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Document 61985CC0372

Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 5 février 1987.
Ministère public contre Oscar Traen et autres.
Demandes de décision préjudicielle: Rechtbank van eerste aanleg Brugge - Belgique.
Harmonisation des législations - Déchets.
Affaires jointes 372 à 374/85.

Recueil de jurisprudence 1987 -02141

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1987:69

61985C0372

Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 5 février 1987. - Ministère public contre Oscar Traen et autres. - Demandes de décision préjudicielle: Rechtbank van eerste aanleg Brugge - Belgique. - Harmonisation des législations - Déchets. - Affaires jointes 372 à 374/85.

Recueil de jurisprudence 1987 page 02141


Conclusions de l'avocat général


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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Les questions que la septième chambre du Rechtbank van Eerste Aanleg de Bruges soumet à votre examen par trois jugements rendus le 3 octobre 1985 et en application de l' article 177 du traité CEE vous amènent à interpréter certaines dispositions de la directive 75/442 du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets ( JO L 194, p . 39 ). Elles ont été posées dans le cadre de trois procédures pénales dont les prévenus sont MM . Oscar Traen, Camiel Quicke, Edouard Quicke et Remi Vanhove, la société à responsabilité limitée ( PVBA ) Quicke étant citée en justice pour répondre des éventuels dépens et amendes .

Cette dernière est une entreprise dont l' activité consiste dans l' élimination des déchets . Camiel Quicke, qui en est le propriétaire, Traen, son chauffeur, Edouard Quicke et Vanhove, qui dirigent deux autres sociétés, ont ramassé, transporté, parfois traité puis épandu sur des terres agricoles, avec l' autorisation des possesseurs ou des propriétaires, des déchets provenant principalement de fosses septiques, de fosses à graisses usées, de fosses à lisier, de fosses d' égouttage, de réservoirs d' eaux de pluie, de scieries et d' entreprises de lavage de granit . Ils sont accusés d' avoir violé le décret du 2 juillet 1981 de la Communauté flamande, qui a mis en oeuvre la directive précitée, ainsi que de nombreux arrêtés d' application, en déversant, individuellement ou avec la complicité d' un des prévenus, des déchets, en n' introduisant pas la demande d' autorisation et, partant, en exploitant sans autorisation une station d' élimination de déchets .

La juridiction de Bruges vous pose les questions suivantes :

"1 ) Selon quels critères faut-il apprécier si une entreprise d' élimination de déchets est soumise aux articles 8 à 12 de la directive 75/442? Une activité occasionnelle ou unique suffit-elle à cet égard ou bien d' autres critères, comme le but social poursuivi, l' activité réelle en ce qui concerne les déchets ( activité principale ou accessoire, activité répétée ), l' impact prévisible sur l' environnement, ou d' autres critères encore sont-ils nécessaires?

2 ) Le transporteur qui procède au déversement pour le compte, à la demande ou avec l' autorisation du propriétaire ou du possesseur du terrain qui a acquis le droit de propriété des déchets, est-il soumis à l' obligation d' obtenir l' autorisation et une obligation analogue incombe-t-elle au propriétaire ou au possesseur qui, sans procéder lui-même au déversement, tolère l' activité de déversement?

3 ) L' autorisation de déversement délivrée par le directeur d' une société d' épuration des eaux créée par les pouvoirs publics d' un État membre satisfait-elle aux exigences des articles 5 et 8 de la directive?

4 ) Dans quelle mesure les États membres sont-ils libres d' organiser la surveillance visée à l' article 10 de la directive?

5 ) Les obligations imposées par les articles 8 et 12 de la directive s' appliquent-elles directement aux entreprises ou bien leur application dépend-elle de la création ou de la désignation préalable, par l' État membre, de l' organisme auquel les entreprises peuvent s' adresser ( par exemple, pour obtenir l' autorisation nécessaire ), ainsi que de l' adoption de la réglementation de mise en oeuvre ( par exemple, en ce qui concerne les formulaires de remise de déchets ), compte tenu du fait que l' entrée en vigueur desdites obligations intervient par la notification aux États membres, et non par la publication au Journal officiel des Communautés européennes ( article 191 du traité CEE et article 13 de la directive )?"

