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Document 61985CC0142

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 2 juillet 1986.
Hartmut Schwiering contre Cour des comptes des Communautés européennes.
Effets d'un arrêt de la Cour prononçant l'annulation d'une décision de nomination d'un fonctionnaire, précédemment agent temporaire.
Affaire 142/85.

Recueil de jurisprudence 1986 -03177

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1986:279

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MARCO DARMON

présentées le 2 juillet 1986

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. 

Cette affaire est le prolongement de celle dont vous avez eu à connaître dans votre arrêt du 16 octobre 1984 (affaire 257/83, C. Williams/Cour des comptes, Rec. p. 3547) par lequel, sur requête de M. Williams, vous avez prononcé l'annulation de la décision du 24 mars 1983 portant nomination en qualité de fonctionnaire stagiaire de grade A 5, à la suite d'un concours interne, de M. Hartmut Schwiering. Aujourd'hui requérant, celui-ci n'était alors pas intervenu à cette procédure.

Attaché au cabinet de M. Leicht, membre allemand de la Cour des comptes à compter du 1er décembre 1977, M. Schwiering s'est présenté en 1982 à ce concours interne. Classé au premier rang de la liste d'aptitude établie par le jury, il a été nommé le 1er avril 1983 fonctionnaire stagiaire de grade A 5 pour pourvoir un emploi d'administrateur principal, puis titularisé à compter du 1er janvier 1984. Par votre arrêt 257/83, vous avez jugé que cette nomination devait « être regardée comme n'étant jamais intervenue » (point 24).

En exécution de cette décision, la Cour des comptes a pris les deux mesures suivantes:

le 18 octobre 1984, elle a nommé M. Williams, deuxième sur la liste d'aptitude, en qualité d'administrateur principal, poste que M. Schwiering ne pouvait plus occuper;

le 24 octobre 1984, elle a notifié à ce dernier l'annulation, avec effet au 16 octobre 1984, de la décision qui l'avait nommé fonctionnaire et lui a proposé, à compter de cette dernière date, un contrat d'agent temporaire au grade A 7, échelon 3. Il était en outre décidé qu'en vertu de l'article 85 du statut « les effets financiers négatifs résultant de (la) situation administrative particulière (de l'intéressé prendraient) effet le premier jour du mois suivant la notification, soit le 1er novembre 1984».

Par lettre du 25 octobre 1984 adressée à la défenderesse, M. Schwiering a fait valoir qu'il ne portait pas la responsabilité de la situation créée par l'arrêt 257/83 et qu'il n'acceptait le contrat temporaire proposé « qu'à la condition expresse qu'il puisse être, le cas échéant, renouvelé avant que (sa) situation (notamment les pertes de revenus en résultant) soit définitivement réglée ». Indiquons ici que le contrat temporaire a été reconduit sans interruption.

Le 19 décembre 1984, l'avocat du requérant a présenté à la Cour des comptes un projet de compromis. Basé sur l'idée que « l'annulation rétroactive de la nomination de M. Schwiering a entraîné automatiquement la nullité juridique de (la) cessation tacite de sa situation (antérieure) d'agent temporaire », qui retrouverait alors à s'appliquer, la proposition tend à ce que, à compter du 1er avril 1983 et jusqu'à une « date à convenir », il bénéficierait de la rémunération fixée par l'ancien contrat d'agent temporaire « toujours en vigueur le 1er avril 1983». A la date ainsi convenue, l'ancien contrat temporaire serait remplacé par un autre contrat portant sur un emploi permanent, de grade À 5 ou de grade A 7/A 6, avec, dans ce dernier cas, versement d'une indemnité compensatrice, ce qui serait conforme à la jurisprudence de la Cour relative aux agents de la Communauté. Par ailleurs, « la Cour des comptes (donnerait) à M. Schwiering la possibilité de participer à un concours interne organisé en vue de pourvoir définitivement à l'emploi qui lui ‘aurait’ été attribué », correspondant à ses qualifications. En cas d'accord, M. Schwiering renoncerait à toute procédure judiciaire. Cette lettre comprenait également une réserve du droit, pour M. Schwiering, de demander une indemnisation « en fonction des conséquences juridiques du contrat d'engagement du 15 décembre 1977 avec son avenant de 1979, ainsi que de l'annulation de sa titularisation ».

