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Document 61984CC0235

Conclusions de l'avocat général Sir Gordon Slynn présentées le 17 avril 1986.
Commission des Communautés européennes contre République italienne.
Maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises.
Affaire 235/84.

Recueil de jurisprudence 1986 -02291

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1986:156

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

SIR GORDON SLYNN

présentées le 17 avril 1986 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La directive du Conseil 77/187 a trait aux droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissement (JO 1977, L 61, p. 26).

Dans ce recours, introduit en application de l'article 169 du traité, la Commission allègue que l'Italie n'a pas mis en œuvre les mesures nécessaires pour se conformer à l'article 3, paragraphe 3, alinéa 2, ni à l'article 6, paragraphes 1 et 2, de la directive. Les deux griefs sont indépendants l'un de l'autre.

L'article 3

En vertu de l'article 3, paragraphe 1, les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail sont transférés au cessionnaire en cas de transfert de l'entreprise, de l'établissement ou de la partie d'établissement. Conformément à l'article 3, paragraphe 2, dans ce cas le cessionnaire maintient les conditions de travail convenues par une convention collective.

L'article 3, paragraphe 3, stipule que:

« les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas aux droits des travailleurs à des prestations de vieillesse, d'invalidité ou de survivants au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux de sécurité sociale des États membres.

Les États membres adoptent les mesures nécessaires pour protéger les intérêts des travailleurs, ainsi que des personnes qui ont déjà quitté l'établissement du cédant au moment du transfert au sens de l'article 1er, paragraphe 1, en ce qui concerne leurs droits acquis ou en cours d'acquisition à des prestations de vieillesse, y compris les prestations de survivants, au titre de régimes complémentaires visés à l'alinéa 1 ».

L'obligation contenue dans l'alinéa 2 de l'article 3, paragraphe 3, diffère à certains égards de celle de l'article 3, paragraphe 1. Ainsi, l'alinéa 2 de l'article 3, paragraphe 3, dispose de manière assez générale que les intérêts concernés doivent être protégés. Contrairement à l'article 3, paragraphe 1, l'article 3, paragraphe 3, ne stipule pas simplement que cette charge est transférée au cessionnaire. En outre, l'alinéa 2 de l'article 3, paragraphe 3, s'étend expressément aux intérêts « des personnes qui ont déjà quitté l'établissement du cédant au moment du transfert », alors que l'article 3, paragraphe 1, ne s'applique qu'aux personnes employées à la date du transfert (affaire 19/83, Wendelboe/L. J. Music ApS, arrêt rendu le 7 février 1985, Rec. 1985, p. 457).

Les parties ne contestent pas le fait que l'Italie n'a adopté aucune législation spécifiquement destinée à mettre en œuvre l'alinéa 2 de l'article 3, paragraphe 3. L'Italie prétend que les dispositions préexistantes de son code civil transfèrent les obligations en question au cessionnaire et sont donc conformes à cet alinéa 2, ce que nie la Commission.

L'article 2117 du code civil italien énonce que:

« Les fonds spéciaux de prévoyance et d'assistance que le chef d'entreprise a constitués, même sans contribution des travailleurs, ne peuvent pas être distraits de la finalité à laquelle ils sont destinés et ne peuvent pas faire l'objet d'une saisie de la part des créanciers du chef d'entreprise ou du partenaire de travail. »

D'après la Commission, si cette disposition met les fonds de prévoyance hors de portée des créanciers, elle ne lie pas le cessionnaire aux obligations contractées par le cédant à l'égard de ces fonds. Le gouvernement italien ne le conteste pas vraiment mais invoque les alinéas 1 et 2 de l'article 2112 du code civil. Ceux-ci sont ainsi libellés:

« En cas de transfert de l'entreprise, si l'aliénateur n'a pas donné congé en temps utile, le contrat de travail continue avec l'acquéreur et le travailleur conserve les droits découlant de l'ancienneté acquise avant le transfert.

