EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61981CC0286

Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 22 septembre 1982.
Procédure pénale contre Oosthoek's Uitgeversmaatschappij BV.
Demande de décision préjudicielle: Gerechtshof Amsterdam - Pays-Bas.
Libre circulation des marchandises - Interdiction de l'offre de primes en nature à des fins de promotion de vente.
Affaire 286/81.

Recueil de jurisprudence 1982 -04575

ECLI identifier: ECLI:EU:C:1982:302

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

PRÉSENTÉES LE 22 SEPTEMBRE 1982 ( *1 )

ET CONFIRMÉES À L'AUDIENCE DU 9 DÉCEMBRE 1982

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

1.1. Aperçu des problèmes soulevés par cette affaire

L'affaire Oosthoek montre une fois de plus que le terrain sur lequel se rejoignent les ententes, les législations économiques disparates des différents États membres et le droit communautaire est parsemé de pièges, d'obstacles, de chausse-trappes et d'embûches. Certaines de ces complications font qu'il n'est pas simple de donner à la question, que le Gerechtshof d'Amsterdam vous a posée, une réponse qui évite des conséquences à la portée de votre ample jurisprudence pertinente en l'espèce. Nous commencerons par donner un aperçu de ces complications.

a)

Selon les observations écrites qu'elle a déposées dans cette affaire (page 10), la société Oosthoek's Uitgeversmaatschappij BV (que nous appellerons dans la suite «Oosthoek») est tombée dans un piège que lui a tendu la «Vereniging ter Bevordering van de Belangen des Boekhandels» (association pour la promotion des intérêts des libraires). En effet, sous certaines conditions, l'article 3 de la «Wet Beperking Cadeaustelsel» (loi néerlandaise portant restrictions au système des cadeaux) de 1977, dont il s'agit dans le présent litige, l'autorise parfaitement à offrir en cadeau, conjointement à la vente de ses encyclopédies, les livres provenant de son propre assortiment, qui est la méthode en cause en l'espèce. Cette dérogation souligne que la loi poursuit des objectifs très particuliers, auxquels nous aurons l'occasion de revenir.

IL ressort des observations écrites déposées par Oosthoek dans cette procédure que le «Reglement voor het handelsverkeer» (règlement relatif au commerce), arrêté par l'association précitée, l'empêche toutefois de remplir les conditions prévues au paragraphe 1, sous c), du même article 3. En résumé, cette condition exige que l'entreprise concernée permette à l'acheteur d'opter entre le cadeau et une somme d'argent au moins égale à la moitié du prix de vente normal du cadeau (dispositions combinées de l'article 3, paragraphe 1, sous c), et de son paragraphe 2, sous a)). Or, selon les observations écrites d'Oosthoek, l'article 12 du règlement à caractère d'entente précité qualifie le fait de remplir cette condition de ristourne interdite par l'entente.

Oosthoek tente maintenant d'échapper à ce piège en faisant valoir que l'application pratique d'une autre dérogation à l'interdiction de principe de l'offre de cadeaux, prévue à l'article 4, paragraphe 3, de la loi, est contraire à votre jurisprudence relative aux articles 30 à 36 traité CEE. En résumé, cet article 4, paragraphe 3, prévoit une dérogation pour les cadeaux qui, premièrement, ont un lien de parenté sur le plan de la consommation avec le produit mis en vente, deuxièmement, portent une mention publicitaire indélébile et nettement apparente à l'usage normal et, troisièmement, n'ont pas une valeur supérieure à 4 % du prix de vente de l'ensemble des articles qui constituent le support du cadeau. C'est notamment à la condition de l'existence d'un lien de parenté sur le plan de la consommation que les cadeaux litigieux en l'espèce ne répondent pas d'après le texte de la loi et la jurisprudence y afférente. Comme cette condition de l'existence d'un lien de parenté sur le plan de la consommation n'est pas prévue par une disposition du droit belge — au demeurant similaire — citée par le gouvernement belge dans ses observations écrites, Oosthoek peut, en revanche, mener son opération-cadeaux litigieuse en Belgique. Cette situation gêne Oosthoek dans son dessein, louable en soi sous l'angle communautaire, de suivre une stratégie de vente uniforme sur l'ensemble du territoire néerlandophone.

