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Document 61981CC0012

    Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 8 décembre 1981.
    Eileen Garland contre British Rail Engineering Limited.
    Demande de décision préjudicielle: House of Lords - Royaume-Uni.
    Égalité de rémunération entre hommes et femmes.
    Affaire 12/81.

    Recueil de jurisprudence 1982 -00359

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1981:296

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT,

    PRÉSENTÉES LE 8 DÉCEMBRE 1981 ( 1 )

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    A l'arrière-plan de l'affaire 12/81 sur laquelle nous avons à nous prononcer aujourd'hui se situe le voeu, bien compréhensible, de Mme Garland de pouvoir jouir également après avoir atteint l'âge d'admission à la retraite des mêmes facilités de transport que les salariés de son employeur, la British Rail Engineering Ltd, de sexe masculin admis à la retraite. Ces facilités de transport consenties aux salariés de sexe masculin s'étendent également à l'épouse et aux enfants à charge. Ainsi qu'il ressort d'une lettre du 4 décembre 1975 du British Railways Board aux syndicats, figurant au dossier, les travailleurs de sexe féminin sont traités sous ce rapport, depuis 1976, sur un pied d'égalité avec les hommes pendant l'exercice de leur activité professionnelle. Après leur admission à la retraite les facilités accordées aux membres de la famille des salariés féminins sont toutefois retirées ainsi qu'il ressort de ladite lettre. Le différend qui oppose Mme Garland à son employeur est monté jusqu'à la House of Lords. Cette dernière vous pose à ce sujet les questions suivantes:

    1) 

    Lorsqu'un employeur accorde (sans y être toutefois tenu par contrat) des avantages spéciaux en matière de transport dont ses anciens employés peuvent bénéficier après avoir été admis à la retraite et qui constituent une discrimination à l'endroit d'anciens employés de sexe féminin de la façon décrite ci-dessus, cette pratique est-elle contraire:

    a)

    à l'article 119 du traité CEE?

    b)

    à l'article 1 de la directive du Conseil 75/117/CEE?

    c)

    à l'article 1 de la directive du Conseil 76/207/CEE?

    2) 

    En cas de réponse affirmative aux questions 1 a), 1 b) ou 1 c), l'article 119 ou l'une ou l'autre des directives précitées sont-ils directement applicables dans les États membres de manière à conférer aux justiciables des droits communautaires que les juridictions nationales sont tenues de sauvegarder dans les circonstances précitées?

    Sur la première question

    Pour un résumé des arguments invoqués dans cette affaire par la requérante au principal, la Commission, British Rail Engineering Ltd et par le gouvernement du Royaume-Uni, nous renvoyons comme de coutume au rapport d'audience.

    Avec la requérante au principal et avec la Commission, nous sommes d'avis que lesdites questions peuvent, sur la base de votre jurisprudence antérieure, recevoir entièrement une réponse dans le cadre de l'article 119 du traité CEE.

    Nous examinerons d'abord la première question qui vous a été posée. A ce sujet, rappelons pour commencer que le principe de l'égalité de rémunération, énoncé à l'article 119, est applicable non seulement au salaire de base ou au salaire minimum, mais également à tous autres avantages en numéraire ou en nature, pourvu que deux conditions soient remplies:

    1)

    ils doivent être versés directement ou indirectement par l'employeur au travailleur;

    2)

    ce paiement doit être effectué au titre de la relation de travail.

    Dans ses conclusions dans la première affaire Defrenne (affaire 80/70, Recueil 1971, p. 454 et suiv.), l'avocat général M. Dutheillet de Lamothe a exposé amplement les raisons pour lesquelles, selon lui, lès pensions que l'employeur verse directement au travailleur admis à la retraite relèvent du champ d'application de l'article 119. Nous jugeons cet exposé convaincant et estimons qu'il s'applique également «mutatis mutandis» aux avantages dont il s'agit dans la présente affaire. Nous reviendrons toutefois encore sur ce dernier point dans la suite de notre exposé. L'arrêt proprement dit dans la première affaire Defrenne énonce, au sixième attendu, «que, dans son deuxième alinéa, cette disposition étend la notion de rémunération à tous les avantages, en espèce ou en nature, actuels ou futurs, pourvu qu'ils soient payés, fût-ce indirectement, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier». Cet arrêt admet donc, lui aussi, que l'article 119 vise également les avantages futurs remplissant les autres conditions de l'article 119 que nous avons citées plus tôt. L'avocat général M. Warner a exprimé une opinion analogue à celle de M. Dutheillet de Lamothe dans ses conclusions du 11 décembre 1980, non encore publiées, dans l'affaire Worringham (affaire 69/80).

