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Document 61987CC0228

    Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 31 mai 1988.
    Pretura unificata di Torino contre X.
    Demande de décision préjudicielle: Pretura unificata di Torino - Italie.
    Normes de qualité pour les eaux destinées à la consommation humaine.
    Affaire 228/87.

    Recueil de jurisprudence 1988 -05099

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1988:276

    61987C0228

    Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 31 mai 1988. - Pretura unificata di Torino contre X. - Demande de décision préjudicielle: Pretura unificata di Torino - Italie. - Normes de qualité pour les eaux destinées à la consommation humaine. - Affaire 228/87.

    Recueil de jurisprudence 1988 page 05099


    Conclusions de l'avocat général


    ++++

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    A - Les faits

    1 . L' affaire sur laquelle vous êtes appelés à statuer a pour objet une demande de décision à titre préjudiciel présentée par le Pretore de Turin en vue de l' interprétation de la directive 80/778/CEE du Conseil, du 15 juillet 1980, relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine ( 1 ).

    2 . Cette directive fixe des valeurs indicatives et certaines valeurs maximales concernant la teneur en substances nocives des eaux destinées à la consommation humaine . Les valeurs limite de la directive ont été transposées en droit national par décret du président du Conseil des ministres du 8 février 1985, pris en exécution de la directive .

    3 . Des analyses de laboratoire avaient fait apparaître que dans certains puits les valeurs limite étaient dépassées pour différents composants . Or, il n' avait pas été pris en même temps de mesures destinées à éviter l' utilisation des eaux pour la consommation humaine . C' est la raison pour laquelle il avait été engagé une procédure pénale contre inconnu du chef du délit d' omission d' actes incombant aux autorités administratives prévu à l' article 328 du codice penale; c' est dans le cadre de cette procédure que se sont posées les questions déférées par le Pretore de Turin . Le décret fixant les valeurs limite a fait l' objet, par plusieurs arrêtés ministériels ainsi que par des dispositions d' exécution subséquentes adoptées par l' administration régionale piémontaise, de dérogations dont il s' agit d' apprécier la compatibilité avec la directive . A supposer que ces dérogations soient licites, les valeurs augmentées de substances nocives se situeraient à l' intérieur des limites temporairement autorisées, de sorte que, faute de réunion des éléments constitutifs d' une infraction, la procédure d' enquête diligentée devrait être clôturée .

    4 . Le Pretore de Turin invite la Cour, dans le cadre d' une demande de décision à titre préjudiciel, à statuer sur la question suivante :

    "La directive 80/778/CEE, et plus précisément son article 10, paragraphe 1, doit-elle être interprétée en ce sens qu' elle autorise les États membres à introduire des dérogations selon les modalités et dans les circonstances auxquelles font référence les ordonnances du ministère de la Santé et de la région Piémont?"

    En ce qui concerne les détails des faits et les arguments des parties à la procédure, nous avons l' honneur de renvoyer au rapport d' audience .

    B - Discussion

    5 . I - Sur la recevabilité

    La recevabilité de la demande de décision à titre préjudiciel présentée apparaît douteuse sous plusieurs aspects . Ces réserves résultent tant du stade de la procédure au principal que de la formulation de la question préjudicielle .

    6 . Selon l' article 177, alinéa 2, du traité CEE, une "juridiction" d' un État membre peut déférer à la Cour une question dont elle estime la solution nécessaire pour rendre un "jugement ". La réponse à la question de savoir si le Pretore auteur du renvoi satisfait aux conditions caractérisant une "juridiction" au sens de cette disposition découle de l' interprétation de la Cour, qui a donné un sens large à cette notion juridique autonome . Constitue ainsi une juridiction toute instance indépendante appelée à trancher des litiges . Il doit s' agir d' un organisme permanent, reposant sur une base légale, doté d' une compétence obligatoire, et qui est créé afin de statuer sur une procédure contradictoire en appliquant les règles du droit ( 2 ). Depuis l' arrêt rendu dans l' affaire 162/73 ( 3 ), la Cour a renoncé à la nécessité du caractère "contradictoire" de la procédure, de sorte qu' un litige auquel l' État est partie - même dans l' exercice de prérogatives de puissance publique - implique également le droit potentiel de saisir la Cour .