Cela dit, rappelons que, par ordonnance rendue le 4 décembre 1985, la Cour a décidé de joindre les trois affaires aux fins de la procédure et de l' arrêt . Le procureur du roi auprès de la juridiction de renvoi, le prévenu Vanhove et la Commission des Communautés européennes ont présenté des observations largement convergentes .

2 . Aux fins d' une meilleure compréhension des questions, il est utile de mettre en évidence les objectifs et les dispositions les plus importantes de la directive qu' il vous est demandé d' interpréter .

Fondée sur les articles 100 et 235 du traité, cette source de droit vise tant à éviter des conditions de concurrence inégales entre les entreprises que - et surtout - à protéger la santé de l' homme et l' environnement contre les effets préjudiciables de l' élimination de déchets ( premier et troisième considérants ). Les notions de "déchet" et d' "élimination" sont définies à l' article 1er . La première notion se réfère à "toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou a l' obligation de se défaire en vertu des dispositions nationales en vigueur" (( sous a ) )); la deuxième couvre "le ramassage, le tri, le transport, le traitement des déchets, ainsi que leur stockage et leur dépôt sur ou dans le sol" et "les opérations de transformation nécessaires à leur réutilisation, à leur récupération ou à leur recyclage" (( sous b ) )).

Suit la série des obligations imposées aux États membres . Ainsi l' article 3 leur prescrit-il de prendre les mesures appropriées pour promouvoir la prévention, le recyclage et la transformation des déchets ainsi que l' obtention à partir de ceux-ci de matières premières et, éventuellement, d' énergie, d' informer la Commission de leurs projets en la matière et de respecter les règles en lesquelles l' article 4 traduit l' objectif principal de la directive . En d' autres termes, les déchets devront être éliminés sans mettre en danger la santé de l' homme et sans porter préjudice à l' environnement . L' article 7 exige d' autres mesures : en vertu de cette disposition, les États sont tenus de faire en sorte que les détenteurs de déchets les remettent à un ramasseur privé ou public ou assurent eux-mêmes l' élimination des déchets dans le respect des principes énoncés à l' article 4 .

Il y a ensuite l' article 5, qui revêt une importance fondamentale . Il prescrit aux États membres de désigner la ou les autorités chargées de planifier, d' organiser, d' autoriser et de superviser l' élimination des déchets en indiquant en particulier les "personnes physiques ou morales" habilitées à éliminer les déchets ( articles 5 et 6 ). Parmi ces sujets, les opérateurs qui agissent pour le compte d' autrui sont distingués de ceux qui traitent leurs propres déchets . Les entreprises des deux catégories sont soumises à la surveillance des autorités précitées ( article 10 ), mais seules les premières doivent obtenir de celles-ci une autorisation spécifique ( article 8 ) en s' engageant à satisfaire à des conditions dont le respect fait l' objet de contrôles périodiques ( article 9 ).

Selon l' article 11, et conformément au principe du "pollueur-payeur", le coût de l' élimination des déchets, déduction faite de leur valorisation éventuelle, est supporté par : a ) le détenteur qui remet des déchets à un ramasseur ou à une entreprise dûment autorisée; b ) les détenteurs antérieurs ou le producteur du produit générateur de déchets .

Enfin, l' article 12 prévoit que, tous les trois ans, les États membres transmettent à la Commission un rapport sur l' élimination des déchets et qu' à cet effet les entreprises visées aux articles 8 et 10 fournissent aux autorités compétentes les informations concernant les opérations auxquelles elles ont procédé .