Le 16 janvier 1985, M. Schwiering a prié l'AIPN de considérer la lettre de son avocat comme une réclamation au sens de l'article 90, paragraphe 2, du statut.

Par lettre du 15 février 1985, le président de la Cour des comptes lui a donné acte de cette demande, mais a, dans le même temps, rejeté la réclamation. Cette lettre indiquait, d'une part, que tous les attachés au cabinet d'un membre de la Cour des comptes dont le contrat temporaire ne contenait pas, comme dans le cas de M. Schwiering, de clause en liant l'expiration à la fin du mandat du membre avaient reçu une lettre leur précisant que leur contrat « prendrait fin de plein droit à l'issue du mandat du membre concerné au cas où celui-ci ne serait pas reconduit », d'autre part, que le devoir de sollicitude à son égard avait été entièrement respecté puisqu'il avait été placé dans la position la plus favorable possible compte tenu des règles du statut.

2. 

Par recours introduit le 14 mai 1985, M. Schwiering vous demande,

à titre principal,

d'annuler la décision du président de la Cour des comptes du 15 février 1985 portant rejet de la réclamation du requérant, ainsi que les décisions de la même autorité du 24 octobre 1984

et de condamner la Cour des comptes à le maintenir dans la carrière qui était la sienne jusqu'à l'arrêt du 16 octobre 1984,

à titre subsidiaire,

l'annulation des opérations du concours interne précité et l'octroi d'une indemnité compensatrice au cas où il ne serait nommé qu'à un grade ou à un échelon inférieurs à ceux qui étaient les siens avant le 16 octobre 1984,

à titre éventuel (très subsidiaire),

l'octroi de dommages et intérêts « correspondant à une part équitable de la rémunération que le requérant aurait reçue jusqu'à 65 ans accomplis en tant qu'administrateur principal de grade A 5, conformément à la situation juridique qui était la sienne jusqu'au 16 octobre 1984».

3. 

Ce recours, qui reprend dans les grandes lignes les termes de la lettre de l'avocat du requérant en date du 19 décembre 1984, est essentiellement fondé, en ce qui concerne la demande principale, sur les considérations suivantes.

Quels que soient ses efforts, l'AIPN n'aurait pas pris, à l'égard du requérant, toutes les mesures qu'appelait son devoir de sollicitude envers un agent subissant sans faute de sa part un préjudice du fait d'un acte administratif. Il conviendrait, conformément aux règles de la fonction publique connues dans la plupart des États membres, de faire application du principe selon lequel les actes administratifs irréguliers ne sauraient affecter la carrière des fonctionnaires concernés. Fonctionnaire des Communautés depuis le 1er janvier 1984, le requérant aurait un droit à conserver ce statut juridique après que la Cour de justice eut tiré les conséquences de l'irrégularité entachant sa procédure de nomination.

Il y aurait lieu, par analogie, de faire application de votre jurisprudence selon laquelle, après annulation d'une promotion, un fonctionnaire retrouverait sa situation antérieure. En vertu du principe de sécurité juridique, le requérant aurait donc dû réintégrer son statut d'agent temporaire A 4, auquel il n'avait été mis fin que tacitement, avec maintien sans interruption de la rémunération y afférente afin, eu égard au devoir de sollicitude, de prévenir tout dommage financier.

Ces mêmes arguments fondent la demande d'octroi d'une indemnité compensatrice.

Quant aux autres demandes subsidiaires ou très subsidiaire, le requérant a essentiellement soutenu que ni M. Williams ni les autres candidats n'auraient, plus que lui-même, rempli les conditions requises pour être admis à concourir.

Enfin, en ce qui concerne la demande de dommages et intérêts, elle est essentiellement fondée sur la perte de revenus subie, l'« inquiétude morale » du requérant et la « position équivoque » à l'égard de ses collègues résultant d'une situation dont toute la responsabilité incomberait à la Cour des comptes.

4. 

La Cour des comptes a contesté la recevabilité du recours et conclu subsidiairement au rejet.