    7 . Cela étant dit, la position procédurale du Pretore pose cependant un problème dans la mesure où, dans la procédure d' enquête, il exerce deux attributions de nature juridique différente . Dans la recherche et l' établissement des faits, il agit dans le cadre des compétences du ministère public; par contre, aussi bien en clôturant la procédure qu' en prononçant des condamnations, il exerce des fonctions juridictionnelles . Le Pretore de Turin, auteur du renvoi, ayant besoin de la réponse de la Cour pour prendre sa décision orientant la procédure, à savoir s' il doit poursuivre l' enquête ou bien clôturer la procédure, il doit être considéré comme une "juridiction" au sens le plus large en vertu de l' article 177, alinéa 2, du traité CEE . Du reste, pas plus tard qu' en juin de l' année passée ( affaire 14/86 ( 4 )), la Cour a considéré comme recevable un renvoi du Pretore de Salò dans une situation similaire du point de vue procédural .

    8 . L' existence de la "nécessité de la décision de la Cour pour rendre un jugement" a été ainsi implicitement admise, étant précisé que l' appréciation de la réunion de ces conditions est en principe abandonnée à la juridiction de renvoi ( 5 ). C' est pourquoi la Cour s' est d' ailleurs bornée, dans l' affaire 14/86 précitée, à constater que le Pretore exerçait des fonctions juridictionnelles, même si ce n' est pas de manière typique et dans l' ensemble de ses activités . La question préjudicielle s' est posée dans le cadre de l' exercice des compétences générales du Pretore, qui est appelé à agir de manière indépendante et dans les seules limites du droit . D' après la jurisprudence citée ( affaire 14/86 ( 6 )), cela est suffisant pour satisfaire aux conditions de forme de l' article 177, alinéa 2 .

    9 . A notre avis, la situation procédurale de l' espèce représente un cas limite . A cet égard, il convient de tenir compte également des autres circonstances, si l' on veut se prononcer en faveur de la recevabilité . Il ne faut pas donner aux instances nationales la possibilité de déférer à la Cour des questions de droit abstraites, car cela modifierait le caractère de la procédure préjudicielle - du moins dans la forme que la Cour lui a donnée jusqu' à présent ( 7 ). Il faut également tenir compte, dans cette appréciation, du fait que la procédure au principal est une procédure d' enquête contre inconnu, le dossier ne faisant pas encore apparaître un prévenu concret . Cet élément ne fait pas obstacle à la recevabilité dès lors que, comme nous l' avons déjà fait pour la qualification du Pretore en tant que "juridiction", l' on se place dans l' optique de la décision de clôture . C' est précisément pour pouvoir prendre cette décision juridictionnelle que le Pretore de Turin a besoin de la réponse de la Cour . Si cette décision constitue l' élément de référence déterminant, il n' est pas non plus possible d' émettre des réserves en raison du caractère éventuellement prématuré ( 8 ) du renvoi à titre préjudiciel . L' objection selon laquelle la procédure au titre de l' article 177 du traité CEE serait superflue se trouve dès lors aussi privée de pertinence . C' est seulement une décision de la Cour sur le fond du droit qui fournit au juge de renvoi des critères lui permettant d' apprécier l' existence des éléments constitutifs d' une infraction .

    10 . La situation juridique se présente de manière différente dès lors que l' on se place dans l' optique non pas de la clôture, mais de la poursuite de la procédure . Si un prévenu concret n' est déterminé qu' après l' intervention de l' arrêt préjudiciel, le principe du droit d' être entendu peut s' en trouver affecté . Ce principe a trouvé son expression pour la procédure incidente devant la Cour dans l' article 20, alinéa 2, du statut de la Cour ( CEE ). Ce texte donne notamment aux "parties" le droit de déposer des mémoires devant la Cour dans un délai de deux mois à compter de la notification de la demande de décision à titre préjudiciel .