Telles sont les circonstances qui ont amené le juge de renvoi à vous poser la question suivante:

«Est-il conforme au droit communautaire (en particulier au principe de la libre circulation des marchandises) que, par suite des dispositions de la ‘Wet Beperking Cadeaustelsel’ (loi néerlandaise portant restrictions au système des cadeaux), un éditeur qui tente de promouvoir la vente de divers ouvrages de référence destinés à l'ensemble du territoire de langue néerlandaise et qui proviennent en partie des Pays-Bas et en partie de la Belgique, en offrant des cadeaux sous forme de livres, soit obligé de cesser de pratiquer cette méthode de promotion des ventes aux Pays-Bas, alors qu'elle est autorisée en Belgique, pour la seule raison que la réglementation néerlandaise exige l'existence, entre le cadeau et le produit qui forme la base de l'offre de cadeau, d'un lien de parenté sur le plan de la consommation?»

Pour répondre à cette question, nous devons franchir les obstacles et échapper aux chausse-trappes et embûches dont nous allons maintenant faire l'inventaire.

b)

Tout d'abord, il va falloir examiner si la «Wet Beperking Cadeaustelsel» de 1977, dans la mesure où elle nous intéresse ici, entre en conflit avec le principe fondamental de l'arrêt Dassonville (affaire 8/74, Recueil 1974, p. 837, 5e attendu), qui est devenu une prémisse constante dans votre jurisprudence ultérieure. Oosthoek et la Commission répondent à cette question par l'affirmative; les gouvernements néerlandais, allemand et danois lui donnent une réponse négative. Nous examinerons ce point dans la deuxième partie de nos conclusions.

c)

En cas de réponse affirmative à la question que nous venons d'énoncer, il faudra vérifier ensuite s'il y a lieu d'appliquer en l'espèce ce que nous avons appelé succinctement, notamment dans nos conclusions dans l'affaire Beele (affaire 6/81), la «règle du caractère raisonnable» ou la «rule of reason», consacrée dans le sixième attendu de l'arrêt Dassonville, avec les précisions que vous y avez apportées dans votre jurisprudence ultérieure ( 1 ). Ce faisant, il faudra naturellement éviter le malentendu qui consiste à penser qu'il s'agit en l'occurrence d'une application ou d'une extension des dérogations prévues à l'article 36 (comme le gouvernement allemand l'a fait valoir dans ses observations écrites), car les intérêts concernés par des restrictions légales au régime des cadeaux (notamment la loyauté des transactions commerciales et la défense des consommateurs) ne peuvent en aucun cas être comptés parmi ceux qui sont énumérés limitativement à l'article 36. Nous renvoyons à cet égard à votre arrêt dans l'affaire 113/80, Commission contre Irlande (Recueil 1981, p. 1625, point 10 des motifs).

Dans la troisième partie de nos conclusions, nous confronterons les entraves au commerce, qui résultent de lois du type de celle qui est en cause ici, à votre jurisprudence relative à la «rule of reason». Les obstacles majeurs qu'il faudra franchir à cette occasion nous paraissent être les suivants.

