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Document 61985CC0071

Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 2 juillet 1986.
État néerlandais contre Federatie Nederlandse Vakbeweging.
Demande de décision préjudicielle: Gerechtshof 's-Gravenhage - Pays-Bas.
Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale - Article 4, paragraphe 1 - Directive 79/7/CEE - Effet direct.
Affaire 71/85.

Recueil de jurisprudence 1986 -03855

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1986:278

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. G. FEDERICO MANCINI

présentées le 2 juillet 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. 

Dans le cadre d'un litige qui oppose la Federatie Nederlandse Vakbeweging (ci-après « FNV ») à l'État des Pays-Bas, le Gerechtshof de La Haye vous demande d'interpréter l'article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, du Conseil du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24). La légalité communautaire d'une disposition de la réglementation néerlandaise relative à l'assistance aux chômeurs, en vertu de laquelle les femmes mariées qui n'ont pas la qualification de chef de famille sont exclues du droit à la protection contre le chômage est au centre de l'affaire principale. Le juge a quo veut savoir, en particulier, si l'on doit reconnaître un effet direct au principe de l'égalité de traitement par rapport aux caractéristiques de la disposition qui l'établit et au fait que les Pays-Bas n'ont pas transposé la directive dans le délai accordé aux États membres pour s'y conformer (22 décembre 1984).

Il convient tout d'abord de rappeler, fût-ce brièvement, la législation néerlandaise en matière de prestations pour chômage. Elle est contenue dans trois sources distinctes. La « Werkloosheidswet » (« WW ») ou loi sur le chômage, en vigueur depuis le 1er juillet 1952, est fondée sur un système de contributions et attribue au travailleur en chômage, pendant les six mois qui suivent le début de l'état de chômage, une prestation dont le montant est basé sur la dernière rémunération perçue. Le semestre une fois expiré, la « Wet Werkloosheidsvoorziening » (« WWV ») ou loi sur l'assistance aux chômeurs, en vigueur depuis le 1er janvier 1965 (Stb. 485) et financée par le Trésor, entre en application; selon cette loi, le même travailleur a droit pendant deux ans à une prestation également rapportée au niveau de la dernière rétribution. Il y a, enfin, la « Algemene Bijstandwet » (« ABW ») ou loi générale sur l'assistance, en vigueur depuis le 1er janvier 1965 et qui, elle aussi, est mise à la charge du budget de l'État. Ses règles concernent le chômeur qui ne bénéficie pas des deux premières lois et lui donnent droit à une prestation dont le montant est déterminé uniquement par les besoins de sa famille.

La disposition litigieuse est l'article 13, paragraphe 1, sous 1), de la WWV, excluant du « droit à prestations le travailleur... qui, en tant que femme mariée, ne peut pas être considéré comme chef de famille sur la base des règles adoptées par le ministre compétent, après avis de la commission centrale, ou qui ne vit pas de manière permanente séparé du conjoint... ». Cette disposition doit évidemment être appréciée à la lumière de la directive 79/7 citée et, spécialement, de ses articles 4, paragraphe 1, 5 et 8. Aux termes du premier, le principe de l'égalité de traitement « implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial ». Le deuxième établit que les États membres sont tenus de prendre les mesures nécessaires « pour que soient supprimées les dispositions... contraires au principe de l'égalité de traitement ». Le troisième accorde auxdits États un délai de six ans, à compter de la notification de la directive (23 décembre 1978), pour mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires à sa mise en œuvre.

2. 

Ainsi qu'il résulte de l'arrêt de renvoi, le gouvernement néerlandais entendait, dans un premier temps faire coïncider la transposition de la directive avec une fusion entre la WW et la WWV dans le cadre d'une large réforme du système de sécurité sociale. Elle devrait entraîner la suppression du traitement discriminatoire auquel a donné lieu l'article 13, en étendant le texte de ce dernier aux hommes mariés qui ne sont pas chefs de famille (voir les questions écrites nos 508/84 et 715/84 de Mme Ien van den Heuvel à la Commission, JO 1984, C 256, p. 30, et 1985, C 4, p. 6).