    11 . L' argument selon lequel il est loisible à la juridiction de renvoi de saisir la Cour à un stade ultérieur de la procédure et selon lequel cette juridiction est tenue, quant à elle, de respecter le principe du droit d' être entendu, n' est finalement pas susceptible, à notre avis, d' éliminer les réserves concernant le principe juridique consacré par le droit communautaire et devant être respecté pour la procédure devant la Cour . Il l' est d' autant moins que les parties à la procédure au principal ne disposent pas d' un droit autonome de saisir la Cour .

    12 . L' on devrait en fait, en l' occurrence, se placer dans l' optique de la situation procédurale concrète telle qu' elle se présente au moment de la procédure devant la Cour . Il y a également lieu, à cet égard, de tirer la conséquence de la voie dans laquelle on s' est engagé au départ, à savoir que la procédure au principal constitue déjà, au stade en cause, un litige pouvant donner lieu à une demande de décision à titre préjudiciel . Il en résulte qu' il n' existe pas encore de prévenu dont les garanties procédurales liées à l' État de droit pourraient être violées . La violation du droit abstraite, purement intellectuelle, qui ne peut être rattachée à aucun sujet de droit concret, ne constitue donc pas, à notre avis, un obstacle procédural . Bien qu' il s' agisse en l' espèce d' un cas limite, il est possible, avec la jurisprudence de la Cour ( affaire 14/86 ), de considérer la demande de décision à titre préjudiciel comme recevable en ce qui concerne la situation procédurale dans laquelle se trouve le litige principal .

    13 . Il existe cependant aussi, dans cette affaire, des réserves qu' appelle la formulation de la question préjudicielle . Telle que l' a posée le Pretore de Turin, c' est une question concernant la compatibilité du comportement d' un État membre avec le droit communautaire . Il n' appartient pas à la Cour d' apprécier cette question dans le cadre de la procédure préjudicielle . C' est la Commission qui veille à la conformité au droit communautaire du comportement des États membres et qui, en cas d' infraction, engage la procédure en manquement prévue par l' article 169 du traité CEE par l' émission d' un avis motivé . La saisine de la Cour sur la question de la compatibilité du comportement d' un État membre avec le droit communautaire ne peut pas non plus être rattachée à la compétence des juridictions nationales par le biais de la procédure préjudicielle . Il appartient au contraire aux juridictions nationales d' apprécier, sous leur propre responsabilité, la compatibilité de l' action de l' État membre avec l' ordre juridique communautaire et d' en tirer le cas échéant les conséquences . Dans le cadre de cette mission, la Cour ne fournit son assistance que par l' interprétation du droit communautaire .

    14 . Cependant, la Cour ne rejette pas comme irrecevable, sans autre forme de procès, une question préjudicielle formulée de façon imprécise . Ainsi qu' il résulte de sa jurisprudence constante ( 9 ), elle examine, compte tenu des circonstances de fait et de droit, la pertinence des questions qui se posent en droit communautaire . La Cour s' efforce, par une reformulation de la question et par la réponse qu' elle y apporte, de fournir à la juridiction nationale des critères qui lui sont utiles pour statuer sur l' affaire concrètement en cause ( 10 ).

    15 . Selon une compréhension logique, la question préjudicielle du Pretore de Turin peut être réinterprétée en une question visant à la définition des conditions de fait que comporte le régime de dérogations de l' article 10 de la directive 80/778/CEE . La question préjudicielle doit donc être comprise, en substance, comme visant à savoir sous quelles conditions les autorités nationales sont habilitées à autoriser, en vertu de l' article 10, paragraphe 1, de la directive 80/778/CEE, un dépassement des concentrations maximales autorisées, énoncées à l' annexe I . Dotée de cette signification, la demande de décision à titre préjudiciel du Pretore de Turin est recevable .

    II - Au fond

    16 . Pour pouvoir aider la juridiction de renvoi à interpréter le droit communautaire en vue de son application, il est nécessaire de concrétiser les conditions de fait auxquelles sont subordonnées les règles de dérogation de la directive 80/778/CEE . Cette démarche doit s' inscrire dans le cadre de la finalité générale de l' acte communautaire et de son économie .

