadre du recours en annulation fondé sur l' article 173 du traité ( 11 ).
4 . Remarquons que, en ce qui concerne le renvoi préjudiciel, l' intervention, la carence et le dépôt d' observations à l' invitation de la Cour - ce dernier n' a jamais été contesté -, votre solution repose sur une interprétation littérale des textes communautaires .
5 . En effet :
- Dans le premier cas, il s' agit de l' article 177 du traité aux termes duquel "la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, ... b ) sur la validité et l' interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté ". Si l' on a pu émettre quelques doutes quant à l' admissibilité d' un renvoi en appréciation de validité, en raison de sa parenté et de son affinité avec le contrôle de légalité dans le cadre du recours en annulation ( 12 ), ceux-ci sont levés depuis le prononcé de l' arrêt "Les Verts" ( 13 ).
- Dans le deuxième cas, l' article 37, alinéa 1, du statut de la Cour prévoit que "Les États membres et les institutions de la Communauté peuvent intervenir aux litiges soumis à la Cour ."
- Dans le troisième, l' article 175, alinéa 1, du traité CEE dispose : "Dans le cas où, en violation du présent traité, le Conseil ou la Commission s' abstient de statuer, les États membres et les autres institutions de la Communauté peuvent saisir la Cour de justice en vue de faire constater cette violation ."
- Dans le quatrième, enfin, l' article 21, alinéa 2, du statut de la Cour prescrit : "La Cour peut ... demander aux États membres et aux institutions, qui ne sont pas parties au procès, tous renseignements qu' elle estime nécessaires aux fins du procès ."
6 . Dans toutes ces hypothèses, c' est la notion d' "institution" qui a été comprise comme incluant le Parlement européen . Si aucune controverse n' a surgi, à cet égard, à propos du renvoi préjudiciel et le dépot d' observations à l' invitation de la Cour, des objections ont été, en revanche, soulevées tant en ce qui concerne l' intervention que le recours en carence . Mais dans vos arrêts "Isoglucose", conformément aux conclusions de l' avocat général M . Reischl, vous avez affirmé :
"l' alinéa 1 de cet article prévoit un même droit d' intervention pour toutes les institutions de la Communauté . On ne saurait restreindre, pour l' une d' entre elles, l' exercice de ce droit sans porter atteinte à sa position institutionnelle, voulue par le traité et, en particulier, le paragraphe 1 de l' article 4" ( 14 ).
De même, dans votre arrêt "Politique commune des transports", vous avez déclaré, suivant les conclusions de l' avocat général M . Lenz :
"Il y a lieu de souligner que l' article 175, alinéa 1, ouvre expressément ... le recours en carence contre le Conseil et la Commission, entre autres, aux 'autres institutions de la Communauté' . Cette disposition prévoit ainsi une même faculté d' intenter ce recours pour toutes les institutions de la Communauté . On ne saurait restreindre, pour l' une d' entre elles, l' exercice de cette faculté sans porter atteinte à sa position institutionnelle voulue par le traité et, en particulier, par le paragraphe 1 de l' article 4" ( 15 ).
7 . Ainsi, chaque fois que les dispositions pertinentes contenaient l' expression "institution", vous avez interprété cette dernière de manière à y inclure le Parlement européen . Et cette solution est confortée par la considération du caractère d' institution communautaire du Parlement auquel, au même titre qu' au Conseil, à la Commission et à la Cour de justice, est assignée la fonction d' assurer "la réalisation des tâches confiées à la Communauté" ( 16 ). Cependant, il ne pouvait être fait recours à une interprétation littérale dès lors qu' il s' agissait de statuer sur la possibilité de contester en justice des actes du Parlement européen par la voie du recours en annulation . En effet, l' article 173, alinéa 1, du traité CEE ne prévoit de contrôle de légalité par la Cour de justice que des actes du Conseil et de la Commission . Une autre démarche a donc été suivie .
