B —
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Cette question appelle de notre part les observations suivantes :
1.
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La chambre qui a rendu l'ordonnance, les parties dans l'affaire principale ainsi que la Commission, qui a présenté des observations sur cette demande de décision préjudicielle, partent, de manière concordante, de l'idée que, par son mode de fabrication et sa nature, le produit litigieux doit être considéré comme une marchandise au sens de la position tarifaire 59.03 «tissus non tissés et articles en tissus non tissés ...». La règle concurrente contenue dans la note 1 relative au chapitre 58 précise expressément que, outre les produits qui y sont cités en détail, les autres articles repris au chapitre 59 ne rentrent pas dans le chapitre 58.
Il ne pourrait en être autrement qu'en prenant en considération la destination incontestable de la marchandise en question comme revêtement de sol. Mais, étant donné que, d'après son texte même, la position tarifaire 58.02 éventuellement pertinents n'englobe que les «tapis» autres que les tapis à points noués, il reste à examiner si la classification sous cette position tarifaire s'impose sur la base de la note 2 relative au chapitre 58. Cette note est rédigée de la manière suivante.
«Sont considérés comme ‘tapis’ au sens des positions tarifaires 58.01 et 58.02, outre les tapis de pied, les articles similaires présentant les caractéristiques des tapis de pied, mais destinés à être placés ailleurs que sur le sol. Sont exclus de ces positions les tapis de feutre qui relèvent du chapitre 59.»
De l'avis de la juridiction qui a rendu l'ordonnance de renvoi, cette disposition peut être entendue soit en ce sens que la règle ne concerne que des articles similaires aux tapis de pied qui doivent être utilisés non comme tapis de pied, mais à d'autres fins, par exemple comme tapisserie, soit en ce sens qu'elle englobe également, en tant que «lex specialis» relative à la note 1, tous les articles similaires aux tapis de pied, même si, d'après la disposition citée en dernier lieu, ces articles devraient en principe être classés dans le chapitre 59.
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2.
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Toutefois, comme la Commission le relève à bon droit, de manière tout à fait générale, le seul fait que le texte de la note ne contient aucun indice selon lequel cette disposition serait en opposition quelconque avec la note 1 et la limiterait s'oppose à ce que l'on considère la note en question comme une «lex specialis». En outre, un interprétation grammaticale détaillée, compte tenu de toutes les versions linguistiques relatives à la question, même si elles ne coïncident point, montre déjà que les positions tarifaires 58.01 et 58.02 ne doivent englober que les articles similaires aux tapis de pied, qui, même s'ils sont destinés à d'autres fins, présentent néanmoins les caractéristiques de ces tapis. La destination différente possible de ces articles similaires aux tapis de pied apparaît notamment dans les versions danoise, française et néerlandaise, dans lesquelles il est dit qu'il doit s'agir de marchandises qui ne sont pas destinées à être placées sur le sol. Ces textes font déjà clairement apparaître que le but de la note consiste à classer sous ces positions tarifaires les articles qui présentent les caractéristiques des tapis de pied au sens des positions tarifaires 58.01 et 58.02, même s'ils ne sont pas utilisés comme revêtements de sol. Il en résulte inversement que le champ d'application effectif de la disposition ne s'étend pas aux articles qui, certes, sont destinés à être utilisés comme revêtements de sol, mais qui ne présentent pas les caractéristiques des tapis de pied. En conséquence, la question déterminante est de savoir si la marchandise litigieuse présente ces caractéristiques.
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3.
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Comme toutes les parties à la procédure l'ont relevé à bon droit, le tarif douanier commun ne contient aucune description de ces caractéristiques. Seules les notes explicatives relatives à la position tarifaire 58.02 (première partie, paragraphe 2) contiennent à cet égard une indication selon laquelle sont des tapis, les articles qui présentent les caractéristiques d'épaisseur, de rigidité et de résistance les rendant aptes à être utilisés comme recouvrements de sol. Si l'on se fondait sur ces caractéristiques, la marchandise litigieuse devrait, à vrai dire, être considérée comme tapis au sens de la position tarifaire 58.02.