L'acquéreur est tenu solidairement avec l'aliénateur de toutes les créances que le travailleur possédait lors du transfert, en raison du travail effectué, y compris celles qui trouvent leur cause dans le congé donné par l'aliénateur, pour autant que l'acquéreur en ait eu connaissance lors du transfert, ou que les créances résultent des livres de l'entreprise transférée ou du livret de travail. »

S'il pouvait être prouvé que des juridictions italiennes ont interprété l'article 2112 en ce sens qu'il transfère de manière assez générale aux employés, ou personnes l'ayant été, le droit de bénéficier immédiatemment ou ultérieurement des prestations visées à l'alinéa 2 de l'article 3, paragraphe 3, la législation en question pourrait, à notre sens, être à bon droit considérée comme mettant suffisamment en oeuvre la directive.

Le gouvernement italien a invoqué un certain nombre d'arrêts de la Cour de cassation établissant que les droits des employés à l'égard à ces fonds doivent être considérés comme découlant du contrat de travail ou de la relation de travail pour l'application d'autres dispositions du droit italien.

Par exemple, le jugement no 1061, rendu le 9 février 1983 par cette juridiction, portait sur le paragraphe 3 de l'article 429 du code de procédure civile aux termes duquel, lorsque le juge prononce un jugement de condamnation au paiement d'une « créance de travail », il est tenu de prendre en considération l'octroi d'une réparation spéciale s'ajoutant aux intérêts normaux de la dette. La Cour de cassation a déclaré dans cette affaire que les sommes dues en relation avec des fonds de cette nature constituaient des « créances de travail » à cette fin.

De même, dans l'arrêt no 3817 qu'elle a rendu le 3 août 1978, cette juridiction a énoncé qu'une action intentée par un employé de la banque d'Italie contre celle-ci et ayant trait à des fonds de cette nature relevait de la compétence de la juridiction administrative étant donné qu'elle était liée à une question inhérente au rapport de travail. Dans l'arrêt qu'elle a rendu le 5 juillet 1984, la Cour de cassation a également décidé, aux fins de déterminer la juridiction compétente pour connaître des actions les concernant, que ces fonds trouvent leur cause dans le rapport de travail.

Toutefois, d'après ce que nous comprenons, il n'existe pas de décision spécifique énonçant que les droits aux prestations mentionnées dans l'alinéa 2 de l'article 3, paragraphe 3, de la directive en question constituent toujours une dette du cédant envers ses employés « en raison du travail effectué» au sens de l'article 2112. Cet article ne mentionne pas expressément les droits aux prestations d'assurance. Il peut y avoir des cas dans lesquels l'employeur s'engage dans le contrat de travail à verser de telles prestations et où l'obligation de verser celles-ci peut être considérée comme une dette. Si en revanche, l'employeur accepte de procurer le versement d'une pension par un tiers (une compagnie d'assurances, par exemple), il est pour le moins possible de prétendre que l'obligation du tiers de verser ladite pension n'est pas « une dette » du cédant envers ses employés, quelle que soit la situation quant au versement de primes. En outre, l'article 2112 semble limité aux cas dans lesquels le cessionnaire avait connaissance de la dette au moment du transfert ou dans lesquels les dettes étaient apparentes dans les livres de l'entreprise transférée ou dans le dossier personnel de l'employé concerné. Il est bien possible que la plupart des dispositions prises en matière de pension rentrent dans ce cadre; il n'est pas certain qu'il doive nécessairement en être ainsi. En définitive, à l'instar de ce que prétend la Commission, il peut exister des cas dans lesquels le droit à la prestation en question ne naît pas d'une dette « en raison du travail effectué », même si elle peut être considérée comme constituant une dette de l'employeur.

Dans l'affaire 29/84, Commission/Allemagne (infirmiers)(Rec. 1985, p. 1661), la Cour a déclaré, dans l'attendu 23 de l'arrêt qu'elle a rendu le 23 mai 1985, que:

« Il ressort de cette disposition que la transposition d'une directive n'exige pas nécessairement une action législative dans chaque État membre. En particulier, l'existence des principes généraux de droit constitutionnel ou administratif peut rendre superflue la transposition par des mesures législatives ou réglementaires spécifiques à condition, toutefois, que ces principes garantissent effectivement la pleine application de la directive par l'administration nationale et que, au cas où la directive vise à créer des droits pour les particuliers, la situation juridique découlant de ces principes soit suffisamment précise et claire et que les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et, le cas échéant, de s'en prévaloir devant les juridictions nationales. Cette dernière condition est particulièrement importante, lorsque la directive en cause vise à accorder des droits aux ressortissants d'autres États membres, car ces ressortissants ne sont normalement pas au courant de ces principes. »

Dans le présent litige, nous avons le sentiment que l'article 2112 n'a pas la clarté et la précision nécessaires pour constituer une mise en œuvre appropriée de la directive.