8 . C' est à l' occasion de ce contentieux que les expressions "légitimation active" et "légitimation passive" ont fait leur apparition et ont intégré le vocabulaire juridique communautaire, pour désigner, la première, la capacité du Parlement européen d' être demandeur, la seconde, son aptitude à défendre devant la Cour de justice . Dès lors, il était prévisible, en réalité inévitable, que les protagonistes éventuels de litiges interinstitutionnels et la doctrine s' interrogent sur le point de savoir si la trilogie composée de l' intervention, de la "légitimation active" en matière de carence et de la "légitimation passive" en matière d' annulation, ne devait pas se transformer, le moment venu, en tétralogie, par la consécration de la "légitimation active" de l' institution parlementaire dans le cadre du recours en annulation .
9 . Pour répondre à cette question, nous attachons une importance toute relative à la reconnaissance du droit d' intervention du Parlement européen, tel qu' il résulte des arrêts "Isoglucose ". Si certains ont pu soutenir que, dès lors que ce droit est admis en faveur du Parlement, il deviendrait illogique de lui refuser celui de demander l' annulation et d' obtenir ainsi, directement, ce qu' il peut contribuer indirectement à faire déclarer ( 17 ), il convient de remarquer que la faculté d' intervention n' est pas nécessairement subordonnée à celle, autonome, d' introduire un recours contentieux ( 18 ).
1O . En revanche, quelques traits "techniques" de la mise en oeuvre du recours en carence, lequel peut, conformément à votre jurisprudence "politique commune des transports", être introduit par le Parlement, et certaines des considérations retenues pour fonder la solution de l' arrêt "Les Verts" concourent pour reconnaître à cette institution la qualité d' agir en annulation . C' est dire que certains aspects de l' acquis jurisprudentiel que nous venons d' évoquer nous paraissent suffisamment probants pour pouvoir adopter une solution permettant au Parlement de défendre ses propres prérogatives institutionnelles en tant que requérant dans le cadre du recours en annulation .
11 . Le recours en carence, on le sait, débute par une mise en demeure du Conseil ou de la Commission qui, selon l' article 175 du traité, disposent d' un délai de deux mois pour "prendre position" au sujet de la demande qui leur a été adressée . Si une telle prise de position n' intervient pas dans ce délai, le demandeur peut saisir la Cour de justice dans les deux mois qui suivent en vue de faire constater la carence . En revanche, si l' institution invitée à agir a pris position dans le délai prescrit, le recours en carence n' est plus possible . Mais cette prise de position est susceptible d' un recours en annulation, du moins lorsque l' acte demandé, s' il avait été adopté, l' aurait, lui-même, été ( 19 ). Pour qualifier, à des fins contentieuses, la prise de position en matière de carence, la jurisprudence de la Cour établit, en effet, un parallèle entre la nature juridique de la mesure demandée et celle de l' acte par lequel l' institution a pris position au sujet de celle-ci : lorsque l' acte dont l' adoption est demandée est susceptible de recours en annulation, la prise de position l' est également . En revanche, quand l' acte sollicité ne remplit pas les critères d' acte attaquable, la prise de position à son égard n' est pas susceptible de recours en annulation .
12 . Puisque le Parlement européen est habilité à déclencher le recours en carence et à saisir la Cour de justice en vertu de l' article 175 du traité, cette faculté ne doit pas être dépourvue d' efficacité . On voit mal comment le Parlement pourrait effectivement et utilement exercer ce droit, s' il suffisait que l' institution mise en demeure prenne explicitement une position négative, au sujet de la demande qui lui a été adressée, faisant, de ce seul fait, obstacle à toute poursuite devant la Cour ( 20 ). La cohérence des voies de recours organisées par le traité ne saurait s' accommoder d' une telle situation . Et vous avez, dans votre arrêt Chevalley ( 21 ), déclaré que les articles 173 et 175 du traité constituent l' expression d' une seule et même voie de droit . Mais cette observation, formulée par rapport à la notion d' acte susceptible de recours, ne concerne pas la nature de ces deux voies de droit ou le lien entre elles .
13 . Le rapprochement entre les recours en carence et en annulation est, certes, de nature à justifier que l' on reconnaisse au Parlement européen le droit d' agir en annulation contre les prises de position négatives au sujet des demandes par lui adressées au Conseil et à la Commission, dès lors que l' acte dont l' adoption a été sollicitée aurait constitué un acte attaquable . Mais on ne saurait déduire de la "mécanique" du recours en carence un droit général du Parlement d' agir en annulation, même s' il paraît souhaitable de lui reconnaître un tel droit lorsque ses propres prérogatives sont en cause .