Mais la juridiction qui a rendu l'ordonnance de renvoi relève avec raison que ces notes n'excluent pas que d'autres caractéristiques puissent jouer un rôle lorsqu'il s'agit de décider si un produit doit être considéré comme similaire à un tapis. En outre, si, en suivant la défenderesse dans l'affaire principale, on considérait ces caractéristiques comme déterminantes, la question de la compatibilité de ces notes avec la note 2 relative au chapitre 58, qui, en tant que règle juridique, a la primauté, se poserait.
a)
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A notre avis, l'usage linguistique habituel et l'opinion courante plaident déjà en faveur de la réponse à la question de savoir quels sont les éléments qui caractérisent un tapis ou un produit similaire. Comme le montrent les positions tarifaires 58.01 et 58.02, l'expression «tapis» qui en tant que telle ne présente pas toujours des contours évidents, se divise, il est vrai, dans les différentes versions linguistiques en plusieurs notions. Toutefois, eu égard à l'usage linguistique et à l'opinion courante, on peut, de manière générale, constater avec la demanderesse dans l'affaire principale que la notion de «tapis» se distingue de celle de «revêtement de sol» dans la mesure où dans le cas de la première, outre la destination, le mode de fabrication et la nature jouent également un rôle.
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b)
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Le fait qu'un tapis au sens des dispositions tarifaires 58.01 et 58.02 se distingue, en plus des caractéristiques indiquées dans les notes explicatives citées, par d'autres caractères, découle très clairement de la systématique des produits cités sous ces positions tarifaires. La position tarifaire 58.01 comprend les «tapis à points noués ...», tandis que les «autres tapis ...» sont classés sous la position tarifaire 58.02. Cette dernière établit donc une subdivision entre les sous-positions tarifaires 58.02 A «tapis» et 58.02 B «Kelim, Soumak, Karamanie et similaires». La sous-position tarifaire 58.02 A se subdivise encore une fois entre les sous-positions tarifaires I «tapis de coco» et II «autres». A son tour, la sous-position tarifaire 58.02 A II «autres (que les tapis de coco)» cite, sous a) «les tapis tufted» et sous b) «les autres (que les tapis tufted)». Ainsi, comme le montrent du reste les notes explicatives, tous les articles expressément cités sous les deux positions tarifaires présentent, par rapport aux autres revêtements de sol, au moins une caractéristique commune quant à leur technique de fabrication en ce sens qu'il s'agit de matériaux qui sont fabriqués selon la technique du point noué, du tissage, du tissage à maille ou du tricotage, ou tout au moins qui donnent cette impression. En revanche, comme l'indiquent les notes explicatives relatives au chapitre 59.03 (première partie, paragraphe 1), les tissus non tissés ont pour caractéristique d'être obtenus en formant, par cardage ou autrement, une nappe comportant un ou plusieurs voiles de fibres textiles en position parallèle ou croisée ou disposées en tous sens, selon le cas. Ces fibres sont ensuite fixées ensemble à l'aide d'un liant ou par autocollage, donc par un procédé chimique ou éventuellement thermique. En conséquence, il serait contraire au système de classer sous la sous-position tarifaire 58.02 AII b) «autres que les tapis tufted», les revêtements de sol fabriqués à partir d'un tissu qui, par sa technique de fabrication, se distingue fondamentalement des marchandises citées sous les positions tarifaires 58.01 et 58.02. Il en est d'autant plus ainsi que la sous-position tarifaire 58.02 B cite ensuite d'autres tapis tissés à la main.
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c)
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En outre, les articles mentionnés sous les positions tarifaires 58.01 et 58.02 se caractérisent, par rapport aux articles du chapitre 59, par cet autre caractère commun, qu'en plus de leur autre destination, ils remplissent une fonction plus ou moins décorative. Ainsi qu'il découle de son titre, le chapitre 58 englobe «les tapis et tapisseries, les velours, les peluches, les tissus bouclés et les tissus de chenille, la rubanerie, les passementeries, les tulles et tissus à mailles nouées (filets), les dentelles et guipures, les broderies». Entrent sous le chapitre 59 les «ouates et feutres, les cordages et articles de corderie, les tissus spéciaux, les tissus imprégnés ou enduits, les articles techniques en matières textiles». Mais aucune des parties ne prétend, qu'en dehors de sa destination comme paillasson rétenteur de poussières, le revêtement de sol litigieux doit en plus servir de «décoration».
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4.
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Au reste, l'existence notamment de la position tarifaire 59.10 avec la désignation «linoléums» pour tous usages, découpés ou non, couvre-parquets consistant en un enduit appliqué sur support de matières textiles, découpées ou non, montre que tout revêtement de sol, indépendamment de sa nature, ne peut pas être qualifié de tapis au sens des positions tarifaires 58.01 et 58.02.
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5.
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L'interprétation selon laquelle la note 2 relative au chapitre 58 n'englobe que les articles qui présentent les caractéristiques de tapis de pied, est finalement également confirmée par la genèse de cette disposition. Initialement, la phrase 1 était ainsi rédigée:
«Les tapis de table tissés à la manière des tapis de pied rentrent dans les numéros 58.01 ou 58.02, selon le cas».