Selon elle, il n'aurait jamais existé de réclamation au sens du statut dans la mesure où la lettre de l'avocat du requérant, considérée comme telle par celui-ci, n'aurait clairement précisé ni l'objet de la réclamation, ni l'acte faisant grief, ni, enfin, la mesure exacte que l'AIPN était sollicitée de prendre. La réponse de celle-ci en date du 15 février 1985 n'aurait été qu'une prise de position à titre informatif sur certaines vues juridiques du requérant. La demande d'annulation serait donc irrecevable. Quant aux autres prétentions, elles n'auraient jamais été présentées sous quelque forme que ce soit avant l'introduction du présent recours. Elles seraient donc, elles aussi, frappées d'irrecevabilité.

Au fond, la Cour des comptes estime avoir entièrement respecté le devoir de sollicitude, dans les limites imposées par les règles statutaires. D'une part, le contrat d'agent temporaire aurait de toute manière pris fin avec le départ de M. Leicht. D'autre part, l'acceptation par le requérant du poste de fonctionnaire aurait entraîné une rupture tacite du contrat d'agent temporaire, qui n'aurait alors plus pu retrouver d'effet. De plus, la poursuite d'une carrière de fonctionnaire titulaire serait exclue en l'état à la suite de votre arrêt du 16 octobre 1984. La Cour des comptes rappelle enfin votre jurisprudence Giuffrida (Giuffrida/Conseil, 29 septembre 1976, Rec. p. 1395), qui qualifie de détournement de pouvoir l'organisation par l'AIPN d'un concours « en vue uniquement de pallier les anomalies d'une situation administrative concernant un fonctionnaire déterminé ».

Quant aux conclusions subsidiaires ou à titre très subsidiaire, elles ne seraient pas fondées dès lors que le requérant aurait bénéficié du traitement le plus favorable possible et qu'aucune faute ne serait imputable à la défenderesse. A cet égard, la Cour des comptes a soutenu que le requérant aurait dû savoir que l'appréciation de l'expérience professionnelle revêtirait une importance déterminante pour l'admission à ce concours et que les titres qu'il pouvait faire valoir à cet effet pouvaient susciter des difficultés.

Estimant que les frais qu'elle a été contrainte d'exposer sont frustratoires, la Cour des comptes a conclu enfin à la condamnation du requérant aux entiers dépens.

Signalons que M. Calvin Williams est intervenu à l'instance au soutien des conclusions de la défenderesse.

5. 

Quant à la recevabilité, il y a lieu de se référer à votre jurisprudence constante, telle qu'elle vient encore d'être confirmée très récemment dans votre arrêt 52/85 (Rihoux et autres/Commission, 7 mai 1986, Rec. 1986, p. 1555). Vous avez en effet jugé que

«... l'article 91 du statut a pour objet de permettre et de favoriser le règlement amiable du différend surgi entre les fonctionnaires et l'administration. Pour satisfaire à cette exigence, il importe que cette dernière soit en mesure de connaître avec une précision suffisante les griefs ou desiderata de l'intéressé. Par contre, cette disposition n'a pas pour objet de lier, de façon rigoureuse et définitive, la phase contentieuse éventuelle dès lors que le recours contentieux ne modifie ni la cause ni l'objet de la réclamation (arrêt du 1er juillet 1976, Sergy/Commission, 58/75, Rec. p. 1139; arrêt du 20 mars 1984, Razzouk et Bedoun/Commission, 75 et 117/82, Rec. p. 1509; arrêt du 23 janvier 1986, Rasmussen/Commission, 173/84, Rec. 1986, p. 197) » (point 12).

Il n'est pas douteux que le requérant a bien présenté une réclamation qui, bien que revêtant la forme d'une lettre de son conseil, a été admise comme telle par l'AIPN, laquelle, après avoir donné acte à l'intéressé de sa demande tendant à ce que cette lettre soit ainsi qualifiée, a, à plusieurs reprises, utilisé l'expression « votre réclamation est rejetée ».

L'objet de la réclamation concernait la situation administrative et pécuniaire qui devait être faite au requérant à compter du 1er avril 1983. Les demandes à titre principal sont donc recevables. Par contre, la demande présentée à titre subsidiaire tendant à l'annulation du concours ne figurait pas dans la réclamation. Elle est donc irrecevable.

Quant aux demandes subsidiaire et très subsidiaire d'indemnité compensatrice et de dommages et intérêts, elles étaient mentionnées, fût-ce brièvement, dans la réclamation. Elles doivent donc également être déclarées recevables.