14 . Une partie de la doctrine soutient que la reconnaissance de la "légitimation passive" du Parlement européen doit nécessairement entraîner celle de sa "légitimation active ". Faisant écho à cette position, l' avocat général M . Mancini, tout en rejetant, dans ses conclusions sous l' arrêt "Les Verts", le rapport nécessaire entre ces deux types de légitimation, a néanmoins déclaré que les raisons pour lesquelles la "légitimation passive" devrait être admise "plaident, avec une force analogue", en faveur de la "légitimation active" ( 22 ).
15 . Pour notre part, nous pensons que la question de la "légitimation active" du Parlement, certes liée à celle de la "légitimation passive", ne se pose pas cependant en des termes tout à fait identiques . Pour l' examiner, il convient de revenir sur la motivation de votre arrêt "Les Verts" et de vérifier dans quelle mesure elle est transposable à celle de la "légitimation active ".
16 . Rappelons, au préalable, comme l' a fait l' avocat général M . Mancini, que, dans l' arrêt du 10 février 1983, grand-duché de Luxembourg/Parlement européen ( siège et lieu de travail du Parlement ), vous avez observé qu'
"une participation active ou passive du Parlement au contentieux devant la Cour n' est pas expressément prévue"
par les dispositions respectives des traités CEE et Euratom en matière de recours en annulation ( 23 ). Et nous partageons le sentiment de M . Mancini quant à la signification particulière qu' il convient de donner à cette observation et, notamment, à l' adverbe "expressément" ( 24 ).
17 . S' agissant de la "légitimation passive", cette même constatation apparaît dans l' arrêt "Les Verts" dans lequel vous avez noté que :
"Le Parlement européen ne figure pas expressément parmi les institutions dont les actes peuvent être attaqués" ( 25 ).
Mais si, dans la première de ces espèces, l' exception d' irrecevabilité opposée par le Parlement défendeur, qui soutenait alors l' absence de "légitimation passive", a été écartée en raison de l' applicabilité de l' article 38, alinéa 1, du traité CECA, ce qui vous a dispensés de l' interprétation des articles 173 du traité CEE et 146 du traité CEEA ( 26 ), une telle démarche ne pouvait être adoptée dans la seconde . En effet, le recours du Parti écologiste "Les Verts" a été introduit sur la seule base de l' article 173, disposition qui, nous l' avons déjà relevé, ne vise pas le Parlement, ce qui vous a conduits à rechercher dans quelle mesure la "légitimation passive" pouvait être déduite d' autres indications .
18 . Après avoir souligné que le fait que le Parlement européen n' était pas mentionné dans l' énumération des défendeurs possibles au recours en annulation s' expliquait historiquement par l' absence de pouvoirs à lui conférés à l' origine d' adopter des actes susceptibles de produire des effets juridiques à l' égard des tiers ( 27 ), vous avez reconnu la "légitimation passive", essentiellement, nous semble-t-il, pour deux raisons .
19 . Premièrement, avez-vous déclaré,
"Une interprétation de l' article 173 du traité qui exclurait les actes du Parlement européen de ceux qui peuvent être attaqués aboutirait à un résultat contraire tant à l' esprit du traité tel qu' il a été exprimé à l' article 164 qu' à son système . Les actes que le Parlement européen adopte dans la sphère du traité CEE pourraient, en effet, sans que la possibilité soit offerte de les déférer au contrôle de la Cour, empiéter sur les compétences des États membres ou des autres institutions ou outrepasser les limites qui sont tracées aux compétences de leur auteur ."
Ainsi
"le recours en annulation peut être dirigé contre les actes du Parlement européen destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers" ( 28 ).
2O . Deuxièmement, avez-vous affirmé,
"La Communauté économique européenne est une Communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n' échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu' est le traité" ( 29 ).
21 . En d' autres termes, l' impératif d' assurer une protection juridictionnelle efficace et celui de maintenir le respect de la légalité dans l' ordre juridique communautaire nous paraissent être les raisons déterminantes vous ayant conduits à reconnaître la "légitimation passive" du Parlement européen .
