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Document 61984CC0066

    Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 31 janvier 1985.
    Ferriere di Borgaro SpA contre Commission des Communautés européennes.
    Quotas de production pour l'acier.
    Affaire 66/84.

    Recueil de jurisprudence 1985 -00927

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1985:46

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT

    présentées le 31 janvier 1985 ( *1 )

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    1. Introduction

    1.1.

    La requérante, l'entreprise Ferriere di Borgaro SpA, qui, selon ses déclarations à l'audience est en train de préparer sa faillite, a formé un recours devant la Cour contre la décision de la Commission du 26 janvier 1984, par laquelle elle s'est vu infliger une amende de 71857 Écus pour dépassement du quota de production au cours du premier trimestre de 1982, à concurrence de 1265 tonnes pour des produits de la catégorie VI, aciers marchands, au titre de la décision no 1831/81/CECA (JO L 180, 1981, p. 1). Elle demande à la Cour d'annuler la décision ou, à titre subsidiaire, de réduire l'amende.

    1.2.

    Le litige entre les parties ne porte pas sur les données quantitatives du dépassement. Toutefois, les parties ne sont pas d'accord sur les circonstances particulières qui doivent être prises en considération pour déterminer le montant de l'amende et qui justifient de s'écarter du taux normal de l'amende, à savoir 75 Écus par tonne.

    Dans la décision qui, selon les parties, reproduit longuement et correctement les faits, la Commission a tenu compte de l'état d'incertitude dans lequel la requérante s'est trouvée du fait que la Commission n'a admis une augmentation du quota qu'après la fin du trimestre en question, ainsi que de la compensation partielle du dépassement du premier trimestre que la requérante a opérée en n'épuisant pas le quota du deuxième trimestre. C'est ainsi que, pour la partie de dépassement compensé, à savoir 788 tonnes, l'amende a été fixée à 41,25 Écus par tonne, c'est-à-dire la moitié du taux de 82,5 Écus applicable au restant de 477 tonnes. En vertu de l'article 12 de la décision no 1831/81/CECA, il est infligé une amende s'élevant, en règle générale, à 75 Écus par tonne de dépassement. Dans le cas où une entreprise a dépassé son quota de 10 % ou plus, ou si l'entreprise a déjà dépassé son quota antérieurement, l'amende peut atteindre le double. Dans ces circonstances, l'amende a été augmentée de 10 % pour s'élever à 82,5 Écus.

    La Commission a fait savoir que pour déterminer le montant de l'amende, elle a suivi la jurisprudence de la Cour dans l'arrêt du 19 octobre 1983, dans l'affaire 179/82, Lucchini (Rec. 1983, p. 3083).

    La requérante estime que l'amende aurait dû faire l'objet d'une réduction plus importante en raison de la part de responsabilité imputable à la Commission dans le dépassement de quotas et du comportement de bonne foi que la requérante a toujours eu. A cet égard, elle renvoie à l'arrêt de la Cour du 14 février 1984, dans l'affaire 2/83, Alfer, dans lequel l'amende a été réduite à plus ou moins 11 % du montant initial.

    Selon la jurisprudence entre-temps constante de la Cour, un dépassement irrégulier de quotas ne saurait être compensé par une diminution de la production au cours d'un trimestre ultérieur, parce que le régime de quotas est établi sur une base trimestrielle (voir, entre autres, arrêt dans l'affaire 179/82, Lucchini, et arrêt du 14 février 1984, dans l'affaire 2/83, Alfer, Rec. 1984, p. 799). C'est pourquoi le présent litige ne concerne en fait que la question de savoir si l'amende aurait dû faire l'objet d'une réduction plus importante.

    2. Les faits

    La requérante produit, pour l'essentiel, des aciers spéciaux dont des billettes d'acier ordinaire de moins de 50 mm de côté.

    Sous le régime de la décision no 2794/80/CECA (JO L 291, 1980, p. 1), elle avait déclaré par erreur les billettes en question dans son quota d'acier brut et non pas dans son quota de produits laminés du groupe IV. La décision citée a été remplacée par la décision no 1831/81/CECA (JO L 180, 1981, p. 1) à partir du 1er juillet 1981. Cette nouvelle décision a modifié la réglementation en vigueur en ce sens que seule la production de certaines catégories d'aciers laminés — et non plus la production d'acier brut — continuait de relever du régime de quota. De ce fait, la requérante s'est vu assigner un quota de production d'aciers marchands fort réduit par rapport à sa production antérieure.