En premier lieu, il ressort de l'historique de la loi, de son texte ainsi que de la doctrine que, si cette loi vise effectivement aussi la défense des consommateurs, elle ne tend pas explicitement à promouvoir la loyauté des transactions commerciales, car ce dernier domaine juridique est exclusivement couvert par la jurisprudence relative aux actes délictueux (aniele 1401 du Code civil néerlandais) et par une seule disposition spécifique du Code pénal ( 2 ). La loi fait partie d'une catégorie de textes législatifs qui visent à assurer un «déroulement ordonné des échanges économiques». A cette catégorie de lois appartiennent également, selon les observations écrites du gouvernement néerlandais, la loi sur les soldes, la loi sur le colportage et la loi sur les ventes à tempérament ainsi que, suivant d'autres sources citées en note, la loi sur la fermeture des magasins et certains aspects de la «Vestigingswet Bedrijven» (loi sur l'établissement des entreprises). Il ressort de l'exposé des motifs des lois en question que, historiquement, la «Wet Beperking Cadeaustelsel» est étroitement liée en particulier au développement de la législation en matière d'établissement. Les textes successifs de la loi (1955, 1972 et 1977) ont notamment suivi étroitement les modifications de la législation sur l'établissement des commerces de détail. Ces modifications de la législation en matière d'établissement ont obligé entre autres, comme il apparaît de l'exposé des motifs, de remplacer l'objectif initial de l'interdiction de l'offre de cadeaux «étrangers à la branche» par la protection des entreprises «qui proposent habituellement les articles offerts en cadeaux dans leur assortiment normal» comme objectif principal de la loi actuellement en vigueur. Vous vous rappellerez qu'à la fin de la procédure orale, l'agent de la république fédérale d'Allemagne s'est explicitement distancié d'une telle justification économique d'une interdiction de l'offre de cadeaux. Pas plus que la «Wet Beperking Cadeaustelsel», les autres lois entrant dans cette catégorie de textes législatifs visant à assurer un déroulement ordonné des échanges économiques ne servent à promouvoir la loyauté de la concurrence. Toutes les lois citées ci-dessus font partie, comme aussi par exemple la législation sur les prix, la législation agricole et la réglementation des transports, de la législation économique, même si elles représentent un type bien déterminé de cette dernière. La caractéristique commune de ce type de lois est que les objectifs socio-économiques d'organisation du marché qu'elles poursuivent débouchent en principe ici sur des règles durables, même si ce principe n'exclut pas des dispositions d'application concrètes plus ou moins discrétionnaires.

En conséquence, l'objectif explicite de la loi pose le problème de savoir si c'est à bon droit que le gouvernement néerlandais et la Commission ont assimilé la loi litigieuse, dans leurs observations écrites, aux lois de sauvegarde de la loyauté des transactions commerciales que votre jurisprudence englobe dans la «rule of reason» de l'arrêt Dassonville et, dans la négative, s'il est justifié de soumettre également à cette règle atténuant la formule de base de l'arrêt Dassonville des lois qui visent à assurer un déroulement ordonné des échanges économiques. Lors de l'examen de cette double question, nous analyserons la pertinence de certaines réponses alternatives.

En deuxième lieu, l'application de la règle du caractère raisonnable, énoncée dans le sixième attendu de l'arrêt Dassonville, conjointement au principe de proportionnalité qui, selon votre jurisprudence, est inhérent à cette règle, pose des problèmes particuliers en l'espèce. En ce qui concerne la condition de l'existence d'un lien de parenté sur le plan de la consommation, qui est visée dans la disposition dérogatoire citée par le juge de renvoi, on peut se demander notamment si les effets restrictifs sur le commerce dérivant de cette disposition, qui vise manifestement à limiter les dommages causés au commerce régulier des articles offerts en cadeau (ce qui est l'objectif principal de la loi), sont effectivement justifiés par cet objectif lorsqu'il s'agit d'articles que l'entreprise concernée propose dans son propre assortiment. La justification de cette condition particulière de l'existence d'un lien de parenté sur le plan de la consommation par l'objectif d'organisation du marché, visé par la loi néerlandaise, et non par des considérations tenant à la loyauté des transactions commerciales ou à la défense des consommateurs, nous paraît être confirmée par le fait qu'une telle condition spécifique ne figure dans aucune des dérogations, au demeurant similaires, prévues dans les législations en matière de cadeaux d'autres États membres.

En troisième lieu, en raison des effets restrictifs sur le commerce résultant des disparités entre les législations des États membres dans ce domaine, il conviendra en outre de s'arrêter un instant aux critères, définis dans votre jurisprudence, de ala commercialisation légale dans un autre État membre» (affaire 120/78, 15e attendu et dispositif) et de «l'équivalence des conditions posées dans un autre État membre» (voir notamment votre récent arrêt du 22. 6. 1982 dans l'affaire 220/81, Robertson).

Non plus à l'audience, Oosthoek n'est pas parvenue à démontrer pourquoi l'article 34 du traité CEE avait également de l'importance en l'espèce. Comme l'agent du gouvernement néerlandais l'a exposé une nouvelle fois à l'audience et comme il résulte également du principe de territorialité du droit pénal néerlandais, applicable en l'espèce, la loi néerlandaise litigieuse ne s'applique pas à l'exportation d'articles et de cadeaux vers d'autres États membres. A supposer mėme qu'on puisse affirmer que la loi néerlandaise constitue néanmoins un obstacle indirect à une stratégie commerciale uniforme et optimale, pratiquée sur l'ensemble du territoire néerlàndophone, soit en particulier aux Pays-Bas et en Belgique, il ne peut en aucun cas être parlé d'une restriction discriminatoire à l'exportation provoquée par la loi en cause, au sens de vos arrêts Bouhelier (affaire 53/76, Recueil 1977, p. 197), Groenveld (affaire 15/79, Recueil 1979, p. 3409) et Oebel (affaire 155/80, Recueil 1981, p. 1993).