Par conséquent, d'après ce texte, seuls les tapis de table tissés à la manière des tapis de pied étaient assimilés aux tapis de pied. Comme cette assimilation a paru trop étroite au comité intérimaire de la nomenclature, celui-ci a recommandé dans le projet du 31 octobre 1953 (document 1753 f (53)), de remplacer cette rédaction par le texte désormais en vigueur. Ainsi qu'il ressort des motifs, le but de cette modification était, d'une part, d'étendre l'assimilation«aux tapis comparables, qui ne sont utilisés que comme revêtement de sol» et, d'autre part, de remplacer le critère du tissage par un autre, «renfermant les caractéristiques de tapis de pied». Pour délimiter ces produits par rapport aux simples linges de table ou aux tissus pour l'ornementation intérieure, les caractéristiques des tapis de pied ont été décrites par les cirtères «rigidité, épaisseur et résistance» qui ont été ultérieurement repris dans les notes explicatives. Mais surtout cette genèse montre clairement que ces critères pour la définition d'un tapis ne sont pas exhaustifs, mais doivent s'ajouter à une technique particulière de production.
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6.
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En outre, un argument supplémentaire peut être tiré de la deuxième phrase de la note 2 relative au chapitre 58, qui dispose que les tapis de feutre relèvent du chapitre 59. Cette phrase, elle aussi, fait clairement apparaître que, lorsqu'il s'agit de classer un article comme «tapis» au sens des positions tarifaires 58.01 et 58.02, il faut se référer moins à sa destination possible, mais davantage à la nature et au mode de fabrication du produit.
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7.
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Selon le résultat actuel de notre recherche, il faut donc partir de l'idée que, en prenant ces critères pour base, la marchandise litigieuse doit être considérée comme un article en tissus non tissés au sens de la position tarifaire 59.03. Nous n'apercevons pas non plus de motif raisonnable d'appliquer inversement une autre règle aux revêtements de sol en tissus non tissés, qui, comme on le sait, présentent, en ce qui concerne leur mode de fabrication et leur nature, davantage de points communs avec les tapis de feutre qu'avec les articles cités sous les positions tarifaires 58.01 et 58.02. Comme la Commission l'a exposé de manière convaincante, le fait que, dans la phrase en question les revêtements de sol en tissus non tissés ne sont pas expressément mentionnés à côté des tapis de feutre pourrait également s'expliquer par la genèse de cette note. Avec l'adoption du protocole du 1er juillet 1955 portant modification de la «convention sur la nomenclature pour la classification des marchandises dans les tarifs douaniers» du 15 décembre 1950 qui a abouti à la nouvelle rédaction indiquée de la première phrase de la note 2 relative au chapitre 58, la position tarifaire 59.03, déterminante en la matière, a été instituée pour les tissus non tissés encore peu connus à cette époque, selon la Commission, et probablement assimilés aux feutres.
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8.
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Contre la thèse que nous défendons ici, on pourrait objecter que les autorités douanières de neuf États membres se sont exprimées sur demande à propos d'un classement du produit litigieux sous la position tarifaire 58.02 («autres tapis»). Mais cette prise de position pourrait s'expliquer par le fait que, d'une part, comme nous l'avons montré, les caractéristiques d'un tapis mentionnées dans les notes explicatives relatives à la position tarifaire 58.02 sont incomplètes et que, d'autre part, celles qui se rapportent à la position tarifaire 59.03 (première partie, paragraphe 17) prévoient expressément que les «tapis de pied (position 58.02)» n'entrent pas sous la position tarifaire 59.03. Pour des raisons de praticabilité et d'application uniforme du tarif douanier, les administrations douanières s'efforcent de suivre les notes explicatives du comité compétent de la nomenclature.
L'admission de ces notes s'explique par le fait que, pour des motifs d'application pratique du tarif douanier, mais sans aborder les problèmes juridiques exposés, le comité de la nomenclature du Conseil de coopération douanière, lors de la 39e session en octobre 1977, s'est prononcé à l'unanimité en faveur du classement sous la position tarifaire 58.02 d'un article désigné comme «Nomad Cushiom», comparable au produit litigieux. Enfin, lors de la 40e session en mai 1978, ce comité a admis la note citée relative à la position tarifaire 59.03 selon laquelle les tapis de pied de la position 58.02 n'entrent pas sous la position tarifaire 59.03. Cette note n'a qu'un caractère indicatif. Elle est en contradiction avec la note 1 relative au chapitre 58, juridiquement obligatoire. La note 2 ne se rapporte pas au paillasson rétenteur de poussières qu'il convient de classer. Il reste donc que, conformément à la note 1, l'article litigieux doit relever, de la position tarifaire 59.03.
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