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Document 61986CC0063

Conclusions de l'avocat général Cruz Vilaça présentées le 22 octobre 1987.
Commission des Communautés européennes contre République italienne.
Recours en manquement - Exigence de nationalité pour accès aux logements sociaux et au crédit foncier à taux réduit.
Affaire 63/86.

Recueil de jurisprudence 1988 -00029

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1987:455

61986C0063

Conclusions de l'avocat général Vilaça présentées le 22 octobre 1987. - Commission des Communautés européennes contre République italienne. - Recours en manquement - Exigence de nationalité pour accès aux logements sociaux et au crédit foncier à taux réduit. - Affaire 63/86.

Recueil de jurisprudence 1988 page 00029


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La requête introduite par la Commission devant la Cour au titre de l' article 169 du traité CEE tend à faire constater que la République italienne, en réservant exclusivement aux ressortissants italiens, dans divers textes nationaux et régionaux, l' accession à la propriété et à la location de logements construits ou reconstruits avec le concours de fonds publics, ainsi que l' accès au crédit foncier à taux réduit, a introduit et maintenu dans sa législation une discrimination fondée sur la nationalité susceptible de créer des obstacles au droit d' établissement, à la libre prestation de services et à la libre circulation des travailleurs, manquant ainsi aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 48, 52 et 59 du traité CEE, et de l' article 9, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n°*1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968 ( 1 ).

2 . Cette affaire a été suscitée par une plainte déposée devant la Commission par un ressortissant belge résidant près de Bologne, où il exerçait son activité professionnelle ( de manière indépendante, semble-t-il ), un prêt foncier à taux réduit pour l' achat d' un appartement dans la région où il vivait lui ayant été refusé parce qu' il ne possédait pas la nationalité italienne .

3 . Ayant analysé, à la suite de cette plainte, la législation italienne applicable, la Commission a conclu que le déclenchement de la procédure prévue à l' article 169 du traité était justifié .

4 . Tentant d' éviter l' introduction d' un recours contentieux, le gouvernement italien a adressé aux régions et aux instituts nationaux de construction de logements une circulaire dans laquelle, après avoir reconnu que les réglementations en cause créaient effectivement une discrimination entre ressortissants italiens et non italiens du point de vue de l' accès au logement, il estime que les dispositions nationales - quoique encore en vigueur et applicables aux ressortissants de pays tiers - devraient être lues en liaison avec les règles communautaires directement applicables, de telle sorte que les ressortissants d' autres États membres exerçant leur activité principale en Italie et ( ou ) y résidant devraient être assimilés aux ressortissants italiens en ce qui concerne l' attribution de logements construits à l' initiative du secteur public et l' accès aux avantages liés aux aides de l' État en matière de logement .

5 . Au cours de la procédure écrite, les allégations des parties - dont les arguments sont résumés dans le rapport d' audience - ont principalement porté sur deux questions .

6 . A - La question de savoir s' il est possible de mettre fin au manquement relevé au moyen d' une circulaire interprétative .

7 . B - La question de savoir si le principe de l' égalité de traitement ( ou de non-discrimination ) est applicable, dans le domaine en cause, en matière de liberté d' établissement ( article 52 du traité ) et de libre prestation des services ( article 59 du traité ).

8 . En ce qui concerne les travailleurs salariés, le gouvernement italien a admis, au cours de la procédure écrite, que le principe de non-discrimination leur était pleinement applicable, et c' est pourquoi il a reconnu que la législation italienne n' était pas conforme à leur égard aux dispositions de l' article 48 du traité et de l' article 9, paragraphe 1, du règlement n°*1612/68 .

9 . Cependant, la Commission a annoncé, à l' audience, que, par un décret du président du Conseil des ministres du 15 mai 1987, l' Italie avait assimilé aux citoyens italiens les travailleurs salariés ressortissants des autres États membres qui résident en Italie, mettant ainsi fin, à leur égard, à l' infraction alléguée . La Commission a renoncé à la partie de ses griefs concernant ces travailleurs, estimant donc que la violation alléguée de l' article 48 du traité et de l' article 9, paragraphe 1, du règlement n°*1612/68 avait cessé .

10 . Restent donc les deux autres questions évoquées sous A et*B .