1.2. Déroulement de la procédure

Parmi les faits que le juge de police a déclaré établis dans l'ordonnance de renvoi, seul semble importer, pour ce qui est des circonstances concrètes qui sont à l'origine de la question qui vous est posée, le fait qu'un atlas universel est offert en cadeau au moment de la souscription au Grand Larousse. Cette encyclopédie est importée aux Pays-Bas à partir de la Belgique et il ressort de la réponse à une question écrite posée par la Cour que le volume de cette importation est considérable. Les autres opérations-cadeaux déclarées établies concernent la vente aux Pays-Bas d'encyclopédies produites sur le territoire néerlandais. Le juge de renvoi ne devra donc pas confronter l'application des dispositions prohibitives en matière d'opérations-cadeaux, prévues par la loi en question, aux articles 30 et 34, dès lors qu'à cet égard il ne saurait être question, compte tenu de votre jurisprudence précitée et de l'effet territorial limité de la loi en cause, d'une restriction prohibée indirecte à l'exportation.

Pour un résumé des arguments et autres faits pertinents qui ont été exposés dans les nombreuses observations écrites, nous renvoyons au rapport d'audience. A l'audience, toutefois, les observations écrites d'Oosthoek, du gouvernement néerlandais, du gouvernement allemand et de la Commission ont été précisées davantage et complétées sur un certain nombre de points. Pour autant que de besoin, nous reviendrons encore à ces observations plus tard.

1.3. Articulation de Za suite de nos conclusions

Dans les deuxième et troisième parties de nos conclusions, nous confronterons, comme nous l'avons déjà dit, les dispositions pertinentes de la loi néerlandaise à la règle fondamentale et à la règle atténuante de l'arrêt Dassonville (cinquième et sixième attendus) ainsi qu'aux précisions qui ont été données sur ce point dans votre jurisprudence ultérieure, dans la mesure où elles ont de l'importance en l'espèce. Dans la quatrième partie de nos conclusions, nous résumerons nos constatations et, après quelques observations complémentaires, nous formulerons une réponse résumée à la question qui vous est posée.

2. Les effets d'entrave à l'importation provoqués par les restrictions légales au système des cadeaux

Ainsi qu'il ressort également du rapport d'audience, les gouvernements néerlandais, allemand et danois nient que des lois du type de celle qui est en cause ici puissent entraver les importations. A cette fin, les trois gouvernements invoquent comme argument principal le fait qu'il s'agit en l'occurrence de mesures qui frappent indistinctement les produits nationaux et les produits importés. De l'avis du gouvernement néerlandais; les échanges interétatiques pourraient tout au plus subir l'influence des disparités des législations des États membres. De plus, selon les gouvernements danois et allemand, les restrictions concernent non pas l'importation de produits, mais exclusivement la méthode de commercialisation de ces produits.

Ces arguments doivent être rejetés à la lumière, entre autres, du cinquième attendu de l'arrêt Dassonville, de vos nombreux arrêts relatifs aux régimes de prix s'appliquant indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés, du huitième attendu de votre arrêt Cassis de Dijon (affaire 120/78, Recueil 1979, p. 649), de votre arrêt dans l'affaire 152/78 (Commission/France, Recueil 1980, p. 2299), du point 10 des motifs de votre arrêt dans l'affaire Commission/Irlande, qui résume la jurisprudence antérieure (affaire 113/80, Recueil 1981, p. 1625) et de vos récents arrêts dans les affaires Beele (affaire 6/81) et Robertson (affaire 220/81). L'affaire 152/78 ne présente à cet égard un intérêt particulier en l'espèce que dans la mesure où elle concernait également une restriction frappant certaines activités publicitaires et non pas une restriction visant le commerce des produits en cause.