Toutefois, il apparut rapidement que la réforme était impossible à réaliser dans les six années prévues par la source communautaire. Le gouvernement a alors présenté un projet de loi contenant certaines règles transitoires parmi lesquelles figurait précisément l'extension de l'article 13 dans le sens indiqué ci-dessus; mais, le 13 décembre 1984, ce projet a été rejeté par la seconde chambre des États généraux. Cinq jours plus tard, le secrétaire d'État pour les Affaires sociales et le Travail a annoncé au président de la seconde chambre que le gouvernement se proposait de formuler un nouveau projet dont les règles devraient rétroagir au 23 décembre 1984 afin de mettre la directive en œuvre dans les délais. Le Parlement était invité à l'approuver avant le 1er mars 1985 (projet n° 18849 présenté le 6 février 1985).

Toutefois, le 21 décembre 1984 (c'est-à-dire deux jours avant que le délai établi par la directive vienne à expiration), une circulaire adressée aux administrations communales par le même secrétaire a précisé que, dans l'attente de l'intervention législative, les dispositions de la WWV et, par conséquent, aussi l'article 13 devraient continuer à être appliqués. Cela dit, la FNV, qui, en vertu de son statut, protège les travailleurs et leurs familles, a cité l'État des Pays-Bas dans une procédure d'urgence devant le président de l'Arrondissementsrechtsbank de La Haye et demandé que cet État soit condamné à abroger ou tout au moins à ne pas appliquer la condition relative au statut de chef de famille prévue par la règle litigieuse jusqu'à l'entrée en vigueur de la réforme projetée. Par décision du 17 janvier 1985, le président a admis la demande en enjoignant à l'État de modifier l'article 13 avant le 1er mars 1985. L'administration ainsi que la FNV ont interjeté appel contre cette décision.

L'arrêt de renvoi nous apprend, en outre, que les deux parties dans l'affaire principale sont d'accord pour considérer la disposition incompatible avec le principe de l'égalité de traitement établi par l'article 4, paragraphe 1, de la directive. On ajoute que — en appel — la FNV a accusé l'État d'avoir agi illégalement en maintenant en vigueur ou en refusant de ne pas appliquer l'article 13 au-delà du 23 décembre 1984 et même en imposant aux administrations communales de continuer à l'appliquer. En effet, selon la centrale, l'effet direct de l'article 4 implique que ladite règle cesse d'avoir effet à compter de cette date.

Estimant imprécise la portée de la directive, la troisième chambre du Gerechtshof de La Haye, par arrêt du 13 mars 1985, a sursis à statuer et, en vertu de l'article 177 du traité CEE, a posé à la Cour trois questions préjudicielles que, pour plus de clarté, nous reformulerons dans les termes suivants:

1)

L'article 4 de la directive 79/7 a-t-il un effet direct à partir du 23 décembre 1984 et en résulte-t-il que, à partir de cette date, l'article 13, paragraphe 1, première phrase et sous 1), de la « Wet Werkloosheidsvoorziening » n'est plus applicable et que les travailleurs de sexe féminin exclus de l'avantage des prestations en vertu de cette règle ont acquis le droit qui s'y rapporte?

2)

Est-il important d'établir si, pour mettre en oeuvre la directive et neutraliser les charges financières qu'elle entraîne, l'État dispose de possibilités alternatives à l'abrogation pure et simple de la règle citée, telles que l'assujettissement du droit à prestations à des conditions plus rigoureuses ou la réduction des avantages à l'égard des chômeurs n'ayant pas encore atteint l'âge de 35 ans?

3)

Faut-il, d'autre part, attribuer une importance au fait que, conjointement à l'abrogation de la règle, une réglementation transitoire à choisir entre plusieurs alternatives est nécessaire?

Rappelons encore que, le 24 avril 1985, le Parlement néerlandais a modifié la WWV (Stb. 230). La nouvelle loi abroge l'article 13, paragraphe 1, sous 1), avec effet rétroactif au 23 décembre 1984 et prévoit, à titre transitoire et afin d'assurer la couverture financière, que la durée maximale des prestations est réduite pour les chômeurs qui n'ont pas encore atteint l'âge de 35 ans. Elle établit, en outre, que l'article 13 reste en vigueur à l'égard du travailleur dont le début de l'état de chômage est antérieur au 23 décembre 1984, à moins qu'il ne bénéficie à cette date d'une prestation sur la base de la WW ou d'une allocation prévue par une réglementation applicable — c'est ainsi que nous croyons comprendre — aux personnes titulaires d'un rapport de travail, mais considérées comme non occupées au sens de l'article 6, paragraphe 1, sous a) et b) de la WW.