A - La possibilité de mettre fin au manquement au moyen d' une circulaire

11 . Sur cette question, on peut dire, pour résumer, ce qui suit :

1)*comme la Commission l' a souligné, et comme le gouvernement italien l' a implicitement admis dans sa réponse à l' avis motivé complémentaire, le texte de la circulaire présente diverses ambiguïtés et insuffisances qui ne lui permettent pas - alors que c' était son objectif - de rendre intelligibles le sens et la portée du droit communautaire applicable avec toutes ses exigences;

2)*ce fait mis à part, une circulaire ministérielle est un document de nature administrative qui ne donne pas lieu à une publicité adéquate, en particulier au Journal officiel, et, s' il est certes susceptible de s' imposer à l' intérieur de l' administration à laquelle s' applique le pouvoir hiérarchique de son auteur, il ne saurait ni prévaloir contre le pouvoir législatif des régions ni lier les services qui ne sont pas rattachés à l' administration centrale par un lien de subordination hiérarchique;

3)*selon la jurisprudence bien établie de la Cour ( 2 ), "le maintien, dans la législation d' un État membre, d' un texte incompatible avec le traité donne lieu à une situation de fait ambiguë en maintenant les sujets de droit concernés dans un état d' incertitude quant aux possibilités qui leur sont réservées de faire appel au droit communautaire ". C' est ainsi que la Cour a jugé ( 3 ) que "l' incompatibilité de la législation nationale avec les dispositions du traité, même directement applicables, ne peut être définitivement éliminée qu' au moyen de dispositions internes à caractère contraignant ayant la même valeur juridique que celles qui doivent être modifiées . Comme la Cour l' a déclaré dans une jurisprudence constante relative à la mise en oeuvre des directives par les États membres, de simples pratiques administratives, par nature modifiables au gré de l' administration et dépourvues d' une publicité adéquate, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution valable des obligations du traité";

4)*dans le cas présent, l' état d' insécurité des situations juridiques résultant de l' existence éventuelle de dispositions incompatibles avec le traité est aggravé par le fait que diverses lois de portée nationale et régionale sont en cause; le défaut d' efficacité juridique appropriée de la circulaire a en outre été confirmé - comme la Commission l' a noté - par l' adoption d' une nouvelle loi discriminatoire dans la région vénitienne, quelques mois après la diffusion de la circulaire .

12 . Dans le cas où l' on conclut à l' incompatibilité des normes italiennes avec le droit communautaire, il est donc hors de question de rechercher si la circulaire, après avoir été reformulée et son contenu clarifié, est, sous réserve de publication officielle, un instrument adéquat pour mettre fin à l' infraction "à titre provisoire" - comme la Commission semble le penser -, alors qu' on attend l' adoption d' une législation conforme au traité .

13 . De même, il est hors de question d' établir une distinction - comme le propose le gouvernement italien - entre les normes ayant une "teneur radicalement contraire à un principe ou à une règle communautaires" et les autres, distinction dont on perçoit malaisément le sens, surtout s' agissant d' éventuelles infractions au principe de non-discrimination consacré dans des termes généraux par l' article 7 du traité .

14 . La question de la circulaire étant réglée, il convient donc d' analyser si, et, le cas échéant, dans quelle mesure, la législation italienne qui fait l' objet du recours enfreint les règles communautaires en matière de droit d' établissement et de libre prestation des services, c' est-à-dire les articles 52 et 59 du traité .

B - L' infraction alléguée aux articles 52 et 59 du traité

15 . a)*La façon dont la Commission a orienté son argumentation au cours de la procédure écrite, en particulier dans sa réplique ( point*9 ), a donné à croire qu' elle entendrait diriger le recours non seulement contre la condition de nationalité incluse dans les dispositions italiennes en cause, mais aussi contre les conditions de résidence ou d' activité principale également posées par les dispositions concernées ( notamment le décret du président de la République n°*1035 du 30 décembre 1972 ( 4 )) pour l' accès aux avantages liés au logement social, ces conditions pouvant être considérées comme susceptibles de donner lieu à une discrimination indirecte .

16 . Les conclusions de la requête sont cependant limitées formellement à la condition expresse de nationalité figurant dans la législation italienne, et on ne saurait donc admettre que l' objet du recours soit élargi .

17 . Nous croyons, pourtant, qu' une situation confuse est née des termes de la discussion qui, de façon surprenante, s' est engagée à propos de la teneur de la circulaire des autorités italiennes; en tout état de cause, la Commission a précisé à l' audience que le recours était seulement dirigé contre la condition expresse de nationalité italienne, qui est manifestement discriminatoire et contraire à l' article 7 du traité .

18 . b)*Cet article 7 prohibe en effet, sans préjudice des dispositions particulières, "toute discrimination exercée en raison de la nationalité", "dans le domaine d' application du présent traité" ( c' est nous qui soulignons ).

19 . Il convient donc de se demander si, et, le cas échéant, dans quelle mesure, cette condition de nationalité est susceptible de créer un obstacle à la réalisation des objectifs des articles 52 et 59 du traité en matière de liberté d' établissement et de libre prestation de services, et de constituer, par conséquent, une discrimination interdite .