22 . D' autres considérations ont été retenues par votre arrêt "Les Verts", qui n' ont pas manqué d' être invoquées par les parties en présence, mais dont la pertinence nous paraît moins certaine . D' une part, s' il est vrai que dans l' arrêt "AETR" - première affaire interinstitutionnelle portée devant la Cour - vous avez déclaré que
"l' article 173 envisage comme actes susceptibles de recours toutes dispositions prises par les institutions et visant à produire un effet juridique" ( 30 ),
il importe de souligner que vous n' avez pas alors eu à prendre en considération l' identité de l' institution défenderesse . Dans cette affaire vous deviez trancher la question de savoir si un recours en annulation pouvait être dirigé à l' encontre d' un acte - en l' occurrence une délibération du Conseil - qui ne figure pas dans la nomenclature de l' article 189 du traité . C' est sur la base de cette considération, à laquelle s' ajoutait l' observation qu' au vu de la mission de la Cour, telle que définie à l' article 164, on ne saurait
"interpréter restrictivement les conditions de recevabilité du recours en limitant sa portée aux seules catégories d' actes visés par l' article 189" ( 31 ),
que vous avez procédé à la qualification de la délibération litigieuse sans préjuger, dans cette affaire, de la qualité pour agir du Parlement . On ne saurait, par conséquent, trouver un réel appui dans l' arrêt "AETR" en faveur de la "légitimation active" du Parlement au titre de l' article 173 du traité .
23 . D' autre part vous avez, il est vrai, déclaré, dans l' arrêt "Les Verts", que
"le traité a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour de justice le contrôle des actes des institutions" 29 .
Mais cette remarque concernait l' agencement de voies de droit permettant aux justiciables privés d' avoir une protection juridictionnelle efficace . Elle n' avait pas trait à la question relative à la capacité du Parlement d' être demandeur devant la Cour . Le contexte de votre arrêt Foto-Frost ( 32 ) où cette même observation a été réitérée permet de renforcer encore cette conclusion .
24 . La reconnaissance par votre jurisprudence de la "légitimation passive" du Parlement est tout à fait générale et il ne faut pas y voir une solution apportée uniquement dans le cas du contentieux électoral ou budgétaire, quelle que soit par ailleurs la spécificité d' un tel contentieux .
25 . En présence du "profil contentieux", tel qu' ainsi façonné par votre jurisprudence, en quoi consiste l' objection du Conseil quant à la qualité pour agir en annulation du Parlement européen?
26 . Son argumentation s' articule, vous vous en souvenez, autour de deux points . En premier lieu, le Conseil estime que l' acquis jurisprudentiel ne permet pas d' établir la qualité du Parlement pour intenter une action en vertu de l' article 173 . En second lieu, il considère que ni l' esprit ni le système du traité ne militent en faveur d' une interprétation de l' article 173 permettant d' inclure le Parlement parmi les requérants éventuels .
27 . Pour sa part, le Parlement tire de ces mêmes considérations des conséquences diamétralement opposées . Pour lui, sa légitimation active résulte nécessairement de la jurisprudence de la Cour relative à son statut contentieux . Au surplus, ni l' esprit ni le système du traité ne lui paraissent s' opposer à la reconnaissance d' une telle légitimation .
28 . Il est à remarquer que le contentieux impliquant le Parlement européen s' est presque entièrement développé dans les années quatre-vingts, c' est-à-dire après son élection au suffrage universel direct . Nous ne disons pas pour autant "post hoc, ergo propter hoc ". Cependant, on ne peut manquer de constater que le souhait du Parlement européen d' être plus étroitement associé au processus décisionnel communautaire a revêtu une nouvelle dimension avec l' élan créé par sa nouvelle légitimité .
29 . Qu' on mesure le chemin parcouru depuis 1958! Par sa résolution adoptée lors de sa première session, l' Assemblée soulignait "la nécessité de trouver un nom évocateur", et choisissait la dénomination "d' Assemblée parlementaire" ( 33 ), elle-même cédant la place, quatre années plus tard, à celle de "Parlement européen" ( 34 ). L' Acte unique européen ( 35 ) devait consacrer cette appellation et renforcer le rôle de cette institution notamment par l' instauration des procédures de coopération et de codécision dans certains domaines .