Il a également été fait référence à l'article 2560 du code civil. A notre avis, ce dernier ne vide pas l'article 2112 du vice dont il nous paraît atteint, étant donné que, en ce qui concerne la responsabilité du cessionnaire, son application est limitée aux entreprises commerciales dans lesquelles les dettes figurent dans les comptes que la loi les oblige à tenir. Cela ne couvre pas tous les employés.

En conséquence, en dépit des arguments avancés par le gouvernement italien, il n'est pas possible d'affirmer que l'article 3, paragraphe 3, est mis en œuvre par la législation italienne préexistante.

L'article 6

L'article 6, paragraphe 1, de la directive visée oblige le cédant et le cessionnaire à informer les représentants de leurs travailleurs respectifs concernés par un transfert sur le motif du transfert, les conséquences juridiques, économiques et sociales du transfert pour les travailleurs et sur les mesures envisagées à l'égard des travailleurs. L'article 6, paragraphe 2, stipule que:

« Le cédant est tenu de communiquer ces informations aux représentants de ses travailleurs en temps utile avant la réalisation du transfert. »

La Commission fait valoir que l'Italie n'a pas correctement mis en œuvre ces dispositions. Il est vrai que l'article 1er, paragraphe 2, de la loi no 215 du 26 mai 1978 impose la condition suivante:

« A partir de l'entrée en vigueur de la présente loi, si une entreprise se trouve en crise, l'office régional du travail territorialernent compétent favorise — dans les cas où un règlement de la crise paraît possible grâce à un transfert de l'entreprise — des rencontres entre les organisations syndicales les plus représentatives des travailleurs et des employeurs afin de parvenir à des accords quant aux modalités et aux délais de réalisation du transfert, pour ce qui est des répercussions qui en résultent sur la mobilité des travailleurs et sur l'emploi. »

Néanmoins, cette disposition ne s'applique qu'aux entreprises « en crise ». En outre, il est constant qu'il n'existe pas d'autres dispositions légales italiennes mettant en œuvre les dispositions de la directive en question.

Le gouvernement italien fait valoir que les conventions collectives les plus importantes et les plus répandues contiennent des clauses qui équivalent dans leurs effets à l'article 6, paragraphes 1 et 2. Puisque de l'aveu propre de ce gouvernement, cela n'est vrai que des conventions les plus importantes et les plus répandues, il est manifeste qu'en Italie certains employés ne bénéficient pas de ces clauses.

En tout état de cause, une directive ne peut pas être mise en œuvre par des conventions collectives, à moins qu'un texte ne leur donne force de loi. Comme l'a dit l'avocat général VerLoren van Themaat dans l'affaire 91/81, Commission/Italie (licenciements collectifs) (Rec. 1982, p. 2133, et plus précisément p. 2145) les conventions collectives ne peuvent être considérées comme des « moyens » d'application d'une directive au sens de l'article 189 du traité. De même, dans l'affaire 96/81, Commission/Pays-Bas (eaux de baignade) (Rec. 1982, p. 1791, et plus précisément p. 1804), la Cour a déclaré que les dispositions d'une directive doivent être mises en œuvre par « des dispositions internes ayant un caractère contraignant ». Au surplus, des conventions collectives ne sont pas des dispositions législatives, réglementaires ou administratives » au sens de l'article 8 de la directive 77/187.

En conséquence, nous concluons que l'Italie n'a pas mis en œuvre l'article 6, paragraphes 1 et 2, de cette directive.

Conclusion

A la lumière de ces considérations, nous parvenons à la conclusion que les deux moyens de la Commission doivent être retenus et que les dépens de l'instance devraient être acquittés par l'Italie.


( *1 ) Traduit de l'anglais.

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