20 . Les arrêts Reyners ( 5 ) et Van Binsbergen ( 6 ) ont résolu une fois pour toutes la question de l' applicabilité directe des articles 52 et 59 du traité à l' expiration de la période de transition prévue par le traité .

21 . Pour fixer la portée de cet effet direct, la Cour a ainsi distingué l' élimination des obstacles à la liberté d' établissement et des restrictions à la libre prestation des services, d' une part, et l' adoption de mesures destinées à favoriser l' exercice effectif de ces libertés, d' autre part .

22 . Sur le premier aspect, la Cour a jugé :

a ) "qu' en fixant à la fin de la période de transition la réalisation de la liberté d' établissement, l' article 52 prescrit *... une obligation de résultat précise, dont l' exécution devait être facilitée, mais non conditionnée, par la mise en oeuvre d' un programme de mesures progressives" ( Reyners, point*26 ) et, à partir de ce moment, les directives prévues par le chapitre relatif au droit d' établissement sont ainsi devenues superflues "pour la mise en oeuvre de la règle du traitement national, celle-ci étant désormais consacrée, avec effet direct, par le traité lui-même" ( point30 );

b ) "que les dispositions de l' article 59, dont l' application devait être préparée au moyen de directives pendant la période de transition, sont ainsi devenues inconditionnelles à l' expiration de celle-ci" ( Van Binsbergen, point*24 ), ce qui implique, en particulier, "l' élimination de toutes discriminations à l' encontre du prestataire en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu' il réside dans un État membre autre que celui où la prestation doit être fournie" ( point*27 ).

23 . Sur le second aspect indiqué, la Cour a admis que les directives prévues par le traité ont conservé un champ d' application important dans le domaine des mesures devant être introduites dans la législation des États membres afin de favoriser ou de faciliter l' exercice de ces libertés .

24 . La limite entre ces deux aspects est néanmoins restée en grande partie imprécise .

25 . Dans les arrêts Reyners et Van Binsbergen, c' est l' existence de restrictions directes à l' exercice du droit d' établissement et de la libre prestation des services, fondées sur la nationalité ou la résidence des intéressés, qui était en cause .

26 . Par la suite, la Cour a condamné certaines discriminations imposées à des travailleurs indépendants en raison de leur nationalité alors qu' étaient en cause non pas des mesures empêchant le droit d' établissement, mais simplement des règles dont la suppression aurait favorisé l' exercice de ce droit .

27 . Ce fut notamment le cas des arrêts du 18 juin 1985 ( affaire 197/84, Steinhauser ( 7 )) et du 28 janvier 1986 ( affaire 270/83, Commission/France, "avoir fiscal" ( 8 )).

28 . Pourtant, il s' agissait encore, dans ces affaires, de conditions clairement liées à l' exercice de l' activité entendu, comme la Cour l' a dit dans l' arrêt Steinhauser ( point*16 ), "au sens large ". Quoi qu' il en soit, la Cour a déjà jugé, dans la première affaire ( Steinhauser, point*16 ), que "la location d' un local à usage professionnel est utile à l' exercice de l' activité professionnelle et rentre donc dans le champ d' application de l' article 52 du traité CEE" ( c' est nous qui soulignons ).

29 . C' est dans la même ligne que se situe l' arrêt Segers du 10 juillet 1986 ( affaire 79/85, Rec . p.*2375 ), où la Cour s' est peut-être même un peu plus éloignée de la simple prise en compte des conditions directement liées à l' exercice de l' activité par le titulaire du droit d' établissement, jugeant - en s' appuyant notamment sur le programme général pour la suppression des restrictions à la liberté d' établissement du Conseil du 18 décembre 1961 - que "l' exigence d' un traitement national d' une société constituée en conformité avec le droit d' un autre État membre implique le droit d' affiliation du personnel de cette société à un régime déterminé de sécurité sociale" et qu' "une discrimination du personnel quant à la protection sociale restreint indirectement la liberté des sociétés d' un autre État membre de s' établir, par le biais d' une agence, succursale ou filiale, dans l' État membre concerné ".

30 . Mais la Cour a admis, dès l' arrêt Choquet du 28 novembre 1978 ( 9 ), en analysant la situation créée par l' obligation imposée aux ressortissants d' autres États membres établis depuis plus d' une année en République fédérale d' Allemagne et titulaires d' un permis de conduire étranger d' acquérir un permis de conduire allemand, qu' une réglementation de ce genre pourrait, en certaines circonstances, porter atteinte "au libre exercice, par les personnes visées, des droits que les articles 48, 52 et 59 du traité leur garantissent au titre de la libre circulation des personnes, de la liberté d' établissement ou de la libre prestation des services", et qu' elle devrait donc être considérée comme contraire au droit communautaire ( point*8 ).