6. 

Dans les limites précitées, nous pensons que le recours n'est pas fondé. En effet, nous sommes confrontés à la situation résultant de l'annulation judiciaire d'une décision de nomination en qualité de fonctionnaire d'un agent temporaire.

Dès lors, il ne nous paraît pas pertinent d'invoquer, en l'occurrence, votre jurisprudence relative à la promotion irrégulière des fonctionnaires. L'analogie sollicitée reviendrait à étendre aux agents temporaires les dispositions de l'article 47 du statut, qui n'est applicable qu'aux fonctionnaires. Or, en suite de l'arrêt du 16 octobre 1984, qui ne peut plus être frappé de tierce opposition par M. Schwiering, celui-ci n'a jamais eu la qualité de fonctionnaire. Le régime d'agent temporaire qui était le sien se distingue essentiellement de celui du fonctionnaire par son caractère précaire. En prenant, le 1er avril 1983, les fonctions attachées à l'emploi d'administrateur stagiaire, M. Schwiering a nécessairement mis fin à son contrat de travail antérieur. L'annulation de sa nomination en qualité de fonctionnaire n'a pu avoir pour effet de redonner vie à ce contrat. La demande qu'il présente à titre principal doit donc être déclarée mal fondée.

Pour les mêmes raisons, sa demande subsidiaire tendant au versement d'une indemnité compensatrice ne saurait être accueillie. En effet, M. Schwiering, censé n'avoir jamais eu la qualité de fonctionnaire et ne pouvant prétendre à une réintégration dans son emploi d'agent temporaire, ne saurait tirer aucun droit des deux paramètres qu'il invoque à l'appui de la demande qu'il a introduite de ce chef.

Observons, au demeurant, que le devoir de sollicitude ne permet pas de s'affranchir des règles statutaires. Il apparaît, au surplus, que ce devoir a été amplement observé dans la mesure où la Cour des comptes a offert au requérant un emploi temporaire A 7/A 6 tout en lui maintenant jusqu'au 1er novembre 1984 le bénéfice de la rémunération qu'il avait perçue au titre de la nomination annulée.

7. 

Reste la demande très subsidiaire en dommages et intérêts. Comme nous l'avons dit dans nos conclusions à propos de l'affaire Williams, 1'AIPN avait l'obligation de vérifier que M. Schwiering, inscrit par le jury sur la liste d'aptitude, réunissait « effectivement les conditions de diplôme ou d'expérience qu'elle (avait) elle-même édictées ». En s'abstenant de le faire, elle a commis une faute qui a occasionné à M. Schwiering un certain préjudice, l'intéressé ayant dû, dans les conditions ci-dessus rappelées, mettre un terme à son contrat d'agent temporaire.

Il y a lieu toutefois de considérer que ce préjudice a été intégralement compensé par les mesures que l'administration a prises en faveur de l'intéressé, justement en raison de son devoir de sollicitude. Le contrat d'agent temporaire de M. Schwiering a pris fin le 30 mars 1983. Tout permet de penser qu'il se serait normalement poursuivi jusqu'au 17 octobre 1983, terme du mandat de M. Leicht. Rien, par contre, ne permet d'affirmer qu'il aurait été prolongé après l'arrivée du successeur de ce dernier. Or, le requérant, qui a gardé le bénéfice de la rémunération afférente au poste A 5 du 1er avril 1983 au 1er novembre 1984, a, depuis, été recruté par un nouveau contrat d'agent temporaire, certes moins bien rémunéré, mais lui conférant une durée d'emploi que l'administration n'était pas statutairement tenue de lui assurer.

M. Schwiering ne peut donc, à notre avis, se prévaloir d'un préjudice subsistant.

Nous concluons, en conséquence, au rejet du recours. Quant aux dépens, il ne nous apparaît pas nécessaire, eu égard aux circonstances de l'espèce, de vous suggérer une solution autre que celle habituelle en la matière, à savoir l'application des dispositions de l'article 69, paragraphe 2, alinéa 1, du règlement de procédure, sous réserve de celles de l'article 70 du même règlement, les dépens de l'intervention devant être mis à la charge de l'institution défenderesse.

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