Dans votre récent arrêt dans l'affaire Belsgen (affaire 75/81), l'arrêt visé en dernier lieu a de nouveau été invoqué pour préciser qu'une législation relative à la commercialisation de produits, même si elle ne concerne pas directement le régime des importations, peut néanmoins, selon les circonstances, affecter les possibilités d'importation de ces produits d'autres États membres. Dans l'affaire Blesgen, vous avez finalement, au point 9 des motifs, jugé déterminant le fait qu'il s'agissait alors «d'une disposition législative qui ne concerne que la vente en vue de la consommation sur place des alcools de fort degré dans tous les endroits accessibles au public et qui ne concerne pas les autres formes de commercialisation des mêmes boissons». Une telle mesure qui, en outre, s'applique indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés n'a pas, selon le passage précité de l'arrêt, «de lien avec l'importation des produits et, pour cette raison, elle n'est pas de nature à entraver le commerce entre États membres».

Au point 10 des motifs de l'arrêt Commission/Irlande (affaire 113/80), déjà cité à plusieurs reprises, la Cour a résumé sa jurisprudence pertinente en déclarant qu' «en l'absence de réglementation commune de la production et de la commercialisation d'un produit, il appartient aux États membres de régler, chacun sur son territoire, tout ce qui concerne la production, la distribution et la consommation de celui-ci, à la condition toutefois que ces réglementations ne fassent pas obstacle ... au commerce intracommunautaire» et que «ce ne serait que lorsqu'une réglementation nationale, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés, pourrait être justifiée comme étant nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant en particulier à ... la défense des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales qu'elle pourrait déroger aux exigences découlant de l'article 30».

Pour analyser la présente espèce à la lumière des passages de ce résumé de votre jurisprudence que nous avons soulignés, il s'agit de savoir si, compte tenu des circonstances, on peut parler d'une entrave indirecte aux échanges intracommunautaires. A l'instar d'Oosthoek et de la Commission, nous sommes d'avis que tel est effectivement le cas. En exigeant un lien de parenté sur le plan de consommation, la «Wet Beperking Cadeaustelsel» de 1977 restreint effectivement, pour les produits importés d'autres États membres, la possibilité de mener des opérations-cadeaux publicitaires uniformes du genre de celles visées dans la question qui vous est posée et qui sont autorisées dans divers autres États membres. En raison de l'intérêt commercial évident que la mise en œuvre uniforme d'une telle campagne publicitaire autorisée dans plusieurs autres États membres, notamment en Belgique, présente pour les entreprises concernées, l'importation des produits mis en vente est donc aussi entravée, d'une manière sensible, quoique indirecte, aux Pays-Bas. Une différence décisive par rapport aux faits qui étaient à l'origine de l'affaire Blesgen nous semble résider notamment dans le fait que, dans l'affaire Oosthoek, la réglementation concerne non pas un réseau de vente au détail déterminé, mais tous les réseaux du commerce de deuil. Dans d'autres cas que ceux qui sont en cause ici, une restriction légale au système de cadeaux entravera peut-être le plus fortement l'imporution de produits lorsqu'un bon pour un cadeau se trouve dans l'emballage de ces produits, identique pour tous les pays de vente, sans répondre simultanément aux conditions divergentes prévues par tous les pays de vente.

Dans un souci d'exhaustivité, nous ajouterons encore à ce qui précède que, dans un cas comme celui qui nous occupe, les cinquième et sixième attendus de l'arrêt Dassonville (affaire 8/74), le huitième attendu de l'arrêt Cassis de Dijon (affaire 120/78) et le point 10 des motifs de l'arrêt Commission/Irlande (affaire 113/80) paraissent également exclure une conclusion contraire sur la base de la directive 70/50 de la Commission du 22 décembre 1969 (JO 1970, L 13, p. 29). A l'audience, l'agent de la Commission est, lui aussi, arrivé à la conclusion que cette directive ne pouvait pas conduire en l'espèce à un résulut différent.

2. Les raisons justifiant des restrictions légales au système de cadeaux

A supposer qu'il s'agisse de réglemenutions nationales s'appliquant indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés, la plupart des réglemenutions nationales en matière de cadeaux ne pourront, en principe, être justifiées, conformément à la fin du point 10 de votre arrêt dans l'affaire Commission/Irlande, que par des «exigences impératives tenant en particulier à ... la défense des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales».