31 . La Cour s' est pourtant encore davantage éloignée des conditions liées à l' exercice de l' activité dans l' arrêt Mutsch du 11 juillet 1985 ( 10 ), en reconnaissant à un travailleur ressortissant d' un État membre et domicilié dans un autre État membre "le droit de demander qu' une procédure pénale engagée à son égard se déroule dans une langue autre que la langue de procédure normalement utilisée devant la juridiction saisie si les travailleurs nationaux peuvent, dans les mêmes conditions, bénéficier de ce droit" ( point*18 ). La Cour a donc expressément fait entrer la règle de l' égalité de traitement dans le domaine de la sphère privée du travailleur .

32 . Mais il s' agissait là de la situation d' un travailleur salarié et la Cour a estimé que la faculté en cause relevait de la notion d' "avantages sociaux" qui figure à l' article 7, paragraphe 2, du règlement n°*1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l' intérieur de la Communauté ( 11 ), selon lequel le travailleur ressortissant d' un autre État membre doit bénéficier dans le pays d' accueil "des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux ". La Cour a compris sous cette expression, comme dans l' arrêt Even du 31 mai 1978 ( 12 ), tous les avantages "qui, liés ou non à un contrat d' emploi, sont généralement reconnus aux travailleurs nationaux, en raison principalement de leur qualité objective de travailleurs ou du simple fait de leur résidence sur le territoire national ".

33 . Cette interprétation s' appuie cependant sur une disposition expresse d' un règlement adopté en vue de promouvoir la réalisation de la libre circulation des travailleurs salariés, alors qu' il n' existe pas de disposition correspondante pour les travailleurs indépendants .

34 . On peut donc se demander si, à l' égard de ces travailleurs ( établis ou fournissant des prestations de services dans un autre État membre ), le droit à un traitement égal s' étend également aux aspects non liés fonctionnellement à l' exercice de l' activité professionnelle, mais faisant partie de la sphère privée ( comme c' est le cas de l' accès à un logement dans des conditions spéciales ).

35 . c)*Examinons, en premier lieu, la situation du travailleur qui se trouve établi dans un autre État membre ( en l' espèce, l' Italie ).

36 . Il semble, du reste, que c' est cette situation qui a déclenché le recours de la Commission à la procédure de l' article 169 du traité .

37 . Limitons-nous pour le moment au cas d' une personne établie à titre principal en Italie .

38 . Il faut noter que ce qui est en cause, ce n' est ni le droit d' acquérir ou de louer des biens immobiliers destinés à l' exercice de l' activité professionnelle ni l' accession pure et simple à la propriété immobilière, mais bien les conditions d' accès au logement à caractère social et au crédit au logement à taux bonifié prévues dans la législation italienne . Selon les informations fournies à l' audience, outre la condition de nationalité italienne, la législation en cause ( en particulier l' article 2 du décret du président de la République n°*1035/72 ) énumère diverses autres conditions pour l' attribution des logements ou la concession des avantages qui y sont liés . Il faut notamment résider ou exercer son activité principale dans la commune où se trouve le logement, ne pas avoir d' autre immeuble sur le lieu où l' aide est demandée, ne pas avoir bénéficié par un autre canal de l' aide publique au logement et disposer d' un revenu familial inférieur à une limite déterminée .

39 . Comme le représentant de la République italienne l' a expliqué, le système en cause est destiné aux personnes et aux familles à faibles ressources auxquelles on entend assurer des conditions d' accès au logement en rapport avec leur lieu de travail; l' intervention est menée à bien avec les ressources budgétaires de l' État, ce qui lui permet de remédier aux difficultés que peuvent rencontrer les catégories à plus bas revenus qui ont plus de difficultés à résoudre le problème du logement sur le marché libre .

40 . Cette circonstance fait évidemment de ce domaine un domaine sensible de la politique sociale de l' État central ou des régions, auquel sont liées des considérations d' ordre financier qui obligent normalement à l' entourer de certaines précautions .

41 . Mais, en contrepartie, c' est cette circonstance qui nous permet d' établir le lien indispensable avec la problématique du droit d' établissement .

42 . Il s' agit en effet d' un domaine qui - compte tenu des conditions posées - ne pourra concerner, pour ce qui est des travailleurs indépendants, que les dirigeants de petites ou, au plus, de moyennes entreprises, pour la plupart des chefs d' entreprises individuelles ou de caractère familial .