    Il est donc établi en tout état de cause, sur la base de votre jurisprudence antérieure que l'article 119 se rapporte également aux avantages futurs. En outre, il apparaît du formulaire BR 7103/6 «Concessions for retired staff» (avantages consentis au personnel retraité) qui figure au dossier de l'affaire, que les avantages dont il s'agit, sont payés par l'employeur au travailleur, directement à l'intérieur du Royaume-Uni et indirectement en dehors du Royaume-Uni. En troisième lieu, il se déduit du texte de ľarticle 119 que le principe d'égalité de rémunération, énoncé dans cette disposition, n'est pas limité aux avantages contractuellement convenus au sens de cet article. Pendant les débats oraux, la British Rail Engineering Ltd a d'ailleurs concédé que les avantages de transport perçus dans le cadre d'un contrat de travail doivent être considérés comme une rémunération au sens de l'article 119. La seule divergence de vues subsistant encore porte, par conséquent, sur la question de savoir si le maintien des facilités de transport en faveur d'un travailleur après l'admission de celui-ci à la retraite peut être considéré comme un avantage consenti «en raison de l'emploi de ce dernier». En ce cas, le lien avec l'emploi ne peut pas être déduit également d'un contrat, à la différence de ce qui est le cas dans le cadre des régimes de pension des entreprises. Néanmoins, la remarque de M. Dutheillet de Lamothe dans l'affaire 80/70 (Defrenne, Recueil 1971, p. 459), selon laquelle «c'est bien plus à raison de l'emploi, que certes il n'occupe plus, mais qu'il a nécessairement occupé, qu'il peut bénéficier de cet avantage», est applicable aussi selon nous à ces avantages de transport. Rien dans le dossier n'indique que les avantages de transport sont consentis pour d'autres motifs que la relation d'emploi. La communication au personnel que nous avons citée porte au contraire formellement le titre: «Information for railway staff at the time of their retirement» (information au personnel des chemins de fer lors de leur admission à la retraite), dont nous soulignons les quartre premiers mots. Le lien avec la relation d'emploi est donc expressément reconnu. Il apparaît encore avec une clarté plus grande de la lettre du 4 décembre 1975 adressée aux syndicats, déposée à la demande de la Cour et que nous avons déjà citée plus tôt, que les avantages consentis après l'admission à la retraite doivent être considérés comme la prolongation d'avantages de transport consentis pendant la relation de travail. Autrement, il n'eût pas pu être question dans cette lettre de retrait partiel de ces avantages. En ce qui concerne les mêmes avantages reconnus pendant la relation de travail, l'employeur a déjà concédé au cours des débats oraux, ainsi que nous l'avons dit, qu'ils relèvent du champ d'application de l'article 119. Il devra en être de même pour la prolongation ultérieure de ces avantages.

    La première question que vous a posée la House of Lords devra dès lors recevoir une réponse affirmative, selon nous, en ce sens que la discrimination dont il s'agit est contraire à l'article 119 du traité de la CEE.

    Sur la deuxième question

    Par référence au 17e attendu de votre arrêt dans l'affaire Jenkins/Kingsgate (affaire 96/80) — non encore publiée — le gouvernement du Royaume-Uni nie que dans l'hypothèse d'une réponse affirmative à la question 1 (a), ľarticle 119 serait aussi directement applicable dans le cas de l'espèce. Dans l'attendu en question, vous avez estimé, par référence à votre jurisprudence antérieure, que l'article 119 du traité de la CEE «s'applique directement à toutes formes de discrimination susceptibles d'être constatées à l'aide des seuls critères d'identité de travail et d'égalité de rémunération retenues par l'article précité, sans que des mesures communautaires ou nationales déterminant ces critères soient nécessaires pour la mise en oeuvre de ceux-ci». De l'avis du gouvernement du Royaume-Uni, de telles mesures nationales ou communautaires seraient effectivement nécessaires en l'espèce pour répondre aux questions relatives aux différences dans l'âge d'admission à la retraite et d'espérance de vie, lesquelles influenceraient directement le coût de l'avantage pour l'employeur et de l'avantage pour le travailleur.

    En ce qui concerne cet argument, nous aimerions tout d'abord nous rallier à l'observation que la Commission a faite à l'audience et selon laquelle une différence dans l'âge d'admission à la retraite n'est pas en cause dans la présente espèce, cela à la différence de ce qui était le cas dans l'affaire Burton. La question a trait à des avantages de transport consentis après l'admission à la retraite en faveur des membres de la famille de l'ancien travailleur, sans égard aux différences pouvant exister ou non dans l'âge d'admission à la retraite du travailleur lui-même. Ces avantages relèvent, selon notre analyse, du champ d'application de l'article 119. Rien dans le texte de l'article 119 n'indique que l'application de cette disposition dans le cas d'espèce serait fonction de la réponse aux questions mentionnées par le gouvernement du Royaume-Uni. La forme de discrimination dont il s'agit ici peut, au contraire, être reconnue sans plus en tant que telle à l'aide des critères indiqués dans cet article. Pour le surplus, nous ajouterons que si les questions soulevées par le Royaume-Uni devaient effectivement être pertinentes, la motivation de son argument plaide plutôt, selon nous, en l'espèce contre cet argument. En effet, s'il était exact que les espérances de vie sont plus élevées pour les femmes que pour les hommes et qu'il faut pouvoir tenir compte de ce phénomène, l'octroi de facilités de transport à l'époux d'un travailleur féminin coûterait non pas plus cher, mais précisément moins cher que l'octroi de facilités à l'épouse d'un travailleur masculin. Par conséquent, l'âge d'admission à la retraite du travailleur lui-même est également sans intérêt sous cet angle dans le cas présent.

    Sur la base de la jurisprudence qui peut être dégagée du 17e attendu de votre arrêt dans l'affaire Jenkins/Kingsgate, que nous avons indiquée plus tôt, nous conclurons par conséquent que la deuxième question posée par la House of Lords doit recevoir elle aussi une réponse affirmative.

    Conclusion

    Les questions posées appellent par conséquent, selon nous, les réponses suivantes :

    1)

    Si un employeur continue à accorder des avantages de transport à d'anciens travailleurs et aux membres de leur famille après qu'ils ont atteint l'âge de l'admission à la retraite, ces avantages constituent une rémunération au sens de l'article 119, deuxième alinéa, du traité de la CEE et doivent satisfaire au principe de l'égalité de rémunération à travail égal, au sens de cette disposition.

    2)

    Si une discrimination peut être établie à cet égard en tant que telle au moyen des critères d'identité de travail et d'égalité de rémunération énoncés dans ladite disposition, l'article 119 y est directement applicable dans les États membres, en ce sens qu'il crée en faveur de l'ancien travailleur faisant l'objet de la discrimination des droits communautaires dont il peut exiger le respect.


    ( 1 ) Traduit du néerlandais.

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