    17 . La Commission est d' avis que les valeurs maximales de la directive doivent être respectées strictement, les possibilités de dérogation ne pouvant être utilisées que de manière restrictive . A l' inverse, le gouvernement italien veut se réserver un pouvoir discrétionnaire relativement large dans l' appréciation de l' existence des conditions pouvant justifier des dérogations .

    18 . L' adoption de la directive est inspirée par le souci d' instaurer des conditions de concurrence égales dans l' ensemble de la Communauté, de réaliser un développement harmonieux des activités économiques et de parvenir en même temps à une amélioration des conditions de vie ( deuxième et troisième considérants ). En ce qui concerne les normes de qualité pour la production d' eau alimentaire, une directive communautaire a déjà été arrêtée en juin 1975 ( 11 ). Le domaine d' application de la directive 80/778/CEE est plus large, mais il englobe également les eaux superficielles destinées à l' approvisionnement en eau alimentaire, de sorte que la directive instaure dans ce domaine des exigences de qualité supplémentaires .

    19 . Les États membres sont donc autorisés à arrêter des dérogations aux normes de qualité de la directive . Différentes situations peuvent justifier ces dérogations : l' article 9 de la directive constitue à cet égard la base juridique pour des dérogations en cas de conditions géographiques et météorologiques particulières . Selon l' article 20 de la directive, le délai de transposition peut être prorogé pour certaines valeurs dans des "cas exceptionnels" non autrement précisés . L' article 10 comporte en outre, pour les cas de "circonstances accidentelles graves", une règle de compétence en matière de dérogations aux valeurs fixées par l' annexe I .

    20 . Dans les considérants de la directive ( onzième considérant ), il est expressément mentionné que les États membres sont autorisés à arrêter des dérogations à la directive pour "tenir compte de situations particulières ". Cette formulation indique déjà que la directive doit être dotée d' une certaine souplesse afin de s' adapter à des circonstances exceptionnelles, ce qui milite en faveur d' une application nuancée des valeurs limites, c' est-à-dire d' une interprétation libérale des éléments de fait pouvant donner lieu à des dérogations . En outre, cette "flexibilité" dans l' application est mentionnée expressément par le texte de la directive dans toutes les langues communautaires ( 12 ) sauf dans les versions allemande et anglaise . Dans ces conditions, la directive doit être interprétée dans le sens d' une garantie de souplesse, c' est-à-dire de flexibilité . Cela résulte expressément de presque toutes les versions linguistiques et n' est pas non plus contraire au contenu des formulations allemande et anglaise . L' intention ainsi formulée en vue de l' application de la directive dans les États membres permet de s' écarter de la règle de l' interprétation restrictive des éléments de fait pouvant donner lieu à des dérogations . En effet, le but déclaré de flexibilité ne peut être atteint que par le corollaire d' une application libérale des règles de dérogation .

    21 . Cela dit, en ce qui concerne la transposition des dispositions de la directive, la forme juridique choisie par les États membres importe peu ( 13 ). Il est dès lors indifférent, pour l' appréciation en droit communautaire, que toutes les dispositions de la directive aient été transposées dans l' ordre juridique de l' État membre par un acte juridique unique, le décret précité du président du Conseil des ministres du 8 février 1985, ou que les dispositions prévoyant des dérogations aient été transposées en droit national par des actes juridiques distincts .

    22 . La seule règle de dérogation de la directive susceptible de s' appliquer en l' espèce est - comme les parties l' ont d' ailleurs constaté de manière concordante - l' article 10 de la directive . L' article 10 offre la possibilité de déroger aux "concentrations maximales admissibles" fixées par les dispositions combinées de l' article 7 et de l' annexe I de la directive . Relèvent de cette catégorie les substances nocives que sont l' atrazine et le molinate, dont la présence dans l' eau en quantités non négligeables est à l' origine de la présente affaire .