43 . En pareil cas, la constitution d' une entreprise se confond généralement avec l' accès personnel à une activité indépendante .

44 . Pour ce type d' agents économiques, la séparation entre l' activité professionnelle et les conditions de vie personnelle et familiale, en particulier les conditions de logement, est particulièrement ténue . Le statut social et économique de ces professions se rapproche de celui du travailleur salarié et c' est cela même qui a incité l' agent du gouvernement italien à estimer à l' audience qu' ils étaient assimilables .

45 . Il n' en est évidemment pas de même pour les propriétaires d' une grande société, mais ceux-ci seront difficilement en mesure de répondre aux autres conditions posées par la législation italienne pour l' attribution de logements sociaux - conditions non discriminatoires en elles-mêmes puisqu' elles s' appliquent à tous les intéressés, italiens ou non .

46 . Or, de même que la Cour a estimé, dans l' arrêt Mutsch ( point*16 ), que "la faculté d' utiliser sa propre langue dans une procédure devant les juridictions de l' État membre de résidence, aux mêmes conditions que les travailleurs nationaux, contribue de manière importante à l' intégration du travailleur migrant et de sa famille dans le milieu du pays d' accueil et, donc, à la réalisation de l' objectif de la libre circulation des travailleurs", il nous faut admettre que la possibilité d' avoir accès au logement social dans les mêmes conditions qui sont garanties aux nationaux est un instrument capital de l' intégration du travailleur indépendant et de sa famille dans le milieu du pays d' accueil et qu' elle contribue donc, de façon significative en pareil cas, à la réalisation de l' objectif de la liberté d' établissement dans le marché commun .

47 . De la reconnaissance de cette faculté peut même dépendre la possibilité de rester établi à l' étranger, comme le montre l' exemple fourni à l' audience, que le représentant de la République italienne a été invité à commenter . L' accès aux conditions particulièrement favorables du logement social peut parfaitement être, en période de difficultés conjoncturelles où l' entrepreneur serait tenu de réduire sévèrement ses dépenses, l' ultime recours auquel il serait contraint de se raccrocher pour ne pas "couler" et assurer la survie de sa petite affaire si les conditions du marché ne s' amélioraient pas .

48 . En fait, la confusion entre son patrimoine personnel et le patrimoine de l' entreprise est telle que, dans ces circonstances, tout facteur affectant celui-là est susceptible de se répercuter directement sur le sort de l' entreprise .

49 . Si, donc, la nationalité italienne est une condition d' accès au logement social, cela signifie qu' un ressortissant italien dispose de cette "soupape de sécurité", alors qu' il n' en est pas de même pour un ressortissant d' un autre État membre qui peut ainsi, dans l' incapacité de supporter les charges de son précédent logement familial, se voir obligé de fermer ses portes et, éventuellement, de rentrer dans son pays d' origine . Il s' agit pourtant de travailleurs insérés dans la vie sociale et économique du pays d' accueil, au sein de laquelle ils exercent une activité qui leur confère droits et obligations ( essentiellement d' ordre fiscal ) au même titre que les ressortissants italiens . Or, comme la Cour l' a déjà précisé dans l' arrêt Reyners, l' exercice effectif de la liberté d' établissement va également de pair avec le souci de "favoriser l' interpénétration économique et sociale à l' intérieur de la Communauté dans le domaine des activités non salariées" ( point*21 ), condition de la réalisation d' une véritable "Europe des citoyens ".

50 . Placé devant le test de cette "situation limite", l' agent du gouvernement italien a reconnu à l' audience que ce gouvernement n' avait pas la moindre "objection de principe" à la thèse de la Commission en ce qui concerne le droit d' établissement à titre principal, mais qu' il s' élevait contre l' élargissement de cette thèse à l' établissement secondaire et à la prestation de services, et contre son application aux autres conditions de fond de l' attribution des logements sociaux .

51 . Nous pensons donc qu' il se justifie que nous vous proposions d' admettre le bien-fondé du recours sur ce point, en jugeant que la condition de nationalité italienne à laquelle la législation nationale incriminée subordonne l' accès au logement social est contraire aux règles de liberté d' établissement stipulées par l' article 52 du traité CEE .

52 . C' est ainsi seulement qu' il sera possible, à notre sens, de répondre entièrement, dans le domaine d' application du traité, aux exigences qui découlent du principe fondamental de la non-discrimination ou de l' égalité de traitement consacré par l' article*7 . Comme la Cour l' a jugé dans l' arrêt Mutsch ( point*12 ), "la pleine application de cette disposition doit être assurée à toute personne qui se trouve établie sur le territoire d' un État membre dans une situation réglée par le droit communautaire ".