Enfin, signalons qu'au cours de notre procédure, des observations écrites ont été présentées par les parties dans l'affaire principale, par la Commission des Communautés européennes et par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord.

3. 

Par la première question, le juge a quo vous demande si l'article 4 de la directive 79/7 a un effet direct à compter de l'expiration du délai accordé aux États membres pour s'y adapter. La FNV, la Commission et le Royaume-Uni vous suggèrent de répondre affirmativement, tandis que les Pays-Bas se prononcent en sens contraire. Disons tout de suite que notre opinion coïncide avec celle des trois premiers. En effet, l'argument du gouvernement néerlandais qui se fonde sur le pouvoir discrétionnaire réservé aux États quant aux modes de mise en œuvre du principe d'égalité de traitement n'est certainement pas fondé.

L'efficacité des directives en général et, en particulier, la possibilité qu'elles aient des effets directs sont des thèmes trop connus pour qu'il soit nécessaire de les aborder ici de manière approfondie. Nous nous limiterons donc à rappeler que, selon votre jurisprudence constante, exclure, en principe, la possibilité d'invoquer des droits correspondant aux obligations qu'elles imposent serait incompatible avec la force obligatoire que l'article 189 leur confère. En particulier, dans les cas où le Conseil ou la Commission ont prescrit aux États d'adopter un certain comportement, l'effet utile de la directive se trouverait affaibli si les justiciables étaient empêchés de s'en prévaloir en justice et les juridictions nationales empêchées de la prendre en considération en tant qu'« élément du droit communautaire ».

En conséquence, l'État membre qui n'a pas pris dans le délai qui lui est imparti les mesures d'exécution imposées par la directive ne peut pas opposer aux particuliers le non-accomplissement, par lui-même, des obligations qu'elles comportent. Les particuliers pourront donc se fonder sur les dispositions qui apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, pour contester l'applicabilité des règles internes incompatibles avec la directive ou pour revendiquer les droits que ces dispositions leur confèrent à l'égard de l'État (arrêts du 6 octobre 1970, affaire 9/70, Grad, Rec. 1970, p. 839; 4 décembre 1974, affaire 41/74, Van Duyn, Rec. 1974, p. 1349; 1er février 1977, affaire 51/76, Verbond van Nederlandse Ondernemingen, Rec. 1977, p. 128; 5 avril 1979, affaire 148/78, Ratti, Rec. 1979, p. 1629; 19 janvier 1982, affaire 8/81, Becker, Rec. 1982, p. 53 et, en dernier lieu, 26 février 1986, affaire 152/84, Marshall, Rec. 1986, p. 723).

Cela dit, il faut vérifier si, considéré en soi, l'article 4, paragraphe 1, correspond aux exigences dont nous venons de parler: c'est-à-dire s'il est inconditionnel et suffisamment précis. Comme nous le savons, la règle dispose que « le principe de l'égalité de traitement implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial, en particulier en ce qui concerne: le champ d'application des régimes (de sécurité sociale) et les conditions d'accès [à ceux-ci]..., le calcul des prestations, y compris les majorations dues au titre du conjoint et pour personne à charge et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations... ».

Or — observe la Commission — qu'on lise l'interdiction ainsi définie à la lumière de l'obligation de résultat établie par les articles 1 et 8, paragraphe 1, de la même source: il serait impossible de ne pas la considérer comme claire, complète et précise. Qu'on la rattache ensuite — continue la FNV — à la règle de l'article 5 qui oblige les États à « supprimer » les dispositions contraires au principe de l'égalité: son caractère inconditionnel, et donc l'inexistence d'un pouvoir discrétionnaire des États en ce qui concerne la réalisation du résultat que la directive vise, apparaîtra également évident.