    23 . La première condition du recours à l' habilitation, prévue par l' article 10, paragraphe 1, de la directive, à arrêter une dérogation est la présence d' une "circonstance accidentelle grave ". La qualification des conditions d' une pareille circonstance accidentelle grave fait déjà l' objet d' un désaccord entre les parties . Selon le point de vue de la Commission, elle présuppose un événement imprévu, inattendu, survenant brusquement . A cela, le gouvernement italien objecte que l' existence d' une circonstance accidentelle grave n' est pas fonction de la manière dont est engendrée la situation d' exception, mais que seul l' état d' exception ainsi créé est déterminant . Il estime que si l' on retenait uniquement les causes indépendantes du comportement humain, des situations accidentelles graves typiques, comme l' empoisonnement des conduites d' eau lors d' un attentat terroriste, ne relèveraient pas du domaine d' application de la disposition ( 14 ).

    24 . L' existence d' une "circonstance accidentelle grave" devrait pouvoir être appréciée indépendamment de son origine . Il faut donc envisager aussi bien les événements naturels que les comportements humains . Une limitation aux seuls événements indépendants du comportement humain restreindrait inutilement le domaine d' application de la disposition . L' article 10 de la directive devrait être en principe applicable à toutes les circonstances accidentelles graves, quelle qu' en soit l' origine .

    25 . Pour caractériser les autres aspects de la circonstance accidentelle grave, il faut tenir compte du contexte dans lequel se situe le terme juridique en cause . La notion de "circonstance accidentelle grave" implique certes une survenance rapide de la situation d' exception . La définition de la circonstance accidentelle grave ne peut cependant être dissociée des autres conditions de fait . Il convient notamment de tenir compte de la dernière condition énumérée par l' article 10, paragraphe 1, à savoir l' impossibilité d' assurer d' une autre façon l' approvisionnement en eau potable .

    26 . La terminologie afférente à cette dernière condition appelle cependant une remarque préliminaire . Les versions allemande et danoise de la directive sont les seules à parler, à l' article 10, paragraphe 1, de l' "approvisionnement en eau potable ". Dans les textes officiels de toutes les autres langues communautaires, il est question, à l' instar du titre de la directive, d' "eau destinée à la consommation humaine ". La notion d' "eau destinée à la consommation humaine" est plus large que l' expression "approvisionnement en eau potable", puisqu' elle englobe aussi d' autres modes de production que l' utilisation des eaux superficielles ( 15 ). En outre, l' article 10, paragraphe 2, comporte un régime de dérogations propre destiné à assurer l' approvisionnement en eau potable au moyen d' eau superficielle . Tant le raisonnement selon lequel l' article 10 prévoit logiquement tout d' abord un régime de dérogations pour l' ensemble du domaine d' application de la directive que le fait qu' une disposition spécifique ait été adoptée en ce qui concerne la production d' eau potable au moyen d' eau superficielle militent en faveur de la thèse selon laquelle la version concordante que l' on trouve dans sept langues officielles constitue aussi la version authentique .

    27 . L' incapacité d' assurer l' approvisionnement en eau destinée à la consommation humaine est une caractéristique essentielle de la circonstance accidentelle grave . Certes - et il y a lieu sur ce point de suivre les énonciations du gouvernement italien 14 -, un État membre ne peut invoquer une circonstance accidentelle grave pour justifier un manquement antérieur de sa part . Par contre, si l' État membre se voit confronté au problème de ne pas pouvoir respecter les valeurs prescrites par la directive et s' il prend des mesures pour remédier à cette situation, il devrait avoir, selon l' objet et le but du régime, la possibilité d' invoquer la règle de dérogation pour une période transitoire . S' il n' est pas possible d' obtenir immédiatement les valeurs de la directive, l' on se trouverait autrement en présence d' un comportement enfreignant le droit communautaire sans que l' État membre puisse rétablir une situation conforme au droit communautaire .

    28 . Il y a lieu d' examiner de plus près la question de savoir dans quelles circonstances l' approvisionnement en eau destinée à la consommation humaine n' est pas réalisé . Il faut notamment se demander si un approvisionnement d' urgence à l' aide de réservoirs et de citernes constitue encore un approvisionnement suffisant, de sorte qu' il ne serait pas possible de recourir au régime de dérogations .