53 . Dans l' affaire Mutsch ( comme la Cour l' a précisé dans le point 14 de l' arrêt après cette déclaration de principe ), le lien avec le droit communautaire était établi à travers les articles 48 et 49 du traité et les dispositions du droit dérivé adoptées pour leur exécution; en l' espèce, il résulte de l' application de l' article 52 du traité ( 13 ).

54 . N' oublions pas, en outre, que le traité CEE inclut, parmi les fondements de la Communauté, la liberté d' établissement, l' une des libertés fondamentales, à côté de la libre circulation des personnes et de la libre prestation des services, qui sont garanties par les articles 3, sous c ), 48, 52 et 59 du traité ( 14 ). Quant à l' article 52, la Cour a jugé qu' il était "une des dispositions fondamentales de la Communauté" ( 15 ).

55 . Or, la Cour a donné de ces dispositions fondamentales et de leurs exigences une interprétation large, comme le démontre la jurisprudence précédemment citée ( 16 ).

56 . En revanche, l' interprétation jurisprudentielle des exceptions ou des restrictions à ces libertés a plutôt eu un caractère restrictif marqué ( 17 ).

57 . A cela s' ajoute - bien qu' on ne puisse pas dire qu' on se trouve face à des "droits normalement liés à une activité non salariée" - que les avantages auxquels il est ici question d' avoir accès se traduisent tous par des facultés du type de celles qui sont expressément prévues dans le "programme général pour la suppression des restrictions à la liberté d' établissement" ( 18 ), sous le titre III "Restrictions", et ils ne s' écartent donc pas de l' ensemble des opérations qui y sont mentionnées, dont l' objet est :

A - a ) de passer des contrats, et notamment des contrats *... de location *..., ainsi que de jouir de tous les droits découlant de ces contrats;

...

d ) d' acquérir, d' exploiter ou d' aliéner des droits et biens meubles ou immeubles;

...

f ) d' emprunter, et notamment d' accéder aux diverses formes de crédit;

g ) de bénéficier des aides directes ou indirectes accordées par l' État .

58 . Nous pensons donc - en tenant justement compte du degré d' intégration déjà atteint dans le marché commun, en particulier dans le domaine de la liberté d' établissement -, que ce petit pas supplémentaire dans la ligne jurisprudentielle déjà dégagée par la Cour s' impose .

59 . d)*En revanche, il ne nous semble pas que la législation italienne mette en cause ni le droit à l' établissement secondaire ni la libre prestation de services .

60 . En effet, dans l' un et l' autre cas, il n' existe pas, entre le travailleur indépendant et le lieu d' exercice de son activité, un lien permanent ou stable qui permette d' établir une relation suffisante entre cet exercice et les conditions d' accès au logement, ni même de conclure que les conditions auxquelles est soumis l' accès au logement seraient de nature à entraîner une discrimination effective contre ce travailleur par rapport aux nationaux .

61 . Compte tenu de la façon dont le traité se réfère respectivement au droit d' établissement et à la libre prestation des services dans ses articles 52 et 59, il nous semble effectivement important, du point de vue juridique, de faire la distinction, dans un cas comme celui-ci, entre le droit d' établissement à titre principal, d' une part, et le droit d' établissement à titre secondaire et la libre prestation des services, d' autre part, puisque les conditions posées sont différentes .

62 . En effet, alors que la première phrase de l' alinéa 1 de l' article 52 concerne simplement "les restrictions à la liberté d' établissement des ressortissants d' un État membre dans le territoire d' un autre État membre", la deuxième phrase de ce même alinéa se réfère plus spécifiquement aux "restrictions à la création d' agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d' un État membre établis sur le territoire d' un État membre" ( c' est nous qui soulignons ), que ce soit le même que celui de l' établissement secondaire ou un autre ( 19 ).

63 . Pour sa part, l' article 59 prescrit la suppression des restrictions à la libre prestation des services dans la Communauté "à l' égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation" ( c' est nous qui soulignons ).

64 . Or, ce qui est en cause dans la présente affaire, c' est la reconnaissance du droit à un avantage social qui vise à résoudre un problème d' ordre personnel et familial supposant une insertion durable dans la vie économique et sociale de la région où se situe le logement .

65 . Le fait que les ressortissants d' autres États membres soient exclus de cet avantage ne les empêche nullement d' exercer le droit d' ouvrir une agence, une succursale ou une filiale en Italie ou de s' y rendre plus ou moins régulièrement pour des prestations de services en maintenant leur centre d' activité principal dans un autre État membre ou même - dans le premier cas - dans une autre région italienne .