30 . Même élu au suffrage universel ( 36 ), le Parlement n' a pas accédé au statut d' une véritable chambre législative, mais sa participation dans l' élaboration des décisions communautaires est devenue, progressivement, de plus en plus intense . A ce titre, il convient d' évoquer les traités budgétaires de 1970 et de 1975, et les déclarations communes du Parlement européen, du Conseil et de la Commission du 4 mars 1975 ( 37 ) et du 3O juin 1982 relatives, la première, à l' institution d' une procédure de concertation, la seconde, à différentes mesures visant à assurer un meilleur déroulement de la procédure budgétaire ( 38 ). Dans cette même ligne, on peut mentionner la déclaration solennelle sur l' Union européenne signée à Stuttgart le 19 juin 1983 ( 39 ) qui a étendu les cas dans lesquels le Parlement est informé en matière d' accords internationaux, pratique inaugurée en 1964 par la procédure Luns ( 40 ) et élargie par la procédure Westerterp en 1973 ( 41 ).
31 . Une des institutions auxquelles a été confiée, aux termes de l' article 4 du traité CEE, la réalisation des objectifs définis par celui-ci, l' organe composé de représentants des peuples européens, ne s' est vu attribuer, originairement, qu' un rôle consultatif et des pouvoirs de délibération et de contrôle . Très largement écarté, au départ, du processus décisionnel communautaire, le Parlement a toujours revendiqué une participation plus active dans ce dernier . Le renforcement, progressif mais réel, du rôle du Parlement par des réformes successives, même s' il ne satisfait pas pleinement aux aspirations de celui-ci, ne saurait être mis en doute .
32 . Cette évolution du Parlement européen ne pouvait rester sans incidence sur ses perspectives contentieuses . C' est elle qui fonde, dans une large mesure, la solution de la "légitimation passive ". Mais si l' assujettissement des actes du Parlement européen au contrôle de la légalité par le biais du recours en annulation est la conséquence nécessaire de l' accroissement de ses pouvoirs, cette circonstance ne saurait, à elle seule, justifier la "légitimation active" de cette institution . Est déterminant, en revanche, l' impératif de protection juridictionnelle . Et il convient, compte tenu de la structure institutionnelle de la Communauté et du rôle respectif des organes qui la composent, de se garder de toute analogie, qui serait, à cet égard, sans pertinence, avec les parlements nationaux .
33 . En tant que participant au processus législatif communautaire, le Parlement européen doit être en mesure d' assurer le respect de ses propres prérogatives . Interchangeons les termes du point 25 de votre arrêt "Les Verts ". On y lirait :
"Les actes que le Conseil ou la Commission adoptent dans la sphère du traité CEE pourraient, en effet, sans que la possibilité soit ouverte de les déférer au contrôle de la Cour, empiéter sur les compétences des États membres ou du Parlement européen ou outrepasser les limites qui sont tracées aux compétences de leur auteur ."
Certes, le contrôle de la légalité exercé par la Cour à l' égard des actes faisant grief peut toujours être déclenché par tout requérant privilégié, mais la protection des compétences du Parlement ne doit pas être tributaire d' un recours contentieux qui ne pourrait être introduit par le principal intéressé .
34 . Il est vrai que le droit du Parlement d' intervenir dans les litiges soumis à la Cour et celui d' engager le recours en carence ne sont pas subordonnés à l' exigence de défendre un intérêt qui lui soit particulier . Mais, dans les deux cas, il s' agit d' un droit expressément prévu par les textes . Cette circonstance est de nature à justifier une reconnaissance de la qualité du Parlement européen pour agir en annulation, cantonnée dans des limites plus strictes, à savoir lorsque son action tend au respect de ses prérogatives propres . Même lorsqu' il s' agit d' une "prise de position" par l' institution mise en demeure par le Parlement, il convient de limiter son droit à agir en annulation à l' hypothèse précitée . En effet, en provoquant une prise de position dans le cadre de la phase précontentieuse, le Parlement accomplit une des fonctions essentielles du recours en carence, celle de conduire l' institution concernée à sortir de l' inertie dans laquelle elle est censée se trouver .
35 . Déterminer si les griefs formulés par le Parlement européen à l' égard de la décision attaquée concernent une de ses prérogatives propres relève de l' examen auquel vous aurez à procéder ultérieurement .