    29 . Une obligation imposée par un acte juridique de transformer l' approvisionnement en eau pour éviter une dérogation au titre de l' article 10 de la directive ne pourrait trouver une justification que si cela permettait d' améliorer l' approvisionnement du point de vue qualitatif . Or, cela ne serait justement pas garanti dans le cas de l' approvisionnement d' urgence que nous venons d' évoquer . L' objet et le but des conditions de fait auxquelles est subordonnée une dérogation ne peuvent aboutir à obliger l' État membre à procéder à un approvisionnement en eau de qualité moindre et d' un coût plus élevé avant d' avoir le droit d' arrêter la dérogation .

    30 . En outre, l' État membre doit conserver une marge d' appréciation quant au point de savoir dans quelle mesure la mise en valeur d' autres sources d' approvisionnement présente une justification et un intérêt économiques .

    31 . Un autre argument selon lequel il faut se placer dans l' optique d' un approvisionnement régulier en eau au moyen du réseau de distribution découle d' un examen des dispositions concernant l' eau alimentaire . L' article 1er, paragraphe 2, de la directive 75/440/CEE énonce : "Sont considérées, pour l' application de la présente directive, comme eau alimentaire, toutes les eaux superficielles destinées à la consommation humaine et fournies par des réseaux de canalisation à l' usage de la collectivité ."

    32 . La nécessité d' une interprétation libérale du paragraphe 1 de l' article 10 découle également du fait que le paragraphe 2 prévoit des possibilités de dérogation pour garantir l' approvisionnement en eau potable au moyen d' eau superficielle, sans que la mise en jeu de cette disposition soit expressément subordonnée à l' existence d' une circonstance accidentelle grave . Ce texte se borne à énoncer : "lorsqu' un État membre est contraint ...", les autres conditions de fait des paragraphes 1 et 2 étant les mêmes . Au demeurant, la juridiction de renvoi devrait tenir compte également, dans l' appréciation de la licéité des arrêtés nationaux, du régime de l' article 10, paragraphe 2 .

    33 . Les dérogations sont a priori licites pendant une "période de temps limitée ". Les parties sont également en désaccord sur la manière dont cette "période de temps limitée" doit être évaluée . Dans l' affaire au principal, le régime dérogatoire a été tout d' abord institué pour six mois . En même temps, des mesures visant à éliminer les valeurs augmentées de substances nocives ont été prescrites par le même acte juridique ( 16 ). Avant l' expiration du délai de six mois, la durée de validité de l' intégralité de la décision a été prorogée d' un an ( 17 ). Une valeur limite d' un microgramme pour l' atrazine était ainsi permise pour une période d' un an et demi, au lieu d' une valeur de 0,1 microgramme comme prévu par la directive . Bien avant l' expiration de la durée de validité de la dernière décision citée, de nouvelles valeurs limites, plus élevées, ont été autorisées en avril 1987 tant pour l' atrazine ( 1,7 microgramme ) que, pour la première fois, pour le molinate ( 6 microgrammes ).

    34 . Cette nouvelle intervention législative fait apparaître qu' il n' a pas été possible d' assurer le respect des valeurs limites moins élevées à une date antérieure . Enfin, des dérogations aux valeurs de la directive sont à nouveau permises - comme il a été exposé au cours de la procédure orale par le représentant du gouvernement italien - jusqu' à fin 1988 . Par rapport à la décision précédente, les valeurs limite ont cependant été réduites ( 1 microgramme d' atrazine, 4 microgrammes de molinate ). Au total, des dérogations ont donc été autorisées pour une période de deux ans et demi .

    35 . La Commission estime que cela ne satisfait pas aux exigences du critère d' une "période de temps limitée ". Il faut constater, à cet égard, que la directive ne donne pas d' indication sur la durée absolue d' un régime dérogatoire licite . Les différents actes juridiques nationaux étaient limités dans le temps, même une totalisation de leurs durées de validité aboutissant à une période de temps contrôlable . Or, il n' est pas souhaitable d' établir une valeur absolue pour caractériser une "période de temps limitée ". Il faut au contraire se livrer ici encore à une évaluation dans laquelle doivent intervenir des éléments tels que l' intensité des mesures visant à remédier à une circonstance accidentelle grave, la possibilité de mesures alternatives ainsi que le besoin d' autoriser des valeurs limites augmentées .