66 . Faute d' harmonisation dans ce domaine au niveau communautaire, on ne peut imposer à l' Italie qu' elle ouvre l' accès au logement social à tous les ressortissants d' autres États membres qui y exerceraient ou prétendraient y exercer l' un de ces droits . Cette exigence n' aurait aucun rapport avec les finalités sociales du système d' aide au logement financé par des fonds publics que prévoit la législation contestée .

67 . Formuler pareille exigence reviendrait en réalité à revendiquer pour les ressortissants des autres États membres des conditions plus avantageuses que celles qui sont accordées aux ressortissants italiens, lesquels, s' ils n' ont pas de résidence permanente ou d' activité principale sur le lieu où se situe le logement subventionné, n' y ont pas droit .

68 . Or, comme la Cour l' a précisé ( 20 ), "l' article 52 vise à assurer le bénéfice du traitement national à tout ressortissant d' un État membre qui s' établit, ne serait-ce qu' à titre secondaire, dans un autre État membre pour y exercer une activité non salariée et interdit toute discrimination fondée sur la nationalité en tant que restriction à la liberté d' établissement ". Dans ces conditions, "la liberté d' établissement comporte l' accès aux activités non salariées et leur exercice dans les conditions définies par la législation du pays d' établissement pour ses propres ressortissants ". La Cour conclut des dispositions et du contexte de l' article 52, alinéa 2, que, "sous réserve de respecter cette égalité de traitement, chaque État membre a, en l' absence de règles communautaires en la matière, la faculté de régler sur son territoire" les activités entrant dans le cadre de l' exercice du droit d' établissement .

69 . De façon analogue, l' article 60, alinéa 3, du traité stipule que "le prestataire peut, pour l' exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans le pays où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants" ( c' est nous qui soulignons ).

70 . Or, il n' est nullement question, dans la présente affaire, de conditions neutres en apparence qui auraient pour résultat une discrimination fondée sur la nationalité ou qui créeraient un obstacle disproportionné à l' exercice des droits en cause .

71 . S' il en est ainsi pour les conditions directement liées à l' exercice de l' activité, on ne saurait, à plus forte raison, aller au-delà en ce qui concerne les conditions liées à la sphère privée de l' individu .

72 . Étendre l' obligation de reconnaître le droit au logement social à l' hypothèse de l' établissement secondaire et à la prestation de services pourrait même équivaloir, comme l' a souligné l' Italie, à aller au-delà des conditions prévues dans le règlement n°*1612/68 pour les travailleurs salariés, telles qu' elles ressortent des dispositions de l' article 9, paragraphe 2, de ce règlement .

73 . Compte tenu de la nature des droits présentement en cause, la référence à la nationalité italienne comme condition d' accès au logement n' est en principe pas susceptible de produire d' effets pratiques à l' égard des ressortissants des autres États membres .

74 . Il n' est donc pas étonnant que la Commission ait reconnu à l' audience que l' appréciation de la situation est bien plus délicate sur ces points qu' en ce qui concerne l' établissement principal, encore qu' elle ait insisté sur la nécessité de rechercher cas par cas le lien entre la prestation de services et la nécessité d' un logement - ce à quoi nous ne voyons, pour notre part, aucune justification .

75 . Dans la même logique, il serait, du reste, plus juste de prendre en considération des cas particuliers en matière d' établissement secondaire pour prévoir l' hypothèse où l' intéressé désire transférer sa résidence vers le lieu de cet établissement : compte tenu, cependant, de la nature des logements en cause et des autres conditions dont dépend l' accès à ceux-ci ( revenu familial, etc .), il nous semble que l' application de la législation en cause est en principe exclue dans les cas de pluralité d' établissements .

76 . En outre, dans le cas de l' établissement secondaire, il n' est pas évident que, dans la majeure partie des cas, la situation à prendre en considération en ce qui concerne l' exercice de ce droit, en termes d' administration de l' établissement ( puisqu' elle seule suppose un lien personnel durable pouvant susciter l' apparition du problème de l' accès au logement social ), ne soit pas plutôt celle du travailleur salarié, qui relève donc d' autres dispositions du traité .

77 . Il n' est donc pas du tout évident que la législation italienne puisse, sur ce point, être considérée comme enfreignant le droit communautaire .

78 . Il en serait autrement si la législation italienne introduisait une discrimination quelconque contre les ressortissants des autres États membres en ce qui concerne l' accès aux logements proposés sur le marché libre; cependant, puisque ce n' est pas cela qui est en cause dans la présente affaire, il n' y a pas lieu d' examiner cette hypothèse .