Or, comme nous l'avons déjà exposé en détail dans l'introduction de nos conclusions et comme il ressort également de l'exposé des motifs de la loi ainsi que des observations écrites du gouvernement néerlandais et de la Commission, la difficulté en l'espèce tient au fait que la législation néerlandaise en la matière n'a pas été motivée, entre autres, par la sauvegarde de la loyauté des transactions commerciales, mais principalement par la protection des entreprises qui proposent habituellement les cadeaux dans leur assortiment normal. L'exigence d'un lien de parenté sur le plan de la consommation, qui est visée dans la question du juge de renvoi, n'est du moins pas justifiée par ce premier objectif explicite de la loi lorsque, comme en l'espèce, il s'agit de produits qui font précisément partie de l'assortiment normal de la même entreprise. Comme nous l'avons indiqué dans nos observations introductives, cette condition particulière de l'existence d'un lien de parenté sur le plan de la consommation semble néanmoins être motivée par ce premier objectif explicite de la loi et non pas, en outre, par le deuxième objectif de la défense des consommateurs. Si cette hypothèse devait se révéler exacte — mais c'est au juge national qu'il appartient en définitive d'en décider —, la question qui vous est posée devrait par conséquent recevoir une réponse négative si vous estimez que les objectifs justifiant la norme doivent être qualifiés par référence au droit national.

Cette conclusion ne pourrait pas non plus être écartée même si la Cour était disposée à ajouter encore sous ce rapport, aux raisons admissibles justifiant des effets d'entrave aux échanges, des considérations de «déroulement ordonné des échanges économiques», comme il en est question ici. En dehors du fait que cette notion représenterait une justification de politique économique inadmissible d'après l'arrêt rendu dans l'affaire 7/61 ( 3 ), qu'en outre elle se rencontre seulement aux Pays-Bas et, enfin, qu'en raison de son caractère vague elle comporte le risque de débordement illimités vers d'autres mesures de politique économique entravant les importations, dont les suites sont imprévisibles dans le cadre de la présente procédure, cette voie ne nous paraît pas pouvoir mener à une conclusion autre que celle que nous venons d'indiquer. Même si la Cour acceptait, en principe, une telle extension des raisons justificatives, il demeure en effet que la condition de l'existence d'un lien de parenté sur le plan de la consommation pour des produits compris dans l'assortiment propre de l'entreprise ne peut pas être motivée de la sorte, comme nous l'avons exposé tout à l'heure. Votre arrêt ne devra donc pas envisager cette branche de l'alternative.

Une autre échappatoire pourrait consister à définir les raisons justificatives non pas, principalement, par référence au droit national, mais selon le droit communautaire. Si on veut éviter tout abus des raisons justificatives admises dans votre jurisprudence, cette solution nous semble devoir être préférée aussi sur un plan plus général. Comme la législation en matière de cadeaux est classée, notamment dans l'étude approfondie de droit comparé de Ulmer et autres de 1968 («Les règles relatives à la concurrence déloyale en vigueur dans les États membres des Communautés européennes»,1re partie, édition néerlandaise, p. 196 et suiv.) parmi les règles relatives à la concurrence déloyale, une telle réglementation pourrait alors, indépendamment de qualifications nationales différentes de ses objectifs, être considérée, en principe, comme couverte, selon le droit communautaire, par les raisons justificatives, déjà admises dans votre jurisprudence, de la sauvegarde de la loyauté des transactions commerciales et de la défense des consommateurs. Pour la question concrète qui vous est posée, cette échappatoire non plus ne résout cependant pas encore le problème résultant du fait que, suivant la règle du caractère raisonnable énoncée au sixième attendu de l'arrêt Dassonville, telle qu'elle a été précisée dans votre jurisprudence ultérieure, une raison justificative objective telle qu'elle est en cause ici n'est pas encore suffisante. La mesure concrète produisant un effet d'entrave sur le commerce doit de plus être «raisonnable» ou, pour reprendre la terminologie du huitième attendu de l'arrêt Cassis de Dijon, être «nécessaire» pour atteindre l'objectif, en principe justifié, qu'elle poursuit. D'après votre jurisprudence ultérieure, il s'agit entre autres d'une condition de proportionnalité, selon laquelle l'effet d'entrave sur le commerce ne peut pas dépasser ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l'objectif en principe admis, ainsi que d'une obligation d'admettre qu'il suffit de satisfaire aux mesures de l'État d'exportation devant être considérées comme équivalentes à la lumière des objectifs. En l'espèce, le fait de remplir la condition de proportionnalité nous semble, pour les raisons indiquées précédemment, constituer un obstacle, même si on choisit cette solution, mais cette question de l'application concrète de votre arrêt devra être laissée à l'appréciation du juge national.