    36 . Le seul fait que la durée de validité d' un régime dérogatoire est prorogée ne suffit donc pas à faire obstacle à sa licéité . Toutefois, la reconduction aveugle d' une dérogation adoptée une fois ne peut être licite . Lors de la prorogation, il est nécessaire, comme lors de l' adoption du régime, de vérifier le besoin auquel correspond la mesure, compte tenu des circonstances qui l' entourent .

    37 . Les divers régimes dérogatoires prévus par l' article 10 ne peuvent être arrêtés que dans la mesure où cela "ne présente aucun risque inacceptable pour la santé publique ". Le problème est de savoir quelles conditions doivent être remplies pour satisfaire à ce critère .

    38 . La Commission est d' avis ( 18 ) qu' il incombe à l' État membre d' apporter la preuve de l' innocuité des mesures, ce qui implique non seulement de s' attacher aux effets de chacune des substances en cause ( atrazine et molinate ), mais également de prendre en compte ceux d' autres substances toxiques et leur effet conjugué ( synergie ). Elle estime que l' on ne peut pas "exclure de manière absolue", en l' espèce, un risque pour la santé publique ( 19 ). Le fait qu' il est possible de déduire des concentrations maximales admissibles de substances nocives prévues par la directive une présomption de nuisibilité de ces substances au-delà des valeurs limites plaide en faveur de cet argument .

    39 . Le gouvernement italien oppose à cela qu' il ne s' agit pas en l' occurrence d' une question classique de répartition de la charge de la preuve . Les considérations suivantes militent en faveur de ce point de vue : la Commission elle-même n' a pas prétendu que, en cas de dépassement des valeurs de la directive, il existait un risque concret pour la santé humaine . La directive poursuit l' objectif, il est vrai, d' améliorer la qualité de la vie . Cela ne signifie cependant pas qu' au-dessus des valeurs limites de la directive, il faille retenir l' existence ou même seulement l' hypothèse d' une nuisibilité pour la santé . La possibilité de principe de déroger à ces valeurs sous certaines conditions plaide justement à l' encontre d' un risque absolu . Le libellé de la disposition de la directive, selon lequel un risque inacceptable fait obstacle à la dérogation, permet également de conclure que l' on doit, le cas échéant, s' accommoder d' un risque léger . La simple augmentation potentielle d' un risque, qui doit toujours être supposée en cas de dépassement des valeurs de la directive, ne peut suffire à faire obstacle à un régime dérogatoire . La possibilité de dérogation serait privée de sa signification et de son domaine d' application si l' on se contentait de cette augmentation théorique du risque pour faire échec à un régime dérogatoire .

    40 . Le fait qu' il n' y a pas lieu de répartir la charge de la preuve comme le voudrait la Commission résulte également de ce que, dans le cas contraire, l' État membre devrait prouver l' absence de certaines circonstances sans que la norme fournisse des critères concrets permettant d' appréhender les circonstances . Ces impondérables concernant la question de la preuve ne peuvent permettre de critiquer l' action d' un État membre dans le cadre de la norme d' habilitation de l' article 10 de la directive . Le "risque inacceptable" pour la santé publique, exigé par la directive, doit être au moins probable pour que cet élément puisse empêcher une dérogation . Dans la mesure où il n' y a pas de probabilité, l' État membre dispose d' une marge d' appréciation . La flexibilité voulue par la directive ne peut être logiquement atteinte que par le biais d' un pouvoir d' appréciation des conditions de dérogation par l' État membre . Cette évaluation doit cependant prendre en compte la synergie des substances nocives .