    Par décision du 21 décembre 1981, la Commission a fixé le quota de production de la requérante et la partie de ce quota qui pouvait être livrée sur le marché commun à 1185 et 1169 tonnes respectivement, pour le premier trimestre de 1982.

    Par cinq télex des 19, 22 et 28 janvier ainsi que des 22 et 31 mars 1982, la requérante a demandé un relèvement de ses quotas en faisant valoir que, antérieurement, elle avait commis une erreur de classification pour les billettes, et elle a demandé que la Commission lui indique comment se comporter (télex du 22 janvier 1982). Le 27 février 1982, les inspecteurs de la Commission ont effectué une vérification sur place.

    Par décision du 19 avril 1982, c'est-à-dire après la fin du premier trimestre (janvier, février et mars), la Commission a relevé les quotas à 5419 et 5646 tonnes respectivement. Cette décision a également fixé à 5134 tonnes le quota de la requérante pour le deuxième trimestre. Dans ces circonstances, la requérante a alors — c'est-à-dire au cours du deuxième trimestre — arrêté sa production de façon à compenser autant que possible le dépassement du premier trimestre. Il n'a, d'ailleurs, pas été établi au cours de la procédure à quel moment précisément la requérante avait arrêté sa production. Elle-même a situé ce moment peu de temps après réception de la décision de relèvement et de fixation des quotas pour les premier et deuxième trimestres, c'est-à-dire pas beaucoup plus tard que le 19 avril. A l'audience, la Commission a fortement mis en doute que la requérante ait réagi de la sorte aussi rapidement après le 19 avril. Ces doutes — qui, selon nous, peuvent paraître justifiés — sont fondés sur la constatation que les allégations de la requérante, à savoir qu'il ne restait plus que 788 tonnes du quota du deuxième trimestre avec lesquelles elle a compensé une partie du dépassement du premier trimestre, impliqueraient que, dès le début du deuxième trimestre, fin avril, elle aurait déjà produit 4300 tonnes environ.

    Quoi qu'il en soit, il est constant qu'au cours du premier trimestre, la production de la requérante s'est élevée à 6684 tonnes. En conséquence, elle a dépassé son quota de 1265 tonnes. Du fait de la réduction de production au cours du deuxième trimestre, elle a produit 788 tonnes de moins et a, ainsi, compensé partiellement le dépassement, de sorte qu'il reste une production de 477 tonnes non compensée.

    3. La décision entreprise

    Dans ses vingt considérants, la décision reproduit longuement le déroulement des faits, ainsi que les arguments que la requérante a présentés par écrit et à l'audition. Il a été constaté que les quotas fixés à l'origine par la Commission étaient fondés sur des indications inexactes données par la requérante et que, par différents télex (au nombre de cinq), elle a demandé que la Commission lui communique le relèvement de ses quotas pour éviter un dépassement et lui permettre d'effectuer une compensation effective au cours du deuxième trimestre. En conclusion, il est considéré dans la décision

    « que, dans le cas d'espèce, compte tenu de l'état d'incertitude dans lequel l'entreprise s'est trouvée au cours du premier trimestre 1982 et de sa volonté de compenser le dépassement du premier trimestre 1982, et donc de régulariser partiellement la situation, il y a lieu d'appliquer, pour la partie du dépassement qui a fait l'objet de ladite compensation, à savoir 788 tonnes, une amende s'élevant à 41,25 Écus par tonne de dépassement, qui représentent une amende dont le taux est égal à la moitié du taux applicable au dépassement non compensé de 477 tonnes ».

    Il ressort de ce considérant que la Commission a tenu compte à bon droit, lors de la fixation de l'amende, des circonstances particulières dans lesquelles le dépassement a eu lieu, conformément à la jurisprudence de la Cour (en dernier lieu affaire 270/82, Estel, arrêt du 29 février 1984, attendu 12). A cet égard, elle s'est fondée, en particulier, sur l'affaire 179/82, Lucchini.