Notre conclusion est donc qu'aucune des solutions alternatives que nous avons analysées ne permet de donner nettement une réponse affirmative à la question qui vous est posée et qu'en outre, dans toutes les solutions, il faut admettre la possibilité d'un contrôle judiciaire de la disposition légale en cause au regard des objectifs d'une législation en matière de cadeaux que vous jugez acceptables, ainsi qu'au regard des autres critères de votre jurisprudence. De plus, nous concluons que votre réponse devra se fonder en principe sur la troisième branche de l'alternative que nous avons envisagée.

4. Observations finales et conclusion

Notre examen nous a donc permis de conclure, d'une part, qu'une législation en matière de cadeaux comme celle qui nous occupe est certainement susceptible de produire des entraves indirectes à l'importation qui rendent en principe, selon votre jurisprudence, l'article 30 applicable.

D'autre part, nous sommes parvenu à la conclusion que la condition de l'existence d'un lien de parenté sur le plan de la consommation, qui est au centre de la question qui vous est posée, ne peut être considérée comme justifiée en soi ni par les raisons justificatives que vous avez admises dans votre jurisprudence, à savoir la sauvegarde de la loyauté des transactions commerciales et la défense des consommateurs, ni par les objectifs explicites de la «Wet Beperking Cadeaustelsel» de 1977, de sorte qu'on peut négliger le point de savoir si votre liste des raisons justificatives, telle que vous l'avez développée jusqu'ici, pourrait être complétée par l'objectif consistant à assurer un déroulement ordonné des échanges économiques, qui est un des fondements de cette loi.

Nous nous bornerons à ajouter à ces observations finales que votre réponse à la question posée ne pourra naturellement pas se référer spécialement à la loi néerlandaise, et encore moins au cas d'espèce qui a donné lieu à la question. La réponse à cette dernière devrait être formulée d'une manière plus abstraite et exclure les renvois à certains États membres ou à leur législation, qui figurent dans la question. Cette façon de procéder fournit, d'une part, un argument supplémentaire pour suivre la voie de la définition des raisons justificatives sur la base du droit communautaire et non pas sur la base du droit national. D'autre part, cette condition d'abstraction renforce la nécessité de laisser au juge national une certaine liberté dans l'application de votre réponse au cas d'espèce.

Les considérations qui précèdent nous amènent à vous proposer de répondre comme suit à la question qui vous est posée:

Tant qu'une réglementation communautaire en la matière fait défaut, l'article 30 du traité CEE ne fait pas obstacle à une restriction légale des opérations-cadeaux qu'un État membre applique indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés et qui, lorsque d'autres dérogations à l'interdiction de principe prévue dans la législation en question ne sont pas applicables, subordonne l'offre de cadeaux destinée à promouvoir les ventes à la condition qu'il existe, entre le cadeau et le produit qui forme la base de l'offre de cadeau, un lien de parenté sur le plan de la consommation, pour autant que l'application de cette condition n'ait pas pour effet d'entraver les importations davantage que ce qui est strictement nécessaire pour atteindre soit l'objectif de la sauvegarde de la loyauté des transactions commerciales, soit celui de la défense des consommateurs. D'autres objectifs éventuels d'une telle condition ne doivent en aucun cas, sans préjudice de leur justification en droit communautaire, conduire à des entraves à l'importation qui ne sont pas requises par ces objectifs.


( *1 ) Traduit du neerlandais

( 1 ) Comme spécialement le deuxième concept est utilise regulierement dans les débats académiques et a aussi eté employé dans la procédure actuelle, il est peut-être bon de préciser les deux termes. Le premier («régie du caractère raisonnable») se réfère au critère determinant du sixième attendu de l'arrêt Dassonville, a savoir que, si un Etat membre prend des mesures pour prévenir des pratiques déloyales, comme c'était le cas en l'espèce, «c'est cependant a la condition que ces mesures soient raisonnables» Le deuxième terme se refere a la lurisprudence relative au Sherman Act, qui atténue la striae interdiction des ententes par la «rule of reason» įunsprudeniielle.