    41 . Il y a enfin lieu de déterminer dans quelle mesure la violation de l' obligation d' informer la Commission après l' adoption de la mesure peut faire obstacle à sa licéité ( article 10, paragraphe 3, de la directive 80/778/CEE ). Comme il s' agit en l' occurrence d' une information donnée a posteriori, cette communication ne peut constituer une condition de validité comme le serait par exemple une autorisation devant être demandée . La Commission n' étant informée de la dérogation qu' une fois que l' évaluation a été menée à son terme, même en cas de comportement correct de l' État membre, l' on ne peut pas non plus partir du principe que la Commission devrait être dotée, par le biais de l' article 10, paragraphe 3, d' une possibilité d' influer sur l' élaboration de la mesure concrète . L' omission ou le retard de la communication apparaît comme un comportement de l' État membre contraire au droit communautaire . Il ne fait cependant pas obstacle à la validité d' une disposition dérogatoire dont l' adoption est par ailleurs licite .

    42 . Les frais exposés par le gouvernement italien ainsi que par la Commission ne peuvent faire l' objet d' un remboursement . Il appartient à la juridiction nationale de statuer sur les dépens de la procédure préjudicielle ( article 104, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour ).

    C - Conclusion

    Nous proposons qu' il soit répondu ainsi qu' il suit à la juridiction de renvoi :

    43 . L' on se trouve en présence d' un régime dérogatoire conciliable avec l' article 10, paragraphe 1, de la directive 80/778/CEE lorsque toutes les conditions de fait sont réunies, les États membres disposant d' une grande latitude dans l' appréciation des différentes conditions .

    (*) Traduit de l' allemand .

    ( 1 ) JO L 229 du 30.8.1980, p . 11 .

    ( 2 ) Arrêt du 30 juin 1966 dans l' affaire 61/65, Vaassen-Goebbels, Rec . p . 377 .

    ( 3 ) Arrêt de la Cour du 21 février 1974 dans l' affaire 162/73, Birra Dreher/Amministrazione delle finanze dello Stato, Rec . p . 201 .

    ( 4 ) Arrêt de la Cour du 11 juin 1987 dans l' affaire 14/86, Pretore di Salò/X, Rec . p . 2545 .

    ( 5 ) Arrêt du 16 décembre 1981 dans l' affaire 244/80, P . Foglia/M . Novello, Rec . p . 3045, points 15 et siuv . des motifs .

    ( 6 ) Loc . cit ., point 7 des motifs .

    ( 7 ) Affaire 244/80, loc . cit .

    ( 8 ) Voir, en ce qui concerne le stade de la procédure au principal dans la procédure préjudicielle, l' arrêt du 10 mars 1981 dans les affaires jointes 36 et 71/80, Irish Creamery Milk Suppliers Association et autres/Gouvernement d' Irlande et autres, Rec . p . 735 .

    ( 9 ) Voir l' arrêt du 29 novembre 1978 dans l' affaire 83/78, Pigs Marketing Board/Raymond Redmond, Rec . p . 2347, et, en dernier lieu, l' arrêt du 20 avril 1988 dans l' affaire 204/87, Bekaert/République française, Rec . p . 0000 .

    ( 10 ) Affaire 204/87, loc . cit ., points 5 et suiv . des motifs .

    ( 11 ) Directive 75/440/CEE du Conseil, du 16 juin 1975 ( JO L 194, p . 26 ).

    ( 12 ) En langue danoise : en vis smidighed

    En langue grecque : enilixir

    En langue espagnole : una cierta flexibilidad

    En langue française : une certaine souplesse

    En langue italienne : una certa elasticità

    En langue néerlandaise : een zekere soepelheid

    En langue portugaise : uma certa flexibilidade

    ( 13 ) Article 189 du traité CEE .

    ( 14 ) Voir p . 10 du procès-verbal de l' audience .

    ( 15 ) Voir article 1er de la directive 75/440/CEE .

    ( 16 ) Voir la décision du ministère de la Santé du 25 juin 1986 qui prévoit une durée de validité allant jusqu' au 31 décembre 1986 .

    ( 17 ) Voir la décision du 22 décembre 1986, en vigueur jusqu' au 31 décembre 1987 .

    ( 18 ) Voir p . 17 du procès-verbal de l' audience .

    ( 19 ) "On se retrouve donc dans une hypothèse où il n' est pas possible d' exclure de manière absolue, comme le fait la directive, un risque inacceptable pour la santé publique ."

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