79 . Quoi qu' il en soit, on ne se trouve pas devant une restriction qui empêche l' exercice effectif du droit d' établissement lorsqu' on dispose d' un autre établissement dans un autre État membre, et c' est pourquoi la jurisprudence dégagée dans l' arrêt Klopp ( 21 ) à l' appui du principe formulé à l' article 52, alinéa 1, deuxième phrase ( voir en particulier le point 20 in fine de l' arrêt cité ), n' est pas applicable .

C - Conclusion

80 . Compte tenu de ce qui précède, il nous reste, pour conclure, à vous proposer de dire que la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 52, alinéa 1, deuxième phrase, du traité CEE, en maintenant en vigueur des dispositions qui subordonnent à la possession de la nationalité italienne l' accès des travailleurs non salariés à la propriété et à la location de logements construits ou restaurés avec l' appui de fonds publics, et l' accès au crédit foncier à taux réduit . Nous estimons que le recours doit être rejeté pour le reste .

81 . Par conséquent - et parce que le désistement de la Commission sur l' incompatibilité de la législation italienne avec l' article 48 du traité a été provoqué par l' attitude de la République italienne, qui n' a adopté les dispositions internes nécessaires qu' après l' introduction du présent recours -, nous estimons que les dépens doivent être partagés entre les parties conformément aux dispositions de l' article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure .

(*) Traduit du portugais .

( 1 ) JO L 257 du 10.10.1968, p.*2 .

( 2 ) Arrêt du 25 octobre 1979 dans l' affaire 159/78, Commission/Italie, Rec . p.*3247, 3264, point*22 .

( 3 ) Voir en dernier lieu l' arrêt du 15 octobre 1986 dans l' affaire 168/85, Commission/République italienne, Rec . p.*2945, points 13 et*14 .

( 4 ) GURI n°*58 du 3.3.1973, p.*1331 .

( 5 ) Arrêt du 21 juin 1974 dans l' affaire 2/74, Reyners, Rec . p.*631 .

( 6 ) Arrêt du 3 décembre 1974 dans l' affaire 33/74, Van Binsbergen, Rec . p.*1299 .

( 7 ) Rec . p.*1819 .

( 8 ) Rec . p . 273 .

( 9 ) Affaire 16/78, Rec . p.*2293, 2303 .

( 10 ) Affaire 137/84, Rec . p.*2681 .

( 11 ) JO L 257 du 19.10.1968, p.*2 .

( 12 ) Affaire 257/78, Rec . p.*2019 .

( 13 ) Voir également l' arrêt du 13 février 1985 dans l' affaire 293/83, Gravier/Ville de Liège, Rec . p.*593, 611 et 612, points 15, 25 et*26 .

( 14 ) Voir l' arrêt du 7 février 1979 dans l' affaire 115/78, Knoors, Rec . p.*399, 409, point*19 .

( 15 ) Arrêt Segers, op . cit ., point 12 .

( 16 ) Voir également l' arrêt du 4 avril 1974 dans l' affaire 167/73, Commission/France, Rec . p.*359, 369, points 17 et suiv ., et l' arrêt du 13 juillet 1983 dans l' affaire 152/82, Forcheri, Rec . p.*2323, 2335, point*11 .

( 17 ) Voir, par exemple, l' arrêt Reyners sur l' interprétation de l' article 55, alinéa 1, op . cit ., points 33 et suiv ., spécialement point*43, et l' arrêt du 17 décembre 1980 dans l' affaire 149/79, Commission/Belgique, Rec . p.*3881, 3903 et 3904, points 19 et*22 .

( 18 ) JO 2 du 15.1.1962, p.*36 .

( 19 ) A cet égard, la traduction portugaise du traité ne nous paraît pas heureuse, puisqu' elle adopte des termes plus limitatifs que les autres versions : "nacionais de um Estado-membre estabelecidos no territÔrio de outro Estado-membro", ce qui ne correspond pas exactement à "ressortissants d' un État membre établis sur le territoire d' un État membre" ( version française ), à "cittadini di uno Stato membro stabiliti sul territorio di uno Stato membro" ( version italienne ) ou à "nationals of any Member State established in the territory of any Member State" ( version anglaise ). Le texte portugais peut porter à croire que le droit à l' établissement secondaire dans un autre État membre n' est pas reconnu au ressortissant d' un État membre établi dans son propre pays d' origine .

( 20 ) Arrêt du 12 février 1987 dans l' affaire 221/85, Commission/Belgique, Rec . p.*719, points 9 et*10 .

( 21 ) Arrêt du 12 juillet 1984 dans l' affaire 107/83, Ordre des avocats/Onno Klopp, Rec . p.*2971, 2990 .

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