    4. Les moyens

    L'argumentation de la requérante se résout en fait à deux moyens. Par son premier moyen, la requérante fait grief à la Commission d'avoir commis un détournement de pouvoir en estimant, au septième considérant de la décision infligeant une amende, que la déclaration incorrecte de la requérante eu égard aux quantités de référence ne peut pas être dissociée de la circonstance que, depuis juillet 1981, la requérante ne déclare plus sa production aux fins du prélèvement et ne paie plus le prélèvement. Cela a fait l'objet d'une décision de la Commission du 3 juin 1983, enjoignant à la requérante de s'acquitter des sommes dues. La requérante fait valoir que la décision attaquée en l'espèce est, en fait, dirigée contre une infraction en matière de prélèvements et d'obligations d'information.

    Par le deuxième moyen, la requérante tente de présenter à la Cour les circonstances particulières dans lesquelles le dépassement a eu lieu, de telle sorte que la Commission en supporte très largement la responsabilité et que l'amende prononcée aurait dû être inférieure. A cet égard, la requérante prétend que la classification des billettes de moins de 50 mm de côté sous l'empire de la décision no 2794/80/CECA n'était pas claire. Lors des vérifications opérées, les inspecteurs de ia Commission n'ont d'ailleurs pas fait remarquer à la requérante que la classification des billettes dans la catégorie de l'acier brut en lieu et place du groupe IV, aciers marchands, était erronée. De ce fait, selon la requérante, la Commission supporte une grande part de responsabilité dans le dépassement finalement commis. En outre, au cours du quatrième trimestre de 1981, la requérante a informé la Commission de ce que sa production dépasserait le quart de sa production de référence annuelle, à savoir 6000 tonnes, de sorte qu'au trimestre suivant, elle tomberait sous le régime de quotas, conformément à l'article 4, paragraphe 4, de la décision no 18 32/81/CECA, du 3 juillet 1981 (JO L 184, 1981, p. 1).

    Enfin, elle expose comment, malgré les demandes pressantes faites en temps utile dans cinq télex, la Commission a fixé le relèvement de quotas trop tard, après la fin du premier trimestre.

    5. Appréciation des moyens avancés

    En ce qui concerne le premier moyen, aucun élément ne fait apparaître que la décision vise un but autre que celui de sanctionner le dépassement de quotas. Ce n'est que dans une petite sous-partie d'un considérant déterminé que la Commission renvoie à l'infraction en matière de prélèvements et d'obligations d'information; le sens n'en est, effectivement, pas tout à fait clair, mais on ne saurait démontrer que c'est cette considération qui a entraîné la décision attaquée. De surcroît, le passage en question fait apparaître que l'infraction qui y est mentionnée a fait l'objet d'une décision séparée. C'est pourquoi, selon nous, il convient de rejeter ce moyen.

    Par son deuxième moyen, la requérante tente d'imputer en grande partie à la Commission la responsabilité du dépassement. A cet égard, elle se situe dans le cadre de la jurisprudence de la Cour dans les affaires 188/82, Thyssen (Rec. 1983, p. 3721), 2/83, Alfer, et 270/82, Estel, dans lesquelles — notamment dans les deux premières affaires — la Cour a très considérablement réduit les amendes prononcées. En ce qui concerne la classification erronée des billettes en cause, on ne saurait admettre, en se fondant sur les arguments donnés par la requérante, que la Commission en supporte la responsabilité parce qu'elle n'a pas rappelé la requérante à l'ordre. Les considérations émises par la Commission pour sa défense font apparaître que déjà sous l'empire de la décision no 2794/80/CECA, les billettes auraient dû être classées dans le groupe IV, aciers marchands, et non pas dans la catégorie de l'acier brut. A cet égard, la Commission renvoie à l'annexe I mentionnée à l'article 2 et à l'annexe II mentionnée à l'article 10. Ces annexes renvoient respectivement aux questionnaires Eurostat 2-13 et 2-11 qui, à leur tour, renvoient aux Euronorm qui mentionnent la classification en cause. A cet égard, la Commission a encore exposé que, dans d'autres entreprises, la classification exacte n'avait pas présenté de difficultés et que les Euronorm étaient diffusées auprès des entreprises concernées. La requérante n'a pas davantage mis en doute cette interprétation. Il est apparu qu'après les vérifications opérées au titre de la décision no 2794/80/CECA, la Commission n'a effectivement pas attiré l'attention de l'entreprise intéressée sur la classification erronée et qu'elle ne l'a peut-être pas constatée. Toutefois, en l'espèce, la procédure n'a pas permis d'établir quand l'entreprise en a été informée. Même à la suite de questions posées par des membres de la Cour à l'audience, ce problème n'a finalement pas reçu de solution définitive. Nous estimons qu'à l'audience la Commission s'est ralliée à ce que la requérante a elle-même exposé dans sa requête, à savoir que les inspecteurs de la Commission lui avaient fait connaître la classification correcte lors de l'entrée en vigueur de la décision no 1831/81/CECA, le 1o juillet 1981. Quoi qu'il en soit, le comportement de la requérante montre, en tout cas, qu'elle savait quelle était la classification correcte au quatrième trimestre de l'année 1981, lorsqu'elle a fait savoir à la Commission que sa production dépasserait le chiffre de 6000 tonnes — chiffre d'ailleurs envisagé à tort —, de sorte qu'elle serait soumise au régime de quotas.