Notamment selon L. H. Tribe, American Constitutional Law, !978, p. 340 a 342, le même type de technique, faisant application de critères qui sont également assez comparables a votre lurisprudence sur l'article 3C, est aussi appliqué par la Supreme Court en ce qui concerne l'«interstate commerce clause», qui peut eue rapprochee de l'article 30. C'est ainsi que le principe consacré dans l'arrêt 7/61 vaut également pour la lurisprudence américaine: «Economically based suie regulations have almost invariably been struck down» (op. cit., p. 340). Au moyen d'une technique qui nous parait fon analogue (même si elle utilise forcément des enteres de pondération adaptes aux circonstances différentes), vous avez aussi, dans votre lurisprudence concernant notamment les articles 30 et 59 et suivants, atténué les interdictions strictes de ces articles par une «rule of reason» telle qu'elle a été formulée pour la première fois dans l'arrèt Dassonville. Il resson notamment de cet arrêt Dassonville et de l'arrêt Cassis de Dijon (affaire 120/78, Recueil 1979, p. 649) que les précisions de cette «rule of reason» données dans votre lurisprudence ont, dans une large mesure, eté empruntees par analogie a l'article 36, a cette différence prépondérante près que cette atténuation de la règle fondamentale de l'arrêt Dassonville en cas de nonapplicabilité de l'article 36 présuppose qu'il s'agisse de mesures qui s'appliquent indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés. Notamment sur la base de votre jurisprudence concernant les articles 59 et suivants (où l'article 36 n'est pas applicable, mais où sont appliqués néanmoins des critères fon comparables), il ne peut naturellement pas être question d'une application directe des regles d'interprétation que vous avez développées dans le cadre de l'article 36. Il nous semble plutôt qu'il faille parler d'un pnneipe général d'interprétation a propos de dispositions prohibitives strictes du traité. Des raisons justificatives présentant un intérêt général peremptoire autres que celles dérivant d'objectits économiques sont alors conciliées avec les exigences de la libre circulation des marchandises et des services qui sont consacrees par le traité. Par rappon aux termes «exception» ou «dérogation», qui ont été utilises respectivement sous ce rappon dans nos conclusions dans l'affaire 6/81 et au point 10 de votre arrêt dans l'affaire 113/80 (Commission/Irlande), le terme «rule of reason», en tant qu'il caractérise ce principe d'interprétation, nous semble avoir l'avantage que le principe forme en fait un tout avec la règle d'interdiction atténuée, consacrée au cinquième attendu de votre arrêt Dassonville. Le pnncipe doit du reste former un tout avec cette règle d'interdiction puisque, d'après votre lurisprudence sur l'article 36, le traité n'autorise pas de véritables dérogations aux règles d'interdiction autres que celles qu'il prévoit explicitement, mais permet une interpretation «raisonnable» de ces règles d'interdiction.

A notre avis, l'unicité de la règle fondamentale et de la règle attenuante de l'arrêt Dassonville s'exprime aussi clairement dans certains arrêts récents, notamment dans vos arrêts Beele (affaire 6/81) et Robertson (affaire 220/81).

( 2 ) Voir notamment, sur ce point, le «Rapport van de Commissie Ordelijk Economisch Verkeer», La Haye 1967, p. 19 et suiv., qui est particuherement éloquent a cet egard, l'édition Schuurmans et Jordens de la loi en cause (1979), p. 9, et Mulder-Duk, «Scheu van het sociaal-economisch recht in Nederland,» deuxième édition, Zwolle 1980, p. 145. 146 et ISC.

( 3 ) Bien que l'arrêt dans l'affaire 7/61 (Commission/Italie, Recueil 1961, p. 671) ait seulement établi que, contrairement a l'article 226, l'article 36 vue (exclusivement) des hypothèses de nature non économique, la «ratio» de cette décision implique à notre avis que. dans le cadre également de la «rule of reason» en rapport avec l'article 3C. seules des conditions imperatives d'intérêt general et de nature non économique peuvent louer un rôle. Votre ample jurisprudence relative a la «rule of reason» nous semble confirmer l'exactitude de cene supposition.

Top