Nous avons déjà dit que seul le gouvernement de La Haye s'écarte de cette argumentation linéaire. A son avis, l'article 4 ne possède pas d'effet direct parce qu'il n'indique pas aux États les modalités selon lesquelles ils doivent appliquer le principe de l'égalité de traitement: par exemple, la règle litigieuse — qui, admettons-le, est certainement discriminatoire — peut être modifiée de quatre manières différentes au moins, mais toutes susceptibles de rendre effective l'égalité entre homme et femme exigée par la directive. Un tel éventail de solutions montre combien la marge d'appréciation laissée aux États est grande.

Toutefois, la thèse ainsi résumée confond le problème de l'effet direct et celui du pouvoir discrétionnaire dont l'État dispose dans la transposition de la directive. Comme nous l'avons dit, les préceptes clairs et inconditionnels qui figurent dans cette dernière peuvent se superposer aux règles nationales contraires et exclure ou limiter leur applicabilité. Toutefois, cela n'implique pas que cette solution soit obligatoire. Ainsi, l'État qui l'estime trop onéreuse pourra modifier sa législation en prévoyant des modalités différentes, pourvu qu'elles soient conformes au résultat voulu par la source communautaire. Et même, en légiférant de cette manière, il ne fera qu'accomplir ponctuellement l'obligation à laquelle il est astreint.

Il faut exclure, en particulier, que les « difficultés financières » auxquelles, selon le gouvernement néerlandais, l'abrogation de l'article 13, paragraphe 1, sous 1), de la WWV donnerait Heu puissent avoir une incidence sur l'effet direct de l'article 4. La Cour a relevé que ces « difficultés... seraient la conséquence du défaut, par l'État membre, d'avoir respecté le délai prévu pour la mise en œuvre de la directive en question. Les conséquences de cette situation doivent être assumées par l'administration et ne sauraient être répercutées sur les contribuables qui se réclament d'une obligation précise qui incombait à l'État en vertu du droit communautaire... » (arrêt Becker, cité, attendu 47).

La conclusion à laquelle ces remarques conduisent est évidente. Depuis le 23 décembre 1984, les femmes, victimes d'une discrimination du fait du régime national, ont le droit de s'opposer à son application ultérieure; c'est-à-dire qu'elles peuvent réclamer les allocations de chômage aux conditions prévues pour l'homme marié et, en tout cas, sans qu'il soit fait référence à la condition de chef de famille.

4. 

La deuxième et la troisième question visent à établir si, pour adapter son ordre juridique aux principes de la directive, l'État membre peut recourir à des méthodes qui ne coïncident pas avec l'abrogation tout court de la règle incompatible et, en particulier, si une réglementation transitoire est nécessaire. Nous avouons que nous avons plus d'un doute quant à la recevabilité de ces demandes: en effet, étant donné qu'il est exclu que la Cour soit compétente pour décider de la conformité d'une règle nationale au droit communautaire (voir arrêt du 21 mars 1972, affaire 82/71, Ministère public/SAIL, Rec. 1972, p. 119, attendu 3), il nous semble évident qu'elle ne peut pas statuer non plus sur des hypothèses abstraites de transposition de la directive.

Admettons néanmoins que le juge vise à obtenir une interprétation du droit communautaire et, en particulier, vous demande de définir la portée des directives; pour lui répondre, il suffirait de rappeler l'arrêt Becker, selon lequel le pouvoir discrétionnaire des États en matière de formes et de moyens nécessaires pour accomplir l'obligation de résultat n'empêche pas de reconnaître un effet direct à une ou plusieurs dispositions de la directive (attendu 30).

5. 

Pour toutes les considérations qui précèdent, nous suggérons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions préjudicielles qui lui ont été adressées par le Gerechtshof de La Haye par arrêt rendu le 13 mars 1985 dans l'affaire entre la Federatie Nederlandse Vakbeweging et l'État des Pays-Bas:

1)

A partir du 23 décembre 1984, dies ad quem du délai établi pour la transposition de la directive 79/7 du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, l'article 4, paragraphe 1, qui interdit toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial, a un effet direct. Les particuliers peuvent faire valoir en justice les droits subjectifs qu'il leur accorde en s'opposant à des réglementations nationales inadéquates et contraires au principe de l'égalité de traitement.

2)

Les hypothèses envisagées dans la deuxième et la troisième question n'ont pas d'incidence sur l'effet direct de l'article 4, paragraphe 1.


( *1 ) Traduit de l'italien.

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