36 . Nous concluons donc au rejet de l' exception d' irrecevabilité opposée par le Conseil et à la reconnaissance de la qualité du Parlement européen pour introduire un recours en annulation en vertu de l' article 173 du traité en cas d' atteinte à ses prérogatives propres . La question de savoir si tel est le cas dans la présente espèce doit être jointe à l' examen au fond .
( 1 ) 87/373/CEE, JO L 197 du 18.7.1987, p . 33 .
( 2 ) JO C 283 du 1O.11.1986, p . 85 .
( 3 ) Affaires 101/63, Wagner, arrêt du 12 mai 1964, Rec . p . 383; 208/80, Lord Bruce of Donington, arrêt du 15 septembre 1981, Rec . p . 2205; 149/85, Wybot, arrêt du 10 juillet 1986, Rec . p . 2391; 131/87, Commission/Conseil, encore pendante, voir ordonnance du 30 septembre 1987 .
( 4 ) Affaires 138/79, SA Roquette Frères/Conseil des Communautés européennes, Rec . 198O, p . 3333; 139/79, Maïzena GmbH/Conseil des Communautés européennes, Rec . 198O, p . 3393 .
( 5 ) Le Parlement est, en effet, intervenu dans les affaires jointes 281, 283, 284, 285 et 287/85, République fédérale d' Allemagne/Commission des Communautés européennes ( Politique migratoire - Compétence de la Communauté ), arrêt du 9 juillet 1987, et dans les affaires 131/87 et 16/88, Commission/Conseil, encore pendantes devant la Cour .
( 6 ) Affaire 13/83, Parlement/Conseil, Rec . 1985, p . 1556 .
( 7 ) Le Parlement a introduit un autre recours en carence contre le Conseil dans l' affaire 377/87, actuellement pendante .
( 8 ) Affaires 27O/84, Assunta Licata/Comité économique et social, arrêt du 1O juillet 1986, Rec . p . 2305; 149/85, précité, arrêt du 1O juillet 1986, Rec . p . 2391; 152/85, Misset, arrêt du 15 janvier 1987, Rec . p . 223 .
( 9 ) Affaires 1O1/63 et 2O8/8O, précités; affaire 2O/85, Roviello, encore pendante devant la Cour . Rappelons qu' au titre de l' article 20, alinéa 2, du statut de la Cour seuls "les parties, les Ëtats membres, la Commission et le cas échéant, le Conseil, ont le droit de déposer devant la Cour des mémoires ou observations écrites" dans la cadre de renvoi préjudiciel
( 10 ) Affaire 294/83, Rec . 1986, p . 1339, solution confirmée par l' ordonnance du 4 juin 1986 rendue à propos du recours du Groupe des droites européennes ( 78/85, Rec . 1986, p . 1753 ) et par l' arrêt du 3 juillet 1986 dans l' affaire Conseil/Parlement ( 34/86, Rec . p . 0000, "budget ").
( 11 ) Notons que deux affaires France/Parlement, 51 et 358/85, dont la jonction a été décidée par ordonnance du 8 juillet 1987, sont actuellement pendantes devant la Cour .
( 12 ) Vandersanden, G . et Barav, A.:Contentieux Communautaire, Bruxelles, E . Buylant, 1977, p . 304; Joliet, R .: Le droit institutionnel des Communautés européennes, Le Contentieux, Faculté de droit, d' économie et de sciences sociales de Liège, 1981, p . 196 .
( 13 ) Isaac, G .: "L' insertion du Parlement européen dans le système juridictionnel des Communautés européennes", Annuaire français de droit international, 1986, p . 794, p . 797 .
( 14 ) Affaires 138/79 et 139/79, précités, point 19 .
( 15 ) Affaires 13/83, précité, point 17 .
( 16 ) Article 4, paragraphe 1, du traité CEE .
( 17 ) Voir par exemple, Lenaerts, K .: "La position du Parlement européen devant la Cour de justice à la lumière de la position du Congrès americain devant le juge fédéral", rapport présenté au colloque organisé par l' Institut d' études européennes de l' université libre de Bruxelles, 24-26 septembre 1987, sur le thème : "Le Parlement européen dans l' évolution institutionnelle", texte ronéo, p . 1O .
( 18 ) Voir par exemple, Masclet, J.-C .: "Le Parlement européen devant ses juges", Revue du marché commun, ( 1983, p . 518, p . 521 .