3 . Passons alors à l' examen des questions qui vous ont été déférées . Comme on s' en rappellera, la première concerne les critères qui permettent d' identifier les sujets, et notamment les entreprises, auxquelles la directive s' applique . Au centre du problème se trouve la fréquence suivant laquelle elles effectuent des opérations d' élimination . Suffit-il que cette activité soit occasionnelle ou est-il indispensable que l' élimination des déchets figure dans le but social de l' entreprise et constitue donc son activité principale ou accessoire et, dans ce dernier cas, qu' elle se répète dans le temps?

La réponse n' est pas difficile . Comme nous l' avons déjà dit, la directive a pour finalité principale l' adoption de réglementations nationales aptes à empêcher que l' élimination des déchets mette en danger la santé de l' homme ou porte préjudice à l' environnement . Or, un objectif aussi largement défini implique nécessairement que notre source de droit soit applicable à tout genre d' opérateur, quelle que soit sa nature juridique et la plus ou moins grande fréquence des opérations d' élimination auxquelles il procède . D' ailleurs, divers éléments textuels plaident en ce sens . Ainsi, en ce qui concerne le dépôt des déchets, la directive ne distingue pas entre des dépôts réguliers, occasionnels ou uniques et n' attache pas d' importance à la manière ( épandage, déversement, etc .) dont ils sont effectués . Il ressort de façon plus significative encore des articles 7 et 11 que les opérations d' élimination peuvent être effectuées non seulement par une entreprise au sens technique, mais également par le détenteur même des déchets et par un ramasseur public ou privé .

Il est évident que ce que nous venons de dire doit être appréhendé dans le cas de l' article 8 au regard de la condition que l' opérateur élimine les déchets pour le compte d' autrui .

4 . La deuxième question tend à établir : a ) si, dans le cas du déversement effectué pour le compte d' autrui sur ordre, à la demande ou avec l' autorisation du propriétaire ou du possesseur du terrain, le transporteur des déchets doit obtenir l' autorisation; b ) si, du fait qu' il permet le déversement, le propriétaire ou le possesseur qui a acquis les déchets est lui aussi tenu d' obtenir une autorisation des autorités visées à l' article 5 .

En ce qui concerne la première question, il suffit d' observer que, en vertu de la règle assurément impérative de l' article 8, une entreprise ne peut éliminer des déchets pour le compte d' autrui que dans la mesure où elle y est autorisée par un organisme public . Force est donc d' exclure qu' un particulier comme le propriétaire du terrain sur lequel le déversement a lieu puisse se substituer à cet organisme . Le deuxième problème est résolu en relevant que le même article 8 exige l' autorisation uniquement à l' égard des entreprises qui opèrent pour le compte d' autrui . Toutefois, dans le cadre des mesures visées aux articles 3, 4 et 7, les États membres peuvent étendre l' obligation précitée également aux autres sujets et notamment aux détenteurs de déchets qui assurent eux-mêmes l' élimination . Il appartient en effet aux États d' apprécier si une mesure de ce genre s' impose pour la réalisation des objectifs que la directive poursuit .

5 . En troisième lieu, la juridiction de Bruges vous pose la question de savoir si le directeur d' une société publique d' épuration des eaux peut figurer parmi les autorités compétentes pour délivrer l' autorisation .

Là encore, la réponse est aisée . Nous savons que la directive se borne à exiger que les États membres désignent "la ou les autorités" chargées d' autoriser, dans une zone déterminée, les opérations d' élimination des déchets ( articles 5 et 8 ). Rien ne s' oppose donc à ce que le pouvoir de délivrer des autorisations pour certains types de déchets ( tels que les eaux usées ) soit conféré au sujet indiqué dans la question .

6 . La quatrième question a trait à la portée du pouvoir discrétionnaire qui est conféré aux États membres en ce qui concerne l' organisation de la surveillance des entreprises qui éliminent leurs propres déchets et de celles qui exercent cette activité pour le compte d' autrui .

Notons que l' article 10 parle d' une manière générale de "surveillance de l' autorité compétente ". Il y a lieu d' en déduire, nous semble-t-il, que les États jouissent d' une entière liberté dans la détermination des mesures correspondantes, à la condition, bien entendu, qu' elles ne soient pas contraires aux objectifs de la directive tels qu' ils sont énoncés à l' article 4 .