    Selon nous, cet ensemble de faits ne permet pas d'établir la responsabilité de la Commission. La requérante ne saurait se prévaloir a posteriori d'une situation irrégulière qu'elle a elle-même créée antérieurement et que la Commission n'a pas constatée. Les propres déclarations de la requérante, qui ont déjà été mentionnées, font apparaître, en tout cas, qu'elle connaissait la classification exacte du produit en cause sous l'empire de la décision no 1831/81 /CECA puisqu'elle a informé la Commission du dépassement de la limite de production de 6000 tonnes au cours du quatrième trimestre, ce qui la soumettrait au régime de quotas. Indépendamment du caractère erroné de l'interprétation de l'article 4, paragraphe 4, de la décision no 1831/81/CECA, tel que modifié par l'effet de la décision no 1832/81/CECA, l'argument, tiré de la limite de production de 6000 tonnes qui permet à une entreprise d'être exemptée du régime de quotas n'a, selon nous, pas grand rapport avec l'argumentation présentée pour développer ce moyen. Il ne nous apparaît pas clairement ce qu'il a de commun avec la classification. En revanche, comme nous l'avons déjà fait observer, il en résulte que la requérante connaissait la classification correcte. Celle-ci aurait d'ailleurs dû être soumise au régime de quotas dès le quatrième trimestre de l'année 1981, si la limite de production était de 3000 tonnes par trimestre comme la Commission le prétend. Il est, en effet, constant, qu'au troisième trimestre de cette année, la production de la requérante s'élevait à 4771 tonnes.

    C'est à bon droit que, lors de la fixation du montant de l'amende, la Commission a tenu compte de l'incertitude qu'elle avait créée en prenant tardivement une décision au deuxième trimestre de 1982, ainsi que de la compensation effectuée par la requérante. A nos yeux, c'est à juste titre en effet que lors de la fixation du montant de l'amende, la Commission a opéré une distinction entre la compensation effective et le dépassement restant puisque la procédure n'a pas fait apparaître avec certitude à quel moment la requérante a arrêté sa production. Si ce moment se situait effectivement peu de temps après réception de la décision de relèvement des quotas, nous proposerions à la Cour, en nous fondant sur les circonstances particulières reconnues et l'impossibilité effective de compenser également la part de 477 tonnes au cours du trimestre en question, d'appliquer le taux d'amende réduit de moitié. Etant donné les doutes justifiés — comme nous l'avons fait observer — qui ont été soulevés à cet égard, nous ne ferons pas une telle proposition. En revanche, en raison des circonstances particulières établies, il nous semble injuste de fixer le montant de l'amende sur la base du taux supérieur de 82,5 Écus par tonne. Dans la situation de l'espèce nous proposons donc à la Cour de réduire le montant de l'amende en appliquant le taux normal de 75 Écus par tonne.

    Pour la part de 477 tonnes de dépassement non compensée, cela donne une amende de 35775 Écus et pour les 788 tonnes de dépassement compensé, cela donne, sur la base du taux réduit de moitié, une amende de 29550 Écus, c'est-à-dire au total une amende de 65325 Écus.

    En conclusion, nous proposons donc à la Cour de réduire l'amende à 65325 Écus en appliquant le taux normal de 75 Écus par tonne, de rejeter le recours au surplus et de condamner chacune des parties à supporter ses propres frais.


    ( *1 ) Traduit du néerlandais.

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