( 19 ) Voir par exemple, affaire 42/71, Nordgetreide GmbH & Co . KG/Commission des Communautés européennes, arrêt du 8 mars 1972, Rec . p . 105, p . 111 :
"cette prise de position de la Commission, ayant le caractère d' un refus, doit être appreciée en fonction de l' objet de la demande à laquelle elle constitue une réponse ."
Voir Vandersanden G . et Barav, A .: Contentieux communautaire, Bruxelles, Bruylant, 1977, p . 229 et suiv .; Joliet, R .: Le droit institutionnel des Communautés e ropéennes, Le contentieux, Faculté de droit, d' économie et de sciences sociales de Liège 1981, p . 150 . Voir également, Mégret, J ., Waelbroeck, W ., Louis, J .- V ., Vignes, D ., Dewost, J.-L . et Vandersanden, G .: Le droit de la Communauté économique européenne, volume 10 : La Cour de justice, les actes des institutions, tome 1, éditions de l' université de Bruxelles, 1983, p . 171 .
( 20 ) Voir Isaac, G ., article précité, Annuaire français de droit international, 1986, p . 794, 809 . Voir aussi les remarques, dans ce sens, de M . Waelbroeck à l' occasion de la table ronde organisée par le Centre d' études internationales et européennes de l' université Robert Schuman de Strasbourg, le 10 avril 1987, sur le thème : Le Parlement européen et la Cour de justice des Communautés européennes", p . 24 . Notons également que l' autre institution et les Ëtats membres, en tant que requéran s privilégiés, pourraient, eux, saisir la Cour en vue de faire constater la carence de l' institution qui avait été précédemment invitée à agir par le Parlement . L' article 175 du traité n' exige pas, du moins expressément, que le requérant devant la Cour ( du moins les institutions et les Ëtats membres ) soit nécessairement celui qui avait initialement mis l' institution en demeure .
( 21 ) Affaire 15/7O, arrêt du 18 novembre 197O, Rec . p . 975, point 6 .
( 22 ) Affaire 294/83, précité, p . 1351 .
( 23 ) Affaire23O/81, Rec . 1983, p . 255, point 17 .
( 24 ) Conclusions de l' avocat général M . Mancini dans l' affaire 294/83, précitée, p . 1349 .
( 25 ) Précité, point 24 .
( 26 ) Affaire 23O/81, précité, point 2O .
( 27 ) Affaire294/83, précité, point 24 .
( 28 ) Affaire294/83, précité, point 25 .
( 29 ) Affaire294/83, précité, point 23 .
( 30 ) Affaire 22/70, Commission des Communautés européennes/Conseil des Communautés européennes, arrêt du 31 mars 1971, Rec . p . 263, attendu 39, attendu dont une partie a été reprise dans le point 24 de l' arrêt "Les Verts ".
( 31 ) Affaire 22/7O, précitée, attendu 41 . Dans un autre contexte, pour rejeter l' argument selon lequel les décisions adressées aux Ëtats membres ne sauraient faire l' objet d' un recours en annulation intenté par une personne privée, la Cour avait déjà déclaré, inter alia, dans l' arrêt du 15 juillet 1963 dans l' affaire 25/62, Plaumann & Co./Commission de la Communauté économique européenne, Rec ., p . 197, 222 : "que, d' ailleurs, les dispositions du traité concernant le droit d' agir des justiciables ne saur ient être interprétées restrictivement ".
( 32 ) Affaire 314/85, arrêt du 22 octobre 1987, point 16, Rec . p . 4199 .
( 33 ) Résolution du 20 mars 1958, JO 1 du 20.4.1958, p . 6 .
( 34 ) Résolution du 30 mars 1962, JO 31 du 26.4.1962, p . 1045 .
( 35 ) JO L 169 du 29.6.1987 .
( 36 ) Acte adopté le 20 septembre 1976 portant élection des représentants du Parlement européen au suffrage universel direct, JO L 278 du 8.10.1976 .
( 37 ) JO C 89 du 22.4.1975 .
( 38 ) JO C 194 du 28.7.1982 .
( 39 ) Bulletin des Communautés européennes 6-1983, p . 26
( 40 ) Procès verbal du Conseil 24 et 25 février 1964, p . 26 .
( 41 ) Note du Conseil du 15 octobre 1973 .