7 . Dans la cinquième question, le juge a quo aborde le vieux problème de l' effet qui doit être reconnu aux directives qu' un État membre n' a pas mis en oeuvre en temps utile ou d' une manière correcte . En d' autres termes, il vous demande si les articles 8 et 12 s' appliquent directement aux entreprises qui éliminent des déchets .

Il est vrai que, dans notre cas, les dispositions controversées n' attribuent pas des droits, mais imposent des obligations, et, dans un arrêt récent (( 26 février 1986, affaire 152/84, Marshall/Southampton and South West Hampshire Area Health Authority ( Teaching ), Rec . p . 723 )), vous avez nié que des dispositions de ce genre ont un effet direct . Pourtant, nous ne rappellerions pas cet arrêt, sur la portée duquel il faut encore réfléchir, au juge au principal; nous lui répondrions d' une manière plus pragmatique en observant que, pour pouvoir être exécutées, les obligations imposées par les deux articles impliquent l' adoption de dispositions internes . En effet, l' obligation de l' article 8 vise au respect des "mesures prises en vertu de l' article 4" et l' obligation de l' article 12 est imposée pour que les États puissent satisfaire à leur devoir de transmettre tous les trois ans un rapport sur l' élimination des déchets . Les États ont donc la tâche et le droit d' établir son contenu et ses modalités .

8 . Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions qui lui ont été posées par la septième chambre du Rechtbank van Eerste Aanleg de Bruges par jugements du 3 octobre 1985, rendus dans le cadre des procédures engagées contre MM . Oscar Traen, Camiel Quicke, Edouard Quicke, Remi Vanhove et la SRL ( PVBA ) Quicke :

"1 ) Les articles 8 à 12 de la directive 75/442, du 15 juillet 1975, doivent être interprétés en ce sens qu' ils s' appliquent à tous les sujets qui procèdent à des opérations d' élimination, sous réserve, en ce qui concerne l' article 8, qu' ils agissent pour le compte d' autrui . La nature juridique de ces sujets et la fréquence suivant laquelle ils procèdent à l' élimination des déchets importent peu .

2 ) L' article 8 de la directive 75/442 doit être interprété en ce sens que l' autorisation qu' il prévoit doit être délivrée par l' autorité publique qui est désignée à cette fin par les États membres, conformément à l' article 5 du même acte, et elle ne peut pas être remplacée par un ordre, une demande ou une permission du propriétaire ou du possesseur du terrain sur lequel les déchets sont épandus .

Bien que ce même article soumette à l' obligation d' obtenir l' autorisation les seuls établissements ou les seules entreprises qui éliminent les déchets pour le compte d' autrui, les États membres peuvent, lorsqu' ils arrêtent les mesures prévues par l' article 4, étendre ladite obligation aux détenteurs de déchets qui assurent eux-mêmes leur élimination .

3 ) En vertu de l' article 5 de la directive 75/442, il appartient aux États membres de désigner la ou les autorités compétentes pour délivrer les autorisations pour l' élimination des déchets . Rien ne s' oppose donc à ce que ce pouvoir soit conféré à une société publique d' épuration des eaux .

4 ) L' article 10 de la directive 75/442 doit être interprété en ce sens que les États membres jouissent d' un large pouvoir discrétionnaire dans l' organisation de la surveillance exercée par l' autorité compétente sur toutes les entreprises d' élimination des déchets . Il est cependant nécessaire que les mesures correspondantes soient compatibles avec les objectifs de la directive tels qu' ils résultent de l' article 4 .

5 ) Les articles 8 et 12 de la directive 75/442 doivent être interprétés en ce sens qu' ils n' imposent pas directement des obligations aux entreprises intéressées . Ces dernières les remplissent en respectant les modalités d' application arrêtées par les États membres ."

(*) Traduit de l' italien .

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